J'arrive au lycée à 8h. Des rumeurs d'un barrage "non filtrant" avaient filtré, j'avais donc prévu un livre au cas où, et, même si je n'eus pas l'occasion de le sortir, le barrage était, lui, bien réel. Le chaos. Les pauvres manifestants, désespérément peu nombreux, essayaient tant bien que mal de bloquer l'entrée des élèves et des professeurs. Il y avait des policiers qui surveillaient la scène - mais qui se gardaient bien d'intervenir, sauf quand le ton a commencé à monter et qu'il a fallu séparer deux belligérants qui en étaient venus aux mains.

On rentrait au compte-gouttes. Les plus téméraires se lancèrent à l'assaut. Pour ma part, je fis partie du groupe de ceux qui restaient prudemment en arrière à surveiller les événements. Une surveillante vint à moment nous chercher pour nous dire que l'on pouvait traverser le barrage sans danger, mais je m'écartai, peu rassuré. Je ne pus m'empêcher, d'ailleurs, de me demander pourquoi l'administration essayait de faire rentrer les élèves sans être sûre de pouvoir les faire sortir si nécessaire, plutôt que de dissiper le barrage - plus facile à dire qu'à faire, certes - pour faire rentrer les élèves sagement après. Car, contre vents et marées, les cours avaient lieu !

Je reconnus, dans le barrage, certains élèves de ma connaissance, me proposant de les rejoindre. Je me permis de demander à l'un d'entre eux (Pierre, si tu me lis...) à quoi donc servait cette action isolée. Il me répondit que "faire chier les gens" était la seule arme qui leur restait. Certes, pour sensibiliser, ça peut marcher ; mais pour ceux qui sont déjà au courant - et à mon avis, ils étaient nombreux -, c'est juste un désagrément supplémentaire qui n'apporte rien au débat...

Après quarante minutes d'attente, dans le froid et la foule, où certains coururent vers l'entrée secondaire dans une rue adjacente, où d'autres s'éclipsèrent chez eux, je parvins à rentrer. Un manifestant quelque peu sûr de lui eut le toupet de prétendre devant le gestionnaire du lycée qu'aucun des élèves encore présents ne voulait encore rentrer. Le gestionnaire demanda si c'était bien le cas, j'ai répondu à son appel, et j'ai passé le barrage assisté de Mme le proviseur et du gestionnaire. J'arrivai en cours de français avec 40 minutes de retard.

Cette heure de cours quelque peu incomplète, et la suivante, se passèrent sans inconvénient majeur à signaler. À la récré, toutefois, la tension atteint son paroxysme, si l'on peut dire. Les sympathiques bloqueurs qui nous enfermaient à l'intérieur du lycée furent assez mécontents de voir des élèves brandir dans la cour des banderolles contre le bloquage (beaucoup de monde entonna "Frère Jacques" à ce moment, je cherche toujours à comprendre pourquoi). Des fruits, et même un pétard, volèrent, et certains s'éclipsèrent par la sortie secondaire (apparemment restée ouverte) de peur d'en faire les frais. Défendant vaillamment le lycée contre ces envahisseurs féroces, je décidai néanmoins d'aller en maths.

Bien m'en prit : rien ne se passa, et en sortant du cours, je vis quelque chose qui fit remonter l'administration du lycée dans mon estime. On avait installé des barbecues dans la cour, où l'on faisait griller des saucisses pour les élèves nécessiteux qui étaient dans l'incapacité de sortir s'acheter leur casse-croûte. Un appareil à musique hurlait le dernier tube à la mode passant à la radio, couvrant presque le bruit que faisaient les bloqueurs avec diverses percussions. Ces derniers avaient bloqué la porte avec des barrières, du scotch, tout et n'importe quoi. Ayant déjà mon sandwich (que l'on mange pendant les réunions du Pontonews, le journal de mon lycée, à laquelle j'assiste chaque mardi midi), je ne pus en profiter - mais l'ambiance était sympa.

Je sortis de la réunion une heure plus tard, et, n'ayant plus cours pour trois heures, quittai le lycée sans problème par la sortie secondaire, ouverte et filtrée par deux surveillants - ce qui me fit soudain douter de la pertinence de l'opération saucisses, mais qu'importe, ça avait été sympa (j'ai également entendu dire que lesdites saucisses étaient celles de la fête du lycée, reportée, qui avaient été auparavant promises à une association cartitative, mais j'ai également entendu le contraire).

Je revins à quatre heures, et croisai le cortège des manifestants - ou plutôt, je l'aperçus de loin. Ce que j'en vis m'évoqua plus Carnaval qu'autre chose, mais passons. J'entrai par l'entrée principale, là encore sans problème - je commençais à me dire que les bloqueurs massés devant l'entrée principale étaient soit stupides, soit à la recherche d'une image choc plus qu'autre chose. Nous avions peut-être (on ne savait pas quel groupe devait venir) un cours d'ECJS où je devais peut-être faire une exposé sur le logiciel libre avec les personnes restantes. Eh bien, je fis mon exposé, mais devant peu de monde - et encore, ils étaient restés uniquement par solidarité pour moi. Il devait durer 30 minutes et dura deux heures, et convaincre les personnes présentes de l'importance du DADVSI fut difficile, vu l'effet immédiat de l'autre projet de loi sur la vie quotidienne... Je ne sais pas si quelqu'un a compris quelque chose, mais j'eus l'occasion d'apprendre que notre professeur d'ECJS essayait d'apprendre LaTeX - et je pus aussi répliquer à mes ami(e)s engagé(e)s contre le CPE, me reprochant (gentiment) de n'être pas mobilisé, que j'avais manifesté à ma manière.

À titre récapitulatif, voici un graphique pour le suivi des pertes.

Évolution de l'effectif de ma classe en fonction du temps

À titre rétrospectif, maintenant que cette crise est sans doute terminée (il y a encore l'histoire du CNE, mais je n'y crois guère), eh bien, je suis certes heureux de pouvoir poursuivre les cours normalement, mais après tout, ça aura fait un peu d'animation dans notre monotone quotidien. Et quant au CPE lui-même, sur lequel j'avais soigneusement évité de m'engager étant donné que j'avais manqué de temps pour m'informer, je n'ai plus à me poser de questions, de toute évidence. Au risque d'apparaître comme un dangereux fanatique / extrémiste / intégriste (rayez la/les mention(s) inutile(s)), je terminerai en citant Richard M. Stallman (cf l'article Wikipédia), qui affirmait dans une interview accordée à ZMag : It is impossible for one person to be involved in all issues. It shouldn't be surprising that a programmer would be involved where his skills and talents are most effective. (Il est impossible pour une personne d'être impliqué dans toutes les causes. Il ne devrait pas être surprenant qu'un programmeur s'implique là où ses compétences et ses talents sont les plus efficaces.)