Oh, on avait déjà été gâtés en termes de désordres divers et variés. Vendredi 17, un bruit fou dehors, des hurlements "Ponto, avec nous !!". Mardi 21, en plein test, des cris de plus en plus proches, de plus en plus forts, jusqu'à ce que des jeunes (inconnus au bataillon) viennent entrer dans la classe et nous inviter à manifester pacifiquement avec eux. Inutile que dire que, avec l'aide additionnelle du prof de la salle voisine qui passait une bruyante vidéo du Malade imaginaire ("Et le clystère de Mr Purgon ..."), le test fut peu productif. Des slogans de manifestation ("Nous sommes pa-ci-fiques !", etc.), et une prétendue solidarité avec une élève soi-disant exclue pour avoir manifesté contre le CPE, lorsqu'elle a probablement été sanctionnée davantage pour un comportement incorrect avec le corps enseignant que pour de quelconques opinions politiques. Jeudi 23, fête du lycée annulée faute de pouvoir assurer notre sécurité (on nous a dit que des casseurs avaient dit qu'ils viendraient). Vendredi 24, barrage filtrant, où de sympathiques élèves m'invitent à m'informer "sans me faire influencer par les médias" (sans commentaire...). Mardi 28, cours annulés (une annonce faite la veille à 17h : "Les élèves de l'Université Marc Bloch ayant décidé l'envahissement de notre lycée, nous ne serons pas en mesure d'assurer votre sécurité, etc."). Inutile de dire que ceux qui passaient l'oral des TPE ce jour-là se démènent toujours pour avoir des informations sur une nouvelle date...

Que dire de ces manifestations ? Deux choses me surprennent. Tout d'abord, combien les manifestants connaissent leur sujet. Il y en a qui ont lu le texte et s'expriment en connaissance de cause, mais ils sont rares. Ce que j'entends, c'est surtout "Tu manifestes demain, pour louper le test de maths ?", "Oh, moi je n'en sais rien mais je fais passer le message...", et ainsi de suite. Je ne pense pas, mais je suis (du verbe suivre). Deuxièmement, combien les médias, les journalistes, les politiques, prennent au sérieux ce genre de manifestations pathétiques. Ce second point se comprend mieux au regard du fait que, si la motivation est floue, les désordres sont réels. Une situation bien inconfortable....

Peu importe la cause à défendre, peu importe le sujet, peu importe la voix que l'on veut faire entendre, ce qui me paraît clair, c'est que ces manifestations, sous le couvert de lutter pour notre avenir, empoisonnenent notre présent. Elles se disent démocratiques et saines ? Sous couvert de défendre nos libertés futures, elles empiètent sur nos droits actuels. La démocratie, ce n'est pas ça ; c'est aller voter et débattre dans le calme. Il n'y a pas de vote sur le CPE, le débat est agité mais n'apporte aucun argument pertinent, et le plus drôle - nous, lycéens, sommes mineurs et n'avons pas le droit de vote ou quoi que ce soit, juste le droit de parler dans le calme ou nous taire. Le gouvernement exercé par le peuple passe par des règles codifiées, notamment le vote (choisir ses représentants, à qui on accorde pour cinq ans notre confiance), éventuellement des manifestations ou des grèves, mais qui ne visent pas à emm...bêter le monde.

J'en viens à ce qui s'est passé aujourd'hui, en abordant les faits, les suppositions, et mon opinion.

Les faits

Aujourd'hui, vendredi 31 mars 2006, j'arrive devant le lycée à 8h01, pour voir devant l'entrée Mme la directrice, quelques surveillants et profs, nous demandant d'entrer malgré le barrage filtrant installé par des manifestants de notre lycée, qui nous laissent passer mais nous chantent (si l'on peut dire) un machin inintelligible, dans lequel j'ai cru entendre les termes "contre" et "CPE". Je passe sans problème, et arrive en cours de maths.

Vers 8h30 (environ, je ne suis plus sûr), une annonce est faite par haut-parleur. Les hauts parleurs du lycée sont de piètre qualité, et en général, les messages sont difficiles à comprendre, et leur fin est noyé dans le brouhaha ambient des gens en commentant le début. On nous apprend que, les autres issues ayant été détruites (?), on doit uniquement emprunter l'entrée principale (élèves) pour l'évacuation. (Il y a, en temps normal, l'entrée des profs et une sortie sur une rue voisine que l'on peut utiliser en cas d'urgence). Je suis surpris de l'attention portée à notre sécurité, qui va jusqu'à annoncer les modifications au plan d'évacuation dans le cas - fort improbable, pensais-je - où il faudrait évacuer le lycée aujourd'hui.

À 9h55, la cloche annonçant le début de la récré ne sonne pas - ce qui arrive parfois. Nous descendons malgré tout dans la cour. Et nous voyons qu'il se passe des choses bizarres. Des gens inconnus sont dans le foyer des élèves, où l'on a accroché des banderolles, des gens quittent le bâtiment principal par les fenêtres, etc. Suivant le mouvement de foule et la rumeur disant que l'on évacuait le lycée, répétant l'annonce concernant l'évacuation à mes camarades qui ne l'avaient pas entendue, je me dirige vers la sortie élèves. Les portes sont ouvertes, il y a des manifestants dehors, une foule dans la cour. Certains élèves sont assis pour (essayer de) faire une AG, d'autres brandissent des banderolles contre le CPE. Il y a aussi des caméramen, je me demande ce qu'ils font là. Je m'informe auprès de profs qui me confirment que l'on s'apprête à évacuer - et entends à cette occasion l'alarme qui retentit dans les bâtiments, mais pas dans la cour. Mais alors, pourquoi ne fait-on rien ? Pourquoi personne ne fait-il une autre annonce par haut-parleur ? Qu'attend-on pour nous faire sortir ?

En parlant avec des profs, surveillants, etc, j'apprends de nombreuses choses intéressantes. On évacue le lycée car il est envahi par des gens qui lui sont étrangers (ceux du foyer), la police est prévenue mais ne vient pas, les cours sont suspendus pour le reste de la journée. Les élèves m'affirment d'autres choses, d'autres scénarii, j'en entends qui me disent qu'on a failli les enfermer dans la batiment principal lorsqu'on le verrouillait... Finalement, on commence à sortir - après un quart d'heure d'attente sans savoir ce qui se passait. Des policiers sont dans le coin, qui nous disent que des CRS vont charger. Je fais un détour prudent avant de rentrer chez moi.

Les suppositions

Version officielle

On aurait découvert relativement vite - et fait une annonce en conséquence - que les dispositifs d'ouverture des portes secondaires étaient HS. Par la suite, on se serait rendu compte de la présence de gens étrangers au lycée à l'intérieur (entrés pendant la nuit [€dit du 07/04/06 : selon certains, ce n'est même pas sûr]), et de manifestants à l'extérieur ; on a alors fait retentir l'alarme, prévenu la police, et ... on a du faire face à deux nécessités contradictoires : ne pas laisser entrer les manifestants, et évacuer les élèves. On a attendu l'arrivée de la police pour faier sortir tout le monde.

Version officieuse

Les opposants au CPE auraient fait rentrer des gens dans le lycée pendant la nuit, qui auraient saboté les dispositifs d'ouverture des portes et trafiqué le système d'alarme. On aurait appelé la télé (ce qui explique les caméramen) en annonçant que tout Pontonniers serait en grève contre le CPE à 10h. Et à 10h, on fait retentir l'alarme, on a brandi 2-3 banderolles, et les autres manifestants sont arrivés. L'image était impeccable, plus vraie que nature, et tous les élèves apparaissent comme étant en grève ... sans le savoir.

Mon opinion

À titre personnel, je tiens tout d'abord à féliciter ceux qui ont formenté ce complot (si le scénario 2 est valide), pour leur ingéniosité, et leur utilisation étonnament avisée des mouvements de foule et du pouvoir de l'image. Très rusé, bravo. 10/10 pour la technique. De même, je ne vais pas prétendre être révolté par le fait de perdre 7h de cours. Comme tout le monde, j'en suis plutôt réjoui. Sur le principe, c'est une honte, que le lycée soit obligé de plier à la volonté de manifestants qui viennent - ou disent qu'ils vont venir, mais bon... Pour ce qui est de l'action, je trouve cela toujours honteux d'embêter les gens sous prétexte des les informer. J'apprécie assez peu qu'on m'ait fait passer pour un manifestant (dans le cas 2).

Maintenant, passons à mes griefs vis-à-vis de l'administration, car ce qui s'est passé n'aurait jamais dû arriver. Oh, je ne prétends pas que d'assurer la sécurité des élèves est facile ; je ne cherche pas de responsables ; je suis sûr que l'on est de bonne volonté et scrupuleux pour nous protéger ; l'annonce en est la preuve. Je veux bien admettre - encore que je trouve cela un peu gros - que des dizaines de personnes étrangères au lycée aient pu y rester cachées pendant deux heures sans être découvertes. Cependant, comment, comment donc a-t-on pu faire entrer en cours des élèves, dans un lycée où les entrées avaient de toute évidence été forcées et ne fonctionnaient plus, dans un lycée où le système d'alarme avait des problèmes - et, oui, je soutiens qu'on aurait du vérifier ? C'est pour moi une erreur, et une grave erreur, de ne pas avoir renvoyé les gens chez eux dès 8h, et d'avoir voulu faire cours dans un bâtiment où personne n'était en mesure d'assurer qu'en cas de nécessité, des consignes, des alertes, des alarmes pouvaient être émises et reçues par tous les élèves. Je voulais, quand j'étais dans la cour au milieu du chaos ambiant, à moitié amusé et excité, à moitié inquiet, entendre nos chefs ou leurs représentants s'exprimer directement à la foule avec un porte-voix, et non obtenir l'information de mes camarades, par un téléphone arabe de la forme "Untel m'a dit qu'on lui avait dit que Monsieur Machin avait dit que..." (système que les manifestants pouvaient largement exploiter pour faire passer n'importe quoi...). Comment peut-on vouloir coordonner en cas d'urgence les actions d'une foule de plusieurs centaines de personnes sans être sûr de pouvoir communiquer avec elle de façon directe ? Et comment la police a-t-elle pu mettre autant de temps pour intervenir, nous laissant dans une situation instable et incertaine ?

Il n'y a pas eu à ma connaissance de conséquences graves à toute cette incoordination. Cependant, le désordre bénin était une catastrophe potentielle. S'il y avait eu un incendie - ou si on avait allumé un feu volontairement -, que serait-il arrivé aux élèves massés dans la cour ? Si les manifestants avaient été violents, si des casseurs avaient sauté sur l'occasion, serais-je ici en train d'écrire ce billet ? Pendant vingt minutes, j'ai été dans le lycée, sous la responsabilité du lycée, à cotôyer des inconnus aux motivations incertaines. Je ne sais pas qui aurait pu nous éviter cela, si on pouvait l'éviter, pourquoi cela a eu lieu, je ne peux dire qu'une chose : c'est inadmissible.

€dit (10/04/06) : le Collectif Contre le Blocage des Universités Strasbourgeoises parle de ce billet dans un article consacré à Pontonniers. Merci à eux !