Que penser de cela ? Ce fait est en tout cas à rapprocher du jugement sanctionnant l'éditeur Grokster pour incitation au téléchargement illégal (article ZDnet. Un jugement qui choque beaucoup, mais ne me dérange pas tant que ça. Si Grokster a vraiment encouragé ses clients a faire un mauvais usage de leur réseau, et si cela lui a permis d'obtenir un profit substantiel, je trouve cela normal que l'on sanctionne. Maintenant, il faudrait délimiter ce qu'est une incitation. Pour moi, il est suffisant qu'un éditeur prévienne ses utilisateurs avec un avertissement comme "L'utilisation de ce logiciel pour la mise à disposition et le téléchargement de fichiers protégés par le droit d'auteur sans accord des ayant-droit est illégal dans certains pays. Reportez-vous à la législation applicable pour plus d'informations. En aucun cas nous ne pourrons être tenus responsable de l'usage qu'ont les clients de notre réseau.", ou quelque chose du genre, ça ne coûte pas cher et c'est toujours mieux pour prévenir un utilisateur un peu stupide (le fait de ne rien mettre devrait aussi être toléré à mes yeux, mais peu importe...). Par contre, il faudrait faire attention à ce que l'on emploie pas le terme incitation pour désigner un logiciel qui, du fait qu'il n'implémente aucun contrôle sur les fichiers téléchargés, constitue une incitation au partage illégal...

C'est aussi à rapprocher des lettres de menace envoyées par les sociétés de gestion des droits d'auteur à des éditeurs de logiciels Peer-to-peer, leur demandant de cesser toute activité, sinon, on vous attaque en justice, même s'il n'a jamais été établi que vous incitiez au téléchargement illégal (article ZDnet). Des lettres qui ont déjà fait fermer plusieurs plate-formes. Et pourtant, il faudrait, selon ZDnet, prouver "qu'un bénéfice direct est tiré de violations de copyright provoquées sciemment, et qu'aucun effort n'a été fait pour limiter ces dernières", ce qui semble difficile. Mais, bien entendu, les éditeurs que l'on attaque n'ont pas les moyens de se défendre. Et capitulent...

Pire encore, la mesure vise à rendre illégal "les sites faisant la promotion de ce type de logiciels, c'est-à-dire publiant un lien vers ces programmes". Cela me rappelle cette autre affaire. Tout cela est une forme intéressante de censure provoquée par les maisons de disques, nouveaux dictateurs d'Internet, sur des logiciels dont de nombreuses personnes font un usage légal pour transférer des distributions Linux ou du contenu placé sous une licence libre autorisant ce type d'usage, simplement parce qu'il est possible qu'on en fasse un usage illégal, et parce qu'il est impossible de l'empêcher sans nuire à l'utilisateur. Et il faudra donc accepter d'être surveillé et contrôlé par des DRM si on veut utiliser un logiciel de peer-to-peer (je reviendrai peut-être sur les DRM dans un prochain billet). D'autant que le téléchargement sur ces réseaux est peut-être légal en vertu de l'exception pour copie privée (article ZDnet). Ce n'est pas étonnant que le gouvernement tente de l'éliminer par le projet de loi DADVSI. L'excellent site EUCD.info lutte conter de telles pratiques.

D'ailleurs, si on veut interdire tout ce dont un certain usage peut nuire aux sociétés de gestion des droits d'auteur, il va y avoir du travail ! Tout moyen d'expression qu'on ne peut pas contrôler, à commencer par Internet, devrait être placé sous le signe des DRM et de la censure ; inutile de dire que l'informatique de confiance est un moyen pratique pour imposer cela dans le dos du consommateur. Internet, en tant que média d'expression décentralisé, était un formidable pas en avant pour la liberté d'expression et d'information ; c'est parce qu'une telle liberté commence à déranger certains qu'Internet est poussé dans cette direction de recentralisation nuisible à l'utilisateur. Le projet Freenet est une réponse à tout cela, même s'il n'est pas encore vraiment utilisable. La citation qu'il affiche en page d'accueil, de Mike Godwin, membre de l'Electronic Frontier Foundation, une autre institution luttant pour le respect des libertés individuelles ("Defending Freedom ni the Digital World"), résumé bien la situation :

I worry about my child and the Internet all the time, even though she's too young to have logged on yet. Here's what I worry about. I worry that 10 or 15 years from now, she will come to me and say 'Daddy, where were you when they took freedom of the press away from the Internet?'

Traduction :

J'ai tout le temps peur pour mon enfant et Internet, même si elle est trop jeune pour s'y être déjà connectée. Voici de quoi j'ai peur. J'ai peur que dans 10 ou 15 ans, elle vienne me voir et dise "Papa, où étais-tu quand ils ont enlevé la liberté de la presse d'Internet ?"