L'esthétique du choc
Par a3_nm, lundi 17 juillet 2006 à 19:38 :: Ma vie :: #105
Le titre de ce billet est l'intitulé authentique d'une synthèse faite en cours de français sur Les Fleurs du mal de Baudelaire.
Avez-vous ressenti, le 13 juin, au plus profond de votre âme, le cri muet de souffrance des bacheliers français peinant sur leur copie de l'EAF ?
Avez-vous entendu, à la fin du même mois, le soupir silencieux du vent qui se lamentait sur la tourmente de ces mêmes bacheliers hésitant, bégayant, se ratatinant devant la figure imperturbable d'un examinateur sinistre pour leur passage à l'oral ?
Si non, ça ne m'étonne pas trop, car un cri muet et un soupir silencieux, il faut être fort pour les ressentir ou les entendre (cela étant dit, c'est tout à fait dans le ton, en terme de baratin creux). Mais sérieusement, j'y étais (et pour cause : je faisais partie de l'ensemble des bacheliers susdits).
C'était atroce. Atroce. Un corpus (ensemble de textes du sujet) composé d'un seul texte d'Alphonse Daudet, « La légende de l'homme à la cervelle d'or » in Lettres de mon moulin (qui comme par magie a vu son article surgir sur Wikipédia le 13 au soir). Objet d'étude (sujet révélé le jour même sur une liste de 5) : "convaincre, persuader, délibérer" (attention, contre toute attente, ces mots ne sont pas des synonymes, ne blasphémez pas !). Tout le monde attendait le biographique, mais non. Une question (c'est noté sur 4) tordue (j'ai appris de la part de mon examinateur pour l'oral qu'elle posait pas mal de problèmes pour la correction), consistant à reformuler la morale du texte et à le rattacher à des genres (j'ai pioché le conte et l'apologue, mais la morale étant obscure, je m'en suis tiré en tournant autour du pot et en disant qu'elle était justement capable de revêtir de multiples apparences ou une connerie du même genre (ça pouvait aller de l'exploitation de l'écrivain à la condition de l'ouvrier, c'est pour dire...)). Et on avait le choix (c'est noté sur 16) entre un commentaire agaçant (commenter à propos d'un des textes du corpus, dans sa totalité ou seulement sur une partie d'un des textes, qui semble avoir été délimitée en utilisant le sujet comme cible pour jouer aux fléchettes) sur la moitié d'un texte désespérément vide, une dissertation fumeuse (à partir d'une question ou d'une citation, expliquer a\ pourquoi c'est vrai et b\ pourquoi c'est faux et c\ ce que c'est au final sans se contredire (attention !)) dont j'ai oublié jusqu'à l'intitulé, et une invention "freestyle" (écrire ce qui est demandé, 80% du temps c'est une lettre et 80% du temps c'est argumentatif, c'est à dire, une dissertation déguisée et mal organisée) où il fallait pondre une lettre argumentative. J'ai choisi l'invention. Et, à ma grande joie, j'ai obtenu 18.
L'oral. Encore plus stressant que l'écrit, et surtout encore plus agaçant en ce sens que, parmi tous les textes révisés (une bonne vingtaine), un seul (oui, un seul, mesdames et messieurs) tombe. Je suis tombé sur un poème de Baudelaire (ou plutôt, le poème de Baudelaire m'est tombé dessus) : "À une passante" in "Tableaux parisiens" in Les Fleurs du mal. Avant-dernier texte étudié (on se sent heureux d'avoir tout révisé, d'un seul coup). Question : l'intitulé de la séquence (que l'examinatrice, qui était (sans ironie) fort sympathique, a choisi en pensant que ça m'aiderait, alors que ça ne m'aidait somme toute pas tellement), soit, "En quoi Baudelaire se fait-il le peintre de la modernité dans ce poème ?".
Aïe. Aïe. Aïe. J'ai recyclé le vieux stratagème forme vs. fond, en renommant astucieusement mes parties "Une esthétique du choc" et "Une thématique moderne", respectivement. Manquant de matière pour le fond, j'y ai rangé tout et n'importe quoi. Mais la sauce est plutôt bien passée. À l'entretien (on vous pose des questions tordues où il faut répondre de manière vivante mais en prenant le temps de construire sa réponse, oui c'est contradictoire), par contre, l'horreur. J'hésitais, l'examinatrice passait du coq à l'âne en tirant dans tous les coins du descriptif sans que je n'arrive à la suivre, elle m'interrogeait sur des lectures personnelles (ce que vous avez lu par vous-même mais qui, comme par hasard, correspond pile-poil au programme) qui ne me disaient plus rien, poussa la malice jusqu'à élargir sur le texte de l'écrit, et me donna (sans que cela ne soit attendu par elle précisément) une opportunité en or (c'est le cas de le dire) de conclure en rattachant ce qu'elle venait de dire à un texte particulier. Perdu : c'était celui préparé par la candidate suivante (dans la même pièce, donc... silence !). Et, à ma grande joie, j'ai obtenu 18.
Ces deux 18 ne me surprennent guère, ni ne me réjouissent outre mesure, mais ils sont un soutien véritable à ma méthode, parler pour ne rien dire. Que les textes présentés ne vous intéressent pas, que vous n'ayez rien d'intéressant à dire, n'essayez pas d'intéresser, remplissez. Avec panache. D'un air suffisant. Avec pompe et pédantisme. Baratinez. « [Tartinez] à l'envi une épaisse pommade de mots creux » (Isaac Asimov, Prélude à Fondation, chapitre 61). Et surtout, le plus important : ne faites pas de la littérature. Jamais. Ça ne vous est pas demandé.
Une bien belle épreuve, donc, une mascarade grotesque mais néanmoins amusante et glorifiante pour celui qui joue son rôle jusqu'au bout. Son seul intérêt aura été le suivant : me permettre d'accroître la taille de Wikipédia avec des articles créés (ou améliorés), parfois précipitamment, au fil de mes longues, laborieuses et fastidieuses révisions...
Et aussi, plus anecdotiquement, elle aura été la base d'un petit délire personnel que j'ai partagé avec mon entourage, mes copains, et maintenant avec vous. La question : à quoi ressemblerait l'EAF pour les matheux ? à quoi ressemblerait un DST de maths pour les littéraires ? Mes tentatives de réponse (sous licence Creative Commons Contrat Paternité-ShareAlike 2.0 France) :
- fr-math.pdf (85,9 Ko) : le DST pour littéraires (source Texte OpenDocument (21,3 Ko)) ;
- math-fr.pdf (134,7 Ko) : l'EAF pour matheux (source Texte OpenDocument (73,1 Ko)).
En espérant avoir égayé votre journée, car La plus perdue de toutes les journées est celle où l'on a pas ri.
(Nicolas de Chamfort).
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