Le vote de cet étrange amendement aura au moins eu l'intérêt d'amener certains journaux à parler du projet de loi DADVSI, et le débat gagne clairement à être connu, lorsque l'intetion apparente du gouvernement était de le faire passer en douce et en urgence peu avant Noël. Sondons un peu la blogosphère pour voir un peu les réactions que tout cela aura suscité.

Tout d'abord, un article intéressant se trouve ici. Les idées qui me plaisent le plus (emphase ajoutée) sont :

"la gratuité est un mythe, destructeur de la création la plus audacieuse et la plus innovante" [nous apprend la brochure du ministère de la culture] (fiche 1). Les musiciens amateurs, les vidéastes amateurs, les artistes semi-professionnels en tous genres... et les auteurs de logiciels libres (Linux, Firefox, Joomla...) apprécieront. Evidemment si l'innovation c'est la Star Ac et Internet Explorer...

On tente après de nous faire croire que le Logiciel Libre n'est pas impacté. Sauf qu'il sera impossible d'accéder à des contenus DRMisés, c'est à dire (presque) tout. Le point 16 de la fiche 9 déclare simplement qu'il ne faut pas diffuser les codes sources...

D'ailleurs la fiche 8 indique : "trop d'interopérabilité nuit à la sécurité de la protection des oeuvres". Il y a des DSI qui vont s'étrangler en lisant des choses comme ça...

J'ai également apprécié d'entendre l'ennemi, si je puis dire, en tout cas quelqu'un avec un avis visiblement différent sur la question : le président de la Fnac, qui exprime son opposition au principe de la licence globale dans cet article. Je ne voudrais pas dire que cela m'étonne, mais il y a clairement des idées intéressantes là-dedans, même si le texte s'indigne surtout contre des injustices évidentes du système de licence globale, en allant assez loin parfois, mais en oubliant de parler des défauts de la solution de rechange que sont les DRM. En voilà quelques-unes, emphase ajoutée toujours.

Au nom de quoi faudrait-il autoriser pour la seule musique une consommation illimitée mais un paiement forfaitaire, puisque telle est votre proposition ? Les auteurs-compositeurs n'auraient-ils pas le droit, comme les boulangers, les journalistes, les médecins, les électriciens, les joueurs de football, etc., etc., bref, tous les producteurs de biens ou services matériels ou immatériels, à une rémunération juste et individuelle pour leur travail ? Pourquoi cette exception culturelle négative ?

Qui paierait cette licence ? Ceux qui déclareraient télécharger ! Et vous pensez qu'ils seront nombreux à se déclarer pour payer ?

L'écrasante majorité des auteurs-compositeurs qui vendent moins de 200 disques par an passeront sous les radars des sondages de répartition et perdront leurs ressources principales.

Un avis nuancé par cette lettre ouverte. Encore quelques extraits :

Et la musique libre, vous prenez ? Combien de démarche avez-vous fait pour faire la promotion de groupe de ce genre ?

Non, je veux dire si on enlève tout ce qui passe à la radio et à la télé, vous connaissez de la création ? Celle qui a passé la barre du média ? Je vous le demande, parce que personnellement, j'en connais, voire j'en écoute, et mieux, j'en compose.

Vous comparez un bien immatériel, tel que la création musicale, à un bien matériel, comme le pain. Il est dans mon quelque reste de souvenir de cours d'économie qu'un bien matériel a pour charge constante, quelque soit la vente du produit final, sa matière première. Ainsi, que vous vendiez un, dix, ou un million de pains, vous aurez toujours la charge de la farine nécessaire. Qu'en est il pour une musique ?

Pour moi, le premier problème est le fait que, pour pas mal de juges, le téléchargement sur Internet d'oeuvres sans accord des ayant-droit est déjà légal (attention, on parle ici du téléchargement et non de l'upload qui, quoique condition indispensable du second, est bien illégal et le reste même après les projets de loi en examen). Le téléchargement s'apparente à de la copie privée ; la mise à disposition est elle clairement illégale, vu qu'elle fait partie des droits exclusifs dont jouissent les ayant-droit (voir cet article). Si tel est bien le cas, on devrait se plaindre d'un amendement qui nous concède des droits qui sont déjà nôtres, en exigeant une rémunération en contrepartie dont on n'avait pas eu à s'acquitter jusqu'alors.

Si, cependant, l'amendement était nécessaire pour autoriser le téléchargement, il est difficile d'en comprendre la portée. On peut soit décider de n'inclure à la liste des téléchargements "légaux" que les artistes ayant donné leur accord ; ils seront peu, le peer-to-peer se transforme en vaste magasin de vente de musique en ligne, et les autres fichiers restent piratés, sans que les utilisateurs n'en aient conscience, évidemment. Soit (et je pense que c'est là l'objet), on inclut toutes les oeuvres dans le sac des diffusions autorisées (avec éventuellement un mécanisme d'opt-out qui risque d'être inefficace et ne changera rien au problème), et ça me dérange également.

Soyons clairs. Pour moi, l'idéal serait que tous les artistes diffusent leurs oeuvres sous une licence Creative Commons autorisant le partage, et la question du peer-to-peer serait caduque. Néanmoins, j'estime que personne ne devrait forcer le créateur d'une oeuvre à autoriser (ou à interdire) certains usages de sa création. Je comprends ceux qui diffusent leurs oeuvres en ménageant de nombreux moyens de la protéger du pillage, car j'ai agi ainsi moi-même il y a plusieurs années, avant de m'être convaincu de l'inutilité d'une telle démarche. En conséquence, il me semble que seul l'artiste devrait autoriser le téléchargement de son oeuvre sur Internet, et pas une loi quelconque.

Mais, si la loi assimile ce téléchargement à de la copie privée, l'artiste a-t-il le droit de s'opposer ? Non, dans l'état actuel des choses, et c'est bien dommage. Cela peut surprendre, mais je considère qu'assimiler le téléchargement sur Internet à de la copie privée est une erreur. Je pense que la copie privée ne devrait concerner que des personnes que l'on connaît déjà, et non des inconnus. Sur cette base, j'estime que les artistes qui ne le souhaitent pas ne devraient pas voir leurs travaux téléchargés sur les réseaux de peer-to-peer. C'est une mode, d'accord, c'est devenu courant, fort bien. Mais si c'est contraire à la volonté de l'artiste, non. Ceux qui ne sont pas contents n'ont qu'à demander à l'artiste pourquoi il y est opposé, et aller se fournir chez un autre le cas échéant.

Il reste nécessaire de s'assurer, en revanche, que c'est bien contraire à la volonté de l'artiste, que l'on entend rarement, et non des majors, qui parlent souvent (et sans doute trop souvent) au nom de ces derniers. Je ne sais pas si les artistes ne gagneraient pas à se séparer des maisons de disques pour rejoindre des labels indépendants. N'ayant connu personnellement ni l'une, ni l'autre situation, je ne peux pas en juger. J'estime donc que c'est à l'artiste de se renseigner, et que, si, comme je le pense, l'artiste y trouve son compte, la transition d'un modèle vers l'autre se fera naturellement.

En revanche, je reste dubitatif sur le point de la licence globale ; on la collecte, d'accord, mais on la répartit comment ? Comme la redevance pour copie privée, qui favorise les gros artistes au détriment des petits ? Je trouve cela assez injuste. Et d'ailleurs, on ne rémunérerait sans doute que les artistes inscrits à la SACEM où dans une structure similaire, et pas les artistes indépendants. En cela, si j'étais l'un d'entre eux qui tente de vendre sa musique, qui est opposé au téléchargement libre de son oeuvre, je serais encore plus opposé au projet. La licence globale étant optionnelle, et mes oeuvres étant diffusées sous licence Creative Commons, voir leur téléchargement sur les réseaux peer-to-peer légalisé ne me révolte pas, car il est déjà parfaitement légal, mais je trouve simplement dans ce cas que la licence globale est une mesure inutile, qui risque d'être mal utilisée, et qui me contraint, d'une certaine manière, à autoriser pour le futur le téléchargement de mes oeuvres. Ce qui me dérange sur le principe, mais n'a aucune conséquence grave, pas pour moi en tout cas.

Quant au projet de loi de départ, j'y suis fermement opposé. Que l'on autorise les artistes à utiliser des mesures techniques de protection pour protéger leur travail, d'accord, c'est leur droit. Par contre, je m'attends à ce qu'il soit clairement précisé de quelle manière l'oeuvre dont j'achète une copie peut-être utilisée, si la technologie de protection installe des rootkits (voir aussi ceci), etc. Je suis opposé au DRM, et souhaite être prévenu avant d'acheter une oeuvre en faisant usage, pour me raviser et aller voir ailleurs. Encore faudrait-il que les utilisateurs soient sensibilisés à ce problème, car pour la plupart, l'incompatibilité des fichiers qu'ils achètent avec leur baladeur, et le peu d'utilisations autorisées, sont un mystère impénétrable face auquel ils n'ont aucun recours (c'est comme les plantages de Windows). Et le travail de signalisation reste encore insuffisant, étant donné que même les plus aguerris peuvent se faire avoir : ce témoignage de Tristan Nitot, président de Mozilla Europe, explique comment les DRM ont gâché le Noël de son fils Robin, qui, ayant reçu un CD audio à écouter sur le baladeur flambant neuf assorti, a été amèrement déçu par le fait que les technologies de protection incluses empêchent un tel usage pourtant légal ; la metion l'indiquant aura échappé à l'oeil d'un utilisateur averti comme Tristan, que penser des clients qui n'en ont jamais entendu parler ?

Plus grave encore, le DADVSI initial interdisait la diffusion de certaines informations pouvent nuire à ces technologies de protection, notamment les logiciels de peer-to-peer (qui peuvent servir à échanger des fichiers illégalement), leur emplacement sur le web (c'est de la promotion), le code source d'un logiciel libre qui peut lire un fichier protégé, et plus largement tout type d'information permettant de contourner les protections. Si je trouve cela normal d'autoriser les artistes qui le souhaitent à diffuser leurs oeuvres de la manière qu'ils désirent, je refuse que l'on restreigne ma liberté d'expression et d'information pour assurer l'inviolabilité des protections mises en jeu, et que l'on interdise des logiciels utilisés par certains à des fins légales, sous prétexte que d'autres en font un usage illégal. Si je diffuse mes travaux sous un contrat qui interdit à toute personne dont le prénom comporte la lettre "e" d'en faire usage, j'attends que l'on respecte cela. Je peux adjoindre un logiciel de protection que l'utilisateur peut refuser, en refusant ainsi d'utiliser mon travail, ou accepter, et le logiciel tentera alors de contrôler si l'utilisateur est abilité à utiliser le fichier, et refusera l'ouverture le cas échéant. Va-t-on pour autant adopter une loi pour rendre illégal tout contournement d'une telle mesure (vouée à l'échec, car elle n'a aucun moyen de vérifier l'identité de la personne) ? Va-t-on imposer des dispositifs techniques pour obliger les gens à fournir leur identité valide à leur ordinateur dès l'achat pour analyse par mon logiciel ?

J'utilise des logiciels libres, j'en développe. Je ne souhaite en aucun cas qu'on ne m'interdise de diffuser mon travail, ni d'utiliser le résultat du travail des autres, sous un prétexte aussi fallacieux. Les DRM sont voués à l'échec, car ils se basent sur le secret de l'algorithme utilisé pour briser le fait évident qu'un fichier informatique peut, d'un point de vue technique, être utilisé comme on l'entend. Un secret qui finit, invariablement, par être percé. La loi n'a pas à renforcer ces mécanismes simplement parce que certains les utilisent.

Tout cela me rappelle le projet de loi qui progresse peu à peu dans les méandres du système de nos voisins américains, le Digital Content Security Act,

Cela consistera à imposer des mesures DRM ou de copyright lors de la simple copie analogique vers un support numérique.

Heureusement que ce n'est pas (encore) prévu par le DADVSI...

Le débat sur la DADVSI promet d'être constructif, et, dans le doute, je vous invite toujours à signer la pétition eucd.info (voir mon ancien billet à ce propos), pour favoriser le débat par rapport à la précipitation qui, pour une fois, s'est retournée contre ceux qui pensaient en faire usage.