commit ccafaf005065aa368c50665aead364f039c1d040
parent f0462a0f5a78fa5a8fb3c13cd7a09ea578ee36a5
Author: Antoine Amarilli <a3nm@a3nm.net>
Date: Thu, 15 Aug 2019 00:19:26 +0200
+corneille_place_royale
Diffstat:
4 files changed, 1497 insertions(+), 1 deletion(-)
diff --git a/SOURCES b/SOURCES
@@ -34,7 +34,7 @@ corneille_cid https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Cid
corneille_illusion_comique https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Illusion_comique_(%C3%A9dition_Didot,_1855)
corneille_medee https://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9d%C3%A9e_(Corneille)
corneille_comedie_des_tuileries https://fr.wikisource.org/wiki/La_Com%C3%A9die_des_Tuileries
-corneille_place_royale https://fr.wikisource.org/wiki/La_Place_royale
+corneille_place_royale https://dramacode.github.io/naked/corneillep_placeroyale.txt
corneille_suivante https://fr.wikisource.org/wiki/La_Suivante
corneille_galerie_du_palais https://fr.wikisource.org/wiki/La_Galerie_du_Palais
corneille_veuve https://fr.wikisource.org/wiki/La_Veuve_(Corneille)
diff --git a/plint/test_data/corneille_place_royale b/plint/test_data/corneille_place_royale
@@ -0,0 +1,1474 @@
+Ton frère, je l’avoue, a beaucoup de mérite,
+Tu reçois aujourd’hui ma dernière visite,
+Si tu m’entretiens plus des feux qu’il a pour moi.
+Vraiment tu me prescris une fâcheuse loi,
+Je ne puis sans forcer celles de la nature,
+Dénier mon secours aux tourments qu’il endure,
+Tu m’aimes, il se meurt, et tu peux le guérir,
+Et sans t’importuner je le lairrais périr !
+Ne défendras-tu point à la fin de le plaindre ?
+Le mal est bien léger qu’un feu qu’on peut éteindre.
+Il le devrait du moins, mais avec tant d’appas
+Le moyen qu’il te voie et ne t’adore pas ?
+Ses yeux ne souffrent point que son cour soit de glace,
+Aussi ne pourrait-on m’y résoudre, en sa place,
+Et tes regards, sur moi plus forts que tes mépris,
+Te sauraient conserver ce que tu m’aurais pris.
+S’il vit dans une humeur tellement obstinée,
+Je puis bien m’empêcher d’en être importunée,
+Feindre un peu de migraine, ou me faire celer,
+C’est un moyen bien court de ne lui plus parler ;
+Mais ce qui m’en déplaît, et qui me désespère,
+C’est de perdre la sœur pour éviter le frère,
+Et me violenter à fuir ton entretien,
+Puisque te voir encor c’est m’exposer au sien,
+Que s’il me faut quitter cette douce pratique,
+Ne mets point en oubli l’amitié d’Angélique,
+Sûre que ses effets auront leur premier cours
+Aussitôt que ton frère éteindra ses amours.
+Tu vis d’un air étrange et presque insupportable.
+Que toi-même pourtant trouverais équitable,
+Mais la raison sur toi ne saurait l’emporter,
+Dans l’intérêt d’un frère on ne peut l’écouter.
+Et par quelle raison négliger son martyre ?
+Vois-tu, j’aime Alidor, et c’est assez tout dire ;
+Le reste des mortels pourrait m’offrir des vœux,
+Je suis aveugle, sourde, insensible pour eux,
+La pitié de leurs maux ne peut toucher mon âme
+Que par des sentiments dérobés à ma flamme,
+On ne doit point avoir des amants par quartier,
+Alidor a mon cour et l’aura tout entier ;
+En aimer deux, c’est être à tous deux infidèle.
+Qu’Alidor seul te rende à tout autre cruelle !
+C’est avoir pour le reste un cour trop endurci.
+Pour aimer comme il faut, il faut aimer ainsi.
+Dans l’obstination où je te vois réduite
+J’admire ton amour et ris de ta conduite.
+Fasse état qui voudra de ta fidélité,
+Je ne me pique point de cette vanité,
+On a peu de plaisirs quand un seul les fait naître,
+Au lieu d’un serviteur c’est accepter un maître,
+Dans les soins éternels de ne plaire qu’à lui,
+Cent plus honnêtes gens nous donnent de l’ennui,
+Il nous faut de tout point vivre à sa fantaisie,
+Souffrir de son humeur, craindre sa jalousie,
+Et de peur que le temps n’emporte ses ferveurs,
+Le combler chaque jour de nouvelles faveurs ;
+Notre âme, s’il s’éloigne, est chagrine, abattue ;
+Sa mort nous désespère et son change nous tue,
+Et de quelque douceur que nos feux soient suivis,
+On dispose de nous sans prendre notre avis ;
+C’est rarement qu’un père à nos goûts s’accommode,
+Et lors juge quels fruits on a de ta méthode.
+Pour moi, j’aime un chacun, et sans rien négliger,
+Le premier qui m’en conte a de quoi m’engager :
+Ainsi tout contribue à ma bonne fortune ;
+Tout le monde me plaît, et rien ne m’importune.
+De mille que je rends l’un de l’autre jaloux,
+Mon cour n’est à pas un, et se promet à tous :
+Ainsi tous à l’envi s’efforcent à me plaire ;
+Tous vivent d’espérance, et briguent leur salaire ;
+L’éloignement d’aucun ne saurait m’affliger,
+Mille encore présents m’empêchent d’y songer.
+Je n’en crains point la mort, je n’en crains point le change ;
+Un monde m’en console aussitôt ou m’en venge.
+Le moyen que de tant et de si différents
+Quelqu’un n’ait assez d’heur pour plaire à mes parents ?
+Et si quelque inconnu m’obtient d’eux pour maîtresse,
+Ne crois pas que j’en tombe en profonde tristesse :
+Il aura quelques traits de tant que je chéris,
+Et je puis avec joie accepter tous maris.
+Voilà fort plaisamment tailler cette matière,
+Et donner à ta langue une libre carrière.
+Ce grand flux de raisons dont tu viens m’attaquer
+Est bon à faire rire, et non à pratiquer.
+Simple, tu ne sais pas ce que c’est que tu blâmes,
+Et ce qu’a de douceurs l’union de deux âmes ;
+Tu n’éprouvas jamais de quels contentements
+Se nourrissent les feux des fidèles amants.
+Qui peut en avoir mille en est plus estimée,
+Mais qui les aime tous de pas un n’est aimée ;
+Elle voit leur amour soudain se dissiper :
+Qui veut tout retenir laisse tout échapper.
+Défais-toi, défais-toi de tes fausses maximes ;
+Ou si ces vieux abus te semblent légitimes,
+Si le seul Alidor te plaît dessous les cieux,
+Conserve-lui ton cour, mais partage tes yeux :
+De mon frère par là soulage un peu les plaies ;
+Accorde un faux remède à des douleurs si vraies ;
+Feins, déguise avec lui, trompe-le par pitié,
+Ou du moins par vengeance et par inimitié.
+Le beau prix qu’il aurait de m’avoir tant chérie,
+Si je ne le payais que d’une tromperie !
+Pour salaire des maux qu’il endure en m’aimant,
+Il aura qu’avec lui je vivrai franchement.
+Franchement, c’est-à-dire avec mille rudesses,
+Le mépriser, le fuir, et par quelques adresses
+Qu’il tâche d’adoucir… Quoi ! Me quitter ainsi !
+Et sans me dire adieu ! Le sujet ? Le voici.
+Ma soeur, ne cherche plus une chose trouvée :
+Sa fuite n’est l’effet que de mon arrivée ;
+Ma présence la chasse, et son muet départ
+A presque devancé son dédaigneux regard.
+Juge par là quels fruits produit mon entremise.
+Je m’acquitte des mieux de la charge commise ;
+Je te fais plus parfait mille fois que tu n’es :
+Ton feu ne peut aller au point où je le mets ;
+J’invente des raisons à combattre sa haine ;
+Je blâme, flatte, prie, et perds toujours ma peine,
+En grand péril d’y perdre encor son amitié,
+Et d’être en tes malheurs avec toi de moitié.
+Ah ! Tu ris de mes maux. Que veux-tu que je fasse ?
+Ris des miens, si jamais tu me vois en ta place.
+Que serviraient mes pleurs ? Veux-tu qu’à tes tourments
+J’ajoute la pitié de mes ressentiments ?
+Après mille mépris qu’a reçus ta folie,
+Tu n’es que trop chargé de ta mélancolie ;
+Si j’y joignais la mienne, elle t’accablerait,
+Et de mon déplaisir le tien redoublerait ;
+Contraindre mon humeur me serait un supplice
+Qui me rendrait moins propre à te faire service.
+Vois-tu ? Par tous moyens je te veux soulager ;
+Mais j’ai bien plus d’esprit que de m’en affliger.
+Il n’est point de douleur si forte en un courage
+Qui ne perde sa force auprès de mon visage ;
+C’est toujours de tes maux autant de rabattu :
+Confesse, ont-ils encor le pouvoir qu’ils ont eu ?
+Ne sens-tu point déjà ton âme un peu plus gaie ?
+Tu me forces à rire en dépit que j’en aie ;
+Je souffre tout de toi, mais à condition
+D’employer tous tes soins à mon affection.
+Dis-moi par quelle ruse il faut… Rentrons, mon frère :
+Un de mes amants vient, qui pourrait nous distraire.
+
+Tatatatatata tatatatata ta
+Tatatatatata tatatata tata
+
+Ainsi je veux punir ma flamme déloyale ;
+Ainsi… Te rencontrer dans la place Royale,
+Solitaire, et si près de ta douce prison,
+Montre bien que Philis n’est pas à la maison.
+Mais voir de ce côté ta démarche avancée
+Montre bien qu’Angélique est fort dans ta pensée.
+Hélas ! C’est mon malheur : son objet trop charmant,
+Quoi que je puisse faire, y règne absolument.
+De ce pouvoir peut-être elle use en inhumaine ?
+Rien moins, et c’est par là que redouble ma peine :
+Ce n’est qu’en m’aimant trop qu’elle me fait mourir,
+Un moment de froideur, et je pourrais guérir ;
+Une mauvaise oeillade, un peu de jalousie,
+Et j’en aurais soudain passé ma fantaisie ;
+Mais las ! Elle est parfaite, et sa perfection
+N’approche point encor de son affection ;
+Point de refus pour moi, point d’heures inégales ;
+Accablé de faveurs à mon repos fatales,
+Sitôt qu’elle voit jour à d’innocents plaisirs,
+Je vois qu’elle devine et prévient mes désirs ;
+Et si j’ai des rivaux, sa dédaigneuse vue
+Les désespère autant que son ardeur me tue.
+Vit-on jamais amant de la sorte enflammé,
+Qui se tînt malheureux pour être trop aimé ?
+Comptes-tu mon esprit entre les ordinaires ?
+Penses-tu qu’il s’arrête aux sentiments vulgaires ?
+Les règles que je suis ont un air tout divers :
+Je veux la liberté dans le milieu des fers.
+Il ne faut point servir d’objet qui nous possède ;
+Il ne faut point nourrir d’amour qui ne nous cède :
+Je le hais, s’il me force ; et quand j’aime, je veux
+Que de ma volonté dépendent tous mes voeux,
+Que mon feu m’obéisse au lieu de me contraindre,
+Que je puisse à mon gré l’enflammer et l’éteindre,
+Et toujours en état de disposer de moi,
+Donner quand il me plaît et retirer ma foi.
+Pour vivre de la sorte Angélique est trop belle :
+Mes pensers ne sauraient m’entretenir que d’elle ;
+Je sens de ses regards mes plaisirs se borner ;
+Mes pas d’autre côté n’oseraient se tourner ;
+Et de tous mes soucis la liberté bannie
+Me soumet en esclave à trop de tyrannie.
+J’ai honte de souffrir les maux dont je me plains,
+Et d’éprouver ses yeux plus forts que mes desseins.
+Je n’ai que trop langui sous de si rudes gênes :
+À tel prix que ce soit, il faut rompre mes chaînes,
+De crainte qu’un hymen, m’en ôtant le pouvoir,
+Fît d’un amour par force un amour par devoir.
+Crains-tu de posséder un objet qui te charme ?
+Ne parle point d’un noeud dont le seul nom m’alarme.
+J’idolâtre Angélique : elle est belle aujourd’hui,
+Mais sa beauté peut-elle autant durer que lui ?
+Et pour peu qu’elle dure, aucun me peut-il dire
+Si je pourrai l’aimer jusqu’à ce qu’elle expire ?
+Du temps, qui change tout, les révolutions
+Ne changent-elles pas nos résolutions ?
+Est-ce une humeur égale et ferme que la nôtre ?
+N’a-t-on point d’autres goûts en un âge qu’en l’autre ?
+Juge alors le tourment que c’est d’être attaché,
+Et de ne pouvoir rompre un si fâcheux marché.
+Cependant Angélique, à force de me plaire,
+Me flatte doucement de l’espoir du contraire ;
+Et si d’autre façon je ne me sais garder,
+Je sens que ses attraits m’en vont persuader.
+Mais puisque son amour me donne tant de peine,
+Je la veux offenser pour acquérir sa haine,
+Et mériter enfin un doux commandement
+Qui prononce l’arrêt de mon bannissement.
+Ce remède est cruel, mais pourtant nécessaire :
+Puisqu’elle me plaît trop, il me faut lui déplaire.
+Tant que j’aurai chez elle encor le moindre accès,
+Mes desseins de guérir n’auront point de succès.
+Étrange humeur d’amant ! Étrange, mais utile.
+Je me procure un mal pour en éviter mille.
+Tu ne prévois donc pas ce qui t’attend de maux,
+Quand un rival aura le fruit de tes travaux ?
+Pour se venger de toi, cette belle offensée
+Sous les lois d’un mari sera bientôt passée ;
+Et lors, que de soupirs et de pleurs répandus
+Ne te rendront aucun de tant de biens perdus !
+Dis mieux, que pour rentrer dans mon indifférence,
+Je perdrai mon amour avec mon espérance,
+Et qu’y trouvant alors sujet d’aversion,
+Ma liberté naîtra de ma punition.
+Après cette assurance, ami, je me déclare.
+Amoureux dès longtemps d’une beauté si rare,
+Toi seul de la servir me pouvais empêcher ;
+Et je n’aimais Philis que pour m’en approcher.
+Souffre donc maintenant que pour mon allégeance
+Je prenne, si je puis, le temps de sa vengeance ;
+Que des ressentiments qu’elle aura contre toi
+Je tire un avantage en lui portant ma foi,
+Et que cette colère en son âme conçue
+Puisse de mes désirs faciliter l’issue.
+Si ce joug inhumain, ce passage trompeur,
+Ce supplice éternel, ne te fait point de peur,
+À moi ne tiendra pas que la beauté que j’aime
+Ne me quitte bientôt pour un autre moi-même.
+Tu portes en bon lieu tes désirs amoureux ;
+Mais songe que l’hymen fait bien des malheureux.
+J’en veux bien faire essai ; mais d’ailleurs, quand j’y pense,
+Peut-être seulement le nom d’époux t’offense,
+Et tu voudrais qu’un autre… Ami, que me dis-tu ?
+Connais mieux Angélique et sa haute vertu ;
+Et sache qu’une fille a beau toucher mon âme,
+Je ne la connais plus dès l’heure qu’elle est femme.
+De mille qu’autrefois tu m’as vu caresser,
+En pas une un mari pouvait-il s’offenser ?
+J’évite l’apparence autant comme le crime ;
+Je fuis un compliment qui semble illégitime ;
+Et le jeu m’en déplaît, quand on fait à tous coups
+Causer un médisant et rêver un jaloux.
+encor que dans mon feu mon cour ne s’intéresse,
+Je veux pouvoir prétendre où ma bouche l’adresse,
+Et garder, si je puis, parmi ces fictions,
+Un renom aussi pur que mes intentions.
+Ami, soupçon à part, et sans plus de réplique,
+Si tu veux en ma place être aimé d’Angélique,
+Allons tout de ce pas ensemble imaginer
+Les moyens de la perdre et de te la donner,
+Et quelle invention sera la plus aisée.
+Allons. Ce que j’ai dit n’était que par risée.
+De cette trahison ton maître est donc l’auteur ?
+Assez imprudemment il m’en fait le porteur.
+Comme il se rend par là digne qu’on le prévienne,
+Je veux bien en faire une en haine de la sienne ;
+Et mon devoir, mal propre à de si lâches coups,
+Manque aussitôt vers lui que son amour vers vous.
+Contre ce que je vois le mien encor s’obstine.
+Qu’Alidor ait écrit cette lettre à Clarine,
+Et qu’ainsi d’Angélique il se voulût jouer !
+Il n’aura pas le front de le désavouer.
+Opposez-lui ces traits, battez-le de ses armes :
+Pour s’en pouvoir défendre il lui faudrait des charmes.
+Mais surtout cachez-lui ce que je fais pour vous,
+Et ne m’exposez point aux traits de son courroux ;
+Que je vous puisse encor trahir son artifice,
+Et pour mieux vous servir, rester à son service.
+Rien ne m’échappera qui te puisse toucher :
+Je sais ce qu’il faut dire, et ce qu’il faut cacher.
+Feignez d’avoir reçu ce billet de Clarine,
+Et que… Ne m’instruis point, et va, qu’il ne devine.
+Mais… Ne réplique plus, et va-t’en. J’obéis.
+Mes feux, il est donc vrai que l’on vous a trahis ?
+Et ceux dont Alidor montrait son âme atteinte
+Ne sont plus que fumée, ou n’étaient qu’une feinte ?
+Que la foi des amants est un gage pipeur !
+Que leurs serments sont vains, et notre espoir trompeur !
+Qu’on est peu dans leur cour pour être dans leur bouche !
+Et que malaisément on sait ce qui les touche !
+Mais voici l’infidèle. Ah ! Qu’il se contraint bien !
+Puis-je avoir un moment de ton cher entretien ?
+Mais j’appelle un moment, de même qu’une année
+Passe entre deux amants pour moins qu’une journée.
+Avec de tels discours oses-tu m’aborder,
+Perfide, et sans rougir peux-tu me regarder ?
+As-tu cru que le ciel consentît à ma perte,
+Jusqu’à souffrir encor ta lâcheté couverte ?
+Apprends, perfide, apprends que je suis hors d’erreur :
+Tes yeux ne me sont plus que des objets d’horreur ;
+Je ne suis plus charmée, et mon âme plus saine
+N’eut jamais tant d’amour qu’elle a pour toi de haine.
+Voilà me recevoir avec des compliments
+Qui seraient pour tout autre un peu moins que charmants.
+Quel en est le sujet ? Le sujet ? Lis, parjure ;
+Et puis accuse-moi de te faire une injure !
+
+Tatatatatata tatatatata ta
+Tatatatatata tatatata tata
+
+Eh bien, ta trahison est-elle en évidence ?
+Est-ce là tant de quoi ? Tant de quoi ! L’impudence !
+Après mille serments il me manque de foi,
+Et me demande encor si c’est là tant de quoi !
+Change si tu le veux : je n’y perds qu’un volage ;
+Mais en m’abandonnant laisse en paix mon visage ;
+Oublie avec ta foi ce que j’ai de défauts ;
+N’établis point tes feux sur le peu que je vaux ;
+Fais que, sans m’y mêler, ton compliment s’explique,
+Et ne le grossis point du mépris d’Angélique.
+Deux mots de vérité vous mettent bien aux champs !
+Ciel, tu ne punis point des hommes si méchants !
+Ce traître vit encore, il me voit, il respire,
+Il m’affronte, il l’avoue, il rit quand je soupire.
+Vraiment le ciel a tort de ne vous pas donner
+Lorsque vous tempêtez, sa foudre à gouverner ;
+Il devrait avec vous être d’intelligence.
+Le digne et grand objet d’une haute vengeance !
+Vous traitez du papier avec trop de rigueur.
+Que n’en puis-je autant faire à ton perfide cœur !
+Qui ne vous flatte point puissamment vous irrite.
+Pour dire franchement votre peu de mérite,
+Commet-on des forfaits si grands et si nouveaux
+Qu’on doive tout à l’heure être mis en morceaux ?
+Si ce crime autrement ne saurait se remettre,
+Cassez : ceci vous dit encor pis que ma lettre.
+S’il me dit mes défauts autant ou plus que toi,
+Déloyal, pour le moins il n’en dit rien qu’à moi :
+C’est dedans son cristal que je les étudie ;
+Mais après il s’en tait, et moi j’y remédie ;
+Il m’en donne un avis sans me les reprocher,
+Et me les découvrant, il m’aide à les cacher.
+Vous êtes en colère, et vous dites des pointes.
+Ne présumiez-vous point que j’irais, à mains jointes,
+Les yeux enflés de pleurs, et le cour de soupirs,
+Vous faire offre à genoux de mille repentirs ?
+Que vous êtes à plaindre étant si fort déçue !
+Insolent ! ôte-toi pour jamais de ma vue.
+Me défendre vos yeux après mon changement,
+Appelez-vous cela du nom de châtiment ?
+Ce n’est que me bannir du lieu de mon supplice ;
+Et ce commandement est si plein de justice,
+Que bien que je renonce à vivre sous vos lois,
+Je vais vous obéir pour la dernière fois.
+Commandement honteux, où ton obéissance
+N’est qu’un signe trop clair de mon peu de puissance,
+Où ton bannissement a pour toi des appas,
+Et me devient cruel de ne te l’être pas !
+À quoi se résoudra désormais ma colère,
+Si ta punition te tient lieu de salaire ?
+Que mon pouvoir me nuit ! Et qu’il m’est cher vendu !
+Voilà ce que me vaut d’avoir trop attendu :
+Je devais prévenir ton outrageux caprice ;
+Mon bonheur dépendait de te faire injustice.
+Je chasse un fugitif avec trop de raison,
+Et lui donne les champs quand il rompt sa prison.
+Ah ! Que n’ai-je eu des bras à suivre mon courage !
+Qu’il m’eût bien autrement réparé cet outrage !
+Que j’eusse retranché de ses propos railleurs !
+Le traître n’eût jamais porté son cour ailleurs :
+Puisqu’il m’était donné, je m’en fusse saisie ;
+Et sans prendre conseil que de ma jalousie,
+Puisqu’un autre portrait en efface le mien,
+Cent coups auraient chassé ce voleur de mon bien.
+Vains projets, vains discours, vaine et fausse allégeance !
+Et mes bras et son cour manquent à ma vengeance !
+Ciel, qui m’en vois donner de si justes sujets,
+Donne-m’en des moyens, donne-m’en des objets.
+Où me dois-je adresser ? Qui doit porter sa peine ?
+Qui doit à son défaut m’éprouver inhumaine ?
+De mille désespoirs mon cour est assailli ;
+Je suis seule punie, et je n’ai point failli.
+Mais j’ose faire au ciel une injuste querelle ;
+Je n’ai que trop failli d’aimer un infidèle,
+De recevoir un traître, un ingrat, sous ma loi,
+Et trouver du mérite en qui manquait de foi.
+Ciel, encore une fois, écoute mon envie :
+Ôte-m’en la mémoire ou le prive de vie ;
+Fais que de mon esprit je puisse le bannir,
+Ou ne l’avoir que mort dedans mon souvenir.
+Que je m’anime en vain contre un objet aimable !
+Tout criminel qu’il est, il me semble adorable ;
+Et mes souhaits, qu’étouffe un soudain repentir,
+En demandant sa mort n’y sauraient consentir.
+Restes impertinents d’une flamme insensée,
+Ennemis de mon heur, sortez de ma pensée,
+Ou si vous m’en peignez encore quelques traits,
+Laissez là ses vertus, peignez-moi ses forfaits.
+Le croirais-tu, Philis ? Alidor m’abandonne.
+Pourquoi non ? Je n’y vois rien du tout qui m’étonne,
+Rien qui ne soit possible, et de plus fort commun.
+La constance est un bien qu’on ne voit en pas un :
+Tout change sous les cieux, mais partout bon remède.
+Le ciel n’en a point fait au mal qui me possède.
+Choisis de mes amants, sans t’affliger si fort,
+Et n’appréhende pas de me faire grand tort :
+J’en pourrais, au besoin, fournir toute la ville,
+Qu’il m’en demeurerait encor plus de deux mille.
+Tu me ferais mourir avec de tels propos ;
+Ah ! Laisse-moi plutôt soupirer en repos,
+Ma soeur. Plût au bon Dieu que tu voulusses l’être !
+Eh quoi, tu ris encor ! C’est bien faire paraître…
+Que je ne saurais voir d’un visage affligé
+Ta cruauté punie, et mon frère vengé.
+Après tout, je connais quelle est ta maladie :
+Tu vois comme Alidor est plein de perfidie ;
+Mais je mets dans deux jours ma tête à l’abandon,
+Au cas qu’un repentir n’obtienne son pardon.
+Après que cet ingrat me quitte pour Clarine ?
+De le garder longtemps elle n’a pas la mine,
+Et j’estime si peu ces nouvelles amours,
+Que je te pleige encor son retour dans deux jours ;
+Et lors ne pense pas, quoi que tu te proposes,
+Que de tes volontés devant lui tu disposes.
+Prépare tes dédains, arme-toi de rigueur,
+Une larme, un soupir te percera le cœur ;
+Et je serai ravie alors de voir vos flammes
+Brûler mieux que devant, et rejoindre vos âmes.
+Mais j’en crains un succès à ta confusion :
+Qui change une fois change à toute occasion ;
+Et nous verrons toujours, si Dieu le laisse vivre,
+Un change, un repentir, un pardon, s’entre-suivre.
+Ce dernier est souvent l’amorce d’un forfait,
+Et l’on cesse de craindre un courroux sans effet.
+Sa faute a trop d’excès pour être rémissible,
+Ma soeur ; je ne suis pas de la sorte insensible ;
+Et si je présumais que mon trop de bonté
+Pût jamais se résoudre à cette lâcheté,
+Qu’un si honteux pardon pût suivre cette offense,
+J’en préviendrais le coup, m’en ôtant la puissance.
+Adieu : dans la colère où je suis aujourd’hui,
+J’accepterais plutôt un barbare que lui.
+Il faut donc se hâter qu’elle ne refroidisse.
+Frère, quelque inconnu t’a fait un bon office :
+Il ne tiendra qu’à toi d’être un second Médor ;
+On a fait qu’Angélique… Eh bien ? Hait Alidor.
+Elle hait Alidor ! Angélique ! Angélique.
+D’où lui vient cette humeur ? Qui les a mis en pique ?
+Si tu prends bien ton temps, il y fait bon pour toi.
+Va, ne t’amuse point à savoir le pourquoi ;
+Parle au père d’abord : tu sais qu’il te souhaite ;
+Et s’il ne s’en dédit, tiens l’affaire pour faite.
+Bien qu’un si bon avis ne soit à mépriser,
+Je crains… Lysis m’aborde, et tu me veux causer !
+Entre chez Angélique, et pousse ta fortune :
+Quand je vois un amant, un frère m’importune.
+Comme vous le chassez ! Qu’eût-il fait avec nous ?
+Mon entretien sans lui te semblera plus doux :
+Tu pourras t’expliquer avec moins de contrainte,
+Me conter de quels feux tu te sens l’âme atteinte,
+Et ce que tu croiras propre à te soulager.
+Regarde maintenant si je sais t’obliger.
+Cette obligation serait bien plus extrême,
+Si vous vouliez traiter tous mes rivaux de même ;
+Et vous feriez bien plus pour mon contentement,
+De souffrir avec vous vingt frères qu’un amant.
+Nous sommes donc, Lysis, d’une humeur bien contraire :
+J’y souffrirais plutôt cinquante amants qu’un frère ;
+Et puisque nos esprits ont si peu de rapport,
+Je m’étonne comment nous nous aimons si fort.
+Vous êtes ma maîtresse, et mes flammes discrètes
+Doivent un tel respect aux lois que vous me faites,
+Que pour leur obéir mes sentiments domptés
+N’osent plus se régler que sur vos volontés.
+J’aime des serviteurs qui pour une maîtresse
+Souffrent ce qui leur nuit, aiment ce qui les blesse.
+Si tu vois quelque jour tes feux récompensés,
+Souviens-toi… Qu’est-ce-ci ? Cléandre, vous passez ?
+Il me faut bien passer, puisque la place est prise.
+Venez : cette raison est de mauvaise mise.
+D’un million d’amants je puis flatter les voeux,
+Et n’aurais pas l’esprit d’en entretenir deux ?
+Sortez de cette erreur, et souffrant ce partage,
+Ne faites pas ici l’entendu davantage.
+Le moyen que je sois insensible à ce point ?
+Quoi ! Pour l’entretenir, ne vous aimé-je point ?
+encor que votre ardeur à la mienne réponde,
+Je ne veux plus d’un bien commun à tout le monde.
+Si vous nommez ma flamme un bien commun à tous,
+Je n’aime, pour le moins, personne plus que vous :
+Cela vous doit suffire. Oui bien, à des volages
+Qui peuvent en un jour adorer cent visages ;
+Mais ceux dont un objet possède tous les soins,
+Se donnant tous entiers, n’en méritent pas moins.
+De vrai, si vous valiez beaucoup plus que les autres,
+Je devrais dédaigner leurs voeux auprès des vôtres ;
+Mais mille aussi bien faits ne sont pas mieux traités,
+Et ne murmurent point contre mes volontés.
+Est-ce à moi, s’il vous plaît, de vivre à votre mode ?
+Votre amour, en ce cas, serait fort incommode ;
+Loin de la recevoir, vous me feriez la loi :
+Qui m’aime de la sorte, il s’aime, et non pas moi.
+Persiste en ton humeur, je te prie, et conseille
+À tous nos concurrents d’en prendre une pareille.
+Tu seras bientôt seul, s’ils veulent m’imiter.
+Quoi donc ! C’est tout de bon que tu me veux quitter ?
+Tu ne dis mot, rêveur, et pour toute réplique
+Tu tournes tes regards du côté d’Angélique :
+Est-elle donc l’objet de tes légèretés ?
+Veux-tu faire d’un coup deux infidélités,
+Et que dans mon offense Alidor s’intéresse ?
+Cléandre, c’est assez de trahir ta maîtresse ;
+Dans ta nouvelle flamme épargne tes amis,
+Et ne l’adresse point en lieu qui soit promis.
+De la part d’Alidor je vais voir cette belle :
+Laisse-m’en avec lui démêler la querelle,
+Et ne t’informe point de mes intentions.
+Puisqu’il me faut résoudre en mes afflictions,
+Et que pour te garder j’ai trop peu de mérite,
+Du moins, avant l’adieu, demeurons quitte à quitte ;
+Que ce que j’ai du tien je te le rende ici :
+Tu m’as offert des voeux, que je t’en offre aussi ;
+Et faisons entre nous toutes choses égales.
+Et moi, durant ce temps, je garderai les balles ?
+Je te donne congé d’une heure, si tu veux.
+Je l’accepte, au hasard de le prendre pour deux.
+Pour deux, pour quatre, soit : ne crains pas qu’il m’ennuie.
+Mais je ne consens pas cependant qu’on me fuie ;
+Tu perds temps d’y tâcher, si tu n’as mon congé.
+Inhumain ! Est-ce ainsi que je t’ai négligé ?
+Quand tu m’offrais des voeux prenais-je ainsi la fuite,
+Et rends-tu la pareille à ma juste poursuite ?
+Avec tant de douceur tu te vis écouter,
+Et tu tournes le dos quand je t’en veux conter !
+Va te jouer d’un autre avec tes railleries ;
+J’ai l’oreille mal faite à ces galanteries :
+Ou cesse de m’aimer, ou n’aime plus que moi.
+Je ne t’impose pas une si dure loi :
+Avec moi, si tu veux, aime toute la terre,
+Sans craindre que jamais je t’en fasse la guerre.
+Je reconnais assez mes imperfections ;
+Et quelque part que j’aie en tes affections,
+C’est encor trop pour moi ; seulement ne rejette
+La parfaite amitié d’une fille imparfaite.
+Qui te rend obstinée à me persécuter ?
+Qui te rend si cruel que de me rebuter ?
+Il faut que de tes mains un adieu me délivre.
+Si tu sais t’en aller, je saurai bien te suivre ;
+Et quelque occasion qui t’amène en ces lieux,
+Tu ne lui diras pas grand secret à mes yeux.
+Je suis plus incommode encor qu’il ne te semble.
+Parlons plutôt d’accord, et composons ensemble.
+Hier un peintre excellent m’apporta mon portrait :
+Tandis qu’il t’en demeure encore quelque trait,
+Qu’encor tu me connais, et que de ta pensée
+Mon image n’est pas tout à fait effacée,
+Ne m’en refuse point ton petit jugement.
+Je le tiens pour bien fait. Plains-tu tant un moment ?
+Et m’attachant à toi, si je te désespère,
+À ce prix trouves-tu ta liberté trop chère ?
+Allons, puisque autrement je ne te puis quitter,
+À tel prix que ce soit il me faut racheter.
+En ce point il ressemble à ton humeur volage,
+Qu’il reçoit tout le monde avec même visage ;
+Mais d’ailleurs ce portrait ne te ressemble pas,
+En ce qu’il ne dit mot et ne suit point mes pas.
+En quoi que désormais ma présence te nuise,
+La civilité veut que je te reconduise.
+Mets enfin quelque borne à ta civilité,
+Et suivant notre accord me laisse en liberté.
+Tout est gagné, ma soeur : la belle m’est acquise ;
+Jamais occasion ne se trouva mieux prise ;
+Je possède Angélique. Angélique ? Oui, tu peux
+Avertir Alidor du succès de mes voeux,
+Et qu’au sortir du bal, que je donne chez elle,
+Demain un sacré noeud m’unit à cette belle ;
+Dis-lui qu’il s’en console. Adieu : je vais pourvoir
+À tout ce qu’il me faut préparer pour ce soir.
+Ce soir j’ai bien la mine, en dépit de ta glace,
+D’en trouver là cinquante à qui donner ta place.
+Va-t’en, si bon te semble, ou demeure en ces lieux :
+Je ne t’arrêtais pas ici pour tes beaux yeux ;
+Mais jusqu’à maintenant j’ai voulu te distraire,
+De peur que ton abord interrompît mon frère.
+Quelque fin que tu sois, tiens-toi pour affiné.
+Ciel ! à tant de malheurs m’aviez-vous destiné ?
+Faut-il que d’un dessein si juste que le nôtre
+La peine soit pour nous, et les fruits pour un autre,
+Et que notre artifice ait si mal succédé,
+Qu’il me dérobe un bien qu’Alidor m’a cédé ?
+Officieux ami d’un amant déplorable,
+Que tu m’offres en vain cet objet adorable !
+Qu’en vain de m’en saisir ton adresse entreprend !
+Ce que tu m’as donné, Doraste le surprend.
+Tandis qu’il me supplante, une soeur me cajole ;
+Elle me tient les mains cependant qu’il me vole.
+On me joue, on me brave, on me tue, on s’en rit :
+L’un me vante son heur, l’autre son trait d’esprit ;
+L’un et l’autre à la fois me perd, me désespère,
+Et je puis épargner ou la soeur ou le frère !
+Être sans Angélique, et sans ressentiment !
+Avec si peu de cour aimer si puissamment !
+Cléandre, est-ce un forfait que l’ardeur qui te presse ?
+Craignais-tu d’avouer une telle maîtresse ?
+Et cachais-tu l’excès de ton affection
+Par honte, par dépit, ou par discrétion ?
+Pouvais-tu désirer occasion plus belle
+Que le nom d’Alidor à venger ta querelle ?
+Si pour tes feux cachés tu n’oses t’émouvoir,
+Laisse leurs intérêts, suis ceux de ton devoir.
+On supplante Alidor, du moins en apparence,
+Et sans ressentiment tu souffres cette offense !
+Ton courage est muet, et ton bras endormi !
+Pour être amant discret, tu parois lâche ami !
+C’est trop abandonner ta renommée au blâme :
+Il faut sauver d’un coup ton honneur et ta flamme,
+Et l’un et l’autre ici marchent d’un pas égal ;
+Soutenant un ami, tu t’ôtes un rival.
+Ne diffère donc plus ce que l’honneur commande,
+Et lui gagne Angélique, afin qu’il te la rende.
+Il faut… Eh bien ! Cléandre, ai-je su t’obliger ?
+Pour m’avoir obligé, que je vais t’affliger !
+Doraste a pris le temps des dépits d’Angélique.
+Après ? Après cela tu veux que je m’explique ?
+Qu’en a-t-il obtenu ? Par delà son espoir :
+Il l’épouse demain, lui donne bal ce soir ;
+Juge, juge par là si mon mal est extrême.
+En es-tu bien certain ? J’ai tout su de lui-même.
+Que je serais heureux si je ne t’aimais point !
+Ton malheur aurait mis mon bonheur à son point ;
+La prison d’Angélique aurait rompu la mienne.
+Quelque empire sur moi que son visage obtienne,
+Ma passion fût morte avec sa liberté ;
+Et trop vain pour souffrir qu’en sa captivité
+Les restes d’un rival m’eussent enchaîné l’âme,
+Les feux de son hymen auraient éteint ma flamme.
+Pour forcer sa colère à de si doux effets,
+Quels efforts, cher ami, ne me suis-je point faits !
+Malgré tout mon amour, prendre un orgueil farouche,
+L’adorer dans le cour, et l’outrager de bouche ;
+J’ai souffert ce supplice, et me suis feint léger,
+De honte et de dépit de ne pouvoir changer.
+Et je vois, près du but où je voulais prétendre,
+Les fruits de mon travail n’être pas pour Cléandre !
+À ces conditions mon bonheur me déplaît :
+Je ne puis être heureux, si Cléandre ne l’est.
+Ce que je t’ai promis ne peut être à personne :
+Il faut que je périsse ou que je te le donne.
+J’aurai trop de moyens de te garder ma foi ;
+Et malgré les destins Angélique est à toi.
+Ne trouble point pour moi le repos de ton âme :
+Il t’en coûterait trop pour avancer ma flamme.
+Sans que ton amitié fasse un second effort,
+Voici de qui j’aurai ma maîtresse ou la mort :
+Si Doraste a du cour, il faut qu’il la défende,
+Et que l’épée au poing il la gagne ou la rende.
+Simple, par le chemin que tu penses tenir,
+Tu la lui peux ôter, mais non pas l’obtenir.
+La suite des duels ne fut jamais plaisante :
+C’était ces jours passés ce que disait Théante.
+Je veux prendre un moyen et plus court et plus sûr,
+Et sans aucun péril t’en rendre possesseur.
+Va-t’en donc, et me laisse auprès de ta maîtresse
+De mon reste d’amour faire jouer l’adresse.
+Cher ami… Va-t’en, dis-je, et par tes compliments
+Cesse de t’opposer à tes contentements :
+Désormais en ces lieux tu ne fais que me nuire.
+Je vais donc te laisser ma fortune à conduire.
+Adieu : puissé-je avoir les moyens à mon tour
+De faire autant pour toi que toi pour mon amour !
+Que pour ton amitié je vais souffrir de peine !
+Déjà presque échappé, je rentre dans ma chaîne.
+Il faut encore un coup, m’exposant à ses yeux,
+Reprendre de l’amour, afin d’en donner mieux.
+Mais reprendre un amour dont je veux me défaire,
+Qu’est-ce qu’à mes desseins un chemin tout contraire ?
+Allons-y toutefois, puisque je l’ai promis,
+Et que la peine est douce à qui sert ses amis.
+
+Tatatatatata tatatatata tie
+Tatatatatata tatatata tatie
+
+J’y trouve seulement, afin de me punir,
+Le dépit du passé, l’horreur de l’avenir.
+Où viens-tu, déloyal ? Avec quelle impudence
+Oses-tu redoubler mes maux par ta présence !
+Qui te donne le front de surprendre mes pleurs ?
+Cherches-tu de la joie à même mes douleurs ?
+Et peux-tu conserver une âme assez hardie
+Pour voir ce qu’à mon cour coûte ta perfidie ?
+Après que tu m’as fait un insolent aveu
+De n’avoir plus pour moi ni de foi ni de feu,
+Tu te mets à genoux, et tu veux, misérable,
+Que ton feint repentir m’en donne un véritable ?
+Va, va, n’espère rien de tes submissions ;
+Porte-les à l’objet de tes affections ;
+Ne me présente plus les traits qui m’ont déçue ;
+N’attaque point mon cour en me blessant la vue.
+Penses-tu que je sois, après ton changement,
+Ou sans ressouvenir, ou sans ressentiment ?
+S’il te souvient encor de ton brutal caprice,
+Dis-moi, que viens-tu faire au lieu de ton supplice ?
+Garde un exil si cher à tes légèretés :
+Je ne veux plus savoir de toi mes vérités.
+Quoi ? Tu ne me dis mot ! Crois-tu que ton silence
+Puisse de tes discours réparer l’insolence ?
+Des pleurs effacent-ils un mépris si cuisant ?
+Et ne t’en dédis-tu, traître, qu’en te taisant ?
+Pour triompher de moi veux-tu, pour toutes armes,
+Employer des soupirs et de muettes larmes ?
+Sur notre amour passé c’est trop te confier ;
+Du moins dis quelque chose à te justifier ;
+Demande le pardon que tes regards m’arrachent ;
+Explique leurs discours, dis-moi ce qu’ils me cachent.
+Que mon courroux est faible ! Et que leurs traits puissants
+Rendent des criminels aisément innocents !
+Je n’y puis résister, quelque effort que je fasse ;
+Et de peur de me rendre, il faut quitter la place.
+Quoi ! Votre amour renaît, et vous m’abandonnez !
+C’est bien là me punir quand vous me pardonnez.
+Je sais ce que j’ai fait, et qu’après tant d’audace
+Je ne mérite pas de jouir de ma grâce ;
+Mais demeurez du moins, tant que vous ayez su
+Que par un feint mépris votre amour fut déçu,
+Que je vous fus fidèle en dépit de ma lettre ;
+Qu’en vos mains seulement on la devait remettre ;
+Que mon dessein n’allait qu’à voir vos mouvements,
+Et juger de vos feux par vos ressentiments.
+Dites, quand je la vis entre vos mains remise,
+Changeai-je de couleur ? Eus-je quelque surprise ?
+Ma parole plus ferme et mon port assuré
+Ne vous montraient-ils pas un esprit préparé ?
+Que Clarine vous dise, à la première vue
+Si jamais de mon change elle s’est aperçue.
+Ce mauvais compliment flattait mal ses appas :
+Il vous faisait outrage, et ne l’obligeait pas ;
+Et ses termes piquants, mal conçus pour lui plaire,
+Au lieu de son amour, cherchaient votre colère.
+Cesse de m’éclaircir sur ce triste secret ;
+En te montrant fidèle, il accroît mon regret :
+Je perds moins, si je crois ne perdre qu’un volage,
+Et je ne puis sortir d’erreur qu’à mon dommage.
+Que me sert de savoir que tes voeux sont constants ?
+Que te sert d’être aimé, quand il n’en est plus temps ?
+Aussi je ne viens pas pour regagner votre âme :
+Préférez-moi Doraste, et devenez sa femme.
+Je vous viens, par ma mort, en donner le pouvoir :
+Moi vivant, votre foi ne le peut recevoir ;
+Elle m’est engagée, et quoi que l’on vous die,
+Sans crime elle ne peut durer moins que ma vie.
+Mais voici qui vous rend l’une et l’autre à la fois.
+Ah ! Ce cruel discours me réduit aux abois.
+Ma colère a rendu ma perte inévitable,
+Et je déteste en vain ma faute irréparable.
+Si vous avez du cour, on la peut réparer.
+On nous doit dès demain pour jamais séparer :
+Que puis-je à de tels maux appliquer pour remède ?
+Ce qu’ordonne l’amour aux âmes qu’il possède.
+Si vous m’aimez encor, vous saurez dès ce soir
+Rompre les noirs effets d’un juste désespoir.
+Quittez avec le bal vos malheurs pour me suivre,
+Ou soudain à vos yeux je vais cesser de vivre.
+Mettrez-vous en ma mort votre contentement ?
+Non, mais que dira-t-on d’un tel emportement ?
+Est-ce là donc le prix de vous avoir servie ?
+Il y va de votre heur, il y va de ma vie,
+Et vous vous arrêtez à ce qu’on en dira !
+Mais faites désormais tout ce qu’il vous plaira :
+Puisque vous consentez plutôt à vos supplices
+Qu’à l’unique moyen de payer mes services,
+Ma mort va me venger de votre peu d’amour ;
+Si vous n’êtes à moi, je ne veux plus du jour.
+Retiens ce coup fatal ; me voilà résolue :
+Use sur tout mon cour de puissance absolue :
+Puisqu’il est tout à toi, tu peux tout commander ;
+Et contre nos malheurs j’ose tout hasarder.
+Cet éclat du dehors n’a rien qui m’embarrasse ;
+Mon honneur seulement te demande une grâce :
+Accorde à ma pudeur que deux mots de ta main
+Puissent justifier ma fuite et ton dessein ;
+Que mes parents surpris trouvent ici ce gage,
+Qui les rende assurés d’un heureux mariage,
+Et que je sauve ainsi ma réputation
+Par la sincérité de ton intention.
+Ma faute en sera moindre, et mon trop de constance
+Paraîtra seulement fuir une violence.
+Enfin par ce dessein vous me ressuscitez :
+Agissez pleinement dessus mes volontés.
+J’avais pour votre honneur la même inquiétude,
+Et ne pourrais d’ailleurs qu’avec ingratitude,
+Voyant ce que pour moi votre flamme résout,
+Dénier quelque chose à qui m’accorde tout.
+Donnez-moi : sur-le-champ je vous veux satisfaire.
+Il vaut mieux que l’effet à tantôt se diffère.
+Je manque ici de tout, et j’ai le cour transi
+De crainte que quelqu’un ne te découvre ici.
+Mon dessein généreux fait naître cette crainte ;
+Depuis qu’il est formé, j’en ai senti l’atteinte.
+Quitte-moi, je te prie, et coule-toi sans bruit.
+Puisque vous le voulez, adieu, jusqu’à minuit.
+
+Tatatatatata tatatatata tie
+Tatatatatata tatatata tatie
+
+Me manquât-il de foi, je la lui dois garder,
+Et pour perdre Doraste il faut tout hasarder.
+Cléandre, elle est à toi ; j’ai fléchi son courage.
+Que ne peut l’artifice, et le fard du langage ?
+Et si pour un ami ces effets je produis,
+Lorsque j’agis pour moi, qu’est-ce que je ne puis ?
+Alidor à mes yeux sort de chez Angélique,
+Comme s’il y gardait encor quelque pratique ;
+Et même, à son visage, il semble assez content.
+Aurait-il regagné cet esprit inconstant ?
+Oh ! Qu’il ferait bon voir que cette humeur volage
+Deux fois en moins d’une heure eût changé de courage !
+Que mon frère en tiendrait, s’ils s’étaient mis d’accord !
+Il faut qu’à le savoir je fasse mon effort.
+Ce soir, je sonderai les secrets de son âme ;
+Et si son entretien ne me trahit sa flamme,
+J’aurai l’oeil de si près dessus ses actions,
+Que je m’éclaircirai de ses intentions.
+Quoi ! Lysis, ta retraite est de peu de durée !
+L’heure de mon congé n’est qu’à peine expirée ;
+Mais vous voyant ici sans frère et sans amant…
+N’en présume pas mieux pour ton contentement.
+Et d’où vient à Philis une humeur si nouvelle ?
+Vois-tu, je ne sais quoi me brouille la cervelle.
+Va, ne me conte rien de ton affection :
+Elle en aurait fort peu de satisfaction.
+Cependant sans parler il faut que je soupire ?
+Réserve pour le bal ce que tu me veux dire.
+Le bal, où le tient-on ? Là dedans. Il suffit ;
+De votre bon avis je ferai mon profit.
+Attends là, de pied coi que je t’en avertisse.
+Enfin la nuit s’avance, et son voile propice
+Me va faciliter le succès que j’attends
+Pour rendre heureux Cléandre, et mes désirs contents.
+Mon cour, las de porter un joug si tyrannique,
+Ne sera plus qu’une heure esclave d’Angélique.
+Je vais faire un ami possesseur de mon bien :
+Aussi dans son bonheur je rencontre le mien.
+C’est moins pour l’obliger que pour me satisfaire,
+Moins pour le lui donner qu’afin de m’en défaire.
+Ce trait paraîtra lâche et plein de trahison ;
+Mais cette lâcheté m’ouvrira ma prison.
+Je veux bien à ce prix avoir l’âme traîtresse,
+Et que ma liberté me coûte une maîtresse.
+Que lui fais-je, après tout, qu’elle n’ait mérité,
+Pour avoir malgré moi fait ma captivité ?
+Qu’on ne m’accuse point d’aucune ingratitude :
+Ce n’est que me venger d’un an de servitude,
+Que rompre son dessein, comme elle a fait le mien,
+Qu’user de mon pouvoir, comme elle a fait du sien,
+Et ne lui pas laisser un si grand avantage
+De suivre son humeur, et forcer mon courage.
+Le forcer ! Mais, hélas ! Que mon consentement
+Par un si doux effort fut surpris aisément !
+Quel excès de plaisirs goûta mon imprudence
+Avant que réfléchir sur cette violence !
+Examinant mon feu, qu’est-ce que je ne perds ?
+Et qu’il m’est cher vendu de connaître mes fers !
+Je soupçonne déjà mon dessein d’injustice,
+Et je doute s’il est ou raison ou caprice.
+Je crains un pire mal après ma guérison,
+Et d’aller au supplice en rompant ma prison.
+Alidor, tu consens qu’un autre la possède !
+Tu t’exposes sans crainte à des maux sans remède !
+Ne romps point les effets de son intention,
+Et laisse un libre cours à ton affection :
+Fais ce beau coup pour toi ; suis l’ardeur qui te presse.
+Mais trahir ton ami ! Mais trahir ta maîtresse !
+Je n’en veux obliger pas un à me haïr,
+Et ne sais qui des deux, ou servir, ou trahir.
+Quoi ! Je balance encor, je m’arrête, je doute !
+Mes résolutions, qui vous met en déroute ?
+Revenez, mes desseins, et ne permettez pas
+Qu’on triomphe de vous avec un peu d’appas.
+En vain pour Angélique ils prennent la querelle ;
+Cléandre, elle est à toi, nous sommes deux contre elle.
+Ma liberté conspire avecque tes ardeurs ;
+Les miennes désormais vont tourner en froideurs ;
+Et lassé de souffrir un si rude servage,
+J’ai l’esprit assez fort pour combattre un visage.
+Ce coup n’est qu’un effet de générosité,
+Et je ne suis honteux que d’en avoir douté.
+Amour, que ton pouvoir tâche en vain de paraître !
+Fuis, petit insolent, je veux être le maître :
+Il ne sera pas dit qu’un homme tel que moi,
+En dépit qu’il en ait, obéisse à ta loi.
+Je ne me résoudrai jamais à l’hyménée
+Que d’une volonté franche et déterminée,
+Et celle à qui ses noeuds m’uniront pour jamais
+M’en sera redevable, et non à ses attraits ;
+Et ma flamme… Alidor ! Qui m’appelle ? Cléandre.
+Tu t’avances trop tôt. Je me lasse d’attendre.
+Laisse-moi, cher ami, le soin de t’avertir
+En quel temps de ce coin il te faudra sortir.
+Minuit vient de sonner, et par expérience
+Tu sais comme l’amour est plein d’impatience.
+Va donc tenir tout prêt à faire un si beau coup :
+Ce que nous attendons ne peut tarder beaucoup.
+Je livre entre tes mains cette belle maîtresse,
+Sitôt que j’aurai pu lui rendre ta promesse :
+Sans lumière, et d’ailleurs s’assurant en ma foi,
+Rien ne l’empêchera de la croire de moi.
+Après, achève seul ; je ne puis sans supplice
+Forcer ici mon bras à te faire service ;
+Et mon reste d’amour, en cet enlèvement,
+Ne peut contribuer que mon consentement.
+Ami, ce m’est assez. Va donc là-bas attendre
+Que je te donne avis du temps qu’il faudra prendre.
+Cléandre, encore un mot : pour de pareils exploits
+Nous nous ressemblons mal et de taille et de voix ;
+Angélique soudain pourra te reconnaître ;
+Regarde après ses cris si tu serais le maître.
+Ma main dessus sa bouche y saura trop pourvoir.
+Ami, séparons-nous, je pense l’entrevoir.
+Adieu. Fais promptement. Que la nuit est obscure !
+Alidor n’est pas loin, j’entends quelque murmure.
+De peur d’être connu, je défends à mes gens
+De paraître en ces lieux avant qu’il en soit temps.
+Tenez. Je prends sans lire ; et ta foi m’est si claire,
+Que je la prends bien moins pour moi que pour mon père ;
+Je la porte à ma chambre : épargnons les discours ;
+Fais avancer tes gens, et dépêche. J’y cours.
+Lorsque de son honneur je lui rends l’assurance,
+C’est quand je trompe mieux sa crédule espérance ;
+Mais puisqu’au lieu de moi je lui donne un ami,
+À tout prendre, ce n’est la tromper qu’à demi.
+Angélique ! C’est fait, mon frère en a dans l’aile.
+La voyant échapper, je courais après elle ;
+Mais un maudit galant m’est venu brusquement
+Servir à la traverse un mauvais compliment,
+Et par ses vains discours m’embarrasser de sorte
+Qu’Angélique à son aise a su gagner la porte.
+Sa perte est assurée, et le traître Alidor
+La posséda jadis, et la possède encor.
+Mais jusques à ce point serait-elle imprudente ?
+Il n’en faut point douter, sa perte est évidente ;
+Le cour me le disait, le voyant en sortir,
+Et mon frère dès lors se devait avertir.
+Je te trahis, mon frère, et par ma négligence,
+Étant sans y penser de leur intelligence…
+On l’enlève, et mon cour, surpris d’un vain regret,
+Fait à ma perfidie un reproche secret ;
+Il tient pour Angélique, il la suit, le rebelle !
+Parmi mes trahisons il veut être fidèle ;
+Je le sens, malgré moi de nouveaux feux épris,
+Refuser de ma main sa franchise à ce prix,
+Désavouer mon crime, et pour mieux s’en défendre,
+Me demander son bien, que je cède à Cléandre.
+Hélas ! Qui me prescrit cette brutale loi
+De payer tant d’amour avec si peu de foi ?
+Qu’envers cette beauté ma flamme est inhumaine !
+Si mon feu la trahit, que lui ferait ma haine ?
+Juge, juge, Alidor, en quelle extrémité
+La va précipiter ton infidélité.
+Écoute ses soupirs, considère ses larmes,
+Laisse-toi vaincre enfin à de si fortes armes,
+Et va voir si Cléandre, à qui tu sers d’appui,
+Pourra faire pour toi ce que tu fais pour lui.
+Mais mon esprit s’égare, et quoi qu’il se figure,
+Faut-il que je me rende à des pleurs en peinture,
+Et qu’Alidor, de nuit plus faible que de jour,
+Redonne à la pitié ce qu’il ôte à l’amour ?
+Ainsi donc mes desseins se tournent en fumée !
+J’ai d’autres repentirs que de l’avoir aimée !
+Suis-je encore Alidor après ces sentiments ?
+Et ne pourrai-je enfin régler mes mouvements ?
+Vaine compassion des douleurs d’Angélique,
+Qui penses triompher d’un cour mélancolique,
+Téméraire avorton d’un impuissant remords,
+Va, va porter ailleurs tes débiles efforts.
+Après de tels appas, qui ne m’ont pu séduire,
+Qui te fait espérer ce qu’ils n’ont su produire ?
+Pour un méchant soupir que tu m’as dérobé,
+Ne me présume pas tout à fait succombé :
+Je sais trop maintenir ce que je me propose,
+Et souverain sur moi, rien que moi n’en dispose.
+En vain un peu d’amour me déguise en forfait
+Du bien que je me veux le généreux effet :
+De nouveau j’y consens, et prêt à l’entreprendre…
+Je demande pardon de t’avoir fait attendre,
+D’autant qu’en l’escalier on faisait quelque bruit,
+Et qu’un peu de lumière en effaçait la nuit :
+Je n’osais avancer, de peur d’être aperçue.
+Allons, tout est-il prêt ? Personne ne m’a vue :
+De grâce, dépêchons, c’est trop perdre de temps,
+Et les moments ici nous sont trop importants ;
+Fuyons vite, et craignons les yeux d’un domestique.
+Quoi ! Tu ne réponds point à la voix d’Angélique ?
+Angélique ! Mes gens vous viennent d’enlever ;
+Qui vous a fait sitôt de leurs mains vous sauver ?
+Quel soudain repentir, quelle crainte de blâme,
+Et quelle ruse enfin vous dérobe à ma flamme ?
+Ne vous suffit-il point de me manquer de foi,
+Sans prendre encor plaisir à vous jouer de moi ?
+Que tes gens cette nuit m’ayent vue ou saisie !
+N’ouvre point ton esprit à cette fantaisie.
+Autant que l’ont permis les ombres de la nuit,
+Je l’ai vu de mes yeux. Tes yeux t’ont donc séduit ;
+Et quelque autre sans doute, après moi descendue,
+Se trouve entre les mains dont j’étais attendue.
+Mais, ingrat, pour toi seul j’abandonne ces lieux,
+Et tu n’accompagnais ma fuite que des yeux !
+Pour marque d’un amour que je croyais extrême,
+Tu remets ma conduite à d’autres qu’à toi-même !
+Je suis donc un larcin indigne de tes mains ?
+Quand vous aurez appris le fond de mes desseins,
+Vous n’attribuerez plus, voyant mon innocence,
+À peu d’affection l’effet de ma prudence.
+Pour ôter tout soupçon et tromper ton rival,
+Tu diras qu’il fallait te montrer dans le bal.
+Faible ruse ! Ajoutez et vaine, et sans adresse,
+Puisque je ne pouvais démentir ma promesse.
+Quel était donc ton but ? D’attendre ici le bruit
+Que les premiers soupçons auront bientôt produit,
+Et d’un autre côté me jetant à la fuite,
+Divertir de vos pas leur plus chaude poursuite.
+Mais enfin, Alidor, tes gens se sont mépris ?
+Dans ce coup de malheur, et confus, et surpris,
+Je vois tous mes desseins succéder à ma honte ;
+Mais il me faut donner quelque ordre à ce mécompte :
+Permettez… Cependant, à qui me laisses-tu ?
+Tu frustres donc mes voeux de l’espoir qu’ils ont eu,
+Et ton manque d’amour, de mes malheurs complice,
+M’abandonnant ici, me livre à mon supplice !
+L’hymen (ah ! Ce mot seul me réduit aux abois ! )
+D’un amant odieux me va soumettre aux lois ;
+Et tu peux m’exposer à cette tyrannie !
+De l’erreur de tes gens je me verrai punie !
+Nous préserve le ciel d’un pareil désespoir !
+Mais votre éloignement n’est plus en mon pouvoir.
+J’en ai manqué le coup ; et, ce que je regrette,
+Mon carrosse est parti, mes gens ont fait retraite.
+À Paris, et de nuit, une telle beauté,
+Suivant un homme seul, est mal en sûreté :
+Doraste, ou par malheur quelque rencontre pire,
+Me pourrait arracher le trésor où j’aspire :
+Évitons ces périls en différant d’un jour.
+Tu manques de courage aussi bien que d’amour,
+Et tu me fais trop voir par ta bizarrerie
+Le chimérique effet de ta poltronnerie.
+Alidor (quel amant !) n’ose me posséder.
+Un bien si précieux se doit-il hasarder ?
+Et ne pouvez-vous point d’une seule journée
+Retarder le malheur de ce triste hyménée ?
+Peut-être le désordre et la confusion
+Qui naîtront dans le bal de cette occasion
+Le remettront pour vous ; et l’autre nuit, je jure…
+Que tu seras encore ou timide ou parjure.
+Quand tu m’as résolue à tes intentions,
+Lâche, t’ai-je opposé tant de précautions ?
+Tu m’adores, dis-tu ? Tu le fais bien paraître,
+Rejetant mon bonheur ainsi sur un peut-être.
+Quoi qu’ose mon amour appréhender pour vous,
+Puisque vous le voulez, fuyons, je m’y résous ;
+Et malgré ces périls… Mais on ouvre la porte :
+C’est Doraste qui sort, et nous suit à main-forte.
+Quoi ! Ne m’attendre pas ? C’est trop me dédaigner ;
+Je ne viens qu’à dessein de vous accompagner ;
+Car vous n’entreprenez si matin ce voyage
+Que pour vous préparer à notre mariage.
+encor que vous partiez beaucoup devant le jour,
+Vous ne serez jamais assez tôt de retour ;
+Vous vous éloignez trop, vu que l’heure nous presse.
+Infidèle ! Est-ce là me tenir ta promesse ?
+Eh bien ! C’est te trahir. Penses-tu que mon feu
+D’un généreux dessein te fasse un désaveu ?
+Je t’acquis par dépit et perdrais avec joie.
+Mon désespoir à tous m’abandonnait en proie,
+Et lorsque d’Alidor je me vis outrager,
+Je fis armes de tout afin de me venger.
+Tu t’offris par hasard, je t’acceptai de rage ;
+Je te donnai son bien, et non pas mon courage.
+Ce change à mon courroux jetait un faux appas ;
+Je le nommais sa peine, et c’était mon trépas :
+Je prenais pour vengeance une telle injustice,
+Et dessous ses couleurs j’adorais mon supplice.
+Aveugle que j’étais ! Mon peu de jugement
+Ne se laissait guider qu’à mon ressentiment.
+Mais depuis, Alidor m’a fait voir que son âme,
+En feignant un mépris, n’avait pas moins de flamme.
+Il a repris mon cour en me rendant les yeux ;
+Et soudain mon amour m’a fait haïr ces lieux.
+Tu suivais Alidor ! Ta funeste arrivée,
+En arrêtant mes pas, de ce bien m’a privée ;
+Mais si… Tu le suivais ! Oui : fais tous tes efforts ;
+Lui seul aura mon cour, tu n’auras que le corps.
+Impudente, effrontée autant comme traîtresse,
+De ce cher Alidor tiens-tu cette promesse ?
+Est-elle de sa main, parjure ? De bon cœur
+J’aurais cédé ma place à ce premier vainqueur ;
+Mais suivre un inconnu ! Me quitter pour Cléandre !
+Pour Cléandre ! J’ai tort ; je tâche à te surprendre.
+Vois ce qu’en te cherchant m’a donné le hasard ;
+C’est ce que dans ta chambre a laissé ton départ :
+C’est là qu’au lieu de toi j’ai trouvé sur ta table
+De ta fidélité la preuve indubitable.
+Lis, mais ne rougis point, et me soutiens encor
+Que tu ne fuis ces lieux que pour suivre Alidor.
+
+Tatatatatata tatatatata tie
+Tatatatatata tatatata tatie
+
+Alidor est perfide, ou Doraste imposteur.
+Je vois la trahison, et doute de l’auteur.
+Mais, pour m’en éclaircir, ce billet doit suffire ;
+Je le pris d’Alidor, et le pris sans le lire ;
+Et puisqu’à m’enlever son bras se refusait,
+Il ne prétendait rien au larcin qu’il faisait.
+Le traître ! J’étais donc destinée à Cléandre !
+Hélas ! Mais qu’à propos le ciel l’a fait méprendre,
+Et ne consentant point à ses lâches desseins,
+Met au lieu d’Angélique une autre entre ses mains !
+Que parles-tu d’une autre en ta place ravie ?
+J’en ignore le nom, mais elle m’a suivie,
+Et ceux qui m’attendaient dans l’ombre de la nuit…
+C’en est assez, mes yeux du reste m’ont instruit :
+Autre n’est que Philis entre leurs mains tombée ;
+Après toi de la salle elle s’est dérobée.
+J’arrête une maîtresse, et je perds une soeur ;
+Mais allons promptement après le ravisseur.
+Dure condition de mon malheur extrême !
+Si j’aime, on me trahit ; je trahis, si l’on m’aime.
+Qu’accuserai-je ici d’Alidor ou de moi ?
+Nous manquons l’un et l’autre également de foi.
+Si j’ose l’appeler lâche, traître, parjure,
+Ma rougeur aussitôt prendra part à l’injure ;
+Et les mêmes couleurs qui peindront ses forfaits
+Des miens en même temps exprimeront les traits.
+Mais quel aveuglement nos deux crimes égale,
+Puisque c’est pour lui seul que je suis déloyale ?
+L’amour m’a fait trahir (qui n’en trahirait pas ?),
+Et la trahison seule a pour lui des appas.
+Son crime est sans excuse, et le mien pardonnable :
+Il est deux fois, que dis-je ? Il est le seul coupable ;
+Il m’a prescrit la loi, je n’ai fait qu’obéir ;
+Il me trahit lui-même, et me force à trahir.
+Déplorable Angélique, en malheurs sans seconde,
+Que veux-tu désormais, que peux-tu faire au monde,
+Si ton ardeur sincère et ton peu de beauté
+N’ont pu te garantir d’une déloyauté ?
+Doraste tient ta foi ; mais si ta perfidie
+À jusqu’à te quitter son âme refroidie,
+Suis, suis dorénavant de plus saines raisons,
+Et sans plus t’exposer à tant de trahisons,
+Puisque de ton amour on fait si peu de conte,
+Va cacher dans un cloître et tes pleurs et ta honte.
+Accordez-moi ma grâce avant qu’entrer chez vous.
+Vous voulez donc enfin d’un bien commun à tous ?
+Craignez-vous qu’à vos feux ma flamme ne réponde ?
+Et puis-je vous haïr, si j’aime tout le monde ?
+Votre bel esprit raille, et pour moi seul cruel,
+Du rang de vos amants sépare un criminel :
+Toutefois mon amour n’est pas moins légitime,
+Et mon erreur du moins me rend vers vous sans crime.
+Soyez, quoi qu’il en soit, d’un naturel plus doux :
+L’amour a pris le soin de me punir pour vous ;
+Les traits que cette nuit il trempait de vos larmes
+Ont triomphé d’un cour invincible à vos charmes.
+Puisque vous ne m’aimez que par punition,
+Vous m’obligez fort peu de cette affection.
+Après votre beauté sans raison négligée,
+Il me punit bien moins qu’il ne vous a vengée.
+Avez-vous jamais vu dessein plus renversé ?
+Quand j’ai la force en main, je me trouve forcé ;
+Je crois prendre une fille, et suis pris par une autre ;
+J’ai tout pouvoir sur vous, et me remets au vôtre ;
+Angélique me perd, quand je crois l’acquérir ;
+Je gagne un nouveau mal, quand je pense guérir.
+Dans un enlèvement je hais la violence ;
+Je suis respectueux après cette insolence ;
+Je commets un forfait, et n’en saurais user ;
+Je ne suis criminel que pour m’en accuser.
+Je m’expose à ma peine, et négligeant ma fuite,
+Aux vôtres offensés j’épargne la poursuite.
+Ce que j’ai pu ravir, je viens le demander ;
+Et pour vous devoir tout, je veux tout hasarder.
+Vous ne me devrez rien, du moins si j’en suis crue ;
+Et si mes propres yeux vous donnent dans la vue,
+Si votre propre cour soupire après ma main,
+Vous courez grand hasard de soupirer en vain.
+Toutefois après tout, mon humeur est si bonne
+Que je ne puis jamais désespérer personne.
+Sachez que mes désirs, toujours indifférents,
+Iront sans résistance au gré de mes parents ;
+Leur choix sera le mien : c’est vous parler sans feinte.
+Je vois de leur côté mêmes sujets de crainte :
+Si vous me refusez, m’écouteront-ils mieux ?
+Le monde vous croit riche, et mes parents sont vieux.
+Puis-je sur cet espoir… C’est assez vous en dire.
+Cléandre a-t-il enfin ce que son cour désire ?
+Et ses amours, changés par un heureux hasard,
+De celui de Philis ont-ils pris quelque part ?
+Cette nuit tu l’as vue en un mépris extrême.
+Et maintenant, ami, c’est encore elle-même :
+Son orgueil se redouble étant en liberté,
+Et devient plus hardi d’agir en sûreté.
+J’espère toutefois, à quelque point qu’il monte,
+Qu’à la fin… Cependant que vous lui rendrez conte,
+Je vais voir mes parents, que ce coup de malheur
+À mon occasion accable de douleur.
+Je n’ai tardé que trop à les tirer de peine.
+Est-ce donc tout de bon qu’elle t’est inhumaine ?
+Il la faut suivre. Adieu. Je te puis assurer
+Que je n’ai pas sujet de me désespérer.
+Va voir ton Angélique, et la compte pour tienne,
+Si tu la vois d’humeur qui ressemble à la sienne,
+Tu me la rends enfin ? Doraste tient sa foi ;
+Tu possèdes son cour : qu’aurait-elle pour moi ?
+Quelques charmants appas qui soient sur son visage,
+Je n’y saurais avoir qu’un fort mauvais partage :
+Peut-être elle croirait qu’il lui serait permis
+De ne me rien garder, ne m’ayant rien promis ;
+Il vaut mieux que ma flamme à son tour te la cède.
+Mais derechef, adieu. Ainsi tout me succède ;
+Ses plus ardents désirs se règlent sur mes voeux :
+Il accepte Angélique, et la rend quand je veux.
+Quand je tâche à la perdre il meurt de m’en défaire ;
+Quand je l’aime, elle cesse aussitôt de lui plaire.
+Mon cour prêt à guérir, le sien se trouve atteint ;
+Et mon feu rallumé, le sien se trouve éteint :
+Il aime quand je quitte, il quitte alors que j’aime ;
+Et sans être rivaux, nous aimons en lieu même.
+C’en est fait, Angélique, et je ne saurais plus
+Rendre contre tes yeux des combats superflus.
+De ton affection cette preuve dernière
+Reprend sur tous mes sens une puissance entière.
+Les ombres de la nuit m’ont redonné le jour :
+Que j’eus de perfidie, et que je vis d’amour !
+Quand je sus que Cléandre avait manqué sa proie,
+Que j’en eus de regret, et que j’en ai de joie !
+Plus je t’étais ingrat, plus tu me chérissais ;
+Et ton ardeur croissait plus je te trahissais.
+Aussi j’en fus honteux, et confus dans mon âme,
+La honte et le remords rallumèrent ma flamme.
+Que l’amour pour nous vaincre a de chemins divers !
+Et que malaisément on rompt de si beaux fers !
+C’est en vain qu’on résiste aux traits d’un beau visage ;
+En vain, à son pouvoir refusant son courage,
+On veut éteindre un feu par ses yeux allumé,
+Et ne le point aimer quand on s’en voit aimé :
+Sous ce dernier appas l’amour a trop de force ;
+Il jette dans nos cours une trop douce amorce,
+Et ce tyran secret de nos affections
+Saisit trop puissamment nos inclinations.
+Aussi ma liberté n’a plus rien qui me flatte ;
+Le grand soin que j’en eus partait d’une âme ingrate ;
+Et mes desseins, d’accord avecque mes désirs,
+À servir Angélique ont mis tous mes plaisirs.
+Mais, hélas ! Ma raison est-elle assez hardie
+Pour croire qu’on me souffre après ma perfidie ?
+Quelque secret instinct, à mon bonheur fatal,
+Ne la porte-t-il point à me vouloir du mal ?
+Que de mes trahisons elle serait vengée,
+Si, comme mon humeur, la sienne était changée !
+Mais qui la changerait, puisqu’elle ignore encor
+Tous les lâches complots du rebelle Alidor ?
+Que dis-je, malheureux ? Ah ! C’est trop me méprendre,
+Elle en a trop appris du billet de Cléandre :
+Son nom au lieu du mien en ce papier souscrit
+Ne lui montre que trop le fond de mon esprit.
+Sur ma foi toutefois elle le prit sans lire ;
+Et si le ciel vengeur contre moi ne conspire,
+Elle s’y fie assez pour n’en avoir rien lu.
+Entrons, quoi qu’il en soit, d’un esprit résolu ;
+Dérobons à ses yeux le témoin de mon crime ;
+Et si pour l’avoir lu sa colère s’anime,
+Et qu’elle veuille user d’une juste rigueur,
+Nous savons les moyens de regagner son cœur.
+Ne sollicite plus mon âme refroidie :
+Je méprise Angélique après sa perfidie ;
+Mon cour s’est révolté contre ses lâches traits,
+Et qui n’a point de foi n’a point pour moi d’attraits.
+Veux-tu qu’on me trahisse, et que mon amour dure ?
+J’ai souffert sa rigueur, mais je hais son parjure,
+Et tiens sa trahison indigne à l’avenir
+D’occuper aucun lieu dedans mon souvenir.
+Qu’Alidor la possède ; il est traître comme elle :
+Jamais pour ce sujet nous n’aurons de querelle.
+Pourrais-je avec raison lui vouloir quelque mal
+De m’avoir délivré d’un esprit déloyal ?
+Ma colère l’épargne, et n’en veut qu’à Cléandre :
+Il verra que son pire était de se méprendre ;
+Et si je puis jamais trouver ce ravisseur,
+Il me rendra soudain et la vie et ma soeur.
+Faites mieux : puisqu’à peine elle pourrait prétendre
+Une fortune égale à celle de Cléandre,
+En faveur de ses biens calmez votre courroux,
+Et de son ravisseur faites-en son époux.
+Bien qu’il eût fait dessein sur une autre personne,
+Faites-lui retenir ce qu’un hasard lui donne :
+Je crois que cet hymen pour satisfaction
+Plaira mieux à Philis que sa punition.
+Nous consultons en vain, ma poursuite étant vaine.
+Nous le rencontrerons, n’en soyez point en peine :
+Où que soit sa retraite, il n’est pas toujours nuit ;
+Et ce qu’un jour nous cache, un autre le produit.
+Mais, dieux ! Voilà Philis qu’il a déjà rendue.
+Ma soeur, je te retrouve après t’avoir perdue !
+Et de grâce, quel lieu me cache le voleur
+Qui, pour s’être mépris, a causé ton malheur ?
+Que son trépas… Tout beau ; peut-être ta colère,
+Au lieu de ton rival, en veut à ton beau-frère.
+En un mot, tu sauras qu’en cet enlèvement
+Mes larmes m’ont acquis Cléandre pour amant :
+Son cour m’est demeuré pour peine de son crime,
+Et veut changer un rapt en amour légitime.
+Il fait tous ses efforts pour gagner mes parents,
+Et s’il les peut fléchir, quant à moi, je me rends :
+Non, à dire le vrai, que son objet me tente,
+Mais mon père content, je dois être contente.
+Tandis, par la fenêtre ayant vu ton retour,
+Je t’ai voulu sur l’heure apprendre cet amour,
+Pour te tirer de peine et rompre ta colère.
+Crois-tu que cet hymen puisse me satisfaire ?
+Si tu n’es ennemi de mes contentements,
+Ne prends mes intérêts que dans mes sentiments ;
+Ne fais point le mauvais, si je ne suis mauvaise,
+Et ne condamne rien à moins qu’il me déplaise.
+En cette occasion, si tu me veux du bien,
+C’est à toi de régler ton esprit sur le mien.
+Je respecte mon père, et le tiens assez sage
+Pour ne résoudre rien à mon désavantage.
+Si Cléandre le gagne, et m’en peut obtenir,
+Je crois de mon devoir… Je l’aperçois venir.
+Résolvez-vous, monsieur, à ce qu’elle désire.
+Si vous n’êtes d’humeur, madame, à vous dédire,
+Tout me rit désormais, j’ai leur consentement.
+Mais excusez, monsieur, le transport d’un amant ;
+Et souffrez qu’un rival, confus de son offense,
+Pour en perdre le nom entre en votre alliance.
+Ne me refusez point un oubli du passé ;
+Et son ressouvenir à jamais effacé,
+Bannissant toute aigreur, recevez un beau-frère
+Que votre soeur accepte après l’aveu d’un père.
+Quand j’aurais sur ce point des avis différents,
+Je ne puis contredire au choix de mes parents ;
+Mais outre leur pouvoir, votre âme généreuse,
+Et ce franc procédé qui rend ma soeur heureuse,
+Vous acquièrent les biens qu’ils vous ont accordés,
+Et me font souhaiter ce que vous demandez.
+Vous m’avez obligé de m’ôter Angélique ;
+Rien de ce qui la touche à présent ne me pique :
+Je n’y prends plus de part, après sa trahison.
+Je l’aimai par malheur, et la hais par raison.
+Mais la voici qui vient, de son amant suivie.
+Finissez vos mépris, ou m’arrachez la vie.
+Ne m’importune plus, infidèle. Ah ! Ma soeur !
+Comme as-tu pu sitôt tromper ton ravisseur ?
+Il n’en a plus le nom, et son feu légitime,
+Autorisé des miens, en efface le crime ;
+Le hasard me le donne, et changeant ses desseins,
+Il m’a mise en son cour aussi bien qu’en ses mains.
+Son erreur fut soudain de son amour suivie ;
+Et je ne l’ai ravi qu’après qu’il m’a ravie.
+Jusque-là tes beautés ont possédé ses voeux ;
+Mais l’amour d’Alidor faisait taire ses feux.
+De peur de l’offenser te cachant son martyre,
+Il me venait conter ce qu’il ne t’osait dire ;
+Mais nous changeons de sort par cet enlèvement :
+Tu perds un serviteur, et j’y gagne un amant.
+Dis-lui qu’elle en perd deux ; mais qu’elle s’en console,
+Puisque avec Alidor je lui rends sa parole.
+Satisfaites sans crainte à vos intentions :
+Je ne mets plus d’obstacle à vos affections.
+Si vous faussez déjà la parole donnée,
+Que ne feriez-vous point après notre hyménée ?
+Pour moi, malaisément on me trompe deux fois :
+Vous l’aimez, j’y consens, et lui cède mes droits.
+Puisque vous me pouvez accepter sans parjure,
+Pouvez-vous consentir que votre rigueur dure ?
+Vos yeux sont-ils changés, vos feux sont-ils éteints ?
+Et quand mon amour croît, produit-il vos dédains ?
+Voulez-vous… Déloyal, cesse de me poursuivre :
+Si je t’aime jamais, je veux cesser de vivre.
+Quel espoir mal conçu te rapproche de moi ?
+Aurais-je de l’amour pour qui n’a point de foi ?
+Quoi ! Le bannissez-vous parce qu’il vous ressemble ?
+Cette union d’humeurs vous doit unir ensemble.
+Pour ce manque de foi c’est trop le rejeter :
+Il ne l’a pratiqué que pour vous imiter.
+Cessez de reprocher à mon âme troublée
+La faute où la porta son ardeur aveuglée.
+Vous seul avez ma foi, vous seul à l’avenir
+Pouvez à votre gré me la faire tenir :
+Si toutefois, après ce que j’ai pu commettre,
+Vous me pouvez haïr jusqu’à me la remettre,
+Un cloître désormais bornera mes desseins ;
+C’est là que je prendrai des mouvements plus sains ;
+C’est là que, loin du monde et de sa vaine pompe,
+Je n’aurai qui tromper, non plus que qui me trompe.
+Mon souci ! Tes soucis doivent tourner ailleurs.
+De grâce, prends pour lui des sentiments meilleurs.
+Nous leur nuisons, ma soeur ; hors de notre présence
+Elle se porterait à plus de complaisance :
+L’amour seul, assez fort pour la persuader,
+Ne veut point d’autre tiers à les raccommoder.
+Mon amour, ennuyé des yeux de tant de monde,
+Adore la raison où votre avis se fonde.
+Adieu, belle Angélique, adieu : c’est justement
+Que votre ravisseur vous cède à votre amant.
+Je vous eus par dépit, lui seul il vous mérite :
+Ne lui refusez point ma part que je lui quitte.
+Si tu t’aimes, ma soeur, fais-en autant que moi,
+Et laisse à tes parents à disposer de toi.
+Ce sont des jugements imparfaits que les nôtres :
+Le cloître a ses douceurs, mais le monde en a d’autres,
+Qui pour avoir un peu moins de solidité,
+N’accommodent que mieux notre instabilité.
+Je crois qu’un bon dessein dans le cloître te porte ;
+Mais un dépit d’amour n’en est pas bien la porte,
+Et l’on court grand hasard d’un cuisant repentir
+De se voir en prison sans espoir d’en sortir.
+N’achèverez-vous point ? J’ai fait, et vous vais suivre.
+Adieu : par mon exemple apprends comme il faut vivre,
+Et prends pour Alidor un naturel plus doux.
+Rien ne rompra le coup à quoi je me résous :
+Je me veux exempter de ce honteux commerce
+Où la déloyauté si pleinement s’exerce ;
+Un cloître est désormais l’objet de mes désirs :
+L’âme ne goûte point ailleurs de vrais plaisirs.
+Ma foi qu’avait Doraste engageait ma franchise ;
+Et je ne vois plus rien, puisqu’il me l’a remise,
+Qui me retienne au monde, ou m’arrête en ce lieu :
+Cherche une autre à trahir ; et pour jamais, adieu.
+Que par cette retraite elle me favorise !
+Et qu’ils ne sauraient plus défendre ma franchise,
+Alors que mes desseins cèdent à mes amours,
+Sa haine et ses refus viennent à leur secours.
+J’avais beau la trahir, une secrète amorce
+Mes feux en recevaient une nouvelle force,
+Rallumait dans mon cour l’amour par la pitié :
+Et toujours leur ardeur en croissait de moitié.
+Ce que cherchait par là mon âme peu rusée,
+Je suis libre à présent qu’elle est désabusée,
+De contraires moyens me l’ont fait obtenir :
+Et je ne l’abusais que pour le devenir.
+Impuissant ennemi de mon indifférence,
+Ta force ne venait que de mon espérance,
+Je brave, vain amour, ton débile pouvoir :
+Et c’est ce qu’aujourd’hui m’ôte son désespoir.
+Je cesse d’espérer et commence de vivre ;
+Et quelques doux assauts qu’un autre objet me livre,
+Je vis dorénavant, puisque je vis à moi ;
+C’est de moi seulement que je prendrai la loi.
+Beautés, ne pensez point à rallumer ma flamme :
+Et ce sera beaucoup emporté sur mon âme,
+Vos regards ne sauraient asservir ma raison ;
+S’ils me font curieux d’apprendre votre nom.
+Nous feindrons toutefois, pour nous donner carrière,
+Mais nous saurons toujours rebrousser en arrière,
+Et pour mieux déguiser nous en prendrons un peu,
+Et quand il nous plaira nous retirer du jeu.
+Cependant Angélique enfermant dans un cloître
+Les murs qui garderont ces tyrans de paraître
+Ses yeux dont nous craignions la fatale clarté,
+Serviront de remparts à notre liberté.
+Je suis hors de péril qu’après son mariage
+Et ne serai jamais sujet à cette rage
+Le bonheur d’un jaloux augmente mon ennui ;
+Qui naît de voir son bien entre les mains d’autrui.
+Ravi qu’aucun n’en ait ce que j’ai pu prétendre,
+Comme je la donnais sans regret à Cléandre,
+Puisqu’elle dit au monde un éternel adieu,
+Je verrai sans regret qu’elle se donne à Dieu.
diff --git a/plint/test_data/corneille_place_royale.tpl b/plint/test_data/corneille_place_royale.tpl
@@ -0,0 +1,4 @@
+6/6 A !X
+6/6 A !X
+6/6 B !x
+6/6 B !x
diff --git a/prepare_sources/parse_dramacode_paroles.py b/prepare_sources/parse_dramacode_paroles.py
@@ -0,0 +1,18 @@
+#!/usr/bin/python3
+
+import sys
+
+last = None
+for l in sys.stdin.readlines():
+ ll = l.strip()
+ if len(ll) == 0:
+ continue
+ if l[0].isspace():
+ last = last + " " + ll
+ continue
+ if last:
+ print(last)
+ last = ll
+
+print(last)
+