DADVSI : on progresse...
Par a3_nm, dimanche 26 mars 2006 à 15:01 :: Actualités :: #80
Le DADVSI a été finalement validé par l'Assemblée, et ce n'est pas vraiment une bonne chose. En effet, ce texte, même s'il contient des dispositions intéressantes et bénéfiques pour l'utilisateur, est un véritable désastre dans d'autres domaines. Je me propose de revenir sur certains points....
Réaction d'Apple
Apple a récemment critiqué le projet de loi, et c'est assez amusant. Une disposition est remise en cause, selon laquelle les éditeurs de MTP se voient obligés de fournir les informations nécessaires à l'interopérabilité. Une disposition très intéressante pour les développeurs de logiciels (libres, ou pas, d'ailleurs) qui peuvent ainsi créer des logiciels compatibles avec des formats jusqu'alors volontairement obscurcis dans une entrave agaçante à la libre concurrence.
Apple se trouve visée pour ce qui est de la vente de musique en ligne. La firme propose sur l'iTunes Music Store des titres compatibles uniquement avec son baladeur audio maison, l'iPod (que j'ai d'ailleurs délibérément évité lors de mon achat récemment d'un baladeur audio pour son incapacité à lire le format OGG, au profit de l'iAudio M5 de COWON et iAudio proposant la lecture de l'OGG et même du FLAC). Les réactions de la firme sont particulièrement virulentes, et on nous parle d'un "piratage parrainé par l'état", entre autres énormités (voir l'article ZDNnet.
Il est très amusant de voir comment Apple justifie une mesure pour conserver un monopole de manière malhonnête en mettant en avant, encore et encore, le respect du droit d'auteur. "Les ventes d'iPod vont vraisemblablement augmenter, puisque les utilisateurs pourront librement y transférer de la musique interopérable, qui ne pourra pas être correctement protégée", ironise-t-elle, et j'adore le "correctement protégée". Protégée contre les utilisateurs eux-mêmes.
Plus cocasse encore, le gouvernement américain se range derrière Apple. Les ÉU sont un terre d'opportunités, et une rampe de lancement pour des projets de loi surréalistes comme le fut le DMCA (destiné, comme son nom l'indique, à durer un millénaire : cherchez l'erreur). Interdire la numérisation de contenu sans adjonction de DRM, interdire l'enregistrement de la radio sur une durée inférieure à 30 minutes, autant de lois incroyables en chantier de l'autre côté de l'Atlantique que l'on verra sans doute débarquer dans quelques années en France, tout comme le DADVSI est en train de nous tomber dessus.
Sauf que, pour le moment, seule la France a son mot à dire concernant la rédaction du projet de loi (enfin, pas toute la France, loin de là ; seulement nos élus). Alors, on conjecture qu'Apple va déserter le marché français. Bon débarras ! Car il est tout de même drôle que l'on vienne à mettre le DADVSI en lumière pour son aspect "protecteur des droits de l'utilisateur" quand il est justement réputé pour son léchage de bottes vis-à-vis des producteurs. En effet, il ne faut pas perdre de vue que, si l'on oblige les éditeurs de MTP à fournir les infos pour l'interopérabilité, la publication d'informations sur le contournement de ces mêmes MTP est passible de lourdes amendes - une atteinte à la liberté d'expression ridicule alors que les MTP sont censées assurer elles-mêmes leur inviolabilité (et c'est impossible, vu qu'elles protègent les données d'un utilisateur contre lui-même, mais c'est une autre histoire). Des MTP qui ne sont d'ailleurs pas vraiment tenues de s'assurer que la copie privée est possible ; elles peuvent en limiter le nombre de copies autorisées, d'un nombre qui peut être nul (aucune borne inférieure précisée). Si le nombre est insuffisant, le seul recours est le "collège de médiateurs"... Et en attendant, on continue à payer une redevance sur les supports vierges qui date d'une époque où l'on pouvait faire autant de copies privées que l'on veut- ce qui me semble un droit normal et évident. D'ailleurs, les logiciels libres permettant de lire du contenu protégé sont eux-aussi illégaux car la diffusion de leur code source révèle obligatoirement des informations primordiales sur la MTP.
Même si je trouve particulièrement malhonnête de s'élever contre le texte étant donné qu'il commet le crime de favoriser l'interopérabilité, je me réjouis de voir que ça fait d'autant plus de monde favorable à son retrait en l'état, ce qui pourrait permettre un véritable débat entre tous les acteurs pour l'élaboration d'un projet de loi juste et harmonieux, plutôt qu'un machin mal ficelé qui dit une chose et son contraire. Ma plus grande crainte serait une élimination "sélective" de la disposition incriminée, ce qui serait d'autant plus révoltant que c'est un des rares points positifs du projet.
L'interprétation d'OVH
Ce qui m'a décidé à écrire ce billet, c'est ceci (qui fait écho à ce billet, que j'avais écrit en novembre): l'hébergeur OVH n'hébergera plus eMule, logiciel libre de peer-to-peer. Pourquoi ? À cause d'une disposition de la loi qui interdit la mise à disposition de tout logiciel "manifestement destiné" à l'échange illégal de fichiers s'il n'embarque pas des MTP suffisantes pour interdire de tels usages (et qui sont de facto incompatibles avec le logiciel libre). Une disposition visant sans doute à interdire le peer-to-peer - et pourquoi pas le FTP, l'email, l'open source, voire Internet, qui sont autant de technologies et de concepts non protégés pouvant être utilisées à des fins illégales. Et la présomption d'innocence dans tout ça ?
Si j'éditais un logiciel de peer-to-peer, j'y adjoindrais sûrement un disclaimer genre "Ce logiciel n'est pas conçu pour être utilisé d'une manière violant les lois applicables, notamment sur le droit d'auteur. Nous n'encourageons pas les gens à violer la loi, et faisons notre possible pour empêcher toute utilisation illégale du logiciel, dans les limites de ses objectifs, de son mode de fonctionnement,et de nos capacités.", le projet ayant pour objectif d'être "libre", ce qui exclut toute MTP. Est-ce suffisant ? Je n'en sais rien, mais trouve déjà cela une obligation qui ne devrait pas exister - l'éditeur d'un logiciel quelconque, surtout libre, ne fait que diffuser un texte (le code source) et n'est aucunement responsable de l'usage qui en est fait. Parce que, quand même, non content d'entraver la liberté d'expression en faveur du droit d'auteur (interdiction de diffuser des travaux protégés), on en vient à limiter la liberté d'expression de ceux qui pourraient permettre à d'autres de mal utiliser leur liberté ? Elle est où la logique, dans tout ça ?
Une disposition aussi floue ("manifestement") dans un projet de loi de cette ampleur est un défaut inacceptable, et ouvre la porte à autant d'actions similaires à celle d'OVH que de procès engagés par des grosses entreprises sur de plus petites, afin de les faire fermer. Mais, dans une société basée sur une loi que nul de doit ignorer mais que personne ne peut comprendre, personne n'est à l'abri. La loi est la même pour tous, mais la capacité de chacun à la faire respecter - à juste titre ou pas - l'est elle ? Dans un monde où la possibilité d'ouvrir un procès infondé devient une menace dans la main d'hommes puissants pour faire se soumettre les plus faibles, je reste plus que jamais dubitatif face à la pertinence du système de lois et de règles qui fait fonctionner notre société. Est-ce le moins pire ? Je n'en sais rien - mais ne m'interdis pas de me poser la question...
(des propos très larges, mais que je comptais depuis longtemps placer....)
Flash mob
Des gens partageant mon opinion sur les DRM et le DADVSI ont récemment organisé une manifestation éclair dans une Fnac, en région parisienne (hélas ! je ne pouvais y assister, habitant en province). Ils étaient peu, et l'événement n'a guère eu de retombées médiatiques. Mais j'exprime ici mon soutien aux organisateurs : continuez dans le registre de l'opposition non violente - plus vous serez nombreux, plus on parlera de vous. Et le logiciel libre, l'opposition aux DRM a grand besoin que l'on parle d'eux.
Les bons points
Bon, disons-le, le texte a certains aspects intéressants et profitables : - On ne peut considérer une mise en cache comme un acte de copie. C'est évident, mais ça nous évite peut-être des procès pour l'avenir ; - Les sites web seront archivés par la Bibliothèque nationale automatiquement, et c'est bon pour les historiens futurs ; - L'interopérabilité est parfois favorisée, et même si ce sont des parcelles de terrain arrachées à l'ennemi dans un texte qui prône largement une attitude bien plus producer-friendly, certains passages sont bons pour les utilisateurs.
Les m3u ?
Vous vous souvenez de ma technique pour télécharger tous les m3u d'une page, et les mp3 associés ? C'était là. J'expliquais en gros comment, à partir d'un fichier m3u, on pouvait télécharger le fichier mp3 proposé. C'est trivial, le m3u est un fichier texte contenant l'adresse du mp3.
Cependant, était-ce une mesure de protection prise en pensant qu'elle ne permettait que d'écouter les titres et non de les télécharger ? Ce serait particulièrement imbécile, mais pas forcément idiot. Et si tel est le cas, mon billet est illégal en vertu du DADVSI car il publie des informations sur le contournement d'une MTP ; et celui qui le lit et met en pratique ce qu'il applique est également passible de lourdes peines.
Voici un exemple concret de comment ce texte peut empiéter sur la liberté d'expression de chacun.
Ce que j'en pense
Je le précise tout de suite : je ne télécharge pas illégalement d'oeuvres protégées, et suis fermement opposé à cela. Certains affirment qu'il est désuet de poursuivre les téléchargeurs en justice, que c'est devenu un usage, que c'est impossible à combattre, et qu'il faut donc l'accepter. Certes, la répression est délicate à mettre en oeuvre. Certes, beaucoup le font. Mais je respecte la volonté de l'artiste. Je suis un fervent partisan des licences Creative Commons permettant de rediffuser les oeuvres que l'on reçoit selon des conditions variées, et écoute, autant que possible, de la musique libre. Cependant, je respecte la liberté des artistes à choisir de diffuser leurs oeuvres par l'intermédiaire d'une maison de disques qui refuse qu'on les télécharge gratuitement. Trouvant cela idiot, je ne télécharge pas ni n'achète les oeuvres de ces artistes, et vais voir ailleurs. J'espère que, si le modèle des licences libres est viable pour les artistes, il finira par remplacer de lui même le modèle actuel ; en tant qu'utilisateur, je le préfère. Mais je ne télécharge pas illégalement de la musique si l'auteur ou les ayant-droits s'y opposent. Je vais voir ailleurs.
Il y a un problème dans ce raisonnement, c'est qu'une majorité écrasante des artistes connus passent par une maison de disques. Ça ne me dérange pas - tant pis pour eux - car je vais voir du côté d'autres artistes moins connus qui proposent une musique gratuite. Toutefois, beaucoup de mes connaissances ont leurs artistes favoris parmi les célébrités et sont donc coincés dans le système traditionnel. J'espère que ce système finira par s'effondrer, mais c'est un choix à faire. En tout cas, je ne m'oppose pas à ce que l'artiste interdise tout et n'importe quoi sur son travail, à condition que mes droits et interdictions soient précisés avant l'achat par une signalisation adéquate. Ce que je ne veux pas, c'est de devoir acheter en encourant le risque de me retrouver avec une oeuvre ne me garantissant les droits que je souhaite (compatibilité avec Linux, absence de MTP, etc.). Pour ce qui est de la dépendance de la société vis-à-vis de musique non libre, ça en vient à un dialogue de ce type que j'ai eu avec une amie :
- Moi je télécharge le nouveau singueule d'Untel parce que le CD coûte 15€ et c'est trop cher.
- Bah, tu n'as qu'à acheter un CD qui coûte moins cher ?!
- Mais attends ! c'est mon artiste préféré aussi....
Je n'y ai pas pensé sur le moment, mais voici ce que j'aurais du répondre :
- Et si le CD coûtait 1 500 000 €, l'achèterais-tu ? Non ? Donc, arrête de considérer que tu est soumise au bon vouloir de l'artiste. La qualité de ce qu'il fait n'est qu'un facteur, et les conditions nécessaires à son obtention en est un autre.
Elle m'aurait sans doute rétorqué qu'elle téléchargeait, justement, les titres de toute manière. Mais c'est en violation du droit d'auteur. Quelqu'un a le droit de faire quelque chose de génial et de ne pas le diffuser. Il a aussi le droit de le diffuser à un prix exorbitant. Dans ce cas, on ne l'achète pas et on va voir ailleurs.
Le choix n'est pas toujours facile à faire. Il manque toujours de nombreux équivalents gratuits et/ou libres à des logiciels propriétaires spécialisés. Trouver de la musique libre ou du moins gratuite n'est pas toujours évident. Pour prendre un exemple concret, j'avais beaucoup aimé le film H2G2 Le Guide du Voyageur Galactique et comptais me l'acheter en DVD - mais le DVD en question est protégé et sans doute incompatible avec Linux. Tant pis alors. De même, il fut une époque où j'aimais beaucoup les jeux vidéo. Malheureusement, les jeux du commerce ne fonctionnent pas sous Linux pour la plupart. Tant pis. Pour moi, un système libre, gratuit et légalement acquis est plus important que de pouvoir jouer - car cela requiert un système fermé et payant ou illégalement piraté.
Tout cela est très beau dans l'absolu. Si tout cela était vrai en pratique, j'utiliserai gaiement Linux dans mon coin en écoutant de la musique libre sans embêter les autres avec ma marginalité. Cependant, il y a un détail. Les deux modèles (propriétaire, domination du producteur sur l'utilisateur et libre, domination de l'utilisateur sur le producteur) sont antagonistes et entrent en conflit. Or, pour qu'ils puissent cohabiter, il faut une base minimale d'utilisateurs de chaque côté. Par contre, s'il n'y a que 100 personnes d'un côté et plusieurs milliards de l'autre, le premier système va écraser le second par des lois, des procès, et divers moyens prouvant qu'il est le seul système autorisé. Il faut que nous soyons suffisamment à utiliser Linux pour pouvoir cohabiter avec Microsoft ; si nous sommes trop peu, il détruira Linux par des procès et par des lois passées à grand renfort de lobbying. C'est pour ça que j'écris ce billet, pour ça que je fais de la propagande pour Linux et compagnie auprès de mon entourage : pour assurer que nous soyons suffisamment gros pour survivre.
En tout cas, je m'oppose au DADVSI principalement car il restreint ma liberté d'expression. Je perds la liberté de diffuser le code d'un logiciel peer-to-peer (et, alors que d'autres perdent cette liberté, il deviendra plus difficile pour moi d'en trouver pour un usage légal). Je perds la liberté de m'exprimer ouvertement sur des MTP. Je suis d'accord avec les MTP tant que ce ne sont qu'une nuisance qu'il m'appartient d'éviter, pas quand on les rend obligatoires dans les logiciels parce que certains les utilisent illégalement, et qu'on m'interdit d'en parler. Que l'on prohibe des logiciels sous des motifs si fallacieux me révolte.
La disposition interdisant de parler des DRM m'indigne aussi, car elle assure le soutien légal d'un modèle économique par ailleurs faillible. Je m'explique. Les DRM sont par définition faillibles car ce sont des technologies qui visent à interdire à l'utilisateur certaines choses. La machine peut être fermée à clef, les technologies cryptées, je pourrais toujours, au final, désassembler la machine, comprendre son fonctionnement, et faire ce que je veux des données. Un fichier est un fichier, et vouloir y inclure des mesures pour en réguler l'usage sont une aberration. Que l'on tente de ralentir ce processus en interdisant de contourner des MTP - ce que l'on pourra toujours faire en secret chez soi - et de publier des informations à propos du contournement - ce qui est utile mais pas indispensable à ce contournement - constitue donc bien une manière d'assurer, par la loi, la survie d'un concept destiné à l'échec de par sa nature même : les DRM...
Commentaires
Aucun commentaire pour le moment.
Ajouter un commentaire
Les commentaires pour ce billet sont fermés.