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Author: Antoine Amarilli <a3nm@a3nm.net>
Date:   Wed, 14 Aug 2019 23:53:20 +0200

+heredia

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diff --git a/plint/test_data/heredia_les_trophees_les_conquerants_de_lor b/plint/test_data/heredia_les_trophees_les_conquerants_de_lor @@ -0,0 +1,642 @@ +Après que Balboa menant son bon cheval +Par les bois non frayés, droit, d'amont en aval, +Eut, sur l'autre versant des Cordillères hautes, +Foulé le chaud limon des insalubres côtes +De l'Isthme qui partage avec ses monts géants +La glauque immensité des deux grands Océans, +Et qu'il eut, s'y jetant tout armé de la berge, +Planté son étendard dans l'écume encor vierge, +Tous les aventuriers, dont l'esprit s'enflamma, +Rêvaient, en arrivant au port de Panama, +De retrouver, espoir cupide et magnifique, +Aux rivages dorés de la mer Pacifique, +El Dorado promis qui fuyait devant eux, +Et, mêlant avec l'or des songes monstrueux, +De forcer jusqu'au fond de ces torrides zones +L'âpre virginité des rudes Amazones +Que n'avait pu dompter la race des héros, +De renverser des dieux à têtes de taureaux +Et de vaincre, vrais fils de leur ancêtre Hercule, +Les peuples de l'Aurore et ceux du Crépuscule. + +Ils savaient que, bravant ces illustres périls, +Ils atteindraient les bords où germent les béryls +Et Doboyba qui comble, en ses riches ravines, +Du vaste écroulement des temples en ruines, +La nécropole d'or des princes de Zenu ; +Et que, suivant toujours le chemin inconnu +Des Indes, par-delà les îles des Épices +Et la terre où bouillonne au fond des précipices +Sur un lit d'argent fin la Source de Santé, +Ils verraient, se dressant en un ciel enchanté +Jusqu'au zénith brûlé du feu des pierreries, +Resplendir au soleil les vivantes féeries +Des sierras d'émeraude et des pics de saphir +Qui recèlent l'antique et fabuleux Ophir. + +Et quand Vasco Nuñez eut payé de sa tête +L'orgueil d'avoir tenté cette grande conquête, +Poursuivant après lui ce mirage éclatant, +Malgré sa mort, la fleur des Cavaliers, portant +Le pennon de Castille écartelé d'Autriche, +Pénétra jusqu'au fond des bois de Côte-Riche +À travers la montagne horrible, ou navigua +Le long des noirs récifs qui cernent Veragua, +Et vers l'Est atteignit, malgré de grands naufrages, +Les bords où l'Orénoque, enflé par les orages, +Inondant de sa vase un immense horizon, +Sous le fiévreux éclat d'un ciel lourd de poison, +Se jette dans la mer par ses cinquante bouches. + +Enfin cent compagnons, tous gens de bonnes souches, +S'embarquèrent avec Pascual d'Andagoya +Qui, poussant encor plus sa course, côtoya +Le golfe où l'Océan Pacifique déferle, +Mit le cap vers le Sud, doubla l'île de Perle, +Et cingla devant lui toutes voiles dehors, +Ayant ainsi, parmi les Conquérants d'alors, +L'heur d'avoir le premier fendu les mers nouvelles +Avec les éperons des lourdes caravelles. + +Mais quand, dix mois plus tard, malade et déconfit, +Après avoir très loin navigué sans profit +Vers cet El Dorado qui n'était qu'un vain mythe, +Bravé cent fois la mort, dépassé la limite +Du monde, ayant perdu quinze soldats sur vingt, +Dans ses vaisseaux brisés Andagoya revint, +Pedrarias d'Avila se mit fort en colère ; +Et ceux qui, sur la foi du récit populaire, +Hidalgos et routiers, s'étaient tous rassemblés +Dans Panama, du coup demeurèrent troublés. + +Or les seigneurs, voyant qu'ils ne pouvaient plus guère +Employer leur personne en actions de guerre, +Partaient pour Mexico ; mais ceux qui, n'ayant rien, +Étaient venus tenter aux plages de Darien, +Désireux de tromper la misère importune, +Ce que vaut un grand cœur à vaincre la fortune, +S'entretenant à jeun des rêves les plus beaux, +Restaient, l'épée oisive et la cape en lambeaux, +Quoique tous bon marins ou vieux batteurs d'estrade, +À regarder le flot moutonner dans la rade, +En attendant qu'un chef hardi les commandât. + +Deux ans étaient passés, lorsqu'un obscur soldat +Qui fut depuis titré Marquis pour sa conquête, +François Pizarre, osa présenter la requête +D'armer un galion pour courir par-delà +Puerto Pinas. Alors Pedrarias d'Avila +Lui fit représenter qu'en cette conjoncture +Il n'était pas prudent de tenter l'aventure +Et ses dangers sans nombre et sans profit ; d'ailleurs, +Qu'il ne lui plaisait point de voir que les meilleurs +De tous ses gens de guerre, en entreprises folles, +Prodiguassent le sang des veines espagnoles, +Et que nul avant lui, de tant de Cavaliers, +N'avait pu triompher ds bois de mangliers +Qui croisent sur ces bords leurs nœuds inextricables ; +Que, la tempête ayant rompu vergues et câbles +À leurs vaisseaux en vain si loin aventurés, +Ils étaient revenus mourants, désemparés, +Et trop heureux encor d'avoir sauvé la vie. + +Mais ce conseil ne fit qu'échauffer son envie. +Si bien qu'avec Diego d'Almagro, par contrats, +Ayant mis en commun leur fortune et leurs bras, +Et don Fernan de Luque ayant fourni les sommes, +En l'an mil et cinq cent vingt-quatre, avec cent hommes, +Pizarre le premier, par un brumeux matin +De novembre, montant un mauvais brigantin, +Prit la mer, et lâchant au vent toute sa toile, +Se fia bravement en son heureuse étoile. + +Mais tout sembla d'abord démentir son espoir. +Le vent devint bourrasque, et jusqu'au ciel très noir +La mer terrible, enflant ses houles couleur d'encre, +Défonça les sabords, rompit les mâts et l'ancre, +Et fit la triste nef plus rase qu'un radeau. +Enfin après dix jours d'angoisse, manquant d'eau +Et de vivres, sa troupe étant d'ailleurs fort lasse, +Pizarre débarqua sur une côte basse. + +Au bord, les mangliers formaient un long treillis ; +Plus haut, impénétrable et splendide foullis +De lianes en fleur et de vignes grimpantes, +La berge s'élevait par d'insensibles pentes +Vers la ligne lointaine et sombre des forêts. + +Et ce pays n'était qu'un très vaste marais. + +Il pleuvait. Les soldats, devenus frénétiques +Par le harcèlement venimeux des moustiques +Qui noircissaient le ciel de bourdonnants essaims, +Foulaient avec horreur, en ces bas-fonds malsains, +Des reptiles nouveaux et d'étranges insectes +Ou voyaient émerger des lagunes infectes, +Sur leur ventre écaillé se traînant d'un pied tors, +Ces lézards monstrueux qu'on nomme alligators. +Et quand venait la nuit, sur la terre trempée, +Dans leurs manteaux, auprès de l'inutile épée, +Lorsqu'ils s'étaient couchés, n'ayant pour aliment +Que la racine amère ou le rouge piment, +Sur le groupe endormi de ces chercheurs d'empires +Flottait, crêpe vivant, le vol mou des vampires, +Et ceux-là qu'ils marquaient de leurs baisers velus +Dormaient d'un tel sommeil qu'ils ne s'éveillaient plus. + +C'est pourquoi les soldats, par force et par prière, +Contraignirent leur chef à tourner en arrière, +Et, malgré lui, disant un éternel adieu +Au triste campement du port de Saint-Mathieu, +Pizarre, par la mer nouvellement ouverte, +Avec Bartolomé suivant la découverte, +Sur un seul brigantin d'un faible tirant d'eau +Repartit, et, doublant Punta de Pasado, +Le bon pilote Ruiz eut la fortune insigne, +Le premier des marins, d'avoir franchi la Ligne +Et poussé plus au sud du monde occidental. + +La côte s'abaissait, et les bois de santal +Exhalaient sur la mer leurs brises parfumées. +De toutes parts montaient de légères fumées, +Et les marins joyeux, accoudés aux haubans, +Voyaient les fleuves luire en tortueux rubans +À travers la campagne, et tout le long des plages +Fuir des champs cultivés et passer des villages. + +Ensuite, ayant serré la côte de plus près, +À leurs yeux étonnés parurent les forêts. + +Au pied des volcans morts, sous la zone des cendres, +L'ébénier, le gayac et les durs palissandres, +Jusques aux confins bleus des derniers horizons +Roulant le flot obscur des vertes frondaisons, +Variés de feuillage et variés d'essence, +Déployaient la grandeur de leur magnificence ; +Et du nord au midi, du levant au ponent, +Couvrant tout le rivage et tout le continent, +Partout où l'œil pouvait s'étendre, la ramure +Se prolongeait avec un éternel murmure +Pareil au bruit des mers. Seul, en ce cadre noir, +Étincelait un lac, immobile miroir +Où le soleil, plongeant au milieu de cette ombre, +Faisait un grand trou d'or dans la verdure sombre. + +Sur les sables marneux, d'énormes caïmans +Guettaient le tapir noir ou les roses flamants. +Les majas argentés et les boas superbes +Sous leurs pesants anneaux broyaient les hautes herbes, +Ou, s'enroulant autour des troncs d'arbres pourris, +Attendaient l'heure où vont boire les pécaris. +Et sur les bords du lac horriblement fertile +Où tout batracien pullule et tout reptile, +Alors que le soleil décline, on pouvait voir +Les fauves par troupeaux descendre à l'abreuvoir : +Le puma, l'ocelot et les chats-tigres souples, +Et le beau carnassier qui ne va que par couples +Et qui par-dessus tous les félins est cité +Pour sa grâce terrible et sa férocité, +Le jaguar. Et partout dans l'air multicolore +Flottait la végétale et la vivante flore ; +Tandis que les cactus aux hampes d'aloès, +Les perroquets divers et les kakatoès +Et les aras, parmi d'assourdissants ramages, +Lustraient au soleil clair leurs splendides plumages, +Dans un pétillement d'ailes et de rayons, +Les frêles oiseaux-mouche et les grands papillons, +D'un vol vibrant, avec des jets de pierreries, +Irradiaient autour des lianes fleuries. + +Plus loin, de toutes parts élancés, des halliers, +Des gorges, des ravins, des taillis, par milliers, +Pillant les monbins mûrs et les buissons d'icaques, +Les singes de tout poil, ouistitis et macaques, +Sakis noirs, capucins, trembleurs et carcajous +Par les figuiers géants et les hauts acajous, +Sautant de branche en branche ou pendus par leurs queues, +Innombrables, de l'aube au soir, durant des lieues, +Avec des gestes fous hurlant et gambadant, +Tout au long de la mer les suivaient. Cependant, +Poussé par une tiède et balsamique haleine, +Le navire, doublant le cap de Sainte-Hélène, +Glissa paisiblement dans le golfe d'azur +Où sous l'éclat d'un jour éternellement pur, +La mer de Guayaquil, sans colère et sans lutte, +Arrondissant au loin son immense volute, +Frange les sables d'or d'une écume d'argent. + +Et l'horizon s'ouvrit magnifique et changeant. + +Les montagnes, dressant les neiges de leur crête, +Coupaient le ciel foncé d'une brillante arête +D'où s'élançaient tout droits au hait de l'éther bleu +Le Prince du Tonnerre et le Seigneur du Feu : +Le mont Chimborazo dont la sommité ronde, +Dôme prodigieux sous qui la foudre gronde, +Dépasse, gigantesque et formidable aussi, +Le cône incandescent du vieux Cotopaxi. + +Attentif aux gabiers en vigie à la hune, +Dans le pressentiment de sa haute fortune, +Pizarre, sur le pont avec les Conquérants, +Jetait sur ces splendeurs des yeux indifférents, +Quand, soudain, au détour du dernier promontoire, +L'équipage, poussant un long cri de victoire, +Dans le repli du golfe où tremblent les reflets +Des temples couverts d'or et des riches palais, +Avec ses quais noircis d'une innombrable foule, +Entre l'azur du ciel et celui de la houle, +Au bord de l'Océan vit émerger Tumbez. + +Alors, se recordant ses compagnons tombés +À ses côtés, ou morts de soif et de famine, +Et voyant que le peu qui restait avait mine +De gens plus disposés à se ravitailler +Qu'à reprendre leur course, errer et batailler, +Pizarre comprit bien que ce serait démence +Que de s'aventurer dans cet empire immense ; +Et jugeant sagement qu'en ce dernier effort +Il fallait à tout prix qu'il restât le plus fort, +Il prit langue parmi ces nations étranges, +Rassembla beaucoup d'or par dons et par échanges, +Et, gagnant Panama sur son vieux brigantin +Plein des fruits de la terre et lourd de son butin, +Il mouilla dans le port après trois ans de courses. +Là, se trouvant à bout d'hommes et de ressources, +Bien que fort malhabile aux manières des cours, +Il résolut d'user d'un suprême recours +Avant que de tenter sa dernière campagne, +Et de Nombre de Dios s'embarqua pour l'Espagne. + +Or, lorsqu'il toucha terre au port de San-Lucar, +Il retrouva l'Espagne en allégresse, car +L'Impératrice-Reine, en un jour très prospère, +Comblant les vœux du prince et les désirs du père, +Avait heureusement mis au monde l'Infant +Don Philippe — que Dieu conserve triomphant ! +Et l'Empereur joyeux le fêtait dans Tolède. +Là, Pizarre, accouru pour implorer son aide, +Conta ses longs travaux et, ployant le genou, +Lui fit en bon sujet hommage du Pérou. +Puis ayant présenté, non sans quelque vergogne +D'offrir si peu, de l'or, des laines de vigogne +Et deux lamas vivants avec un alpaca, +Il exposa ses droits. Don Carlos remarqua +Ces moutons singuliers et de nouvelle espèce +Dont la taille était haute et la toison épaisse ; +Même, il daigna peser entre ses doigts royaux, +Fort gracieusement, la lourdeur des joyaux ; +Mais quand il dut traiter l'objet de la demande, +Il répondit avec sa rudesse flamande : +Qu'il trouvait, à son gré, que le vaillant Marquis +Don Hernando Cortès avait assez conquis +En subjuguant le vaste empiure des Aztèques ; +Et que lui-même ainsi que les saints Archevêques +Et le Conseil étaient fermement résolus +À ne rien entreprendre et ne protéger plus, +Dans ses possessions des mers occidentales, +Ceux qui s'entêteraient à ces courses fatales +Où s'abîma jadis Diego de Nicuessa. +Mais, à ce dernier mot, Pizarre se dressa +Et lui dit : Que c'était chose qui scandalise +Que d'ainsi rejeter du giron de l'Église, +Pour quelques onces d'or, autant d'infortunés, +Qui, dans l'idolâtrie et l'ignorance nés, +Ne demandaient, voués au céleste anathème, +Qu'à laver leurs péchés dans l'eau du saint baptême. +Ensuite il lui peignit en termes éloquents +La Cordillère énorme avec ses vieux volcans +D'où le feu souverain, qui fait trembler la terre +Et fondre le métal au creuset du cratère, +Précipite le flux brûlant des laves d'or +Que garde l'oiseau Rock qu'ils ont nommé condor. +Il lui dit la nature enrichissant la fable ; +D'innombrables torrents qui roulent dans leur sable +Des pierres d'émeraude en guise de galets ; +La chicha fermentant aux celliers des palais +Dans des vases d'or pur pareils aux vastes jarres +Où l'on conserve l'huile au fond des Alpujarres ; +Les temples du Soleil couvrant tout le pays, +Revêtus d'or, bordés de leurs champs de maïs +Dont les épis sont d'or aussi bien que la tige +Et que broutent, miracle à donner le vertige +Et fait pour rendre même un Empereur pensif, +Des moutons d'or avec leurs bergers d'or massif. + +Ce discours étonna Don Carlos, et l'Altesse, +Daignant enfin peser avec la petitesse +Des secours implorés l'honneur du résultat, +Voulut que sans tarder Don François répétât, +Par-devant Nosseigneurs du Grand Conseil, ses offres +De dilater l'Église et de remplir les coffres. +Après quoi, lui passant l'habit de chevalier +De Saint-Jacque, il lui mit au cou son bon collier. +Et Pizarre jura sur les saintes reliques +Qu'il resterait fidèle aux rois Très-Catholiques, +Et qu'il demeurerait le plus ferme soutien +De l'Église Romaine et du beau nom chrétien. +Puis l'Empereur dicta les augustes cédules +Qui faisaient assavoir, même aux plus incrédules, +Que, sauf les droits anciens des hoirs de l'Amiral, +Don François Pizarro, lieutenant général +De Son Altesse, était sans conteste et sans terme +Seigneur de tous pays, îles et terre ferme, +Qu'il avait découverts ou qu'il découvrirait. +La minute étant lue et quand l'acte fut prêt +À recevoir les seings au bas des protocoles, +Pizarre, ayant jadis peu hanté les écoles, +Car en Estremadure il gardait les pourceaux, +Sur le vélin royal d'où pendaient les grands sceaux +Fit sa croix, déclarant ne savoir pas écrire, +Mais d'un ton si hautain que nul ne put en rire. +Enfin, sur un carreau brodé, le bâton d'or +Qui distingue l'Alcade et l'Alguazil Mayor +Lui fut remis par Juan de Fonseca. La chose +Ainsi dûment réglée et sa patente close, +L'Adelantade, avant de reprendre la mer, +Et bien qu'il n'en gardât qu'un souvenir amer, +Visita ses parents dans Truxillo, leur ville, +Puis, joyeux, s'embarqua du havre de Séville +Avec les trois vaisseaux qu'il avait nolisés. +Il reconnut Gomère, et les vents alizés, +Gonflant d'un souffle frais leur voilure plus ronde, +Entraînèrent ses nefs sur la route du monde +Qui fit l'Espagne grande et Colomb immortel. + +Or donc, un mois plus tard, au pied du maître-autel, +Dans Panama, le jour du noble Évangéliste +Saint Jean, fray Juan Vargas lut au prône la liste +De tous ceux qui montaient la nouvelle Armada +Sous Don François Pizarre, et les recommanda. +Puis, les deux chefs ayant entre eux rompu l'hostie, +Voici de quelle sorte on fit la départie. + +Lorsque l'Adelantade eut de tous pris congé, +Ce jour même, après vêpre, en tête de clergé, +L'Évêque ayant béni l'armée avec la flotte, +Don Bartolomé Ruiz, comme royal pilote, +En pompeux apparat, tout vêtu de brocart, +Le porte-voix au poing, montrant au banc de quart, +Commanda de rentrer l'ancre en la capitane +Et de mettre la barre au vent de tramontane. +Alors, parmi les pleurs, les cris et les adieux, +Les soldats inquiets et les marins joyeux, +Debout sur les haubans ou montés sur les vergues +D'où flottait un pavois de drapeaux et d'exergues, +Quand le coup de canon de partance roula, +Entonnèrent en chœur l'Ave maris stella ; +Et les vaisseaux, penchant leurs mâts aux mille flammes, +Plongèrent à la fois dans l'écume des lames. + +La mer étant fort belle et le nord des plus frais, +Leur voyage fut prompt, et sans souffrir d'arrêts +Ou pour cause d'aiguade ou pour raison d'escale, +Courant allégrement par la mer tropicale, +Pizarre saluait avec un mâle orgueil, +Comme d'anciens amis, chaque anse et chaque écueil. +Bientôt il vit, vainqueur des courants et des calmes, +Monter à l'horizon les verts bouquets de palmes +Qui signalent de loin le golfe, et débarquant, +Aux portes de Tumbez il vint planter son camp. +Là, s'abouchant avec les Caciques des villes, +Il apprit que l'horreur des discordes civiles +Avait ensanglanté l'Empire du Soleil ; +Que l'orgueilleux bâtard Atahuallpa, pareil +À la foudre, rasant villes et territoires, +Avait conquis, après de rapides victoires, +Cuzco, nombril du monde, où les Rois, ses aïeux, +Dieux eux-mêmes, siégeaient parmi les anciens Dieux, +Et qu'il avait courbé sous le joug de l'épée +La terre de Manco sur son frère usurpée. + +Aussitôt, s'éloignant de la côte à grands pas, +À travers le désert sablonneux des pampas, +Tout joyeux de mener au but ses vieilles bandes, +Pizarre commença d'escalader les Andes. + +De plateaux en plateaux, de talus en talus, +De l'aube au soir allant jusqu'à n'en pouvoir plus, +Ils montaient, assaillis de funèbres présages. +Rien n'animait l'ennui des mornes paysages. +Seul, parfois, ils voyaient miroiter au lointain +Dans sa vasque de pierre un lac couleur d'étain. +Sous un ciel tour à tour glacial et torride, +Harassés et tirant leurs chevaux par la bride, +Ils plongeaient aux ravins ou grimpaient aux sommets ; +La montagne semblait prolonger à jamais, +Comme pour épuiser leur marche errante et lasse, +Ses gorges de granit et ses crêtes de glace. +Une étrange terreur planait sur la sierra +Et plus d'un vieux routier dont le cœur se serra +Pour la première fois y connut l'épouvante. +La terre sous leurs pas, convulsive et mouvante, +Avec un sourd fracas se fendait, et le vent, +Au milieu des éclats de foudre, soulevant +Des tourmentes de neige et des trombes de grêles, +Se lamentait avec des voix surnaturelles. +Et roidis, aveuglés, éperdus, les soldats, +Cramponnés aux rebotds à pic des quebradas, +Sentaient sous leurs pieds lourds fuir le chemin qui glisse. +Sur leurs fronts la montagne était abrupte et lisse, +Et plus bas, ils voyaient dans leurs lits trop étroits, +Rebondissant le long des bruyantes parois, +Aux pointes des rochers qu'un rouge éclair allume, +Se briser les torrents en poussière d'écume. +Le vertige, plus haut, les gagna. Les poumons +Saignaient en aspirant l'air trop subtil des monts, +Et le froid de la nuit gelait la triste troupe. +Tandis que les chevaux, tournant en rond leur croupe, +L'un sur l'autre appuyés, broutaient un chaume ras, +Les soldats, violant les tombeaux Aymaras, +En arrachaient les morts cousus adns leurs suaires +Et faisaient des grands feux avec ces ossuaires. + +Pizarre seul n'était pas même fatigué. +Après avoir passé vingt rivières à gué, +Traversé des pays sans hameaux ni peuplade, +Souffert le froid, la faim, et tenté l'escalade +Des monts les plus affreux que l'homme ait mesurés, +D'un regard, d'une voix et d'un geste assurés, +Au cœur des moints hardis il soufflait son courage ; +Car il voyait, terrible et somptueux mirage, +Au feu de son désir briller Caxamarca. + +Enfin, cinq mois après le jour qu'il débarqua, +Les pics de la sierra lui tenant lieu de phare, +Il entra, les clairons sonnant tous leur fanfare, +À grand bruit de tambours et la bannière au vent, +Sur les derniers plateaux, et poussant en avant, +Sans laisser aux soltats le temps de prendre haleine, +En hâte, il dévala le chemin de la plaine. + +Au nombre de cent six marchaient les gens de pied. +L'histoire a dédaigné ces braves, mais il sied +De nommer par leur nom, qu'il soit noble ou vulgaire, +Tous ceux qui furent chefs en cette illustre guerre +Et de dire la race et le poil des chevaux, +Ne pouvant, au récit de leurs communs traveaux, +Ranger en même lieu que des bêtes de somme +Ces vaillants serviteurs de tout bon gentilhomme. + +Voici. Soixante et deux cavaliers hidalgos +Chevauchent, par le sang et la bravoure égaux, +Autour des plis d'azur de la royale enseigne +Où près du château d'or le pal de gueules saigne +Et que brandit, suivant le chroniqueur Xerez, +Le fougueux Gabriel de Rojas, l'alferez, +Dont le pourpoint de cuir brodé de cannetilles +Est gaufré du royal écu des deux Castilles, +Et qui porte à sa toque en velours d'Aragon +Un saint Michel d'argent terrassant le dragon. +Sa main ferme retient ce fameux cheval pie +Qui s'illustra depuis sous Carbajal l'Impie ; +Cet andalou de race arabe, et mal dompté, +Qui mâche en se cabrant son mors ensanglanté +Et de son dur sabot fait jaillir l'étincelle, +Peut dépasser, ayant son cavalier en selle, +Le trait le plus vibrant que saurait décocher +Du nerf le mieux tendu le plus vaillant archer. + +À l'entour de l'enseigne en bon ordre se groupe, +Poudroyant au soleil, tout le gros de la troupe : +C'est Juan de la Torre ; Christobal Peralta, +Dont la devise est fière : Ad summum per alta ; +Le borgne Domingo de Serra-Luce ; Alonze +De Molina, très brun sous son casque de bronze ; +Et François de Cuellar, gentilhomme andalous, +Qui chassait les Indiens comme on force des loups ; +Et Mena qui, parmi les seigneurs de Valence, +Était en haut renom pour manier la lance. +Ils s'alignent, réglant le pas de leurs chevaux +D'après le train suivi par leurs deux chefs rivaux, +Del Barco qui, fameux chercheur de terres neuves, +Avec Orellana descendit les grands fleuves, +Et Juan de Salcedo qui, fils d'un noble sang, +Quoique sans barbe encor, galope au premier rang. + +Tatatatatata tatatatata tie +Tatatatatata tatatata tatie + +Derrière, tous marris de marcher sur leurs pieds, +Viennent les démontés et les estropiés. +Juan Forès pique en vain d'un carreau d'arbalète +Un vieux rouan fourbu qui bronche et qui halète ; +Ribera l'accompagne, et laisse à l'abandon +Errer distraitement la bride et le bridon +Au col de son bai-brun qui boite d'un air morne, +S'étant, faute de fers, usé toute la corne. +Avec ces pauvres gens marche don Pèdre Alcon, +Lequel en son écu porte d'or au faucon +De sable, grilleté, chaperonné de gueules ; +Ce vieux seigneur jadis avait tourné les meules +Dans Grenade, du temps qu'il était prisonnier +Des mécréants. Ce fout un bon pertuisanier. + +Sous cette brave escorte, au trot de leurs deux mules +Fort pacifiquement s'en font les deux émules : +Requelme, le premier, comme bon Contador, +Reste silencieux, car le silence est d'or ; +Quant au licencié Gil Tellez, le Notaire, +Il dresse en son esprit le futur inventaire, +Tout prêt à prélever, au taux juste et légal, +La part des Cavaliers, après le Quint Royal. + +Or, quelques fourrageurs restés sur les derrières, +Pour rejoindre leurs rangs, malgré les fondrières, +À leurs chevaux lancés ayant rendu la main, +Et bravant le vertige et brûlant le chemin, +Par la montagne à pic descendaient ventre à terre. +Leur galop furieux fait un bruit de tonnerre. +Les voici : bride aux dents, le sang aux éperons, +Dans la foule effarée, au milieu des jurons, +Du tumulte, des cris, des appels à l'Alcade, +Ils débouchent. Le chef de cette cavalcade, +Qui, d'aspect arrogant et vêtu de brocart, +Tandis que son cheval fait un terrible écart, +Salue Alvar de Paz qui devant lui se range, +En balayant la terre avec sa plume orange, +N'est autre que Fernan, l'aîné, le plus hautain +Des Pizarre, suivi de Juan, et de Martin +Qu'on dit d'Alcantara, leur frère par le ventre. +Briceño qui, depuis, se fit clerc et fut chantre +À Lima, n'étant pas très habile écuyer, +Dans cette course folle a perdu l'étrier, +Et, voyant ses amis déjà loin, se dépêche +Et pique sa jument couleur de fleur de pêche. +Le brave Antonio galope à son côté ; +Il porte avec orgueil sa noble pauvreté, +Car, s'il a pour tout bien l'épée et la rondache, +Son cimier héraldique est ceint de feuilles d'ache +Qui couronnent l'écu des ducs de Carrion. + +Ils passent, soulevant un poudreux tourbillon. + +À leurs cris, un seigneur, de ceux de l'avant-garde, +S'arrête, et, retournant son cheval, les regarde. +Il monte un genet blanc dont le caparaçon +Est rouge, et pour mieux voir se penche sur l'arçon. +C'est le futur vainqueur de Popayan. Sa taille +Est faite pour vêtir le harnois de bataille. +Beau comme un Galaor et fier comme un César, +Il marche en tête, ayant pour nom Benalcazar. +Près d'Oreste voici venir le bon Pylade : +Très basané, le chef coiffé de la salade, +Il rêve, enveloppé dans son large manteau ; +C'est le vaillant soldat Hernando de Soto +Qui, rude explorateur de la zone torride, +Découvrira plus tard l'éclatante Floride +Et le père des eaux, le vieux Meschacébé. +Cet autre qui, casqué d'un morion bombé, +Boucle au cuir du jambard la lourde pertuisane +En flattant de la voix sa jument alezane, +C'est l'aventurier grec Pedro de Candia, +Lequel ayant brûlé dix villes, dédia, +Pour expier ces feux, dix lampes à la Vierge. +Il regarde, au sommet dangereux de la berge, +Caracoler l'ardent Gonzalo Pizarro, +Qui depuis, à Lima, par la main du bourreau, +Ainsi que Carbajal, eut la tête branchée +Sur le gibet, après qu'elle eut été tranchée +Aux yeux des Cavaliers qui, séduits par son nom, +Dans Cuzco révolté haussèrent son pennon. +Mais lui, bien qu'à son roi déloyal et rebelle, +Étant bon hidalgo, fit une mort très belle. + +À quelques pas, l'épée et le rosaire au flanc, +Portant sur les longs plis de son vêtement blanc +Un scapulaire noir par-dessus le cilice +Dont il meurtrit sa chair et dompte sa malice, +Chevauche saintement l'ennemi des faux dieux, +Le très savant et très miséricordieux +Moine dominicain fray Vincent de Valverde +Qui, tremblant qu'à jamais leur âme ne se perde +Et pour l'éternité ne brûle dans l'Enfer, +Fit périr des milliers de païens par le fer +Et les auto-da-fés et la hache et la corde, +Confiant que Jésus, en sa miséricorde, +Doux rémunérateur de son pieux dessein, +Recevrait ces martyrs ignorants dans son sein. + +Enfin, les précédant de dix longueurs de vare, +Et le premier de tous, marche François Pizarre. + +Sa cape, dont le vent a dérangé les plis, +Laisse entrevoir la cotte et les brassards polis ; +Car, seul parmi ces gens, pourtant de forte race, +Qui tous avaient quitté l'acier pour la cuirasse +De coton, il gardait, sous l'ardeur du Cancer, +Sans en paraître las, son vêtement de fer. + +Son barbe cordouan, rétif, faisait des voltes +Et hennissait ; et lui, châtiant ces révoltes, +Laissait parfois sonner contre ses flancs trop prompts +Les molettes d'argent de ses lourds éperons, +Mais sans plus s'émouvoir qu'un cavalier de pierre, +Immobile, et dardant de sa sombre paupière +L'insoutenable éclat de ses yeux de gerfaut. + +Son cœur aussi portait l'armure sans défaut +Qui sied aux conquérants, et, simple capitaine, +Il caressait déjà dans son âme hautaine +L'espoir vertigineux de faire, tôt ou tard, +Un manteau d'Empereur des langes du bâtard. diff --git a/plint/test_data/heredia_les_trophees_les_conquerants_de_lor.tpl b/plint/test_data/heredia_les_trophees_les_conquerants_de_lor.tpl @@ -0,0 +1,5 @@ +! diaeresis:permissive +6/6 A !X +6/6 A !X +6/6 B !x +6/6 B !x