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Author: Antoine Amarilli <a3nm@a3nm.net>
Date: Tue, 13 Aug 2019 01:54:39 +0200
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+N’en doute plus, mon cœur, un amant hypocrite
+
+Feignant de m’adorer, brûle pour Hippolyte :
+
+Dorise m’en a dit le secret rendez-vous
+
+Où leur naissante ardeur se cache aux yeux de tous ;
+
+Et pour les y surprendre elle m’y doit conduire,
+
+Sitôt que le soleil commencera de luire.
+
+Mais qu’elle est paresseuse à me venir trouver !
+
+La dormeuse m’oublie, et ne se peut lever.
+
+Toutefois, sans raison J’accuse sa paresse :
+
+La nuit, qui dure encor, fait que rien ne la presse :
+
+Ma jalouse fureur, mon dépit, mon amour,
+
+Ont troublé mon repos avant le point du jour :
+
+Mais elle, qui n’en fait aucune expérience,
+
+Etant sans intérêt, est sans impatience.
+
+Toi qui fais ma douleur, et qui fis mon souci,
+
+Ne tarde plus, volage, à te montrer ici ;
+
+Viens en hâte affermir ton indigne victoire ;
+
+Viens t’assurer l’éclat de cette infâme gloire ;
+
+Viens signaler ton nom par ton manque de foi.
+
+Le jour s’en va paraître ; affronteur, hâte-toi.
+
+Mais, hélas ! cher ingrat, adorable parjure,
+
+Ma timide voix tremble à te dire une injure ;
+
+Si j’écoute l’amour, il devient si puissant,
+
+Qu’en dépit de Dorise il te fait innocent :
+
+Je ne sais lequel croire, et j’aime tant ce doute,
+
+Que j’ai peur d’en sortir entrant dans cette route.
+
+Je crains ce que je cherche, et je ne connais pas
+
+De plus grand heur pour moi que d’y perdre mes pas.
+
+Ah, mes yeux ! si jamais vos fonctions propices
+
+À mon cœur amoureux firent de bons services,
+
+Apprenez aujourd’hui quel est votre devoir :
+
+Le moyen de me plaire est de me décevoir ;
+
+Si vous ne m’abusez, si vous n’êtes faussaires,
+
+Vous êtes de mon heur les cruels adversaires.
+
+Et toi, soleil, qui vas, en ramenant le jour,
+
+Dissiper une erreur si chère à mon amour,
+
+Puisqu’il faut qu’avec toi ce que je crains éclate,
+
+Souffre qu’encore un peu l’ignorance me flatte.
+
+Mais je te parle en vain, et l’aube, de ses rais,
+
+A déjà reblanchi le haut de ces forêts.
+
+Si je puis me fier à sa lumière sombre,
+
+Dont l’éclat brille à peine et dispute avec l’ombre,
+
+J’entrevois le sujet de mon jaloux ennui,
+
+Et quelqu’un de ses gens qui conteste avec lui.
+
+Rentre, pauvre abusée, et cache-toi de sorte
+
+Que tu puisses l’entendre à travers cette porte.
+
+Ce devoir, ou plutôt cette importunité,
+
+Au lieu de m’assurer de ta fidélité,
+
+Marque trop clairement ton peu d’obéissance.
+
+Laisse-moi seul, Lysarque, une heure en ma puissance ;
+
+Que retiré du monde et du bruit de la cour,
+
+Je puisse dans ces bois consulter mon amour ;
+
+Que là Caliste seule occupe mes pensées,
+
+Et par le souvenir de ses faveurs passées,
+
+Assure mon espoir de celles que j’attends ;
+
+Qu’un entretien rêveur durant ce peu de temps
+
+M’instruise des moyens de plaire à cette belle,
+
+Allume dans mon cœur de nouveaux feux pour elle :
+
+Enfin, sans persister dans l’obstination,
+
+Laisse-moi suivre ici mon inclination.
+
+Cette inclination, qui jusqu’ici vous mène,
+
+À me la déguiser vous donne trop de peine.
+
+Il ne faut point, monsieur, beaucoup l’examiner :
+
+L’heure et le lieu suspects font assez deviner
+
+Qu’en même temps que vous s’échappe quelque dame…
+
+Vous m’entendez assez. Juge mieux de ma flamme,
+
+Et ne présume point que je manque de foi
+
+À celle que j’adore, et qui brûle pour moi.
+
+J’aime mieux contenter ton humeur curieuse,
+
+Qui par ces faux soupçons m’est trop injurieuse.
+
+Tant s’en faut que le change ait pour moi des appas,
+
+Tant s’en faut qu’en ces bois il attire mes pas :
+
+J’y vais… Mais pourrais-tu le savoir et le taire ?
+
+Qu’ai-je fait qui vous porte à craindre le contraire ?
+
+Tu vas apprendre tout ; mais aussi, l’ayant su,
+
+Avise à ta retraite. Hier, un cartel reçu
+
+De la part d’un rival… Vous le nommez ? Clitandre.
+
+Au pied du grand rocher il me doit seul attendre ;
+
+Et là, l’épée au poing, nous verrons qui des deux
+
+Mérite d’embraser Caliste de ses feux
+
+De sorte qu’un second… Sans me faire une offense,
+
+Ne peut se présenter à prendre ma défense :
+
+Nous devons seul à seul vider notre débat.
+
+Ne pensez pas sans moi terminer ce combat :
+
+L’écuyer de Clitandre est homme de courage,
+
+Il sera trop heureux que mon défi l’engage
+
+À s’acquitter vers lui d’un semblable devoir,
+
+Et je vais de ce pas y faire mon pouvoir.
+
+Ta volonté suffit ; va-t’en donc, et désiste
+
+De plus m’offrir une aide à mériter Caliste.
+
+Vous obéir ici me coûterait trop cher,
+
+Et je serais honteux qu’on me pût reprocher
+
+D’avoir su le sujet d’une telle sortie,
+
+Sans trouver les moyens d’être de la partie.
+
+Qu’il s’en est bien défait ! qu’avec dextérité
+
+Le fourbe se prévaut de son autorité !
+
+Qu’il trouve un beau prétexte en ses flammes éteintes !
+
+Et que mon nom lui sert à colorer ses feintes !
+
+Il y va cependant, le perfide qu’il est !
+
+Hippolyte le charme, Hippolyte lui plaît ;
+
+Et ses lâches désirs l’emportent où l’appelle
+
+Le cartel amoureux de sa flamme nouvelle.
+
+Je n’en puis plus douter, mon feu désabusé
+
+Ne tient plus le parti de ce cœur déguisé.
+
+Allons, ma chère sœur, allons à la vengeance,
+
+Allons de ses douceurs tirer quelque allégeance ;
+
+Allons, et sans te mettre en peine de m’aider,
+
+Ne prends aucun souci que de me regarder.
+
+Pour en venir à bout, il suffit de ma rage ;
+
+D’elle j’aurai la force ainsi que le courage ;
+
+Et déjà, dépouillant tout naturel humain,
+
+Je laisse à ses transports à gouverner ma main.
+
+Vois-tu comme, suivant de si furieux guides,
+
+Elle cherche déjà les yeux de ces perfides,
+
+Et comme de fureur tous mes sens animés
+
+Menacent les appas qui les avaient charmés ?
+
+Modère ces bouillons d’une âme colérée,
+
+Ils sont trop violents pour être de durée ;
+
+Pour faire quelque mal, c’est frapper de trop loin.
+
+Réserve ton courroux tout entier au besoin ;
+
+Sa plus forte chaleur se dissipe en paroles,
+
+Ses résolutions en deviennent plus molles :
+
+En lui donnant de l’air, son ardeur s’alentit.
+
+Ce n’est que faute d’air que le feu s’amortit.
+
+Allons, et tu verras qu’ainsi le mien s’allume,
+
+Que ma douleur aigrie en a plus d’a mertume,
+
+Et qu’ainsi mon esprit ne fait que s’exciter
+
+À ce que ma colère a droit d’exécuter.
+
+Si ma ruse est enfin de son effet suivie,
+
+Cette aveugle chaleur te va coûter la vie :
+
+Un fer caché me donne en ces lieux écartés
+
+La vengeance des maux que me font tes beautés.
+
+Tu m’ôtes Rosidor, tu possèdes son âme :
+
+Il n’a d’yeux que pour toi, que mépris pour ma flamme ;
+
+Mais puisque tous mes soins ne le peuvent gagner,
+
+J’en punirai l’objet qui m’en fait dédaigner.
+
+En ce déguisement on ne peut nous connaître,
+
+Et sans doute bientôt le jour qui vient de naître
+
+Conduira Rosidor, séduit d’un faux cartel,
+
+Aux lieux où cette main lui garde un coup mortel.
+
+Vos vœux, si mal reçus de l’ingrate Dorise,
+
+Qui l’idolâtre autant comme elle vous méprise,
+
+Ne rencontreront plus aucun empêchement.
+
+Mais je m’étonne fort de son aveuglement,
+
+Et je ne comprends point cet orgueilleux caprice
+
+Qui fait qu’elle vous traite avec tant d’injustice.
+
+Vos rares qualités… Au lieu de me flatter,
+
+Voyons si le projet ne saurait avorter,
+
+Si la supercherie… Elle est si bien tissue,
+
+Qu’il faut manquer de sens pour douter de l’issue.
+
+Clitandre aime Caliste, et comme son rival,
+
+Il a trop de sujet de lui vouloir du mal.
+
+Moi que depuis dix ans il tient à son service,
+
+D’écrire comme lui j’ai trouvé l’artifice ;
+
+Si bien que ce cartel, quoique tout de ma main,
+
+À son dépit jaloux s’imputera soudain.
+
+Que ton subtil esprit a de grands avantages !
+
+Mais le nom du porteur ? Lycaste, un de ses pages.
+
+Celui qui fait le guet auprès du rendez-vous ?
+
+Lui-même, et le voici qui s’avance vers nous :
+
+À force de courir il s’est mis hors d’haleine.
+
+Eh bien ! est-il venu ? N’en soyez plus en peine ;
+
+Il est où vous savez, et tout bouffi d’orgueil,
+
+Il n’y pense à rien moins qu’à son propre cercueil.
+
+Ne perdons point de temps. Nos masques, nos épées !
+
+Qu’il me tarde déjà que, dans son sang trempées,
+
+Elles ne me font voir à mes pieds étendu
+
+Le seul qui sert d’obstacle au bonheur qui m’est dû !
+
+Ah ! qu’il va bien trouver d’autres gens que Clitandre !
+
+Mais pourquoi ces habits ? qui te les fait reprendre ?
+
+Pour notre sûreté, portons-les avec nous,
+
+De peur que, cependant que nous serons aux coups,
+
+Quelque maraud, conduit par sa bonne aventure,
+
+Ne nous laisse tous trois en mauvaise posture.
+
+Quand il faudra donner, sans les perdre des yeux,
+
+Au pied du premier arbre ils seront beaucoup mieux.
+
+Prends-en donc même soin après la chose faite.
+
+Ne craignez pas sans eux que je fasse retraite.
+
+Sus donc ! chacun déjà devrait être masqué.
+
+Allons, qu’il tombe mort aussitôt qu’attaqué.
+
+Réserve à d’autres temps cette ardeur de courage
+
+Qui rend de ta valeur un si grand témoignage.
+
+Ce duel que tu dis ne se peut concevoir.
+
+Tu parles de Clitandre, et je viens de le voir
+
+Que notre jeune prince enlevait à la chasse.
+
+Tu les as vus passer ? Par cette même place.
+
+Sans doute que ton maître a quelque occasion
+
+Qui le fait t’éblouir par cette illusion.
+
+Non, il parlait du cœur ; je connais sa franchise.
+
+S’il est ainsi, je crains que par quelque surprise
+
+Ce généreux guerrier, sous le nombre abattu,
+
+Ne cède aux envieux que lui fait sa vertu.
+
+À présent il n’a point d’ennemis que je sache ;
+
+Mais, quelque événement que le destin nous cache,
+
+Si tu veux m’obliger, viens, de grâce, avec moi,
+
+Que nous donnions ensemble avis de tout au roi.
+
+Ma sœur, l’heure s’avance, et nous serons à peine,
+
+Si nous ne retournons, au lever de la reine.
+
+Je ne vois point mon traître, Hippolyte non plus.
+
+Voici qui va trancher tes soucis superflus ;
+
+Voici dont je vais rendre, aux dépens de ta vie,
+
+Et ma flamme vengée, et ma haine assouvie.
+
+Tout beau, tout beau, ma sœur, tu veux m’épouvanter ;
+
+Mais je te connais trop pour m’en inquiéter,
+
+Laisse la feinte à part, et mettons, je te prie,
+
+À les trouver bientôt toute notre industrie.
+
+Va, va, ne songe plus à leurs fausses amours,
+
+Dont le récit n’était qu’une embûche à tes jours :
+
+Rosidor t’est fidèle, et cette feinte amante
+
+Brûle aussi peu pour lui que je fais pour Pymante.
+
+Déloyale ! ainsi donc ton courage inhumain…
+
+Ces injures en l’air n’arrêtent point ma main.
+
+Le reproche honteux d’une action si noire…
+
+Qui se venge en secret, en secret en fait gloire.
+
+T’ai-je donc pu, ma sœur, déplaire en quelque point ?
+
+Oui, puisque Rosidor t’aime et ne m’aime point ;
+
+C’est assez m’offenser que d’être ma rivale.
+
+Meurs, brigand ! Ah, malheur ! cette branche fatale
+
+A rompu mon épée. Assassins… Toutefois,
+
+J’ai de quoi me défendre une seconde fois.
+
+N’est-ce pas Rosidor qui m’arrache les armes ?
+
+Ah ! qu’il me va causer de périls et de larmes !
+
+Fuis, Dorise, et fuyant laisse-toi reprocher
+
+Que tu fuis aujourd’hui ce qui t’est le plus cher.
+
+C’est lui-même de vrai. Rosidor ! Ah ! je pâme,
+
+Et la peur de sa mort ne me laisse point d’âme.
+
+Adieu, mon cher espoir. Celui-ci dépêché,
+
+C’est de toi maintenant que j’aurai bon marché.
+
+Nous sommes seul à seul. Quoi ! ton peu d’assurance
+
+Ne met plus qu’en tes pieds sa dernière espérance ?
+
+Marche sans emprunter d’ailes de ton effroi :
+
+Je ne cours point après des lâches comme toi.
+
+Il suffit de ces deux. Mais qui pourraient-ils être ?
+
+Ah, ciel ! le masque ôté me les fait trop connaître !
+
+Le seul Clitandre arma contre moi ces voleurs ;
+
+Celui-ci fut toujours vêtu de ses couleurs ;
+
+Voilà son écuyer, dont la pâleur exprime
+
+Moins de traits de la mort que d’horreurs de son crime.
+
+Et ces deux reconnus, je douterais en vain
+
+De celui que sa fuite a sauvé de ma main.
+
+Trop indigne rival, crois-tu que ton absence
+
+Donne à tes lâchetés quelque ombre d’innocence,
+
+Et qu’après avoir vu renverser ton dessein,
+
+Un désaveu démente et tes gens et ton seing ?
+
+Ne le présume pas ; sans autre conjecture.
+
+Je te rends convaincu de ta seule écriture,
+
+Sitôt que j’aurai pu faire ma plainte au roi.
+
+Mais quel piteux objet se vient offrir à moi ?
+
+Traîtres, auriez-vous fait sur un si beau visage,
+
+Attendant Rosidor, l’essai de votre rage ?
+
+C’est Caliste elle-même ! Ah, dieux, injustes dieux !
+
+Ainsi donc, pour montrer ce spectacle à mes yeux,
+
+Votre faveur barbare a conservé ma vie !
+
+Je n’en veux point chercher d’auteurs que votre envie :
+
+La nature, qui perd ce qu’elle a de parfait,
+
+Sur tout autre que vous eût vengé ce forfait,
+
+Et vous eût accablés, si vous n’étiez ses maîtres.
+
+Vous m’envoyez en vain ce fer contre des traîtres.
+
+Je ne veux point devoir mes déplorables jours
+
+À l’affreuse rigueur d’un si fatal secours.
+
+O vous qui me restez d’une troupe ennemie
+
+Pour marques de ma gloire et de son infamie,
+
+Blessures, hâtez-vous d’élargir vos canaux,
+
+Par où mon sang emporte et ma vie et mes maux !
+
+Ah ! pour l’être trop peu, blessures trop cruelles,
+
+De peur de m’obliger vous n’êtes pas mortelles.
+
+Eh quoi ! ce bel objet, mon aimable vainqueur,
+
+Avait-il seul le droit de me blesser au cœur ?
+
+Et d’où vient que la mort, à qui tout fait hommage,
+
+L’ayant si mal traité, respecte son image ?
+
+Noires divinités, qui tournez mon fuseau,
+
+Vous faut-il tant prier pour un coup de ciseau ?
+
+Insensé que je suis ! en ce malheur extrême,
+
+Je demande la mort à d’autres qu’à moi-même ;
+
+Aveugle ! je m’arrête à supplier en vain,
+
+Et pour me contenter j’ai de quoi dans la main.
+
+Il faut rendre ma vie au fer qui l’a sauvée ;
+
+C’est à lui qu’elle est due, il se l’est réservée ;
+
+Et l’honneur, quel qu’il soit, de finir mes malheurs,
+
+C’est pour me le donner qu’il l’ôte à des voleurs.
+
+Poussons donc hardiment. Mais, hélas ! cette épée
+
+Coulant entre mes doigts, laisse ma main trompée ;
+
+Et sa lame, timide à procurer mon bien,
+
+Au sang des assassins n’ose mêler le mien.
+
+Ma faiblesse importune à mon trépas s’oppose ;
+
+En vain je m’y résous, en vain je m’y dispose ;
+
+Mon reste de vigueur ne peut l’effectuer ;
+
+J’en ai trop pour mourir, trop peu pour me tuer :
+
+L’un me manque au besoin, et l’autre me résiste.
+
+Mais je vois s’entr’ouvrir les beaux yeux de Caliste,
+
+Les roses de son teint n’ont plus tant de pâleur,
+
+Et j’entends un soupir qui flatte ma douleur.
+
+Voyez, dieux inhumains, que, malgré votre envie,
+
+L’amour lui sait donner la moitié de ma vie,
+
+Qu’une âme désormais suffit à deux amants.
+
+Hélas ! qui me rappelle à de nouveaux tourments ?
+
+Si Rosidor n’est plus, pourquoi reviens-je au monde ?
+
+O merveilleux effet d’une amour sans seconde !
+
+Exécrable assassin qui rougis de son sang,
+
+Dépêche comme à lui de me percer le flanc,
+
+Prends de lui ce qui reste. Adorable cruelle,
+
+Est-ce ainsi qu’on reçoit un amant si fidèle ?
+
+Ne m’en fais point un crime ; encor pleine d’effroi,
+
+Je ne t’ai méconnu qu’en songeant trop à toi.
+
+J’avais si bien gravé là-dedans ton image,
+
+Qu’elle ne voulait pas céder à ton visage.
+
+Mon esprit, glorieux et jaloux de l’avoir,
+
+Enviait à mes yeux le bonheur de te voir.
+
+Mais quel secours propice a trompé mes alarmes ?
+
+Contre tant d’assassins qui t’a prêté des armes ?
+
+Toi-même, qui t’a mise à telle heure en ces lieux,
+
+Où je te vois mourir et revivre à mes yeux ?
+
+Quand l’amour une fois règne sur un courage…
+
+Mais tâchons de gagner jusqu’au premier village,
+
+Où ces bouillons de sang se puissent arrêter ;
+
+Là, j’aurai tout loisir de te le raconter,
+
+Aux charges qu’à mon tour aussi l’on m’entretienne.
+
+Allons ; ma volonté n’a de loi que la tienne ;
+
+Et l’amour, par tes yeux devenu tout-puissant,
+
+Rend déjà la vigueur à mon corps languissant.
+
+Il donne en même temps une aide à ta faiblesse,
+
+Puisqu’il fait que la mienne auprès de toi me laisse,
+
+Et qu’en dépit du sort ta Caliste aujourd’hui
+
+À tes pas chancelants pourra servir d’appui.
+
+Destins, qui réglez tout au gré de vos caprices,
+
+Sur moi donc tout à coup fondent vos injustices,
+
+Et trouvent à leurs traits si longtemps retenus,
+
+Afin de mieux frapper, des chemins inconnus ?
+
+Dites, que vous ont fait Rosidor ou Pymante ?
+
+Fournissez de raison, destins, qui me démente ;
+
+Dites ce qu’ils ont fait qui vous puisse émouvoir
+
+À partager si mal entre eux votre pouvoir ?
+
+Lui rendre contre moi l’impossible possible
+
+Pour rompre le succès d’un dessein infaillible,
+
+C’est prêter un miracle à son bras sans secours,
+
+Pour conserver son sang au péril de mes jours.
+
+Trois ont fondu sur lui sans le jeter en fuite ;
+
+À peine en m’y jetant moi-même je l’évite ;
+
+Loin de laisser la vie, il a su l’arracher ;
+
+Loin de céder au nombre, il l’a su retrancher :
+
+Toute votre faveur, à son aide occupée,
+
+Trouve à le mieux armer en rompant son épée,
+
+Et ressaisit ses mains, par celles du hasard,
+
+L’une d’une autre épée, et l’autre d’un poignard.
+
+O honte ! ô déplaisirs ! ô désespoir ! ô rage !
+
+Ainsi donc un rival pris à mon avantage
+
+Ne tombe dans mes rets que pour les déchirer !
+
+Son bonheur qui me brave ose l’en retirer,
+
+Lui donne sur mes gens une prompte victoire,
+
+Et fait de son péril un sujet de sa gloire !
+
+Retournons animés d’un courage plus fort,
+
+Retournons, et du moins perdons-nous dans sa mort.
+
+Sortez de vos cachots, infernales Furies ;
+
+Apportez à m’aider toutes vos barbaries ;
+
+Qu’avec vous tout l’enfer m’aide en ce noir dessein
+
+Qu’un sanglant désespoir me verse dans le sein.
+
+J’avais de point en point l’entreprise tramée,
+
+Comme dans mon esprit vous me l’aviez formée ;
+
+Mais contre Rosidor tout le pouvoir humain
+
+N’a que de la faiblesse ; il y faut votre main.
+
+En vain, cruelles sœurs, ma fureur vous appelle ;
+
+En vain vous armeriez l’enfer pour ma querelle :
+
+La terre vous refuse un passage à sortir.
+
+Ouvre du moins ton sein, terre, pour m’engloutir ;
+
+N’attends pas que Mercure avec son caducée
+
+M’en fasse après ma mort l’ouverture forcée ;
+
+N’attends pas qu’un supplice, hélas ! trop mérité,
+
+Ajoute l’infamie à tant de lâcheté ;
+
+Préviens-en la rigueur ; rends toi-même justice
+
+Aux projets avortés d’un si noir artifice.
+
+Mes cris s’en vont en l’air, et s’y perdent sans fruit.
+
+Dedans mon désespoir, tout me fuit ou me nuit :
+
+La terre n’entend point la douleur qui me presse ;
+
+Le ciel me persécute, et l’enfer me délaisse.
+
+Affronte-les, Pymante, et sauve en dépit d’eux
+
+Ta vie et ton honneur d’un pas si dangereux.
+
+Si quelque espoir te reste, il n’est plus qu’en toi-même ;
+
+Et, si tu veux t’aider, ton mal n’est pas extrême.
+
+Passe pour villageois dans un lieu si fatal ;
+
+Et réservant ailleurs la mort de ton rival,
+
+Fais que d’un même habit la trompeuse apparence
+
+Qui le mit en péril, te mette en assurance.
+
+Mais ce masque l’empêche, et me vient reprocher
+
+Un crime qu’il découvre au lieu de me cacher.
+
+Ce damnable instrument de mon traître artifice,
+
+Après mon coup manqué, n’en est plus que l’indice,
+
+Et ce fer qui tantôt, inutile en ma main,
+
+Que ma fureur jalouse avait armée en vain,
+
+Sut si mal attaquer et plus mal me défendre,
+
+N’est propre désormais qu’à me faire surprendre.
+
+Allez, témoins honteux de mes lâches forfaits,
+
+N’en produisez non plus de soupçons que d’effets.
+
+Ainsi n’ayant plus rien qui démente ma feinte,
+
+Dedans cette forêt je marcherai sans crainte,
+
+Tant que… Mon grand ami ! Monsieur ? Viens çà ; dis-nous,
+
+N’as-tu point ici vu deux cavaliers aux coups ?
+
+Non, monsieur. Ou l’un d’eux se sauver à la fuite ?
+
+Non, monsieur. Ni passer dedans ces bois sans suite ?
+
+Attendez, il y peut avoir quelque huit jours…
+
+Je parle d’aujourd’hui : laisse là ces discours ;
+
+Réponds précisément. Pour aujourd’hui, je pense…
+
+Toutefois, si la chose était de conséquence,
+
+Dans le prochain village on saurait aisément…
+
+Donnons jusques au lieu, c’est trop d’amusement.
+
+Ce départ favorable enfin me rend la vie
+
+Que tant de questions m’avaient presque ravie.
+
+Cette troupe d’archers aveugles en ce point,
+
+Trouve ce qu’elle cherche et ne s’en saisit point ;
+
+Bien que leur conducteur donne assez à connaître
+
+Qu’ils vont pour arrêter l’ennemi de son maître,
+
+J’échappe néanmoins en ce pas hasardeux
+
+D’aussi près de la mort que je me voyais d’eux.
+
+Que j’aime ce péril, dont la vaine menace
+
+Promettait un orage, et se tourne en bonace,
+
+Ce péril qui ne veut que me faire trembler,
+
+Ou plutôt qui se montre, et n’ose m’accabler !
+
+Qu’à bonne heure défait d’un masque et d’une épée,
+
+J’ai leur crédulité sous ces habits trompée !
+
+De sorte qu’à présent deux corps désanimés
+
+Termineront l’exploit de tant de gens armés,
+
+Corps qui gardent tous deux un naturel si traître,
+
+Qu’encore après leur mort ils vont trahir leur maître,
+
+Et le faire l’auteur de cette lâcheté,
+
+Pour mettre à ses dépens Pymante en sûreté !
+
+Mes habits, rencontrés sous les yeux de Lysarque,
+
+Peuvent de mes forfaits donner seuls quelque marque ;
+
+Mais s’il ne les voit pas, lors sans aucun effroi
+
+Je n’ai qu’à me ranger en hâte auprès du roi,
+
+Où je verrai tantôt avec effronterie
+
+Clitandre convaincu de ma supercherie.
+
+Cela ne suffit pas ; il faut chercher encor,
+
+Et trouver, s’il se peut, Clitandre ou Rosidor.
+
+Amis, Sa Majesté, par ma bouche avertie
+
+Des soupçons que j’avais touchant cette partie,
+
+Voudra savoir au vrai ce qu’ils sont devenus.
+
+Pourrait-elle en douter ? Ces deux corps reconnus
+
+Font trop voir le succès de toute l’entreprise.
+
+Et qu’en présumes-tu ? Que malgré leur surprise,
+
+Leur nombre avantageux, et leur déguisement,
+
+Rosidor de leurs mains se tire heureusement,
+
+Ce n’est qu’en me flattant que tu te le figures ;
+
+Pour moi, je n’en conçois que de mauvais augures,
+
+Et présume plutôt que son bras valeureux
+
+Avant que de mourir s’est immolé ces deux.
+
+Mais où serait son corps ? Au creux de quelque roche,
+
+Où les traîtres, voyant notre troupe si proche,
+
+N’auront pas eu loisir de mettre encor ceux-ci,
+
+De qui le seul aspect rend le crime éclairci.
+
+Monsieur, connaissez-vous ce fer et cette garde ?
+
+Donne-moi, que je voie. Oui, plus je les regarde,
+
+Plus j’ai par eux d’avis du déplorable sort
+
+D’un maître qui n’a pu s’en dessaisir que mort.
+
+Monsieur, avec cela j’ai vu dans cette route
+
+Des pas mêlés de sang distillé goutte à goutte.
+
+Suivons-les au hasard. Vous autres, enlevez
+
+Promptement ces deux corps que nous avons trouvés.
+
+Ce cheval trop fougueux m’incommode à la chasse ;
+
+Tiens-m’en un autre prêt, tandis qu’en cette place,
+
+À l’ombre des ormeaux l’un dans l’autre enlacés,
+
+Clitandre m’entretient de ses travaux passés.
+
+Qu’au reste, les veneurs, allant sur leurs brisées,
+
+Ne forcent pas le cerf, s’il est aux reposées ;
+
+Qu’ils prennent connaissance, et pressent mollement,
+
+Sans le donner aux chiens qu’à mon commandement.
+
+Achève maintenant l’histoire commencée
+
+De ton affection si mal récompensée.
+
+Ce récit ennuyeux de ma triste langueur,
+
+Mon prince, ne vaut pas le tirer en longueur ;
+
+J’ai tout dit en un mot : cette fière Caliste
+
+Dans ses cruels mépris incessamment persiste ;
+
+C’est toujours elle-même ; et sous sa dure loi,
+
+Tout ce qu’elle a d’orgueil se réserve pour moi.
+
+Cependant qu’un rival, ses plus chères délices,
+
+Redouble ses plaisirs en voyant mes supplices.
+
+Ou tu te plains à faux, ou, puissamment épris,
+
+Ton courage demeure insensible aux mépris ;
+
+Et je m’étonne fort comme ils n’ont dans ton âme
+
+Rétabli ta raison, ou dissipé ta flamme.
+
+Quelques charmes secrets mêlés dans ses rigueurs
+
+Etouffent en naissant la révolte des cœurs ;
+
+Et le mien auprès d’elle, à quoi qu’il se dispose,
+
+Murmurant de son mal, en adore la cause.
+
+Mais puisque son dédain, au lieu de te guérir,
+
+Ranime ton amour, qu’il dût faire mourir,
+
+Sers-toi de mon pouvoir ; en ma faveur, la reine
+
+Tient et tiendra toujours Rosidor en haleine ;
+
+Mais son commandement dans peu, si tu le veux,
+
+Te met, à ma prière, au comble de tes vœux.
+
+Avise donc ; tu sais qu’un fils peut tout sur elle.
+
+Malgré tous les mépris de cette âme cruelle,
+
+Dont un autre a charmé les inclinations,
+
+J’ai toujours du respect pour ses perfections,
+
+Et je serais marri qu’aucune violence…
+
+L’amour sur le respect emporte la balance.
+
+Je brûle ; et le bonheur de vaincre ses froideurs,
+
+Je ne le veux devoir qu’à mes vives ardeurs ;
+
+Je ne la veux gagner qu’à force de services.
+
+Tandis, tu veux donc vivre en d’éternels supplices ?
+
+Tandis, ce m’est assez qu’un riv al préféré
+
+N’obtient, non plus que moi, le succès espéré.
+
+À la longue ennuyés, la moindre négligence
+
+Pourra de leurs esprits rompre l’intelligence ;
+
+Un temps bien pris alors me donne en un moment
+
+Ce que depuis trois ans je poursuis vainement.
+
+Mon prince, trouvez bon… N’en dis pas davantage ;
+
+Celui-ci qui me vient faire quelque message,
+
+Apprendrait malgré toi l’état de tes amours.
+
+Pardonnez-moi, seigneur, si je romps vos discours ;
+
+C’est en obéissant au roi qui me l’ordonne,
+
+Et rappelle Clitandre auprès de sa personne.
+
+Qui ? Clitandre, seigneur. Et que lui veut le roi ?
+
+De semblables secrets ne s’ouvrent pas à moi.
+
+Je n’en sais que penser ; et la cause i ncertaine
+
+De ce commandement tient mon esprit en peine.
+
+Pourrai-je me résoudre à te laisser aller
+
+Sans savoir les motifs qui te font rappeler ?
+
+C’est, à mon jugement, quelque prompte entreprise,
+
+Dont l’exécution à moi seul est remise ;
+
+Mais, quoi que là-dessus j’ose m’imaginer,
+
+C’est à moi d’obéir sans rien examiner.
+
+J’y consens à regret : va, mais qu’il te souvienne
+
+Que je chéris ta vie à l’égal de la mienne ;
+
+Et si tu veux m’ôter de cette anxiété,
+
+Que j’en sache au plus tôt toute la vérité.
+
+Ce cor m’appelle. Adieu. Toute la chasse prête
+
+N’attend que ma présence à relancer la bête.
+
+Achève, malheureuse, achève de vêtir
+
+Ce que ton mauvais sort laisse à te garantir.
+
+Si de tes trahisons la jalouse impuissance
+
+Sut donner un faux crime à la même in nocence,
+
+Recherche maintenant, par un plus juste effet,
+
+Une fausse innocence à cacher ton forfait.
+
+Quelle honte importune au visage te monte
+
+Pour un sexe quitté dont tu n’es que de honte ?
+
+Il t’abhorre lui-même ; et ce déguisement,
+
+En le désavouant, l’oblige pleinement.
+
+Après avoir perdu sa douceur naturelle,
+
+Dépouille sa pudeur, qui te messied sans elle ;
+
+Dérobe tout d’un temps, par ce crime nouveau,
+
+Et l’autre aux yeux du monde, et ta tête au bourreau.
+
+Si tu veux empêcher ta perte inévitable,
+
+Deviens plus criminelle, et parais moins coupable.
+
+Par une fausseté tu tombes en danger,
+
+Par une fausseté sache t’en dégager.
+
+Fausseté détestable, où me viens-tu réduire ?
+
+Honteux déguisement, où me vas-tu conduire ?
+
+Ici de tous côtés l’effroi suit mon erreur,
+
+Et j’y suis à moi-même une nouvelle horreur :
+
+L’image de Caliste à ma fureur soustraite
+
+Y brave fièrement ma timide retraite,
+
+Encor si son trépas, secondant mon désir,
+
+Mêlait à mes douleurs l’ombre d’un faux plaisir !
+
+Mais tels sont les excès du malheur qui m’opprime,
+
+Qu’il ne m’est pas permis de jouir de mon crime ;
+
+Dans l’état pitoyable où le sort me réduit,
+
+J’en mérite la peine et n’en ai pas le fruit ;
+
+Et tout ce que j’ai fait contre mon ennemie
+
+Sert à croître sa gloire avec mon infamie.
+
+N’importe, Rosidor de mes cruels destins
+
+Tient de quoi repousser ses lâches assassins.
+
+Sa valeur, inutile en sa main désarmée,
+
+Sans moi ne vivrait plus que chez la renommée :
+
+Ainsi rien désormais ne pourrait m’enflammer ;
+
+N’ayant plus que haïr, je n’aurais plus qu’aimer.
+
+Fâcheuse loi du sort qui s’obstine à ma peine,
+
+Je sauve mon amour, et je manque à ma haine.
+
+Ces contraires succès, demeurant sans effet,
+
+Font naître mon malheur de mon heur imparfait.
+
+Toutefois l’orgueilleux pour qui mon cœur soupire
+
+De moi seule aujourd’hui tient le jour qu’il respire :
+
+Il m’en est redevable, et peut-être à son tour
+
+Cette obligation produira quelque amour.
+
+Dorise, à quels pensers ton espoir se ravale !
+
+S’il vit par ton moyen, c’est pour une rivale.
+
+N’attends plus, n’attends plus que haine de sa part ;
+
+L’offense vint de toi, le secours, du hasard.
+
+Malgré les vains efforts de ta ruse traîtresse,
+
+Le hasard, par tes mains, le rend à sa maîtresse.
+
+Ce péril mutuel qui conserve leurs jours
+
+D’un contre-coup égal va croître leurs amours.
+
+Heureux couple d’amants que le destin assemble,
+
+Qu’il expose en péril, qu’il en retire ensemble !
+
+O dieux ! voici Géronte, et je le croyais mort.
+
+Malheureux compagnon de mon funeste sort…
+
+Ton œil t’abuse. Hélas ! misérable, regarde
+
+Qu’au lieu de Rosidor ton erreur me poignarde.
+
+Ne crains pas, cher ami, ce funeste accident,
+
+Je te connais assez, je suis… Mais, impudent,
+
+Où m’allait engager mon erreur indiscrète ?
+
+Monsieur, pardonnez-moi la faute que j’ai faite.
+
+Un berger d’ici près a quitté ses brebis
+
+Pour s’en aller au camp presqu’en pareils habits ;
+
+Et d’abord vous prenant pour ce mien camarade,
+
+Mes sens d’aise aveuglés ont fait cette escapade.
+
+Ne craignez point au reste un pauvre villageois
+
+Qui seul et désarmé court à travers ces bois.
+
+D’un ordre assez précis l’heure presque expirée
+
+Me défend des discours de plus longue durée.
+
+À mon empressement pardonnez cet adieu ;
+
+Je perdrais trop, monsieur, à tarder en ce lieu.
+
+Ami, qui que tu sois, si ton âme sensible
+
+À la compassion peut se rendre accessible,
+
+Un jeune gentilhomme implore ton secours ;
+
+Prends pitié de mes maux pour trois ou quatre jours ;
+
+Durant ce peu de temps, accorde une retraite
+
+Sous ton chaume rustique à ma fuite secrète :
+
+D’un ennemi puissant la haine me poursuit,
+
+Et n’ayant pu qu’à peine éviter cette nuit…
+
+L’affaire qui me presse est assez importante
+
+Pour ne pouvoir, monsieur, répondre à votre attente.
+
+Mais si vous me donniez le loisir d’un moment,
+
+Je vous assurerais d’être ici promptement ;
+
+Et j’estime qu’alors il me serait facile
+
+Contre cet ennemi de vous faire un asile.
+
+Mais, avant ton retour, si quelque instant fatal
+
+M’exposait par malheur aux yeux de ce brutal,
+
+Et que l’emportement de son humeur altière…
+
+Pour ne rien hasarder, cachez-vous là derrière.
+
+Souffre que je te suive, et que mes tristes pas…
+
+J’ai des secrets, monsieur, qui ne le souffrent pas,
+
+Et ne puis rien pour vous, à moins que de m’attendre.
+
+Avisez au parti que vous avez à prendre.
+
+Va donc, je t’attendrai. Cette touffe d’ormeaux
+
+Vous pourra cependant couvrir de ses rameaux.
+
+Enfin, grâces au ciel, ayant su m’en défaire,
+
+Je puis seul aviser à ce que je dois faire.
+
+Qui qu’il soit, il a vu Rosidor attaqué,
+
+Et sait assurément que nous l’avons manqué ;
+
+N’en étant point connu, je n’en ai rien à craindre,
+
+Puisqu’ainsi déguisé tout ce que je veux feindre
+
+Sur son esprit crédule obtient un tel pouvoir.
+
+Toutefois plus j’y songe, et plus je pense voir,
+
+Par quelque grand effet de vengeance divine,
+
+En ce faible témoin l’auteur de ma ruine :
+
+Son indice douteux, pour peu qu’il ait de jour,
+
+N’éclaircira que trop mon forfait à la cour.
+
+Simple ! j’ai peur encor que ce malheur m’avienne,
+
+Et je puis éviter ma perte par la sienne !
+
+Et mêmes on dirait qu’un antre tout exprès
+
+Me garde mon épée au fond de ces forêts :
+
+C’est en ce lieu fatal qu’il me le faut conduire ;
+
+C’est là qu’un heureux coup l’empêche de me nuire.
+
+Je ne m’y puis résoudre ; un reste de pitié
+
+Violente mon cœur à des traits d’amitié ;
+
+En vain je lui résiste et tâche à me défendre
+
+D’un secret mouvement que je ne puis comprendre :
+
+Son âge, sa beauté, sa grâce, son maintien,
+
+Forcent mes sentiments à lui vouloir du bien ;
+
+Et l’air de son visage a quelque mignardise
+
+Qui ne tire pas mal à celle de Dorise.
+
+Ah ! que tant de malheurs m’auraient favorisé,
+
+Si c’était elle-même en habit déguisé !
+
+J’en meurs déjà de joie, et mon âme ravie
+
+Abandonne le soin du reste de ma vie.
+
+Je ne suis plus à moi, quand je viens à penser
+
+À quoi l’occasion me pourrait dispenser.
+
+Quoi qu’il en soit, voyant tant de ses traits ensemble,
+
+Je porte du respect à ce qui lui ressemble.
+
+Misérable Pymante, ainsi donc tu te perds !
+
+Encor qu’il tienne un peu de celle que tu sers,
+
+Etouffe ce témoin pour assurer ta tête ;
+
+S’il est, comme il le dit, battu d’une tempête,
+
+Au lieu qu’en ta cabane il cherche quelque port,
+
+Fais que dans cette grotte il rencontre sa mort.
+
+Modère-toi, cruel ; et plutôt examine
+
+Sa parole, son teint, et sa taille, et sa mine :
+
+Si c’est Dorise, alors révoque cet arrêt ;
+
+Sinon, que la pitié cède à ton intérêt.
+
+L’admirable rencontre a mon âme ravie
+
+De voir que deux amants s’entre-doivent la vie,
+
+De voir que ton péril la tire de danger,
+
+Que le sien te fournit de quoi t’en dégager,
+
+Qu’à deux desseins divers la même heure choisie
+
+Assemble en même lieu pareille jalousie,
+
+Et que l’heureux malheur qui vous a menacés
+
+Avec tant de justesse a ses temps compassés !
+
+Sire, ajoutez du ciel l’occulte providence :
+
+Sur deux amants il verse une même influence ;
+
+Et comme l’un par l’autre il a su nous sauver,
+
+Il semble l’un pour l’autre exprès nous conserver.
+
+Je t’entends, Rosidor ; par là tu me veux dire
+
+Qu’il faut qu’avec le ciel ma volonté conspire,
+
+Et ne s’oppose pas à ses justes décrets,
+
+Qu’il vient de témoigner par tant d’avis secrets.
+
+Eh bien ! je veux moi-même en parler à la reine ;
+
+Elle se fléchira, ne t’en mets pas en peine.
+
+Achève seulement de me rendre raison
+
+De ce qui t’arriva depuis sa pâmoison.
+
+Sire, un mot désormais suffit pour ce qui reste.
+
+Lysarque et vos archers depuis ce lieu funeste
+
+Se laissèrent conduire aux traces de mon sang,
+
+Qui, durant le chemin, me dégouttait du flanc ;
+
+Et me trouvant enfin dessous un toit rustique,
+
+Ranimé par les soins de son amour pudique,
+
+Leurs bras officieux m’ont ici rapporté,
+
+Pour en faire ma plainte à Votre Majesté.
+
+Non pas que je soupire après une vengeance
+
+Qui ne peut me donner qu’une fausse allégeance :
+
+Le prince aime Clitandre, et mon respect consent
+
+Que son affection le déclare innocent ;
+
+Mais si quelque pitié d’une telle infortune
+
+Peut souffrir aujourd’hui que je vous importune,
+
+Otant par un hymen l’espoir à mes rivaux,
+
+Sire, vous taririez la source de nos maux.
+
+Tu fuis à te venger ; l’objet de ta maîtresse
+
+Fait qu’un tel désir cède à l’amour qui te presse ;
+
+Aussi n’est-ce qu’à moi de punir ces forfaits,
+
+Et de montrer à tous par de puissants effets
+
+Qu’attaquer Rosidor c’est se prendre à moi-même :
+
+Tant je veux que chacun respecte ce que j’aime !
+
+Je le ferai bien voir. Quand ce perfide tour
+
+Aurait eu pour objet le moindre de ma cour,
+
+Je devrais au public, par un honteux supplice,
+
+De telles trahisons l’exemplaire justice.
+
+Mais Rosidor surpris, et blessé comme il l’est,
+
+Au devoir d’un vrai roi joint mon propre intérêt.
+
+Je lui ferai sentir, à ce traître Clitandre,
+
+Quelque part que le prince y puisse ou veuille prendre,
+
+Combien mal à propos sa folle vanité
+
+Croyait dans sa faveur trouver l’impunité.
+
+Je tiens cet assassin ; un soupçon véritable,
+
+Que m’ont donné les corps d’un couple détestable,
+
+De son lâche attentat m’avait si bien instruit,
+
+Que déjà dans les fers il en reçoit le fruit.
+
+Toi, qu’avec Rosidor le bonheur a sauvée,
+
+Tu te peux assurer que, Dorise trouvée,
+
+Comme ils avaient choisi même heure à votre mort,
+
+En même heure tous deux auront un même sort.
+
+Sire, ne songez pas à cette misérable ;
+
+Rosidor garanti me rend sa red evable ;
+
+Et je me sens forcée à lui vouloir du bien
+
+D’avoir à votre État conservé ce soutien.
+
+Le généreux orgueil des âmes magnanimes
+
+Par un noble dédain sait pardonner les crimes ;
+
+Mais votre aspect m’emporte à d’autres sentiments,
+
+Dont je ne puis cacher les justes mouvements ;
+
+Ce teint pâle à tous deux me rougit de colère,
+
+Et vouloir m’adoucir, c’est vouloir me déplaire.
+
+Mais, sire, que sait-on ? peut-être ce rival,
+
+Qui m’a fait, après tout, plus de bien que de mal,
+
+Sitôt qu’il vous plaira d’écouter sa défense,
+
+Saura de ce forfait purger son innocence.
+
+Et par où la purger ? Sa main d’un trait mortel
+
+A signé son arrêt en signant ce cartel.
+
+Peut-il désavouer ce qu’assure un tel gage,
+
+Envoyé de [sa] part, et rendu par son page ?
+
+Peut-il désavouer que ses gens déguisés
+
+De son commandement ne soient autorisés ?
+
+Les deux, tout morts qu’ils sont, qu’on les traîne à la boue,
+
+L’autre, aussitôt que pris, se verra sur la roue ;
+
+Et pour le scélérat que je tiens prisonnier,
+
+Ce jour que nous voyons lui sera le dernier.
+
+Qu’on l’amène au conseil ; par forme il faut l’entendre,
+
+Et voir par quelle adresse il pourra se défendre.
+
+Toi, pense à te guérir, et crois que pour le mieux,
+
+Je ne veux pas montrer ce perfide à tes yeux :
+
+Sans doute qu’aussitôt qu’il se ferait paraître,
+
+Ton sang rejaillirait au visage du traître.
+
+L’apparence déçoit, et souvent on a vu
+
+Sortir la vérité d’un moyen imprévu,
+
+Bien que la conjecture y fût encor plus forte ;
+
+Du moins, sire, apaisez l’ardeur qui vous transporte ;
+
+Que, l’âme plus tranquille et l’esprit plus remis,
+
+Le seul pouvoir des lois perde nos ennemis.
+
+Sans plus m’importuner, ne songe qu’à tes plaies.
+
+Non, il ne fut jamais d’apparences si vraies.
+
+Douter de ce forfait, c’est manquer de raison.
+
+Derechef, ne prends soin que de ta guérison.
+
+Ah ! que ce grand courroux sensiblement m’afflige !
+
+C’est ainsi que le roi, te refusant, t’oblige :
+
+Il te donne beaucoup en ce qu’il t’interdit,
+
+Et tu gagnes beaucoup d’y perdre ton crédit.
+
+On voit dans ces refus une marque certaine
+
+Que contre Rosidor toute prière est vaine.
+
+Ses violents transports sont d’assurés témoins
+
+Qu’il t’écouterait mieux s’il te chérissait moins.
+
+Mais un plus long séjour pourrait ici te nuire :
+
+Ne perdons plus de temps ; laisse-moi te conduire
+
+Jusque dans l’antichambre où Lysarque t’attend,
+
+Et montre désormais un esprit plus content.
+
+Si près de te quitter… N’achève pas ta plainte.
+
+Tous deux nous ressentons cette commune atteinte ;
+
+Mais d’un fâcheux respect la tyrannique loi
+
+M’appelle chez la reine et m’éloigne de toi.
+
+Il me lui faut conter comme l’on m’a surprise,
+
+Excuser mon absence en accusant Dorise ;
+
+Et lui dire comment, par un cruel destin,
+
+Mon devoir auprès d’elle a manqué ce matin.
+
+Va donc, et quand son âme, après la chose sue,
+
+Fera voir la pitié qu’elle en aura conçue,
+
+Figure-lui si bien Clitandre tel qu’il est
+
+Qu’elle n’ose en ses feux prendre plus d’intérêt.
+
+Ne crains pas désormais que mon amour s’oublie ;
+
+Répare seulement ta vigueur affaiblie :
+
+Sache bien te servir de la faveur du roi,
+
+Et pour tout le surplus repose-t’en sur moi.
+
+Je ne sais si je veille, ou si ma rêverie
+
+À mes sens endormis fait quelque tromperie ;
+
+Peu s’en faut, dans l’excès de ma confusion,
+
+Que je ne prenne tout pour une illusion.
+
+Clitandre prisonnier ! je n’en fais pas croyable
+
+Ni l’air sale et puant d’un cachot effroyable
+
+Ni de ce faible jour l’incertaine clarté,
+
+Ni le poids de ces fers dont je suis arrêté ;
+
+Je les sens, je les vois ; mais mon âme innocente
+
+Dément tous les objets que mon œil lui présente
+
+Et, le désavouant, défend à ma raison
+
+De me persuader que je sois en prison.
+
+Jamais aucun forfait, aucun dessein infâme
+
+N’a pu souiller ma main, ni glisser dans mon âme ;
+
+Et je suis retenu dans ces funestes lieux !
+
+Non, cela ne se peut : vous vous trompez, mes yeux ;
+
+J’aime mieux rejeter vos plus clairs témoignages,
+
+J’aime mieux démentir ce qu’on me fait d’outrages,
+
+Que de m’imaginer, sous un si juste roi,
+
+Qu’on peuple les prisons d’innocents comme moi.
+
+Cependant je m’y trouve ; et bien que ma pensée
+
+Recherche à la rigueur ma conduite passée,
+
+Mon exacte censure a beau l’examiner,
+
+Le crime qui me perd ne se peut deviner ;
+
+Et quelque grand effort que fasse ma mémoire,
+
+Elle ne me fournit que des sujets de gloire.
+
+Ah ! prince, c’est quelqu’un de vos faveurs jaloux
+
+Qui m’impute à forfait d’être chéri de vous.
+
+Le temps qu’on m’en sépare, on le donne à l’envie,
+
+Comme une liberté d’attenter sur ma vie.
+
+Le cœur vous le disait, et je ne sais comment
+
+Mon destin me poussa dans cet aveuglement
+
+De rejeter l’avis de mon dieu tutélaire ;
+
+C’est là ma seule faute, et c’en est le salaire,
+
+C’en est le châtiment que je reçois ici.
+
+On vous venge, mon prince, en me traitant ainsi ;
+
+Mais vous saurez montrer, embrassant ma défense,
+
+Que qui vous venge ainsi puissamment vous offense,
+
+Les perfides auteurs de ce complot maudit,
+
+Qu’à me persécuter votre absence enhardit,
+
+À votre heureux retour verront que ces tempêtes,
+
+Clitandre préservé, n’abattront que leurs têtes.
+
+Mais on ouvre, et quelqu’un, dans cette sombre horreur,
+
+Par son visage affreux redouble ma terreur.
+
+Permettez que ma main de ces fers vous détache.
+
+Suis-je libre déjà ? Non encor, que je sache.
+
+Quoi ! ta seule pitié s’y hasarde pour moi ?
+
+Non, c’est un ordre exprès de vous conduire au roi.
+
+Ne m’apprendras-tu point le crime qu’on m’impute,
+
+Et quel lâche imposteur ainsi me persécute ?
+
+Descendons : Un prévôt, qui vous attend là-bas,
+
+Vous pourra mieux que moi contenter sur ce cas.
+
+En vain pour m’éblouir vous usez de la ruse,
+
+Mon esprit, quoique lourd, aisément ne s’abuse :
+
+Ce que vous me cachez, je le lis dans vos yeux.
+
+Quelque revers d’amour vous conduit en ces lieux ;
+
+N’est-il pas vrai, monsieur ? et même cette aiguille
+
+Sent assez les faveurs de quelque belle fille :
+
+Elle est, ou je me trompe, un gage de sa foi.
+
+O malheureuse aiguille ! Hélas ! c’est fait de moi.
+
+Sans doute votre plaie à ce mot s’est rouverte.
+
+Monsieur, regrettez-vous son absence, ou sa perte ?
+
+Vous aurait-elle bien pour un autre quitté,
+
+Et payé vos ardeurs d’une infidélité ?
+
+Vous ne répondez point ; cette rougeur confuse,
+
+Quoique vous vous taisiez, clairement vous accuse.
+
+Brisons là : ce discours vous fâcherait enfin,
+
+Et c’était pour tromper la longueur du chemin,
+
+Qu’après plusieurs discours, ne sachant que vous dire,
+
+J’ai touché sur un point dont votre cœur soupire,
+
+Et de quoi fort souvent on aime mieux parler
+
+Que de perdre son temps à des propos en l’air.
+
+Ami, ne porte plus la sonde en mon courage :
+
+Ton entretien commun me charme davantage ;
+
+Il ne peut me lasser, indifférent qu’il est ;
+
+Et ce n’est pas aussi sans sujet qu’il me plaît.
+
+Ta conversation est tellement civile,
+
+Que pour un tel esprit ta naissance est trop vile ;
+
+Tu n’as de villageois que l’habit et le rang ;
+
+Tes rares qualités te font d’un autre sang ;
+
+Même, plus je te vois, plus en toi je remarque
+
+Des traits pareils à ceux d’un cavalier de marque :
+
+Il s’appelle Pymante, et ton air et ton port
+
+Ont avec tous les siens un merveilleux rapport.
+
+J’en suis tout glorieux, et de ma part je prise
+
+Votre rencontre autant que celle de Dorise,
+
+Autant que si le ciel, apaisant sa rigueur,
+
+Me faisait maintenant un présent de son cœur.
+
+Qui nommes-tu Dorise ? Une jeune cruelle
+
+Qui me fuit pour un autre. Et ce rival s’appelle ?
+
+Le berger Rosidor. Ami, ce nom si beau
+
+Chez vous donc se profane à garder un troupeau ?
+
+Madame, il ne faut plus que mon feu vous déguise
+
+Que sous ces faux habits il reconnaît Dorise.
+
+Je ne suis point surpris de me voir dans ces bois
+
+Ne passer à vos yeux que pour un villageois ;
+
+Votre haine pour moi fut toujours assez forte
+
+Pour déférer sans peine à l’habit que je porte.
+
+Cette fausse apparence aide et suit vos mépris ;
+
+Mais cette erreur vers vous ne m’a jamais surpris ;
+
+Je sais trop que le ciel n’a donné l’avantage
+
+De tant de raretés qu’à votre seul visage,
+
+Sitôt que je l’ai vu, j’ai cru voir en ces lieux
+
+Dorise déguisée, ou quelqu’un de nos dieux ;
+
+Et si j’ai quelque temps feint de vous méconnaître
+
+En vous prenant pour tel que vous vouliez paraître,
+
+Admirez mon amour, dont la discrétion
+
+Rendait à vos désirs cette submission,
+
+Et disposez de moi, qui borne mon envie
+
+À prodiguer pour vous tout ce que j’ai de vie.
+
+Pymante, eh quoi ! faut-il qu’en l’état où je suis
+
+Tes importunités augmentent mes ennuis ?
+
+Faut-il que dans ce bois ta rencontre funeste
+
+Vienne encor m’arracher le seul bien qui me reste,
+
+Et qu’ainsi mon malheur au dernier point venu
+
+N’ose plus espérer de n’être pas connu ?
+
+Voyez comme le ciel égale nos fortunes,
+
+Et comme, pour les faire entre nous deux communes,
+
+Nous réduisant ensemble à ces déguisements,
+
+Il montre avoir pour nous de pareils mouvements.
+
+Nous changeons bien d’habits, mais non pas de visages ;
+
+Nous changeons bien d’habits, mais non pas de courages ;
+
+Et ces masques trompeurs de nos conditions
+
+Cachent, sans les changer, nos inclinations.
+
+Me négliger toujours, et pour qui vous néglige !
+
+Que veux-tu ? son mépris plus que ton feu m’oblige ;
+
+J’y trouve, malgré moi, je ne sais quel appas,
+
+Par où l’ingrat me tue, et ne m’offense pas.
+
+Qu’espérez-vous enfin d’un amour si frivole
+
+Pour cet ingrat amant qui n’est plus qu’une idole ?
+
+Qu’une idole ! Ah ! ce mot me donne de l’effroi.
+
+Rosidor une idole ! Ah ! perfide, c’est toi,
+
+Ce sont tes trahisons qui l’empêchent de vivre.
+
+Je t’ai vu dans ce bois moi-même le poursuivre,
+
+Avantagé du nombre, et vêtu de façon
+
+Que ce rustique habit effaçait tout soupçon :
+
+Ton embûche a surpris une valeur si rare.
+
+Il est vrai, j’ai puni l’orgueil de ce barbare,
+
+De cet heureux ingrat, si cruel envers vous,
+
+Qui, maintenant par terre et percé de mes coups,
+
+Eprouve par sa mort comme un amant fidèle
+
+Venge votre beauté du mépris qu’on fait d’elle.
+
+Monstre de la nature, exécrable bourreau,
+
+Après ce lâche coup qui creuse mon tombeau,
+
+D’un compliment railleur ta malice me flatte !
+
+Fuis, fuis, que dessus toi ma vengeance n’éclate.
+
+Ces mains, ces faibles mains que vont armer les dieux,
+
+N’auront que trop de force à t’arracher les yeux,
+
+Que trop à t’imprimer sur ce hideux visage
+
+En mille traits de sang les marques de ma rage.
+
+Le courroux d’une femme, impétueux d’abord,
+
+Promet tout ce qu’il ose à son premier transport ;
+
+Mais comme il n’a pour lui que sa seule impuissance
+
+À force de grossir il meurt en sa naissance ;
+
+Ou s’étouffant soi-même, à la fin ne produit
+
+Que point ou peu d’effet après beaucoup de bruit.
+
+Va, va, ne prétends pas que le mien s’adoucisse :
+
+Il faut que ma fureur ou l’enfer te punisse ;
+
+Le reste des humains ne saurait inventer
+
+De gêne qui te puisse à mon gré tourmenter.
+
+Si tu ne crains mes bras, crains de meilleures armes ;
+
+Crains tout ce que le ciel m’a départi de charmes :
+
+Tu sais quelle est leur force, et ton cœur la ressent ;
+
+Crains qu’elle ne m’assure un vengeur plus puissant.
+
+Ce courroux, dont tu ris, en fera la conquête
+
+De quiconque à ma haine exposera ta tête,
+
+De quiconque mettra ma vengeance en mon choix.
+
+Adieu : j’en perds le temps à crier dans ce bois :
+
+Mais tu verras bientôt si je vaux quelque chose,
+
+Et si ma rage en vain se promet ce qu’elle ose.
+
+J’aime tant cette ardeur à me faire périr,
+
+Que je veux bien moi-même avec vous y courir.
+
+Traître ! ne me suis point. Prendre seule la fuite !
+
+Vous vous égareriez à marcher sans conduite ;
+
+Et d’ailleurs votre habit, où je ne comprends rien,
+
+Peut avoir du mystère aussi bien que le mien.
+
+L’asile dont tantôt vous faisiez la demande
+
+Montre quelque besoin d’un bras qui vous défende ;
+
+Et mon devoir vers vous serait mal acquitté,
+
+S’il ne vous avait mise en lieu de sûreté.
+
+Vous pensez m’échapper quand je vous le témoigne ;
+
+Mais vous n’irez pas loin que je ne vous rejoigne.
+
+L’amour que j’ai pour vous, malgré vos dures lois,
+
+Sait trop ce qu’il vous doit, et ce que je me dois.
+
+Je te le dis encor, tu perds temps à me suivre ;
+
+Souffre que de tes yeux ta pitié me délivre :
+
+Tu redoubles mes maux par de tels entretiens.
+
+Prenez à votre tour quelque pitié des miens,
+
+Madame, et tarissez ce déluge de larmes ;
+
+Pour rappeler un mort ce sont de faibles armes ;
+
+Et, quoi que vous conseille un inutile ennui,
+
+Vos cris et vos sanglots ne vont point jusqu’à lui.
+
+Si mes sanglots ne vont où mon cœur les envoie,
+
+Du moins par eux mon âme y trouvera la voie ;
+
+S’il lui faut un passage afin de s’envoler,
+
+Ils le lui vont ouvrir en le fermant à l’air.
+
+Sus donc, sus, mes sanglots ! redoublez vos secousses :
+
+Pour un tel désespoir vous les avez trop douces :
+
+Faites pour m’étouffer de plus puissants efforts.
+
+Ne songez plus, madame, à rejoindre les morts ;
+
+Pensez plutôt à ceux qui n’ont point d’autre envie
+
+Que d’employer pour vous le reste de leur vie ;
+
+Pensez plutôt à ceux dont le service offert
+
+Accepté vous conserve, et refusé vous perd.
+
+Crois-tu donc, assassin, m’acquérir par ton crime ?
+
+Qu’innocent méprisé, coupable je t’estime ?
+
+À ce compte, tes feux n’ayant pu m’émouvoir,
+
+Ta noire perfidie obtiendrait ce pouvoir ?
+
+Je chérirais en toi la qualité de traître,
+
+Et mon affection commencerait à naître
+
+Lorsque tout l’univers a droit de te haïr ?
+
+Si j’oubliai l’honneur jusques à le trahir,
+
+Si, pour vous posséder, mon esprit, tout de flamme,
+
+N’a rien cru de honteux, n’a rien trouvé d’infâme,
+
+Voyez par là, voyez l’excès de mon ardeur :
+
+Par cet aveuglement jugez de sa grandeur.
+
+Non, non, ta lâcheté, que j’y vois trop certaine,
+
+N’a servi qu’à donner des raisons à ma haine.
+
+Ainsi ce que j’avais pour toi d’aversion
+
+Vient maintenant d’ailleurs que d’inclination :
+
+C’est la raison, c’est elle à présent qui me guide
+
+Aux mépris que je fais des flammes d’un perfide.
+
+Je ne sache raison qui s’oppose à mes vœux,
+
+Puisqu’ici la raison n’est que ce que je veux,
+
+Et, ployant dessous moi, permet à mon envie
+
+De recueillir les fruits de vous avoir servie.
+
+Il me faut des faveurs malgré vos cruautés.
+
+Exécrable ! ainsi donc tes désirs effrontés
+
+Voudraient sur ma faiblesse user de violence ?
+
+Je ris de vos refus, et sais trop la licence
+
+Que me donne l’amour en cette occasion.
+
+Traître ! ce ne sera qu’à ta confusion.
+
+Ah, cruelle ! Ah, brigand ! Ah, que viens-tu de faire ?
+
+De punir l’attentat d’un infâme corsaire.
+
+Ton sang m’en répondra ; tu m’auras beau prier,
+
+Tu mourras. Fuis, Dorise, et laisse-le crier.
+
+Où s’est-elle cachée ? où l’emporte sa fuite ?
+
+Où faut-il que ma rage adresse ma poursuite ?
+
+La tigresse m’échappe, et, telle qu’un éclair,
+
+En me frappant les yeux, elle se perd en l’air ;
+
+Ou plutôt, l’un perdu, l’autre m’est inutile ;
+
+L’un s’offusque du sang qui de l’autre distille.
+
+Coule, coule, mon sang : en de si grands malheurs,
+
+Tu dois avec raison me tenir lieu de pleurs :
+
+Ne verser désormais que des larmes communes,
+
+C’est pleurer lâchement de telles infortunes.
+
+Je vois de tous côtés mon supplice approcher ;
+
+N’osant me découvrir, je ne me puis cacher.
+
+Mon forfait avorté se lit dans ma disgrâce,
+
+Et ces gouttes de sang me font suivre à la trace.
+
+Miraculeux effet ! Pour traître que je sois,
+
+Mon sang l’est encor plus, et sert tout à la fois
+
+De pleurs à ma douleur, d’indices à ma prise,
+
+De peine à mon forfait, de vengeance à Dorise.
+
+O toi qui, secondant son courage inhumain,
+
+Loin d’orner ses cheveux, déshonores sa main,
+
+Exécrable instrument de sa brutale rage,
+
+Tu devais pour le moins respecter son image ;
+
+Ce portrait accompli d’un chef-d’œuvre des cieux,
+
+Imprimé dans mon cœur, exprimé dans mes yeux,
+
+Quoi que te commandât une âme si cruelle,
+
+Devait être adoré de ta pointe rebelle.
+
+Honteux restes d’amour qui brouillez mon cerveau !
+
+Quoi ! puis-je en ma maîtresse adorer mon bourreau ?
+
+Remettez-vous, mes sens ; rassure-toi, ma rage ;
+
+Reviens, mais reviens seule animer mon courage ;
+
+Tu n’as plus à débattre avec mes passions
+
+L’empire souverain dessus mes actions ;
+
+L’amour vient d’expirer, et ses flammes éteintes
+
+Ne t’imposeront plus leurs infâmes contraintes.
+
+Dorise ne tient plus dedans mon souvenir
+
+Que ce qu’il faut de place à l’ardeur de punir :
+
+Je n’ai plus rien en moi qui n’en veuille à sa vie.
+
+Sus donc, qui me la rend ? Destins, si votre envie,
+
+Si votre haine encor s’obstine à mes tourments,
+
+Jusqu’à me réserver à d’autres châtiments,
+
+Faites que je mérite, en trouvant l’inhumaine,
+
+Par un nouveau forfait, une nouvelle peine,
+
+Et ne me traitez pas avec tant de rigueur
+
+Que mon feu ni mon fer ne touchent point son cœur.
+
+Mais ma fureur se joue, et demi-languissante,
+
+S’amuse au vain éclat d’une voix impuissante.
+
+Recourons aux effets, cherchons de toutes parts ;
+
+Prenons dorénavant pour guides les hasards.
+
+Quiconque ne pourra me montrer la cruelle,
+
+Que son sang aussitôt me réponde pour elle ;
+
+Et ne suivant ainsi qu’une incertaine erreur,
+
+Remplissons tous ces lieux de carnage et d’horreur.
+
+Mes menaces déjà font trembler tout le monde :
+
+Le vent fuit d’épouvante, et le tonnerre en gronde ;
+
+L’œil du ciel s’en retire, et par un voile noir,
+
+N’y pouvant résister, se défend d’en rien voir ;
+
+Cent nuages épais se distillant en larmes,
+
+À force de pitié, veulent m’ôter les armes,
+
+La nature étonnée embrasse mon courroux,
+
+Et veut m’offrir Dorise, ou devancer mes coups.
+
+Tout est de mon parti : le ciel même n’envoie
+
+Tant d’éclairs redoublés qu’afin que je la voie.
+
+Quelques lieux où l’effroi porte ses pas errants,
+
+Ils sont entrecoupés de mille gros torrents.
+
+Que je serais heureux, si cet éclat de foudre,
+
+Pour m’en faire raison, l’avait réduite en poudre !
+
+Allons voir ce miracle, et désarmer nos mains,
+
+Si le ciel a daigné prévenir nos desseins.
+
+Destins, soyez enfin de mon intelligence,
+
+Et vengez mon affront, ou souffrez ma vengeance !
+
+Quel bonheur m’accompagne en ce moment fatal !
+
+Le tonnerre a sous moi foudroyé mon cheval,
+
+Et consumant sur lui toute sa violence,
+
+Il m’a porté respect parmi son insolence.
+
+Tous mes gens, écartés par un subit effroi,
+
+Loin d’être à mon secours, ont fui d’autour de moi,
+
+Ou, déjà dispersés par l’ardeur de la chasse,
+
+Ont dérobé leur tête à sa fière menace.
+
+Cependant seul, à pied, je pense à tous moments
+
+Voir le dernier débris de tous les éléments,
+
+Dont l’obstination à se faire la guerre
+
+Met toute la nature au pouvoir du tonnerre.
+
+Dieux, si vous témoignez par là votre courroux,
+
+De Clitandre ou de moi lequel menacez-vous ?
+
+La perte m’est égale, et la même tempête
+
+Qui l’aurait accablé tomberait sur ma tête.
+
+Pour le moins, justes dieux, s’il court quelque danger,
+
+Souffrez que je le puisse avec lui partager !
+
+J’en découvre à la fin quelque meilleur présage ;
+
+L’haleine manque aux vents, et la force à l’orage ;
+
+Les éclairs, indignés d’être éteints par les eaux,
+
+En ont tari la source et séché les ruisseaux,
+
+Et déjà le soleil de ses rayons essuie
+
+Sur ces moites rameaux le reste de la pluie ;
+
+Au lieu du bruit affreux des foudres décochés,
+
+Les petits oisillons, encor demi-cachés…
+
+Mais je verrai bientôt quelques-uns de ma suite :
+
+Je le juge à ce bruit. Enfin, malgré ta fuite,
+
+Je te retiens, barbare. Hélas ! Songe à mourir ;
+
+Tout l’univers ici ne te peut secourir.
+
+L’égorger à ma vue ! ô l’indigne spectacle !
+
+Sus, sus, à ce brigand opposons un obstacle.
+
+Arrête, scélérat ! Téméraire, où vas-tu ?
+
+Sauver ce gentilhomme à tes pieds abattu.
+
+Traître, n’avance pas ; c’est le prince. N’importe ;
+
+Il m’oblige à sa mort, m’ayant vu de la sorte.
+
+Est-ce là le respect que tu dois à mon rang ?
+
+Je ne connais ici ni qualités ni sang.
+
+Quelque respect ailleurs que ta naissance obtienne,
+
+Pour assurer ma vie, il faut perdre la tienne.
+
+S’il me demeure encor quelque peu de vigueur,
+
+Si mon débile bras ne dédit point mon cœur,
+
+J’arrêterai le tien. Que fais-tu, misérable ?
+
+Je détourne le coup d’un forfait exécrable.
+
+Avec ces vains efforts crois-tu m’en empêcher ?
+
+Par une heureuse adresse il l’a fait trébucher.
+
+Assassin, rends l’épée. Ecoute, il est fort proche :
+
+C’est sa voix qui résonne au creux de cette roche,
+
+Et c’est lui que tantôt nous avions entendu.
+
+Prends ce fer en ta main. Ah, cieux ! je suis perdu.
+
+Oui, je le vois. Seigneur, quelle aventure étrange,
+
+Quel malheureux destin en cet état vous range ?
+
+Garrottez ce maraud ; les couples de vos chiens
+
+Vous y pourront servir, faute d’autres liens.
+
+Je veux qu’à mon retour une prompte justice
+
+Lui fasse ressentir par l’éclat d’un supplice,
+
+Sans armer contre lui que les lois de l’État,
+
+Que m’attaquer n’est pas un léger attentat.
+
+Sachez que s’il échappe il y va de vos têtes.
+
+Si nous manquons, seigneur, les voilà toutes prêtes.
+
+Admirez cependant le foudre et ses efforts,
+
+Qui, dans cette forêt, ont consumé trois corps :
+
+En voici les habits, qui sans aucun dommage
+
+Semblent avoir bravé la fureur de l’orage.
+
+Tu montres à mes yeux de merveilleux effets.
+
+Mais des marques plutôt de merveilleux forfaits.
+
+Ces habits, dont n’a point approché le tonnerre,
+
+Sont aux plus criminels qui vivent sur la terre :
+
+Connaissez-les, grand prince, et voyez devant vous
+
+Pymante prisonnier, et Dorise à genoux.
+
+Que ce soit là Pymante, et que tu sois Dorise !
+
+Quelques étonnements qu’une telle surprise
+
+Jette dans votre esprit, que vos yeux ont déçu,
+
+D’autres le saisiront quand vous aurez tout su.
+
+La honte de paraître en un tel équipage
+
+Coupe ici ma parole et l’étouffe au passage ;
+
+Souffrez que je reprenne en un coin de ce bois
+
+Avec mes vêtements l’usage de la voix,
+
+Pour vous conter le reste en habit plus sortable.
+
+Cette honte me plaît ; ta prière équitable,
+
+En faveur de ton sexe et du secours prêté,
+
+Suspendra jusqu’alors ma curiosité
+
+Tandis, sans m’éloigner beaucoup de cette place,
+
+Je vais sur ce coteau pour découvrir la chasse.
+
+Tu l’y ramèneras. Vous, s’il ne veut marcher,
+
+Gardez-le cependant au pied de ce rocher.
+
+Dans ces funestes lieux, où la seule inclémence
+
+D’un rigoureux destin réduit mon innocence,
+
+Je n’attends désormais du reste des humains
+
+Ni faveur, ni secours, si ce n’est par tes mains.
+
+Je ne connais que trop où tend ce préambule.
+
+Vous n’avez pas affaire à quelque homme crédule :
+
+Tous, dans cette prison, dont je porte les clés,
+
+Se disent comme vous du malheur accablés,
+
+Et la justice à tous est injuste ; de sorte
+
+Que la pitié me doit leur faire ouvrir la porte ;
+
+Mais je me tiens toujours ferme dans mon devoir :
+
+Soyez coupable ou non, je n’en veux rien savoir ;
+
+Le roi, quoi qu’il en soit, vous a mis en ma garde.
+
+Il me suffit ; le reste en rien ne me regarde.
+
+Tu juges mes desseins autres qu’ils ne sont pas.
+
+Je tiens l’éloignement pire que le trépas,
+
+Et la terre n’a point de si douce province
+
+Où le jour m’agréât loin des yeux de mon prince.
+
+Hélas ! si tu voulais l’envoyer avertir
+
+Du péril dont sans lui je ne saurais sortir,
+
+Ou qu’il lui fût porté de ma part une lettre,
+
+De la sienne en ce cas je t’ose bien promettre
+
+Que son retour soudain des plus riches te rend :
+
+Que cet anneau t’en serve et d’arrhe et de garant :
+
+Tends la main et l’esprit vers un bonheur si proche.
+
+Monsieur, jusqu’à présent j’ai vécu sans reproche,
+
+Et pour me suborner promesses ni présents
+
+N’ont et n’auront jamais de charmes suffisants.
+
+C’est de quoi je vous donne une entière assurance :
+
+Perdez-en le dessein avecque l’espérance ;
+
+Et puisque vous dressez des pièges à ma foi,
+
+Adieu, ce lieu devient trop dangereux pour moi.
+
+Va, tigre ! va, cruel, barbare, impitoyable !
+
+Ce noir cachot n’a rien tant que toi d’effroyable.
+
+Va, porte aux criminels tes regards, dont l’horreur
+
+Peut seule aux innocents imprimer la terreur :
+
+Ton visage déjà commençait mon supplice ;
+
+Et mon injuste sort, dont tu te fais complice,
+
+Ne t’envoyait ici que pour m’épouvanter,
+
+Ne t’envoyait ici que pour me tourmenter.
+
+Cependant, malheureux, à qui me dois-je prendre
+
+D’une accusation que je ne puis comprendre ?
+
+A-t-on rien vu jamais, a-t-on rien vu de tel ?
+
+Mes gens assassinés me rendent criminel ;
+
+L’auteur du coup s’en vante, et l’on m’en calomnie ;
+
+On le comble d’honneur, et moi d’ignominie ;
+
+L’échafaud qu’on m’apprête au sortir de prison,
+
+C’est par où de ce meurtre on me fait la raison.
+
+Mais leur déguisement d’autre côté m’étonne :
+
+Jamais un bon dessein ne déguisa personne ;
+
+Leur masque les condamne, et mon seing contrefait,
+
+M’imputant un cartel, me charge d’un forfait.
+
+Mon jugement s’aveugle, et, ce que je déplore,
+
+Je me sens bien trahi, mais par qui ? je l’ignore ;
+
+Et mon esprit troublé, dans ce confus rapport,
+
+Ne voit rien de certain que ma honteuse mort.
+
+Traître, qui que tu sois, rival, ou domestique,
+
+Le ciel te garde encore un destin plus tragique.
+
+N’importe, vif ou mort, les gouffres des enfers
+
+Auront pour ton supplice encor de pires fers.
+
+Là, mille affreux bourreaux t’attendent dans les flammes ;
+
+Moins les corps sont punis, plus ils gênent les âmes,
+
+Et par des cruautés qu’on ne peut concevoir,
+
+Ils vengent l’innocence au-delà de l’espoir.
+
+Et vous, que désormais je n’ose plus attendre,
+
+Prince, qui m’honoriez d’une amitié si tendre,
+
+Et dont l’éloignement fait mon plus grand malheur,
+
+Bien qu’un crime imputé noircisse ma valeur,
+
+Que le prétexte faux d’une action si noire
+
+Ne laisse plus de moi qu’une sale mémoire,
+
+Permettez que mon nom, qu’un bourreau va ternir,
+
+Dure sans infamie en votre souvenir.
+
+Ne vous repentez point de vos faveurs passées,
+
+Comme chez un perfide indignement placées :
+
+J’ose, j’ose espérer qu’un jour la vérité
+
+Paraîtra toute nue à la postérité,
+
+Et je tiens d’un tel heur l’attente si certaine,
+
+Qu’elle adoucit déjà la rigueur de ma peine ;
+
+Mon âme s’en chatouille, et ce plaisir secret
+
+La prépare à sortir avec moins de regret.
+
+Vous m’avez dit tous deux d’étranges aventures.
+
+Ah, Clitandre ! ainsi donc de fausses conjectures
+
+T’accablent, malheureux, sous le courroux du roi.
+
+Ce funeste récit me met tout hors de moi.
+
+Hâtant un peu le pas, quelque espoir me demeure
+
+Que vous arriverez auparavant qu’il meure.
+
+Si je n’y viens à temps, ce perfide en ce cas
+
+À son ombre immolé ne me suffira pas.
+
+C’est trop peu de l’auteur de tant d’énormes crimes ;
+
+Innocent, il aura d’innocentes victimes.
+
+Où que soit Rosidor, il le suivra de près,
+
+Et je saurai changer ses myrtes en cyprès.
+
+Souiller ainsi vos mains du sang de l’innocence !
+
+Mon déplaisir m’en donne une entière licence.
+
+J’en veux, comme le roi, faire autant à mon tour ;
+
+Et puisqu’en sa faveur on prévient mon retour,
+
+Il est trop criminel. Mais que viens-je d’entendre ?
+
+Je me tiens presque sûr de sauver mon Clitandre ;
+
+La chasse n’est pas loin, où prenant un cheval,
+
+Je préviendrai le coup de mon malheur fatal ;
+
+Il suffit de Cléon pour ramener Dorise.
+
+Vous autres, gardez bien de lâcher votre prise ;
+
+Un supplice l’attend, qui doit faire trembler
+
+Quiconque désormais voudrait lui ressembler.
+
+Dites vous-même au roi qu’une telle innocence
+
+Légitime en ce point ma désobéissance,
+
+Et qu’un homme sans crime avait bien mérité
+
+Que j’usasse pour lui de quelque autorité.
+
+Je vous suis. Cependant que mon heur est extrême,
+
+Ami, que je chéris à l’égal de moi-même,
+
+D’avoir su justement venir à ton secours
+
+Lorsqu’un infâme glaive allait trancher tes jours,
+
+Et qu’un injuste sort, ne trouvant point d’obstacle,
+
+Apprêtait de ta tête un indigne spectacle !
+
+Ainsi qu’un autre Alcide, en m’arrachant des fers,
+
+Vous m’avez aujourd’hui retiré des enfers ;
+
+Et moi dorénavant j’arrête mon envie
+
+À ne servir qu’un prince à qui je dois la vie.
+
+Réserve pour Caliste une part de tes soins.
+
+C’est à quoi désormais je veux penser le moins.
+
+Le moins ! Quoi ! désormais Caliste en ta pensée
+
+N’aurait plus que le rang d’une image effacée ?
+
+J’ai honte que mon cœur auprès d’elle attaché
+
+De son ardeur pour vous ait souvent relâché,
+
+Ait souvent pour le sien quitté votre service :
+
+C’est par là que j’avais mérité mon supplice ;
+
+Et pour m’en faire naître un juste repentir,
+
+Il semble que les dieux y voulaient consentir ;
+
+Mais votre heureux retour a calmé cet orage.
+
+Tu me fais assez lire au fond de ton courage :
+
+La crainte de la mort en chasse des appas
+
+Qui t’ont mis au péril d’un si honteux trépas,
+
+Puisque sans cet amour la fourbe mal conçue
+
+Eût manqué contre toi de prétexte et d’issue ;
+
+Ou peut-être à présent tes désirs amoureux
+
+Tournent vers des objets un peu moins rigoureux.
+
+Doux ou cruels, aucun désormais ne me touche.
+
+L’amour dompte aisément l’esprit le plus farouche ;
+
+C’est à ceux de notre âge un puissant ennemi.
+
+Tu ne connais encor ses forces qu’à demi ;
+
+Ta résolution, un peu trop violente,
+
+N’a pas bien consulté ta jeunesse bouillante.
+
+Mais que veux-tu, Cléon, et qu’est-il arrivé ?
+
+Pymante de vos mains se serait-il sauvé ?
+
+Non, seigneur ; acquittés de la charge commise,
+
+Nos veneurs ont conduit Pymante, et moi Dorise ;
+
+Et je viens seulement prendre un ordre nouveau.
+
+Qu’on m’attende avec eux aux portes du château.
+
+Allons, allons au roi montrer ton innocence ;
+
+Les auteurs des forfaits sont en notre puissance ;
+
+Et l’un d’eux, convaincu dès le premier aspect,
+
+Ne te laissera plus aucunement suspect.
+
+Amants les mieux payés de votre longue peine,
+
+Vous de qui l’espérance est la moins incertaine,
+
+Et qui vous figurez, après tant de longueurs,
+
+Avoir droit sur les corps dont vous tenez les cœurs,
+
+En est-il parmi vous de qui l’âme contente
+
+Goûte plus de plaisir que moi dans son attente ?
+
+En est-il parmi vous de qui l’heur à venir
+
+D’un espoir mieux fondé se puisse entretenir ?
+
+Mon esprit, que captive un objet adorable,
+
+Ne l’éprouva jamais autre que favorable,
+
+J’ignorerais encor ce que c’est que mépris,
+
+Si le sort d’un rival ne me l’avait appris.
+
+Je te plains toutefois, Clitandre, et la colère
+
+D’un grand roi qui te perd me semble trop sévère.
+
+Tes desseins par l’effet n’étaient que trop punis ;
+
+Nous voulant séparer, tu nous as réunis.
+
+Il ne te fallait point de plus cruels supplices
+
+Que de te voir toi-même auteur de nos délices,
+
+Puisqu’il n’est pas à croire, après ce lâche tour,
+
+Que le prince ose plus traverser notre amour.
+
+Ton crime t’a rendu désormais trop infâme
+
+Pour tenir ton parti sans s’exposer au blâme :
+
+On devient ton complice à te favoriser.
+
+Mais, hélas ! mes pensers, qui vous vient diviser ?
+
+Quel plaisir de vengeance à présent vous engage ?
+
+Faut-il qu’avec Caliste un rival vous partage ?
+
+Retournez, retournez vers mon unique bien :
+
+Que seul dorénavant il soit votre entretien ;
+
+Ne vous repaissez plus que de sa seule idée ;
+
+Faites-moi voir la mienne en son âme gardée.
+
+Ne vous arrêtez pas à peindre sa beauté,
+
+C’est par où mon esprit est le moins enchanté ;
+
+Elle servit d’amorce à mes désirs avides ;
+
+Mais ils ont su trouver des objets plus solides :
+
+Mon feu qu’elle alluma fût mort au premier jour,
+
+S’il n’eût été nourri d’un réciproque amour.
+
+Oui, Caliste, et je veux toujours qu’il m’en souvienne,
+
+J’aperçus aussitôt ta flamme que la mienne :
+
+L’amour apprit ensemble à nos cœurs à brûler ;
+
+L’amour apprit ensemble à nos yeux à parler ;
+
+Et sa timidité lui donna la prudence
+
+De n’admettre que nous en notre confidence :
+
+Ainsi nos passions se dérobaient à tous ;
+
+Ainsi nos feux secrets n’ayant point de jaloux…
+
+Mais qui vient jusqu’ici troubler mes rêveries ?
+
+Celle qui voudrait voir tes blessures guéries,
+
+Celle… Ah ! mon heur, jamais je n’obtiendrais sur moi
+
+De pardonner ce crime à tout autre qu’à toi.
+
+De notre amour naissant la douceur et la gloire
+
+De leur charmante idée occupaient ma mémoire ;
+
+Je flattais ton image, elle me reflattait ;
+
+Je lui faisais des vœux, elle les acceptait ;
+
+Je formais des désirs, elle en aimait l’hommage.
+
+La désavoueras-tu, cette flatteuse image ?
+
+Voudras-tu démentir notre entretien secret ?
+
+Seras-tu plus mauvaise enfin que ton portrait ?
+
+Tu pourrais de sa part te faire tant promettre,
+
+Que je ne voudrais pas tout à fait m’y remettre ;
+
+Quoiqu’à dire le vrai je ne sais pas trop bien
+
+En quoi je dédirais ce secret entretien,
+
+Si ta pleine santé me donnait lieu de dire
+
+Quelle borne à tes vœux je puis et dois prescrire.
+
+Prends soin de te guérir, et les miens plus contents…
+
+Mais je te le dirai quand il en sera temps.
+
+Cet énigme enjoué n’a point d’incertitude
+
+Qui soit propre à donner beaucoup d’inquiétude,
+
+Et si j’ose entrevoir dans son obscurité,
+
+Ma guérison importe à plus qu’à ma santé.
+
+Mais dis tout, ou du moins souffre que je devine,
+
+Et te dise à mon tour ce que je m’imagine.
+
+Tu dois, par complaisance au peu que j’ai d’appas,
+
+Feindre d’entendre mal ce que je ne dis pas,
+
+Et ne point m’envier un moment de délices
+
+Que fait goûter l’amour en ces petits supplices.
+
+Doute donc, sois en peine, et montre un cœur gêné
+
+D’une amoureuse peur d’avoir mal deviné ;
+
+Tremble sans craindre trop ; hésite, mais aspire ;
+
+Attends de ma bonté qu’il me plaise tout dire,
+
+Et sans en concevoir d’espoir trop affermi,
+
+N’espère qu’à demi, quand je parle à demi.
+
+Tu parles à demi, mais un secret langage
+
+Qui va jusques au cœur m’en dit bien davantage,
+
+Et tes yeux sont du tien de mauvais truchements,
+
+Ou rien plus ne s’oppose à nos contentements.
+
+Je l’avais bien prévu, que ton impatience
+
+Porterait ton espoir à trop de confiance ;
+
+Que, pour craindre trop peu, tu devinerais mal.
+
+Quoi ! la reine ose encor soutenir mon rival ?
+
+Et sans avoir d’horreur d’une action si noire…
+
+Elle a l’âme trop haute et chérit trop la gloire
+
+Pour ne pas s’accorder aux volonté du roi,
+
+Qui d’un heureux hymen récompense ta foi…
+
+Si notre heureux malheur a produit ce miracle,
+
+Qui peut à nos désirs mettre encor quelque obstacle ?
+
+Tes blessures. Allons, je suis déjà guéri.
+
+Ce n’est pas pour un jour que je veux un mari,
+
+Et je ne puis souffrir que ton ardeur hasarde
+
+Un bien que de ton roi la prudence retarde.
+
+Prends soin de te guérir, mais guérir tout à fait,
+
+Et crois que tes désirs… N’auront aucun effet.
+
+N’auront aucun effet ! Qui te le persuade ?
+
+Un corps peut-il guérir, dont le cœur est malade ?
+
+Tu m’as rendu mon change, et m’as fait quelque peur ;
+
+Mais je sais le remède aux blessures du cœur.
+
+Les tiennes, attendant le jour que tu souhaites,
+
+Auront pour médecins mes yeux qui les ont faites ;
+
+Je me rends désormais assidue à te voir.
+
+Cependant, ma chère âme, il est de mon devoir
+
+Que sans perdre de temps j’aille rendre en personne
+
+D’humbles grâces au roi du bonheur qu’il nous donne.
+
+Je me charge pour toi de ce remercîment.
+
+Toutefois qui saurait que pour ce compliment
+
+Une heure hors d’ici ne pût beaucoup te nuire,
+
+Je voudrais en ce cas moi-même t’y conduire,
+
+Et j’aimerais mieux être un peu plus tard à toi,
+
+Que tes justes devoirs manquassent vers ton roi.
+
+Mes blessures n’ont point, dans leurs faibles atteintes,
+
+Sur quoi ton amitié puisse fonder ses craintes.
+
+Viens donc, et puisqu’enfin nous faisons mêmes vœux,
+
+En le remerciant parle au nom de tous deux.
+
+Que souvent notre esprit, trompé par l’apparence,
+
+Règle ses mouvements avec peu d’as surance !
+
+Qu’il est peu de lumière en nos entendements,
+
+Et que d’incertitude en nos raisonnements !
+
+Qui voudra désormais se fier aux impostures
+
+Qu’en notre jugement forment les conjectures :
+
+Tu suffis pour apprendre à la postérité
+
+Combien la vraisemblance a peu de vérité.
+
+Jamais jusqu’à ce jour la raison en déroute
+
+N’a conçu tant d’erreur avec si peu de doute ;
+
+Jamais, par des soupçons si faux et si pressants,
+
+On n’a jusqu’à ce jour convaincu d’innocents.
+
+J’en suis honteux, Clitandre, et mon âme confuse
+
+De trop de promptitude en soi-même s’accuse.
+
+Un roi doit se donner, quand il est irrité,
+
+Ou plus de retenue, ou moins d’autorité.
+
+Perds-en le souvenir, et pour moi, je te jure
+
+Qu’à force de bienfaits j’en répare l’injure.
+
+Que Votre Majesté, sire, n’estime pas
+
+Qu’il faille m’attirer par de nouveaux appas.
+
+L’honneur de vous servir m’apporte assez de gloire,
+
+Et je perdrais le mien, si quelqu’un pouvait croire
+
+Que mon devoir penchât au refroidissement,
+
+Sans le flatteur espoir d’un agrandissement.
+
+Vous n’avez exercé qu’une juste colère :
+
+On est trop criminel quand on peut vous déplaire ;
+
+Et, tout chargé de fers, ma plus forte douleur
+
+Ne s’en osa jamais prendre qu’à mon malheur.
+
+Seigneur, moi qui connais le fond de son courage,
+
+Et qui n’ai jamais vu de fard en son langage,
+
+Je tiendrais à bonheur que Votre Majesté
+
+M’acceptât pour garant de sa fidélité.
+
+Ne nous arrêtons plus sur la reconnaissance
+
+Et de mon injustice et de son innocence ;
+
+Passons aux criminels. Toi dont la trahison
+
+A fait si lourdement trébucher ma raison,
+
+Approche, scélérat. Un homme de courage
+
+Se met avec honneur en un tel équipage ?
+
+Attaque, le plus fort, un rival plus heureux ?
+
+Et présumant encor cet exploit dangereux,
+
+À force de présents et d’infâmes pratiques,
+
+D’un autre cavalier corrompt les domestiques ?
+
+Prend d’un autre le nom, et contrefait son seing,
+
+Afin qu’exécutant son perfide dessein,
+
+Sur un homme innocent tombent les conjectures ?
+
+Parle, parle, confesse, et préviens les tortures.
+
+Sire, écoutez-en donc la pure vérité,
+
+Votre seule faveur a fait ma lâcheté,
+
+Vous, dis-je. Et cet objet dont l’amour me transporte.
+
+L’honneur doit pouvoir tout sur les gens de ma sorte ;
+
+Mais recherchant la mort de qui vous est si cher,
+
+Pour en avoir le fruit il me fallait cacher :
+
+Reconnu pour l’auteur d’une telle surprise,
+
+Le moyen d’approcher de vous ou de Dorise ?
+
+Tu dois aller plus outre, et m’imputer encor
+
+L’attentat sur mon fils comme sur Rosidor ;
+
+Car je ne touche point à Dorise outragée ;
+
+Chacun, en te voyant, la voit assez vengée,
+
+Et coupable elle-même, elle a bien mérité
+
+L’affront qu’elle a reçu de ta témérité.
+
+Un crime attire l’autre, et, de peur d’un supplice,
+
+On tâche, en étouffant ce qu’on en voit d’indice,
+
+De paraître innocent à force de forfaits.
+
+Je ne suis criminel sinon manque d’effets,
+
+Et sans l’âpre rigueur du sort qui me tourmente,
+
+Vous pleureriez le prince et souffririez Pymante.
+
+Mais que tardez-vous plus ? J’ai tout dit : punissez.
+
+Est-ce là le regret de tes crimes passés ?
+
+Otez-le-moi d’ici : je ne puis voir sans honte
+
+Que de tant de forfaits il tient si peu de conte.
+
+Dites à mon conseil que, pour le châtiment,
+
+J’en laisse à ses avis le libre jugement ;
+
+Mais qu’après son arrêt je saurai reconnaître
+
+L’amour que vers son prince il aura fait paraître.
+
+Viens çà, toi, maintenant, monstre de cruauté,
+
+Qui joins l’assassinat à la déloyauté,
+
+Détestable Alecton, que la reine déçue
+
+Avait naguère au rang de ses fille s reçue !
+
+Quel barbare, ou plutôt quelle peste d’enfer
+
+Se rendit ton complice et te donna ce fer ?
+
+L’autre jour, dans ce bois trouvé par aventure,
+
+Sire, il donna sujet à toute l’imposture ;
+
+Mille jaloux serpents qui me rongeaient le sein
+
+Sur cette occasion formèrent mon dessein :
+
+Je le cachai dès lors. Il est tout manifeste
+
+Que ce fer n’est enfin qu’un misérable reste
+
+Du malheureux duel où le triste Arimant
+
+Laissa son corps sans âme, et Daphné sans amant.
+
+Mais quant à son forfait, un ver de jalousie
+
+Jette souvent notre âme en telle frénésie,
+
+Que la raison, qu’aveugle un plein emportement,
+
+Laisse notre conduite à son dérèglement ;
+
+Lors tout ce qu’il produit mérite qu’on l’excuse.
+
+De si faibles raisons mon esprit ne s’abuse.
+
+Seigneur, quoi qu’il en soit, un fils qu’elle vous rend,
+
+Sous votre bon plaisir sa défense entreprend ;
+
+Innocente ou coupable, elle assura ma vie.
+
+Ma justice en ce cas la donne à ton envie ;
+
+Ta prière obtient même avant que demander
+
+Ce qu’aucune raison ne pouvait t’accorder.
+
+Le pardon t’est acquis : relève-toi , Dorise,
+
+Et va dire partout, en liberté remise,
+
+Que le prince aujourd’hui te préserve à la fois
+
+Des fureurs de Pymante et des rigueurs des lois.
+
+Après une bonté tellement excessive,
+
+Puisque votre clémence ordonne que je vive,
+
+Permettez désormais, sire, que mes desseins
+
+Prennent des mouvements plus réglés et plus sains ;
+
+Souffrez que pour pleurer mes actions brutales,
+
+Je fasse ma retraite avecque les vestales,
+
+Et qu’une criminelle indigne d’être au jour
+
+Se puisse renfermer en leur sacré séjour.
+
+Te bannir de la cour après m’être obligée,
+
+Ce serait trop montrer ma faveur négligée.
+
+N’arrêtez point au monde un objet odieux,
+
+De qui chacun, d’horreur, détournerait les yeux.
+
+Fusses-tu mille fois encor plus méprisable,
+
+Ma faveur te va rendre assez considérable
+
+Pour t’acquérir ici mille inclinations.
+
+Outre l’attrait puissant de tes perfections,
+
+Mon respect à l’amour tout le monde convie
+
+Vers celle à qui je dois et qui me doit la vie.
+
+Fais-le voir, cher Clitandre, et tourne ton désir
+
+Du côté que ton prince a voulu te choisir :
+
+Réunis mes faveurs t’unissant à Dorise.
+
+Mais par cette union mon esprit se divise,
+
+Puisqu’il faut que je donne aux devoirs d’un époux
+
+La moitié des pensers qui ne sont dus qu’à vous.
+
+Ce partage m’oblige, et je tiens tes pensées
+
+Vers un si beau sujet d’autant mieux adressées,
+
+Que je lui veux céder ce qui m’en appartient.
+
+Taisez-vous, j’aperçois notre blessé qui vient.
+
+Au comble de tes vœux, sûr de ton mariage,
+
+N’es-tu point satisfait ? que veux-tu davantage ?
+
+L’apprendre de vous, sire, et pour remerciements
+
+Nous offrir l’un et l’autre à vos commandements.
+
+Si mon commandement peut sur toi quelque chose,
+
+Et si ma volonté de la tienne dispose,
+
+Embrasse un cavalier indigne des liens
+
+Où l’a mis aujourd’hui la trahison des siens.
+
+Le prince heureusement l’a sauvé du supplice,
+
+Et ces deux que ton bras dérobe à ma justice,
+
+Corrompus par Pymante, avaient juré ta mort !
+
+Le suborneur depuis n’a pas eu meilleur sort,
+
+Et ce traître, à présent tombé sous ma puissance,
+
+Clitandre fait trop voir quelle est son innocence.
+
+Sire, vous le savez, le cœur me l’avait dit,
+
+Et si peu que j’avais près de vous de crédit,
+
+Je l’employai dès lors contre votre colère.
+
+En moi dorénavant faites état d’un frère.
+
+En moi, d’un serviteur dont l’amour éperdu
+
+Ne vous conteste plus un prix qui vous est dû.
+
+Si le pardon du roi me peut donner le vôtre,
+
+Si mon crime… Ah ! ma sœur, tu me prends pour une autre,
+
+Si tu crois que je puisse encor m’en souvenir.
+
+Tu ne veux plus songer qu’à ce jour à venir
+
+Où Rosidor guéri termine un hyménée.
+
+Clitandre, en attendant cette heureuse journée,
+
+Tâchera d’allumer en son âme des feux
+
+Pour celle que mon fils désire, et que je veux ;
+
+À qui, pour réparer sa faute criminelle,
+
+Je défends désormais de se montrer cruelle ;
+
+Et nous verrons alors cueillir en même jour
+
+À deux couples d’amants les fruits de leur amour.
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+
+
+
+
+
+
+Enfin je ne le puis : que veux-tu que j’y fasse ?
+Pour tout autre sujet mon maître n’est que glace ;
+Elle est trop dans son cœur ; on ne l’en peut chasser,
+Et c’est folie à nous que de plus y penser.
+J’ai beau devant les yeux lui remettre Hippolyte,
+Parler de ses attraits, élever son mérite,
+Sa grâce, son esprit, sa naissance, son bien ;
+Je n’avance non plus qu’à ne lui dire rien :
+L’amour, dont malgré moi son âme est possédée,
+Fait qu’il en voit autant, ou plus, en Célidée.
+
+
+
+
+Ne quittons pas pourtant ; à la longue on fait tout.
+
+La gloire suit la peine : espérons jusqu’au bout.
+Je veux que Célidée ait charmé son courage,
+L’amour le plus parfait n’est pas un mariage ;
+Fort souvent moins que rien cause un grand changement,
+Et les occasions naissent en un moment.
+
+
+
+
+Je les prendrai toujours quand je les verrai naître.
+
+
+
+
+Hippolyte, en ce cas, saura le reconnaître.
+
+
+
+
+Tout ce que j’en prétends, c’est un entier secret.
+Adieu : je vais trouver Célidée à regret.
+
+
+
+
+De la part de ton maître ? Oui. Si j’ai bonne vue,
+La voilà que son père amène vers la rue.
+Tirons-nous à quartier ; nous jouerons mieux nos jeux,
+S’ils n’aperçoivent point que nous parlions nous deux.
+
+
+
+
+
+
+Ne pense plus, ma fille, à me cacher ta flamme ;
+N’en conçois point de honte, et n’en crains point de blâme :
+Le sujet qui l’allume a des perfections
+
+Dignes de posséder tes inclinations ;
+Et pour mieux te montrer le fond de mon courage,
+J’aime autant son esprit que tu fais son visage.
+Confesse donc, ma fille, et crois qu’un si beau feu
+Veut être mieux traité que par un désaveu.
+
+
+
+
+Monsieur, il est tout vrai, son ardeur légitime
+A tant gagné sur moi que j’en fais de l’estime ;
+J’honore son mérite, et n’ai pu m’empêcher
+De prendre du plaisir à m’en voir rechercher ;
+J’aime son entretien, je chéris sa présence :
+Mais cela n’est enfin qu’un peu de complaisance,
+Qu’un mouvement léger qui passe en moins d’un jour.
+Vos seuls commandements produiront mon amour ;
+Et votre volonté, de la mienne suivie…
+
+
+
+
+Favorisant ses vœux, seconde ton envie.
+Aime, aime ton Lysandre ; et puisque je consens
+Et que je t’autorise à ces feux innocents,
+Donne-lui hardiment une entière assurance
+Qu’un mariage heureux suivra son espérance ;
+Engage-lui ta foi. Mais j’aperçois venir
+Quelqu’un qui de sa part te vient entretenir.
+Ma fille, adieu : les yeux d’un homme de mon âge
+Peut-être empêcheraient la moitié du message.
+
+
+
+
+Il ne vient rien de lui qu’il faille vous celer.
+
+
+
+
+Mais tu seras sans moi plus libre à lui parler ;
+Et ta civilité, sans doute un peu forcée,
+Me fait un compliment qui trahit ta pensée.
+
+
+
+
+
+
+Que fait ton maître, Aronte ? Il m’envoie aujourd’hui
+Voir ce que sa maîtresse a résolu de lui,
+Et comment vous voulez qu’il passe la journée.
+
+
+
+
+Je serai chez Daphnis toute l’après-dînée ;
+Et s’il m’aime, je crois que nous l’y pourrons voir.
+Autrement… Ne pensez qu’à l’y bien recevoir.
+
+
+
+
+S’il y manque, il verra sa paresse punie.
+Nous y devons dîner fort bonne compagnie ;
+J’y mène, du quartier, Hippolyte et Chloris.
+
+
+
+
+Après elles et vous il n’est rien dans Paris ;
+Et je n’en sache point, pour belles qu’on les nomme,
+Qui puissent attirer les yeux d’un honnête homme.
+
+
+
+
+Je ne suis pas d’humeur bien propre à t’écouter,
+Et ne prends pas plaisir à m’entendre flatter.
+Sans que ton bel esprit tâche plus d’y paraître,
+Mêle-toi de porter ma réponse à ton maître.
+
+
+Quelle superbe humeur ! quel arrogant maintien !
+
+Si mon maître me croit, vous ne tenez plus rien ;
+Il changera d’objet, ou j’y perdrai ma peine :
+Aussi bien son amour ne vous rend que trop vaine.
+
+
+
+
+
+
+
+Vous avez fort la presse à ce livre nouveau ;
+C’est pour vous faire riche. On le trouve si beau,
+Que c’est pour mon profit le meilleur qui se voie.
+Mais vous, que vous vendez de ces toiles de soie !
+
+
+
+
+De vrai, bien que d’abord on en vendît fort peu,
+À présent Dieu nous aime, on y court comme au feu ;
+Je n’en saurais fournir autant qu’on m’en demande :
+Elle sied mieux aussi que celle de Hollande,
+Découvre moins le fard dont un visage est peint,
+Et donne, ce me semble, un plus grand lustre au teint.
+Je perds bien à gagner, de ce que ma boutique,
+
+Pour être trop étroite, empêche ma pratique ;
+À peine y puis-je avoir deux chalands à la fois :
+Je veux changer de place avant qu’il soit un mois ;
+J’aime mieux en payer le double et davantage,
+Et voir ma marchandise en un bel étalage.
+
+
+
+
+Vous avez bien raison ; mais, à ce que j’entends…
+Monsieur, vous plaît-il voir quelques livres du temps ?
+
+
+
+
+
+
+Montrez-m’en quelques-uns. Voici ceux de la mode.
+
+
+
+Otez-moi cet auteur, son nom seul m’incommode :
+C’est un impertinent, ou je n’y connais rien.
+
+
+
+
+Ses œuvres toutefois se vendent assez bien.
+
+
+
+
+Quantité d’ignorants ne songent qu’à la rime.
+
+
+
+
+Monsieur, en voici deux dont on fait grande estime ;
+Considérez ce trait, on le trouve divin.
+
+
+
+
+Il n’est que mal traduit du cavalier Marin ;
+Sa veine, au demeurant, me semble assez hardie.
+
+
+
+
+
+Ce fut son coup d’essai que cette comédie.
+
+
+
+
+Cela n’est pas tant mal pour un commencement ;
+La plupart de ses vers coulent fort doucement :
+Qu’il a de mignardise à décrire un visage !
+
+
+
+
+
+
+Madame, montrez-nous quelques collets d’ouvrage.
+
+
+
+
+Je vous en vais montrer de toutes les façons.
+
+
+Ce visage vaut mieux que toutes vos chansons.
+
+
+Voilà du point d’esprit, de Gênes, et d’Espagne.
+
+
+
+
+Ceci n’est guère bon qu’à des gens de campagne.
+
+
+
+
+
+Voyez bien ; s’il en est deux pareils dans Paris…
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+Ne les vantez point tant, et dites-nous le prix.
+
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+Quand vous aurez choisi. Que t’en semble, Florice ?
+
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+Ceux-là sont assez beaux, mais de mauvais service ;
+En moins de trois savons on ne les connaît plus.
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+
+Celui-ci, qu’en dis-tu ? L’ouvrage en est confus,
+Bien que l’invention de près soit assez belle.
+Voici bien votre fait, n’était que la dentelle
+Est fort mal assortie avec le passement ;
+Cet autre n’a de beau que le couronnement.
+
+
+
+
+Si vous pouviez avoir deux jours de patience,
+Il m’en vient, mais qui sont dans la même excellence.
+
+
+
+
+Il vaudrait mieux attendre. Eh bien, nous attendrons ;
+Dites-nous au plus tard quel jour nous reviendrons.
+
+
+
+
+Mercredi j’en attends de certaines nouvelles.
+Cependant vous faut-il quelques autres dentelles ?
+
+
+
+
+J’en ai ce qu’il m’en faut pour ma provision.
+
+
+
+J’en vais subtilement prendre l’occasion.
+La connais-tu, voisine ? Oui, quelque peu de vue :
+Quant au reste, elle m’est tout à fait inconnue.
+Ce cavalier sans doute y trouve plus d’appas
+Que dans tous vos auteurs ? Je n’y manquerai pas.
+
+
+
+Si tu ne me vois là, je serai dans la salle.
+
+Je connais celui-ci ; sa veine est fort égale ;
+Il ne fait point de vers qu’on ne trouve charmants.
+Mais on ne parle plus qu’on fasse de romans ;
+J’ai vu que notre peuple en était idolâtre.
+
+
+
+
+La mode est à présent des pièces de théâtre.
+
+
+
+
+De vrai, chacun s’en pique ; et tel y met la main,
+Qui n’eut jamais l’esprit d’ajuster un quatrain.
+
+
+
+
+
+
+Je te prends sur le livre. Eh bien, qu’en veux-tu dire ?
+Tant d’excellents esprits, qui se mêlent d’écrire,
+Valent bien qu’on leur donne une heure de loisir.
+
+
+
+
+Y trouves-tu toujours une heure de plaisir ?
+Beaucoup font bien des vers, et peu la comédie.
+
+
+
+
+Ton goût, je m’en assure, est pour la Normandie.
+
+
+
+
+Sans rien spécifier, peu méritent de voir ;
+
+Souvent leur entreprise excède leur pouvoir :
+Et tel parle d’amour sans aucune pratique.
+
+
+
+
+On n’y sait guère alors que la vieille rubrique :
+Faute de le connaître, on l’habille en fureur
+Et loin d’en faire envie, on nous en fait horreur.
+Lui seul de ses effets a droit de nous instruire ;
+Notre plume à lui seul doit se laisser conduire :
+Pour en bien discourir, il faut l’avoir bien fait ;
+Un bon poète ne vient que d’un amant parfait.
+
+
+
+
+Il n’en faut point douter, l’amour a des tendresses
+Que nous n’apprenons point qu’auprès de nos maîtresses.
+Tant de sorte d’appas, de doux saisissements,
+D’agréables langueurs et de ravissements,
+Jusques où d’un bel oeil peut s’étendre l’empire,
+Et mille autres secrets que l’on ne saurait dire
+(Quoi que tous nos rimeurs en mettent par écrit),
+Ne se surent jamais par un effort d’esprit ;
+Et je n’ai jamais vu de cervelles bien faites
+Qui traitassent l’amour à la façon des poètes :
+C’est tout un autre jeu. Le style d’un sonnet
+Est fort extravagant dedans un cabinet ;
+Il y faut bien louer la beauté qu’on adore,
+Sans mépriser Vénus, sans médire de Flore,
+Sans que l’éclat des lis, des roses, d’un beau jour,
+Ait rien à démêler avecque notre amour.
+O pauvre comédie, objet de tant de veines,
+Si tu n’es qu’un portrait des actions humaines,
+
+On te tire souvent sur un original
+À qui, pour dire vrai, tu ressembles fort mal !
+
+
+
+
+Laissons la muse en paix, de grâce à la pareille.
+Chacun fait ce qu’il peut, et ce n’est pas merveille
+Si, comme avec bon droit on perd bien un procès,
+Souvent un bon ouvrage a de faibles succès.
+Le jugement de l’homme, ou plutôt son caprice,
+Pour quantité d’esprits n’a que de l’injustice :
+J’en admire beaucoup dont on fait peu d’état ;
+Leurs fautes, tout au pis, ne sont pas coups d’Etat,
+La plus grande est toujours de peu de conséquence.
+
+
+
+
+Vous plairait-il de voir des pièces d’éloquence ?
+
+
+J’en lus hier la moitié ; mais son vol est si haut,
+Que presque à tous moments je me trouve en défaut.
+
+
+
+
+Voici quelques auteurs dont j’aime l’industrie.
+Mettez ces trois à part, mon maître, je vous prie ;
+Tantôt un de mes gens vous les viendra payer.
+Le reste du matin où veux-tu l’employer ?
+
+
+
+
+Voyez deçà, messieurs ; vous plaît-il rien du nôtre ?
+Voyez, je vous ferai meilleur marché qu’un autre,
+Des gants, des baudriers, des rubans, des castors.
+
+
+
+
+
+
+Je ne saurais encor te suivre si tu sors :
+Faisons un tour de salle, attendant mon Cléante.
+
+
+
+
+Qui te retient ici ? L’histoire en est plaisante :
+Tantôt, comme j’étais sur le livre occupé,
+Tout proche on est venu choisir du point coupé.
+
+
+
+
+Qui ? C’est la question ; mais s’il faut s’en remettre
+À ce qu’à mes regards sa coiffe a pu permettre,
+Je n’ai rien vu d’égal : mon Cléante la suit,
+Et ne reviendra point qu’il n’en soit bien instruit,
+Qu’il n’en sache le nom, le rang et la demeure.
+
+
+
+
+Ami, le cœur t’en dit. Nullement, ou je meure ;
+Voyant je ne sais quoi de rare en sa beauté,
+J’ai voulu contenter ma curiosité.
+
+
+
+
+
+Ta curiosité deviendra bientôt flamme ;
+C’est par là que l’amour se glisse dans une âme.
+À la première vue, un objet qui nous plaît
+N’inspire qu’un désir de savoir quel il est ;
+On en veut aussitôt apprendre davantage,
+Voir si son entretien répond à son visage,
+S’il est civil ou rude, importun ou charmeur,
+Eprouver son esprit, connaître son humeur :
+De là cet examen se tourne en complaisance ;
+On cherche si souvent le bien de sa présence,
+Qu’on en fait habitude, et qu’au point d’en sortir
+Quelque regret commence à se faire sentir :
+On revient tout rêveur ; et notre âme blessée,
+Sans prendre garde à rien, cajole sa pensée.
+Ayant rêvé le jour, la nuit à tous propos
+On sent je ne sais quoi qui trouble le repos ;
+Un sommeil inquiet, sur de confus nuages,
+Elève incessamment de flatteuses images,
+Et sur leur vain rapport fait naître des souhaits
+Que le réveil admire et ne dédit jamais ;
+Tout le cœur court en hâte après de si doux guides ;
+Et le moindre larcin que font ses vœux timides
+Arrête le larron, et le met dans les fers.
+
+
+
+
+Ainsi tu fus épris de celle que tu sers ?
+
+
+
+
+
+C’est un autre discours ; à présent je ne touche
+Qu’aux ruses de l’amour contre un esprit farouche,
+Qu’il faut apprivoiser presque insensiblement,
+Et contre ses froideurs combattre finement.
+Des naturels plus doux… Eh bien, elle s’appelle ?
+
+Ne m’informez de rien qui touche cette belle.
+Trois filous rencontrés vers le milieu du pont,
+Chacun l’épée au poing, m’ont voulu faire affront,
+Et sans quelques amis qui m’ont tiré de peine,
+Contr’eux ma résistance eût peut-être été vaine ;
+Ils ont tourné le dos, me voyant secouru,
+Mais ce que je suivais tandis est disparu.
+
+
+
+
+Les traîtres ! trois contre un ! t’attaquer ! te surprendre !
+Quels insolents vers moi s’osent ainsi méprendre ?
+
+
+
+
+Je ne connais qu’un d’eux, et c’est là le retour
+De quelques tours de main qu’il reçut l’autre jour,
+
+Lorsque, m’ayant tenu quelques propos d’ivrogne,
+Nous eûmes prise ensemble à l’hôtel de Bourgogne.
+
+
+
+
+Qu’on le trouve où qu’il soit ; qu’une grêle de bois
+Assemble sur lui seul le châtiment des trois ;
+Et que sous l’étrivière il puisse tôt connaître,
+Quand on se prend aux miens, qu’on s’attaque à leur maître !
+
+
+
+
+J’aime à te voir ainsi décharger ton courroux :
+Mais voudrais-tu parler franchement entre nous ?
+
+
+
+
+Quoi ! tu doutes encor de ma juste colère ?
+
+
+
+
+En ce qui le regarde, elle n’est que légère :
+En vain pour son sujet tu fais l’intéressé ;
+Il a paré des coups dont ton cœur est blessé :
+Cet accident fâcheux te vole une maîtresse ;
+Confesse ingénument, c’est là ce qui te presse.
+
+
+
+
+Pourquoi te confesser ce que tu vois assez ?
+Au point de se former, mes desseins renversés,
+Et mon désir trompé, poussent dans ces contraintes,
+Sous de faux mouvements, de véritables plaintes.
+
+
+
+
+Ce désir, à vrai dire, est un amour naissant
+Qui ne sait où se prendre, et demeure impuissant ;
+Il s’égare et se perd dans cette incertitude ;
+Et renaissant toujours de ton inquiétude,
+
+Il te montre un objet d’autant plus souhaité,
+Que plus sa connaissance a de difficulté.
+C’est par là que ton feu davantage s’allume :
+Moins on l’a pu connaître, et plus on en présume ;
+Notre ardeur curieuse en augmente le prix.
+
+
+
+
+Que tu sais cher ami, lire dans les esprits !
+Et que, pour bien juger d’une secrète flamme,
+Tu pénètres avant dans les ressorts d’une âme !
+
+
+
+
+Ce n’est pas encor tout, je veux te secourir.
+
+
+
+
+Oh, que je ne suis pas en état de guérir !
+L’amour use sur moi de trop de tyrannie.
+
+
+
+
+Souffre que je te mène en une compagnie
+Où l’objet de mes vœux m’a donné rendez-vous ;
+Les divertissements t’y sembleront si doux,
+Ton âme en un moment en sera si charmée
+Que, tous ses déplaisirs dissipés en fumée,
+On gagnera sur toi fort aisément ce point
+D’oublier un objet que tu ne connais point.
+Mais garde-toi surtout d’une jeune voisine
+Que ma maîtresse y mène ; elle est et belle et fine,
+Et sait si dextrement ménager ses attraits,
+Qu’il n’est pas bien aisé d’en éviter les traits.
+
+
+
+
+Au hasard, fais de moi tout ce que bon te semble.
+
+
+
+
+Donc, en attendant l’heure, allons dîner ensemble.
+
+
+
+
+
+
+Tu me railles toujours. S’il ne vous veut du bien,
+Dites assurément que je n’y connais rien.
+Je le considérais tantôt chez ce libraire ;
+Ses regards de sur vous ne pouvaient se distraire,
+Et son maintien était dans une émotion
+Qui m’instruisait assez de son affection.
+Il voulait vous parler, et n’osait l’entreprendre.
+
+
+
+
+Toi, ne me parle point, ou parle de Lysandre :
+C’est le seul dont la vue excite mon ardeur.
+
+
+
+
+Et le seul qui pour vous n’a que de la froideur.
+Célidée est son âme, et tout autre visage
+N’a point d’assez beaux traits pour toucher son courage ;
+Son brasier est trop grand, rien ne peut l’amortir :
+En vain son écuyer tâche à l’en divertir,
+En vain, jusques aux cieux portant votre louange,
+Il tâche à lui jeter quelque amorce du change,
+Et lui dit jusque-là que dans votre entretien
+Vous témoignez souvent de lui vouloir du bien ;
+Tout cela n’est qu’autant de paroles perdues.
+
+
+
+
+Faute d’être sans doute assez bien entendues.
+
+
+
+
+Ne le présumez pas, il faut avoir recours
+
+À de plus hauts secrets qu’à ces faibles discours.
+Je fus fine autrefois, et depuis mon veuvage
+Ma ruse chaque jour s’est accrue avec l’âge :
+Je me connais en monde, et sais mille ressorts
+Pour débaucher une âme et brouiller des accords.
+
+
+
+
+Dis promptement, de grâce. À présent l’heure presse,
+Et je ne vous saurais donner qu’un mot d’adresse.
+Cette voisine et vous… Mais déjà la voici.
+
+
+
+
+
+
+À force de tarder, tu m’as mise en souci :
+Il est temps, et Daphnis par un page me mande
+Que pour faire servir on n’attend que ma bande ;
+Le carrosse est tout prêt : allons, veux-tu venir ?
+
+
+
+
+Lysandre après dîner t’y vient entretenir ?
+
+
+
+
+S’il osait y manquer, je te donne promesse
+Qu’il pourrait bien ailleurs chercher une maîtresse.
+
+
+
+
+
+
+
+Ne me contez point tant que mon visage est beau :
+Ces discours n’ont pour moi rien du tout de nouveau ;
+Je le sais bien sans vous, et j’ai cet avantage,
+Quelques perfections qui soient sur mon visage,
+Que je suis la première à m’en apercevoir :
+Pour me les bien apprendre, il ne faut qu’un miroir ;
+J’y vois en un moment tout ce que vous me dites.
+
+
+
+
+Mais vous n’y voyez pas tous vos rares mérites :
+Cet esprit tout divin et ce doux entretien
+Ont des charmes puissants dont il ne montre rien.
+
+
+
+
+Vous les montrez assez par cette après-dînée
+Qu’à causer avec moi vous vous êtes donnée ;
+Si mon discours n’avait quelque charme caché,
+Il ne vous tiendrait pas si longtemps attaché.
+Je vous juge plus sage, et plus aimer votre aise,
+Que d’y tarder ainsi sans que rien vous y plaise ;
+Et si je présumais qu’il vous plût sans raison,
+
+Je me ferais moi-même un peu de trahison ;
+Et par ce trait badin qui sentirait l’enfance,
+Votre beau jugement recevrait trop d’offense.
+Je suis un peu timide, et dût-on me jouer,
+Je n’ose démentir ceux qui m’osent louer.
+
+
+
+
+Aussi vous n’avez pas le moindre lieu de craindre
+Qu’on puisse, en vous louant ni vous flatter ni feindre ;
+On voit un tel éclat en vos brillants appas,
+Qu’on ne peut l’exprimer, ni ne l’adorer pas.
+
+
+
+
+Ni ne l’adorer pas ! Par là vous voulez dire…
+
+
+
+
+Que mon cœur désormais vit dessous votre empire,
+Et que tous mes desseins de vivre en liberté
+N’ont rien eu d’assez fort contre votre beauté.
+
+
+
+
+Quoi ? mes perfections vous donnent dans la vue ?
+
+
+
+
+Les rares qualités dont vous êtes pourvue
+Vous ôtent tout sujet de vous en étonner.
+
+
+
+
+Cessez aussi, monsieur, de vous l’imaginer.
+Si vous brûlez pour moi, ce ne sont pas merveilles ;
+J’ai de pareils discours chaque jour aux oreilles,
+Et tous les gens d’esprit en font autant que vous.
+
+
+
+
+En amour toutefois je les surpasse tous.
+Je n’ai point consulté pour vous donner mon âme ;
+
+Votre premier aspect sut allumer ma flamme,
+Et je sentis mon cœur, par un secret pouvoir,
+Aussi prompt à brûler que mes yeux à vous voir.
+
+
+
+
+Avoir connu d’abord combien je suis aimable,
+Encor qu’à votre avis il soit inexprimable,
+Ce grand et prompt effet m’assure puissamment
+De la vivacité de votre jugement.
+Pour moi, que la nature a faite un peu grossière,
+Mon esprit, qui n’a pas cette vive lumière,
+Conduit trop pesamment toutes ses fonctions
+Pour m’avertir sitôt de vos perfections.
+Je vois bien que vos feux méritent récompense :
+Mais de les seconder ce défaut me dispense.
+
+
+
+
+Railleuse ! Excusez-moi, je parle tout de bon.
+
+
+
+Le temps de cet orgueil me fera la raison ;
+Et nous verrons un jour, à force de services,
+Adoucir vos rigueurs et finir mes supplices.
+
+
+
+
+
+
+
+Peut-être l’avenir… Tout beau, coureur, tout beau !
+
+On n’est pas quitte ainsi pour un coup de chapeau :
+Vous aimez l’entretien de votre fantaisie ;
+Mais pour un cavalier c’est peu de courtoisie,
+Et cela messied fort à des hommes de cour,
+De n’accompagner pas leur salut d’un bonjour.
+
+
+
+
+Puisque auprès d’un sujet capable de nous plaire
+La présence d’un tiers n’est jamais nécessaire,
+De peur qu’il en reçût quelque importunité,
+J’ai mieux aimé manquer à la civilité.
+
+
+
+
+Voilà parer mon coup d’un galant artifice,
+Comme si je pouvais… Que me veux-tu, Florice ?
+Dis-lui que je m’en vais. Messieurs, pardonnez-moi,
+On me vient d’apporter une fâcheuse loi ;
+Incivile à mon tour, il faut que je vous quitte.
+Une mère m’appelle. Adieu, belle Hippolyte,
+Adieu : souvenez-vous… Mais vous, n’y songez plus.
+
+
+
+
+
+
+Quoi ! Dorimant, ce mot t’a rendu tout confus !
+
+
+
+
+Ce mot à mes désirs laisse peu d’espérance.
+
+
+
+
+Tu ne la vois encor qu’avec indifférence ?
+
+
+
+
+Comme toi Célidée. Elle eut donc chez Daphnis,
+Hier dans son entretien des charmes infinis ?
+Je te l’avais bien dit que ton âme à sa vue
+Demeurerait, ou prise, ou puissamment émue ;
+Mais tu n’as pas sitôt oublié la beauté
+Qui fit naître au Palais ta curiosité ?
+Du moins ces deux objets balancent ton courage ?
+
+
+
+
+Sais-tu bien que c’est là justement mon visage,
+Celui que j’avais vu le matin au Palais ?
+
+
+
+
+À ce compte… J’en tiens, ou l’on n’en tint jamais.
+
+
+
+
+C’est consentir bientôt à perdre ta franchise.
+
+
+
+
+
+C’est rendre un prompt hommage aux yeux qui me l’ont prise.
+
+
+
+
+Puisque tu les connais, je ne plains plus ton mal.
+
+
+
+
+Leur coup, pour les connaître, en est-il moins fatal ?
+
+
+
+
+Non, mais du moins ton cœur n’est plus à la torture
+De voir tes vœux forcés d’aller à l’aventure ;
+Et cette belle humeur de l’objet qui t’a pris…
+
+
+
+
+Sous un accueil riant cache un subtil mépris.
+Ah, que tu ne sais pas de quel air on me traite !
+
+
+
+
+Je t’en avais jugé l’âme fort satisfaite :
+Et cette gaie humeur, qui brillait dans ses yeux,
+M’en promettait pour toi quelque chose de mieux.
+
+
+
+
+Cette belle, de vrai, quoique toute de glace,
+Mêle dans ses froideurs je ne sais quelle grâce,
+Par où tout de nouveau je me laisse gagner,
+Et consens, peu s’en faut, à m’en voir dédaigner.
+Loin de s’en affaiblir, mon amour s’en augmente ;
+Je demeure charmé de ce qui me tourmente.
+Je pourrais de toute autre être le possesseur,
+Que sa possession aurait moins de douceur.
+Je ne suis plus à moi quand je vois Hippolyte
+
+Rejeter ma louange et vanter son mérite,
+Négliger mon amour ensemble et l’approuver,
+Me remplir tout d’un temps d’espoir et m’en priver,
+Me refuser son cœur en acceptant mon âme,
+Faire état de mon choix en méprisant ma flamme.
+Hélas ! en voilà trop : le moindre de ces traits
+A pour me retenir de trop puissants attraits ;
+Trop heureux d’avoir vu sa froideur enjouée
+Ne se point offenser d’une ardeur avouée !
+
+
+
+
+Son adieu toutefois te défend d’y songer,
+Et ce commandement t’en devrait dégager.
+
+
+
+
+Qu’un plus capricieux d’un tel adieu s’offense ;
+Il me donne un conseil plutôt qu’une défense,
+Et par ce mot d’avis, son cœur sans amitié
+Du temps que j’y perdrai montre quelque pitié.
+
+
+
+
+Soit défense ou conseil, de rien ne désespère ;
+Je te réponds déjà de l’esprit de sa mère.
+Pleirante son voisin lui parlera pour toi ;
+Il peut beaucoup sur elle, et fera tout pour moi.
+Tu sais qu’il m’a donné sa fille pour maîtresse.
+Tâche à vaincre Hippolyte avec un peu d’adresse,
+Et n’appréhende pas qu’il en faille beaucoup :
+
+Tu verras sa froideur se perdre tout d’un coup.
+Elle ne se contraint à cette indifférence
+Que pour rendre une entière et pleine déférence,
+Et cherche, en déguisant son propre sentiment,
+La gloire de n’aimer que par commandement.
+
+
+
+
+Tu me flattes, ami, d’une attente frivole.
+
+
+
+
+L’effet suivra de près. Mon cœur, sur ta parole,
+Ne se résout qu’à peine à vivre plus content.
+
+
+
+
+Il se peut assurer du bonheur qu’il prétend ;
+J’y donnerai bon ordre. Adieu : le temps me presse,
+Et je viens de sortir d’auprès de ma maîtresse ;
+Quelques commissions dont elle m’a chargé
+M’obligent maintenant à prendre ce congé.
+
+
+
+
+Dieux ! qu’il est malaisé qu’une âme bien atteinte
+
+Conçoive de l’espoir qu’avec un peu de crainte !
+Je dois toute croyance à la foi d’un ami,
+Et n’ose cependant m’y fier qu’à demi.
+Hippolyte, d’un mot, chasserait ce caprice.
+Est-elle encore en haut ? Encore. Adieu, Florice.
+Nous la verrons demain. Il vient de s’en aller.
+Sortez. Mais fallait-il ainsi me rappeler,
+Me supposer ainsi des ordres d’une mère ?
+Sans mentir, contre toi j’en suis toute en colère :
+À peine ai-je attiré Lysandre en nos discours,
+Que tu viens par plaisir en arrêter le cours.
+
+
+
+
+Eh bien ! prenez-vous-en à mon impatience
+De vous communiquer un trait de ma science :
+Cet avis important tombé dans mon esprit
+Méritait qu’aussitôt Hippolyte l’apprît ;
+Je vais sans perdre temps y disposer Aronte.
+
+
+
+
+
+J’ai la mine après tout d’y trouver mal mon conte.
+
+
+
+
+Je sais ce que je fais, et ne perds point mes pas ;
+Mais de votre côté ne vous épargnez pas ;
+Mettez tout votre esprit à bien mener la ruse.
+
+
+
+
+Il ne faut point par là te préparer d’excuse.
+Va, suivant le succès, je veux à l’avenir
+Du mal que tu m’as fait perdre le souvenir.
+
+Célidée, es-tu là ? Que me veut Hippolyte ?
+
+
+
+Délasser mon esprit une heure en ta visite.
+Que j’ai depuis un jour un importun amant !
+Et que, pour mon malheur, je plais à Dorimant !
+
+
+
+
+Ma sœur, que me dis-tu ? Dorimant t’importune !
+Quoi ! j’enviais déjà ton heureuse fortune,
+
+Et déjà dans l’esprit je sentais quelque ennui
+D’avoir connu Lysandre auparavant que lui.
+
+
+
+
+Ah ! ne me raille point. Lysandre, qui t’engage,
+Est le plus accompli des hommes de son âge.
+
+
+
+
+Je te jure, à mes yeux l’autre l’est bien autant.
+Mon cœur a de la peine à demeurer constant ;
+Et pour te découvrir jusqu’au fond de mon âme,
+Ce n’est plus que ma foi qui conserve ma flamme :
+Lysandre me déplaît de me vouloir du bien.
+Plût aux dieux que son change autorisât le mien,
+Ou qu’il usât vers moi de tant de négligence,
+Que ma légèreté se pût nommer vengeance !
+Si j’avais un prétexte à me mécontenter,
+Tu me verrais bientôt résoudre à le quitter.
+
+
+
+
+Simple, présumes-tu qu’il devienne volage
+Tant qu’il verra l’amour régner sur ton visage ?
+Ta flamme trop visible entretient ses ferveurs,
+Et ses feux dureront autant que tes faveurs.
+
+
+
+
+Il semble, à t’écouter, que rien ne le retienne
+Que parce que sa flamme a l’aveu de la mienne.
+
+
+
+
+Que sais-je ? Il n’a jamais éprouvé tes rigueurs ;
+L’amour en même temps sut embraser vos cœurs ;
+Et même j’ose dire, après beaucoup de monde,
+Que sa flamme vers toi ne fut que la seconde.
+
+Il se vit accepter avant que de s’offrir ;
+Il ne vit rien à craindre, il n’eut rien à souffrir ;
+Il vit sa récompense acquise avant la peine,
+Et devant le combat sa victoire certaine.
+Un homme est bien cruel quand il ne donne pas
+Un cœur qu’on lui demande avecque tant d’appas.
+Qu’à ce prix la constance est une chose aisée,
+Et qu’autrefois par là je me vis abusée !
+Alcidor, que mes yeux avaient si fort épris,
+Courut au changement dès le premier mépris.
+La force de l’amour paraît dans la souffrance.
+Je le tiens fort douteux, s’il a tant d’assurance.
+Qu’on en voit s’affaiblir pour un peu de longueur !
+Et qu’on en voit céder à la moindre rigueur !
+
+
+
+
+Je connais mon Lysandre, et sa flamme est trop forte
+Pour tomber en soupçon qu’il m’aime de la sorte.
+Toutefois un dédain éprouvera ses feux.
+Ainsi, quoi qu’il en soit, j’aurai ce que je veux ;
+Il me rendra constante, ou me fera volage :
+S’il m’aime, il me retient ; s’il change, il me dégage.
+Suivant ce qu’il aura d’amour ou de froideur,
+Je suivrai ma nouvelle ou ma première ardeur.
+
+
+
+
+En vain tu t’y résous : ton âme un peu contrainte,
+Au travers de tes yeux lui trahira ta feinte.
+L’un d’eux dédira l’autre, et toujours un souris
+Lui fera voir assez combien tu le chéris.
+
+
+
+
+Ce n’est qu’un faux soupçon qui te le persuade ;
+
+J’armerai de rigueurs jusqu’à la moindre oeillade,
+Et réglerai si bien toutes mes actions,
+Qu’il ne pourra juger de mes intentions.
+Pour le moins aussitôt que par cette conduite
+Tu seras de son cœur suffisamment instruite,
+S’il demeure constant, l’amour et la pitié,
+Avant que dire adieu, renoueront l’amitié.
+
+
+
+
+Il va bientôt venir. Va-t’en, et sois certaine
+De ne voir d’aujourd’hui Lysandre hors de peine.
+
+
+
+
+Et demain ? Je t’irai conter ses mouvements
+Et touchant l’avenir prendre tes sentiments.
+O dieux ! si je pouvais changer sans infamie !
+
+
+
+
+Adieu. N’épargne en rien ta plus fidèle amie.
+
+
+
+
+
+
+Quel étrange combat ! Je meurs de le quitter,
+Et mon reste d’amour ne le peut maltraiter.
+Mon âme veut et n’ose, et bien que refroidie,
+N’aura trait de mépris si je ne l’étudie.
+
+Tout ce que mon Lysandre a de perfections
+Se vient offrir en foule à mes affections.
+Je vois mieux ce qu’il vaut lorsque je l’abandonne,
+Et déjà la grandeur de ma perte m’étonne.
+Pour régler sur ce point mon esprit balancé,
+J’attends ses mouvements sur mon dédain forcé ;
+Ma feinte éprouvera si son amour est vraie.
+Hélas ! ses yeux me font une nouvelle plaie.
+Prépare-toi, mon cœur, et laisse à mes discours
+Assez de liberté pour trahir mes amours.
+
+
+
+
+
+
+Quoi ? j’aurai donc de vous encore une visite !
+Vraiment pour aujourd’hui je m’en estimais quitte.
+
+
+
+
+Une par jour suffit, si tu veux endurer
+Qu’autant comme le jour je la fasse durer.
+
+
+
+
+Pour douce que nous soit l’ardeur qui nous consume,
+Tant d’importunité n’est point sans amertume.
+
+
+
+
+Au lieu de me donner ces appréhensions,
+Apprends ce que j’ai fait sur tes commissions.
+
+
+
+
+Je ne vous en chargeai qu’afin de me défaire
+D’un entretien chargeant, et qui m’allait déplaire.
+
+
+
+
+
+Depuis quand donnez-vous ces qualités aux miens ?
+
+
+
+
+Depuis que mon esprit n’est plus dans vos liens.
+
+
+
+
+Est-ce donc par gageure, ou par galanterie ?
+
+
+
+
+Ne vous flattez point tant que ce soit raillerie.
+Ce que j’ai dans l’esprit je ne le puis celer,
+Et ne suis pas d’humeur à rien dissimuler.
+
+
+
+
+Quoi ! que vous ai-je fait ? d’où provient ma disgrâce ?
+Quel sujet avez-vous d’être pour moi de glace ?
+Ai-je manqué de soins ? ai-je manqué de feux ?
+Vous ai-je dérobé le moindre de mes vœux ?
+Ai-je trop peu cherché l’heur de votre présence ?
+Ai-je eu pour d’autres yeux la moindre complaisance ?
+
+
+
+
+Tout cela n’est qu’autant de propos superflus.
+Je voulus vous aimer, et je ne le veux plus ;
+Mon feu fut sans raison, ma glace l’est de même ;
+Si l’un eut quelque excès, je rendrai l’autre extrême.
+
+
+
+
+Par cette extrémité vous avancez ma mort.
+
+
+
+
+Il m’importe fort peu quel sera votre sort.
+
+
+
+
+Quelle nouvelle amour, ou plutôt quel caprice
+
+Vous porte à me traiter avec cette injustice,
+Vous de qui le serment m’a reçu pour époux ?
+
+
+
+
+J’en perds le souvenir aussi bien que de vous.
+
+
+
+
+Évitez-en la honte et fuyez-en le blâme.
+
+
+
+
+Je les veux accepter pour peines de ma flamme.
+
+
+
+
+Un reproche éternel suit ce tour inconstant.
+
+
+
+
+Si vous me voulez plaire, il en faut faire autant.
+
+
+
+
+Est-ce là donc le prix de vous avoir servie ?
+Ah ! cessez vos mépris, ou me privez de vie.
+
+
+
+
+Eh bien ! soit, un adieu les va faire cesser :
+Aussi bien ce discours ne fait que me lasser.
+
+
+
+
+Ah ! redouble plutôt ce dédain qui me tue,
+Et laisse-moi le bien d’expirer à ta vue ;
+Que j’adore tes yeux, tout cruels qu’ils me sont ;
+Qu’ils reçoivent mes vœux pour le mal qu’ils me font.
+Invente à me gêner quelque rigueur nouvelle ;
+Traite, si tu le veux, mon âme en criminelle :
+Dis que je suis ingrat, appelle-moi léger ;
+Impute à mes amours la honte de changer ;
+Dedans mon désespoir fais éclater ta joie ;
+Et tout me sera doux, pourvu que je te voie.
+
+Tu verras tes mépris n’ébranler point ma foi,
+Et mes derniers soupirs ne voler qu’après toi.
+Ne crains point de ma part de reproche ou d’injure,
+Je ne t’appellerai ni lâche, ni parjure.
+Mon feu supprimera ces titres odieux ;
+Mes douleurs céderont au pouvoir de tes yeux ;
+Et mon fidèle amour, malgré leur vie atteinte,
+Pour t’adorer encore étouffera ma plainte.
+
+
+
+
+Adieu. Quelques encens que tu veuilles m’offrir,
+Je ne me saurais plus résoudre à les souffrir.
+
+
+
+
+
+
+Célidée ! Ah, tu fuis ! tu fuis donc, et tu n’oses
+Faire tes yeux témoins d’un trépas que tu causes !
+Ton esprit, insensible à mes feux innocents,
+Craint de ne l’être pas aux douleurs que je sens :
+Tu crains que la pitié qui se glisse en ton âme
+N’y rejette un rayon de ta première flamme,
+Et qu’elle ne t’arrache un soudain repentir,
+
+Malgré tout cet orgueil qui n’y peut consentir.
+Tu vois qu’un désespoir dessus mon front exprime
+En mille traits de feu mon ardeur et ton crime ;
+Mon visage t’accuse, et tu vois dans mes yeux
+Un portrait que mon cœur conserve beaucoup mieux.
+Tous mes soins, tu le sais, furent pour Célidée :
+La nuit ne m’a jamais retracé d’autre idée,
+Et tout ce que Paris a d’objets ravissants
+N’a jamais ébranlé le moindre de mes sens.
+Ton exemple à changer en vain me sollicite ;
+Dans ta volage humeur j’adore ton mérite ;
+Et mon amour, plus fort que mes ressentiments,
+Conserve sa vigueur au milieu des tourments,
+Reviens, mon cher souci, puisqu’après tes défenses
+Mes plus vives ardeurs sont pour toi des offenses.
+Vois comme je persiste à te désobéir,
+Et par là, si tu peux, prends droit de me haïr.
+Fol, je présume ainsi rappeler l’inhumaine,
+Qui ne veut pas avoir de raisons à sa haine ?
+Puisqu’elle a sur mon cœur un pouvoir absolu,
+Il lui suffit de dire : "Ainsi je l’ai voulu."
+Cruelle, tu le veux ! C’est donc ainsi qu’on traite
+Les sincères ardeurs d’une amour si parfaite ?
+Tu me veux donc trahir ? Tu le veux, et ta foi
+N’est qu’un gage frivole à qui vit sous ta loi ?
+Mais je veux l’endurer sans bruit, sans résistance ;
+Tu verras ma langueur, et non mon inconstance ;
+Et de peur de t’ôter un captif par ma mort,
+J’attendrai ce bonheur de mon funeste sort.
+Jusque-là mes douleurs, publiant ta victoire,
+Sur mon front pâlissant élèveront ta gloire,
+
+Et sauront en tous lieux hautement témoigner
+Que, sans me refroidir, tu m’as pu dédaigner.
+
+
+
+
+
+
+
+
+Tu me donnes, Aronte, un étrange remède.
+
+
+
+
+Souverain toutefois au mal qui vous possède,
+Croyez-moi, j’en ai vu des succès merveilleux
+À remettre au devoir ces esprits orgueilleux :
+Quand on leur sait donner un peu de jalousie,
+Ils ont bientôt quitté ces traits de fantaisie ;
+Car enfin tout l’éclat de ces emportements
+Ne peut avoir pour but de perdre leurs amants.
+
+
+
+
+Que voudrait donc par là mon ingrate maîtresse ?
+
+
+
+
+Elle vous joue un tour de la plus haute adresse.
+Avez-vous bien pris garde au temps de ses mépris ?
+Tant qu’elle vous a cru légèrement épris,
+Que votre chaîne encor n’était pas assez forte,
+Vous a-t-elle jamais gouverné de la sorte ?
+Vous ignoriez alors l’usage des soupirs ;
+Ce n’étaient que douceurs, ce n’étaient que plaisirs :
+Son esprit avisé voulait par cette ruse
+
+Établir un pouvoir dont maintenant elle use.
+Remarquez-en l’adresse ; elle fait vanité
+De voir dans ses dédains votre fidélité.
+Votre humeur endurante à ces rigueurs l’invite.
+On voit par là vos feux, par vos feux son mérite ;
+Et cette fermeté de vos affections
+Montre un effet puissant de ses perfections.
+Osez-vous espérer qu’elle soit plus humaine,
+Puisque sa gloire augmente, augmentant votre peine ?
+Rabattez cet orgueil, faites-lui soupçonner
+Que vous vous en piquez jusqu’à l’abandonner.
+La crainte d’en voir naître une si juste suite
+À vivre comme il faut l’aura bientôt réduite ;
+Elle en fuira la honte, et ne souffrira pas
+Que ce change s’impute à son manque d’appas.
+Il est de son honneur d’empêcher qu’on présume
+Qu’on éteigne aisément les flammes qu’elle allume.
+Feignez d’aimer quelque autre, et vous verrez alors
+Combien à vous reprendre elle fera d’efforts.
+
+
+
+
+Mais peux-tu me juger capable d’une feinte ?
+
+
+
+
+Pouvez-vous trouver rude un moment de contrainte ?
+
+
+
+
+Je trouve ses mépris plus doux à supporter.
+
+
+
+
+
+Pour les faire finir, il faut les imiter.
+
+
+
+
+Faut-il être inconstant pour la rendre fidèle ?
+
+
+
+
+Il faut souffrir toujours, ou déguiser comme elle.
+
+
+
+
+Que de raisons, Aronte, à combattre mon cœur,
+Qui ne peut adorer que son premier vainqueur !
+Du moins auparavant que l’effet en éclate,
+Fais un effort pour moi, va trouver mon ingrate :
+Mets-lui devant les yeux mes services passés,
+Mes feux si bien reçus, si mal récompensés,
+L’excès de mes tourments et de ses injustices ;
+Emploie à la gagner tes meilleurs artifices.
+Que n’obtiendras-tu point par ta dextérité,
+Puisque tu viens à bout de ma fidélité ?
+
+
+
+
+Mais, mon possible fait, si cela ne succède ?
+
+
+
+
+Je feindrai dès demain qu’Aminte me possède.
+
+
+
+
+Aminte ! Ah ! commencez la feinte dès demain ;
+Mais n’allez point courir au faubourg Saint-Germain.
+Et quand penseriez-vous que cette âme cruelle
+Dans le fond du Marais en reçût la nouvelle ?
+Vous seriez tout un siècle à lui vouloir du bien,
+Sans que votre arrogante en apprît jamais rien.
+Puisque vous voulez feindre, il faut feindre à sa vue,
+Qu’aussitôt votre feinte en puisse être aperçue,
+
+Qu’elle blesse les yeux de son esprit jaloux,
+Et porte jusqu’au cœur d’inévitables coups.
+Ce sera faire au vôtre un peu de violence ;
+Mais tout le fruit consiste à feindre en sa présence.
+
+
+
+
+Hippolyte, en ce cas, serait fort à propos ;
+Mais je crains qu’un ami n'en perdît le repos.
+Dorimant, dont ses yeux ont charmé le courage,
+Autant que Célidée en aurait de l’ombrage.
+
+
+
+
+Vous verrez si soudain rallumer son amour,
+Que la feinte n’est pas pour durer plus d’un jour ;
+Et vous aurez après un sujet de risée
+Des soupçons mal fondés de son âme abusée.
+
+
+
+
+Va trouver Célidée, et puis nous résoudrons,
+En ces extrémités, quel avis nous prendrons.
+
+
+
+
+Sans que pour l’apaiser je me rompe la tête,
+Mon message est tout fait et sa réponse prête.
+Bien loin que mon discours pût la persuader,
+Elle n’aura jamais voulu me regarder.
+
+Une prompte retraite au seul nom de Lysandre,
+C’est par où ses dédains se seront fait entendre.
+Mes amours du passé ne m’ont que trop appris
+Avec quelles couleurs il faut peindre un mépris.
+À peine faisait-on semblant de me connaître,
+De sorte… Aronte, eh bien, qu’as-tu fait vers ton maître ?
+Le verrons-nous bientôt ? N’en sois plus en souci ;
+Dans une heure au plus tard je te le rends ici.
+
+
+
+
+Prêt à lui témoigner… Tout prêt. Adieu. Je tremble
+Que de chez Célidée on ne nous voie ensemble.
+
+
+
+
+
+
+D’où vient que mon abord l’oblige à te quitter ?
+
+
+
+
+Tant s’en faut qu’il vous fuie, il vient de me conter…
+Toutefois je ne sais si je vous le dois dire.
+
+
+
+
+Que tu te plais, Florice, à me mettre en martyre !
+
+
+
+
+Il faut vous préparer à des ravissements…
+
+
+
+
+
+Ta longueur m’y prépare avec bien des tourments.
+Dépêche ; ces discours font mourir Hippolyte.
+
+
+
+
+Mourez donc promptement, que je vous ressuscite.
+
+
+
+
+L’insupportable femme ! Enfin diras-tu rien ?
+
+
+
+
+L’impatiente fille ! Enfin tout ira bien.
+
+
+
+
+Enfin tout ira bien ? Ne saurai-je autre chose ?
+
+
+
+
+Il faut que votre esprit là-dessus se repose.
+Vous ne pouviez tantôt souffrir de longs propos,
+Et pour vous obliger, j’ai tout dit en trois mots ;
+Mais ce que maintenant vous n’en pouvez apprendre,
+Vous l’apprendrez bientôt plus au long de Lysandre.
+
+
+
+
+Tu ne flattes mon cœur que d’un espoir confus.
+
+
+
+
+Parlez à votre amie, et ne vous fâchez plus.
+
+
+
+
+
+
+Mon abord importun rompt votre conférence :
+Tu m’en voudras du mal. Du mal ? et l’apparence ?
+
+Je ne sais pas aimer de si mauvaise foi ;
+Et tout à l’heure encor je lui parlais de toi.
+
+
+
+
+Je me retire donc, afin que sans contrainte…
+
+
+
+
+Quitte cette grimace, et mets à part la feinte.
+Tu fais la réservée en ces occasions,
+Mais tu meurs de savoir ce que nous en disions.
+
+
+
+
+Tu meurs de le conter plus que moi de l’apprendre,
+Et tu prendrais pour crime un refus de l’entendre.
+Puis donc que tu le veux, ma curiosité…
+
+
+
+
+Vraiment, tu me confonds de ta civilité.
+
+
+
+
+Voilà de tes détours, et comme tu diffères
+À me dire en quel point vous teniez mes affaires.
+
+
+
+
+Nous parlions du dessein d’éprouver ton amant.
+Tu l’as vu réussir à ton contentement ?
+
+
+
+
+Je viens te voir exprès pour t’en dire l’issue :
+Que je m’en suis trouvée heureusement déçue !
+Je présumais beaucoup de ses affections,
+
+Mais je n’attendais pas tant de submissions.
+Jamais le désespoir qui saisit son courage
+N’en put tirer un mot à mon désavantage ;
+Il tenait mes dédains encor trop précieux,
+Et ses reproches même étaient officieux.
+Aussi ce grand amour a rallumé ma flamme :
+Le change n’a plus rien qui chatouille mon âme ;
+Il n’a plus de douceur pour mon esprit flottant,
+Aussi ferme à présent qu’il le croit inconstant.
+
+
+
+
+Quoi que vous ayez vu de sa persévérance,
+N’en prenez pas encore une entière assurance.
+L’espoir de vous fléchir a pu le premier jour
+Jeter sur son dépit ces beaux dehors d’amour ;
+Mais vous verrez bientôt que pour qui le méprise
+Toute légèreté lui semblera permise.
+J’ai vu des amoureux de toutes les façons.
+
+
+
+
+Cette bizarre humeur n’est jamais sans soupçons.
+L’avantage qu’elle a d’un peu d’expérience
+Tient éternellement son âme en défiance ;
+Mais ce qu’elle te dit ne vaut pas l’écouter.
+
+
+
+
+Et je ne suis pas fille à m’en épouvanter.
+Je veux que ma rigueur à tes yeux continue,
+Et lors sa fermeté te sera mieux connue ;
+Tu ne verras des traits que d’un amour si fort,
+Que Florice elle-même avouera qu’elle a tort.
+
+
+
+
+Ce sera trop longtemps lui paraître cruelle.
+
+
+
+
+
+Tu connaîtras par là combien il m’est fidèle.
+Le ciel à ce dessein nous l’envoie à propos.
+
+
+
+
+Et quand te résous-tu de le mettre en repos ?
+
+
+
+
+Trouve bon, je te prie, après un peu de feinte,
+Que mes feux violents s’expliquent sans contrainte ;
+Et pour le rappeler des portes du trépas,
+Si j’en dis un peu trop, ne t’en offense pas.
+
+
+
+
+
+
+Merveille des beautés, seul objet qui m’engage…
+
+
+
+
+N’oublierez-vous jamais cet importun langage ?
+Vous obstiner encore à me persécuter,
+C’est prendre du plaisir à vous voir maltraiter.
+Perdez mon souvenir avec votre espérance,
+Et ne m’accablez plus de cette déférence.
+Il faut, pour m’arrêter, des entretiens meilleurs.
+
+
+
+
+Quoi ! vous prenez pour vous ce que j’adresse ailleurs ?
+Adore qui voudra votre rare mérite,
+Un change heureux me donne à la belle Hippolyte :
+Mon sort en cela seul a voulu me trahir,
+Qu’en ce change mon cœur semble vous obéir,
+Et que mon feu passé vous va rendre si vaine
+
+Que vous imputerez ma flamme à votre haine,
+À votre orgueil nouveau mes nouveaux sentiments,
+L’effet de ma raison à vos commandements.
+
+
+
+
+Tant s’en faut que je prenne une si triste gloire,
+Je chasse mes dédains même de ma mémoire,
+Et dans leur souvenir rien ne me semble doux,
+Puisqu’en le conservant je penserais à vous.
+
+
+
+Beauté de qui les yeux, nouveaux rois de mon âme,
+Me font être léger sans en craindre le blâme…
+
+
+
+
+Ne vous emportez point à ces propos perdus,
+Et cessez de m’offrir des vœux qui lui sont dus ;
+Je pense mieux valoir que le refus d’une autre.
+Si vous voulez venger son mépris par le vôtre,
+Ne venez point du moins m’enrichir de son bien.
+Elle vous traite mal, mais elle n’aime rien.
+Vous, faites-en autant, sans chercher de retraite
+Aux importunités dont elle s’est défaite.
+
+
+
+
+Que son exemple encor réglât mes actions !
+Cela fut bon du temps de mes affections ;
+À présent que mon cœur adore une autre reine,
+À présent qu’Hippolyte en est la souveraine…
+
+
+
+
+C’est elle seulement que vous voulez flatter.
+
+
+
+
+C’est elle seulement que je dois imiter.
+
+
+
+
+
+Savez-vous donc à quoi la raison vous oblige ?
+C’est à me négliger, comme je vous néglige.
+
+
+
+
+Je ne puis imiter ce mépris de mes feux,
+À moins qu’à votre tour vous m’offriez des vœux :
+Donnez-m’en les moyens, vous en verrez l’issue.
+
+
+
+
+J’appréhenderais fort d’être trop bien reçue,
+Et qu’au lieu du plaisir de me voir imiter
+Je n’eusse que l’honneur de me faire écouter,
+Pour n’avoir que la honte après de me dédire.
+
+
+
+
+Souffrez donc que mon cœur sans exemple soupire,
+Qu’il aime sans exemple, et que mes passions
+S’égalent seulement à vos perfections.
+Je vaincrai vos rigueurs par mon humble service,
+Et ma fidélité… Viens avec moi, Florice :
+J’ai des nippes en haut que je veux te montrer.
+
+
+
+
+
+
+Quoi ? sans la retenir, vous la laissez rentrer ?
+Allez, Lysandre, allez ; c’est assez de contraintes ;
+
+J’ai pitié du tourment que vous donnent ces feintes.
+Suivez ce bel objet dont les charmes puissants
+Sont et seront toujours absolus sur vos sens.
+Quoi qu’après ses dédains un peu d’orgueil publie,
+Son mérite est trop grand pour souffrir qu’on l’oublie ;
+Elle a des qualités, et de corps, et d’esprit,
+Dont pas un cœur donné jamais ne se reprit.
+
+
+
+
+Mon change fera voir l’avantage des vôtres,
+Qu’en la comparaison des unes et des autres
+Les siennes désormais n’ont qu’un éclat terni,
+Que son mérite est grand, et le vôtre infini.
+
+
+
+
+Que j’emporte sur elle aucune préférence !
+Vous tenez des discours qui sont hors d’apparence ;
+Elle me passe en tout ; et dans ce changement,
+Chacun vous blâmerait de peu de jugement.
+
+
+
+
+M’en blâmer en ce cas, c’est en manquer soi-même,
+Et choquer la raison, qui veut que je vous aime.
+Nous sommes hors du temps de cette vieille erreur
+Qui faisait de l’amour une aveugle fureur,
+Et l’ayant aveuglé, lui donnait pour conduite
+Le mouvement d’une âme et surprise et séduite.
+Ceux qui l’ont peint sans yeux ne le connaissaient pas ;
+C’est par les yeux qu’il entre, et nous dit vos appas ;
+
+Lors notre esprit en juge ; et suivant le mérite,
+Il fait croître une ardeur que cette vue excite.
+Si la mienne pour vous se relâche un moment,
+C’est lors que je croirai manquer de jugement ;
+Et la même raison qui vous rend admirable
+Doit rendre comme vous ma flamme incomparable.
+
+
+
+
+Epargnez avec moi ces propos affétés.
+Encore hier Célidée avait ces qualités ;
+Encore hier en mérite elle était sans pareille.
+Si je suis aujourd’hui cette unique merveille,
+Demain quelque autre objet, dont vous suivrez la loi,
+Gagnera votre cœur et ce titre sur moi.
+Un esprit inconstant a toujours cette adresse.
+
+
+
+
+
+
+Monsieur, j’aime ma fille avec trop de tendresse
+Pour la vouloir contraindre en ses affections.
+
+
+
+
+Madame, vous saurez ses inclinations ;
+Elle voudra vous plaire, et je l’en vois sourire.
+Allons, mon cavalier, j’ai deux mots à vous dire.
+
+
+
+
+
+Vous en aurez réponse avant qu’il soit trois jours.
+
+
+
+
+
+
+Devinerais-tu bien quels étaient nos discours ?
+
+
+
+
+Il vous parlait d’amour peut-être ? Oui : que t’en semble ?
+
+
+
+
+D’âge presque pareils, vous seriez bien ensemble.
+
+
+
+
+Tu me donnes vraiment un gracieux détour ;
+C’était pour ton sujet qu’il me parlait d’amour.
+
+
+
+
+Pour moi ? Ces jours passés, un poète qui m’adore,
+Du moins à ce qu’il dit, m’égalait à l’Aurore ;
+Je me raillais alors de sa comparaison.
+Mais, si cela se fait, il avait bien raison.
+
+
+
+
+Avec tout ce babil, tu n’es qu’une étourdie.
+Le bonhomme est bien loin de cette maladie ;
+Il veut te marier, mais c’est à Dorimant :
+Vois si tu te résous d’accepter cet amant.
+
+
+
+
+Dessus tous mes désirs vous êtes absolue,
+Et si vous le voulez, m’y voilà résolue.
+
+Dorimant vaut beaucoup, je vous le dis sans fard ;
+Mais remarquez un peu le trait de ce vieillard :
+Lysandre si longtemps a brûlé pour sa fille,
+Qu’il en faisait déjà l’appui de sa famille ;
+À présent que ses feux ne sont plus que pour moi,
+Il voudrait bien qu’un autre eût engagé ma foi,
+Afin que sans espoir dans cette amour nouvelle,
+Un nouveau changement le ramenât vers elle.
+N’avez-vous point pris garde, en vous disant adieu,
+Qu’il a presque arraché Lysandre de ce lieu ?
+
+
+
+
+Simple ! ce qu’il en fait, ce n’est qu’à sa prière.
+Et Lysandre tient même à faveur singulière…
+
+
+
+
+Je sais que Dorimant est un de ses amis ;
+Mais vous voyez d’ailleurs que le ciel a permis
+Que pour mieux vous montrer que tout n’est qu’artifice,
+Lysandre me faisait ses offres de service.
+
+
+
+
+Aucun des deux n’est homme à se jouer de nous.
+Quelque secret mystère est caché là-dessous.
+Allons, pour en tirer la vérité plus claire,
+Seules dedans ma chambre examiner l’affaire ;
+Ici quelque importun pourrait nous aborder.
+
+
+
+
+
+J’aurai bien de la peine à la persuader :
+Ah, Florice ! en quel point laisses-tu Célidée ?
+
+
+
+
+De honte et de dépit tout à fait possédée.
+
+
+
+
+Que t’a-t-elle montré ? Cent choses à la fois,
+Selon que le hasard les mettait sous ses doigts :
+Ce n’était qu’un prétexte à faire sa retraite.
+
+
+
+
+Elle t’a témoigné d’être fort satisfaite ?
+
+
+
+
+Sans que je vous amuse en discours superflus,
+Son visage suffit pour juger du surplus.
+Ses pleurs ne se sauraient empêcher de descendre ;
+Et j’en aurais pitié si je n’aimais Lysandre.
+
+
+
+Mais j’aperçois celui qui le porte en ses yeux.
+Courage donc, mon cœur ; espérons un peu mieux.
+Je sens bien que déjà devers lui tu t’envoles ;
+Mais pour t’accompagner je n’ai point de paroles :
+Ma honte et ma douleur, surmontant mes désirs,
+N’en laissent le passage ouvert qu’à mes soupirs.
+
+
+
+
+
+
+Dans ce profond penser, pâle, triste, abattue,
+Ou quelque grand malheur de Lysandre vous tue,
+Ou bientôt vos douleurs l’accableront d’ennuis.
+
+
+
+
+Il est cause en effet de l’état où je suis,
+Non pas en la façon qu’un ami s’imagine,
+Mais… Vous n’achevez point, faut-il que je devine ?
+
+
+
+Permettez que je cède à la confusion,
+Qui m’étouffe la voix en cette occasion.
+J’ai d’incroyables traits de Lysandre à vous dire :
+
+Mais ce reste du jour souffrez que je respire,
+Et m’obligez demain que je vous puisse voir.
+
+
+
+
+De sorte qu’à présent on n’en peut rien savoir ?
+Dieux ! elle se dérobe, et me laisse en un doute…
+Poursuivons toutefois notre première route ;
+Peut-être ces beaux yeux, dont l’éclat me surprit,
+De ce fâcheux soupçon purgeront mon esprit.
+Frappe. Que vous plaît-il ? Peut-on voir Hippolyte ?
+
+
+
+
+Elle vient de sortir pour faire une visite.
+
+
+
+
+Ainsi, tout aujourd’hui mes pas ont été vains.
+Florice, à ce défaut, fais-lui mes baisemains.
+
+
+Ce sont des compliments qu’il fait mauvais lui faire.
+Depuis que ce Lysandre a tâché de lui plaire,
+Elle ne veut plus être au logis que pour lui,
+Et tous autres devoirs lui donnent de l’ennui.
+
+
+
+
+
+À cet excès d’amour qu’il me faisait paraître,
+Je me croyais déjà maîtresse de ton maître ;
+Tu m’as fait grand dépit de me désabuser.
+Qu’il a l’esprit adroit quand il veut déguiser !
+Et que pour mettre en jour ces compliments frivoles,
+Il sait bien ajuster ses yeux à ses paroles !
+Mais je me promets tant de ta dextérité,
+Qu’il tournera bientôt la feinte en vérité.
+
+
+
+
+Je n’ose l’espérer : sa passion trop forte
+Déjà vers son objet malgré moi le remporte ;
+Et comme s’il avait reconnu son erreur,
+Vos yeux lui sont à charge, et sa feinte en horreur :
+Même il m’a commandé d’aller vers sa cruelle
+Lui jurer que son cœur n’a brûlé que pour elle,
+Attaquer son orgueil par des submissions…
+
+
+
+
+J’entends assez le but de tes commissions.
+Tu vas tâcher pour lui d’amollir son courage ?
+
+
+
+
+J’emploie auprès de vous le temps de ce message,
+
+Et la ferai parler tantôt à mon retour
+D’une façon mal propre à donner de l’amour ;
+Mais après mon rapport, si son ardeur extrême
+Le résout à porter son message lui-même,
+Je ne réponds de rien. L’amour qu’ils ont tous deux
+Vaincra notre artifice, et parlera pour eux.
+
+
+
+
+Sa maîtresse éblouie ignore encor ma flamme,
+Et laisse à mes conseils tout pouvoir sur son âme.
+Ainsi tout est à nous, s’il ne faut qu’empêcher
+Qu’un si fidèle amant n’en puisse rapprocher.
+
+
+
+
+Qui pourrait toutefois en détourner Lysandre,
+Ce serait le plus sûr. N’oses-tu l’entreprendre ?
+
+
+
+
+Donnez-moi les moyens de le rendre jaloux,
+Et vous verrez après frapper d’étranges coups.
+
+
+
+
+L’autre jour Dorimant toucha fort ma rivale,
+Jusque-là qu’entre eux deux son âme était égale ;
+Mais Lysandre depuis, endurant sa rigueur,
+Lui montra tant d’amour qu’il regagna son cœur.
+
+
+
+
+Donc à voir Célidée et Dorimant ensemble,
+Quelque dieu qui vous aime aujourd’hui les assemble.
+
+
+
+
+Fais-les voir à ton maître, et ne perds point ce temps,
+Puisque de là dépend le bonheur que j’attends.
+
+
+
+
+
+
+Aronte, un mot. Tu fuis ? Crains-tu que je te voie ?
+
+
+
+
+Non ; mais pressé d’aller où mon maître m’envoie,
+J’avais doublé le pas sans vous apercevoir.
+
+
+
+
+D’où viens-tu ? D’un logis vers la Croix-du-Tiroir.
+
+
+
+
+C’est donc en ce Marais que finit ton voyage ?
+
+
+
+
+Non ; je cours au Palais faire encore un message.
+
+
+
+
+Et c’en est le chemin de passer par ici ?
+
+
+
+
+Souffrez que j’aille ôter mon maître de souci ;
+Il meurt d’impatience à force de m’attendre.
+
+
+
+
+Et touchant mes amours ne peux-tu rien m’apprendre ?
+As-tu vu depuis peu l’objet que je chéris ?
+
+
+
+
+Oui, tantôt en passant j’ai rencontré Cloris.
+
+Tu cherches des détours : je parle d’Hippolyte.
+
+
+
+
+Et c’est là seulement le discours qu’il évite.
+Tu t’enferres, Aronte ; et, pris au dépourvu,
+En vain tu veux cacher ce que nous avons vu.
+Va, ne sois point honteux des crimes de ton maître :
+Pourquoi désavouer ce qu’il fait trop paraître ?
+Il la sert à mes yeux, cet infidèle amant,
+Et te vient d’envoyer lui faire un compliment.
+
+
+
+
+
+
+Après cette retraite et ce morne silence,
+Pouvez-vous bien encor demeurer en balance ?
+
+
+
+
+Je n’en ai que trop vu, mes yeux m’en ont trop dit :
+Aronte, en me parlant, était tout interdit,
+Et sa confusion portait sur son visage
+Assez et trop de jour pour lire son message.
+Traître, traître Lysandre, est-ce là donc le fruit
+Qu’en faveur de mes feux ton amitié produit ?
+
+
+
+
+Connaissez tout à fait l’humeur de l’infidèle,
+Votre amour seulement la lui fait trouver belle :
+Cet objet, tout aimable et tout parfait qu’il est,
+N’a des charmes pour lui que depuis qu’il vous plaît ;
+Et votre affection, de la sienne suivie,
+
+Montre que c’est par là qu’il en a pris envie,
+Qu’il veut moins l’acquérir que vous le dérober.
+
+
+
+
+Voici, dans ce larcin, qui le fait succomber.
+En ce dessein commun de servir Hippolyte,
+Il faut voir seul à seul qui des deux la mérite :
+Son sang me répondra de son manque de foi,
+Et me fera raison et pour vous et pour moi.
+Notre vieille union ne fait qu’aigrir mon âme,
+Et mon amitié meurt voyant naître sa flamme.
+
+
+
+
+Vouloir quelque mesure entre un perfide et vous,
+Est-ce faire justice à ce juste courroux ?
+Pouvez-vous présumer, après sa tromperie,
+Qu’il ait dans les combats moins de supercherie ?
+Certes pour le punir c’est trop vous négliger,
+Et chercher à vous perdre au lieu de vous venger.
+
+
+
+
+Pourriez-vous approuver que je prisse avantage
+Pour immoler ce traître à mon peu de courage ?
+J’achèterais trop cher la mort du suborneur,
+Si pour avoir sa vie il m’en coûtait l’honneur,
+Et montrerais une âme, et trop basse et trop noire,
+De ménager mon sang aux dépens de ma gloire.
+
+
+
+
+
+Sans les voir l’un ni l’autre en péril exposés,
+Il est pour vous venger des moyens plus aisés.
+Pour peu que vous fussiez de mon intelligence,
+Vous auriez bientôt pris une juste vengeance ;
+Et vous pourriez sans bruit ôter à l’inconstant…
+
+
+
+
+Quoi ? ce qu’il m’a volé ? Non, mais du moins autant.
+
+
+
+La faiblesse du sexe en ce point vous conseille ;
+Il se croit trop vengé, quand il rend la pareille :
+Mais suivre le chemin que vous voulez tenir,
+C’est imiter son crime au lieu de le punir ;
+Au lieu de lui ravir une belle maîtresse,
+C’est prendre, à son refus, une beauté qu’il laisse.
+C’est lui faire plaisir, au lieu de l’affliger,
+C’est souffrir un affront, et non pas se venger.
+J’en perds ici le temps. Adieu : je me retire ;
+Mais, avant qu’il soit peu, si vous entendez dire
+Qu’un coup fatal et juste ait puni l’imposteur,
+Vous pourrez aisément en deviner l’auteur.
+
+
+
+
+De grâce, encore un mot. Hélas ! il m’abandonne
+Aux cuisants déplaisirs que ma douleur me donne.
+
+Rentre, pauvre abusée, et dedans tes malheurs,
+Si tu ne les retiens, cache du moins tes pleurs !
+
+
+
+
+
+
+Eh bien, qu’en dites-vous ? et que vous semble d’elle ?
+
+
+
+
+Hélas ! pour mon malheur, tu n’es que trop fidèle,
+N’exerce plus tes soins à me faire endurer ;
+Ma plus douce fortune est de tout ignorer :
+Je serais trop heureux sans le rapport d’Aronte.
+
+
+
+
+Encor pour Dorimant, il en a quelque honte ;
+Vous voyant, il a fui. Mais mon ingrate alors,
+Pour empêcher sa fuite a fait tous ses efforts,
+Aronte, et tu prenais ses dédains pour des feintes !
+Tu croyais que son cœur n’eût point d’autres atteintes,
+Que son esprit entier se conservait à moi,
+Et parmi ses rigueurs n’oubliait point sa foi.
+
+
+
+
+À vous dire le vrai, j’en suis trompé moi-même.
+Après deux ans passés dans un amour extrême,
+Que sans occasion elle vînt à changer !
+Je me fusse tenu coupable d’y songer ;
+Mais puisque sans raison la volage vous change,
+Faites qu’avec raison un changement vous venge.
+
+Pour punir comme il faut son infidélité,
+Vous n’avez qu’à tourner la feinte en vérité.
+
+
+
+
+Misérable ! est-ce ainsi qu’il faut qu’on me soulage ?
+Ai-je trop peu souffert sous cette humeur volage ?
+Et veux-tu désormais que par un second choix
+Je m’engage à souffrir encore une autre fois ?
+Qui t’a dit qu’Hippolyte à cette amour nouvelle
+Se rendrait plus sensible, ou serait plus fidèle ?
+
+
+
+
+Vous en devez, monsieur, présumer beaucoup mieux.
+
+
+
+
+Conseiller importun, ôte-toi de mes yeux.
+
+
+
+
+Son âme… Ote-toi, dis-je ; et dérobe ta tête
+Aux violents effets que ma colère apprête :
+Ma bouillante fureur ne cherche qu’un objet ;
+Va, tu l’attirerais sur un sang trop abjet.
+
+
+
+
+
+
+Il faut à mon courroux de plus nobles victimes ;
+Il faut qu’un même coup me venge de deux crimes ;
+Qu’après les trahisons de ce couple indiscret,
+L’un meure de ma main, et l’autre de regret.
+
+Oui, la mort de l’amant punira la maîtresse ;
+Et mes plaisirs alors naîtront de sa tristesse.
+Mon cœur, à qui mes yeux apprendront ses tourments,
+Permettra le retour à mes contentements ;
+Ce visage si beau, si bien pourvu de charmes,
+N’en aura plus pour moi, s’il n’est couvert de larmes.
+Ses douleurs seulement ont droit de me guérir ;
+Pour me résoudre à vivre il faut la voir mourir.
+Frénétiques transports, avec quelle insolence
+Portez-vous mon esprit à tant de violence ?
+Allez, vous avez pris trop d’empire sur moi ;
+Dois-je être sans raison, parce qu’ils sont sans foi ?
+Dorimant, Célidée, ami, chère maîtresse,
+Suivrais-je contre vous la fureur qui me presse ?
+Quoi ? vous ayant aimés, pourrais-je vous haïr ?
+Mais vous pourrais-je aimer, quand vous m’osez trahir ?
+Qu’un rigoureux combat déchire mon courage !
+
+Ma jalousie augmente, et redouble ma rage ;
+Mais quelques fiers projets qu’elle jette en mon cœur,
+L’amour… Ah ! ce mot seul me range à la douceur.
+Celle que nous aimons jamais ne nous offense ;
+Un mouvement secret prend toujours sa défense :
+L’amant souffre tout d’elle ; et dans son changement,
+Quelque irrité qu’il soit, il est toujours amant.
+Toutefois, si l’amour contre elle m’intimide,
+Revenez, mes fureurs, pour punir le perfide ;
+Arrachez-lui mon bien ; une telle beauté
+N’est pas le juste prix d’une déloyauté.
+Souffrirais-je, à mes yeux, que par ses artifices
+Il recueillît les fruits dus à mes longs services ?
+S’il vous faut épargner le sujet de mes feux,
+Que ce traître du moins réponde pour tous deux.
+Vous me devez son sang pour expier son crime :
+Contre sa lâcheté tout vous est légitime ;
+Et quelques châtiments… Mais, dieux ! que vois-je ici ?
+
+
+
+
+
+
+Vous avez dans l’esprit quelque pesant souci ;
+Ce visage enflammé, ces yeux pleins de colère,
+
+En font voir au-dehors une marque trop claire.
+Je prends assez de part en tous vos intérêts
+Pour vouloir en aveugle y mêler mes regrets.
+Mais si vous me disiez ce qui cause vos peines…
+
+
+
+
+Ah ! ne m’imposez point de si cruelles gênes ;
+C’est irriter mes maux que de me secourir ;
+La mort, la seule mort a droit de me guérir.
+
+
+
+
+Si vous vous obstinez à m’en taire la cause,
+Tout mon pouvoir sur vous n’est que fort peu de chose.
+
+
+
+
+Vous l’avez souverain, hormis en ce seul point.
+
+
+
+
+Laissez-le-moi partout, ou ne m’en laissez point.
+C’est n’aimer qu’à demi qu’aimer avec réserve ;
+Et ce n’est pas ainsi que je veux qu’on me serve.
+Il faut m’apprendre tout, et lorsque je vous voi,
+Etre de belle humeur, ou n’être plus à moi.
+
+
+
+
+Ne perdez point d’efforts à vaincre mon silence :
+Vous useriez sur moi de trop de violence.
+
+Adieu : je vous ennuie, et les grands déplaisirs
+Veulent en liberté s’exhaler en soupirs.
+
+
+
+
+
+
+C’est donc là tout l’état que tu fais d’Hippolyte ?
+Après des vœux offerts, c’est ainsi qu’on me quitte ?
+Qu’Aronte jugeait bien que ses feintes amours,
+Avant qu’il fût longtemps, interrompraient leur cours !
+Dans ce peu de succès des ruses de Florice,
+J’ai manqué de bonheur, mais non pas de malice ;
+Et si j’en puis jamais trouver l’occasion,
+J’y mettrai bien encor de la division.
+Si notre pauvre amant est plein de jalousie,
+Ma rivale, qui sort, n’en est pas moins saisie.
+
+
+
+
+
+
+N’ai-je pas tantôt vu mon perfide avec vous ?
+Il a bientôt quitté des entretiens si doux.
+
+
+
+
+Qu’y ferait-il, ma sœur ? Ta fidèle Hippolyte
+Traite cet inconstant ainsi qu’il le mérite.
+
+Il a beau m’en conter de toutes les façons,
+Je le renvoie ailleurs pratiquer ses leçons.
+
+
+
+
+Le parjure à présent est fort sur ta louange ?
+
+
+
+
+Il ne tient pas à lui que je ne sois un ange ;
+Et quand il vient ensuite à parler de ses feux,
+Aucune passion jamais n’approcha d’eux.
+Par tous ces vains discours il croit fort qu’il m’oblige,
+Mais non la moitié tant qu’alors qu’il te néglige :
+C’est par là qu’il me pense acquérir puissamment ;
+Et moi, qui t’ai toujours chérie uniquement,
+Je te laisse à juger alors si je l’endure.
+
+
+
+
+C’est trop prendre, ma sœur, de part en mon injure ;
+Laisse-le mépriser celle dont les mépris
+Sont cause maintenant que d’autres yeux l’ont pris.
+Si Lysandre te plaît, possède le volage,
+Mais ne me traite point avec désavantage ;
+Et si tu te résous d’accepter mon amant,
+Relâche-moi du moins le cœur de Dorimant.
+
+
+
+
+Pourvu que leur pouvoir se range sous le nôtre,
+Je te donne le choix et de l’un et de l’autre ;
+Ou, si l’un ne suffit à ton jeune désir,
+Défais-moi de tous deux, tu me feras plaisir.
+J’estimai fort Lysandre avant que le connaître ;
+Mais depuis cet amour que mes yeux ont fait naître,
+Je te répute heureuse après l’avoir perdu.
+Que son humeur est vaine ! et qu’il fait l’entendu !
+
+Que son discours est fade avec ses flatteries !
+Qu’on est importuné de ses afféteries !
+Vraiment, si tout le monde était fait comme lui,
+Je crois qu’avant deux jours je sécherais d’ennui.
+
+
+
+
+Qu’en cela du destin l’ordonnance fatale
+A pris pour nos malheurs une route inégale !
+L’un et l’autre me fuit, et je brûle pour eux,
+L’un et l’autre t’adore, et tu les fuis tous deux.
+
+
+
+
+Si nous changions de sort, que nous serions contentes !
+
+
+
+
+Outre, hélas ! que le ciel s’oppose à nos attentes,
+Lysandre n’a plus rien à rengager ma foi.
+
+
+
+
+Mais l’autre, tu voudrais… Ne rompez pas pour moi ;
+Craignez-vous qu’un ami sache de vos nouvelles ?
+
+
+
+
+Nous causions de mouchoirs, de rabats, de dentelles,
+De ménages de fille. Et parmi ces discours,
+
+Vous confériez ensemble un peu de vos amours :
+Eh bien, ce serviteur, l’aura-t-on agréable ?
+
+
+
+
+Vous m’attaquez toujours par quelque trait semblable.
+Des hommes comme vous ne sont que des conteurs.
+Vraiment c’est bien à moi d’avoir des serviteurs !
+
+
+
+
+Parlons, parlons français. Enfin, pour cette affaire,
+Nous en remettrons-nous à l’avis d’une mère ?
+
+
+
+
+J’obéirai toujours à son commandement.
+Mais, de grâce, monsieur, parlez plus clairement :
+Je ne puis deviner ce que vous voulez dire.
+
+
+
+
+Un certain cavalier pour vos beaux yeux soupire…
+
+
+
+
+Vous en voulez par là… Ce n’est point fiction
+Que ce que je vous dis de son affection.
+Votre mère sut hier à quel point il vous aime,
+Et veut que ce soit vous qui vous donniez vous-même.
+
+
+
+
+Et c’est ce que ma mère, afin de m’expliquer,
+Ne m’a point fait l’honneur de me communiquer ;
+Mais, pour l’amour de vous, je vais le savoir d’elle.
+
+
+
+
+
+
+Ta compagne est du moins aussi fine que belle.
+
+
+
+
+Elle a bien su, de vrai, se défaire de vous.
+
+
+
+
+Et fort habilement se parer de mes coups.
+
+
+
+
+Peut-être innocemment, faute d’y rien comprendre.
+
+
+
+
+Mais faute, bien plutôt, d’y vouloir rien entendre.
+Je suis des plus trompés si Dorimant lui plaît.
+
+
+
+
+Y prenez-vous, monsieur, pour lui quelque intérêt ?
+
+
+
+
+Lysandre m’a prié d’en porter la parole.
+
+
+
+
+Lysandre ! Oui, ton Lysandre. Et lui-même cajole…
+
+
+Quoi ? que cajole-t-il ? Hippolyte, à mes yeux.
+
+
+
+Folle, il n’aima jamais que toi dessous les cieux ;
+Et nous sommes tout prêts de choisir la journée
+
+Qui bientôt de vous deux termine l’hyménée.
+Il se plaint toutefois un peu de ta froideur ;
+Mais, pour l’amour de moi, montre-lui plus d’ardeur ;
+Parle : ma volonté sera-t-elle obéie ?
+
+
+
+
+Hélas ! qu’on vous abuse après m’avoir trahie !
+Il vous fait, cet ingrat, parler pour Dorimant,
+Tandis qu’au même objet il s’offre pour amant,
+Et traverse par là tout ce qu’à sa prière
+Votre vaine entremise avance vers la mère.
+Cela, qu’est-ce, monsieur, que se jouer de vous ?
+
+
+
+
+Qu’il est peu de raison dans ces esprits jaloux !
+Eh quoi ! pour un ami s’il rend une visite,
+Faut-il s’imaginer qu’il cajole Hippolyte ?
+
+
+
+
+Je sais ce que j’ai vu. Je sais ce qu’il m’a dit,
+Et ne veux plus du tout souffrir de contredit.
+Mon choix de votre hymen en sa faveur dispose.
+
+
+
+
+Commandez-moi plutôt, monsieur, toute autre chose.
+
+
+
+
+Quelle bizarre humeur ! quelle inégalité
+De rejeter un bien qu’on a tant souhaité !
+La belle, voyez-vous ! qu’on perde ces caprices ;
+Il faut pour m’éblouir de meilleurs artifices.
+Quelque nouveau venu vous donne dans les yeux,
+Quelque jeune étourdi qui vous flatte un peu mieux :
+Et parce qu’il vous fait quelque feinte caresse,
+
+Il faut que nous manquions, vous et moi, de promesse ?
+Quittez, pour votre bien, ces fantasques refus.
+
+
+
+
+Monsieur… Quittez-les, dis-je, et ne contestez plus…
+
+
+
+
+
+
+Fâcheux commandement d’un incrédule père !
+Qu’il me fut doux jadis, et qu’il me désespère !
+J’avais, auparavant qu’on m’eût manqué de foi,
+Le devoir et l’amour tout d’un parti chez moi,
+Et ma flamme, d’accord avecque sa puissance,
+Unissait mes désirs à mon obéissance ;
+Mais, hélas, que depuis cette infidélité
+Je trouve d’injustice en son autorité !
+Mon esprit s’en révolte, et ma flamme bannie
+Fait qu’un pouvoir si saint m’est une tyrannie.
+Dures extrémités où mon sort est réduit !
+On donne mes faveurs à celui qui les fuit ;
+Nous avons l’un pour l’autre une pareille haine,
+Et l’on m’attache à lui d’une éternelle chaîne.
+Mais s’il ne m’aimait plus, parlerait-il d’amour
+À celui dont je tiens la lumière du jour ?
+Mais s’il m’aimait encor, verrait-il Hippolyte ?
+Mon cœur en même temps se retient et s’excite.
+Je ne sais quoi me flatte, et je sens déjà bien
+Que mon feu ne dépend que de croire le sien.
+Tout beau, ma passion, c’est déjà trop paraître ;
+Attends, attends du moins la sienne pour renaître.
+À quelle folle erreur me laissé-je emporter !
+Il fait tout à dessein de me persécuter.
+
+L’ingrat cherche ma peine, et veut par sa malice
+Que l’ordre qu’on me donne augmente mon supplice.
+Rentrons, que son objet présenté par hasard
+De mon cœur ébranlé ne reprenne une part :
+C’est bien assez qu’un père à souffrir me destine,
+Sans que mes yeux encore aident à ma ruine.
+
+
+
+
+
+J’enverrai tout à bas, puis après on verra.
+Ardez, vraiment c’est-mon, on vous l’endurera !
+Vous êtes un bel homme, et je dois fort vous craindre !
+
+
+
+
+Tout est sur mon tapis, qu’avez-vous à vous plaindre ?
+
+
+
+
+Aussi votre tapis est tout sur mon battant ;
+Je ne m’étonne plus de quoi je gagne tant.
+
+
+
+
+Là, là, criez bien haut, faites bien l’étourdie,
+Et puis on vous jouera dedans la comédie.
+
+
+
+
+Je voudrais l’avoir vu que quelqu’un s’y fût mis !
+Pour en avoir raisons nous manquerions d’amis ?
+On joue ainsi le monde ? Après tout ce langage,
+Ne me repoussez pas mes boîtes davantage.
+Votre caquet m’enlève à tous coups mes chalands ;
+Vous vendez dix rabats contre moi deux galands.
+Pour conserver la paix, depuis six mois j’endure
+Sans vous en dire mot, sans le moindre murmure ;
+Et vous me harcelez et sans cause et sans fin.
+Qu’une femme hargneuse est un mauvais voisin !
+Nous n’apaiserons point cette humeur qui vous pique
+Que par un entre-deux mis à votre boutique ;
+Alors, n’ayant plus rien ensemble à démêler,
+Vous n’aurez plus aussi sur quoi me quereller.
+
+
+
+
+Justement. De tout loin je vous ai reconnue.
+
+
+
+
+Vous vous doutez donc bien pourquoi je suis venue ?
+Les avez-vous reçus, ces points-coupés nouveaux ?
+
+
+
+
+Ils viennent d’arriver. Voyons donc les plus beaux.
+
+
+
+Ne vous vendrai-je rien, monsieur ? des bas de soie,
+Des gants en broderie, ou quelque petite oie ?
+
+
+Ces livres que mon maître avait fait mettre à part,
+Les avez-vous encor ? Ah ! que vous venez tard !
+Encore un peu, ma foi, je m’en allais les vendre.
+Trois jours sans revenir ! je m’ennuyais d’attendre.
+
+
+
+
+Je l’avais oublié. Le prix ? Chacun le sait ;
+Autant de quarts d’écu, c’est un marché tout fait.
+
+
+
+Eh bien, qu’en dites-vous ? J’en suis toute ravie,
+Et n’ai rien encor vu de pareil en ma vie.
+Vous aurez notre argent, si l’on croit mon rapport.
+Que celui-ci me semble et délicat et fort !
+Que cet autre me plaît ! que j’en aime l’ouvrage !
+Montrez-m’en cependant quelqu’un à mon usage.
+
+
+
+
+Voici de quoi vous faire un assez beau collet.
+
+
+
+
+Je pense, en vérité, qu’il ne serait pas laid ;
+Que me coûtera-t-il ? Allez, faites-moi vendre,
+Et pour l’amour de vous, je n’en voudrai rien prendre,
+Mais avisez alors à me récompenser.
+
+
+
+
+L’offre n’est pas mauvaise, et vaut bien y penser.
+Vous me verrez demain avecque ma maîtresse.
+
+
+
+
+
+
+Aronte, eh bien ! quels fruits produira notre adresse ?
+
+
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+De fort mauvais pour moi. Mon maître, au désespoir,
+Fuit les yeux d’Hippolyte, et ne veut plus me voir.
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+Nous sommes donc ainsi bien loin de notre conte ?
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+Oui, mais tout le malheur en tombe sur Aronte.
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+Ne te débauche point, je veux faire ta paix.
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+Son courroux est trop grand pour s’apaiser jamais.
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+S’il vient encor chez nous, ou chez sa Célidée,
+Je te rends aussitôt l’affaire accommodée.
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+Si tu fais ce coup-là, que ton pouvoir est grand !
+Viens, je te veux donner tout à l’heure un galand.
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+Voyez, monsieur ; j’en ai des plus beaux de la terre :
+En voilà de Paris, d’Avignon, d’Angleterre.
+Tous vos rubans n’ont point d’assez vives couleurs.
+Allons, Florice, allons, il en faut voir ailleurs.
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+Ainsi, faute d’avoir de bonne marchandise,
+Des hommes comme vous perdent leur chalandise.
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+Vous ne la perdez pas, vous, mais Dieu sait comment ;
+Du moins, si je vends peu, je vends loyalement,
+Et je n’attire point avec une promesse
+De suivante qui m’aide à tromper sa maîtresse.
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+Quand il faut dire tout, on s’entre-connaît bien ;
+Chacun sait son métier, et… Mais je ne dis rien.
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+Vous ferez un grand coup si vous pouvez vous taire.
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+Je ne réplique point à des gens en colère.
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+Indiscrète vengeance, imprudentes chaleurs,
+Dont l’impuissance ajoute un comble à mes malheurs,
+Ne me conseillez plus la mort de ce faussaire.
+J’aime encor Célidée, et n’ose lui déplaire :
+Priver de la clarté ce qu’elle aime le mieux,
+Ce n’est pas le moyen d’agréer à ses yeux.
+L’amour, en la perdant, me retient en balance ;
+Il produit ma fureur et rompt sa violence,
+Et me laissant trahi, confus et méprisé,
+Ne veut que triompher de mon cœur divisé.
+Amour, cruel auteur de ma longue misère,
+Ou permets à la fin d’agir à ma colère,
+Ou, sans m’embarrasser d’inutiles transports,
+Auprès de ce bel oeil fais tes derniers efforts ;
+Viens, accompagne-moi chez ma belle inhumaine,
+Et comme de mon cœur, triomphe de sa haine !
+Contre toi ma vengeance a mis les armes bas,
+Contre ses cruautés rends les mêmes combats ;
+Exerce ta puissance à fléchir la farouche ;
+Montre-toi dans mes yeux, et parle par ma bouche :
+Si tu te sens trop faible, appelle à ton secours
+Le souvenir de mille et de mille heureux jours
+Où ses désirs, d’accord avec mon espérance,
+
+Ne laissaient à nos vœux aucune différence.
+Je pense avoir encor ce qui la sut charmer,
+Les mêmes qualités qu’elle voulut aimer.
+Peut-être mes douleurs ont changé mon visage ;
+Mais, en revanche aussi, je l’aime davantage.
+Mon respect s’est accru pour un objet si cher ;
+Je ne me venge point, de peur de la fâcher.
+Un infidèle ami tient son âme captive,
+Je le sais, je le vois et je souffre qu’il vive.
+Je tarde trop ; allons, ou vaincre ses refus,
+Ou me venger sur moi de ne lui plaire plus,
+Et tirons de son cœur, malgré sa flamme éteinte,
+La pitié par ma mort, ou l’amour par ma plainte :
+Ses rigueurs par ce fer me perceront le sein.
+
+
+
+
+
+
+Eh quoi ! pour m’avoir vu, vous changez de dessein ?
+Ne craignez point pour moi d’entrer chez Hippolyte ;
+Vous ne m’apprendrez rien en lui faisant visite ;
+Mes yeux, mes propres yeux n’ont que trop découvert
+Comme un ami si rare auprès d’elle me sert.
+
+
+
+
+Parlez plus franchement : ma rencontre importune
+Auprès d’un autre objet trouble votre fortune ;
+
+Et vous montrez assez, par ces faibles détours,
+Qu’un témoin comme moi déplaît à vos amours ;
+Vous voulez seul à seul cajoler Célidée ;
+La querelle entre nous sera bientôt vidée :
+Ma mort vous donnera chez elle un libre accès.
+Ou ma juste vengeance un funeste succès.
+
+
+
+
+Qu’est-ce-ci, déloyal ? quelle fourbe est la vôtre ?
+Vous m’en disputez une, afin d’acquérir l’autre !
+Après ce que chacun a vu de votre feu,
+C’est une lâcheté d’en faire un désaveu.
+
+
+
+
+Je ne me connais point à combattre d’injures.
+
+
+
+
+Aussi veux-je punir autrement tes parjures :
+Le ciel, le juste ciel, ennemi des ingrats,
+Qui pour ton châtiment a destiné mon bras,
+T’apprendra qu’à moi seul Hippolyte est gardée.
+
+
+
+
+Garde ton Hippolyte. Et toi, ta Célidée.
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+Voilà faire le fin, de crainte d’un combat.
+
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+
+Tu m’imputes la crainte, et ton cœur s’en abat !
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+
+Laissons à part les noms ; disputons la maîtresse,
+Et pour qui que ce soit, montre ici ton adresse.
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+C’est comme je l’entends. Ô dieux ! ils sont aux coups !
+Ah ! perfide ! sur moi détourne ton courroux ;
+La mort de Dorimant me serait trop funeste.
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+Lysandre, une autre fois nous viderons le reste.
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+Arrête, cher ingrat ! Tu recules, voleur !
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+
+Je fuis cette importune, et non pas ta valeur.
+
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+
+
+
+Ne suivez pas du moins ce perfide à ma vue :
+Avez-vous résolu que sa fuite me tue,
+Et qu’ayant su braver son plus vaillant effort,
+Par sa retraite infâme il me donne la mort ?
+Pour en frapper le coup, vous n’avez qu’à le suivre.
+
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+
+
+Je tiens des gens sans foi si peu dignes de vivre,
+Qu’on ne verra jamais que je recule un pas
+De crainte de causer un si juste trépas.
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+
+
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+
+Eh bien, voyez-le donc ; ma lame toute prête
+N’attendait que vos yeux pour immoler ma tête.
+Vous lirez dans mon sang, à vos pieds répandu,
+Ce que valait l’amant que vous aurez perdu ;
+Et sans vous reprocher un si cruel outrage,
+Ma main de vos rigueurs achèvera l’ouvrage.
+Trop heureux mille fois si je plais en mourant
+À celle à qui j’ai pu déplaire en l’adorant,
+Et si ma prompte mort, secondant son envie,
+L’assure du pouvoir qu’elle avait sur ma vie !
+
+
+
+
+Moi, du pouvoir sur vous ! vos yeux se sont mépris ;
+Et quelque illusion qui trouble vos esprits
+Vous fait imaginer d’être auprès d’Hippolyte.
+Allez, volage, allez où l’amour vous invite ;
+Dans ses doux entretiens recherchez vos plaisirs,
+Et ne m’empêchez plus de suivre mes désirs.
+
+
+
+
+Ce n’est pas sans raison que ma feinte passée
+A jeté cette erreur dedans votre pensée.
+Il est vrai, devant vous forçant mes sentiments,
+J’ai présenté des vœux, j’ai fait des compliments ;
+Mais c’étaient compliments qui partaient d’une souche ;
+Mon cœur, que vous teniez, désavouait ma bouche.
+Pleirante, qui rompit ces ennuyeux discours,
+Sait bien que mon amour n’en changea point de cours ;
+Contre votre froideur une modeste plainte
+Fut tout notre entretien au sortir de la feinte ;
+Et je le priai lors… D’user de son pouvoir ?
+Ce n’était pas par là qu’il me fallait avoir.
+Les mauvais traitements ne font qu’aigrir les âmes.
+
+
+
+
+Confus, désespéré du mépris de mes flammes,
+Sans conseil, sans raison, pareil aux matelots
+Qu’un naufrage abandonne à la merci des flots,
+Je me suis pris à tout, ne sachant où me prendre.
+Ma douleur par mes cris d’abord s’est fait entendre ;
+J’ai cru que vous seriez d’un naturel plus doux,
+Pourvu que votre esprit devînt un peu jaloux ;
+J’ai fait agir pour moi l’autorité d’un père,
+J’ai fait venir aux mains celui qu’on me préfère ;
+Et puisque ces efforts n’ont réussi qu’en vain,
+J’aurai de vous ma grâce, ou la mort de ma main.
+Choisissez, l’une ou l’autre achèvera mes peines ;
+Mon sang brûle déjà de sortir de mes veines :
+Il faut, pour l’arrêter, me rendre votre amour ;
+Je n’ai plus rien sans lui qui me retienne au jour.
+
+
+
+
+Volage, fallait-il, pour un peu de rudesse,
+Vous porter si soudain à changer de maîtresse ?
+Que je vous croyais bien d’un jugement plus meur !
+Ne pouviez-vous souffrir de ma mauvaise humeur ?
+Ne pouviez-vous juger que c’était une feinte
+À dessein d’éprouver quelle était votre atteinte ?
+Les dieux m’en soient témoins, et ce nouveau sujet
+Que vos feux inconstants ont choisi pour objet,
+
+Si jamais j’eus pour vous de dédain véritable,
+Avant que votre amour parût si peu durable !
+Qu’Hippolyte vous die avec quels sentiments
+Je lui fus raconter vos premiers mouvements,
+Avec quelles douceurs je m’étais préparée
+À redonner la joie à votre âme éplorée !
+Dieux ! que je fus surprise, et mes sens éperdus,
+Quand je vis vos devoirs à sa beauté rendus !
+Votre légèreté fut soudain imitée :
+Non pas que Dorimant m’en eût sollicitée ;
+Au contraire, il me fuit, et l’ingrat ne veut pas
+Que sa franchise cède au peu que j’ai d’appas ;
+Mais, hélas ! plus il fuit, plus son portrait s’efface.
+Je vous sens, malgré moi, reprendre votre place.
+L’aveu de votre erreur désarme mon courroux ;
+Ne redoutez plus rien, l’amour combat pour vous.
+Si nous avons failli de feindre l’un et l’autre,
+Pardonnez à ma feinte, et j’oublierai la vôtre.
+Moi-même je l’avoue à ma confusion,
+Mon imprudence a fait notre division.
+Tu ne méritais pas de si rudes alarmes :
+Accepte un repentir accompagné de larmes ;
+Et souffre que le tien nous fasse tour à tour
+Par ce petit divorce augmenter notre amour.
+
+
+
+
+Que vous me surprenez ! O ciel ! est-il possible
+Que je vous trouve encore à mes désirs sensible ?
+Que j’aime ces dédains qui finissent ainsi !
+
+
+
+
+Et pour l’amour de toi, que je les aime aussi !
+
+
+
+
+
+Que ce soit toutefois sans qu’il vous prenne envie
+De les plus essayer au péril de ma vie.
+
+
+
+
+J’aime trop désormais ton repos et le mien ;
+Tous mes soins n’iront plus qu’à notre commun bien.
+Voudrais-je, après ma faute, une plus douce amende
+Que l’effet d’un hymen qu’un père me commande ?
+Je t’accusais en vain d’une infidélité :
+Il agissait pour toi de pleine autorité,
+Me traitait de parjure et de fille rebelle ;
+Mais allons lui porter cette heureuse nouvelle ;
+Ce que pour mes froideurs il témoigne d’horreur
+Mérite bien qu’en hâte on le tire d’erreur.
+
+
+
+
+Vous craignez qu’à vos yeux cette belle Hippolyte
+N’ait encor de ma bouche un hommage hypocrite ?
+
+
+
+
+Non, je fuis Dorimant qu’ensemble j’aperçoi ;
+Je ne veux plus le voir, puisque je suis à toi.
+
+
+
+
+
+
+Autant que mon esprit adore vos mérites,
+Autant veux-je de mal à vos longues visites.
+
+
+
+
+
+Que vous ont-elles fait pour vous mettre en courroux ?
+
+
+
+
+Elles m’ôtent le bien de vous trouver chez vous.
+J’y fais à tous moments une course inutile ;
+J’apprends cent fois le jour que vous êtes en ville ;
+En voici presque trois que je n’ai pu vous voir,
+Pour rendre à vos beautés ce que je sais devoir ;
+Et n’était qu’aujourd’hui cette heureuse rencontre,
+Sur le point de rentrer, par hasard me les montre,
+Je crois que ce jour même aurait encor passé
+Sans moyen de m’en plaindre aux yeux qui m’ont blessé.
+
+
+
+
+Ma libre et gaie humeur hait le ton de la plainte ;
+Je n’en puis écouter qu’avec de la contrainte.
+Si vous prenez plaisir dedans mon entretien,
+Pour le faire durer ne vous plaignez de rien.
+
+
+
+
+Vous me pouvez ôter tout sujet de me plaindre.
+
+
+
+
+Et vous pouvez aussi vous empêcher d’en feindre.
+
+
+
+
+Est-ce en feindre un sujet qu’accuser vos rigueurs ?
+
+
+
+
+Pour vous en plaindre à faux, vous feignez des langueurs.
+
+
+
+
+Verrais-je sans languir ma flamme qu’on néglige ?
+
+
+
+
+Éteignez cette flamme où rien ne vous oblige.
+
+
+
+Vos charmes trop puissants me forcent à ces feux.
+
+
+
+
+Oui, mais rien ne vous force à vous approcher d’eux.
+
+
+
+
+Ma présence vous fâche et vous est odieuse.
+
+
+
+
+Non ; mais tout ce discours la peut rendre ennuyeuse.
+
+
+
+
+Je vois bien ce que c’est ; je lis dans votre cœur :
+Il a reçu les traits d’un plus heureux vainqueur ;
+Un autre, regardé d’un oeil plus favorable,
+À mes submissions vous fait inexorable ;
+C’est pour lui seulement que vous voulez brûler.
+
+
+
+
+Il est vrai ; je ne puis vous le dissimuler :
+Il faut que je vous traite avec toute franchise.
+Alors que je vous pris, un autre m’avait prise,
+Un autre captivait mes inclinations.
+Vous devez présumer de vos perfections
+Que si vous attaquiez un cœur qui fût à prendre,
+Il serait malaisé qu’il s’en pût bien défendre.
+Vous auriez eu le mien, s’il n’eût été donné ;
+Mais puisque les destins ainsi l’ont ordonné,
+Tant que ma passion aura quelque espérance,
+N’attendez rien de moi que de l’indifférence.
+
+
+
+
+Vous ne m’apprenez point le nom de cet amant :
+Sans doute que Lysandre est cet objet charmant
+Dont les discours flatteurs vous ont préoccupée.
+
+
+
+
+
+Cela ne se dit point à des hommes d’épée :
+Vous exposer aux coups d’un duel hasardeux,
+Ce serait le moyen de vous perdre tous deux.
+Je vous veux, si je puis, conserver l’un et l’autre ;
+Je chéris sa personne, et hais si peu la vôtre,
+Qu’ayant perdu l’espoir de le voir mon époux,
+Si ma mère y consent, Hippolyte est à vous.
+Mais aussi jusque-là plaignez votre infortune.
+
+
+
+
+Permettez pour ce nom que je vous importune ;
+Ne me refusez plus de me le déclarer :
+Que je sache en quel temps j’aurai droit d’espérer,
+Un mot me suffira pour me tirer de peine ;
+Et lors j’étoufferai si bien toute ma haine,
+Que vous me trouverez vous-même trop remis.
+
+
+
+
+
+
+Souffrez, mon cavalier, que je vous rende amis.
+Vous ne lui voulez pas quereller Célidée ?
+
+
+
+
+L’affaire, à cela près, peut être décidée.
+Voici le seul objet de nos affections,
+Et l’unique motif de nos dissensions.
+
+
+
+
+
+Dissipe, cher ami, cette jalouse atteinte ;
+C’est l’objet de tes feux, et celui de ma feinte.
+Mon cœur fut toujours ferme, et moi je me dédis
+Des vœux que de ma bouche elle reçut jadis.
+Piqué d’un faux dédain, j’avais pris fantaisie
+De mettre Célidée en quelque jalousie ;
+Mais, au lieu d’un esprit, j’en ai fait deux jaloux.
+
+
+
+
+Vous pouvez désormais achever entre vous :
+Je vais dans ce logis dire un mot à madame.
+
+
+
+
+
+
+Ainsi, loin de m’aider, tu traversais ma flamme !
+
+
+
+
+Les efforts que Pleirante à ma prière a faits
+T’auraient acquis déjà le but de tes souhaits ;
+Mais tu dois accuser les glaces d’Hippolyte,
+Si ton bonheur n’est pas égal à ton mérite.
+
+
+
+
+Qu’aurai-je cependant pour satisfaction
+D’avoir servi d’objet à votre fiction ?
+Dans votre différend je suis la plus blessée,
+Et me trouve, à l’accord, entièrement laissée.
+
+
+
+
+
+N’y songe plus, de grâce, et pour l’amour de moi,
+Trouve bon qu’il ait feint de vivre sous ta loi.
+Veux-tu le quereller lorsque je lui pardonne ?
+Le droit de l’amitié tout autrement ordonne.
+Tout prêts d’être assemblés d’un lien conjugal,
+Tu ne peux le haïr sans me vouloir du mal.
+J’ai feint par ton conseil ; lui, par celui d’un autre ;
+Et bien qu’amour jamais ne fût égal au nôtre,
+Je m’étonne comment cette confusion
+Laisse finir si tôt notre division.
+
+
+
+
+De sorte qu’à présent le ciel y remédie ?
+
+
+
+
+Tu vois ; mais après tout, s’il faut que je le die,
+Ton conseil est fort bon, mais un peu dangereux.
+
+
+
+
+Excuse, chère amie, un esprit amoureux.
+Lysandre me plaisait, et tout mon artifice
+N’allait qu’à détourner son cœur de ton service.
+J’ai fait ce que j’ai pu pour brouiller vos esprits ;
+J’ai, pour me l’attirer, pratiqué tes mépris ;
+Mais puisqu’ainsi le ciel rejoint votre hyménée…
+
+
+
+
+Votre rigueur vers moi doit être terminée.
+Sans chercher de raisons pour vous persuader,
+Votre amour hors d’espoir fait qu’il me faut céder ;
+Vous savez trop à quoi la parole vous lie.
+
+
+
+
+À vous dire le vrai, j’ai fait une folie :
+
+Je les croyais encor loin de se réunir,
+Et moi, par conséquent, loin de vous la tenir.
+
+
+
+
+Auriez-vous pour la rompre une âme assez légère ?
+
+
+
+
+Puisque je l’ai promis, vous pouvez voir ma mère.
+
+
+
+
+Si tu juges Pleirante à cela suffisant,
+Je crois qu’eux deux ensemble en parlent à présent.
+
+
+
+
+Après cette faveur qu’on me vient de promettre,
+Je crois que mes devoirs ne se peuvent remettre :
+J’espère tout de lui ; mais, pour un bien si doux
+Je ne saurais… Arrête ; ils s’avancent vers nous.
+
+
+
+
+Madame, un pauvre amant, captif de cette belle,
+Implore le pouvoir que vous avez sur elle ;
+Tenant ses volontés, vous gouvernez mon sort.
+J’attends de votre bouche ou la vie ou la mort.
+
+
+Un homme tel que vous, et de votre naissance,
+Ne peut avoir besoin d’implorer ma puissance.
+
+Si vous avez gagné ses inclinations,
+Soyez sûr du succès de vos affections ;
+Mais je ne suis pas femme à forcer son courage ;
+Je sais ce que la force est en un mariage.
+Il me souvient encor de tous mes déplaisirs
+Lorsqu’un premier hymen contraignit mes désirs ;
+Et, sage à mes dépens, je veux bien qu’Hippolyte
+Prenne ou laisse, à son choix, un homme de mérite.
+Ainsi présumez tout de mon consentement,
+Mais ne prétendez rien de mon commandement.
+
+
+Après un tel aveu serez-vous inhumaine ?
+
+
+Madame, un mot de vous me mettrait hors de peine.
+Ce que vous remettez à mon choix d’accorder,
+Vous feriez beaucoup mieux de me le commander.
+
+
+Elle vous montre assez où son désir se porte.
+
+
+
+
+Puisqu’elle s’y résout, le reste ne m’importe.
+
+
+
+
+Ce favorable mot me rend le plus heureux
+De tout ce que jamais on a vu d’amoureux.
+
+
+
+
+J’en sens croître la joie au milieu de mon âme,
+Comme si de nouveau l’on acceptait ma flamme.
+
+
+Ferez-vous donc enfin quelque chose pour moi ?
+
+
+
+
+
+Tout, hormis ce seul point, de lui manquer de foi.
+
+
+
+
+Pardonnez donc à ceux qui, gagnés par Florice,
+Lorsque je vous aimais, m’ont fait quelque service.
+
+
+
+
+Je vous entends assez ; soit. Aronte impuni
+Pour ses mauvais conseils ne sera point banni ;
+Tu le souffriras bien, puisqu’elle m’en supplie.
+
+
+
+
+Il n’est rien que pour elle et pour toi je n’oublie.
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+
+
+Attendant que demain ces deux couples d’amants
+Soient mis au plus haut point de leurs contentements,
+Allons chez moi, madame, achever la journée.
+
+
+
+
+Mon cœur est tout ravi de ce double hyménée.
+
+
+
+
+Mais afin que la joie en soit égale à tous,
+Faites encor celui de monsieur et de vous.
+
+
+
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+Outre l’âge en tous deux un peu trop refroidie,
+Cela sentirait trop sa fin de comédie.
diff --git a/test/corneille_galerie_du_palais.tpl b/test/corneille_galerie_du_palais.tpl
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+6/6 A !X
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+6/6 B !x
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@@ -0,0 +1,3703 @@
+
+
+
+Je te l’avoue, ami, mon mal est incurable ;
+Je n’y sais qu’un remède, et j’en suis incapable :
+Le change seroit juste, après tant de rigueur ;
+Mais malgré ses dédains, Mélite a tout mon cœur ;
+Elle a sur tous mes sens une entière puissance ;
+Si j’ose en murmurer, ce n’est qu’en son absence,
+Et je ménage en vain dans un éloignement
+Un peu de liberté pour mon ressentiment :
+D’un seul de ses regards l’adorable contrainte
+Me rend tous mes liens, en resserre l’étreinte,
+Et par un si doux charme aveugle ma raison ,
+Que je cherche mon mal et fuis ma guérison.
+Son œil agit sur moi d’une vertu si forte,
+Qu’il ranime soudain mon espérance morte,
+Combat les déplaisirs de mon cœur irrité,
+Et soutient mon amour contre sa cruauté ;
+Mais ce flatteur espoir qu’il rejette en mon âme
+N’est qu’un doux imposteur qu’autorise ma flamme ,
+Et qui sans m’assurer ce qu’il semble m’offrir ,
+Me fait plaire en ma peine, et m’obstine à souffrir.
+
+
+
+
+Que je te trouve, ami, d’une humeur admirable !
+Pour paroître éloquent tu te feins misérable :
+Est-ce à dessein de voir avec quelles couleurs
+Je saurois adoucir les traits de tes malheurs ?
+Ne t’imagine pas qu’ainsi sur ta parole
+D’une fausse douleur un ami te console :
+Ce que chacun en dit ne m’a que trop appris
+Que Mélite pour toi n’eut jamais de mépris.
+
+
+
+
+Son gracieux accueil et ma persévérance
+Font naître ce faux bruit d’une vaine apparence :
+Ses mépris sont cachés, et s’en font mieux sentir ,
+Et n’étant point connus, on n’y peut compatir .
+
+
+
+
+En étant bien reçu, du reste que t’importe ?
+C’est tout ce que tu veux des filles de sa sorte.
+
+
+
+
+Cet accès favorable, ouvert et libre à tous,
+Ne me fait pas trouver mon martyre plus doux :
+Elle souffre aisément mes soins et mon service ;
+Mais loin de se résoudre à leur rendre justice,
+Parler de l’hyménée à ce cœur de rocher,
+C’est l’unique moyen de n’en plus approcher.
+
+
+
+
+Ne dissimulons point : tu règles mieux ta flamme,
+Et tu n’es pas si fou que d’en faire ta femme.
+
+
+
+
+Quoi ! tu sembles douter de mes intentions ?
+
+
+
+
+Je crois malaisément que tes affections
+Sur l’éclat d’un beau teint, qu’on voit si périssable ,
+Règlent d’une moitié le choix invariable.
+Tu serois incivil de la voir chaque jour
+Et ne lui pas tenir quelques propos d’amour ;
+Mais d’un vain compliment ta passion bornée
+Laisse aller tes desseins ailleurs pour l’hyménée.
+Tu sais qu’on te souhaite aux plus riches maisons,
+Que les meilleurs partis … Trêve de ces raisons ;
+Mon amour s’en offense, et tiendroit pour supplice
+De recevoir des lois d’une sale avarice ;
+Il me rend insensible aux faux attraits de l’or,
+Et trouve en sa personne un assez grand trésor.
+
+
+
+
+Si c’est là le chemin qu’en aimant tu veux suivre,
+Tu ne sais guère encor ce que c’est que de vivre.
+Ces visages d’éclat sont bons à cajoler ;
+C’est là qu’un apprentif doit s’instruire à parler ;
+J’aime à remplir de feux ma bouche en leur présence ;
+La mode nous oblige à cette complaisance ;
+Tous ces discours de livre alors sont de saison :
+Il faut feindre des maux, demander guérison ,
+Donner sur le phébus, promettre des miracles ;
+Jurer qu’on brisera toute sorte d’obstacles ;
+Mais du vent et cela doivent être tout un.
+
+
+
+
+Passe pour des beautés qui sont dans le commun :
+C’est ainsi qu’autrefois j’amusai Crisolite ;
+Mais c’est d’autre façon qu’on doit servir Mélite.
+Malgré tes sentiments, il me faut accorder
+Que le souverain bien n’est qu’à la posséder .
+Le jour qu’elle naquit, Vénus, bien qu’immortelle ,
+Pensa mourir de honte en la voyant si belle ;
+Les Grâces, à l’envi, descendirent des cieux ,
+Pour se donner l’honneur d’accompagner ses yeux ;
+Et l’Amour, qui ne put entrer dans son courage,
+Voulut obstinément loger sur son visage .
+
+
+
+
+Tu le prends d’un haut ton, et je crois qu’au besoin
+Ce discours emphatique iroit encor bien loin.
+Pauvre amant, je te plains, qui ne sais pas encore
+Que bien qu’une beauté mérite qu’on l’adore,
+Pour en perdre le goût, on n’a qu’à l’épouser.
+Un bien qui nous est dû se fait si peu priser,
+Qu’une femme fût-elle entre toutes choisie,
+On en voit en six mois passer la fantaisie.
+Tel au bout de ce temps n’en voit plus la beauté
+Qu’avec un esprit sombre, inquiet, agité ;
+Au premier qui lui parle ou jette l’œil sur elle ,
+Mille sottes frayeurs lui brouillent la cervelle ;
+Ce n’est plus lors qu’une aide à faire un favori ,
+Un charme pour tout autre, et non pour un mari.
+
+
+
+
+Ces caprices honteux et ces chimères vaines
+Ne sauroient ébranler des cervelles bien saines,
+Et quiconque a su prendre une fille d’honneur
+N’a point à redouter l’appas d’un suborneur.
+
+
+
+
+Peut-être dis-tu vrai ; mais ce choix difficile
+Assez et trop souvent trompe le plus habile,
+Et l’hymen de soi-même est un si lourd fardeau,
+Qu’il faut l’appréhender à l’égal du tombeau.
+S’attacher pour jamais aux côtés d’une femme !
+Perdre pour des enfants le repos de son âme !
+Voir leur nombre importun remplir une maison !
+Ah ! qu’on aime ce joug avec peu de raison !
+
+
+
+
+Mais il y faut venir ; c’est en vain qu’on recule,
+C’est en vain qu’on refuit, tôt ou tard on s’y brûle ;
+Pour libertin qu’on soit, on s’y trouve attrapé :
+Toi-même, qui fais tant le cheval échappé .
+Nous te verrons un jour songer au mariage .
+
+
+
+
+Alors ne pense pas que j’épouse un visage :
+Je règle mes désirs suivant mon intérêt.
+Si Doris me vouloit, toute laide qu’elle est,
+Je l’estimerois plus qu’Aminte et qu’Hippolyte ;
+Son revenu chez moi tiendrait lieu de mérite :
+C’est comme il faut aimer. L’abondance des biens
+Pour l’amour conjugal a de puissants liens :
+La beauté, les attraits, l’esprit, la bonne mine ,
+Échauffent bien le cœur, mais non pas la cuisine ;
+Et l’hymen qui succède à ces folles amours,
+Après quelques douceurs, a bien de mauvais jours .
+Une amitié si longue est fort mal assurée
+Dessus des fondements de si peu de durée .
+L’argent dans le ménage a certaine splendeur
+Qui donne un teint d’éclat à la même laideur ;
+Et tu ne peux trouver de si douces caresses
+Dont le goût dure autant que celui des richesses.
+
+
+
+
+Auprès de ce bel œil qui tient mes sens ravis,
+À peine pourrois-tu conserver ton avis.
+
+
+
+
+La raison en tous lieux est également forte
+
+
+
+
+L’essai n’en coûte rien : Mélite est à sa porte ;
+Allons, et tu verras dans ses aimables traits
+Tant de charmants appas, tant de brillants attraits ,
+Que tu seras forcé toi-même à reconnoître
+Que si je suis un fou, j’ai bien raison de l’être.
+
+
+
+
+Allons, et tu verras que toute sa beauté
+Ne saura me tourner contre la vérité .
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+De deux amis, Madame, apaisez la querelle .
+Un esclave d’Amour le défend d’un rebelle,
+Si toutefois un cœur qui n’a jamais aimé,
+Fier et vain qu’il en est, peut être ainsi nommé.
+Comme dès le moment que je vous ai servie
+J’ai cru qu’il étoit seul la véritable vie,
+Il n’est pas merveilleux que ce peu de rapport
+Entre nos deux esprits sème quelque discord .
+Je me suis donc piqué contre sa médisance,
+Avec tant de malheur ou tant d’insuffisance.
+Que des droits si sacrés et si pleins d’équité .
+N’ont pu se garantir de sa subtilité,
+Et je l’amène ici, n’ayant plus que répondre ,
+Assuré que vos yeux le sauront mieux confondre.
+
+
+
+
+Vous deviez l’assurer plutôt qu’il trouveroit
+En ce mépris d’Amour qui le seconderoit.
+
+
+
+
+Si le cœur ne dédit ce que la bouche exprime,
+Et ne fait de l’amour une plus haute estime ,
+Je plains les malheureux à qui vous en donnez,
+Comme à d’étranges maux par leur sort destinés.
+
+
+
+
+Ce reproche sans cause avec raison m’étonne :
+Je ne reçois d’amour et n’en donne à personne.
+Les moyens de donner ce que je n’eus jamais ?
+
+
+
+
+Ils vous sont trop aisés, et par vous désormais
+La nature pour moi montre son injustice
+À pervertir son cours pour me faire un supplice .
+
+
+
+
+Supplice imaginaire, et qui sent son moqueur.
+
+
+
+
+Supplice qui déchire et mon âme et mon cœur.
+
+
+
+
+Il est rare qu’on porte avec si bon visage
+L’âme et le cœur ensemble en si triste équipage .
+
+
+
+
+Votre charmant aspect suspendant mes douleurs ,
+Mon visage du vôtre emprunte les couleurs.
+
+
+
+
+Faites mieux : pour finir vos maux et votre flamme,
+Empruntez tout d’un temps les froideurs de mon âme.
+
+
+
+
+Vous voyant, les froideurs perdent tout leur pouvoir,
+Et vous n’en conservez que faute de vous voir .
+
+
+
+
+Et quoi ! tous les miroirs ont-ils de fausses glaces ?
+
+
+
+
+Penseriez-vous y voir la moindre de vos grâces ?
+De si frêles sujets ne sauroient exprimer
+Ce que l’amour aux cœurs peut lui seul imprimer ,
+Et quand vous en voudrez croire leur impuissance,
+Cette légère idée et foible connoissance
+Que vous aurez par eux de tant de raretés
+Vous mettra hors du pair de toutes les beautés .
+
+
+
+
+Voilà trop vous tenir dans une complaisance
+Que vous dussiez quitter, du moins en ma présence,
+Et ne démentir pas le rapport de vos yeux,
+Afin d’avoir sujet de m’entreprendre mieux.
+
+
+
+
+Le rapport de mes yeux, aux dépens de mes larmes,
+Ne m’a que trop appris le pouvoir de vos charmes.
+
+
+
+
+Sur peine d’être ingrate, il faut de votre part
+Reconnoître les dons que le ciel vous départ.
+
+
+
+
+Voyez que d’un second mon droit se fortifie.
+
+
+
+
+Voyez que son secours montre qu’il s’en défie .
+
+
+
+
+Je me range toujours avec la vérité.
+
+
+
+
+Si vous la voulez suivre, elle est de mon côté.
+
+
+
+
+Oui, sur votre visage, et non en vos paroles.
+Mais cessez de chercher ces refuites frivoles,
+Et prenant désormais des sentiments plus doux,
+Ne soyez plus de glace à qui brûle pour vous.
+
+
+
+
+Un ennemi d’Amour me tenir ce langage !
+Accordez votre bouche avec votre courage ;
+Pratiquez vos conseils, ou ne m’en donnez pas.
+
+
+
+
+J’ai connu mon erreur auprès de vos appas :
+Il vous l’avoit bien dit. Ainsi donc par l’issue
+Mon âme sur ce point n’a point été déçue ?
+
+
+
+
+Si tes feux en son cœur produisoient même effet,
+Crois-moi que ton bonheur seroit bientôt parfait.
+
+
+
+
+Pour voir si peu de chose aussitôt vous dédire
+Me donne à vos dépens de beaux sujets de rire ;
+Mais je pourrois bientôt, à m’entendre flatter ,
+Concevoir quelque orgueil qu’il vaut mieux éviter.
+Excusez ma retraite. Adieu, belle inhumaine.
+De qui seule dépend et ma joie et ma peine .
+
+
+
+
+Plus sage à l’avenir, quittez ces vains propos,
+Et laissez votre esprit et le mien en repos.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Maintenant suis-je un fou ? mérité- je du blâme ?
+Que dis-tu de l’objet? que dis-tu de ma flamme?
+
+
+
+
+Que veux-tu que j’en die ? elle a je ne sais quoi
+Qui ne peut consentir que l’on demeure à soi.
+Mon cœur, jusqu’à présent à l’amour invincible.
+Ne se maintient qu’à force aux termes d’insensible ;
+Tout autre que Tircis mourroit pour la servir.
+
+
+
+
+Confesse franchement qu’elle a su te ravir,
+Mais que tu ne veux pas prendre pour cette belle
+Avec le nom d’amant le titre d’infidèle.
+Rien que notre amitié ne t’en peut détourner ;
+Mais ta muse du moins, facile à suborner ,
+Avec plaisir déjà prépare quelques veilles
+À de puissants efforts pour de telles merveilles.
+
+
+
+
+En effet ayant vu tant et de tels appas,
+Que je ne rime point, je ne le promets pas.
+
+
+
+
+Tes feux n’iront-ils point plus avant que la rime ?
+
+
+
+
+Si je brûle jamais, je veux brûler sans crime.
+
+
+
+
+Mais si sans y penser tu te trouvois surpris ?
+
+
+
+
+Quitte pour décharger mon creur dans mes écrits.
+J’aime bien ces discours de plaintes et d’alarmes,
+De soupirs, de sanglots, de tourments et de larmes :
+C’est de quoi fort souvent je bâtis ma chanson ;
+Mais j’en connois, sans plus, la cadence et le son.
+Souffre qu’en un sonnet je m’efforce à dépeindre
+Cet agréable feu que tu ne peux éteindre ;
+Tu le pourras donner comme venant de toi.
+
+
+
+
+Ainsi ce cœur d’acier qui me tient sous sa loi
+Verra ma passion pour le moins en peinture.
+Je doute néanmoins qu’en cette portraiture
+Tu ne suives plutôt tes propres sentiments.
+
+
+
+
+Me prépare le ciel de nouveaux châtiments,
+Si jamais un tel crime entre dans mon courage !
+
+
+
+
+Adieu, je suis content, j’ai ta parole en gage,
+Et sais trop que l’honneur t’en fera souvenir.
+
+
+
+
+En matière d’amour rien n’oblige à tenir,
+Et les meilleurs amis, lorsque son feu les presse.
+Font bientôt vanité d’oublier leur promesse.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Je meure, mon souci, tu dois bien me haïr :
+Tous mes soins depuis peu ne vont qu’à te trahir.
+
+
+
+
+Ne m’épouvante point : à ta mine, je pense
+Que le pardon suivra de fort près cette offense,
+Sitôt que j’aurai su quel est ce mauvais tour.
+
+
+
+
+Sache donc qu’il ne vient sinon de trop d’amour.
+
+
+
+
+J’eusse osé le gager qu’ainsi par quelque ruse
+Ton crime officieux porteroit son excuse .
+
+
+
+
+Ton adorable objet, mon unique vainqueur,
+Fait naître chaque jour tant de feux en mon cœur,
+Que leur excès m’accable, et que pour m’en défaire
+J’y cherche des défauts qui puissent me déplaire .
+J’examine ton teint dont l’éclat me surprit,
+Les traits de ton visage, et ceux de ton esprit ;
+Mais je n’en puis trouver un seul qui ne me charme .
+
+
+
+
+Et moi, je suis ravie, après ce peu d’alarme.
+Qu’ainsi tes sens trompés te puissent obliger
+À chérir ta Cloris, et jamais ne changer.
+
+
+
+
+Ta beauté te répond de ma persévérance,
+Et ma foi qui t’en donne une entière assurance.
+
+
+
+
+Voilà fort doucement dire que sans ta foi
+Ma beauté ne pourroit te conserver à moi.
+
+
+
+
+Je traiterois trop mal une telle maîtresse
+De l’aimer seulement pour tenir ma promesse :
+Ma passion en est la cause, et non l’effet ;
+Outre que tu n’as rien qui ne soit si parfait,
+Qu’on ne peut te servir sans voir sur ton visage
+De quoi rendre constant l’esprit le plus volage .
+
+
+
+
+Ne m’en conte point tant de ma perfection :
+Tu dois être assuré de mon affection,
+Et tu perds tout l’effort de ta galanterie,
+Si tu crois l’augmenter par une flatterie.
+Une fausse louange est un blâme secret :
+Je suis belle à tes yeux ; il suffit, sois discret ;
+C’est mon plus grand bonheur, et le seul où j’aspire.
+
+
+
+
+Tu sais adroitement adoucir mon martyre ;
+Mais parmi les plaisirs qu’avec toi je ressens,
+À peine mon esprit ose croire mes sens .
+Toujours entre la crainte et l’espoir en balance
+Car s’il faut que l’amour naisse de ressemblance,
+Mes imperfections nous éloignant si fort,
+Qu’oserois-je prétendre en ce peu de rapport ?
+
+
+
+
+Du moins ne prétends pas qu’à présent je te loue,
+Et qu’un mépris rusé, que ton cœur désavoue,
+Me mette sur la langue un babil affété,
+Pour te rendre à mon tour ce que tu m’as prêté :
+Au contraire, je veux que tout le monde sache
+Que je connois en toi des défauts que je cache.
+Quiconque avec raison peut être négligé
+À qui le veut aimer est bien plus obligé.
+
+
+
+
+Quant à toi, tu te crois de beaucoup plus aimable ?
+
+
+
+
+Sans doute ; et qu’aurois-tu qui me fût comparable ?
+
+
+
+
+Regarde dans mes yeux, et reconnois qu’en moi
+On peut voir quelque chose aussi parfait que toi .
+
+
+
+
+C’est sans difficulté, m’y voyant exprimée.
+
+
+
+
+Quitte ce vain orgueil dont ta vue est charmée.
+Tu n’y vois que mon cœur, qui n’a plus un seul trait
+Que ceux qu’il a reçus de ton charmant portrait ,
+Et qui tout aussitôt que tu t’es fait paroître ,
+Afin de te mieux voir s’est mis à la fenêtre.
+
+
+
+
+Le trait n’est pas mauvais ; mais puisqu’il te plaît tant .
+Regarde dans mes yeux, ils t’en montrent autant,
+Et nos feux tous pareils ont mêmes étincelles .
+
+
+
+
+Ainsi, chère Cloris, nos ardeurs mutuelles,
+Dedans cette union prenant un même cours,
+Nous préparent un heur qui durera toujours.
+Cependant, en faveur de ma longue souffrance …
+
+
+
+
+Tais-toi, mon frère vient. Si j’en crois l’apparence,
+Mon arrivée ici fait quelque contre-temps.
+
+
+
+
+Que t’en semble, Tircis ? Je vous vois si contents,
+Qu’à ne vous rien celer touchant ce qu’il me semble
+Du divertissement que vous preniez ensemble,
+De moins sorciers que moi pourroient bien deviner
+Qu’un troisième ne fait que vous importuner.
+
+
+
+
+Dis ce que tu voudras ; nos feux n’ont point de crimes,
+Et pour t’appréhender ils sont trop légitimes,
+Puisqu’un hymen sacré, promis ces jours passés.
+Sous ton consentement les autorise assez.
+
+
+
+
+Ou je te connois mal, ou son heure tardive
+Te désoblige fort de ce qu’elle n’arrive .
+
+
+
+
+Ta belle humeur te tient, mon frère. Assurément.
+
+
+
+
+Le sujet ? J’en ai trop dans ton contentement.
+
+
+
+
+Le cœur t’en dit d’ailleurs . Il est vrai, je te jure ;
+J’ai vu je ne sais quoi… Dis tout, je t’en conjure .
+
+
+
+
+Ma foi, si ton Philandre avoit vu de mes yeux,
+Tes affaires, ma sœur, n’en iroient guère mieux.
+
+
+
+
+J’ai trop de vanité pour croire que Philandre
+Trouve encore après moi qui puisse le surprendre .
+
+
+
+
+Tes vanités à part, repose-t’en sur moi.
+Que celle que j’ai vue est bien autre que toi.
+
+
+
+
+Parle mieux de l’objet dont mon âme est ravie ;
+Ce blasphème à tout autre auroit coûté la vie.
+
+
+
+
+Nous tomberons d’accord sans nous mettre en pourpoint .
+
+
+
+
+Encor, cette beauté, ne la nomme-ton point ?
+
+
+
+
+Non pas sitôt. Adieu : ma présence importune
+Te laisse à la merci d’Amour et de la brune.
+Continuez les jeux que vous avez quittés .
+
+
+
+
+Ne crois pas éviter mes importunités :
+Ou tu diras le nom de cette incomparable,
+Ou je vais de tes pas me rendre inséparable.
+
+
+
+
+Il n’est pas fort aisé d’arracher ce secret.
+Adieu : ne perds point temps. Ô l’amoureux discret !
+Eh bien ! nous allons voir si tu sauras te taire.
+
+
+
+
+
+C’est donc ainsi qu’on quitte un amant pour un frère !
+
+
+
+
+Philandre, avoir un peu de curiosité,
+Ce n’est pas envers toi grande infidélité :
+Souffre que je dérobe un moment à ma flamme,
+Pour lire malgré lui jusqu’au fond de son âme.
+Nous en rirons après ensemble, si tu veux.
+
+
+
+
+Quoi ! c’est là tout l’état que tu fais de mes feux ?
+
+
+
+
+Je ne t’aime pas moins pour être curieuse ?
+Et ta flamme à mon cœur n’est pas moins précieuse.
+Conserve-moi le tien, et sois sûr de ma foi.
+
+
+
+
+Ah, folle ! qu’en t’aimant il faut souffrir de toi !
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Je l’avois bien prévu, que ce cœur infidèle
+Ne se défendroit point des yeux de ma cruelle,
+Qui traite mille amants avec mille mépris,
+Et n’a point de faveurs que pour le dernier pris.
+Sitôt qu’il l’aborda, je lus sur son visage
+De sa déloyauté l’infaillible présage ;
+Un inconnu frisson dans mon corps épandu
+Me donna les avis de ce que j’ai perdu .
+Depuis, cette volage évite ma rencontre,
+Ou si malgré ses soins le hasard me la montre,
+Si je puis l’aborder, son discours se confond,
+Son esprit en désordre à peine me répond ;
+Une réflexion vers le traître qu’elle aime
+Presque à tous les moments le ramène en lui-même ;
+Et tout rêveur qu’il est, il n’a point de soucis
+Qu’un soupir ne trahisse au seul nom de Tircis.
+Lors, par le prompt effet d’un changement étrange,
+Son silence rompu se déborde en louange.
+Elle remarque en lui tant de perfections,
+Que les moins éclairés verroient ses passions .
+Sa bouche ne se plaît qu’en cette flatterie,
+Et tout autre propos lui rend sa rêverie.
+Cependant chaque jour au discours attachés ,
+Ils ne retiennent plus leurs sentiments cachés :
+Ils ont des rendez-vous où l’amour les assemble ;
+Encore hier sur le soir je les surpris ensemble ;
+Encor tout de nouveau je la vois qui l’attend.
+Que cet œil assuré marque un esprit content !
+Perds tout respect, Éraste, et tout soin de lui plaire ;
+Rends, sans plus différer, ta vengeance exemplaire ;
+Mais il vaut mieux t’en rire, et pour dernier effort
+Lui montrer en raillant combien elle a de tort.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Quoi ! seule et sans Tircis ! vraiment c’est un prodige,
+Et ce nouvel amant déjà trop vous néglige,
+Laissant ainsi couler la belle occasion
+De vous conter l’excès de son affection.
+
+
+
+
+Vous savez que son âme en est fort dépourvue .
+
+
+
+
+Toutefois, ce dit-on, depuis qu’il vous a vue ,
+Il en porte dans l’âme un si doux souvenir,
+Qu’il n’a plus de plaisirs qu’à vous entretenir.
+
+
+
+
+Il a lieu de s’y plaire avec quelque justice :
+L’amour ainsi qu’à lui me paroît un supplice ;
+Et sa froideur, qu’augmente un si lourd entretien,
+Le résout d’autant mieux à n’aimer jamais rien.
+
+
+
+
+Dites : à n’aimer rien que la belle Mélite.
+
+
+
+
+Pour tant de vanité j’ai trop peu de mérite.
+
+
+
+
+En faut-il tant avoir pour ce nouveau venu ?
+
+
+
+
+Un peu plus que pour vous. De vrai, j’ai reconnu,
+Vous ayant pu servir deux ans, et davantage,
+Qu’il faut si peu que rien à toucher mon courage.
+
+
+
+
+Encor si peu que c’est vous étant refusé,
+Présumez comme ailleurs vous serez méprisé.
+
+
+
+
+Vos mépris ne sont pas de grande conséquence,
+Et ne vaudront jamais la peine que j'y pense ;
+Sachant qu'il vous voyoit, je m'étois bien douté
+Que je ne serois plus que fort mal écouté.
+
+
+
+
+Sans que mes actions de plus près j'examine,
+À la meilleure humeur je fais meilleure mine,
+Et s'il m'osoit tenir de semblables discours,
+Nous romprions ensemble avant qu'il fût deux jours.
+
+
+
+
+Si chaque objet nouveau de même vous engage,
+Il changera bientôt d'humeur et de langage .
+Caressé maintenant aussitôt qu'aperçu,
+Qu'auroit-il à se plaindre, étant si bien reçu ?
+
+
+
+
+Éraste, voyez-vous, trêve de jalousie ;
+Purgez votre cerveau de cette frénésie ;
+Laissez en liberté mes inclinations.
+Qui vous a fait censeur de mes affections ?
+Est-ce à votre chagrin que j'en dois rendre conte ?
+
+
+
+
+Non, mais j'ai malgré moi pour vous un peu de honte
+De ce qu'on dit partout du trop de privauté
+Que déjà vous souffrez à sa témérité.
+
+
+
+
+Ne soyez en souci que de ce qui vous touche.
+
+
+
+
+Le moyen, sans regret, de vous voir si farouche
+Aux légitimes vœux de tant de gens d’honneur,
+Et d’ailleurs si facile à ceux d’un suborneur ?
+
+
+
+
+Ce n’est pas contre lui qu’il faut en ma présence
+Lâcher les traits jaloux de votre médisance.
+Adieu : souvenez-vous que ces mots insensés
+L’avanceront chez moi plus que vous ne pensez.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+C’est là donc ce qu’enfin me gardoit ton caprice ?
+C’est ce que j’ai gagné par deux ans de service ?
+C’est ainsi que mon feu s’étant trop abaissé
+D’un outrageux mépris se voit récompensé ?
+Tu m’oses préférer un traître qui te flatte ;
+Mais dans ta lâcheté ne crois pas que j’éclate,
+Et que par la grandeur de mes ressentiments
+Je laisse aller au jour celle de mes tourments.
+Un aveu si public qu’en feroit ma colère
+Enfleroit trop l’orgueil de ton âme légère
+Et me convaincroit trop de ce désir abjet
+Qui m’a fait soupirer pour un indigne objet.
+Je saurai me venger, mais avec l’apparence
+De n’avoir pour tous deux que de l’indifférence.
+Il fut toujours permis de tirer sa raison
+D’une infidélité par une trahison.
+Tiens, déloyal ami, tiens ton âme assurée
+Que ton heur surprenant aura peu de durée,
+Et que par une adresse égale à tes forfaits
+Je mettrai le désordre où tu crois voir la paix.
+L’esprit fourbe et vénal d’un voisin de Mélite
+Donnera prompte issue à ce que je médite.
+À servir qui l’achète il est toujours tout prêt,
+Et ne voit rien d’injuste où brille l’intérêt.
+Allons sans perdre temps lui payer ma vengeance,
+Et la pistole en main presser sa diligence.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Ma sœur, un mot d’avis sur un méchant sonnet
+Que je viens de brouiller dedans mon cabinet.
+
+
+
+
+C’est à quelque beauté que ta muse l’adresse ?
+
+
+
+
+En faveur d’un ami je flatte sa maîtresse.
+Vois si tu le connois, et si, parlant pour lui,
+J’ai su m’accommoder aux passions d’autrui.
+
+
+
+
+Après l’œil de Mélite il n’est rien d’admirable…
+
+
+
+
+Ah ! frère, il n’en faut plus. Tu n’es pas supportable
+De me rompre sitôt. C’étoit sans y penser ;
+Achève. Tais-toi donc, je vais recommencer.
+
+
+
+
+Après l’œil de Mélite il n’est rien d’admirable ;
+Mon feu, comme son teint, se rend incomparable,
+Il n’est rien de solide après ma loyauté.
+Et je suis en amour ce qu’elle est en beauté.
+
+
+Mon cœur à tous ses traits demeure invulnérable,
+Ma foi pour ses rigueurs n’en est pas moins durable.
+Quoi que puisse à mes sens offrir la nouveauté,
+Et bien qu’elle ait au sien la même cruauté.
+
+
+Et que sans être aimé je brûle pour Mélite ;
+Donnèrent pour nous deux d’amour et de mérite,
+
+C’est donc avec raison que mon extrême ardeur
+Trouve chez cette belle une extrême froideur,
+
+Tatatatatata tatatata tatie
+Tatatatatata tatata tatatie
+
+Car de ce que les Dieux, nous envoyant au jour,
+Elle a tout le mérite, et moi j’ai tout l’amour.
+
+
+
+
+Tu l’as fait pour Éraste ? Oui, j’ai dépeint sa flamme,
+
+
+
+
+Comme tu la ressens peut-être dans ton âme ?
+
+
+
+
+Tu sais mieux qui je suis, et que ma libre humeur
+N’a de part en mes vers que celle de rimeur.
+
+
+
+
+Pauvre frère, vois-tu, ton silence t’abuse ;
+De la langue ou des yeux, n’importe qui t’accuse :
+Les tiens m’avoient bien dit malgré toi que ton cœur
+Soupiroit sous les lois de quelque objet vainqueur ;
+Mais j’ignorois encor qui tenoit ta franchise ,
+Et le nom de Mélite a causé ma surprise,
+Sitôt qu’au premier vers ton sonnet m’a fait voir
+Ce que depuis huit jours je brûlois de savoir.
+
+
+
+
+Tu crois donc que j’en tiens ? Fort avant. Pour Mélite ?
+Pour Mélite, et de plus que ta flamme n’excite
+Au cœur de cette belle aucun embrasement .
+
+
+
+
+Qui t’en a tant appris ? mon sonnet ? Justement.
+
+
+
+
+Et c’est ce qui te trompe avec tes conjectures,
+Et par où ta finesse a mal pris ses mesures.
+Un visage jamais ne m’auroit arrêté,
+S’il falloit que l’amour fût tout de mon côté.
+Ma rime seulement est un portrait fidèle
+De ce qu’Éraste souffre en servant cette belle ;
+Mais quand je l’entretiens de mon affection,
+J’en ai toujours assez de satisfaction.
+
+
+
+
+Montre, si tu dis vrai, quelque peu plus de joie,
+Et rends-toi moins rêveur, afin que je te croie.
+
+
+
+
+Je rêve, et mon esprit ne s’en peut exempter ;
+Car sitôt que je viens à me représenter
+Qu’une vieille amitié de mon amour s’irrite,
+Qu’Éraste s’en offense et s’oppose à Mélite ,
+Tantôt je suis ami, tantôt je suis rival,
+Et toujours balancé d’un contre-poids égal,
+J’ai honte de me voir insensible ou perfide :
+Si l’amour m’enhardit, l’amitié m’intimide.
+Entre ces mouvements mon esprit partagé
+Ne sait duquel des deux il doit prendre congé.
+
+
+
+
+Voilà bien des détours pour dire, au bout du conte,
+Que c’est contre ton gré que l’amour te surmonte.
+Tu présumes par là me le persuader ;
+Mais ce n’est pas ainsi qu’on m’en donne à garder .
+À la mode du temps, quand nous servons quelque autre,
+C’est seulement alors qu’il n’y va rien du nôtre .
+Chacun en son affaire est son meilleur ami ,
+Et tout autre intérêt ne touche qu’à demi.
+
+
+
+
+Que du foudre à tes yeux j’éprouve la furie,
+Si rien que ce rival cause ma rêverie !
+
+
+
+
+C’est donc assurément son bien qui t’est suspect :
+Son bien te fait rêver, et non pas son respect,
+Et toute amitié bas, tu crains que sa richesse
+En dépit de tes feux n’obtienne ta maîtresse .
+
+
+
+
+Tu devines, ma sœur : cela me fait mourir.
+
+
+
+
+Ce sont vaines frayeurs dont je veux te guérir .
+Depuis quand ton Éraste en tient-il pour Mélite ?
+
+
+
+
+Il rend depuis deux ans hommage à son mérite.
+
+
+
+
+Mais dit-il les grands mots ? parle-t-il d’épouser ?
+
+
+
+
+Presque à chaque moment. Laisse-le donc jaser.
+Ce malheureux amant ne vaut pas qu’on le craigne ;
+Quelque riche qu’il soit, Mélite le dédaigne :
+Puisqu’on voit sans effet deux ans d’affection,
+Tu ne dois plus douter de son aversion ;
+Le temps ne la rendra que plus grande et plus forte.
+On prend soudain au mot les hommes de sa sorte ,
+Et sans rien hasarder à la moindre longueur,
+On leur donne la main dès qu’ils offrent le cœur.
+
+
+
+
+Sa mère peut agir de puissance absolue.
+
+
+
+
+Crois que déjà l’affaire en seroit résolue,
+Et qu’il auroit déjà de quoi se contenter,
+Si sa mère étoit femme à la violenter.
+
+
+
+
+Ma crainte diminue et ma douleur s’apaise ;
+Mais si je t’abandonne, excuse mon trop d’aise.
+Avec cette lumière et ma dextérité,
+J’en veux aller savoir toute la vérité.
+Adieu. Moi, je m’en vais paisiblement attendre
+Le retour désiré du paresseux Philandre.
+Un moment de froideur lui fera souvenir
+Qu’il faut une autre fois tarder moins à venir.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Va-t’en chercher Philandre, et dis-lui que Mélite
+A dedans ce billet sa passion décrite ;
+Dis-lui que sa pudeur ne sauroit plus cacher
+Un feu qui la consume et qu’elle tient si cher .
+Mais prends garde surtout à bien jouer ton rôle :
+Remarque sa couleur, son maintien, sa parole ;
+Vois si dans la lecture un peu d’émotion
+Ne te montrera rien de son intention.
+
+
+
+
+Cela vaut fait, Monsieur. Mais après ce message
+Sache avec tant d’adresse ébranler son courage,
+Que tu viennes à bout de sa fidélité.
+
+
+
+
+Monsieur, reposez-vous sur ma subtilité ;
+Il faudra malgré lui qu’il donne dans le piége :
+Ma tête sur ce point vous servira de plége ;
+Mais aussi vous savez… Oui, va, sois diligent .
+Ces âmes du commun n’ont pour but que l’argent ;
+Et je n’ai que trop vu par mon expérience…
+Mais tu reviens bientôt ? Donnez-vous patience,
+Monsieur; il ne nous faut qu’un moment de loisir ,
+Et vous pourrez vous-même en avoir le plaisir.
+
+
+
+
+Comment ? De ce carfour j’ai vu venir Philandre.
+Cachez-vous en ce coin, et de là sachez prendre
+L’occasion commode à seconder mes coups :
+Par là nous le tenons. Le voici ; sauvez-vous .
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Quelle réception me fera ma maîtresse ?
+Le moyen d’excuser une telle paresse ?
+
+
+
+
+Monsieur, tout à propos je vous rencontre ici,
+Expressément chargé de vous rendre ceci.
+
+
+
+
+Qu’est-ce ? Vous allez voir, en lisant cette lettre,
+Ce qu’un homme jamais n’oseroit se promettre ;
+Ouvrez-la seulement. Va, tu n’es qu’un conteur.
+
+
+
+
+Je veux mourir au cas qu’on me trouve menteur.
+
+
+C’est donc la vérité que la belle Mélite
+Fait du brave Philandre une louable élite,
+Et qu’il obtient ainsi de sa seule vertu
+Ce qu’Éraste et Tircis ont en vain débattu !
+Vraiment dans un tel choix mon regret diminue ;
+Outre qu’une froideur depuis peu survenue,
+De tant de vœux perdus ayant su me lasser ,
+N’attendoit qu’un prétexte à m’en débarrasser.
+
+
+
+
+Me dis-tu que Tircis brûle pour cette belle ?
+
+
+
+
+Il en meurt. Ce courage à l’amour si rebelle ?
+
+
+Lui-même. Si ton cœur ne tient plus qu’à demi ,
+Tu peux le retirer en faveur d’un ami ;
+Sinon, pour mon regard ne cesse de prétendre :
+Étant pris une fois, je ne suis plus à prendre.
+Tout ce que je puis faire à ce beau feu naissant ,
+C’est de m’en revancher par un zèle impuissant ;
+Et ma Cloris la prie, afin de s’en distraire,
+De tourner, s’il se peut, sa flamme vers son frère .
+
+
+
+
+Auprès de sa beauté qu’est-ce que ta Cloris ?
+
+
+
+
+Un peu plus de respect pour ce que je chéris.
+
+
+
+
+Je veux qu’elle ait en soi quelque chose d’aimable ;
+Mais enfin à Mélite est-elle comparable ?
+
+
+
+
+Qu’elle le soit ou non, je n’examine pas
+Si des deux l’une ou l’autre a plus ou moins d’appas.
+J’aime l’une ; et mon cœur pour toute autre insensible …
+
+
+
+
+Avise toutefois, le prétexte est plausible.
+
+
+
+
+J’en serois mal voulu des hommes et des Dieux.
+
+
+
+
+On pardonne aisément à qui trouve son mieux.
+
+
+
+
+Mais en quoi gît ce mieux ? En esprit, en richesse .
+
+
+
+
+Ô le honteux motif à changer de maîtresse !
+
+
+
+
+En amour. Cloris m’aime, et si je m’y connoi,
+Rien ne peut égaler celui qu’elle a pour moi.
+
+
+
+
+Tu te détromperas, si tu veux prendre garde
+À ce qu’à ton sujet l’une et l’autre hasarde.
+L’une en t’aimant s’expose au péril d’un mépris :
+L’autre ne t’aime point que tu n’en sois épris ;
+L’une t’aime engagé vers une autre moins belle :
+L’autre se rend sensible à qui n’aime rien qu’elle ;
+L’une au desçu des siens te montre son ardeur,
+Et l’autre après leur choix quitte un peu sa froideur ;
+L’une… Adieu : des raisons de si peu d’importance
+Ne pourroient en un siècle ébranler ma constance .
+Dans deux heures d’ici tu viendras me revoir.
+
+
+
+
+Disposez librement de mon petit pouvoir.
+
+
+
+
+Il a beau déguiser, il a goûté l’amorce ;
+Cloris déjà sur lui n’a presque plus de force :
+Ainsi je suis deux fois vengé du ravisseur,
+Ruinant tout ensemble et le frère et la sœur.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Éraste, arrête un peu. Que me veux- tu ? Te rendre
+Ce sonnet que pour toi j’ai promis d’entreprendre .
+
+
+Que font-ils là tous deux ? qu’ont-ils à démêler ?
+Ce jaloux à la fin le pourra quereller :
+Du moins les compliments, dont peut-être ils se jouent,
+Sont des civilités qu’en l’âme ils désavouent.
+
+
+
+
+J’y donne une raison de ton sort inhumain.
+Allons, je le veux voir présenter de ta main
+À ce charmant objet dont ton âme est blessée .
+
+
+
+
+Une autre fois, Tircis ; quelque affaire pressée
+Fait que je ne saurois pour l’heure m’en charger.
+Tu trouveras ailleurs un meilleur messager.
+
+
+
+
+La belle humeur de l’homme ! Ô Dieux, quel personnage !
+Quel ami j’avois fait de ce plaisant visage !
+Une mine froncée, un regard de travers,
+C’est le remercîment que j’aurai de mes vers.
+Je manque, à mon avis, d’assurance ou d’adresse,
+Pour les donner moi-même à sa jeune maîtresse,
+Et prendre ainsi le temps de dire à sa beauté
+L’empire que ses yeux ont sur ma liberté.
+Je pense l’entrevoir par cette jalousie :
+Oui, mon âme de joie en est toute saisie .
+Hélas ! et le moyen de pouvoir lui parler ,
+Si mon premier aspect l’oblige à s’en aller ?
+Que cette joie est courte, et qu’elle est cher vendue !
+Toutefois tout va bien, la voilà descendue.
+Ses regards pleins de feu s’entendent avec moi ;
+Que dis-je ? en s’avançant elle m’appelle à soi.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Eh bien ! qu’avez-vous fait de votre compagnie ?
+
+
+
+
+Je ne puis rien juger de ce qui l’a bannie :
+À peine ai-je eu loisir de lui dire deux mots,
+Qu’aussitôt le fantasque, en me tournant le dos,
+S’est échappé de moi. Sans doute il m’aura vue,
+Et c’est de là que vient cette fuite imprévue .
+
+
+
+
+Vous aimant comme il fait, qui l’eût jamais pensé ?
+
+
+
+
+Vous ne savez donc rien de ce qui s’est passé ?
+
+
+
+
+J’aimerois beaucoup mieux savoir ce qui se passe,
+Et la part qu’a Tircis en votre bonne grâce.
+
+
+
+
+Meilleure aucunement qu’Éraste ne voudroit.
+Je n’ai jamais connu d’amant si maladroit ;
+Il ne sauroit souffrir qu’autre que lui m’approche.
+Dieux ! qu’à votre sujet il m’a fait de reproche !
+Vous ne sauriez me voir sans le désobliger.
+
+
+
+
+Et de tous mes soucis c’est là le plus léger.
+Toute une légion de rivaux de sa sorte
+Ne divertiroit pas l’amour que je vous porte,
+Qui ne craindra jamais les humeurs d’un jaloux.
+
+
+
+
+Aussi le croit-il bien, ou je me trompe. Et vous ?
+
+
+
+
+Bien que cette croyance à quelque erreur m’expose ,
+Pour lui faire dépit, j’en croirai quelque chose.
+
+
+
+
+Mais afin qu’il reçût un entier déplaisir,
+Il faudroit que nos cœurs n’eussent plus qu’un désir,
+Et quitter ces discours de volontés sujettes ,
+Qui ne sont point de mise en l’état où vous êtes.
+Vous-même consultez un moment vos appas ,
+Songez à leurs effets, et ne présumez pas
+Avoir sur tous les cœurs un pouvoir si suprême ,
+Sans qu’il vous soit permis d’en user sur vous-même.
+Un si digne sujet ne reçoit point de loi,
+De règle, ni d’avis, d’un autre que de soi.
+
+
+
+
+Ton mérite, plus fort que ta raison flatteuse,
+Me rend, je le confesse, un peu moins scrupuleuse.
+Je dois tout à ma mère, et pour tout autre amant
+Je voudrois tout remettre à son commandement ;
+Mais attendre pour toi l’effet de sa puissance,
+Sans te rien témoigner que par obéissance,
+Tircis, ce seroit trop : tes rares qualités
+Dispensent mon devoir de ces formalités .
+
+
+
+
+Que d’amour et de joie un tel aveu me donne !
+
+
+
+
+C’est peut-être en trop dire, et me montrer trop bonne ;
+Mais par là tu peux voir que mon affection
+Prend confiance entière en ta discrétion.
+
+
+
+
+Vous la verrez toujours, dans un respect sincère,
+Attacher mon bonheur à celui de vous plaire,
+N’avoir point d’autre soin, n’avoir point d’autre esprit ;
+Et si vous en voulez un serment par écrit,
+Ce sonnet que pour vous vient de tracer ma flamme
+Vous fera voir à nu jusqu’au fond de mon âme.
+
+
+
+
+
+Garde bien ton sonnet, et pense qu’aujourd’hui
+Mélite veut te croire autant et plus que lui .
+Je le prends toutefois comme un précieux gage
+Du pouvoir que mes yeux ont pris sur ton courage.
+Adieu : sois-moi fidèle en dépit du jaloux.
+
+
+
+
+Ô ciel ! jamais amant eut-il un sort plus doux ?
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Tu l’as gagné, Mélite ; il ne m’est pas possible
+D’être à tant de faveurs plus longtemps insensible.
+Tes lettres où sans fard tu dépeins ton esprit,
+Tes lettres où ton cœur est si bien par écrit,
+Ont charmé tous mes sens par leurs douces promesses .
+Leur attente vaut mieux, Cloris, que tes caresses.
+Ah ! Mélite, pardon ! je t’offense à nommer
+Celle qui m’empêcha si longtemps de t’aimer.
+Souvenirs importuns d’une amante laissée,
+Qui venez malgré moi remettre en ma pensée
+Un portrait que j’en veux tellement effacer
+Que le sommeil ait peine à me le retracer,
+Hâtez-vous de sortir sans plus troubler ma joie,
+Et retournant trouver celle qui vous envoie,
+Dites-lui de ma part pour la dernière fois
+Qu’elle est en liberté de faire un autre choix ;
+Que ma fidélité n’entretient plus ma flamme,
+Ou que s’il m’en demeure encore un peu dans l’âme,
+Je souhaite en faveur de ce reste de foi
+Qu’elle puisse gagner au change autant que moi .
+Dites-lui que Mélite, ainsi qu’une Déesse,
+Est de tous nos désirs souveraine maîtresse,
+Dispose de nos cœurs, force nos volontés,
+Et que par son pouvoir nos destins surmontés
+Se tiennent trop heureux de prendre l’ordre d’elle ;
+Enfin que tous mes vœux… Philandre ! Qui m’appelle ?
+
+
+
+
+Tircis, dont le bonheur au plus haut point monté
+Ne peut être parfait sans te l’avoir conté.
+
+
+
+
+Tu me fais trop d’honneur par cette confidence .
+
+
+
+
+J’userois envers toi d’une sotte prudence.
+Si je faisois dessein de te dissimuler
+Ce qu’aussi bien mes yeux ne sauroient te celer.
+
+
+
+
+En effet, si l’on peut te juger au visage,
+Si l’on peut par tes yeux lire dans ton courage ,
+Ce qu’ils montrent de joie à tel point me surprend,
+Que je n’en puis trouver de sujet assez grand :
+Rien n’atteint, ce me semble, aux signes qu’ils en donnent.
+
+
+
+
+Que fera le sujet, si les signes t’étonnent ?
+Mon bonheur est plus grand qu’on ne peut soupçonner ;
+C’est quand tu l’auras su qu’il faudra t’étonner.
+
+
+
+
+Je ne le saurai pas sans marque plus expresse.
+
+
+
+
+Possesseur, autant vaut… De quoi ? D’une maîtresse.
+Belle, honnête, jolie, et dont l’esprit charmant
+De son seul entretien peut ravir un amant :
+En un mot, de Mélite. Il est vrai qu’elle est belle ;
+Tu n’as pas mal choisi ; mais… Quoi, mais ? T’aime-t-elle ?
+
+
+
+
+Cela n’est plus en doute. Et de cœur ? Et de cœur,
+Je t’en réponds. Souvent un visage moqueur
+N’a que le beau semblant d’une mine hypocrite.
+
+
+
+
+Je ne crains rien de tel du côté de Mélite .
+
+
+
+
+Écoute, j’en ai vu de toutes les façons :
+J’en ai vu qui sembloient n’être que des glaçons,
+Dont le feu, retenu par une adroite feinte ,
+S’allumoit d’autant plus qu’il souffroit de contrainte ;
+J’en ai vu, mais beaucoup, qui sous le faux appas
+Des preuves d’un amour qui ne les touchoit pas,
+Prenoient du passe-temps d’une folle jeunesse
+Qui se laisse affiner à ces traits de souplesse,
+Et pratiquoient sous main d’autres affections ;
+Mais j’en ai vu fort peu de qui les passions
+Fussent d’intelligence avec tout le visage .
+
+
+
+
+Et de ce petit nombre est celle qui m’engage :
+De sa possession je me tiens aussi seur
+Que tu te peux tenir de celle de ma sœur.
+
+
+
+
+Donc, si ton espérance à la fin n’est déçue .
+Ces deux amours auront une pareille issue.
+
+
+
+
+Si cela n’arrivoit, je me tromperois fort.
+
+
+
+
+Pour te faire plaisir j’en veux être d’accord.
+Cependant apprends-moi comment elle te traite,
+Et qui te fait juger son ardeur si parfaite .
+
+
+
+
+Une parfaite ardeur a trop de truchements
+Par qui se faire entendre aux esprits des amants :
+Un coup d’œil, un soupir … Ces faveurs ridicules
+Ne servent qu’à duper des âmes trop crédules.
+N’as-tu rien que cela ? Sa parole et sa foi.
+
+
+
+
+Encor c’est quelque chose. Achève et conte-moi
+Les petites douceurs, les aimables tendresses
+Qu’elle se plaît à joindre à de telles promesses.
+Quelques lettres du moins te daignent confirmer
+Ce vœu qu’entre tes mains elle a fait de t’aimer ?
+
+
+
+
+Recherche qui voudra ces menus badinages,
+Qui n’en sont pas toujours de fort sûrs témoignages ;
+Je n’ai que sa parole, et ne veux que sa foi.
+
+
+
+
+Je connois donc quelqu’un plus avancé que toi .
+
+
+
+
+J’entends qui tu veux dire, et pour ne te rien feindre.
+Ce rival est bien moins à redouter qu’à plaindre.
+Éraste, qu’ont banni ses dédains rigoureux…
+
+
+
+
+Je parle de quelque autre un peu moins malheureux.
+
+
+
+
+Je ne connois que lui qui soupire pour elle.
+
+
+
+
+Je ne te tiendrai point plus longtemps en cervelle :
+Pendant qu’elle t’amuse avec ses beaux discours,
+Un rival inconnu possède ses amours,
+Et la dissimulée, au mépris de ta flamme,
+Par lettres chaque jour lui fait don de son âme.
+
+
+
+
+De telles trahisons lui sont trop en horreur.
+
+
+
+
+Je te veux par pitié tirer de cette erreur.
+Tantôt, sans y penser, j’ai trouvé cette lettre ;
+Tiens, vois ce que tu peux désormais t’en promettre.
+
+
+
+Maintenant qu’en dis-tu? n’est-ce pas t’affronter ?
+
+
+
+
+Cette lettre en tes mains ne peut m’épouvanter.
+
+
+
+
+La raison ? Le porteur a su combien je t’aime,
+Et par galanterie il t’a pris pour moi-même ,
+Comme aussi ce n’est qu’un de deux parfaits amis.
+
+
+
+
+Voilà bien te flatter plus qu’il ne t’est permis,
+Et pour ton intérêt aimer à te méprendre .
+
+
+
+
+On t’en aura donné quelque autre pour me rendre,
+Afin qu’encore un coup je sois ainsi déçu.
+
+
+
+
+Oui, j’ai quelque billet que tantôt j’ai reçu ,
+Et puisqu’il est pour toi… Que ta longueur me tue !
+Dépêche. Le voilà que je te restitue.
+
+
+
+
+
+
+Te voilà tout rêveur, cher ami ; par ta foi,
+Crois-tu que ce billet s’adresse encore à toi ?
+
+
+
+
+Traître ! c’est donc ainsi que ma sœur méprisée
+Sert à ton changement d’un sujet de risée ?
+C’est ainsi qu’à sa foi Mélite osant manquer ,
+D’un parjure si noir ne fait que se moquer ?
+C’est ainsi que sans honte à mes yeux tu subornes
+Un amour qui pour moi devoit être sans bornes ?
+Suis-moi tout de ce pas, que l’épée à la main
+Un si cruel affront se répare soudain :
+Il faut que pour tous deux ta tête me réponde.
+
+
+
+
+Si pour te voir trompé tu te déplais au monde,
+Cherche en ce désespoir qui t’en veuille arracher ;
+Quant à moi, ton trépas me coûteroit trop cher .
+
+
+
+
+Quoi ! tu crains le duel ? Non ; mais j’en crains la suite,
+Où la mort du vaincu met le vainqueur en fuite,
+Et du plus beau succès le dangereux éclat
+Nous fait perdre l’objet et le prix du combat.
+
+
+
+
+Tant de raisonnement et si peu de courage
+Sont de tes lâchetés le digne témoignage.
+Viens, ou dis que ton sang n’oseroit s’exposer.
+
+
+
+
+Mon sang n’est plus à moi ; je n’en puis disposer.
+Mais puisque ta douleur de mes raisons s’irrite,
+J’en prendrai dès ce soir le congé de Mélite.
+Adieu. Tu fuis, perfide, et ta légèreté,
+T’ayant fait criminel, te met en sûreté !
+Reviens, reviens défendre une place usurpée :
+Celle qui te chérit vaut bien un coup d’épée.
+Fais voir que l’infidèle, en se donnant à toi,
+A fait choix d’un amant qui valoit mieux que moi ;
+Soutiens son jugement, et sauve ainsi de blâme
+Celle qui pour la tienne a négligé ma flamme.
+Crois-tu qu’on la mérite à force de courir ?
+Peux-tu m’abandonner ses faveurs sans mourir ?
+Ô lettres, ô faveurs indignement placées,
+À ma discrétion honteusement laissées !
+Ô gages qu’il néglige ainsi que superflus !
+Je ne sais qui de nous vous diffamez le plus ;
+Je ne sais qui des trois doit rougir davantage ;
+Car vous nous apprenez qu’elle est une volage,
+Son amant un parjure, et moi sans jugement,
+De n’avoir rien prévu de leur déguisement.
+Mais il le falloit bien, que cette âme infidèle,
+Changeant d’affection, prît un traître comme elle,
+Et que le digne amant qu’elle a su rechercher
+À sa déloyauté n’eût rien à reprocher.
+Cependant j’en croyois cette fausse apparence
+Dont elle repaissoit ma frivole espérance ;
+J’en croyois ses regards, qui tous remplis d’amour,
+Étoient de la partie en un si lâche tour.
+Ô ciel ! vit-on jamais tant de supercherie,
+Que tout l’extérieur ne fût que tromperie ?
+Non, non, il n’en est rien : une telle beauté
+Ne fut jamais sujette à la déloyauté.
+Foibles et seuls témoins du malheur qui me touche,
+Vous êtes trop hardis de démentir sa bouche.
+Mélite me chérit, elle me l’a juré :
+Son oracle reçu, je m’en tiens assuré .
+Que dites-vous là contre ? êtes-vous plus croyables ?
+Caractères trompeurs, vous me contez des fables,
+Vous voulez me trahir ; mais vos efforts sont vains :
+Sa parole a laissé son cœur entre mes mains.
+À ce doux souvenir ma flamme se rallume ;
+Je ne sais plus qui croire ou d’elle ou de sa plume :
+L’un et l’autre en effet n’ont rien que de léger ;
+Mais du plus ou du moins je n’en puis que juger.
+Loin, loin, doutes flatteurs que mon feu me suggère !
+Je vois trop clairement qu’elle est la plus légère ;
+La foi que j’en reçus s’en est allée en l’air .
+Et ces traits de sa plume osent encor parler ,
+Et laissent en mes mains une honteuse image,
+Où son cœur peint au vif remplit le mien de rage.
+Oui, j’enrage, je meurs, et tous mes sens troublés
+D’un excès de douleur se trouvent accablés ;
+Un si cruel tourment me gêne et me déchire,
+Que je ne puis plus vivre avec un tel martyre :
+Mais cachons-en la honte, et nous donnons du moins
+Ce faux soulagement, en mourant sans témoins,
+Que mon trépas secret empêche l’infidèle
+D’avoir la vanité que je sois mort pour elle.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Mon frère, en ma faveur retourne sur tes pas.
+Dis-moi la vérité : tu ne me cherchois pas ?
+Eh quoi ! tu fais semblant de ne me pas connoître ?
+O Dieux ! en quel état te vois-je ici paroitre !
+Tu pâlis tout à coup, et tes louches regards
+S’élancent incertains presque de toutes parts !
+Tu manques à la fois de couleur et d’haleine !
+Ton pied mal affermi ne te soutient qu’à peine !
+Quel accident nouveau te trouble ainsi les sens ?
+
+
+
+
+Puisque tu veux savoir le mal que je ressens,
+Avant que d’assouvir l’inexorable envie
+De mon sort rigoureux qui demande ma vie,
+Je vais l’assassiner d’un fatal entretien,
+Et te dire en deux mots mon malheur et le tien.
+En nos chastes amours de tous deux on se moque :
+Philandre… Ah ! la douleur m’étouffe et me suffoque.
+Adieu, ma sœur, adieu ; je ne puis plus parler :
+Lis, et si tu le peux, tâche à te consoler .
+
+
+
+
+Ne m’échappe donc pas. Ma sœur, je te supplie…
+
+
+
+
+Quoi ! que je t’abandonne à ta mélancolie ?
+Voyons auparavant ce qui te fait mourir ,
+Et nous aviserons à te laisser courir.
+
+
+
+
+Hélas ! quelle injustice ! Est-ce là tout, fantasque ?
+Quoi ! si la déloyale enfin lève le masque,
+Oses-tu te fâcher d’être désabusé ?
+Apprends qu’il le faut être en amour plus rusé ;
+Apprends que les discours des filles bien sensées
+Découvrent rarement le fond de leurs pensées,
+Et que les yeux aidant à ce déguisement,
+Notre sexe a le don de tromper finement.
+Apprends aussi de moi que ta raison s’égare,
+Que Mélite n’est pas une pièce si rare,
+Qu’elle soit seule ici qui vaille la servir ;
+Assez d’autres objets y sauront te ravir .
+Ne t’inquiète point pour une écervelée
+Qui n’a d’ambition que d’être cajolée,
+Et rend à plaindre ceux qui flattant ses beautés
+Ont assez de malheur pour en être écoutés.
+Damon lui plut jadis, Aristandre, et Géronte ;
+Éraste après deux ans n’y voit pas mieux son conte ;
+Elle t’a trouvé bon seulement pour huit jours ;
+Philandre est aujourd’hui l’objet de ses amours,
+Et peut-être déjà (tant elle aime le change !)
+Quelque autre nouveauté le supplante et nous venge.
+Ce n’est qu’une coquette avec tous ses attraits ;
+Sa langue avec son cœur ne s’accorde jamais ;
+Les infidélités font ses jeux ordinaires ;
+Et ses plus doux appas sont tellement vulgaires,
+Qu’en elle homme d’esprit n’admira jamais rien
+Que le sujet pourquoi tu lui voulois du bien.
+
+
+
+
+Penses-tu m’arrêter par ce torrent d’injures ?
+Que ce soient vérités, que ce soient impostures,
+Tu redoubles mes maux, au lieu de les guérir.
+Adieu : rien que la mort ne peut me secourir.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Mon frère… Il s’est sauvé ; son désespoir l’emporte :
+Me préserve le ciel d’en user de la sorte !
+Un volage me quitte, et je le quitte aussi :
+Je l’obligerois trop de m’en mettre en souci.
+Pour perdre des amants, celles qui s’en affligent
+Donnent trop d’avantage à ceux qui les négligent ;
+Il n’est lors que la joie : elle nous venge mieux,
+Et la fît-on à faux éclater par les yeux,
+C’est montrer par bravade à leur vaine inconstance
+Qu’elle est pour nous toucher de trop peu d’importance.
+Que Philandre à son gré rende ses vœux contents ;
+S’il attend que j’en pleure, il attendra longtemps.
+Son cœur est un trésor dont j’aime qu’il dispose ;
+Le larcin qu’il m’en fait me vole peu de chose,
+Et l’amour qui pour lui m’éprit si follement
+M’avoit fait bonne part de son aveuglement.
+On enchérit pourtant sur ma faute passée :
+Dans la même folie une autre embarrassée
+Le rend encor parjure, et sans âme, et sans foi,
+Pour se donner l’honneur de faillir après moi.
+Je meure, s’il n’est vrai que la moitié du monde
+Sur l’exemple d’autrui se conduit et se fonde.
+À cause qu’il parut quelque temps m’enflammer,
+La pauvre fille a cru qu’il valoit bien l’aimer,
+Et sur cette croyance elle en a pris envie :
+Lui pût-elle durer jusqu’au bout de sa vie !
+Si Mélite a failli me l’ayant débauché,
+Dieux, par là seulement punissez son péché !
+Elle verra bientôt que sa digne conquête
+N’est pas une aventure à me rompre la tête.
+Un si plaisant malheur m’en console à l’instant.
+Ah! si mon fou de frère en pouvoit faire autant ,
+Que j’en aurois de joie, et que j’en ferois gloire !
+Si je puis le rejoindre et qu’il me veuille croire,
+Nous leur ferons bien voir que leur change indiscret
+Ne vaut pas un soupir, ne vaut pas un regret.
+Je me veux toutefois en venger par malice,
+Me divertir une heure à m’en faire justice :
+Ces lettres fourniront assez d’occasion
+D’un peu de défiance et de division.
+Si je prends bien mon temps, j’aurai pleine matière
+À les jouer tous deux d’une belle manière.
+En voici déjà l’un qui craint de m’aborder.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Quoi, tu passes, Philandre, et sans me regarder ?
+
+
+
+
+Pardonne-moi, de grâce : une affaire importune
+M’empêche de jouir de ma bonne fortune,
+Et son empressement, qui porte ailleurs mes pas,
+Me remplissoit l’esprit jusqu’à ne te voir pas.
+
+
+
+
+J’ai donc souvent le don d’aimer plus qu’on ne m’aime :
+Je ne pense qu’à toi, j’en parlois en moi-même.
+
+
+
+
+Me veux-tu quelque chose ? Il t’ennuie avec moi ;
+Mais comme de tes feux j’ai pour garant ta foi,
+Je ne m’alarme point. N’étoit ce qui le presse,
+Ta flamme un peu plus loin eût porté la tendresse,
+Et je t’aurois fait voir quelques vers de Tircis
+Pour le charmant objet de ses nouveaux soucis.
+Je viens de les surprendre, et j’y pourrois encore
+Joindre quelques billets de l’objet qu’il adore ;
+Mais tu n’as pas le temps. Toutefois, si tu veux
+Perdre un domi-quart d’heure à les lire nous deux…
+
+
+
+
+Voyons donc ce que c’est, sans plus longue demeure ;
+Ma curiosité pour ce demi-quart d’heure
+S’osera dispenser. Aussi tu me promets,
+Quand tu les auras lus, de n’en parler jamais ;
+Autrement, ne crois pas… Cela s’en va sans dire :
+Donne, donne-les-moi, tu ne les saurois lire :
+Et nous aurions ainsi besoin de trop de temps.
+
+
+
+
+Philandre, tu n’es pas encore où tu prétends ;
+Quelques hautes faveurs que ton mérite obtienne,
+Elles sont aussi bien en ma main qu’en la tienne :
+Je les garderai mieux, tu peux en assurer
+La belle qui pour toi daigne se parjurer .
+
+
+
+
+Un homme doit souffrir d’une fille en colère ;
+Mais je sais comme il faut les ravoir de ton frère :
+Tout exprès je le cherche, et son sang, ou le mien…
+
+
+
+
+Quoi ! Philandre est vaillant, et je n’en savois rien !
+Tes coups sont dangereux quand tu ne veux pas feindre ;
+Mais ils ont le bonheur de se faire peu craindre,
+Et mon frère, qui sait comme il s’en faut guérir,
+Quand tu l’aurois tué, pourroit n’en pas mourir.
+
+
+
+
+L’effet en fera foi, s’il en a le courage.
+Adieu : j’en perds le temps à parler davantage.
+Tremble. J’en ai grand lieu, connoissant ta vertu :
+Pourvu qu’il y consente, il sera bien battu.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Cette obstination à faire la secrète
+M’accuse injustement d’être trop peu discrète .
+
+
+
+
+Ton importunité n’est pas à supporter :
+Ce que je ne sais point, te le puis-je conter ?
+
+
+
+
+Les visites d’Éraste un peu moins assidues
+Témoignent quelque ennui de ses peines perdues,
+Et ce qu’on voit par là de refroidissement
+Ne fait que trop juger son mécontentement.
+Tu m’en veux cependant cacher tout le mystère ;
+Mais je pourrois enfin en croire ma colère,
+Et pour punition te priver des avis
+Qu’a jusqu’ici ton cœur si doucement suivis.
+
+
+
+
+C’est à moi de trembler après cette menace,
+Et tout autre du moins trembleroit en ma place.
+
+
+
+
+Ne raillons point : le fruit qui t’en est demeuré
+(Je parle sans reproche, et tout considéré)
+Vaut bien… Mais revenons à notre humeur chagrine :
+Apprends-moi ce que c’est. Veux-tu que je devine ?
+Dégoûté d’un esprit si grossier que le mien,
+Il cherche ailleurs peut-être un meilleur entretien.
+
+
+
+
+Ce n’est pas bien ainsi qu’un amant perd l’envie
+D’une chose deux ans ardemment poursuivie :
+D’assurance un mépris l’oblige à se piquer ;
+Mais ce n’est pas un trait qu’il faille pratiquer.
+Une fille qui voit et que voit la jeunesse
+Ne s’y doit gouverner qu’avec beaucoup d’adresse ;
+Le dédain lui messied, ou quand elle s’en sert,
+Que ce soit pour reprendre un amant qu’elle perd.
+Une heure de froideur, à propos ménagée,
+Peut rembraser une âme à demi dégagée ,
+Qu’un traitement trop doux dispense à des mépris
+D’un bien dont cet orgueil fait mieux savoir le prix .
+Hors ce cas, il lui faut complaire à tout le monde,
+Faire qu’aux vœux de tous l’apparence réponde ,
+Et sans embarrasser son cœur de leurs amours,
+Leur faire bonne mine, et souffrir leurs discours .
+Qu’à part ils pensent tous avoir la préférence,
+Et paroissent ensemble entrer en concurrence ;
+Que tout l’extérieur de son visage égal
+Ne rende aucun jaloux du bonheur d’un rival ;
+Que ses yeux partagés leur donnent de quoi craindre,
+Sans donner à pas un aucun lieu de se plaindre ;
+Qu’ils vivent tous d’espoir jusqu’au choix d’un mari,
+Mais qu’aucun cependant ne soit le plus chéri,
+Et qu’elle cède enfin, puisqu’il faut qu’elle cède ,
+A qui paiera le mieux le bien qu’elle possède.
+Si tu n’eusses jamais quitté cette leçon,
+Ton Éraste avec toi vivroit d’autre façon.
+
+
+
+
+Ce n’est pas son humeur de souffrir ce partage :
+Il croit que mes regards soient son propre héritage,
+Et prend ceux que je donne à tout autre qu’à lui
+Pour autant de larcins faits sur le bien d’autrui.
+
+
+
+
+J’entends à demi-mot ; achève, et m’expédie
+Promptement le motif de cette maladie .
+
+
+
+
+Si tu m’avois, Nourrice, entendue à demi,
+Tu saurois que Tircis… Quoi ? son meilleur ami !
+N’a-ce pas été lui qui te l’a fait connoître ?
+
+
+
+
+Il voudroit que le jour en fût encore à naître ;
+Et si d’auprès de moi je l’avois écarté ,
+Tu verrois tout à l’heure Éraste à mon côté.
+
+
+
+
+J’ai regret que tu sois leur pomme de discorde ;
+Mais puisque leur humeur ensemble ne s’accorde,
+Éraste n’est pas homme à laisser échapper ;
+Un semblable pigeon ne se peut rattraper :
+Il a deux fois le bien de l’autre, et davantage.
+
+
+
+
+Le bien ne touche point un généreux courage.
+
+
+
+
+Tout le monde l’adore, et tâche d’en jouir.
+
+
+
+
+Il suit un faux éclat qui ne peut m’éblouir.
+
+
+
+
+Auprès de sa splendeur toute autre est fort petite .
+
+
+
+
+Tu le places au rang qui n’est dû qu’au mérite.
+
+
+
+
+On a trop de mérite étant riche à ce point.
+
+
+
+
+Les biens en donnent-ils à ceux qui n’en ont point ?
+
+
+
+
+Oui, ce n’est que par là qu’on est considérable.
+
+
+
+
+Mais ce n’est que par là qu’on devient méprisable :
+Un homme dont les biens font toutes les vertus
+Ne peut être estimé que des cœurs abattus.
+
+
+
+
+Est-il quelques défauts que les biens ne réparent ?
+
+
+
+
+Mais plutôt en est-il où les biens ne préparent ?
+Étant riche, on méprise assez communément
+Des belles qualités le solide ornement,
+Et d’un luxe honteux la richesse suivie
+Souvent par l’abondance aux vices nous convie.
+
+
+
+
+Enfin je reconnois… Qu’avec tout ce grand bien
+Un jaloux sur mon cœur n’obtiendra jamais rien.
+
+
+
+
+Et que d’un cajoleur la nouvelle conquête
+T’imprime, à mon regret, ces erreurs dans la tête.
+Si ta mère le sait… Laisse-moi ces soucis,
+Et rentre, que je parle à la sœur de Tircis .
+
+
+
+
+Peut-être elle t’en veut dire quelque nouvelle.
+
+
+
+
+Ta curiosité te met trop en cervelle .
+Rentre sans t’informer de ce qu’elle prétend ;
+Un meilleur entretien avec elle m’attend.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Je chéris tellement celles de votre sorte,
+Et prends tant d’intérêt en ce qui leur importe,
+Qu’aux pièces qu’on leur fait je ne puis consentir ,
+Ni même en rien savoir sans les en avertir.
+Ainsi donc, au hasard d’être la mal venue,
+Encor que je vous sois, peu s’en faut, inconnue,
+Je viens vous faire voir que votre affection
+N’a pas été fort juste en son élection.
+
+
+
+
+Vous pourriez, sous couleur de rendre un bon office,
+Mettre quelque autre en peine avec cet artifice ;
+Mais pour m’en repentir j’ai fait un trop bon choix :
+Je renonce à choisir une seconde fois,
+Et mon affection ne s’est point arrêtée
+Que chez un cavalier qui l’a trop méritée.
+
+
+
+
+Vous me pardonnerez, j’en ai de bons témoins,
+C’est l’homme qui de tous la mérite le moins .
+
+
+
+
+Si je n’avois de lui qu’une foible assurance,
+Vous me feriez entrer en quelque défiance ;
+Mais je m’étonne fort que vous l’osiez blâmer ,
+Ayant quelque intérêt vous-même à l’estimer.
+
+
+
+
+Je l’estimai jadis, et je l’aime et l’estime
+Plus que je ne faisois auparavant son crime.
+Ce n’est qu’en ma faveur qu’il ose vous trahir,
+Et vous pouvez juger si je le puis haïr ,
+Lorsque sa trahison m’est un clair témoignage
+Du pouvoir absolu que j’ai sur son courage.
+
+
+
+
+Le pousser à me faire une infidélité ,
+C’est assez mal user de cette autorité.
+
+
+
+
+Me le faut-il pousser où son devoir l’oblige ?
+C’est son devoir qu’il suit alors qu’il vous néglige.
+
+
+
+
+Quoi ! le devoir chez vous oblige aux trahisons ?
+
+
+
+
+Quand il n’en auroit point de plus justes raisons,
+La parole donnée, il faut que l’on la tienne.
+
+
+
+
+Cela fait contre vous : il m’a donné la sienne.
+
+
+
+
+Oui ; mais ayant déjà reçu mon amitié,
+Sur un vœu solennel d’être un jour sa moitié ,
+Peut-il s’en départir pour accepter la vôtre ?
+
+
+
+
+De grâce, excusez-moi, je vous prends pour une autre,
+Et c’étoit à Cloris que je croyois parler.
+
+
+
+
+Vous ne vous trompez pas. Donc, pour mieux me railler ,
+La sœur de mon amant contrefait ma rivale ?
+
+
+
+
+Donc, pour mieux m’éblouir, une âme déloyale
+Contrefait la fidèle ? Ah ! Mélite, sachez
+Que je ne sais que trop ce que vous me cachez.
+Philandre m’a tout dit : vous pensez qu’il vous aime ;
+Mais sortant d’avec vous, il me conte lui-même
+Jusqu’aux moindres discours dont votre passion
+Tâche de suborner son inclination.
+
+
+
+
+Moi, suborner Philandre ! ah ! que m’osez-vous dire !
+
+
+
+
+La pure vérité. Vraiment, en voulant rire,
+Vous passez trop avant ; brisons là, s’il vous plaît.
+Je ne vois point Philandre, et ne sais quel il est.
+
+
+
+
+Vous en croirez du moins votre propre écriture .
+Tenez, voyez, lisez. Ah, Dieux ! quelle imposture !
+Jamais un de ces traits ne partit de ma main.
+
+
+
+
+Nous pourrions demeurer ici jusqu’à demain,
+Que vous persisteriez dans la méconnoissance :
+Je les vous laisse. Adieu. Tout beau, mon innocence
+Veut apprendre de vous le nom de l’imposteur ,
+Pour faire retomber l’affront sur son auteur.
+
+
+
+
+Vous pensez me duper, et perdez votre peine.
+Que sert le désaveu quand la preuve est certaine ?
+À quoi bon démentir? à quoi bon dénier… ?
+
+
+
+
+Ne vous obstinez point à me calomnier ;
+Je veux que, si jamais j’ai dit mot à Philandre…
+
+
+
+
+Remettons ce discours : quelqu’un vient nous surprendre ;
+C’est le brave Lisis, qui semble sur le front
+Porter empreints les traits d’un déplaisir profond.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Préparez vos soupirs à la triste nouvelle
+Du malheur où nous plonge un esprit infidèle ;
+Quittez son entretien, et venez avec moi
+Plaindre un frère au cercueil par son manque de foi.
+
+
+
+
+Quoi ! son frère au cercueil ! Oui, Tircis, plein de rage
+De voir que votre change indignement l’outrage.
+Maudissant mille fois le détestable jour
+Que votre bon accueil lui donna de l’amour,
+Dedans ce désespoir a chez moi rendu l’âme ,
+Et mes yeux désolés… Je n’en puis plus ; je pâme.
+
+
+
+
+Au secours ! au secours ! D’où provient cette voix ?
+
+
+
+Qu’avez-vous, mes enfants ? Mélite que tu vois…
+
+
+
+
+Hélas ! elle se meurt ; son teint vermeil s’efface;
+Sa chaleur se dissipe ; elle n’est plus que glace.
+
+
+
+
+Va quérir un peu d’eau ; mais il faut te hâter.
+
+
+
+
+Si proches du logis, il vaut mieux l’y porter .
+
+
+
+
+Aidez mes foibles pas ; les forces me défaillent,
+Et je vais succomber aux douleurs qui m’assaillent .
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+À la fin je triomphe, et les destins amis
+M’ont donné le succès que je m’étois promis.
+Me voilà trop heureux, puisque par mon adresse
+Mélite est sans amant, et Tircis sans maîtresse ;
+Et comme si c’étoit trop peu pour me venger,
+Philandre et sa Cloris courent même danger.
+Mais par quelle raison leurs âmes désunies
+Pour les crimes d’autrui seront-elles punies ?
+Que m’ont-ils fait tous deux pour troubler leurs accords ?
+Fuyez de ma pensée, inutiles remords ;
+La joie y veut régner, cessez de m’en distraire.
+Cloris m’offense trop d’être sœur d’un tel frère,
+Et Philandre, si prompt à l’infidélité,
+N’a que la peine due à sa crédulité .
+Mais que me veut Cliton qui sort de chez Mélite ?
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Monsieur, tout est perdu : votre fourbe maudite,
+Dont je fus à regret le damnable instrument,
+A couché de douleur Tircis au monument.
+
+
+
+
+Courage ! tout va bien, le traître m’a fait place ;
+Le seul qui me rendoit son courage de glace,
+D’un favorable coup la mort me l’a ravi.
+
+
+
+
+Monsieur, ce n’est pas tout, Mélite l’a suivi.
+
+
+
+
+Mélite l’a suivi ! que dis-tu, misérable ?
+
+
+
+
+Monsieur, il est trop vrai : le moment déplorable
+Qu’elle a su son trépas a terminé ses jours.
+
+
+
+
+Ah ciel ! s’il est ainsi… Laissez là ces discours,
+Et vantez-vous plutôt que par votre imposture
+Ces malheureux amants trouvent la sépulture ,
+Et que votre artifice a mis dans le tombeau
+Ce que le monde avoit de parfait et de beau.
+
+
+
+
+Tu m’oses donc flatter, infâme, et tu supprimes
+Par ce reproche obscur la moitié de mes crimes ?
+Est-ce ainsi qu’il te faut n’en parler qu’à demi ?
+Achève tout d’un coup : dis que maîtresse, ami ,
+Tout ce que je chéris, tout ce qui dans mon âme
+Sut jamais allumer une pudique flamme,
+Tout ce que l’amitié me rendit précieux,
+Par ma fourbe a perdu la lumière des cieux ;
+Dis que j’ai violé les deux lois les plus saintes,
+Qui nous rendent heureux par leurs douces contraintes ;
+Dis que j’ai corrompu, dis que j’ai suborné,
+Falsifié, trahi, séduit, assassiné :
+Tu n’en diras encor que la moindre partie.
+Quoi ! Tircis est donc mort, et Mélite est sans vie !
+Je ne l’avois pas su, Parques, jusqu’à ce jour,
+Que vous relevassiez de l’empire d’Amour ;
+J’ignorois qu’aussitôt qu’il assemble deux âmes,
+Il vous pût commander d’unir aussi leurs trames .
+Vous en relevez donc, et montrez aujourd’hui
+Que vous êtes pour nous aveugles comme lui !
+Vous en relevez donc, et vos ciseaux barbares
+Tranchent comme il lui plaît les destins les plus rares !
+Mais je m’en prends à vous, moi qui suis l’imposteur,
+Moi qui suis de leurs maux le détestable auteur.
+Hélas ! et falloit-il que ma supercherie
+Tournât si lâchement tant d’amour en furie ?
+Inutiles regrets, repentirs superflus,
+Vous ne me rendez pas Mélite qui n’est plus ;
+Vos mouvements tardifs ne la font pas revivre :
+Elle a suivi Tircis, et moi je la veux suivre.
+Il faut que de mon sang je lui fasse raison,
+Et de ma jalousie, et de ma trahison,
+Et que de ma main propre une âme si fidèle
+Reçoive… Mais d’où vient que tout mon corps chancelle ?
+Quel murmure confus ! et qu’entends-je hurler ?
+Que de pointes de feu se perdent parmi l’air !
+Les Dieux à mes forfaits ont dénoncé la guerre ;
+Leur foudre décoché vient de fendre la terre.
+Et pour leur obéir son sein me recevant
+M’engloutit, et me plonge aux enfers tout vivant.
+Je vous entends, grands Dieux : c’est là-bas que leurs âmes
+Aux champs Élysiens éternisent leurs flammes ;
+C’est là-bas qu’à leurs pieds il faut verser mon sang :
+La terre à ce dessein m’ouvre son large flanc,
+Et jusqu’aux bords du Styx me fait libre passage ;
+Je l’aperçois déjà, je suis sur son rivage.
+Fleuve, dont le saint nom est redoutable aux Dieux,
+Et dont les neuf replis ceignent ces tristes lieux ,
+N’entre point en courroux contre mon insolence,
+Si j’ose avec mes cris violer ton silence ;
+Je ne te veux qu’un mot : Tircis est-il passé ?
+Mélite est-elle ici ? Mais qu’attends-je ? insensé !
+Ils sont tous deux si chers à ton funeste empire,
+Que tu crains de les perdre, et n’oses m’en rien dire.
+Vous donc, esprits légers, qui, manque de tombeaux,
+Tournoyez vagabonds à l’entour de ces eaux,
+À qui Charon cent ans refuse sa nacelle,
+Ne m’en pourriez-vous point donner quelque nouvelle ?
+Parlez, et je promets d’employer mon crédit
+À vous faciliter ce passage interdit.
+
+
+
+
+Monsieur, que faites-vous ? Votre raison troublée
+Par l’effort des douleurs dont elle est accablée
+Figure à votre vue… Ah ! te voilà, Charon ;
+Dépêche promptement, et d’un coup d’aviron
+Passe-moi, si tu peux, jusqu’à l’autre rivage.
+
+
+
+
+Monsieur, rentrez en vous, regardez mon visage :
+Reconnoissez Cliton. Dépêche, vieux nocher,
+Avant que ces esprits nous puissent approcher.
+Ton bateau de leur poids fondroit dans les abîmes ;
+Il n’en aura que trop d’Éraste et de ses crimes .
+Quoi ! tu veux te sauver à l’autre bord sans moi ?
+Si faut-il qu’à ton cou je passe malgré toi.
+
+
+
+
+
+
+
+Présomptueux rival, dont l’absence importune
+Retarde le succès de ma bonne fortune ,
+As-tu sitôt perdu cette ombre de valeur
+Que te prêtoit tantôt l’effort de ta douleur ?
+Que devient à présent cette bouillante envie
+De punir ta volage aux dépens de ma vie ?
+Il ne tient plus qu’à toi que tu ne sois content :
+Ton ennemi l’appelle, et ton rival t’attend.
+Je te cherche en tous lieux, et cependant ta fuite
+Se rit impunément de ma vaine poursuite.
+Crois-tu, laissant mon bien dans les mains de ta sœur,
+En demeurer toujours l’injuste possesseur,
+Ou que ma patience, à la fin échappée
+(Puisque tu ne veux pas le débattre à l’épée),
+Oubliant le respect du sexe et tout devoir,
+Ne laisse point sur elle agir mon désespoir ?
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Détacher Ixion pour me mettre en sa place !
+Mégères, c’est à vous une indiscrète audace.
+Ai-je avec même front que cet ambitieux
+Attenté sur le lit du monarque des cieux ?
+Vous travaillez en vain, barbares Euménides ;
+Non, ce n’est pas ainsi qu’on punit les perfides.
+Quoi ! me presser encor ? Sus, de pieds et de mains
+Essayons d’écarter ces monstres inhumains.
+À mon secours, esprits ! vengez-vous de vos peines ;
+Écrasons leurs serpents ; chargeons-les de vos chaînes.
+Pour ces filles d’enfer nous sommes trop puissants.
+
+
+
+
+Il semble à ce discours qu’il ait perdu le sens .
+Éraste, cher ami, quelle mélancolie
+Te met dans le cerveau cet excès de folie ?
+
+
+
+
+Équitable Minos, grand juge des enfers,
+Voyez qu’injustement on m’apprête des fers.
+Faire un tour d’amoureux, supposer une lettre,
+Ce n’est pas un forfait qu’on ne puisse remettre.
+Il est vrai que Tircis en est mort de douleur,
+Que Mélite après lui redouble ce malheur,
+Que Cloris sans amant ne sait à qui s’en prendre ;
+Mais la faute n’en est qu’au crédule Philandre ;
+Lui seul en est la cause, et son esprit léger,
+Qui trop facilement résolut de changer ;
+Car ces lettres, qu’il croit l’effet de ses mérites ,
+La main que vous voyez les a toutes écrites.
+
+
+
+
+Je te laisse impuni, traître : de tels remords
+Te donnent des tourments pires que mille morts ;
+Je t’obligerois trop de t’arracher la vie,
+Et ma juste vengeance est bien mieux assouvie
+Par les folles horreurs de cette illusion.
+Ah ! grands Dieux, que je suis plein de confusion !
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Tu t’enfuis donc, barbare, et me laissant en proie
+À ces cruelles sœurs, tu les combles de joie ?
+Non, non, retirez-vous, Tisiphone, Alecton,
+Et tout ce que je vois d’officiers de Pluton :
+Vous me connoissez mal ; dans le corps d’un perfide
+Je porte le courage et les forces d’Alcide.
+Je vais tout renverser dans ces royaumes noirs,
+Et saccager moi seul ces ténébreux manoirs.
+Une seconde fois le triple chien Cerbère
+Vomira l’aconit en voyant la lumière ;
+J’irai du fond d’enfer dégager les Titans,
+Et si Pluton s’oppose à ce que je prétends,
+Passant dessus le ventre à sa troupe mutine,
+J’irai d’entre ses bras enlever Proserpine .
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+N’en doute plus, Cloris, ton frère n’est point mort ;
+Mais ayant su de lui son déplorable sort,
+Je voulois éprouver par cette triste feinte
+Si celle qu’il adore, aucunement atteinte ,
+Deviendroit plus sensible aux traits de la pitié
+Qu’aux sincères ardeurs d’une sainte amitié.
+Maintenant que je vois qu’il faut qu’on nous abuse.
+Afin que nous puissions découvrir cette ruse,
+Et que Tircis en soit de tout point éclairci.
+Sois sûre que dans peu je te le rends ici.
+Ma parole sera d’un prompt effet suivie :
+Tu reverras bientôt ce frère plein de vie ;
+C’est assez que je passe une fois pour trompeur.
+
+
+
+
+Si bien qu’au lieu du mal nous n’aurons que la peur ?
+Le cœur me le disoit : je sentois que mes larmes
+Refusoient de couler pour de fausses alarmes,
+Dont les plus dangereux et plus rudes assauts
+Avoient beaucoup de peine à m’émouvoir à faux ;
+Et je n’étudiai cette douleur menteuse
+Qu’à cause qu’en effet j’étois un peu honteuse
+Qu’une autre en témoignât plus de ressentiment .
+
+
+
+
+Après tout, entre nous, confesse franchement
+Qu’une fille en ces lieux, qui perd un frère unique,
+Jusques au désespoir fort rarement se pique :
+Ce beau nom d’héritière a de telles douceurs,
+Qu’il devient souverain à consoler des sœurs.
+
+
+
+
+Adieu, railleur, adieu : son intérêt me presse
+D’aller rendre d’un mot la vie à sa maîtresse ;
+Autrement je saurois t’apprendre à discourir.
+
+
+
+
+Et moi, de ces frayeurs de nouveau te guérir.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Je ne t’ai rien celé : tu sais toute l’affaire.
+
+
+
+
+Tu m’en as bien conté ; mais se pourroit-il faire
+Qu’Éraste eût des remords si vifs et si pressants
+Que de violenter sa raison et ses sens ?
+
+
+
+
+Eût-il pu, sans en perdre entièrement l’usage,
+Se figurer Charon des traits de mon visage,
+Et de plus, me prenant pour ce vieux nautonier,
+Me payer à bons coups des droits de son denier ?
+
+
+
+
+Plaisante illusion ! Mais funeste à ma tête,
+Sur qui se déchargeoit une telle tempête,
+Que je tiens maintenant à miracle évident
+Qu’il me soit demeuré dans la bouche une dent.
+
+
+
+
+C’étoit mal reconnoître un si rare service.
+
+
+
+
+Arrêtez, arrêtez, poltrons ! Adieu, Nourrice :
+Voici ce fou qui vient, je l’entends à la voix ;
+Crois que ce n’est pas moi qu’il attrape deux fois.
+
+
+
+
+Pour moi, quand je devrois passer pour Proserpine ,
+Je veux voir à quel point sa fureur le domine.
+
+
+
+
+Contente à tes périls ton curieux désir .
+
+
+
+
+Quoi qu’il puisse arriver, j’en aurai le plaisir.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+En vain je les rappelle, en vain pour se défendre
+La honte et le devoir leur parlent de m’attendre ;
+Ces lâches escadrons de fantômes affreux
+Cherchent leur assurance aux cachots les plus creux,
+Et se fiant à peine à la nuit qui les couvre,
+Souhaitent sous l’enfer qu’un autre enfer s’entr’ouvre.
+Ma voix met tout en fuite, et dans ce vaste effroi ,
+La peur saisit si bien les ombres et leur roi,
+Que se précipitant à de promptes retraites,
+Tous leurs soucis ne vont qu’à les rendre secrètes.
+Le bouillant Phlégéthon, parmi ses flots pierreux,
+Pour les favoriser ne roule plus de feux ;
+Tisiphone tremblante, Alecton et Mégère,
+Ont de leurs flambeaux noirs étouffé la lumière ;
+Les Parques même en hâte emportent leurs fuseaux.
+Et dans ce grand désordre oubliant leurs ciseaux,
+Charon, les bras croisés, dans sa barque s’étonne
+De ce qu’après Éraste il n’a passé personne .
+Trop heureux accident, s’il avoit prévenu
+Le déplorable coup du malheur avenu !
+Trop heureux accident, si la terre entr’ouverte
+Avant ce jour fatal eût consenti ma perte,
+Et si ce que le ciel me donne ici d’accès
+Eût de ma trahison devancé le succès !
+Dieux, que vous savez mal gouverner votre foudre !
+N’étoit-ce pas assez pour me réduire en poudre
+Que le simple dessein d’un si lâche forfait ?
+Injustes, deviez-vous en attendre l’effet ?
+Ah Mélite ! ah Tircis ! leur cruelle justice
+Aux dépens de vos jours me choisit un supplice .
+Ils doutoient que l’enfer eût de quoi me punir
+Sans le triste secours de ce dur souvenir .
+Tout ce qu’ont les enfers de feux, de fouets, de chaînes ,
+Ne sont auprès de lui que de légères peines ;
+On reçoit d’Alecton un plus doux traitement.
+Souvenir rigoureux, trêve, trêve un moment !
+Qu’au moins avant ma mort dans ces demeures sombres
+Je puisse rencontrer ces bienheureuses ombres !
+Use après, si tu veux, de toute ta rigueur,
+Et si pour m’achever tu manques de vigueur,
+Voici qui t’aidera : mais derechef, de grâce,
+Cesse de me gêner durant ce peu d’espace.
+Je vois déjà Mélite. Ah ! belle ombre, voici
+L’ennemi de votre heur qui vous cherchoit ici :
+C’est Éraste, c’est lui, qui n’a plus d’autre envie
+Que d’épandre à vos pieds son sang avec sa vie :
+Ainsi le veut le sort, et tout exprès les Dieux
+L’ont abîmé vivant en ces funestes lieux.
+
+
+
+
+Pourquoi permettez-vous que cette frénésie
+Règne si puissamment sur votre fantaisie ?
+L’enfer voit-il jamais une telle clarté ?
+
+
+
+
+Aussi ne la tient-il que de votre beauté ;
+Ce n’est que de vos yeux que part cette lumière.
+
+
+
+
+Ce n’est que de mes yeux ! Dessillez la paupière,
+Et d’un sens plus rassis jugez de leur éclat.
+
+
+
+
+Ils ont, de vérité, je ne sais quoi de plat ;
+Et plus je vous contemple, et plus sur ce visage
+Je m’étonne de voir un autre air, un autre âge :
+Je ne reconnois plus aucun de vos attraits.
+Jadis votre nourrice avoit ainsi les traits,
+Le front ainsi ridé, la couleur ainsi blême,
+Le poil ainsi grison. O Dieux ! c’est elle-même.
+Nourrice, qui t’amène en ces lieux pleins d’effroi ?
+Y viens-tu rechercher Mélite comme moi ?
+
+
+
+
+Cliton la vit pâmer, et se brouilla de sorte
+Que la voyant si pâle il la crut être morte ;
+Cet étourdi trompé vous trompa comme lui.
+Au reste, elle est vivante, et peut-être aujourd’hui
+Tircis, de qui la mort n’étoit qu’imaginaire,
+De sa fidélité recevra le salaire.
+
+
+
+
+Désormais donc en vain je les cherche ici-bas ;
+En vain pour les trouver je rends tant de combats.
+
+
+
+
+Votre douleur vous trouble, et forme des nuages
+Qui séduisent vos sens par de fausses images :
+Cet enfer, ces combats ne sont qu’illusions .
+
+
+
+
+Je ne m’abuse point de fausses visions :
+Mes propres yeux ont vu tous ces monstres en fuite,
+Et Pluton de frayeur en quitter la conduite.
+
+
+
+
+Peut-être que chacun s’enfuyoit devant vous,
+Craignant votre fureur et le poids de vos coups ;
+Mais voyez si l’enfer ressemble à cette place :
+Ces murs, ces bâtiments, ont-ils la même face ?
+Le logis de Mélite et celui de Cliton
+Ont-ils quelque rapport à celui de Pluton ?
+Quoi ? n’y remarquez-vous aucune différence ?
+
+
+
+
+De vrai, ce que tu dis a beaucoup d’apparence .
+Nourrice, prends pitié d’un esprit égaré
+Qu’ont mes vives douleurs d’avec moi séparé :
+Ma guérison dépend de parler à Mélite.
+
+
+
+
+Différez pour le mieux un peu cette visite,
+Tant que, maître absolu de votre jugement,
+Vous soyez en état de faire un compliment.
+Votre teint et vos yeux n’ont rien d’un homme sage ;
+Donnez-vous le loisir de changer de visage :
+Un moment de repos que vous prendrez chez vous…
+
+
+
+
+Ne peut, si tu n’y viens, rendre mon sort plus doux,
+Et ma foible raison, de guide dépourvue.
+Va de nouveau se perdre en te perdant de vue.
+
+
+
+
+Si je vous suis utile, allons, je ne veux pas
+Pour un si bon sujet vous épargner mes pas.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Ne m’importune plus, Philandre, je t’en prie ;
+Me rapaiser jamais passe ton industrie.
+Ton meilleur, je t’assure, est de n’y plus penser ;
+Tes protestations ne font que m’offenser :
+Savante à mes dépens de leur peu de durée,
+Je ne veux point en gage une foi parjurée,
+Un cœur que d’autres yeux peuvent sitôt brûler ,
+Qu’un billet supposé peut sitôt ébranler.
+
+
+
+
+Ah ! ne remettez plus dedans votre mémoire
+L’indigne souvenir d’une action si noire.
+Et pour rendre à jamais nos premiers vœux contents,
+Étouffez l’ennemi du pardon que j’attends.
+Mon crime est sans égal ; mais enfin, ma chère âme …
+
+
+
+
+Laisse là désormais ces petits mots de flamme,
+Et par ces faux témoins d’un feu mal allumé
+Ne me reproche plus que je t’ai trop aimé.
+
+
+
+
+De grâce, redonnez à l’amitié passée
+Le rang que je tenois dedans votre pensée.
+Derechef, ma Cloris, par ces doux entretiens,
+Par ces feux qui voloient de vos yeux dans les miens ,
+Par ce que votre foi me permettoit d’attendre…
+
+
+
+
+C’est d’où dorénavant tu ne dois plus prétendre.
+Ta sottise m’instruit, et par là je vois bien
+Qu’un visage commun, et fait comme le mien,
+N’a point assez d’appas, ni de chaîne assez forte,
+Pour tenir en devoir un homme de ta sorte.
+Mélite a des attraits qui savent tout dompter ;
+Mais elle ne pourroit qu’à peine t’arrêter :
+Il te faut un sujet qui la passe ou l’égale.
+C’est en vain que vers moi ton amour se ravale ;
+Fais-lui, si tu m’en crois, agréer tes ardeurs :
+Je ne veux point devoir mon bien à ses froideurs.
+
+
+
+
+Ne me déguisez rien, un autre a pris ma place ;
+Une autre affection vous rend pour moi de glace.
+
+
+
+
+Aucun jusqu’à ce point n’est encore arrivé ;
+Mais je te changerai pour le premier trouvé.
+
+
+
+
+C’en est trop, tes dédains épuisent ma souffrance.
+Adieu ; je ne veux plus avoir d’autre espérance,
+Sinon qu’un jour le ciel te fera ressentir
+De tant de cruautés le juste repentir.
+
+
+
+
+Adieu : Mélite et moi nous aurons de quoi rire
+De tous les beaux discours que tu me viens de dire.
+Que lui veux-tu mander ? Va, dis-lui de ma part
+Qu’elle, ton frère et toi, reconnoîtrez trop tard
+Ce que c’est que d’aigrir un homme de ma sorte .
+
+
+
+
+Ne crois pas la chaleur du courroux qui t’emporte :
+Tu nous ferois trembler plus d’un quart d’heure ou deux.
+
+
+
+
+Tu railles, mais bientôt nous verrons d’autres jeux :
+Je sais trop comme on venge une flamme outragée.
+
+
+
+
+Le sais-tu mieux que moi, qui suis déjà vengée ?
+Par où t’y prendras-tu ? de quel air ? Il suffit :
+Je sais comme on se venge. Et moi comme on s’en rit.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Maintenant que le sort, attendri par nos plaintes,
+Comble notre espérance et dissipe nos craintes,
+Que nos contentements ne sont plus traversés
+Que par le souvenir de nos malheurs passés ,
+Ouvrons toute notre âme à ces douces tendresses
+Qu’inspirent aux amants les pleines allégresses,
+Et d’un commun accord chérissons nos ennuis,
+Dont nous voyons sortir de si précieux fruits.
+Adorables regards, fidèles interprètes
+Par qui nous expliquions nos passions secrètes,
+Doux truchements du cœur, qui déjà tant de fois
+M’avez si bien appris ce que n’osoit la voix,
+Nous n’avons plus besoin de votre confidence :
+L’amour en liberté peut dire ce qu’il pense,
+Et dédaigne un secours qu’en sa naissante ardeur
+Lui faisoient mendier la crainte et la pudeur.
+Beaux yeux, à mon transport pardonnez ce blasphème,
+La bouche est impuissante où l’amour est extrême :
+Quand l’espoir est permis, elle a droit de parler ;
+Mais vous allez plus loin qu’elle ne peut aller.
+Ne vous lassez donc point d’en usurper l’usage,
+Et quoi qu’elle m’ait dit, dites-moi davantage.
+Mais tu ne me dis mot, ma vie ; et quels soucis
+T’obligent à te taire auprès de ton Tircis ?
+
+
+
+
+Tu parles à mes yeux, et mes yeux te répondent.
+
+
+
+
+Ah ! mon heur, il est vrai, si tes désirs secondent
+Cet amour qui paroît et brille dans tes yeux,
+Je n’ai rien désormais à demander aux Dieux.
+
+
+
+
+Tu t’en peux assurer : mes yeux si pleins de flamme
+Suivent l’instruction des mouvements de l’âme.
+On en a vu l’effet, lorsque ta fausse mort
+A fait sur tous mes sens un véritable effort ;
+On en a vu l’effet, quand te sachant en vie,
+De revivre avec toi j’ai pris aussi l’envie ;
+On en a vu l’effet, lorsqu’à force de pleurs
+Mon amour et mes soins, aidés de mes douleurs,
+Ont fléchi la rigueur d’une mère obstinée,
+Et gagné cet aveu qui fait notre hyménée ,
+Si bien qu’à ton retour ta chaste affection
+Ne trouve plus d’obstacle à sa prétention .
+Cependant l’aspect seul des lettres d’un faussaire
+Te sut persuader tellement le contraire,
+Que sans vouloir m’entendre, et sans me dire adieu,
+Jaloux et furieux tu partis de ce lieu .
+
+
+
+
+J’en rougis, mais apprends qu’il n’étoit pas possible
+D’aimer comme j’aimois, et d’être moins sensible ;
+Qu’un juste déplaisir ne sauroit écouter
+La raison qui s’efforce à le violenter ;
+Et qu’après des transports de telle promptitude,
+Ma flamme ne te laisse aucune incertitude.
+
+
+
+
+Tout cela seroit peu, n’étoit que ma bonté
+T’en accorde un oubli sans l’avoir mérité,
+Et que, tout criminel, tu m’es encore aimable.
+
+
+
+
+Je me tiens donc heureux d’avoir été coupable,
+Puisque l’on me rappelle au lieu de me bannir,
+Et qu’on me récompense au lieu de me punir.
+J’en aimerai l’auteur de cette perfidie ,
+Et si jamais je sais quelle main si hardie…
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Il vous fait fort bon voir, mon frère, à cajoler,
+Cependant qu’une sœur ne se peut consoler,
+Et que le triste ennui d’une attente incertaine
+Touchant votre retour la tient encore en peine.
+
+
+
+
+L’amour a fait au sang un peu de trahison ;
+Mais Philandre pour moi t’en aura fait raison.
+Dis-nous, auprès de lui retrouves-tu ton conte,
+Et te peut-il revoir sans montrer quelque honte ?
+
+
+
+
+L’infidèle m’a fait tant de nouveaux serments,
+Tant d’offres, tant de vœux, et tant de compliments,
+Mêlés de repentir… Qu’à la fin exorable,
+Vous l’avez regardé d’un œil plus favorable.
+
+
+
+
+Vous devinez fort mal. Quoi, tu l’as dédaigné ?
+
+
+
+
+Du moins, tous ses discours n’ont encor rien gagné .
+
+
+
+
+Si bien qu’à n’aimer plus votre dépit s’obstine ?
+
+
+
+
+Non pas cela du tout, mais je suis assez fine :
+Pour la première fois, il me dupe qui veut ;
+Mais pour une seconde, il m’attrape qui peut.
+
+
+
+
+C’est-à-dire, en un mot… Que son humeur volage
+Ne me tient pas deux fois en un même passage ;
+En vain dessous mes lois il revient se ranger.
+Il m’est avantageux de l’avoir vu changer,
+Avant que de l’hymen le joug impitoyable ,
+M’attachant avec lui, me rendît misérable .
+Qu’il cherche femme ailleurs, tandis que de ma part
+J’attendrai du destin quelque meilleur hasard.
+
+
+
+
+Mais le peu qu’il voulut me rendre de service
+Ne lui doit pas porter un si grand préjudice.
+
+
+
+
+Après un tel faux bond, un change si soudain,
+À volage, volage, et dédain pour dédain.
+
+
+
+
+Ma sœur, ce fut pour moi qu’il osa s’en dédire.
+
+
+
+
+Et pour l’amour de vous je n’en ferai que rire.
+
+
+
+
+Et pour l’amour de moi vous lui pardonnerez.
+
+
+
+
+Et pour l’amour de moi vous m’en dispenserez.
+
+
+
+
+Que vous êtes mauvaise ! Un peu plus qu’il ne semble.
+
+
+
+
+Je vous veux toutefois remettre bien ensemble .
+
+
+
+
+Ne l’entreprenez pas; peut-être qu’après tout
+Votre dextérité n’en viendroit pas à bout.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+De grâce, mon souci, laissons cette causeuse :
+Qu’elle soit à son choix facile ou rigoureuse,
+L’excès de mon ardeur ne sauroit consentir
+Que ces frivoles soins te viennent divertir :
+Tous nos pensers sont dus, en l’état où nous sommes ,
+À ce nœud qui me rend le plus heureux des hommes,
+Et ma fidélité, qu’il va récompenser…
+
+
+
+
+Vous donnera bientôt autre chose à penser.
+Votre rival vous cherche, et la main à l’épée
+Vient demander raison de sa place usurpée.
+
+
+
+
+
+Non, non, vous ne voyez en moi qu’un criminel,
+À qui l’âpre rigueur d’un remords éternel
+Rend le jour odieux, et fait naître l’envie
+De sortir de sa gêne en sortant de la vie .
+Il vient mettre à vos pieds sa tête à l’abandon ;
+La mort lui sera douce à l’égal du pardon.
+Vengez donc vos malheurs ; jugez ce que mérite
+La main qui sépara Tircis d’avec Mélite,
+Et de qui l’imposture avec de faux écrits
+A dérobé Philandre aux vœux de sa Cloris.
+
+
+
+
+Eclaircis du seul point qui nous tenoit en doute,
+Que serois-tu d’avis de lui répondre ? Écoute
+Quatre mots à quartier . Que vous avez de tort
+De prolonger ma peine en différant ma mort !
+De grâce, hâtez-vous d’abréger mon supplice ,
+Ou ma main préviendra votre lente justice.
+
+
+
+
+Voyez comme le ciel a de secrets ressorts
+Pour se faire obéir malgré nos vains efforts :
+Votre fourbe, inventée à dessein de nous nuire,
+Avance nos amours au lieu de les détruire ;
+De son fâcheux succès, dont nous devions périr,
+Le sort tire un remède afin de nous guérir.
+Donc pour nous revancher de la faveur reçue,
+Nous en aimons l’auteur à cause de l’issue,
+Obligés désormais de ce que tour à tour
+Nous nous sommes rendu tant de preuves d’amour,
+Et de ce que l’excès de ma douleur sincère
+A mis tant de pitié dans le cœur de ma mère,
+Que cette occasion prise comme aux cheveux,
+Tircis n’a rien trouvé de contraire à ses vœux ;
+Outre qu’en fait d’amour la fraude est légitime ;
+Mais puisque vous voulez la prendre pour un crime,
+Regardez, acceptant le pardon, ou l’oubli,
+Par où votre repos sera mieux établi.
+
+
+
+
+Tout confus et honteux de tant de courtoisie,
+Je veux dorénavant chérir ma jalousie,
+Et puisque c’est de là que vos félicités…
+
+
+
+
+Quittez ces compliments qu’ils n’ont pas mérités :
+Ils ont tous deux leur compte, et sur cette assurance
+Ils tiennent le passé dans quelque indifférence ,
+N’osant se hasarder à des ressentiments
+Qui donneroient du trouble à leurs contentements.
+Mais Cloris, qui s’en tait, vous la gardera bonne,
+Et seule intéressée, à ce que je soupçonne,
+Saura bien se venger sur vous à l’avenir
+D’un amant échappé qu’elle pensoit tenir.
+
+
+
+
+Si vous pouviez souffrir qu’en votre bonne grâce
+Celui qui l’en tira pût occuper sa place ,
+Éraste, qu’un pardon purge de son forfait ,
+Est prêt de réparer le tort qu’il vous a fait.
+Mélite répondra de ma persévérance :
+Je n’ai pu la quitter qu’en perdant l’espérance ;
+Encore avez-vous vu mon amour irrité
+Mettre tout en usage en cette extrémité ;
+Et c’est avec raison que ma flamme contrainte
+De réduire ses feux dans une amitié sainte,
+Mes amoureux desirs, vers elle superflus ,
+Tournent vers la beauté qu’elle chérit le plus.
+
+
+
+
+Que t’en semble, ma sœur ? Mais toi-même, mon frère ?
+
+
+
+Tu sais bien que jamais je ne te fus contraire.
+
+
+
+
+Tu sais qu’en tel sujet ce fut toujours de toi
+Que mon affection voulut prendre la loi.
+
+
+
+
+Encor que dans tes yeux tes sentiments se lisent ,
+Tu veux qu’auparavant les miens les autorisent.
+Parlons donc pour la forme. Oui, ma sœur, j’y consens ,
+Bien sûr que mon avis s’accommode à ton sens.
+Fassent les puissants Dieux que par cette alliance
+Il ne reste entre nous aucune défiance,
+Et que m’aimant en frère, et ma maîtresse en sœur,
+Nos ans puissent couler avec plus de douceur !
+
+
+
+
+Heureux dans mon malheur, c’est dont je les supplie ;
+Mais ma félicité ne peut être accomplie
+Jusqu’à ce qu’après vous son aveu m’ait permis
+D’aspirer à ce bien que vous m’avez promis.
+
+
+
+
+Aimez-moi seulement, et pour la récompense
+On me donnera bien le loisir que j’y pense.
+
+
+
+
+Oui, sous condition qu’avant la fin du jour
+Vous vous rendrez sensible à ce naissant amour .
+
+
+
+
+Vous prodiguez en vain vos foibles artifices ;
+Je n’ai reçu de lui ni devoirs ni services.
+
+
+
+
+C’est bien quelque raison ; mais ceux qu’il m’a rendus,
+Il ne les faut pas mettre au rang des pas perdus.
+Ma sœur, acquitte-moi d’une reconnoissance
+Dont un autre destin m’a mise en impuissance :
+Accorde cette grâce à nos justes desirs.
+
+
+
+
+Ne nous refuse pas ce comble à nos plaisirs .
+
+
+
+
+Donnez à leurs souhaits, donnez à leurs prières,
+Donnez à leurs raisons ces faveurs singulières ;
+Et pour faire aujourd’hui le bonheur d’un amant ,
+Laissez-les disposer de votre sentiment.
+
+
+
+
+En vain en ta faveur chacun me sollicite,
+J’en croirai seulement la mère de Mélite :
+Son avis m’ôtera la peur du repentir ,
+Et ton mérite alors m’y fera consentir.
+
+
+
+
+Entrons donc ; et tandis que nous irons le prendre,
+Nourrice, va t’offrir pour maîtresse à Philandre .
+
+
+
+
+Là, là, n’en riez point : autrefois en mon temps
+D’aussi beaux fils que vous étoient assez contents,
+Et croyoient de leur peine avoir trop de salaire
+Quand je quittois un peu mon dédain ordinaire.
+À leur compte, mes yeux étoient de vrais soleils
+Qui répandoient partout des rayons nompareils ;
+Je n’avois rien en moi qui ne fût un miracle ;
+Un seul mot de ma part leur étoit un oracle…
+Mais je parle à moi seule. Amoureux, qu’est-ce-ci ?
+Vous êtes bien hâtés de me laisser ainsi !
+Allez, quelle que soit l’ardeur qui vous emporte ,
+On ne se moque point des femmes de ma sorte,
+Et je ferai bien voir à vos feux empressés
+Que vous n’en êtes pas encore où vous pensez.
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+6/6 A !X
+6/6 A !X
+6/6 B !x
+6/6 B !x
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+
+Ami, j’ai beau rêver, toute ma rêverie
+Ne me fait rien comprendre en ta galanterie.
+Auprès de ta maîtresse engager un ami,
+C’est, à mon jugement, ne l’aimer qu’à demi.
+Ton humeur qui s’en lasse au changement l’invite ;
+Et n’osant la quitter, tu veux qu’elle te quitte.
+
+
+
+
+Ami, n’y rêve plus ; c’est en juger trop bien
+Pour t’oser plaindre encor de n’y comprendre rien.
+Quelques puissants appas que possède Amarante,
+Je trouve qu’après tout ce n’est qu’une suivante ;
+Et je ne puis songer à sa condition
+Que mon amour ne cède à mon ambition.
+Ainsi, malgré l’ardeur qui pour elle me presse,
+À la fin j’ai levé les yeux sur sa maîtresse,
+
+Où mon dessein, plus haut et plus laborieux,
+Se promet des succès beaucoup plus glorieux.
+Mais lors, soit qu’Amarante eût pour moi quelque flamme,
+Soit qu’elle pénétrât jusqu’au fond de mon âme,
+Et que malicieuse elle prît du plaisir
+À rompre les effets de mon nouveau désir,
+Elle savait toujours m’arrêter auprès d’elle
+À tenir des propos d’une suite éternelle.
+L’ardeur qui me brûlait de parler à Daphnis
+Me fournissait en vain des détours infinis ;
+Elle usait de ses droits, et toute impérieuse,
+D’une voix demi-gaie et demi-sérieuse :
+« Quand j’ai des serviteurs, c’est pour m’entretenir,
+Disait-elle ; autrement, je les sais bien punir ;
+Leurs devoirs près de moi n’ont rien qui les excuse. »
+
+
+
+
+Maintenant je devine à peu près une ruse
+Que tout autre en ta place à peine entreprendrait.
+
+
+
+
+Ecoute, et tu verras si je suis maladroit.
+Tu sais comme Florame à tous les beaux visages
+Fait par civilité toujours de feints hommages,
+Et sans avoir d’amour offrant partout des vœux,
+Traite de peu d’esprit les véritables feux.
+Un jour qu’il se vantait de cette humeur étrange,
+À qui chaque objet plaît, et que pas un ne range,
+Et reprochait à tous que leur peu de beauté
+Lui laissait si longtemps garder sa liberté :
+« Florame, dis-je alors, ton âme indifférente
+Ne tiendrait que fort peu contre mon Amarante. »
+« Théante, me dit-il, il faudrait l’éprouver ;
+Mais l’éprouvant, peut-être on te ferait rêver :
+
+Mon feu, qui ne serait que pure courtoisie,
+La remplirait d’amour, et toi de jalousie. »
+Je réplique, il repart, et nous tombons d’accord
+Qu’au hasard du succès il y ferait effort.
+Ainsi je l’introduis ; et par ce tour d’adresse,
+Qui me fait pour un temps lui céder ma maîtresse,
+Engageant Amarante et Florame au discours,
+J’entretiens à loisir mes nouvelles amours.
+
+
+
+
+Fut-elle, sur ce point, ou fâcheuse, ou facile ?
+
+
+
+
+Plus que je n’espérais je l’y trouvai docile ;
+Soit que je lui donnasse une fort douce loi,
+Et qu’il fût à ses yeux plus aimable que moi ;
+Soit qu’elle fît dessein sur ce fameux rebelle,
+Qu’une simple gageure attachait auprès d’elle,
+Elle perdit pour moi son importunité,
+Et n’en demanda plus tant d’assiduité.
+La douceur d’être seule à gouverner Florame
+Ne souffrit plus chez elle aucun soin de ma flamme,
+
+Et ce qu’elle goûtait avec lui de plaisirs
+Lui fit abandonner mon âme à mes désirs.
+
+
+
+
+On t’abuse, Théante ; il faut que je te die
+Que Florame est atteint de même maladie,
+Qu’il roule en son esprit mêmes desseins que toi,
+Et que c’est à Daphnis qu’il veut donner sa foi.
+À servir Amarante il met beaucoup d’étude ;
+Mais ce n’est qu’un prétexte à faire une habitude :
+Il accoutume ainsi ta Daphnis à le voir,
+Et ménage un accès qu’il ne pouvait avoir.
+Sa richesse l’attire, et sa beauté le blesse ;
+Elle le passe en biens, il l’égale en noblesse,
+Et cherche, ambitieux, par sa possession,
+À relever l’éclat de son extraction.
+Il a peu de fortune, et beaucoup de courage ;
+Et hors cette espérance, il hait le mariage.
+C’est ce que l’autre jour en secret il m’apprit ;
+Tu peux, sur cet avis, lire dans son esprit.
+
+
+
+
+Parmi ses hauts projets il manque de prudence,
+Puisqu’il traite avec toi de telle confidence.
+
+
+
+
+Crois qu’il m’éprouvera fidèle au dernier point,
+Lorsque ton intérêt ne s’y mêlera point.
+
+
+
+
+Je dois l’attendre ici. Quitte-moi, je te prie,
+De peur qu’il n’ait soupçon de ta supercherie.
+
+
+
+
+Adieu. Je suis à toi. Par quel malheur fatal
+Ai-je donné moi-même entrée à mon rival ?
+De quelque trait rusé que mon esprit se vante,
+Je me trompe moi-même en trompant Amarante,
+Et choisis un ami qui ne veut que m’ôter
+Ce que par lui je tâche à me faciliter.
+Qu’importe toutefois qu’il brûle et qu’il soupire ?
+Je sais trop comme il faut l’empêcher d’en rien dire.
+Amarante l’arrête, et j’arrête Daphnis :
+Ainsi tous entretiens d’entre eux deux sont bannis :
+Et tant d’heur se rencontre en ma sage conduite,
+Qu’au langage des yeux son amour est réduite.
+Mais n’est-ce pas assez pour se communiquer ?
+Que faut-il aux amants de plus pour s’expliquer ?
+Même ceux de Daphnis à tous coups lui répondent :
+L’un dans l’autre à tous coups leurs regards se confondent ;
+Et d’un commun aveu ces muets truchements
+Ne se disent que trop leurs amoureux tourments,
+Quelles vaines frayeurs troublent ma fantaisie !
+Que l’amour aisément penche à la jalousie !
+Qu’on croit tôt ce qu’on craint en ces perplexités,
+Où les moindres soupçons passent pour vérités !
+Daphnis est tout aimable ; et si Florame l’aime,
+Dois-je m’imaginer qu’il soit aimé de même ?
+
+Florame avec raison adore tant d’appas,
+Et Daphnis sans raison s’abaisserait trop bas.
+Ce feu, si juste en l’un, en l’autre inexcusable,
+Rendrait l’un glorieux, et l’autre méprisable.
+Simple ! l’amour peut-il écouter la raison ?
+Et même ces raisons sont-elles de saison ?
+Si Daphnis doit rougir en brûlant pour Florame,
+Qui l’en affranchirait en secondant ma flamme ?
+Etant tous deux égaux, il faut bien que nos feux
+Lui fassent même honte, ou même honneur tous deux :
+Ou tous deux nous formons un dessein téméraire,
+Ou nous avons tous deux même droit de lui plaire.
+Si l’espoir m’est permis, il y peut aspirer ;
+Et s’il prétend trop haut, je dois désespérer.
+Mais le voici venir. Tu me fais bien attendre.
+
+
+
+
+Encore est-ce à regret qu’ici je viens me rendre,
+Et comme un criminel qu’on traîne à sa prison.
+
+
+
+
+Tu ne fais qu’en raillant cette comparaison.
+
+
+
+
+Elle n’est que trop vraie. Et ton indifférence ?
+
+
+
+
+
+La conserver encor ! le moyen ? l’apparence ?
+Je m’étais plu toujours d’aimer en mille lieux :
+Voyant une beauté, mon cœur suivait mes yeux ;
+Mais de quelques attraits que le ciel l’eût pourvue,
+J’en perdais la mémoire aussitôt que la vue ;
+Et bien que mes discours lui donnassent ma foi,
+De retour au logis, je me trouvais à moi.
+Cette façon d’aimer me semblait fort commode,
+Et maintenant encor je vivrais à ma mode :
+Mais l’objet d’Amarante est trop embarrassant ;
+Ce n’est point un visage à ne voir qu’en passant.
+Un je ne sais quel charme auprès d’elle m’attache ;
+Je ne la puis quitter que le jour ne se cache ;
+Même alors, malgré moi, son image me suit,
+Et me vient au lieu d’elle entretenir la nuit.
+Le sommeil n’oserait me peindre une autre idée ;
+J’en ai l’esprit rempli, j’en ai l’âme obsédée.
+Théante, ou permets-moi de n’en plus approcher,
+Ou songe que mon cœur n’est pas fait d’un rocher ;
+Tant de charmes enfin me rendraient infidèle.
+
+
+
+
+Deviens-le, si tu veux, je suis assuré d’elle ;
+Et quand il te faudra tout de bon l’adorer,
+Je prendrai du plaisir à te voir soupirer,
+Tandis que pour tout fruit tu porteras la peine
+D’avoir tant persisté dans une humeur si vaine.
+
+Quand tu ne pourras plus te priver de la voir,
+C’est alors que je veux t’en ôter le pouvoir ;
+Et j’attends de pied ferme à reprendre ma place,
+Qu’il ne soit plus en toi de retrouver ta glace.
+Tu te défends encore, et n’en tiens qu’à demi.
+
+
+
+
+Cruel, est-ce là donc me traiter en ami ?
+Garde, pour châtiment de cet injuste outrage,
+Qu’Amarante pour toi ne change de courage,
+Et se rendant sensible à l’ardeur de mes vœux…
+
+
+
+
+À cela près, poursuis ; gagne-la si tu peux.
+Je ne m’en prendrai lors qu’à ma seule imprudence,
+Et demeurant ensemble en bonne intelligence,
+En dépit du malheur que j’aurai mérité,
+J’aimerai le rival qui m’aura supplanté.
+
+
+
+
+Ami, qu’il vaut bien mieux ne tomber point en peine
+De faire à tes dépens cette épreuve incertaine !
+Je me confesse pris, je quitte, j’ai perdu :
+Que veux-tu plus de moi ? Reprends ce qui t’est dû.
+Séparer plus longtemps une amour si parfaite !
+Continuer encor la faute que j’ai faite !
+Elle n’est que trop grande, et pour la réparer,
+J’empêcherai Daphnis de vous plus séparer.
+
+Pour peu qu’à mes discours je la trouve accessible,
+Vous jouirez vous deux d’un entretien paisible ;
+Je saurai l’amuser, et vos feux redoublés
+Par son fâcheux abord ne seront plus troublés.
+
+
+
+
+Ce serait prendre un soin qui n’est pas nécessaire.
+Daphnis sait d’elle-même assez bien se distraire,
+Et jamais son abord ne trouble nos plaisirs,
+Tant elle est complaisante à nos chastes désirs.
+
+
+
+
+
+
+Déploie, il en est temps, tes meilleurs artifices
+(Sans mettre toutefois en oubli mes services) :
+Je t’amène un captif qui te veut échapper.
+
+
+
+
+J’en ai vu d’échappés que j’ai su rattraper.
+
+
+
+
+Vois qu’en sa liberté ta gloire se hasarde.
+
+
+
+
+Allez, laissez-le-moi, j’en ferai bonne garde.
+Daphnis est au jardin. Sans plus vous désunir
+Souffre qu’au lieu de toi je l’aille entretenir.
+
+
+
+
+
+
+Laissez, mon cavalier, laissez aller Théante :
+Il porte assez au cœur le portrait d’Amarante ;
+Je n’appréhende point qu’on l’en puisse effacer.
+C’est au vôtre à présent que je le veux tracer ;
+Et la difficulté d’une telle victoire
+M’en augmente l’ardeur comme elle en croît la gloire.
+
+
+
+
+Aurez-vous quelque gloire à me faire souffrir ?
+
+
+
+
+Plus que de tous les vœux qu’on me pourrait offrir.
+
+
+
+
+Vous plaisez-vous à ceux d’une âme si contrainte,
+Qu’une vieille amitié retient toujours en crainte ?
+
+
+
+
+Vous n’êtes pas encore au point où je vous veux :
+Et toute amitié meurt où naissent de vrais feux.
+
+
+
+
+De vrai, contre ses droits mon esprit se rebelle ;
+Mais feriez-vous état d’un amant infidèle ?
+
+
+
+
+Je ne prendrai jamais pour un manque de foi
+D’oublier un ami pour se donner à moi.
+
+
+
+
+Encor si je pouvais former quelque espérance
+De vous voir favorable à ma persévérance,
+
+Que vous pussiez m’aimer après tant de tourment,
+Et d’un mauvais ami faire un heureux amant !
+Mais, hélas ! je vous sers, je vis sous votre empire,
+Et je ne puis prétendre où mon désir aspire.
+Théante ! (ah, nom fatal pour me combler d’ennui !)
+Vous demandez mon cœur, et le vôtre est à lui !
+Souffrez qu’en autre lieu j’adresse mes services,
+Que du manque d’espoir j’évite les supplices.
+Qui ne peut rien prétendre a droit d’abandonner.
+
+
+
+
+S’il ne tient qu’à l’espoir, je vous en veux donner.
+Apprenez que chez moi c’est un faible avantage
+De m’avoir de ses vœux le premier fait hommage.
+Le mérite y fait tout, et tel plaît à mes yeux,
+Que je négligerais près de qui vaudrait mieux.
+Lui seul de mes amants règle la différence,
+Sans que le temps leur donne aucune préférence.
+
+
+
+
+Vous ne flattez mes sens que pour m’embarrasser.
+
+
+
+
+Peut-être ; mais enfin il faut le confesser,
+Vous vous trouveriez mieux auprès de ma maîtresse.
+
+
+
+
+Ne pensez pas… Non, non, c’est là ce qui vous presse.
+Allons dans le jardin ensemble la chercher.
+Que j’ai su dextrement à ses yeux la cacher !
+
+
+
+
+
+
+Voyez comme tous deux ont fui notre rencontre !
+Je vous l’ai déjà dit, et l’effet vous le montre :
+Vous perdez Amarante, et cet ami fardé
+Se saisit finement d’un bien si mal gardé :
+Vous devez vous lasser de tant de patience,
+Et votre sûreté n’est qu’en la défiance.
+
+
+
+
+Je connais Amarante, et ma facilité
+Etablit mon repos sur sa fidélité :
+Elle rit de Florame et de ses flatteries,
+Qui ne sont après tout que des galanteries.
+
+
+
+
+Amarante, de vrai, n’aime pas à changer ;
+Mais votre peu de soin l’y pourrait engager.
+On néglige aisément un homme qui néglige.
+Son naturel est vain ; et qui la sert l’oblige :
+D’ailleurs les nouveautés ont de puissants appas.
+Théante, croyez-moi, ne vous y fiez pas.
+J’ai su me faire jour jusqu’au fond de son âme,
+Où j’ai peu remarqué de sa première flamme ;
+Et s’il tournait la feinte en véritable amour,
+Elle serait bien fille à vous jouer d’un tour.
+Mais afin que l’issue en soit pour vous meilleure,
+
+Laissez-moi ce causeur à gouverner une heure ;
+J’ai tant de passion pour tous vos intérêts,
+Que j’en saurai bientôt pénétrer les secrets.
+
+
+
+
+C’est un trop bas emploi pour de si hauts mérites ;
+Et quand elle aimerait à souffrir ses visites,
+Quand elle aurait pour lui quelque inclination,
+Vous m’en verriez toujours sans appréhension.
+Qu’il se mette à loisir, s’il peut, dans son courage ;
+Un moment de ma vue en efface l’image.
+Nous nous ressemblons mal, et pour ce changement,
+Elle a de trop bons yeux, et trop de jugement.
+
+
+
+
+Vous le méprisez trop : je trouve en lui des charmes
+Qui vous devraient du moins donner quelques alarmes.
+Clarimond n’a de moi que haine et que rigueur ;
+Mais s’il lui ressemblait, il gagnerait mon cœur.
+
+
+
+
+Vous en parlez ainsi, faute de le connaître.
+
+
+
+
+J’en parle et juge ainsi sur ce qu’on voit paraître.
+
+
+
+
+Quoi qu’il en soit, l’honneur de vous entretenir…
+
+
+
+
+
+Brisons là ce discours ; je l’aperçois venir.
+Amarante, ce semble, en est fort satisfaite.
+
+
+
+
+
+
+Je t’attendais, ami, pour faire la retraite.
+L’heure du dîner presse, et nous incommodons
+Celles qu’en nos discours ici nous retardons.
+
+
+
+
+Il n’est pas encor tard. Nous ferions conscience
+D’abuser plus longtemps de votre patience.
+
+
+
+
+Madame, excusez donc cette incivilité,
+Dont l’heure nous impose une nécessité.
+
+
+
+
+Sa force vous excuse, et je lis dans votre âme
+Qu’à regret vous quittez l’objet de votre flamme.
+
+
+
+
+
+
+Cette assiduité de Florame avec vous
+À la fin a rendu Théante un peu jaloux.
+
+Aussi de vous y voir tous les jours attachée,
+Quelle puissante amour n’en serait point touchée ?
+Je viens d’examiner son esprit en passant ;
+Mais vous ne croiriez pas l’ennui qu’il en ressent.
+Vous y devez pourvoir, et si vous êtes sage,
+Il faut à cet ami faire mauvais visage,
+Lui fausser compagnie, éviter ses discours :
+Ce sont pour l’apaiser les chemins les plus courts ;
+Sinon, faites état qu’il va courir au change.
+
+
+
+
+Il serait en ce cas d’une humeur bien étrange.
+À sa prière seule, et pour le contenter,
+J’écoute cet ami quand il m’en vient conter ;
+Et pour vous dire tout, cet amant infidèle
+Ne m’aime pas assez pour en être en cervelle.
+Il forme des desseins beaucoup plus relevés,
+Et de plus beaux portraits en son cœur sont gravés.
+Mes yeux pour l’asservir ont de trop faibles armes ;
+Il voudrait pour m’aimer que j’eusse d’autres charmes,
+Que l’éclat de mon sang, mieux soutenu de biens,
+Ne fût point ravalé par le rang que je tiens ;
+Enfin (que servirait aussi bien de le taire ?)
+Sa vanité le porte au souci de vous plaire.
+
+
+
+
+En ce cas, il verra que je sais comme il faut
+Punir des insolents qui prétendent trop haut.
+
+
+
+
+Je lui veux quelque bien, puisque, changeant de flamme,
+Vous voyez, par pitié, qu’il me laisse Florame,
+Qui n’étant pas si vain a plus de fermeté.
+
+
+
+
+Amarante, après tout, disons la vérité :
+
+Théante n’est si vain qu’en votre fantaisie ;
+Et sa froideur pour vous naît de sa jalousie ;
+Mais soit qu’il change, ou non, il ne m’importe en rien ;
+Et ce que je vous dis n’est que pour votre bien.
+
+
+
+
+
+
+Pour peu savant qu’on soit aux mouvements de l’âme,
+On devine aisément qu’elle en veut à Florame.
+Sa fermeté pour moi, que je vantais à faux,
+Lui portait dans l’esprit de terribles assauts.
+Sa surprise à ce mot a paru manifeste,
+Son teint en a changé, sa parole, son geste :
+L’entretien que j’en ai lui semblerait bien doux ;
+Et je crois que Théante en est le moins jaloux.
+Ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’en suis doutée.
+Etre toujours des yeux sur un homme arrêtée,
+Dans son manque de biens déplorer son malheur,
+Juger à sa façon qu’il a de la valeur,
+Demander si l’esprit en répond à la mine,
+Tout cela de ses feux eût instruit la moins fine.
+Florame en est de même, il meurt de lui parler ;
+Et s’il peut d’avec moi jamais se démêler,
+C’en est fait, je le perds. L’impertinente crainte !
+Que m’importe de perdre une amitié si feinte ?
+
+Et que me peut servir un ridicule feu,
+Où jamais de son cœur sa bouche n’a l’aveu ?
+Je m’en veux mal en vain ; l’amour a tant de force
+Qu’il attache mes sens à cette fausse amorce,
+Et fera son possible à toujours conserver
+Ce doux extérieur dont on me veut priver.
+
+
+
+Eh bien, j’en parlerai ; mais songez qu’à votre âge
+Mille accidents fâcheux suivent le mariage.
+On aime rarement de si sages époux,
+Et leur moindre malheur, c’est d’être un peu jaloux.
+Convaincus au dedans de leur propre faiblesse,
+Une ombre leur fait peur, une mouche les blesse ;
+Et cet heureux hymen, qui les charmait si fort,
+Devient souvent pour eux un fourrier de la mort.
+
+
+
+
+Excuse, ou pour le moins pardonne à ma folie ;
+Le sort en est jeté : va, ma chère Célie,
+Va trouver la beauté qui me tient sous sa loi,
+Flatte-la de ma part, promets-lui tout de moi :
+Dis-lui que si l’amour d’un vieillard l’importune,
+Elle fait une planche à sa bonne fortune ;
+
+Que l’excès de mes biens, à force de présents,
+Répare la vigueur qui manque à mes vieux ans ;
+Qu’il ne lui peut échoir de meilleure aventure.
+
+
+
+
+Ne m’importunez point de votre tablature :
+Sans vos instructions, je sais bien mon métier ;
+Et je n’en laisserai pas un trait à quartier.
+
+
+
+
+Je ne suis point ingrat quand on me rend office.
+Peins-lui bien mon amour, offre bien mon service,
+Dis bien que mes beaux jours ne sont pas si passés
+Qu’il ne me reste encor… Que vous m’étourdissez !
+N’est-ce point assez dit que votre âme est éprise ?
+Que vous allez mourir si vous n’avez Florise ?
+Reposez-vous sur moi. Que voilà froidement
+Me promettre ton aide à finir mon tourment !
+
+
+
+
+
+S’il faut aller plus vite, allons, je vois son frère,
+Et vais tout devant vous lui proposer l’affaire.
+
+
+
+
+Ce serait tout gâter ; arrête, et par douceur,
+Essaie auparavant d’y résoudre la sœur.
+
+
+
+
+
+
+Je feins, et je fais naître un feu si véritable,
+Qu’à force d’être aimé je deviens misérable.
+Cesse de te donner tant de soins superflus ;
+Je te voudrai du bien de ne m’en vouloir plus.
+
+Et que je souffre encor cet injuste partage
+Où tu tiens mes discours, et Daphnis mon courage ?
+Je ne voulais de toi qu’un accès chez Daphnis :
+Amarante, je l’ai ; mes amours sont finis.
+Et toi, puissant Amour, fais enfin que j’obtienne
+Un peu de liberté pour lui donner la mienne !
+
+
+
+
+
+
+Que vous voilà soudain de retour en ces lieux !
+
+
+
+
+Vous jugerez par là du pouvoir de vos yeux.
+
+
+
+
+Autre objet que mes yeux devers nous vous attire.
+
+
+
+
+Autre objet que vos yeux ne cause mon martyre.
+
+
+
+
+Votre martyre donc est de perdre avec moi
+Un temps dont vous voulez faire un meilleur emploi.
+
+
+
+
+
+
+Amarante, allez voir si dans la galerie
+Ils ont bientôt tendu cette tapisserie :
+Ces gens-là ne font rien, si l’on n’a l’œil sur eux.
+Je romps pour quelque temps le discours de vos feux.
+
+
+
+
+N’appelez point des feux un peu de complaisance
+Que détruit votre abord, qu’éteint votre présence.
+
+
+
+
+Votre amour est trop forte, et vos cœurs trop unis,
+Pour l’oublier soudain à l’abord de Daphnis ;
+Et vos civilités, étant dans l’impossible,
+Vous rendent bien flatteur, mais non pas insensible.
+
+
+
+
+Quoi que vous estimiez de ma civilité,
+Je ne me pique point d’insensibilité.
+J’aime, il n’est que trop vrai ; je brûle, je soupire :
+Mais un plus haut sujet me tient sous son empire.
+
+
+
+Le nom ne s’en dit point ? Je ris de ces amants
+Dont le trop de respect redouble les tourments,
+Et qui, pour les cacher se faisant violence,
+Se promettent beaucoup d’un timide silence.
+Pour moi, j’ai toujours cru qu’un amour vertueux
+N’avait point à rougir d’être présomptueux.
+Je veux bien vous nommer le bel œil qui me dompte,
+Et ma témérité ne me fait point de honte.
+Ce rare et haut sujet… Tout est presque tendu.
+
+
+
+
+Vous n’avez auprès d’eux guère de temps perdu.
+
+
+
+
+J’ai vu qu’ils l’employaient, et je suis revenue.
+
+
+
+
+J’ai peur de m’enrhumer au froid qui continue.
+Allez au cabinet me quérir un mouchoir :
+J’en ai laissé les clefs autour de mon miroir,
+Vous les trouverez là. J’ai cru que cette belle
+Ne pouvait à propos se nommer devant elle,
+Qui recevant par là quelque espèce d’affront,
+En aurait eu soudain la rougeur sur le front.
+
+
+
+
+
+Sans affront je la quitte, et lui préfère une autre
+Dont le mérite égal, le rang pareil au vôtre,
+L’esprit et les attraits également puissants,
+Ne devraient de ma part avoir que de l’encens :
+Oui, sa perfection, comme la vôtre extrême,
+N’a que vous de pareille ; en un mot, c’est… Moi-même.
+Je vois bien que c’est là que vous voulez venir,
+Non tant pour m’obliger, comme pour me punir.
+Ma curiosité, devenue indiscrète,
+A voulu trop savoir d’une flamme secrète :
+Mais bien qu’elle en reçoive un juste châtiment,
+Vous pouviez me traiter un peu plus doucement.
+Sans me faire rougir, il vous devait suffire
+De me taire l’objet dont vous aimez l’empire :
+Mettre en sa place un nom qui ne vous touche pas,
+C’est un cruel reproche au peu que j’ai d’appas.
+
+
+
+
+Vu le peu que je suis, vous dédaignez de croire
+Une si malheureuse et si basse victoire.
+Mon cœur est un captif si peu digne de vous,
+Que vos yeux en voudraient désavouer leurs coups ;
+Ou peut-être mon sort me rend si méprisable,
+
+Que ma témérité vous devient incroyable.
+Mais quoi que désormais il m’en puisse arriver,
+Je fais serment… Vos clefs ne sauraient se trouver.
+
+
+
+
+Faute d’un plus exquis, et comme par bravade,
+Ceci servira donc de mouchoir de parade.
+Enfin, ce cavalier que nous vîmes au bal,
+Vous trouvez comme moi qu’il ne danse pas mal ?
+
+
+
+
+Je ne le vis jamais mieux sur sa bonne mine.
+
+
+
+
+Il s’était si bien mis pour l’amour de Clarine.
+À propos de Clarine, il m’était échappé
+Qu’elle en a deux à moi d’un nouveau point-coupé.
+Allez, et dites-lui qu’elle me les renvoie.
+
+
+
+
+Il est hors d’apparence aujourd’hui qu’on la voie ;
+Dès une heure au plus tard elle devait sortir.
+
+
+
+
+Son cocher n’est jamais si tôt prêt à partir ;
+Et d’ailleurs son logis n’est pas au bout du monde ;
+Vous perdrez peu de pas. Quoi qu’elle vous réponde,
+Dites-lui nettement que je les veux avoir.
+
+
+
+
+
+À vous les rapporter je ferai mon pouvoir.
+
+
+
+
+C’est à vous maintenant d’ordonner mon supplice,
+Sûre que sa rigueur n’aura point d’injustice.
+
+
+
+
+Vous voyez qu’Amarante a pour vous de l’amour,
+Et ne manquera pas d’être tôt de retour.
+Bien que je pusse encore user de ma puissance,
+Il vaut mieux ménager le temps de son absence.
+Donc, pour n’en perdre point en discours superflus,
+Je crois que vous m’aimez ; n’attendez rien de plus :
+Florame, je suis fille, et je dépends d’un père.
+
+
+
+
+Mais de votre côté que faut-il que j’espère ?
+
+
+
+
+Si ma jalouse encor vous rencontrait ici,
+Ce qu’elle a de soupçons serait trop éclairci.
+Laissez-moi seule, allez. Se peut-il que Florame
+Souffre d’être sitôt séparé de son âme ?
+Oui, l’honneur d’obéir à vos commandements
+Lui doit être plus cher que ses contentements.
+
+
+
+
+
+
+Mon amour, par ses yeux plus forte devenue,
+L’eût bientôt emporté dessus ma retenue ;
+Et je sentais mon feu tellement s’augmenter,
+Qu’il n’était plus en moi de le pouvoir dompter.
+J’avais peur d’en trop dire ; et cruelle à moi-même,
+Parce que j’aime trop, j’ai banni ce que j’aime.
+Je me trouve captive en de si beaux liens,
+Que je meurs qu’il le sache, et j’en fuis les moyens.
+Quelle importune loi que cette modestie
+Par qui notre apparence en glace convertie
+Etouffe dans la bouche, et nourrit dans le cœur,
+Un feu dont la contrainte augmente la vigueur !
+Que ce penser m’est doux ! que je t’aime, Florame !
+Et que je songe peu, dans l’excès de ma flamme,
+À ce qu’en nos destins contre nous irrités
+Le mérite et les biens font d’inégalités !
+Aussi par celle-là de bien loin tu me passes,
+Et l’autre seulement est pour les âmes basses ;
+Et ce penser flatteur me fait croire aisément
+Que mon père sera de même sentiment.
+Hélas ! c’est en effet bien flatter mon courage,
+
+D’accommoder son sens aux désirs de mon âge ;
+Il voit par d’autres yeux, et veut d’autres appas.
+
+
+
+
+
+
+Je vous l’avais bien dit qu’elle n’y serait pas.
+
+
+
+
+Que vous avez tardé pour ne trouver personne !
+
+
+
+
+Ce reproche vraiment ne peut qu’il ne m’étonne,
+Pour revenir plus vite, il eût fallu voler.
+
+
+
+
+Florame cependant, qui vient de s’en aller,
+À la fin, malgré moi, s’est ennuyé d’attendre.
+
+
+
+
+C’est chose toutefois que je ne puis comprendre.
+Des hommes de mérite et d’esprit comme lui
+N’ont jamais avec vous aucun sujet d’ennui ;
+Votre âme généreuse a trop de courtoisie.
+
+
+
+
+Et la vôtre amoureuse un peu de jalousie.
+
+
+
+
+De vrai, je goûtais mal de faire tant de tours,
+Et perdais à regret ma part de ses discours.
+
+
+
+
+Aussi je me trouvais si promptement servie,
+Que je me doutais bien qu’on me portait envie.
+En un mot, l’aimez-vous ? Je l’aime aucunement,
+Non pas jusqu’à troubler votre contentement ;
+
+Mais si son entretien n’a point de quoi vous plaire,
+Vous m’obligerez fort de ne m’en plus distraire.
+
+
+
+
+Mais au cas qu’il me plût ? Il faudrait vous céder.
+C’est ainsi qu’avec vous je ne puis rien garder.
+Au moindre feu pour moi qu’un amant fait paraître,
+Par curiosité vous le voulez connaître,
+Et quand il a goûté d’un si doux entretien,
+Je puis dire dès lors que je ne tiens plus rien.
+C’est ainsi que Théante a négligé ma flamme.
+Encor tout de nouveau vous m’enlevez Florame.
+Si vous continuez à rompre ainsi mes coups,
+Je ne sais tantôt plus comment vivre avec vous.
+
+
+
+
+Sans colère, Amarante ; il semble, à vous entendre,
+Qu’en même lieu que vous je voulusse prétendre ?
+Allez, assurez-vous que mes contentements
+Ne vous déroberont aucun de vos amants ;
+Et pour vous en donner la preuve plus expresse,
+Voilà votre Théante, avec qui je vous laisse.
+
+
+
+
+
+
+Tu me vois sans Florame : un amoureux ennui
+Assez étroitement m’a dérobé de lui.
+Las de céder ma place à son discours frivole,
+
+Et n’osant toutefois lui manquer de parole,
+Je pratique un quart d’heure à mes affections.
+
+
+
+
+Ma maîtresse lisait dans tes intentions.
+Tu vois à ton abord comme elle a fait retraite,
+De peur d’incommoder une amour si parfaite.
+
+
+
+
+Je ne la saurais croire obligeante à ce point.
+Ce qui la fait partir ne se dira-t-il point ?
+
+
+
+
+Veux-tu que je t’en parle avec toute franchise ?
+C’est la mauvaise humeur où Florame l’a mise.
+
+
+
+
+Florame ? Oui. Ce causeur voulait l’entretenir ;
+Mais il aura perdu le goût d’y revenir :
+Elle n’a que fort peu souffert sa compagnie,
+Et l’en a chassé presque avec ignominie.
+De dépit cependant ses mouvements aigris
+Ne veulent aujourd’hui traiter que de mépris ;
+Et l’unique raison qui fait qu’elle me quitte,
+C’est l’estime où te met près d’elle ton mérite :
+Elle ne voudrait pas te voir mal satisfait,
+Ni rompre sur-le-champ le dessein qu’elle a fait.
+
+
+
+
+J’ai regret que Florame ait reçu cette honte :
+Mais enfin auprès d’elle il trouve mal son conte ?
+
+
+
+
+Aussi c’est un discours ennuyeux que le sien :
+
+Il parle incessamment sans dire jamais rien ;
+Et n’était que pour toi je me fais ces contraintes,
+Je l’envoierais bientôt porter ailleurs ses feintes.
+
+
+
+
+Et je m’assure aussi tellement en ta foi,
+Que bien que tout le jour il cajole avec toi,
+Mon esprit te conserve une amitié si pure,
+Que sans être jaloux je le vois et l’endure.
+
+
+
+
+Comment le serais-tu pour un si triste objet ?
+Ses imperfections t’en ôtent tout sujet.
+C’est à toi d’admirer qu’encor qu’un beau visage
+Dedans ses entretiens à toute heure t’engage,
+J’ai pour toi tant d’amour et si peu de soupçon,
+Que je n’en suis jalouse en aucune façon.
+C’est aimer puissamment que d’aimer de la sorte ;
+Mais mon affection est bien encor plus forte.
+Tu sais (et je le dis sans te mésestimer)
+Que quand notre Daphnis aurait su te charmer,
+Ce qu’elle est plus que toi mettrait hors d’espérance
+Les fruits qui seraient dus à ta persévérance.
+Plût à Dieu que le ciel te donnât assez d’heur
+Pour faire naître en elle autant que j’ai d’ardeur !
+Voyant ainsi la porte à ta fortune ouverte,
+Je pourrais librement consentir à ma perte.
+
+
+
+
+
+Je te souhaite un change autant avantageux.
+Plût à Dieu que le sort te fût moins outrageux,
+Ou que jusqu’à ce point il t’eût favorisée,
+Que Florame fût prince, et qu’il t’eût épousée !
+Je prise, auprès des tiens, si peu mes intérêts,
+Que bien que j’en sentisse au cœur mille regrets,
+Et que de déplaisir il m’en coûtât la vie,
+Je me la tiendrais lors heureusement ravie.
+
+
+
+
+Je ne voudrais point d’heur qui vînt avec ta mort,
+Et Damon que voilà n’en serait pas d’accord.
+
+
+
+
+Il a mine d’avoir quelque chose à me dire.
+
+
+
+
+Ma présence y nuirait : adieu, je me retire.
+
+
+
+
+Arrête ; nous pourrons nous voir tout à loisir :
+Rien ne le presse. Ami, que tu m’as fait plaisir !
+J’étais fort à la gêne avec cette suivante.
+
+
+
+
+Celle qui te charmait te devient bien pesante.
+
+
+
+
+Je l’aime encor pourtant ; mais mon ambition
+Ne laisse point agir mon inclination.
+
+Ma flamme sur mon cœur en vain est la plus forte,
+Tous mes désirs ne vont qu’où mon dessein les porte.
+Au reste, j’ai sondé l’esprit de mon rival.
+
+
+
+
+Et connu… Qu’il n’est pas pour me faire grand mal.
+Amarante m’en vient d’apprendre une nouvelle
+Qui ne me permet plus que j’en sois en cervelle.
+Il a vu… Qui ? Daphnis, et n’en a remporté
+Que ce qu’elle devait à sa témérité.
+
+
+
+
+Comme quoi ? Des mépris, des rigueurs sans pareilles.
+
+
+
+As-tu beaucoup de foi pour de telles merveilles ?
+
+
+
+
+Celle dont je les tiens en parle assurément.
+
+
+
+
+Pour un homme si fin, on te dupe aisément.
+Amarante elle-même en est mal satisfaite,
+Et ne t’a rien conté que ce qu’elle souhaite :
+Pour seconder Florame en ses intentions,
+On l’avait écartée à des commissions.
+Je viens de le trouver, tout ravi dans son âme,
+
+D’avoir eu les moyens de déclarer sa flamme,
+Et qui présume tant de ses prospérités,
+Qu’il croit ses vœux reçus, puisqu’ils sont écoutés ;
+Et certes son espoir n’est pas hors d’apparence ;
+Après ce bon accueil et cette conférence,
+Dont Daphnis elle-même a fait l’occasion,
+J’en crains fort un succès à ta confusion.
+Tâchons d’y donner ordre ; et, sans plus de langage
+Avise en quoi tu veux employer mon courage.
+
+
+
+
+Lui disputer un bien où j’ai si peu de part,
+Ce serait m’exposer pour quelqu’autre au hasard.
+Le duel est fâcheux, et quoi qu’il en arrive,
+De sa possession l’un et l’autre il nous prive,
+Puisque de deux rivaux, l’un mort, l’autre s’enfuit,
+Tandis que de sa peine un troisième a le fruit.
+À croire son courage, en amour on s’abuse ;
+La valeur d’ordinaire y sert moins que la ruse.
+
+
+
+
+Avant que passer outre, un peu d’attention.
+
+
+
+
+Te viens-tu d’aviser de quelque invention ?
+
+
+
+
+Oui, ta seule maxime en fonde l’entreprise.
+Clarimond voit Daphnis, il l’aime, il la courtise ;
+Et quoiqu’il n’en reçoive encor que des mépris,
+Un moment de bonheur lui peut gagner ce prix.
+
+
+
+
+
+Ce rival est bien moins à redouter qu’à plaindre.
+
+
+
+
+Je veux que de sa part tu ne doives rien craindre,
+N’est-ce pas le plus sûr qu’un duel hasardeux
+Entre Florame et lui les en prive tous deux ?
+
+
+
+
+Crois-tu qu’avec Florame aisément on l’engage ?
+
+
+
+
+Je l’y résoudrai trop avec un peu d’ombrage.
+Un amant dédaigné ne voit pas de bon œil
+Ceux qui du même objet ont un plus doux accueil :
+Des faveurs qu’on leur fait il forme ses offenses,
+Et pour peu qu’on le pousse, il court aux violences.
+Nous les verrions par là, l’un et l’autre écartés,
+Laisser la place libre à tes félicités.
+
+
+
+
+Oui, mais s’il t’obligeait d’en porter la parole ?
+
+
+
+
+Tu te mets en l’esprit une crainte frivole.
+Mon péril de ces lieux ne te bannira pas ;
+Et moi, pour te servir je courrais au trépas.
+
+
+
+
+En même occasion dispose de ma vie,
+Et sois sûr que pour toi j’aurai la même envie.
+
+
+
+
+Allons, ces compliments en retardent l’effet.
+
+
+
+
+Le ciel ne vit jamais un ami si parfait.
+
+
+
+
+
+
+
+Enfin, quelque froideur qui paraisse en Florise,
+Aux volontés d’un frère elle s’en est remise.
+
+
+
+
+Quoiqu’elle s’en rapporte à vous entièrement,
+Vous lui feriez plaisir d’en user autrement.
+Les amours d’un vieillard sont d’une faible amorce.
+
+
+
+
+Que veux-tu ? son esprit se fait un peu de force ;
+Elle se sacrifie à mes contentements,
+Et pour mes intérêts contraint ses sentiments.
+Assure donc Géraste, en me donnant sa fille,
+Qu’il gagne en un moment toute notre famille,
+Et que, tout vieil qu’il est, cette condition
+Ne laisse aucun obstacle à son affection.
+Mais aussi de Florise il ne doit rien prétendre,
+À moins que se résoudre à m’accepter pour gendre.
+
+
+
+
+Plaisez-vous à Daphnis ? c’est là le principal.
+
+
+
+
+Elle a trop de bonté pour me vouloir du mal ;
+
+D’ailleurs sa résistance obscurcirait sa gloire ;
+Je la mériterais si je la pouvais croire.
+La voilà qu’un rival m’empêche d’aborder ;
+Le rang qu’il tient sur moi m’oblige à lui céder,
+Et la pitié que j’ai d’un amant si fidèle
+Lui veut donner loisir d’être dédaigné d’elle.
+
+
+
+
+
+
+Ces dédains rigoureux dureront-ils toujours ?
+
+
+
+
+Non, ils ne dureront qu’autant que vos amours.
+
+
+
+
+C’est prescrire à mes feux des lois bien inhumaines.
+
+
+
+
+Faites finir vos feux, je finirai leurs peines.
+
+
+
+
+Le moyen de forcer mon inclination ?
+
+
+
+
+Le moyen de souffrir votre obstination ?
+
+
+
+
+Qui ne s’obstinerait en vous voyant si belle ?
+
+
+
+
+Qui vous pourrait aimer, vous voyant si rebelle ?
+
+
+
+
+Est-ce rébellion que d’avoir trop de feu ?
+
+
+
+
+C’est avoir trop d’amour, et m’obéir trop peu.
+
+
+
+
+
+La puissance sur moi que je vous ai donnée…
+
+
+
+
+D’aucune exception ne doit être bornée.
+
+
+
+
+Essayez autrement ce pouvoir souverain.
+
+
+
+
+Cet essai me fait voir que je commande en vain.
+
+
+
+
+C’est un injuste essai qui ferait ma ruine.
+
+
+
+
+Ce n’est plus obéir depuis qu’on examine.
+
+
+
+
+Mais l’amour vous défend un tel commandement.
+
+
+
+
+Et moi, je me défends un plus doux traitement.
+
+
+
+
+Avec ce beau visage avoir le cœur de roche !
+
+
+
+
+Si le mien s’endurcit, ce n’est qu’à votre approche.
+
+
+
+
+Que je sache du moins d’où naissent vos froideurs.
+
+
+
+
+Peut-être du sujet qui produit vos ardeurs.
+
+
+
+
+Si je brûle, Daphnis, c’est de nous voir ensemble.
+
+
+
+
+Et c’est de nous y voir, Clarimond, que je tremble.
+
+
+
+
+Votre contentement n’est qu’à me maltraiter.
+
+
+
+
+Comme le vôtre n’est qu’à me persécuter.
+
+
+
+
+
+Quoi ! l’on vous persécute à force de services !
+
+
+
+
+Non, mais de votre part ce me sont des supplices.
+
+
+
+
+Hélas ! et quand pourra venir ma guérison ?
+
+
+
+
+Lorsque le temps chez vous remettra la raison.
+
+
+
+
+Ce n’est pas sans raison que mon âme est éprise.
+
+
+
+
+Ce n’est pas sans raison aussi qu’on vous méprise.
+
+
+
+
+Juste ciel ! et que dois-je espérer désormais ?
+
+
+
+
+Que je ne suis pas fille à vous aimer jamais.
+
+
+
+
+C’est donc perdre mon temps que de plus y prétendre ?
+
+
+
+
+Comme je perds ici le mien à vous entendre.
+
+
+
+
+Me quittez-vous sitôt sans me vouloir guérir ?
+
+
+
+
+Clarimond sans Daphnis peut et vivre et mourir.
+
+
+
+
+Je mourrai toutefois, si je ne vous possède.
+
+
+
+
+Tenez-vous donc pour mort, s’il vous faut ce remède.
+
+
+
+
+
+
+Tout dédaigné, je l’aime, et malgré sa rigueur,
+Ses charmes plus puissants lui conservent mon cœur.
+Par un contraire effet dont mes maux s’entretiennent,
+Sa bouche le refuse, et ses yeux le retiennent.
+Je ne puis, tant elle a de mépris et d’appas,
+Ni le faire accepter, ni ne le donner pas ;
+Et comme si l’amour faisait naître sa haine,
+Ou qu’elle mesurât ses plaisirs à ma peine,
+On voit paraître ensemble, et croître également,
+Ma flamme et ses froideurs, sa joie et mon tourment.
+Je tâche à m’affranchir de ce malheur extrême,
+Et je ne saurais plus disposer de moi-même.
+Mon désespoir trop lâche obéit à mon sort,
+Et mes ressentiments n’ont qu’un débile effort.
+Mais pour faibles qu’ils soient, aidons leur impuissance ;
+Donnons-leur le secours d’une éternelle absence.
+Adieu, cruelle ingrate, adieu : je fuis ces lieux
+Pour dérober mon âme au pouvoir de tes yeux.
+
+
+
+
+
+
+Monsieur, monsieur, un mot. L’air de votre visage
+Témoigne un déplaisir caché dans le courage.
+Vous quittez ma maîtresse un peu mal satisfait.
+
+
+
+
+
+Ce que voit Amarante en est le moindre effet.
+Je porte, malheureux, après de tels outrages,
+Des douleurs sur le front, et dans le cœur des rages.
+
+
+
+
+Pour un peu de froideur, c’est trop désespérer.
+
+
+
+
+Que ne dis-tu plutôt que c’est trop endurer ?
+Je devrais être las d’un si cruel martyre,
+Briser les fers honteux où me tient son empire,
+Sans irriter mes maux avec un vain regret.
+
+
+
+
+Si je vous croyais homme à garder un secret,
+Vous pourriez sur ce point apprendre quelque chose
+Que je meurs de vous dire, et toutefois je n’ose.
+L’erreur où je vous vois me fait compassion ;
+Mais pourriez-vous avoir de la discrétion ?
+
+
+
+
+Prends-en ma foi de gage, avec… Laisse-moi faire.
+
+
+
+
+Vous voulez justement m’obliger à me taire ;
+Aux filles de ma sorte il suffit de la foi :
+Réservez vos présents pour quelque autre que moi.
+
+
+
+
+Souffre… Gardez-les, dis-je, ou je vous abandonne.
+
+Daphnis a des rigueurs dont l’excès vous étonne ;
+Mais vous aurez bien plus de quoi vous étonner
+Quand vous saurez comment il faut la gouverner.
+À force de douceurs vous la rendez cruelle,
+Et vos submissions vous perdent auprès d’elle :
+Epargnez désormais tous ces pas superflus ;
+Parlez-en au bonhomme, et ne la voyez plus.
+Toutes ces cruautés ne sont qu’en apparence.
+Du côté du vieillard tournez votre espérance ;
+Quand il aura pour elle accepté quelque amant,
+Un prompt amour naîtra de son commandement.
+Elle vous fait tandis cette galanterie,
+Pour s’acquérir le bruit de fille bien nourrie,
+Et gagner d’autant plus de réputation
+Qu’on la croira forcer son inclination.
+Nommez cette maxime ou prudence ou sottise,
+C’est la seule raison qui fait qu’on vous méprise.
+
+
+
+
+Hélas ! et le moyen de croire tes discours ?
+
+
+
+
+De grâce, n’usez point si mal de mon secours :
+Croyez les bons avis d’une bouche fidèle,
+Et songeant seulement que je viens d’avec elle,
+Derechef épargnez tous ces pas superflus ;
+Parlez-en au bonhomme, et ne la voyez plus.
+
+
+
+
+
+Tu ne flattes mon cœur que d’un espoir frivole.
+
+
+
+
+Hasardez seulement deux mots sur ma parole,
+Et n’appréhendez point la honte d’un refus.
+
+
+
+
+Mais si j’en recevais, je serais bien confus.
+Un oncle pourra mieux concerter cette affaire.
+
+
+
+
+Ou par vous, ou par lui, ménagez bien le père.
+
+
+
+
+
+
+Qu’aisément un esprit qui se laisse flatter
+S’imagine un bonheur qu’il pense mériter !
+Clarimond est bien vain ensemble et bien crédule
+De se persuader que Daphnis dissimule,
+Et que ce grand dédain déguise un grand amour,
+Que le seul choix d’un père a droit de mettre au jour.
+Il s’en pâme de joie, et dessus ma parole
+De tant d’affronts reçus son âme se console ;
+Il les chérit peut-être et les tient à faveurs,
+Tant ce trompeur espoir redouble ses ferveurs !
+S’il rencontrait le père, et que mon entreprise…
+
+Amarante ! Monsieur ! Vous faites la surprise,
+Encor que de si loin vous m’ayez vu venir,
+Que Clarimond n’est plus à vous entretenir !
+Je donne ainsi la chasse à ceux qui vous en content !
+
+
+
+
+À moi ? mes vanités jusque-là ne se montent.
+
+
+
+
+Il semblait toutefois parler d’affection.
+
+
+
+
+Oui, mais qu’estimez-vous de son intention ?
+
+
+
+
+Je crois que ses desseins tendent au mariage.
+
+
+
+
+Il est vrai. Quelque foi qu’il vous donne pour gage,
+Il cherche à vous surprendre, et sous ce faux appas
+Il cache des projets que vous n’entendez pas.
+
+
+
+
+Votre âge soupçonneux a toujours des chimères
+Qui le font mal juger des cœurs les plus sincères.
+
+
+
+
+
+Où les conditions n’ont point d’égalité,
+L’amour ne se fait guère avec sincérité.
+
+
+
+
+Posé que cela soit : Clarimond me caresse ;
+Mais si je vous disais que c’est pour ma maîtresse,
+Et que le seul besoin qu’il a de mon secours,
+Sortant d’avec Daphnis, l’arrête en mes discours ?
+
+
+
+
+S’il a besoin de toi pour avoir bonne issue,
+C’est signe que sa flamme est assez mal reçue.
+
+
+
+
+Pas tant qu’elle paraît, et que vous présumez.
+D’un mutuel amour leurs cœurs sont enflammés ;
+Mais Daphnis se contraint, de peur de vous déplaire,
+Et sa bouche est toujours à ses désirs contraire,
+Hormis lorsqu’avec moi s’ouvrant confidemment,
+Elle trouve à ses maux quelque soulagement.
+Clarimond cependant, pour fondre tant de glaces,
+Tâche par tous moyens d’avoir mes bonnes grâces ;
+Et moi je l’entretiens toujours d’un peu d’espoir.
+
+
+
+
+À ce compte, Daphnis est fort dans le devoir :
+Je n’en puis souhaiter un meilleur témoignage,
+Et ce respect m’oblige à l’aimer davantage.
+Je lui serai bon père, et puisque ce parti
+À sa condition se rencontre assorti,
+Bien qu’elle pût encore un peu plus haut atteindre,
+Je la veux enhardir à ne se plus contraindre.
+
+
+
+
+Vous n’en pourrez jamais tirer la vérité.
+Honteuse de l’aimer sans votre autorité,
+
+Elle s’en défendra de toute sa puissance ;
+N’en cherchez point d’aveu que dans l’obéissance.
+Quand vous aurez fait choix de cet heureux amant,
+Vos ordres produiront un prompt consentement.
+Mais on ouvre la porte. Hélas ! je suis perdue,
+Si j’ai tant de malheur qu’elle m’ait entendue.
+
+
+
+
+Lui procurant du bien, elle croit la fâcher,
+Et cette vaine peur la fait ainsi cacher.
+Que ces jeunes cerveaux ont de traits de folie !
+Mais il faut aller voir ce qu’aura fait Célie.
+Toutefois disons-lui quelque mot en passant,
+Qui la puisse guérir du mal qu’elle ressent.
+
+
+
+
+
+
+Ma fille, c’est en vain que tu fais la discrète,
+J’ai découvert enfin ta passion secrète,
+Je ne t’en parle point sur des avis douteux.
+N’en rougis point, Daphnis, ton choix n’est pas honteux ;
+Moi-même je l’agrée, et veux bien que ton âme
+À cet amant si cher ne cache plus sa flamme.
+Tu pouvais en effet prétendre un peu plus haut ;
+Mais on ne peut assez estimer ce qu’il vaut ;
+Ses belles qualités, son crédit et sa race
+Auprès des gens d’honneur sont trop dignes de grâce.
+
+Adieu. Si tu le vois, tu peux lui témoigner
+Que sans beaucoup de peine on me pourra gagner.
+
+
+
+
+
+
+D’aise et d’étonnement je demeure immobile.
+D’où lui vient cette humeur de m’être si facile ?
+D’où me vient ce bonheur où je n’osais penser ?
+Florame, il m’est permis de te récompenser ;
+Et sans plus déguiser ce qu’un père autorise,
+Je puis me revancher du don de ta franchise ;
+Ton mérite le rend, malgré ton peu de biens,
+Indulgent à mes feux, et favorable aux tiens :
+Il trouve en tes vertus des richesses plus belles.
+Mais est-il vrai, mes sens ? m’êtes-vous si fidèles ?
+Mon heur me rend confuse, et ma confusion
+Me fait tout soupçonner de quelque illusion.
+Je ne me trompe point, ton mérite et ta race
+Auprès des gens d’honneur sont trop dignes de grâce.
+Florame, il est tout vrai, dès lors que je te vis,
+Un battement de cœur me fit de cet avis ;
+Et mon père aujourd’hui souffre que dans son âme
+Les mêmes sentiments… Quoi ! vous voilà, Florame ?
+Je vous avais prié tantôt de me quitter.
+
+
+
+
+Et je vous ai quittée aussi sans contester.
+
+
+
+
+Mais revenir sitôt, c’est me faire une offense.
+
+
+
+
+Quand j’aurais sur ce point reçu quelque défense,
+Si vous saviez quels feux ont pressé mon retour,
+Vous en pardonneriez le crime à mon amour.
+
+
+
+
+Ne vous préparez point à dire des merveilles,
+Pour me persuader des flammes sans pareilles.
+Je crois que vous m’aimez, et c’est en croire plus
+Que n’en exprimeraient vos discours superflus.
+
+
+
+
+Mes feux, qu’ont redoublés ces propos adorables,
+À force d’être crus deviennent incroyables,
+Et vous n’en croyez rien qui ne soit au-dessous.
+Que ne m’est-il permis d’en croire autant de vous !
+
+
+
+
+Votre croyance est libre. Il me la faudrait vraie.
+
+
+
+Mon cœur par mes regards vous fait trop voir sa plaie.
+
+Un homme si savant au langage des yeux
+Ne doit pas demander que je m’explique mieux.
+Mais puisqu’il vous en faut un aveu de ma bouche,
+Allez, assurez-vous que votre amour me touche.
+Depuis tantôt je parle un peu plus librement,
+Ou, si vous le voulez, un peu plus hardiment :
+Aussi j’ai vu mon père, et s’il vous faut tout dire,
+Avec tous nos désirs sa volonté conspire.
+
+
+
+
+Surpris, ravi, confus, je n’ai que repartir.
+Etre aimé de Daphnis ! un père y consentir !
+Dans mon affection ne trouver plus d’obstacle !
+Mon espoir n’eût osé concevoir ce miracle.
+
+
+
+
+Miracles toutefois qu’Amarante a produits ;
+De sa jalouse humeur nous tirons ces doux fruits.
+Au récit de nos feux, malgré son artifice,
+La bonté de mon père a trompé sa malice ;
+Du moins je le présume, et ne puis soupçonner
+Que mon père sans elle ait pu rien deviner.
+
+
+
+
+Les avis d’Amarante, en trahissant ma flamme,
+N’ont point gagné Géraste en faveur de Florame.
+Les ressorts d’un miracle ont un plus haut moteur,
+Et tout autre qu’un dieu n’en peut être l’auteur.
+
+
+
+
+C’en est un que l’Amour. Et vous verrez peut-être
+Que son pouvoir divin se fait ici paraître,
+Dont quelques grands effets, avant qu’il soit longtemps,
+Vous rendront étonnée, et nos désirs contents.
+
+
+
+
+Florame, après vos feux et l’aveu de mon père,
+L’amour n’a point d’effets capables de me plaire.
+
+
+
+
+Aimez-en le premier, et recevez la foi
+D’un bienheureux amant qu’il met sous votre loi.
+
+
+
+
+Vous, prisez le dernier qui vous donne la mienne.
+
+
+
+
+Quoique dorénavant Amarante survienne
+Je crois que nos discours iront d’un pas égal,
+Sans donner sur le rhume, ou gauchir sur le bal.
+
+
+
+
+Si je puis tant soit peu dissimuler ma joie,
+Et que dessus mon front son excès ne se voie,
+Je me jouerai bien d’elle, et des empêchements
+Que son adresse apporte à nos contentements.
+
+
+
+
+J’en apprendrai de vous l’agréable nouvelle.
+Un ordre nécessaire au logis me rappelle,
+Et doit fort avancer le succès de nos vœux.
+
+
+
+
+Nous n’avons plus qu’une âme et qu’un vouloir nous deux.
+
+Bien que vous éloigner ce me soit un martyre,
+Puisque vous le voulez, je n’y puis contredire.
+Mais quand dois-je espérer de vous revoir ici ?
+
+
+
+
+Dans une heure au plus tard. Allez donc : la voici.
+
+
+
+
+
+Amarante, vraiment vous êtes fort jolie ;
+Vous n’égayez pas mal votre mélancolie ;
+Votre jaloux chagrin a de beaux agréments,
+Et choisit assez bien ses divertissements :
+Votre esprit pour vous-même a force complaisance
+De me faire l’objet de votre médisance ;
+Et, pour donner couleur à vos détractions,
+Vous lisez fort avant dans mes intentions.
+
+
+
+
+Moi ! que de vous j’osasse aucunement médire !
+
+
+
+
+Voyez-vous, Amarante, il n’est plus temps de rire.
+Vous avez vu mon père, avec qui vos discours
+M’ont fait à votre gré de frivoles amours.
+Quoi ! souffrir un moment l’entretien de Florame,
+Vous le nommez bientôt une secrète flamme ?
+Cette jalouse humeur dont vous suivez la loi
+Vous fait en mes secrets plus savante que moi.
+Mais passe pour le croire, il fallait que mon père
+
+De votre confidence apprît cette chimère ?
+
+
+
+
+S’il croit que vous l’aimez, c’est sur quelque soupçon
+Où je ne contribue en aucune façon.
+Je sais trop que le ciel, avec de telles grâces,
+Vous donne trop de cœur pour des flammes si basses ;
+Et quand je vous croirais dans cet indigne choix,
+Je sais ce que je suis et ce que je vous dois.
+
+
+
+
+Ne tranchez point ainsi de la respectueuse :
+Votre peine après tout vous est bien fructueuse ;
+Vous la devez chérir, et son heureux succès
+Qui chez nous à Florame interdit tout accès.
+Mon père le bannit et de l’une et de l’autre.
+Pensant nuire à mon feu, vous ruinez le vôtre.
+Je lui viens de parler, mais c’était seulement
+Pour lui dire l’arrêt de son bannissement.
+Vous devez cependant être fort satisfaite
+Qu’à votre occasion un père me maltraite ;
+Pour fruit de vos labeurs si cela vous suffit,
+C’est acquérir ma haine avec peu de profit.
+
+
+
+
+Si touchant vos amours on sait rien de ma bouche,
+Que je puisse à vos yeux devenir une souche !
+Que le ciel… Finissez vos imprécations.
+J’aime votre malice et vos délations.
+Ma mignonne, apprenez que vous êtes déçue :
+C’est par votre rapport que mon ardeur est sue ;
+Mais mon père y consent, et vos avis jaloux
+N’ont fait que me donner Florame pour époux.
+
+
+
+
+
+
+Ai-je bien entendu ? Sa belle humeur se joue,
+Et par plaisir soi-même elle se désavoue.
+Son père la maltraite, et consent à ses vœux !
+Ai-je nommé Florame en parlant de ses feux ?
+Florame, Clarimond, ces deux noms, ce me semble,
+Pour être confondus, n’ont rien qui se ressemble.
+Le moyen que jamais on entendît si mal,
+Que l’un de ces amants fût pris pour son rival ?
+Je ne sais où j’en suis, et toutefois j’espère ;
+Sous ces obscurités je soupçonne un mystère,
+Et mon esprit confus, à force de douter,
+Bien qu’il n’ose rien croire, ose encor se flatter.
+
+
+
+
+
+
+
+
+Tu l’en peux assurer. Ma fille, je présume,
+Quelques feux dans ton cœur que ton amant allume,
+Que tu ne voudrais pas sortir de ton devoir.
+
+
+
+
+C’est ce que le passé vous a pu faire voir.
+
+
+
+
+Mais si pour en tirer une preuve plus claire,
+Je disais qu’il faut prendre un sentiment contraire,
+Qu’une autre occasion te donne un autre amant ?
+
+
+
+
+Il serait un peu tard pour un tel changement.
+Sous votre autorité j’ai dévoilé mon âme ;
+J’ai découvert mon cœur à l’objet de ma flamme,
+Et c’est sous votre aveu qu’il a reçu ma foi.
+
+
+
+
+
+Oui, mais je viens de faire un autre choix pour toi.
+
+
+
+
+Ma foi ne permet plus une telle inconstance.
+
+
+
+
+Et moi, je ne saurais souffrir de résistance.
+Si ce gage est donné par mon consentement,
+Il faut le retirer par mon commandement.
+Vous soupirez en vain : vos soupirs et vos larmes
+Contre ma volonté sont d’impuissantes armes.
+Rentrez ; je ne puis voir qu’avec mille douleurs
+Votre rébellion s’exprimer par vos pleurs.
+La pitié me gagnait. Il m’était impossible
+De voir encor ses pleurs, et n’être pas sensible :
+Mon injuste rigueur ne pouvait plus tenir,
+Et de peur de me rendre, il la fallait bannir.
+N’importe toutefois, la parole me lie,
+Et mon amour ainsi l’a promis à Célie ;
+Florise ne se peut acquérir qu’à ce prix,
+Si Florame… Monsieur, vous vous êtes mépris ;
+C’est Clarimond qu’elle aime. Et ma plus grande peine
+
+N’est que d’en avoir eu la preuve trop certaine.
+Dans sa rébellion à mon autorité,
+L’amour qu’elle a pour lui n’a que trop éclaté.
+Si pour ce cavalier elle avait moins de flamme,
+Elle agréerait le choix que je fais de Florame,
+Et prenant désormais un mouvement plus sain,
+Ne s’obstinerait pas à rompre mon dessein.
+
+
+
+
+C’est ce choix inégal qui vous la fait rebelle ;
+Mais pour tout autre amant n’appréhendez rien d’elle.
+
+
+
+
+Florame a peu de bien, mais pour quelque raison
+C’est lui seul dont je fais l’appui de ma maison.
+Examiner mon choix, c’est un trait d’imprudence.
+Toi qu’à présent Daphnis traite de confidence,
+Et dont le seul avis gouverne ses secrets,
+Je te prie, Amarante, adoucis ses regrets,
+Résous-la, si tu peux, à contenter un père ;
+Fais qu’elle aime Florame, ou craigne ma colère.
+
+
+
+
+Puisque vous le voulez, j’y ferai mon pouvoir ;
+C’est chose toutefois dont j’ai si peu d’espoir,
+Que je craindrais plutôt de l’aigrir davantage.
+
+
+
+
+Il est tant de moyens de fléchir un courage !
+Trouve pour la gagner quelque subtil appas ;
+La récompense après ne te manquera pas.
+
+
+
+
+
+
+Accorde qui pourra le père avec la fille !
+L’égarement d’esprit règne sur la famille.
+Daphnis aime Florame, et son père y consent :
+D’elle-même j’ai su l’aise qu’elle en ressent ;
+Et si j’en crois ce père, elle ne porte en l’âme
+Que révolte, qu’orgueil, que mépris pour Florame.
+Peut-elle s’opposer à ses propres désirs,
+Démentir tout son cœur, détruire ses plaisirs ?
+S’ils sont sages tous deux, il faut que je sois folle.
+Leur mécompte pourtant, quel qu’il soit, me console ;
+Et bien qu’il me réduise au bout de mon latin,
+Un peu plus en repos j’en attendrai la fin.
+
+
+
+
+
+
+Sans me voir elle rentre, et quelque bon génie
+Me sauve de ses yeux et de sa tyrannie.
+Je ne me croyais pas quitte de ses discours,
+À moins que sa maîtresse en vînt rompre le cours.
+
+
+
+
+Je voudrais t’avoir vu dedans cette contrainte.
+
+
+
+
+
+Peut-être voudrais-tu qu’elle empêchât ma plainte ?
+
+
+
+
+Si Théante sait tout, sans raison tu t’en plains.
+Je t’ai dit ses secrets, comme à lui tes desseins,
+Il voit dedans ton cœur, tu lis dans son courage,
+Et je vous fais combattre ainsi sans avantage.
+
+
+
+
+Toutefois au combat tu n’as pu l’engager ?
+
+
+
+
+Sa générosité n’en craint pas le danger ;
+Mais cela choque un peu sa prudence amoureuse,
+Vu que la fuite en est la fin la plus heureuse,
+Et qu’il faut que, l’un mort, l’autre tire pays.
+
+
+
+
+Malgré le déplaisir de mes secrets trahis,
+Je ne puis, cher ami, qu’avec toi je ne rie
+Des subtiles raisons de sa poltronnerie.
+Nous faire ce duel sans s’exposer aux coups,
+C’est véritablement en savoir plus que nous,
+Et te mettre en sa place avec assez d’adresse,
+
+
+
+
+Qu’importe à quels périls il gagne une maîtresse ?
+Que ses rivaux entre eux fassent mille combats,
+Que j’en porte parole, ou ne la porte pas,
+Tout lui semblera bon, pourvu que sans en être
+Il puisse de ces lieux les faire disparaître.
+
+
+
+
+Mais ton service offert hasardait bien ta foi,
+Et s’il eût eu du cœur, t’engageait contre moi.
+
+
+
+
+
+Je savais trop que l’offre en serait rejetée.
+Depuis plus de dix ans je connais sa portée ;
+Il ne devient mutin que fort malaisément,
+Et préfère la ruse à l’éclaircissement.
+
+
+
+
+Les maximes qu’il tient pour conserver sa vie
+T’ont donné des plaisirs où je te porte envie.
+
+
+
+
+Tu peux incontinent les goûter si tu veux.
+Lui, qui doute fort peu du succès de ses vœux,
+Et qui croit que déjà Clarimond et Florame
+Disputent loin d’ici le sujet de leur flamme,
+Serait-il homme à perdre un temps si précieux,
+Sans aller chez Daphnis faire le gracieux,
+Et seul, à la faveur de quelque mot pour rire,
+Prendre l’occasion de conter son martyre ?
+
+
+
+
+Mais s’il nous trouve ensemble, il pourra soupçonner
+Que nous prenons plaisir tous deux à le berner.
+
+
+
+
+De peur que nous voyant il conçût quelque ombrage,
+J’avais mis tout exprès Cléon sur le passage.
+Théante approche-t-il ? Il est en ce carfour.
+
+
+
+
+Adieu donc, nous pourrons le jouer tour à tour.
+
+
+
+
+Je m’étonne comment tant de belles parties
+En cet illustre amant sont si mal assorties,
+Qu’il a si mauvais cœur avec de si bons yeux,
+Et fait un si beau choix sans le défendre mieux.
+Pour tant d’ambition, c’est bien peu de courage.
+
+
+
+
+
+
+Quelle surprise, ami, paraît sur ton visage ?
+
+
+
+
+T’ayant cherché longtemps, je demeure confus
+De t’avoir rencontré quand je n’y pensais plus.
+
+
+
+
+Parle plus franchement : fâché de ta promesse,
+Tu veux et n’oserais reprendre ta maîtresse !
+Ta passion, qui souffre une trop dure loi,
+Pour la gouverner seul te dérobait de moi ?
+
+
+
+
+De peur que ton esprit formât cette croyance,
+De l’aborder sans toi je faisais conscience.
+
+
+
+
+C’est ce qui t’obligeait sans doute à me chercher ?
+Mais ne te prive plus d’un entretien si cher.
+Je te cède Amarante, et te rends ta parole :
+J’aime ailleurs ; et lassé d’un compliment frivole,
+
+Et de feindre une ardeur qui blesse mes amis,
+Ma flamme est véritable, et son effet permis :
+J’adore une beauté qui peut disposer d’elle,
+Et seconder mes feux sans me rendre infidèle.
+
+
+
+
+Tu veux dire Daphnis ? Je ne puis te celer
+Qu’elle est l’unique objet pour qui je veux brûler.
+
+
+
+
+Le bruit vole déjà qu’elle est pour toi sans glace,
+Et déjà d’un cartel Clarimond te menace.
+
+
+
+
+Qu’il vienne, ce rival, apprendre, à son malheur,
+Que s’il me passe en biens, il me cède en valeur,
+Que sa vaine arrogance, en ce duel trompée,
+Me fasse mériter Daphnis à coups d’épée :
+Par là je gagne tout ; ma générosité
+Suppléera ce qui fait notre inégalité ;
+Et son père, amoureux du bruit de ma vaillance,
+La fera sur ses biens emporter la balance.
+
+
+
+
+Tu n’en peux espérer un moindre événement :
+L’heur suit dans les duels le plus heureux amant ;
+Le glorieux succès d’une action si belle,
+Ton sang mis au hasard, ou répandu pour elle,
+Ne peut laisser au père aucun lieu de refus.
+Tiens ta maîtresse acquise, et ton rival confus ;
+
+Et sans t’épouvanter d’une vaine fortune
+Qu’il soutient lâchement d’une valeur commune,
+Ne fais de son orgueil qu’un sujet de mépris,
+Et pense que Daphnis ne s’acquiert qu’à ce prix.
+Adieu : puisse le ciel à ton amour parfaite
+Accorder un succès tel que je le souhaite !
+
+
+
+
+Ce cartel, ce me semble, est trop long à venir :
+Mon courage bouillant ne se peut contenir ;
+Enflé par tes discours, il ne saurait attendre
+Qu’un insolent défi l’oblige à se défendre.
+Va donc, et de ma part appelle Clarimond ;
+Dis-lui que pour demain il choisisse un second,
+Et que nous l’attendrons au château de Bicêtre.
+
+
+
+
+J’adore ce grand cœur qu’ici tu fais paraître,
+Et demeure ravi du trop d’affection
+Que tu m’as témoigné par cette élection.
+Prends-y garde pourtant ; pense à quoi tu t’engages.
+Si Clarimond, lassé de souffrir tant d’outrages,
+Eteignant son amour, te cédait ce bonheur,
+Quel besoin serait-il de le piquer d’honneur ?
+Peut-être qu’un faux bruit nous apprend sa menace :
+C’est à toi seulement de défendre ta place.
+Ces coups du désespoir des amants méprisés
+N’ont rien d’avantageux pour les favorisés.
+Qu’il recoure, s’il veut, à ces fâcheux remèdes ;
+
+Ne lui querelle point un bien que tu possèdes :
+Ton amour, que Daphnis ne saurait dédaigner,
+Court risque d’y tout perdre, et n’y peut rien gagner.
+Avise encore un coup ; ta valeur inquiète
+En d’extrêmes périls un peu trop tôt te jette.
+
+
+
+
+Quels périls ? L’heur y suit le plus heureux amant.
+
+
+
+
+Quelquefois le hasard en dispose autrement.
+
+
+
+
+Clarimond n’eut jamais qu’une valeur commune.
+
+
+
+
+La valeur aux duels fait moins que la fortune.
+
+
+
+
+C’est par là seulement qu’on mérite Daphnis.
+
+
+
+
+Mais plutôt de ses yeux par là tu te bannis.
+
+
+
+
+Cette belle action pourra gagner son père.
+
+
+
+
+Je le souhaite ainsi plus que je ne l’espère.
+
+
+
+
+Acceptant un cartel, suis-je plus assuré ?
+
+
+
+
+Où l’honneur souffrirait rien n’est considéré.
+
+
+
+
+Je ne puis résister à des raisons si fortes :
+Sur ma bouillante ardeur malgré moi tu l’emportes.
+J’attendrai qu’on m’attaque. Adieu donc. En ce cas,
+Souviens-t’en, cher ami, tu me promets ton bras ?
+
+
+
+
+Dispose de ma vie. Elle est fort assurée,
+Si rien que ce duel n’empêche sa durée.
+Il en parle des mieux ; c’est un jeu qui lui plaît ;
+Mais il devient fort sage aussitôt qu’il en est,
+Et montre cependant des grâces peu vulgaires
+À battre ses raisons par des raisons contraires.
+
+
+
+
+
+
+Je n’osais t’aborder les yeux baignés de pleurs,
+Et devant ce rival t’apprendre nos malheurs.
+
+
+
+
+Vous me jetez, madame, en d’étranges alarmes.
+Dieux ! et d’où peut venir ce déluge de larmes ?
+Le bonhomme est-il mort ? Non, mais il se dédit,
+Tout amour désormais pour toi m’est interdit :
+Si bien qu’il me faut être ou rebelle ou parjure,
+Forcer les droits d’amour ou ceux de la nature,
+Mettre un autre en ta place ou lui désobéir,
+
+L’irriter, ou moi-même avec toi me trahir.
+À moins que de changer, sa haine inévitable
+Me rend de tous côtés ma perte indubitable ;
+Je ne puis conserver mon devoir et ma foi,
+Ni sans crime brûler pour d’autres ni pour toi.
+
+
+
+
+Le nom de cet amant, dont l’indiscrète envie
+À mes ressentiments vient apporter sa vie ?
+Le nom de cet amant, qui, par sa prompte mort
+Doit, au lieu du vieillard, me réparer ce tort,
+Et qui, sur quelque orgueil que son amour se fonde,
+N’a que jusqu’à ma vue à demeurer au monde ?
+
+
+
+
+Je n’aime pas si mal que de m’en informer ;
+Je t’aurais fait trop voir que j’eusse pu l’aimer.
+Si j’en savais le nom, ta juste défiance
+Pourrait à ses défauts imputer ma constance,
+À son peu de mérite attacher mon dédain,
+Et croire qu’un plus digne aurait reçu ma main.
+J’atteste ici le bras qui lance le tonnerre,
+Que tout ce que le ciel a fait paraître en terre
+De mérites, de biens, de grandeurs et d’appas,
+En même objet uni, ne m’ébranlerait pas :
+Florame a droit lui seul de captiver mon âme ;
+Florame vaut lui seul à ma pudique flamme
+
+Tout ce que peut le monde offrir à mes ardeurs
+De mérites, d’appas, de biens et de grandeurs.
+
+
+
+
+Qu’avec des mots si doux vous m’êtes inhumaine !
+Vous me comblez de joie, et redoublez ma peine.
+L’effet d’un tel amour, hors de votre pouvoir,
+Irrite d’autant plus mon sanglant désespoir.
+L’excès de votre ardeur ne sert qu’à mon supplice.
+Devenez-moi cruelle, afin que je guérisse.
+Guérir ! ah ! qu’ai-je dit ? ce mot me fait horreur.
+Pardonnez aux transports d’une aveugle fureur ;
+Aimez toujours Florame ; et quoi qu’il ait pu dire,
+Croissez de jour en jour vos feux et son martyre.
+Peut-il rendre sa vie à de plus heureux coups,
+Ou mourir plus content, que pour vous, et par vous ?
+
+
+
+
+Puisque de nos destins la rigueur trop sévère
+Oppose à nos désirs l’autorité d’un père,
+Que veux-tu que je fasse ? En l’état où je suis,
+Etre à toi malgré lui, c’est ce que je ne puis ;
+Mais je puis empêcher qu’un autre me possède,
+Et qu’un indigne amant à Florame succède.
+Le cœur me manque. Adieu. Je sens faillir ma voix.
+Florame, souviens-toi de ce que tu me dois.
+Si nos feux sont égaux, mon exemple t’ordonne
+Ou d’être à ta Daphnis, ou de n’être à personne.
+
+
+
+
+
+
+Dépourvu de conseil comme de sentiment,
+L’excès de ma douleur m’ôte le jugement.
+De tant de biens promis je n’ai plus que sa vue,
+Et mes bras impuissants ne l’ont pas retenue ;
+Et même je lui laisse abandonner ce lieu,
+Sans trouver de parole à lui dire un adieu.
+Ma fureur pour Daphnis a de la complaisance ;
+Mon désespoir n’osait agir en sa présence,
+De peur que mon tourment aigrît ses déplaisirs ;
+Une pitié secrète étouffait mes soupirs :
+Sa douleur, par respect, faisait taire la mienne ;
+Mais ma rage à présent n’a rien qui la retienne.
+Sors, infâme vieillard, dont le consentement
+Nous a vendu si cher le bonheur d’un moment ;
+Sors, que tu sois puni de cette humeur brutale
+Qui rend ta volonté pour nos feux inégale.
+À nos chastes amours qui t’a fait consentir,
+Barbare ? mais plutôt qui t’en fait repentir ?
+Crois-tu qu’aimant Daphnis, le titre de son père
+Débilite ma force ou rompe ma colère ?
+Un nom si glorieux, lâche, ne t’est plus dû ;
+En lui manquant de foi, ton crime l’a perdu.
+Plus j’ai d’amour pour elle, et plus pour toi de haine
+Enhardit ma vengeance et redouble ta peine :
+Tu mourras ; et je veux, pour finir mes ennuis,
+Mériter par ta mort celle où tu me réduis.
+Daphnis, à ma fureur ma bouche abandonnée
+
+Parle d’ôter la vie à qui te l’a donnée !
+Je t’aime, et je t’oblige à m’avoir en horreur,
+Et ne connais encor qu’à peine mon erreur !
+Si je suis sans respect pour ce que tu respectes,
+Que mes affections ne t’en soient pas suspectes ;
+De plus réglés transports me feraient trahison ;
+Si j’avais moins d’amour, j’aurais de la raison :
+C’est peu que de la perdre, après t’avoir perdue ;
+Rien ne sert plus de guide à mon âme éperdue :
+Je condamne à l’instant ce que j’ai résolu ;
+Je veux, et ne veux plus sitôt que j’ai voulu.
+Je menace Géraste, et pardonne à ton père ;
+Ainsi rien ne me venge, et tout me désespère.
+
+
+
+
+Célie… Eh bien, Célie ? enfin elle a tant fait
+Qu’à vos désirs Géraste accorde leur effet.
+Quel visage avez-vous ? votre aise vous transporte.
+
+
+
+
+Cesse d’aigrir ma flamme en raillant de la sorte,
+Organe d’un vieillard qui croit faire un bon tour
+De se jouer de moi par une feinte amour.
+Si tu te veux du bien, fais-lui tenir promesse :
+Vous me rendrez tous deux la vie ou ma maîtresse ;
+
+Et ce jour expiré, je vous ferai sentir
+Que rien de ma fureur ne vous peut garantir.
+
+
+
+
+Florame ! Je ne puis parler à des perfides.
+
+
+
+
+Il veut donner l’alarme à mes esprits timides,
+Et prend plaisir lui-même à se jouer de moi.
+Géraste a trop d’amour pour n’avoir point de foi,
+Et s’il pouvait donner trois Daphnis pour Florise,
+Il la tiendrait encore heureusement acquise.
+D’ailleurs ce grand courroux pourrait-il être feint ?
+Aurait-il pu sitôt falsifier son teint,
+Et si bien ajuster ses yeux et son langage
+À ce que sa fureur marquait sur son visage ?
+Quelqu’un des deux me joue ; épions tous les deux,
+Et nous éclaircissons sur un point si douteux.
+
+
+
+
+
+
+Croirais-tu qu’un moment m’ait pu changer de sorte
+Que je passe à regret par-devant cette porte ?
+
+
+
+
+Que ton humeur n’a-t-elle un peu plus tôt changé !
+Nous aurions vu l’effet où tu m’as engagé.
+Tantôt quelque démon, ennemi de ta flamme,
+Te faisait en ces lieux accompagner Florame :
+Sans la crainte qu’alors il te prît pour second,
+Je l’allais appeler au nom de Clarimond ;
+Et comme si depuis il était invisible,
+Sa rencontre pour moi s’est rendue impossible.
+
+
+
+
+Ne le cherche donc plus. A bien considérer,
+Qu’ils se battent, ou non je n’en puis qu’espérer.
+Daphnis, que son adresse a malgré moi séduite,
+Ne pourrait l’oublier, quand il serait en fuite.
+Leur amour est trop forte ; et d’ailleurs son trépas,
+Le privant d’un tel bien, ne me le donne pas.
+
+Inégal en fortune à ce qu’est cette belle,
+Et déjà par malheur assez mal voulu d’elle,
+Que pourrais-je, après tout, prétendre de ses pleurs ?
+Et quel espoir pour moi naîtrait de ses douleurs ?
+Deviendrais-je par là plus riche ou plus aimable ?
+Que si de l’obtenir je me trouve incapable,
+Mon amitié pour lui, qui ne peut expirer,
+À tout autre qu’à moi me le fait préférer ;
+Et j’aurais peine à voir un troisième en sa place.
+
+
+
+
+Tu t’avises trop tard ; que veux-tu que je fasse ?
+J’ai poussé Clarimond à lui faire un appel ;
+J’ai charge de sa part de lui rendre un cartel.
+Le puis-je supprimer ? Non, mais tu pourrais faire…
+
+
+Quoi ? Que Clarimond prît un sentiment contraire.
+
+
+
+Le détourner d’un coup où seul je l’ai porté !
+Mon courage est mal propre à cette lâcheté.
+
+
+
+
+À de telles raisons je n’ai de répartie,
+Sinon que c’est à moi de rompre la partie.
+J’en vais semer le bruit. Et sur ce bruit tu veux…
+
+
+
+
+Qu’on leur donne dans peu des gardes à tous deux,
+Et qu’une main puissante arrête leur querelle.
+Qu’en dis-tu, cher ami ? L’invention est belle,
+Et le chemin bien court à les mettre d’accord ;
+Mais souffre auparavant que j’y fasse un effort.
+Peut-être mon esprit trouvera quelque ruse
+Par où, sans en rougir, du cartel je m’excuse.
+Ne donnons point sujet de tant parler de nous,
+Et sachons seulement à quoi tu te résous.
+
+
+
+
+À les laisser en paix, et courir l’Italie
+Pour divertir le cours de ma mélancolie,
+Et ne voir point Florame emporter à mes yeux
+Le prix où prétendait mon cœur ambitieux.
+
+
+
+
+Amarante, à ce compte, est hors de ta pensée ?
+
+
+
+
+Son image du tout n’en est pas effacée.
+Mais… Tu crains que pour elle on te fasse un duel.
+
+
+
+
+Railler un malheureux, c’est être trop cruel.
+Bien que ses yeux encor règnent sur mon courage,
+Le bonheur de Florame à la quitter m’engage ;
+
+Le ciel ne nous fit point, et pareils, et rivaux,
+Pour avoir des succès tellement inégaux.
+C’est me perdre d’honneur, et par cette poursuite,
+D’égal que je lui suis, me ranger à sa suite.
+Je donne désormais des règles à mes feux ;
+De moindres que Daphnis sont incapables d’eux ;
+Et rien dorénavant n’asservira mon âme
+Qui ne me puisse mettre au-dessus de Florame.
+Allons, je ne puis voir sans mille déplaisirs
+Ce possesseur du bien où tendaient mes désirs.
+
+
+
+
+Arrête. Cette fuite est hors de bienséance,
+Et je n’ai point d’appel à faire en ta présence.
+
+
+
+
+
+
+Jetterai-je toujours des menaces en l’air,
+Sans que je sache enfin à qui je dois parler ?
+Aurait-on jamais cru qu’elle me fût ravie,
+Et qu’on me pût ôter Daphnis avant la vie ?
+Le possesseur du prix de ma fidélité,
+Bien que je sois vivant, demeure en sûreté :
+Tout inconnu qu’il m’est, il produit ma misère ;
+Tout mon rival qu’il est, il rit de ma colère.
+Rival ! ah, quel malheur ! j’en ai pour me bannir,
+Et cesse d’en avoir quand je le veux punir.
+Grands dieux, qui m’enviez cette juste allégeance,
+Qu’un amant supplanté tire de la vengeance,
+Et me cachez le bras dont je reçois les coups,
+
+Est-ce votre dessein que je m’en prenne à vous ?
+Est-ce votre dessein d’attirer mes blasphèmes,
+Et qu’ainsi que mes maux mes crimes soient extrêmes,
+Qu’à mille impiétés osant me dispenser,
+À votre foudre oisif je donne où se lancer ?
+Ah ! souffrez qu’en l’état de mon sort déplorable
+Je demeure innocent, encor que misérable :
+Destinez à vos feux d’autres objets que moi ;
+Vous n’en sauriez manquer, quand on manque de foi.
+Employez le tonnerre à punir les parjures,
+Et prenez intérêt vous-même à mes injures :
+Montrez, en me vengeant, que vous êtes des dieux,
+Ou conduisez mon bras, puisque je n’ai point d’yeux,
+Et qu’on sait dérober d’un rival qui me tue
+Le nom à mon oreille, et l’objet à ma vue.
+Rival, qui que tu sois, dont l’insolent amour
+Idolâtre un soleil et n’ose voir le jour,
+N’oppose plus ta crainte à l’ardeur qui te presse ;
+Fais-toi, fais-toi connaître allant voir ta maîtresse.
+
+
+
+
+
+
+Amarante (aussi bien te faut-il confesser
+Que la seule Daphnis avait su me blesser),
+Dis-moi qui me l’enlève ; apprends-moi quel mystère
+Me cache le rival qui possède son père ;
+
+À quel heureux amant Géraste a destiné
+Ce beau prix que l’amour m’avait si bien donné.
+
+
+
+
+Ce dût vous être assez de m’avoir abusée,
+Sans faire encor de moi vos sujets de risée.
+Je sais que le vieillard favorise vos feux,
+Et que rien que Daphnis n’est contraire à vos vœux.
+
+
+
+
+Que me dis-tu ? Lui seul, et sa rigueur nouvelle
+Empêchent les effets d’une ardeur mutuelle ?
+
+
+
+
+Pensez-vous me duper avec ce feint courroux ?
+Lui-même il m’a prié de lui parler pour vous.
+
+
+
+
+Vois-tu, ne t’en ris plus ; ta seule jalousie
+A mis à ce vieillard ce change en fantaisie.
+Ce n’est pas avec moi que tu te dois jouer,
+Et ton crime redouble à le désavouer ;
+Mais sache qu’aujourd’hui, si tu ne fais en sorte
+Que mon fidèle amour sur ce rival l’emporte,
+J’aurai trop de moyens à te faire sentir
+Qu’on ne m’offense point sans un prompt repentir.
+
+
+
+
+
+
+Voilà de quoi tomber en un nouveau dédale.
+Ô ciel ! qui vit jamais confusion égale ?
+Si j’écoute Daphnis, j’apprends qu’un feu puissant
+La brûle pour Florame, et qu’un père y consent ;
+Si j’écoute Géraste, il lui donne Florame,
+Et se plaint que Daphnis en rejette la flamme ;
+Et si Florame est cru, ce vieillard aujourd’hui
+Dispose de Daphnis pour un autre que lui.
+Sous un tel embarras je me trouve accablée ;
+Eux ou moi, nous avons la cervelle troublée,
+Si ce n’est qu’à dessein ils se soient concertés
+Pour me faire enrager par ces diversités.
+Mon faible esprit s’y perd et n’y peut rien comprendre ;
+Pour en venir à bout, il me les faut surprendre,
+Et quand ils se verront, écouter leurs discours,
+Pour apprendre par là le fond de ces détours.
+Voici mon vieux rêveur ; fuyons de sa présence,
+Qu’il ne m’embrouille encor de quelque confidence :
+De crainte que j’en ai, d’ici je me bannis,
+Tant qu’avec lui je voie ou Florame, ou Daphnis.
+
+
+
+
+
+
+J’ai grand regret, monsieur, que la foi qui vous lie
+Empêche que chez vous mon neveu ne s’allie,
+Et que son feu m’emploie aux offres qu’il vous fait,
+Lorsqu’il n’est plus en vous d’en accepter l’effet.
+
+
+
+
+C’est un rare trésor que mon malheur me vole ;
+Et si l’honneur souffrait un manque de parole,
+L’avantageux parti que vous me présentez
+Me verrait aussitôt prêt à ses volontés.
+
+
+
+
+Mais si quelque hasard rompait cette alliance ?
+
+
+
+
+N’ayez lors, je vous prie, aucune défiance ;
+Je m’en tiendrais heureux, et ma foi vous répond
+Que Daphnis, sans tarder, épouse Clarimond.
+
+
+
+
+Adieu. Faites état de mon humble service.
+
+
+
+
+Et vous pareillement, d’un cœur sans artifice.
+
+
+
+
+
+
+De sorte qu’à mes yeux votre foi lui répond
+Que Daphnis, sans tarder, épouse Clarimond ?
+
+
+
+
+Cette vaine promesse en un cas impossible
+Adoucit un refus et le rend moins sensible ;
+C’est ainsi qu’on oblige un homme à peu de frais.
+
+
+
+
+Ajouter l’impudence à vos perfides traits !
+Il vous faudrait du charme au lieu de cette ruse,
+Pour me persuader que qui promet refuse.
+
+
+
+
+J’ai promis, et tiendrais ce que j’ai protesté,
+Si Florame rompait le concert arrêté.
+Pour Daphnis, c’est en vain qu’elle fait la rebelle
+J’en viendrai trop à bout. Impudence nouvelle !
+Florame, que Daphnis fait maître de son cœur,
+De votre seul caprice accuse la rigueur ;
+Et je sais que sans vous leur mutuelle flamme
+Unirait deux amants qui n’ont déjà qu’une âme.
+Vous m’osez cependant effrontément conter
+
+Que Daphnis sur ce point aime à vous résister !
+Vous m’en aviez promis une tout autre issue :
+J’en ai porté parole après l’avoir reçue.
+Qu’avais-je, contre vous, ou fait, ou projeté,
+Pour me faire tremper en votre lâcheté ?
+Ne pouviez-vous trahir que par mon entremise ?
+Avisez : il y va de plus que de Florise.
+Ne vous estimez pas quitte pour la quitter,
+Ni que de cette sorte on se laisse affronter.
+
+
+
+
+Me prends-tu donc pour homme à manquer de parole
+En faveur d’un caprice où s’obstine une folle ?
+Va, fais venir Florame ; à ses yeux tu verras
+Que pour lui mon pouvoir ne s’épargnera pas,
+Que je maltraiterai Daphnis en sa présence
+D’avoir pour son amour si peu de complaisance.
+Qu’il vienne seulement voir un père irrité,
+Et joindre sa prière à mon autorité ;
+Et lors, soit que Daphnis y résiste ou consente,
+Crois que ma volonté sera la plus puissante.
+
+
+
+
+Croyez que nous tromper ce n’est pas votre mieux.
+
+
+
+
+Me foudroie en ce cas la colère des cieux !
+
+
+
+Géraste, sur-le-champ il te fallait contraindre
+Celle que ta pitié ne pouvait ouïr plaindre.
+Tu n’as pu refuser du temps à ses douleurs
+Ton cœur s’attendrissait de voir couler ses pleurs ;
+Et pour avoir usé trop peu de ta puissance,
+On t’impute à forfait sa désobéissance.
+Un traitement trop doux te fait croire sans foi.
+Faudra-t-il que de vous je reçoive la loi,
+Et que l’aveuglement d’une amour obstinée
+Contre ma volonté règle votre hyménée ?
+Mon extrême indulgence a donné, par malheur,
+À vos rébellions quelque faible couleur ;
+Et pour quelque moment que vos feux m’ont su plaire,
+Vous pensez avoir droit de braver ma colère :
+Mais sachez qu’il fallait, ingrate, en vos amours,
+Ou ne m’obéir point, ou m’obéir toujours.
+
+
+
+
+Si dans mes premiers feux je vous semble obstinée,
+C’est l’effet de ma foi sous votre aveu donnée.
+Quoi que mette en avant votre injuste courroux,
+Je ne veux opposer à vous-même que vous.
+Votre permission doit être irrévocable :
+Devenez seulement à vous-même semblable.
+Il vous fallait, monsieur, vous-même à mes amours,
+
+Ou ne consentir point, ou consentir toujours.
+Je choisirai la mort plutôt que le parjure ;
+M’y voulant obliger, vous vous faites injure.
+Ne veuillez point combattre ainsi hors de saison
+Votre vouloir, ma foi, mes pleurs, et la raison.
+Que vous a fait Daphnis ? que vous a fait Florame,
+Que pour lui vous vouliez que j’éteigne ma flamme ?
+
+
+
+
+Mais que vous a-t-il fait, que pour lui seulement
+Vous vous rendiez rebelle à mon commandement ?
+Ma foi n’est-elle rien au-dessus de la vôtre ?
+Vous vous donnez à l’un ; ma foi vous donne à l’autre.
+Qui le doit emporter ou de vous ou de moi ?
+Et qui doit de nous deux plutôt manquer de foi ?
+Quand vous en manquerez, mon vouloir vous excuse.
+Mais à trop raisonner moi-même je m’abuse :
+Il n’est point de raison valable entre nous deux,
+Et pour toute raison, il suffit que je veux.
+
+
+
+
+Un parjure jamais ne devient légitime ;
+Une excuse ne peut justifier un crime.
+Malgré vos changements, mon esprit résolu
+Croit suffire à mes feux que vous ayez voulu.
+
+
+
+
+
+
+Voici ce cher amant qui me tient engagée,
+
+À qui sous votre aveu ma foi s’est obligée.
+Changez de volonté pour un objet nouveau :
+Daphnis épousera Florame, ou le tombeau.
+
+
+
+
+Que vois-je ici, bons dieux ? Mon amour, ma constance.
+
+
+
+Et sur quoi donc fonder ta désobéissance ?
+Quel envieux démon, et quel charme assez fort,
+Faisait entrechoquer deux volontés d’accord ?
+C’est lui que tu chéris, et que je te destine ;
+Et ta rébellion dans un refus s’obstine !
+
+
+
+
+Appelez-vous refus de me donner sa foi,
+Quand votre volonté se déclara pour moi ?
+Et cette volonté, pour une autre tournée,
+Vous peut-elle obéir après la foi donnée ?
+
+
+
+
+C’est pour vous que je change, et pour vous seulement
+Je veux qu’elle renonce à son premier amant.
+Lorsque je consentis à sa secrète flamme,
+C’était pour Clarimond qui possédait son âme ;
+Amarante du moins me l’avait dit ainsi.
+
+
+
+
+Amarante, approchez ; que tout soit éclairci.
+Une telle imposture est-elle pardonnable ?
+
+
+
+
+Mon amour pour Florame en est le seul coupable :
+
+Mon esprit l’adorait : et vous étonnez-vous
+S’il devint inventif, puisqu’il était jaloux ?
+
+
+
+
+Et par là tu voulais… Que votre âme déçue
+Donnât à Clarimond une si bonne issue,
+Que Florame, frustré de l’objet de ses vœux,
+Fût réduit désormais à seconder mes feux.
+
+
+
+
+Pardonnez-lui, monsieur ; et vous, daignez, madame,
+Justifier son feu par votre propre flamme.
+Si vous m’aimez encor, vous devez estimer
+Qu’on ne peut faire un crime à force de m’aimer.
+
+
+
+
+Si je t’aime, Florame ? Ah ! ce doute m’offense.
+D’Amarante avec toi je prendrai la défense.
+
+
+
+
+Et moi, dans ce pardon je vous veux prévenir ;
+Votre hymen aussi bien saura trop la punir.
+
+
+
+
+Qu’un nom tu par hasard nous a donné de peine !
+
+
+
+
+Mais que, su maintenant, il rend sa ruse vaine,
+Et donne un prompt succès à vos contentements.
+
+
+
+
+Vous, de qui je les tiens… Trêve de compliments :
+Ils nous empêcheraient de parler de Florise.
+
+
+
+
+Il n’en faut point parler, elle vous est acquise.
+
+
+
+
+Allons donc la trouver : que cet échange heureux
+Comble d’aise à son tour un vieillard amoureux.
+
+
+
+
+Quoi ! je ne savais rien d’une telle partie !
+
+
+
+
+Je pense toutefois vous avoir avertie
+Qu’un grand effet d’amour, avant qu’il fût longtemps,
+Vous rendrait étonnée, et nos désirs contents.
+Mais différez, monsieur, une telle visite ;
+Mon feu ne souffre point que sitôt je la quitte ;
+Et d’ailleurs je sais trop que la foi du devoir
+Veut que je sois chez nous pour vous y recevoir.
+
+
+
+Va donc lui témoigner le désir qui me presse.
+
+
+
+
+Plutôt fais-la venir saluer ma maîtresse :
+Ainsi tout à la fois nous verrons satisfaits
+Vos feux et mon devoir, ma flamme et vos souhaits.
+
+
+
+
+Je dois être honteux d’attendre qu’elle vienne.
+
+
+
+
+
+Attendez-la, monsieur, et qu’à cela ne tienne :
+Je cours exécuter cette commission.
+
+
+
+
+Le temps en sera long à mon affection.
+
+
+
+
+Toujours l’impatience à l’amour est mêlée.
+
+
+
+
+Allons dans le jardin faire deux tours d’allée,
+Afin que cet ennui que j’en pourrai sentir
+Parmi votre entretien trouve à se divertir.
+
+
+
+
+
+
+Je le perds donc, l’ingrat, sans que mon artifice
+Sans que pas un effet ait suivi ma malice,
+Ait tiré de ses maux aucun soulagement,
+Où ma confusion n’égalât son tourment.
+Pour agréer ailleurs il tâchait à me plaire,
+J’ai servi de prétexte à son feu téméraire,
+Un amour dans la bouche, un autre dans le sein :
+Et je n’ai pu servir d’obstacle à son dessein.
+Daphnis me le ravit, non par son beau visage,
+Non que sur moi sa race ait aucun avantage,
+Non par son bel esprit ou ses doux entretiens,
+Mais par le seul éclat qui sort d’un peu de biens.
+
+Filles que la nature a si bien partagées,
+Quelque charmants qu’ils soient, vous êtes négligées,
+Vous devez présumer fort peu de vos attraits ;
+À moins que la fortune en rehausse les traits.
+Mais encor que Daphnis eût captivé Florame,
+Destins, pour rendre aisé le succès de sa flamme,
+Le moyen qu’inégal il en fût possesseur ?
+Fallait-il qu’un vieux fou fût épris de sa sœur ?
+Pour tromper mon attente, et me faire un supplice,
+Un jeune amant s’attache aux lois de l’avarice,
+Deux fois l’ordre commun se renverse en un jour ;
+Et ce vieillard pour lui suit celles de l’amour.
+Un discours amoureux n’est qu’une fausse amorce,
+L’un m’échappe de gré, comme l’autre de force ;
+Et Théante et Florame ont feint pour moi des feux ;
+J’ai quitté l’un pour l’autre, et je les perds tous deux.
+Mon cœur n’a point d’espoir dont je ne sois séduite,
+Et dans le triste état où le ciel m’a réduite,
+Si je prends quelque peine, une autre en a les fruits ;
+Je ne sens que douleurs, et ne prévois qu’ennuis.
+
+Vieillard, qui de ta fille achètes une femme
+Puisse le ciel, aux soins qui te vont ronger l’âme,
+Dont peut-être aussitôt tu seras mécontent,
+Dénier le repos du tombeau qui t’attend !
+Puisse le noir chagrin de ton humeur jalouse
+Te faire un long trépas, et cette jeune épouse
+Me contraindre moi-même à déplorer ton sort,
+User toute sa vie à souhaiter ta mort !
diff --git a/test/corneille_suivante.tpl b/test/corneille_suivante.tpl
@@ -0,0 +1,4 @@
+6/6 A !X
+6/6 A !X
+6/6 B !x
+6/6 B !x
diff --git a/test/corneille_veuve b/test/corneille_veuve
@@ -0,0 +1,4523 @@
+J’en demeure d’accord, chacun a sa méthode ;
+
+Mais la tienne pour moi serait trop incommode :
+
+Mon cœur ne pourrait pas conserver tant de feu,
+
+S’il fallait que ma bouche en témoignât si peu.
+
+Depuis près de deux ans tu brûles pour Clarice ;
+
+Et plus ton amour croît, moins elle en a d’indice.
+
+Il semble qu’à languir tes désirs sont contents,
+
+Et que tu n’as pour but que de perdre ton temps.
+
+Quel fruit espères-tu de ta persévérance
+
+À la traiter toujours avec indifférence ?
+
+Auprès d’elle assidu, sans lui parler d’amour,
+
+Veux-tu qu’elle commence à te faire la cour ?
+
+
+
+Non ; mais, à dire vrai, je veux qu’elle devine.
+
+
+
+Ton espoir qui te flatte en vain se l’imagine :
+
+Clarice avec raison prend pour stupidité
+
+Ce ridicule effet de ta timidité.
+
+
+
+Peut-être. Mais enfin vois-tu qu’elle me fuie,
+
+Qu’indifférent qu’il est, mon entretien l’ennuie,
+
+Que je lui sois à charge, et lorsque je la voi,
+
+Qu’elle use d’artifice à s’échapper de moi ?
+
+Sans te mettre en souci quelle en sera la suite,
+
+Apprends comme l’amour doit régler sa conduite.
+
+Aussitôt qu’une dame a charmé nos esprits,
+
+Offrir notre service au hasard d’un mépris,
+
+Et nous abandonnant à nos brusques saillies,
+
+Au lieu de notre ardeur lui montrer nos folies,
+
+Nous attirer sur l’heure un dédain éclatant,
+
+Il n’est si maladroit qui n’en fît bien autant.
+
+Il faut s’en faire aimer avant qu’on se déclare ;
+
+Notre submission à l’orgueil la prépare.
+
+Lui dire incontinent son pouvoir souverain,
+
+C’est mettre à sa rigueur les armes à la main.
+
+Usons, pour être aimés, d’un meilleur artifice,
+
+Et sans lui rien offrir, rendons-lui du service ;
+
+Réglons sur son humeur toutes nos actions,
+
+Réglons tous nos desseins sur ses intentions,
+
+Tant que par la douceur d’une longue hantise,
+
+Comme insensiblement elle se trouve prise.
+
+C’est par là que l’on sème aux dames des appas
+
+Qu’elles n’évitent point, ne les prévoyant pas.
+
+Leur haine envers l’amour pourrait être un prodige
+
+Que le seul nom les choque, et l’effet les oblige.
+
+
+
+Suive qui le voudra ce procédé nouveau :
+
+Mon feu me déplairait caché sous ce rideau.
+
+Ne parler point d’amour ! Pour moi, je me défie
+
+Des fantasques raisons de ta philosophie :
+
+Ce n’est pas là mon jeu. Le joli passe-temps
+
+D’être auprès d’une dame et causer du beau temps,
+
+Lui jurer que Paris est toujours plein de fange,
+
+Qu’un certain parfumeur vend de fort bonne eau d’ange,
+
+Qu’un cavalier regarde un autre de travers,
+
+Que dans la comédie on dit d’assez bons vers,
+
+Qu’Aglante avec Philis dans un mois se marie !
+
+Change, pauvre abusé, change de batterie,
+
+Conte ce qui te mène, et ne t’amuse pas
+
+À perdre innocemment tes discours et tes pas.
+
+
+
+Je les aurais perdus auprès de ma maîtresse,
+
+Si je n’eusse employé que la commune adresse,
+
+Puisqu’inégal de biens et de condition,
+
+Je ne pouvais prétendre à son affection.
+
+
+
+Mais si tu ne les perds, je le tiens à miracle,
+
+Puisqu’ainsi ton amour rencontre un double obstacle,
+
+Et que ton froid silence et l’inégalité
+
+S’opposent tout ensemble à ta témérité.
+
+
+
+Crois que de la façon dont j’ai su me conduire
+
+Mon silence n’est pas en état de me nuire :
+
+Mille petits devoirs ont tant parlé pour moi,
+
+Qu’il ne m’est plus permis de douter de sa foi.
+
+Mes soupirs et les siens font un secret langage
+
+Par où son cœur au mien à tous moments s’engage :
+
+Des coups d’œil languissants, des souris ajustés,
+
+Des penchements de tête à demi concertés,
+
+Et mille autres douceurs, aux seuls amants connues,
+
+Nous font voir chaque jour nos âmes toutes nues,
+
+Nous sont de bons garants d’un feu qui chaque jour…
+
+
+
+Tout cela, cependant, sans lui parler d’amour ?
+
+
+
+Sans lui parler d’amour. J’estime ta science ;
+
+Mais j’aurais à l’épreuve un peu d’impatience.
+
+
+
+Le ciel, qui nous choisit lui-même des partis,
+
+À tes feux et les miens prudemment assortis,
+
+Et comme à ces longueurs t’ayant fait indocile,
+
+Il te donne en ma sœur un naturel facile,
+
+Ainsi pour cette veuve il a su m’enflammer,
+
+Après m’avoir donné par où m’en faire aimer.
+
+
+
+Mais il lui faut enfin découvrir ton courage.
+
+
+
+C’est ce qu’en ma faveur sa nourrice ménage :
+
+Cette vieille subtile a mille inventions
+
+Pour m’avancer au but de mes intentions ;
+
+Elle m’avertira du temps que je dois prendre ;
+
+Le reste une autre fois se pourra mieux apprendre :
+
+Adieu. La confidence avec un bon ami
+
+Jamais sans l’offenser ne s’exerce à demi.
+
+
+
+Un intérêt d’amour me prescrit ces limites :
+
+Ma maîtresse m’attend pour faire des visites
+
+Où je lui promis hier de lui prêter la main.
+
+
+
+Adieu donc, cher Philiste. Adieu, jusqu’à demain.
+
+Vit-on jamais amant de pareille imprudence
+
+Faire avec son rival entière confidence ?
+
+Simple, apprends que ta sœur n’aura jamais de quoi
+
+Asservir sous ses lois des gens faits comme moi ;
+
+Qu’Alcidon feint pour elle, et brûle pour Clarice.
+
+Ton agente est à moi. N’est-il pas vrai, nourrice ?
+
+
+
+Tu le peux bien jurer. Et notre ami rival ?
+
+
+Si jamais on m’en croit, son affaire ira mal.
+
+
+
+Tu lui promets pourtant. C’est par où je l’amuse,
+
+Jusqu’à ce que l’effet lui découvre ma ruse.
+
+
+
+Je viens de le quitter. Eh bien ! que t’a-t-il dit ?
+
+Que tu veux employer pour lui tout ton crédit,
+
+Et que rendant toujours quelque petit service,
+
+Il s’est fait une entrée en l’âme de Clarice.
+
+
+
+Moindre qu’il ne présume. Et toi ? Je l’ai poussé
+
+À s’enhardir un peu plus que par le passé,
+
+Et découvrir son mal à celle qui le cause.
+
+
+
+Pourquoi ? Pour deux raisons : l’une, qu’il me propose
+
+Ce qu’il a dans le cœur beaucoup plus librement ;
+
+L’autre, que ta maîtresse après ce compliment,
+
+Le chassera peut-être ainsi qu’un téméraire.
+
+
+
+Ne l’enhardis pas tant ; j’aurais peur au contraire
+
+Que malgré tes raisons quelque mal ne t’en prît :
+
+Car enfin ce rival est bien dans son esprit,
+
+Mais non pas tellement qu’avant que le mois passe
+
+Notre adresse sous main ne le mette en disgrâce.
+
+
+
+Et lors ? Je te réponds de ce que tu chéris.
+
+Cependant continue à caresser Doris ;
+
+Que son frère, ébloui par cette accorte feinte,
+
+De nos prétentions n’ait ni soupçon, ni crainte.
+
+
+
+À m’en ouïr conter, l’amour de Céladon
+
+N’eut jamais rien d’égal à celui d’Alcidon :
+
+Tu rirais trop de voir comme je la cajole.
+
+
+
+Et la dupe qu’elle est croit tout sur ta parole ?
+
+
+
+Cette jeune étourdie est si folle de moi,
+
+Qu’elle prend chaque mot pour article de foi ;
+
+Et son frère, pipé du fard de mon langage,
+
+Qui croit que je soupire après son mariage,
+
+Pensant bien m’obliger, m’en parle tous les jours ;
+
+Mais quand il en vient là, je sais bien mes détours.
+
+Tantôt, vu l’amitié qui tous deux nous assemble,
+
+J’attendrai son hymen pour être heureux ensemble ;
+
+Tantôt il faut du temps pour le consentement
+
+D’un oncle dont j’espère un haut avancement ;
+
+Tantôt je sais trouver quelqu’autre bagatelle.
+
+
+
+Séparons-nous, de peur qu’il entrât en cervelle,
+
+S’il avait découvert un si long entretien.
+
+Joue aussi bien ton jeu que je jouerai le mien.
+
+
+
+Nourrice, ce n’est pas ainsi qu’on se sépare.
+
+
+
+Monsieur, vous me jugez d’un naturel avare.
+
+
+
+Tu veilleras pour moi d’un soin plus diligent.
+
+
+
+Ce sera donc pour vous plus que pour votre argent.
+
+C’est trop désavouer une si belle flamme,
+
+Qui n’a rien de honteux, rien de sujet au blâme :
+
+Confesse-le, ma fille, Alcidon a ton cœur ;
+
+Ses rares qualités l’en ont rendu vainqueur :
+
+Ne vous entr’appeler que "mon âme et ma vie",
+
+C’est montrer que tous deux vous n’avez qu’une envie,
+
+Et que d’un même trait vos esprits sont blessés.
+
+
+
+Madame, il n’en va pas ainsi que vous pensez.
+
+Mon frère aime Alcidon, et sa prière expresse
+
+M’oblige à lui répondre en termes de maîtresse.
+
+Je me fais, comme lui, souvent toute de feux ;
+
+Mais mon cœur se conserve, au point où je le veux,
+
+Toujours libre, et qui garde une amitié sincère
+
+À celui que voudra me prescrire une mère.
+
+
+
+Oui, pourvu qu’Alcidon te soit ainsi prescrit.
+
+
+
+Madame, pussiez-vous lire dans mon esprit !
+
+Vous verriez jusqu’où va ma pure obéissance.
+
+
+
+Ne crains pas que je veuille user de ma puissance ;
+
+Je croirais en produire un trop cruel effet,
+
+Si je te séparais d’un amant si parfait.
+
+
+
+Vous le connaissez mal ; son âme a deux visages,
+
+Et ce dissimulé n’est qu’un conteur à gages.
+
+Il a beau m’accabler de protestations,
+
+Je démêle aisément toutes ses fictions ;
+
+Il ne me prête rien que je ne lui renvoie :
+
+Nous nous entre-payons d’une même monnoie ;
+
+Et malgré nos discours, mon vertueux désir
+
+Attend toujours celui que vous voudrez choisir :
+
+Votre vouloir du mien absolument dispose.
+
+
+
+L’épreuve en fera foi ; mais parlons d’autre chose.
+
+Nous vîmes hier au bal, entre autres nouveautés,
+
+Tout plein d’honnêtes gens caresser les beautés.
+
+
+
+Oui, madame : Alindor en voulait à Célie,
+
+Lysandre à Célidée, Oronte à Rosélie.
+
+
+
+Et, nommant celles-ci, tu caches finement
+
+Qu’un certain t’entretint assez paisiblement.
+
+
+
+Ce visage inconnu qu’on appelait Florange ?
+
+
+
+Lui-même. Ah, Dieu ! que c’est un cajoleur étrange !
+
+Ce fut paisiblement, de vrai, qu’il m’entretint.
+
+Soit que quelque raison en secret le retînt,
+
+Soit que son bel esprit me jugeât incapable
+
+De lui pouvoir fournir un entretien sortable,
+
+Il m’épargna si bien, que ses plus longs propos
+
+À peine en plus d’une heure étaient de quatre mots ;
+
+Il me mena danser deux fois sans me rien dire.
+
+
+
+Mais ensuite ? La suite est digne qu’on l’admire.
+
+Mon baladin muet se retranche en un coin,
+
+Pour faire mieux jouer la prunelle de loin ;
+
+Après m’avoir de là longtemps considérée,
+
+Après m’avoir des yeux mille fois mesurée,
+
+Il m’aborde en tremblant, avec ce compliment :
+
+"Vous m’attirez à vous ainsi que fait l’aimant."
+
+(Il pensait m’avoir dit le meilleur mot du monde.)
+
+Entendant ce haut style, aussitôt je seconde,
+
+Et réponds brusquement, sans beaucoup m’émouvoir :
+
+"Vous êtes donc de fer, à ce que je puis voir."
+
+Ce grand mot étouffa tout ce qu’il voulait dire,
+
+Et pour toute réplique il se mit à sourire.
+
+Depuis il s’avisa de me serrer les doigts ;
+
+Et retrouvant un peu l’usage de la voix,
+
+Il prit un de mes gants : "La mode en est nouvelle,
+
+Me dit-il, et jamais je n’en vis de si belle ;
+
+Vous portez sur la gorge un mouchoir fort carré ;
+
+Votre éventail me plaît d’être ainsi bigarré ;
+
+L’amour, je vous assure, est une belle chose ;
+
+Vraiment vous aimez fort cette couleur de rose ;
+
+La ville est en hiver tout autre que les champs ;
+
+Les charges à présent n’ont que trop de marchands ;
+
+On n’en peut approcher." Mais enfin que t’en semble ?
+
+
+Je n’ai jamais connu d’homme qui lui ressemble,
+
+Ni qui mêle en discours tant de diversités.
+
+
+
+Il est nouveau venu des universités,
+
+Mais après tout fort riche, et que la mort d’un père,
+
+Sans deux successions que de plus il espère,
+
+Comble de tant de biens, qu’il n’est fille aujourd’hui
+
+Qui ne lui rie au nez, et n’ait dessein sur lui.
+
+
+
+Aussi me contez-vous de beaux traits de visage.
+
+
+
+Eh bien ! avec ces traits est-il à ton usage ?
+
+
+
+Je douterais plutôt si je serais au sien.
+
+
+
+Je sais qu’assurément il te veut force bien ;
+
+Mais il te le faudrait, en fille plus accorte,
+
+Recevoir désormais un peu d’une autre sorte.
+
+
+
+Commandez seulement, madame, et mon devoir
+
+Ne négligera rien qui soit en mon pouvoir.
+
+
+
+Ma fille, te voilà telle que je souhaite.
+
+Pour ne te rien celer, c’est chose qui vaut faite.
+
+Géron, qui depuis peu fait ici tant de tours,
+
+Au déçu d’un chacun a traité ces amours ;
+
+Et puisqu’à mes désirs je te vois résolue,
+
+Je veux qu’avant deux jours l’affaire soit conclue.
+
+Au regard d’Alcidon tu dois continuer,
+
+Et de ton beau semblant ne rien diminuer.
+
+Il faut jouer au fin contre un esprit si double.
+
+
+
+Mon frère en sa faveur vous donnera du trouble.
+
+
+
+Il n’est pas si mauvais que l’on n’en vienne à bout.
+
+
+
+Madame, avisez-y, je vous remets le tout.
+
+
+
+Rentre ; voici Géron, de qui la conférence
+
+Doit rompre, ou nous donner une entière assurance.
+
+Ils se sont vus enfin. Je l’avais déjà su,
+
+Madame, et les effets ne m’en ont point déçu,
+
+Du moins quant à Florange. Eh bien ! mais qu’est-ce encore ?
+
+Que dit-il de ma fille ? Ah ! madame, il l’adore !
+
+Il n’a point encor vu de miracles pareils :
+
+Ses yeux, à son avis, sont autant de soleils ;
+
+L’enflure de son sein un double petit monde ;
+
+C’est le seul ornement de la machine ronde.
+
+L’Amour à ses regards allume son flambeau,
+
+Et souvent pour la voir il ôte son bandeau ;
+
+Diane n’eut jamais une si belle taille ;
+
+Auprès d’elle Vénus ne serait rien qui vaille ;
+
+Ce ne sont rien que lis et roses que son teint ;
+
+Enfin de ses beautés il est si fort atteint…
+
+
+
+Atteint ? Ah ! mon ami, tant de badinerie
+
+Ne témoigne que trop qu’il en fait raillerie.
+
+
+
+Madame, je vous jure, il pèche innocemment,
+
+Et s’il savait mieux dire, il dirait autrement.
+
+C’est un homme tout neuf : que voulez-vous qu’il fasse ?
+
+Il dit ce qu’il a lu. Daignez juger, de grâce,
+
+Plus favorablement de son intention ;
+
+Et pour mieux vous montrer où va sa passion,
+
+Vous savez les deux points (mais aussi, je vous prie,
+
+Vous ne lui direz pas cette supercherie).
+
+
+
+Non, non. Vous savez donc les deux difficultés
+
+Qui jusqu’à maintenant vous tiennent arrêtés ?
+
+
+
+Il veut son avantage, et nous cherchons le nôtre.
+
+
+
+"Va, Géron, m’a-t-il dit ; et pour l’une et pour l’autre,
+
+Si par dextérité tu n’en peux rien tirer,
+
+Accorde tout plutôt que de plus différer.
+
+Doris est à mes yeux de tant d’attraits pourvue,
+
+Qu’il faut bien qu’il m’en coûte un peu pour l’avoir vue."
+
+Mais qu’en dit votre fille ? Elle suivra mon choix,
+
+Et montre une âme prête à recevoir mes lois ;
+
+Non qu’elle en fasse état plus que de bonne sorte :
+
+Il suffit qu’elle voit ce que le bien apporte,
+
+Et qu’elle s’accommode aux solides raisons
+
+Qui forment à présent les meilleures maisons.
+
+
+
+À ce compte, c’est fait. Quand vous plaît-il qu’il vienne
+
+Dégager ma parole, et vous donner la sienne ?
+
+
+
+Deux jours me suffiront, ménagés dextrement,
+
+Pour disposer mon fils à son contentement.
+
+Durant ce peu de temps, si son ardeur le presse,
+
+Il peut hors du logis rencontrer sa maîtresse.
+
+Assez d’occasions s’offrent aux amoureux.
+
+
+
+Madame, que d’un mot je vais le rendre heureux !
+
+
+
+
+Le bonheur aujourd’hui conduisait vos visites,
+
+Et semblait rendre hommage à vos rares mérites,
+
+Vous avez rencontré tout ce que vous cherchiez.
+
+
+
+Oui ; mais n’estimez pas qu’ainsi vous m’empêchiez
+
+De vous dire, à présent que nous faisons retraite,
+
+Combien de chez Daphnis je sors mal satisfaite.
+
+
+
+Madame, toutefois elle a fait son pouvoir,
+
+Du moins en apparence, à vous bien recevoir.
+
+
+
+Ne pensez pas aussi que je me plaigne d’elle.
+
+
+
+Sa compagnie était, ce me semble, assez belle.
+
+
+
+Que trop belle à mon goût, et, que je pense, au tien !
+
+Deux filles possédaient seules ton entretien ;
+
+Et leur orgueil, enflé par cette préférence,
+
+De ce qu’elles valaient tirait pleine assurance.
+
+
+
+Ce reproche obligeant me laisse tout surpris :
+
+Avec tant de beautés, et tant de bons esprits,
+
+Je ne valus jamais qu’on me trouvât à dire.
+
+
+
+Avec ces bons esprits je n’étais qu’en martyre ;
+
+Leur discours m’assassine, et n’a qu’un certain jeu
+
+Qui m’étourdit beaucoup, et qui me plaît fort peu.
+
+
+
+Celui que nous tenions me plaisait à merveilles.
+
+
+
+Tes yeux s’y plaisaient bien autant que tes oreilles.
+
+
+
+Je ne le puis nier, puisqu’en parlant de vous,
+
+Sur les vôtres mes yeux se portaient à tous coups,
+
+Et s’en allaient chercher sur un si beau visage
+
+Mille et mille raisons d’un éternel hommage.
+
+
+
+O la subtile ruse ! et l’excellent détour !
+
+Sans doute une des deux te donne de l’amour ;
+
+Mais tu le veux cacher. Que dites-vous, madame ?
+
+Un de ces deux objets captiverait mon âme !
+
+Jugez-en mieux, de grâce ; et croyez que mon cœur
+
+Choisirait pour se rendre un plus puissant vainqueur.
+
+
+
+Tu tranches du fâcheux. Bélinde et Chrysolite
+
+Manquent donc, à ton gré, d’attraits et de mérite,
+
+Elles dont les beautés captivent mille amants ?
+
+
+
+Tout autre trouverait leurs visages charmants,
+
+Et j’en ferais état, si le ciel m’eût fait naître
+
+D’un malheur assez grand pour ne vous pas connaître ;
+
+Mais l’honneur de vous voir, que vous me permettez,
+
+Fait que je n’y remarque aucunes raretés ;
+
+Et plein de votre idée, il ne m’est pas possible
+
+Ni d’admirer ailleurs, ni d’être ailleurs sensible.
+
+
+
+On ne m’éblouit pas à force de flatter :
+
+Revenons au propos que tu veux éviter.
+
+Je veux savoir des deux laquelle est ta maîtresse,
+
+Ne dissimule plus, Philiste, et me confesse…
+
+
+
+Que Chrysolite et l’autre, égales toutes deux,
+
+N’ont rien d’assez puissant pour attirer mes vœux.
+
+Si, blessé des regards de quelque beau visage,
+
+Mon cœur de sa franchise avait perdu l’usage…
+
+
+
+Tu serais assez fin pour bien cacher ton jeu.
+
+
+
+C’est ce qui ne se peut : l’amour est tout de feu,
+
+Il éclaire en brûlant, et se trahit soi-même.
+
+Un esprit amoureux, absent de ce qu’il aime,
+
+Par sa mauvaise humeur fait trop voir ce qu’il est ;
+
+Toujours morne, rêveur, triste tout lui déplaît ;
+
+À tout autre propos qu’à celui de sa flamme,
+
+Le silence à la bouche, et le chagrin en l’âme,
+
+Son œil semble à regret nous donner ses regards,
+
+Et les jette à la fois souvent de toutes parts,
+
+Qu’ainsi sa fonction confuse ou mal guidée
+
+Se ramène en soi-même, et ne voit qu’une idée ;
+
+Mais auprès de l’objet qui possède son cœur,
+
+Ses esprits ranimés reprennent leur vigueur :
+
+Gai, complaisant, actif… Enfin que veux-tu dire ?
+
+
+
+Que par ces actions que je viens de décrire,
+
+Vous, de qui j’ai l’honneur chaque jour d’approcher,
+
+Jugiez pour quel objet l’amour m’a su toucher.
+
+
+
+Pour faire un jugement d’une telle importance,
+
+Il faudrait plus de temps. Adieu ; la nuit s’avance.
+
+Te verra-t-on demain ? Madame, en doutez-vous ?
+
+Jamais commandements ne me furent si doux ;
+
+Loin de vous, je n’ai rien qu’avec plaisir je voie,
+
+Tout me devient fâcheux, tout s’oppose à ma joie :
+
+Un chagrin invincible accable tous mes sens.
+
+
+
+Si, comme tu le dis, dans le cœur des absents
+
+C’est l’amour qui fait naître une telle tristesse,
+
+Ce compliment n’est bon qu’auprès d’une maîtresse.
+
+
+
+Souffrez-le d’un respect qui produit chaque jour
+
+Pour un sujet si haut les effets de l’amour.
+
+
+
+Las ! il m’en dit assez, si je l’osais entendre,
+
+Et ses désirs aux miens se font assez comprendre ;
+
+Mais pour nous déclarer une si belle ardeur,
+
+L’un est muet de crainte, et l’autre de pudeur !
+
+Que mon rang me déplaît ! que mon trop de fortune,
+
+Au lieu de m’obliger, me choque et m’importune !
+
+Egale à mon Philiste, il m’offrirait ses vœux,
+
+Je m’entendrais nommer le sujet de ses feux,
+
+Et ses discours pourraient forcer ma modestie
+
+À l’assurer bientôt de notre sympathie ;
+
+Mais le peu de rapport de nos conditions
+
+Ote le nom d’amour à ses submissions ;
+
+Et sous l’injuste loi de cette retenue,
+
+Le remède me manque, et mon mal continue.
+
+Il me sert en esclave, et non pas en amant,
+
+Tant son respect s’oppose à mon contentement !
+
+Ah ! que ne devient-il un peu plus téméraire !
+
+Que ne s’expose-t-il au hasard de me plaire !
+
+Amour, gagne à la fin ce respect ennuyeux,
+
+Et rends-le moins timide, ou l’ôte de mes yeux.
+
+Mais j’aperçois Clarice. O dieux ! si cette belle
+
+Parlait autant de moi que je m’entretiens d’elle !
+
+Du moins si sa nourrice a soin de nos amours,
+
+C’est de moi qu’à présent doit être leur discours.
+
+Une humeur curieuse avec chaleur m’emporte
+
+À me couler sans bruit derrière cette porte,
+
+Pour écouter de là, sans en être aperçu,
+
+En quoi mon fol espoir me peut avoir déçu.
+
+Allons. Souvent l’amour ne veut qu’une bonne heure ;
+
+Jamais l’occasion ne s’offrira meilleure,
+
+Et peut-être qu’enfin nous en pourrons tirer
+
+Celle que nous cherchons pour nous mieux déclarer.
+
+
+
+
+Tu me veux détourner d’une seconde flamme,
+
+Dont je ne pense pas qu’autre que toi me blâme.
+
+Etre veuve à mon âge, et toujours déplorer
+
+La perte d’un mari que je puis réparer !
+
+Refuser d’un amant ce doux nom de maîtresse !
+
+N’avoir que des mépris pour les vœux qu’il m’adresse !
+
+Le voir toujours languir dessous ma dure loi !
+
+Cette vertu, nourrice, est trop haute pour moi.
+
+
+
+Madame, mon avis au vôtre ne résiste
+
+Qu’alors que votre ardeur se porte vers Philiste.
+
+Aimez, aimez quelqu’un ; mais comme à l’autre fois
+
+Qu’un lieu digne de vous arrête votre choix.
+
+
+
+Brise là ce discours dont mon amour s’irrite ;
+
+Philiste n’en voit point qui le passe en mérite.
+
+
+
+Je ne remarque en lui rien que de fort commun,
+
+Sinon que plus qu’un autre il se rend importun.
+
+
+
+Que ton aveuglement en ce point est extrême !
+
+Et que tu connais mal et Philiste et moi-même,
+
+Si tu crois que l’excès de sa civilité
+
+Passe jamais chez moi pour importunité !
+
+
+
+Ce cajoleur rusé, qui toujours vous assiège,
+
+A tant fait qu’à la fin vous tombez dans son piège.
+
+
+
+Ce cavalier parfait, de qui je tiens le cœur,
+
+A tant fait que du mien il s’est rendu vainqueur.
+
+
+
+Il aime votre bien, et non votre personne.
+
+
+
+Son vertueux amour l’un et l’autre lui donne :
+
+Ce m’est trop d’heur encor, dans le peu que je vaux,
+
+Qu’un peu de bien que j’ai supplée à mes défauts.
+
+
+
+La mémoire d’Alcandre, et le rang qu’il vous laisse,
+
+Voudraient un successeur de plus haute noblesse.
+
+
+
+S’il précéda Philiste en vaines dignités,
+
+Philiste le devance en rares qualités ;
+
+Il est né gentilhomme, et sa vertu répare
+
+Tout ce dont la fortune envers lui fut avare :
+
+Nous avons, elle et moi, trop de quoi l’agrandir.
+
+
+
+Si vous pouviez, madame, un peu vous refroidir
+
+Pour le considérer avec indifférence,
+
+Sans prendre pour mérite une fausse apparence,
+
+La raison ferait voir à vos yeux insensés
+
+Que Philiste n’est pas tout ce que vous pensez.
+
+Croyez-m’en plus que vous ; j’ai vieilli dans le monde,
+
+J’ai de l’expérience, et c’est où je me fonde ;
+
+Eloignez quelque temps ce dangereux charmeur,
+
+Faites en son absence essai d’une autre humeur ;
+
+Pratiquez-en quelque autre, et désintéressée,
+
+Comparez-lui l’objet dont vous êtes blessée ;
+
+Comparez-en l’esprit, la façon, l’entretien,
+
+Et lors vous trouverez qu’un autre le vaut bien.
+
+
+
+Exercer contre moi de si noirs artifices !
+
+Donner à mon amour de si cruels supplices !
+
+Trahir tous mes désirs ! éteindre un feu si beau !
+
+Qu’on m’enferme plutôt toute vive au tombeau.
+
+Fais venir cet amant : dussé-je la première
+
+Lui faire de mon cœur une ouverture entière,
+
+Je ne permettrai point qu’il sorte d’avec moi
+
+Sans avoir l’un à l’autre engagé notre foi.
+
+
+
+Ne précipitez point ce que le temps ménage :
+
+Vous pourrez à loisir éprouver son courage.
+
+
+
+Ne m’importune plus de tes conseils maudits,
+
+Et sans me répliquer fais ce que je te dis.
+
+Je te ferai cracher cette langue traîtresse.
+
+Est-ce ainsi qu’on me sert auprès de ma maîtresse,
+
+Détestable sorcière ? Eh bien ! quoi ? qu’ai-je fait ?
+
+
+
+Et tu doutes encor si j’ai vu ton forfait ?
+
+
+
+Quel forfait ? Peut-on voir lâcheté plus hardie ?
+
+Joindre encor l’impudence à tant de perfidie !
+
+
+
+Tenir ce qu’on promet, est-ce une trahison ?
+
+
+
+Est-ce ainsi qu’on le tient ? Parlons avec raison ;
+
+Que t’avais-je promis ? Que de tout ton possible
+
+Tu rendrais ta maîtresse à mes désirs sensible,
+
+Et la disposerais à recevoir mes vœux.
+
+
+
+Et ne la vois-tu pas au point où tu la veux ?
+
+
+
+Malgré toi mon bonheur à ce point l’a réduite.
+
+
+
+Mais tu dois ce bonheur à ma sage conduite,
+
+Jeune et simple novice en matière d’amour,
+
+Qui ne saurais comprendre encore un si bon tour.
+
+Flatter de nos discours les passions des dames,
+
+C’est aider lâchement à leurs naissantes flammes ;
+
+C’est traiter lourdement un délicat effet ;
+
+C’est n’y savoir enfin que ce que chacun sait :
+
+Moi, qui de ce métier ai la haute science,
+
+Et qui pour te servir brûle d’impatience,
+
+Par un chemin plus court qu’un propos complaisant,
+
+J’ai su croître sa flamme en la contredisant ;
+
+J’ai su faire éclater, mais avec violence,
+
+Un amour étouffé sous un honteux silence,
+
+Et n’ai pas tant choqué que piqué ses désirs,
+
+Dont la soif irritée avance tes plaisirs.
+
+
+
+À croire ton babil, la ruse est merveilleuse,
+
+Mais l’épreuve, à mon goût, en est fort périlleuse.
+
+
+
+Jamais il ne s’est vu de tours plus assurés.
+
+La raison et l’amour sont ennemis jurés ;
+
+Et lorsque ce dernier dans un esprit commande,
+
+Il ne peut endurer que l’autre le gourmande :
+
+Plus la raison l’attaque, et plus il se roidit ;
+
+Plus elle l’intimide, et plus il s’enhardit.
+
+Je le dis sans besoin, vos yeux et vos oreilles
+
+Sont de trop bons témoins de toutes ces merveilles ;
+
+Vous-même avez tout vu, que voulez-vous de plus ?
+
+Entrez, on vous attend ; ces discours superflus
+
+Reculent votre bien, et font languir Clarice.
+
+Allez, allez cueillir les fruits de mon service ;
+
+Usez bien de votre heur et de l’occasion.
+
+
+
+Soit une vérité, soit une illusion
+
+Que ton esprit adroit emploie à ta défense,
+
+Le mien de tes discours plus outre ne s’offense,
+
+Et j’en estimerai mon bonheur plus parfait,
+
+Si d’un mauvais dessein je tire un bon effet.
+
+
+
+Que de propos perdus ! Voyez l’impatiente
+
+Qui ne peut plus souffrir une si longue attente.
+
+
+
+
+Paresseux, qui tardez si longtemps à venir,
+
+Devinez la façon dont je veux vous punir.
+
+
+
+M’interdiriez-vous bien l’honneur de votre vue ?
+
+
+
+Vraiment, vous me jugez de sens fort dépourvue :
+
+Vous bannir de mes yeux ! une si dure loi
+
+Ferait trop retomber le châtiment sur moi,
+
+Et je n’ai pas failli, pour me punir moi-même.
+
+
+
+L’absence ne fait mal que de ceux que l’on aime.
+
+
+
+Aussi, que savez-vous si vos perfections
+
+Ne vous ont rien acquis sur mes affections ?
+
+
+
+Madame, excusez-moi, je sais mieux reconnaître
+
+Mes défauts, et le peu que le ciel m’a fait naître.
+
+
+
+N’oublierez-vous jamais ces termes ravalés,
+
+Pour vous priser de bouche autant que vous valez ?
+
+Seriez-vous bien content qu’on crût ce que vous dites ?
+
+Demeurez avec moi d’accord de vos mérites ;
+
+Laissez-moi me flatter de cette vanité,
+
+Que j’ai quelque pouvoir sur votre liberté,
+
+Et qu’une humeur si froide, à toute autre invincible,
+
+Ne perd qu’auprès de moi le titre d’insensible :
+
+Une si douce erreur tâche à s’autoriser ;
+
+Quel plaisir prenez-vous à m’en désabuser ?
+
+
+
+Ce n’est point une erreur ; pardonnez-moi, madame,
+
+Ce sont les mouvements les plus sains de mon âme.
+
+Il est vrai, je vous aime, et mes feux indiscrets
+
+Se donnent leur supplice en demeurant secrets.
+
+Je reçois sans contrainte une ardeur téméraire ;
+
+Mais si j’ose brûler, je sais aussi me taire ;
+
+Et près de votre objet, mon unique vainqueur,
+
+Je puis tout sur ma langue, et rien dessus mon cœur.
+
+En vain j’avais appris que la seule espérance
+
+Entretenait l’amour dans la persévérance,
+
+J’aime sans espérer ; et mon cœur enflammé
+
+A pour but de vous plaire, et non pas d’être aimé.
+
+L’amour devient servile, alors qu’il se dispense
+
+À n’allumer ses feux que pour la récompense.
+
+Ma flamme est toute pure, et sans rien présumer,
+
+Je ne cherche en aimant que le seul bien d’aimer.
+
+
+
+Et celui d’être aimé, sans que tu le prétendes,
+
+Préviendra tes désirs et tes justes demandes.
+
+Ne déguisons plus rien, cher Philiste : il est temps
+
+Qu’un aveu mutuel rende nos vœux contents.
+
+Donnons-leur, je te prie, une entière assurance,
+
+Vengeons-nous à loisir de notre indifférence,
+
+Vengeons-nous à loisir de toutes ces langueurs
+
+Où sa fausse couleur avait réduit nos cœurs.
+
+
+
+Vous me jouez, madame, et cette accorte feinte
+
+Ne donne à mon amour qu’une railleuse atteinte.
+
+
+
+Quelle façon étrange ! En me voyant brûler,
+
+Tu t’obstines encore à le dissimuler ;
+
+Tu veux qu’encore un coup je me donne la honte
+
+De te dire à quel point l’amour pour toi me dompte :
+
+Tu le vois cependant avec pleine clarté,
+
+Et veux douter encor de cette vérité ?
+
+
+
+Oui, j’en doute, et l’excès du bonheur qui m’accable
+
+Me surprend, me confond, me paraît incroyable.
+
+Madame, est-il possible ? et me puis-je assurer
+
+D’un bien à quoi mes vœux n’oseraient aspirer ?
+
+
+
+Cesse de me tuer par cette défiance.
+
+Qui pourrait des mortels troubler notre alliance ?
+
+Quelqu’un a-t-il à voir dessus mes actions,
+
+Dont j’aie à prendre l’ordre en mes affections ?
+
+Veuve, et qui ne dois plus de respect à personne,
+
+Ne puis-je disposer de ce que je te donne ?
+
+
+
+N’ayant jamais été digne d’un tel honneur,
+
+J’ai de la peine encore à croire mon bonheur.
+
+
+
+Pour t’obliger enfin à changer de langage,
+
+Si ma foi ne suffit que je te donne en gage,
+
+Un bracelet exprès tissu de mes cheveux,
+
+T’attend pour enchaîner et ton bras et tes vœux ;
+
+Viens le quérir, et prendre avec moi la journée
+
+Qui termine bientôt notre heureux hyménée.
+
+
+
+C’est dont vos seuls avis se doivent consulter :
+
+Trop heureux, quant à moi, de les exécuter !
+
+Vous comptez sans votre hôte, et vous pourrez apprendre
+
+Que ce n’est pas sans moi que ce jour se doit prendre.
+
+De vos prétentions Alcidon averti
+
+Vous fera, s’il m’en croit, un dangereux parti.
+
+Je lui vais bien donner de plus sûres adresses
+
+Que d’amuser Doris par de fausses caresses ;
+
+Aussi bien, m’a-t-on dit, à beau jeu beau retour :
+
+Au lieu de la duper avec ce feint amour,
+
+Elle-même le dupe, et lui rendant son change,
+
+Lui promet un amour qu’elle garde à Florange :
+
+Ainsi, de tous côtés primé par un rival,
+
+Ses affaires sans moi se porteraient fort mal.
+
+
+
+
+Adieu, mon cher souci ; sois sûre que mon âme
+
+Jusqu’au dernier soupir conservera sa flamme.
+
+
+
+Alcidon, cet adieu me prend au dépourvu.
+
+Tu ne fais que d’entrer ; à peine t’ai-je vu :
+
+C’est m’envier trop tôt le bien de ta présence.
+
+De grâce, oblige-moi d’un peu de complaisance,
+
+Et puisque je te tiens, souffre qu’avec loisir
+
+Je puisse m’en donner un peu plus de plaisir.
+
+
+
+Je t’explique si mal le feu qui me consume,
+
+Qu’il me force à rougir d’autant plus qu’il s’allume
+
+Mon discours s’en confond, j’en demeure interdit ;
+
+Ce que je ne puis dire est plus que je n’ai dit :
+
+J’en hais les vains efforts de ma langue grossière,
+
+Qui manquent de justesse en si belle matière,
+
+Et ne répondant point aux mouvements du cœur,
+
+Te découvrent si peu le fond de ma langueur.
+
+Doris, si tu pouvais lire dans ma pensée,
+
+Et voir jusqu’au milieu de mon âme blessée,
+
+Tu verrais un brasier bien autre et bien plus grand
+
+Qu’en ces faibles devoirs que ma bouche te rend.
+
+
+
+Si tu pouvais aussi pénétrer mon courage,
+
+Et voir jusqu’à quel point ma passion m’engage,
+
+Ce que dans mes discours tu prends pour des ardeurs
+
+Ne te semblerait plus que de tristes froideurs.
+
+Ton amour et le mien ont faute de paroles.
+
+Par un malheur égal ainsi tu me consoles ;
+
+Et de mille défauts me sentant accabler,
+
+Ce m’est trop d’heur qu’un d’eux me fait te ressembler.
+
+
+
+Mais quelque ressemblance entre nous qui survienne,
+
+Ta passion n’a rien qui ressemble à la mienne,
+
+Et tu ne m’aimes pas de la même façon.
+
+
+
+Si tu m’aimes encor, quitte un si faux soupçon ;
+
+Tu douterais à tort d’une chose trop claire ;
+
+L’épreuve fera foi comme j’aime à te plaire.
+
+Je meurs d’impatience, attendant l’heureux jour
+
+Qui te montre quel est envers toi mon amour ;
+
+Ma mère en ma faveur brûle de même envie.
+
+
+
+Hélas ! ma volonté sous un autre asservie,
+
+Dont je ne puis encore à mon gré disposer,
+
+Fais que d’un tel bonheur je ne saurais user.
+
+Je dépends d’un vieil oncle, et s’il ne m’autorise,
+
+Je ne te fais qu’en vain le don de ma franchise ;
+
+Tu sais que tout son bien ne regarde que moi,
+
+Et qu’attendant sa mort je vis dessous sa loi.
+
+Mais nous le gagnerons, et mon humeur accorte
+
+Sait comme il faut avoir les hommes de sa sorte :
+
+Un peu de temps fait tout. Ne précipite rien.
+
+Je connais ce qu’au monde aujourd’hui vaut le bien.
+
+Conserve ce vieillard ; pourquoi te mettre en peine,
+
+À force de m’aimer, de t’acquérir sa haine ?
+
+Ce qui te plaît m’agrée ; et ce retardement,
+
+Parce qu’il vient de toi, m’oblige infiniment.
+
+
+
+De moi ! C’est offenser une pure innocence.
+
+Si l’effet de mes vœux n’est pas en ma puissance,
+
+Leur obstacle me gêne autant ou plus que toi.
+
+
+
+C’est prendre mal mon sens ; je sais quelle est ta foi.
+
+
+
+En veux-tu par écrit une entière assurance ?
+
+
+
+Elle m’assure assez de ta persévérance ;
+
+Et je lui ferais tort d’en recevoir d’ailleurs
+
+Une preuve plus ample ou des garants meilleurs.
+
+
+
+Je l’apporte demain, pour mieux faire connaître…
+
+
+
+J’en crois si fortement ce que j’en vois paraître,
+
+Que c’est perdre du temps que de plus en parler.
+
+Adieu. Va désormais où tu voulais aller.
+
+Si pour te retenir j’ai trop peu de mérite,
+
+Souviens-toi pour le moins que c’est moi qui te quitte.
+
+
+
+Ce brusque adieu m’étonne et je n’entends pas bien…
+
+
+
+
+Je te prends au sortir d’un plaisant entretien.
+
+
+
+Plaisant, de vérité, vu que mon artifice
+
+Lui raconte les vœux que j’envoie à Clarice ;
+
+Et de tous mes soupirs, qui se portent plus loin,
+
+Elle se croit l’objet, et n’en est que témoin.
+
+
+
+Ainsi ton feu se joue ? Ainsi quand je soupire,
+
+Je la prends pour une autre, et lui dis mon martyre,
+
+Et sa réponse, au point que je puis souhaiter,
+
+Dans cette illusion a droit de me flatter.
+
+
+
+Elle t’aime ? Et de plus, un discours équivoque
+
+Lui fait aisément croire un amour réciproque.
+
+Elle se pense belle, et cette vanité
+
+L’assure imprudemment de ma captivité ;
+
+Et comme si j’étais des amants ordinaires,
+
+Elle prend sur mon cœur des droits imaginaires,
+
+Cependant que le sien sent tout ce que je feins,
+
+Et vit dans les langueurs dont à faux je me plains.
+
+
+
+Je te réponds que non. Si tu n’y mets remède,
+
+Avant qu’il soit trois jours Florange la possède.
+
+
+
+Et qui t’en a tant dit ? Géron m’a tout conté ;
+
+C’est lui qui sourdement a conduit ce traité.
+
+
+
+C’est ce qu’en mots obscurs son adieu voulait dire.
+
+Elle a cru me braver, mais je n’en fais que rire ;
+
+Et comme j’étais las de me contraindre tant,
+
+La coquette qu’elle est m’oblige en me quittant.
+
+Ne m’apprendras-tu point ce que fait ta maîtresse ?
+
+
+
+Elle met ton agente au bout de sa finesse.
+
+Philiste assurément tient son esprit charmé ;
+
+Je n’aurais jamais cru qu’elle l’eût tant aimé.
+
+
+
+C’est à faire à du temps. Quitte cette espérance :
+
+Ils ont pris l’un de l’autre une entière assurance,
+
+Jusqu’à s’entre-donner la parole et la foi.
+
+
+
+Que tu demeures froide en te moquant de moi !
+
+
+
+Il n’est rien de si vrai ; ce n’est point raillerie.
+
+
+
+C’est donc fait d’Alcidon ! Nourrice, je te prie…
+
+
+
+Rien ne sert de prier ; mon esprit épuisé
+
+Pour divertir ce coup n’est point assez rusé.
+
+Je n’en sais qu’un moyen, mais je ne l’ose dire.
+
+
+
+Dépêche, ta longueur m’est un second martyre.
+
+
+
+Clarice, tous les soirs, rêvant à ses amours,
+
+Seule dans son jardin fait trois ou quatre tours.
+
+
+
+Et qu’a cela de propre à reculer ma perte ?
+
+
+
+Je te puis en tenir la fausse porte ouverte.
+
+Aurais-tu du courage assez pour l’enlever ?
+
+
+
+Oui, mais il faut retraite après où me sauver ;
+
+Et je n’ai point d’ami si peu jaloux de gloire
+
+Que d’être partisan d’une action si noire.
+
+Si j’avais un prétexte, alors je ne dis pas
+
+Que quelqu’un abusé n’accompagnât mes pas.
+
+
+
+On te vole Doris, et ta feinte colère
+
+Manquerait de prétexte à quereller son frère !
+
+Fais-en sonner partout un faux ressentiment :
+
+Tu verras trop d’amis s’offrir aveuglément,
+
+Se prendre à ces dehors, et sans voir dans ton âme,
+
+Vouloir venger l’affront qu’aura reçu ta flamme.
+
+Sers-toi de leur erreur, et dupe-les si bien…
+
+
+
+Ce prétexte est si beau que je ne crains plus rien.
+
+
+
+Pour ôter tout soupçon de notre intelligence,
+
+Ne faisons plus ensemble aucune conférence,
+
+Et viens quand tu pourras ; je t’attends dès demain.
+
+
+
+Adieu. Je tiens le coup, autant vaut, dans ma main.
+
+
+
+
+Ce n’est pas que j’excuse ou la sœur, ou le frère,
+
+Dont l’infidélité fait naître ta colère ;
+
+Mais à ne point mentir, ton dessein à l’abord
+
+N’a gagné mon esprit qu’avec un peu d’effort.
+
+Lorsque tu m’as parlé d’enlever sa maîtresse,
+
+L’honneur a quelque temps combattu ma promesse :
+
+Ce mot d’enlèvement me faisait de l’horreur ;
+
+Mes sens, embarrassés dans cette vaine erreur,
+
+N’avaient plus la raison de leur intelligence.
+
+En plaignant ton malheur, je blâmais ta vengeance,
+
+Et l’ombre d’un forfait amusant ma pitié,
+
+Retardait les effets dus à notre amitié.
+
+Pardonne un vain scrupule à mon âme inquiète ;
+
+Prends mon bras pour second, mon château pour retraite.
+
+Le déloyal Philiste, en te volant ton bien,
+
+N’a que trop mérité qu’on le prive du sien :
+
+Après son action la tienne est légitime ;
+
+Et l’on venge sans honte un crime par un crime.
+
+
+
+Tu vois comme il me trompe, et me promet sa sœur,
+
+Pour en faire sous main Florange possesseur.
+
+Ah ciel ! fut-il jamais un si noir artifice ?
+
+Il lui fait recevoir mes offres de service ;
+
+Cette belle m’accepte, et fier de son aveu,
+
+Je me vante partout du bonheur de mon feu :
+
+Cependant il me l’ôte, et par cette pratique,
+
+Plus mon amour est su, plus ma honte est publique.
+
+
+
+Après sa trahison, vois ma fidélité ;
+
+Il t’enlève un objet que je t’avais quitté.
+
+Ta Doris fut toujours la reine de mon âme ;
+
+J’ai toujours eu pour elle une secrète flamme,
+
+Sans jamais témoigner que j’en étais épris,
+
+Tant que tes feux ont pu te promettre ce prix :
+
+Mais je te l’ai quittée, et non pas à Florange.
+
+Quand je t’aurai vengé, contre lui je me venge,
+
+Et je lui fais savoir que jusqu’à mon trépas,
+
+Tout autre qu’Alcidon ne l’emportera pas.
+
+
+
+Pour moi donc à ce point ta contrainte est venue !
+
+Que je te veux du mal de cette retenue !
+
+Est-ce ainsi qu’entre amis on vit à cœur ouvert ?
+
+
+
+Mon feu, qui t’offensait, est demeuré couvert ;
+
+Et si cette beauté malgré moi l’a fait naître,
+
+J’ai su pour ton respect l’empêcher de paraître.
+
+
+
+Hélas ! tu m’as perdu, me voulant obliger ;
+
+Notre vieille amitié m’en eût fait dégager.
+
+Je souffre maintenant la honte de sa perte,
+
+Et j’aurais eu l’honneur de te l’avoir offerte,
+
+De te l’avoir cédée, et réduit mes désirs
+
+Au glorieux dessein d’avancer tes plaisirs.
+
+Faites, dieux tout-puissants, que Philiste se change !
+
+Et l’inspirant bientôt de rompre avec Florange,
+
+Donnez-moi le moyen de montrer qu’à mon tour
+
+Je sais pour un ami contraindre mon amour.
+
+
+
+Tes souhaits arrivés, nous t’en verrions dédire ;
+
+Doris sur ton esprit reprendrait son empire :
+
+Nous donnons aisément ce qui n’est plus à nous.
+
+
+
+Si j’y manquais, grands dieux ! je vous conjure tous
+
+D’armer contre Alcidon vos dextres vengeresses.
+
+
+
+Un ami tel que toi m’est plus que cent maîtresses.
+
+Il n’y va pas de tant ; résolvons seulement
+
+Du jour et des moyens de cet enlèvement.
+
+
+
+Mon secret n’a besoin que de ton assistance.
+
+Je n’ai point lieu de craindre aucune résistance :
+
+La beauté dont mon traître adore les attraits
+
+Chaque soir au jardin va prendre un peu de frais ;
+
+J’en ai su de lui-même ouvrir la fausse porte ;
+
+Etant seule, et de nuit, le moindre effort l’emporte.
+
+Allons-y dès ce soir ; le plus tôt vaut le mieux ;
+
+Et surtout déguisés, dérobons à ses yeux,
+
+Et de nous, et du coup, l’entière connaissance.
+
+
+
+Si Clarice une fois est en notre puissance,
+
+Crois que c’est un bon gage à moyenner l’accord,
+
+Et rendre, en le faisant, ton parti le plus fort.
+
+Mais pour la sûreté d’une telle surprise,
+
+Aussitôt que chez moi nous pourrons l’avoir mise,
+
+Retournons sur nos pas, et soudain effaçons
+
+Ce que pourrait l’absence engendrer de soupçons.
+
+
+
+Ton salutaire avis est la même prudence ;
+
+Et déjà je prépare une froide impudence
+
+À m’informer demain, avec étonnement,
+
+De l’heure et de l’auteur de cet enlèvement.
+
+
+
+Adieu ; j’y vais mettre ordre. Estime qu’en revanche
+
+Je n’ai goutte de sang que pour toi je n’épanche.
+
+
+
+Bons dieux ! que d’innocence et de simplicité !
+
+Ou, pour la mieux nommer, que de stupidité,
+
+Dont le manque de sens se cache et se déguise
+
+Sous le front spécieux d’une sotte franchise !
+
+Que Célidan est bon ! que j’aime sa candeur !
+
+Et que son peu d’adresse oblige mon ardeur !
+
+Oh ! qu’il n’est pas de ceux dont l’esprit à la mode
+
+À l’humeur d’un ami jamais ne s’accommode,
+
+Et qui nous font souvent cent protestations,
+
+Et contre les effets ont mille inventions !
+
+Lui, quand il a promis, il meurt qu’il n’effectue,
+
+Et l’attente déjà de me servir le tue.
+
+J’admire cependant par quel secret ressort
+
+Sa fortune et la mienne ont cela de rapport,
+
+Que celle qu’un ami nomme ou tient sa maîtresse
+
+Est l’objet qui tous deux au fond du cœur nous blesse,
+
+Et qu’ayant comme moi caché sa passion,
+
+Nous n’avons différé que de l’intention,
+
+Puisqu’il met pour autrui son bonheur en arrière,
+
+Et pour moi… Je t’y prends, rêveur. Oui, par-derrière.
+
+C’est d’ordinaire ainsi que les traîtres en font.
+
+
+
+Je te vois accablé d’un chagrin si profond,
+
+Que j’excuse aisément ta réponse un peu crue.
+
+Mais que fais-tu si triste au milieu d’une rue ?
+
+Quelque penser fâcheux te servait d’entretien ?
+
+
+
+Je rêvais que le monde en l’âme ne vaut rien,
+
+Du moins pour la plupart ; que le siècle où nous sommes
+
+À bien dissimuler met la vertu des hommes ;
+
+Qu’à peine quatre mots se peuvent échapper
+
+Sans quelque double sens afin de nous tromper ;
+
+Et que souvent de bouche un dessein se propose,
+
+Cependant que l’esprit songe à toute autre chose.
+
+
+
+Et cela t’affligeait ? Laissons courir le temps,
+
+Et malgré ses abus, vivons toujours contents.
+
+Le monde est un chaos, et son désordre excède
+
+Tout ce qu’on y voudrait apporter de remède.
+
+N’ayons l’œil, cher ami, que sur nos actions.
+
+Aussi bien, s’offenser de ses corruptions,
+
+À des gens comme nous ce n’est qu’une folie.
+
+Mais, pour te retirer de ta mélancolie,
+
+Je te veux faire part de mes contentements.
+
+Si l’on peut en amour s’assurer aux serments,
+
+Dans trois jours au plus tard, par un bonheur étrange,
+
+Clarice est à Philiste. Et Doris, à Florange.
+
+
+
+Quelque soupçon frivole en ce point te déçoit ;
+
+J’aurai perdu la vie avant que cela soit.
+
+
+
+Voilà faire le fin de fort mauvaise grâce ;
+
+Philiste, vois-tu bien, je sais ce qui se passe.
+
+
+
+Ma mère en a reçu, de vrai, quelque propos,
+
+Et voulut hier au soir m’en toucher quelques mots.
+
+Les femmes de son âge ont ce mal ordinaire
+
+De régler sur les biens une pareille affaire :
+
+Un si honteux motif leur fait tout décider,
+
+Et l’or qui les aveugle a droit de les guider ;
+
+Mais comme son éclat n’éblouit point mon âme,
+
+Que je vois d’un autre œil ton mérite et ta flamme,
+
+Je lui fis bien savoir que mon consentement
+
+Ne dépendrait jamais de son aveuglement,
+
+Et que jusqu’au tombeau, quant à cet hyménée,
+
+Je maintiendrais la foi que je t’avais donnée.
+
+Ma sœur accortement feignait de l’écouter ;
+
+Non pas que son amour n’osât lui résister,
+
+Mais elle voulait bien qu’un peu de jalousie
+
+Sur quelque bruit léger piquât ta fantaisie :
+
+Ce petit aiguillon quelquefois, en passant,
+
+Réveille puissamment un amour languissant.
+
+
+
+Fais à qui tu voudras ce conte ridicule.
+
+Soit que ta sœur l’accepte, ou qu’elle dissimule
+
+Le peu que j’y perdrai ne vaut pas m’en fâcher.
+
+Rien de mes sentiments ne saurait approcher.
+
+Comme, alors qu’au théâtre on nous fait voir Mélite,
+
+Le discours de Chloris, quand Philandre la quitte :
+
+Ce qu’elle dit de lui, je le dis de ta sœur,
+
+Et je la veux traiter avec même douceur.
+
+Pourquoi m’aigrir contre elle ? En cet indigne change,
+
+Le beau choix qu’elle fait la punit et me venge ;
+
+Et ce sexe imparfait, de soi-même ennemi,
+
+Ne posséda jamais la raison qu’à demi.
+
+J’aurais tort de vouloir qu’elle en eût davantage ;
+
+Sa faiblesse la force à devenir volage.
+
+Je n’ai que pitié d’elle en ce manque de foi ;
+
+Et mon courroux entier se réserve pour toi,
+
+Toi qui trahis ma flamme après l’avoir fait naître,
+
+Toi qui ne m’es ami qu’afin d’être plus traître,
+
+Et que tes lâchetés tirent de leur excès,
+
+Par ce damnable appas, un facile succès.
+
+Déloyal ! ainsi donc de ta vaine promesse
+
+Je reçois mille affronts au lieu d’une maîtresse ;
+
+Et ton perfide cœur, masqué jusqu’à ce jour,
+
+Pour assouvir ta haine alluma mon amour !
+
+
+
+Ces soupçons dissipés par des effets contraires,
+
+Nous renoûrons bientôt une amitié de frères.
+
+Puisse dessus ma tête éclater à tes yeux
+
+Ce qu’a de plus mortel la colère des cieux,
+
+Si jamais ton rival a ma sœur sans ma vie
+
+À cause de son bien ma mère en meurt d’envie ;
+
+Mais malgré… Laisse là ces propos superflus :
+
+Ces protestations ne m’éblouissent plus ;
+
+Et ma simplicité, lasse d’être dupée,
+
+N’admet plus de raisons qu’au bout de mon épée.
+
+
+
+Etrange impression d’une jalouse erreur,
+
+Dont ton esprit atteint ne suit que sa fureur !
+
+Eh bien ! tu veux ma vie, et je te l’abandonne ;
+
+Ce courroux insensé qui dans ton cœur bouillonne,
+
+Contente-le par là, pousse ; mais n’attends pas
+
+Que par le tien je veuille éviter mon trépas.
+
+Trop heureux que mon sang puisse te satisfaire,
+
+Je le veux tout donner au seul bien de te plaire.
+
+Toujours à ces défis j’ai couru sans effroi ;
+
+Mais je n’ai point d’épée à tirer contre toi.
+
+
+
+Voilà bien déguiser un manque de courage.
+
+
+
+C’est presser un peu trop qu’aller jusqu’à l’outrage.
+
+On n’a point encor vu que ce manque de cœur
+
+M’ait rendu le dernier où vont les gens d’honneur.
+
+Je te veux bien ôter tout sujet de colère ;
+
+Et quoi que de ma sœur ait résolu ma mère,
+
+Dût mon peu de respect irriter tous les dieux,
+
+J’affronterai Géron et Florange à ses yeux.
+
+Mais après les efforts de cette déférence
+
+Si tu gardes encor la même violence,
+
+Peut-être saurons-nous apaiser autrement
+
+Les obstinations de ton emportement.
+
+Je crains son amitié plus que cette menace.
+
+Sans doute il va chasser Florange de ma place.
+
+Mon prétexte est perdu, s’il ne quitte ces soins.
+
+Dieux ! qu’il m’obligerait de m’aimer un peu moins !
+
+
+
+
+Je meure, mon enfant, si tu n’es a dmirable !
+
+Et ta dextérité me semble incomparable :
+
+Tu mérites de vivre après un si beau tour.
+
+
+
+Croyez-moi qu’Alcidon n’en sait guère en amour ;
+
+Vous n’eussiez pu m’entendre, et vous garder de rire.
+
+Je me tuais moi-même à tous coups de lui dire
+
+Que mon âme pour lui n’a que de la froideur,
+
+Et que je lui ressemble en ce que notre ardeur
+
+Ne s’explique à tous deux point du tout par la bouche,
+
+Enfin que je le quitte. Il est donc une souche,
+
+S’il ne peut rien comprendre à ces naïvetés.
+
+Peut-être y mêlais-tu quelques obscurités ?
+
+
+
+Pas une ; en mots exprès je lui rendais son change,
+
+Et n’ai couvert mon jeu qu’au regard de Florange.
+
+
+
+De Florange ? et comment en osais-tu parler ?
+
+
+
+Je ne me trouvais pas d’humeur à rien celer ;
+
+Mais nous nous sûmes lors jeter sur l’équivoque.
+
+
+
+Tu vaux trop. C’est ainsi qu’il faut, quand on se moque,
+
+Que le moqué toujours sorte fort satisfait ;
+
+Ce n’est plus autrement qu’un plaisir imparfait,
+
+Qui souvent malgré nous se termine en querelle.
+
+
+
+Je lui prépare encore une ruse nouvelle
+
+Pour la première fois qu’il m’en viendra conter.
+
+
+
+Mais, pour en dire trop, tu pourras tout gâter.
+
+
+
+N’en ayez pas de peur. Quoi que l’on se propose,
+
+Assez souvent l’issue… On vous veut quelque chose,
+
+Madame, je vous laisse. Oui, va-t’en ; il vaut mieux
+
+Que l’on ne traite point cette affaire à tes yeux.
+
+
+
+Je devine à peu près le sujet qui t’amène ;
+
+Mais, sans mentir, mon fils me donne un peu de peine,
+
+Et s’emporte si fort en faveur d’un ami,
+
+Que je n’ai su gagner son esprit qu’à demi.
+
+Encore une remise ; et que, tandis Florange
+
+Ne craigne aucunement qu’on lui donne le change ;
+
+Moi-même j’ai tant fait que ma fille aujourd’hui
+
+(Le croirais-tu, Géron ?) a de l’amour pour lui.
+
+
+
+Florange, impatient de n’avoir pas encore
+
+L’entier et libre accès vers l’objet qu’il adore,
+
+Ne pourra consentir à ce retardement.
+
+
+
+Le tout en ira mieux pour son contentement.
+
+Quel plaisir aura-t-il auprès de sa maîtresse,
+
+Si mon fils ne l’y voit que d’un œil de rudesse,
+
+Si sa mauvaise humeur ne daigne lui parler *,
+
+Ou ne lui parle enfin que pour le quereller ?
+
+
+
+Madame, il ne faut point tant de discours frivoles.
+
+Je ne fus jamais homme à porter des paroles,
+
+Depuis que j’ai connu qu’on ne les peut tenir.
+
+Si monsieur votre fils… Je l’aperçois venir.
+
+
+
+Tant mieux. Nous allons voir s’il dédira sa mère.
+
+
+
+Sauve-toi ; ses regards ne sont que de colère.
+
+
+
+
+Te voilà donc ici, peste du bien public,
+
+Qui réduis les amours en un sale trafic !
+
+Va pratiquer ailleurs tes commerces infâmes.
+
+Ce n’est pas où je suis que l’on surprend des femmes.
+
+
+
+Vous me prenez à tort pour quelque suborneur ;
+
+Je ne sortis jamais des termes de l’honneur ;
+
+Et madame elle-même a choisi cette voie.
+
+Tiens, porte ce revers à celui qui t’envoie ;
+
+Ceux-ci seront pour toi Mon fils, qu’avez-vous fait ?
+
+
+
+J’ai mis, grâces aux dieux, ma promesse en effet.
+
+
+
+Ainsi vous m’empêchez d’exécuter la mienne.
+
+
+
+Je ne puis empêcher que la vôtre ne tienne ;
+
+Mais si jamais je trouve ici ce courratier,
+
+Je lui saurai, madame, apprendre son métier.
+
+
+
+Il vient sous mon aveu. Votre aveu ne m’importe ;
+
+C’est un fou s’il me voit sans regagner la porte :
+
+Autrement, il saura ce que pèsent mes coups.
+
+
+
+Est-ce là le respect que j’attendais de vous ?
+
+
+
+Commandez que le cœur à vos yeux je m’arrache,
+
+Pourvu que mon honneur ne souffre aucune tache :
+
+Je suis prêt d’expier avec mille tourments
+
+Ce que je mets d’obstacle à vos contentements.
+
+
+
+Souffrez que la raison règle votre courage ;
+
+Considérez, mon fils, quel heur, quel avantage,
+
+L’affaire qui se traite apporte à votre sœur.
+
+Le bien est en ce siècle une grande douceur :
+
+Etant riche, on est tout ; ajoutez qu’elle-même
+
+N’aime point Alcidon, et ne croit pas qu’il l’aime.
+
+Quoi ! voulez-vous forcer son inclination ?
+
+
+
+Vous la forcez vous-même à cette élection :
+
+Je suis de ses amours le témoin oculaire.
+
+
+
+Elle se contraignait seulement pour vous plaire.
+
+
+
+Elle doit donc encor se contraindre pour moi.
+
+
+
+Et pourquoi lui prescrire une si dure loi ?
+
+
+
+Puisqu’elle m’a trompé, qu’elle en porte la peine.
+
+
+
+Voulez-vous l’attacher à l’objet de sa haine ?
+
+
+
+Je veux tenir parole à mes meilleurs amis,
+
+Et qu’elle tienne aussi ce qu’elle m’a promis.
+
+
+
+Mais elle ne vous doit aucune obéissance.
+
+
+
+Sa promesse me donne une entière puissance.
+
+
+
+Sa promesse, sans moi, ne la peut obliger.
+
+
+
+Que deviendra ma foi, qu’elle a fait engager ?
+
+
+
+Il la faut révoquer, comme elle sa promesse.
+
+
+
+Il faudrait donc, comme elle, avoir l’âme traîtresse.
+
+Lycas, cours chez Florange, et dis-lui de ma part…
+
+
+
+Quel violent esprit ! Que s’il ne se départ
+
+D’une place chez nous par surprise occupée,
+
+Je ne le trouve point sans une bonne épée.
+
+
+
+Attends un peu. Mon fils… Marche, mais promptement.
+
+Dieux ! que cet emporté me donne de tourment !
+
+Que je te plains, ma fille ! Hélas ! pour ta misère
+
+Les destins ennemis t’ont fait naître ce frère ;
+
+Déplorable, le ciel te veut favoriser
+
+D’une bonne fortune, et tu n’en peux user.
+
+Rejoignons toutes deux ce naturel sauvage,
+
+Et tâchons par nos pleurs d’amollir son courage.
+
+Tatatatatata tatatatata tar
+Tatatatatata tatatata tatar
+
+Depuis qu’en liberté notre amour m’en assure,
+
+Cocher, attends-nous là. D’où provient ce murmure ?
+
+
+
+Il est temps d’avancer ; baissons le tapabord,
+
+Moins nous ferons de bruit, moins il faudra d’effort.
+
+
+
+Aux voleurs ! au secours ! Quoi ! des voleurs, madame ?
+
+
+Oui, des voleurs, nourrice. Ah ! de frayeur je pâme.
+
+
+
+Laisse-moi, misérable ! Allons, il faut marcher,
+
+Madame ; vous viendrez. Aux vo… Touche, cocher.
+
+Sortons de pâmoison, reprenons la parole ;
+
+Il nous faut à grands cris jouer un autre rôle.
+
+Ou je n’y connais rien, ou j’ai bien pris mon temps :
+
+Ils n’en seront pas tous également contents ;
+
+Et Philiste demain, cette nouvelle sue,
+
+Sera de belle humeur, ou je suis fort déçue.
+
+Mais par où vont nos gens ? Voyons, qu’en sûreté
+
+Je fasse aller après par un autre côté.
+
+À présent il est temps que ma voix s’évertue.
+
+Aux armes ! aux voleurs ! on m’égorge, on me tue,
+
+On enlève Madame ! Amis, secourez-nous !
+
+À la force ! aux brigands ! au meurtre ! Accourez tous,
+
+Doraste, Polymas, Listor ! Qu’as-tu, nourrice ?
+
+
+
+Des voleurs… Qu’ont-ils fait ? Ils ont ravi Clarice.
+
+
+
+Comment ? ravi Clarice ? Oui. Suivez promptement.
+
+Bons dieux ! que j’ai reçu de coups en un moment !
+
+
+
+Suivons-les : mais dis-nous la route qu’ils ont prise.
+
+
+
+Ils vont tout droit par là. Le ciel vous favorise !
+
+Oh, qu’ils en vont abattre ! ils sont morts, c’en est fait ;
+
+Et leur sang, autant vaut, a lavé leur forfait.
+
+Pourvu que le bonheur à leurs souhaits réponde,
+
+Ils les rencontreront s’ils font le tour du monde.
+
+Quant à nous cependant subornons quelques pleurs
+
+Qui servent de témoins à nos fausses douleurs.
+
+
+
+
+Des voleurs cette nuit ont enlevé Clarice !
+
+Quelle preuve en as-tu ? quel témoin ? quel indice ?
+
+Ton rapport n’est fondé que sur quelque faux bruit.
+
+
+
+Je n’en suis par les yeux, hélas ! que trop instruit ;
+
+Les cris de sa nourrice en sa maison déserte
+
+M’ont trop suffisamment assuré de sa perte ;
+
+Seule en ce grand logis, elle court haut et bas,
+
+Elle renverse tout ce qui s’offre à ses pas,
+
+Et sur ceux qu’elle voit frappe sans reconnaître ;
+
+À peine devant elle oserait-on paraître :
+
+De furie elle écume, et fait sans cesse un bruit
+
+Que le désespoir forme, et que la rage suit ;
+
+Et parmi ses transports, son hurlement farouche
+
+Ne laisse distinguer que Clarice en sa bouche.
+
+
+
+Ne t’a-t-elle rien dit ? Soudain qu’elle m’a vu,
+
+Ces mots ont éclaté d’un transport imprévu :
+
+" Va lui dire qu’il perd sa maîtresse et la nôtre " ;
+
+Et puis incontinent, me prenant pour un autre,
+
+Elle m’allait traiter en auteur du forfait ;
+
+Mais ma fuite a rendu sa fureur sans effet.
+
+
+
+Elle nomme du moins celui qu’elle en soupçonne ?
+
+
+
+Ses confuses clameurs n’en accusent personne,
+
+Et même les voisins n’en savent que juger.
+
+
+
+Tu m’apprends seulement ce qui peut m’affliger,
+
+Traître, sans que je sache où, pour mon allégeance,
+
+Adresser ma poursuite et porter ma vengeance.
+
+Tu fais bien d’échapper ; dessus toi ma douleur,
+
+Faute d’un autre objet, eût vengé ce malheur :
+
+Malheur d’autant plus grand que sa source ignorée
+
+Ne laisse aucun espoir à mon âme éplorée,
+
+Ne laisse à ma douleur, qui va finir mes jours,
+
+Qu’une plainte inutile au lieu d’un prompt secours :
+
+Faible soulagement en un coup si funeste ;
+
+Mais il s’en faut servir, puisque seul il nous reste.
+
+Plains, Philiste, plains-toi, mais avec des accents
+
+Plus remplis de fureur qu’ils ne sont impuissants ;
+
+Fais qu’à force de cris poussés jusqu’en la nue,
+
+Ton mal soit plus connu que sa cause inconnue ;
+
+Fais que chacun le sache, et que par tes clameurs
+
+Clarice, où qu’elle soit, apprenne que tu meurs.
+
+Clarice, unique objet qui me tiens en servage,
+
+Reçois de mon ardeur ce dernier témoignage :
+
+Vois comme en te perdant je vais perdre le jour,
+
+Et par mon désespoir juge de mon amour.
+
+Hélas ! pour en juger, peut-être est-ce ta feinte
+
+Qui me porte à dessein cette cruelle atteinte,
+
+Et ton amour, qui doute encor de mes serments,
+
+Cherche à s’en assurer par mes ressentiments.
+
+Soupçonneuse beauté, contente ton envie,
+
+Et prends cette assurance aux dépens de ma vie.
+
+Si ton feu dure encor, par mes derniers soupirs
+
+Reçois ensemble et perds l’effet de tes désirs ;
+
+Alors ta flamme en vain pour Philiste allumée,
+
+Tu lui voudras du mal de t’avoir trop aimée ;
+
+Et sûre d’une foi que tu crains d’accepter,
+
+Tu pleureras en vain le bonheur d’en douter.
+
+Que ce penser flatteur me dérobe à moi-même !
+
+Quel charme à mon trépas de penser qu’elle m’aime !
+
+Et dans mon désespoir qu’il m’est doux d’espérer,
+
+Que ma mort, à son tour, la fera soupirer !
+
+Simple, qu’espères-tu ? Sa perte volontaire
+
+Ne veut que te punir d’un amour téméraire ;
+
+Ton déplaisir lui plaît, et tous autres tourments
+
+Lui sembleraient pour toi de légers châtiments.
+
+Elle en rit maintenant, cette belle inhumaine ;
+
+Elle pâme de joie au récit de ta peine,
+
+Et choisit pour objet de son affection
+
+Un amant plus sortable à sa condition.
+
+Pauvre désespéré, que ta raison s’égare !
+
+Et que tu traites mal une amitié si rare !
+
+Après tant de serments de n’aimer rien que toi,
+
+Tu la veux faire heureuse aux dépens de sa foi ;
+
+Tu veux seul avoir part à la douleur commune ;
+
+Tu veux seul te charger de toute l’infortune,
+
+Comme si tu pouvais en croissant tes malheurs
+
+Diminuer les siens, et l’ôter aux voleurs.
+
+N’en doute plus, Philiste, un ravisseur infâme
+
+A mis en son pouvoir la reine de ton âme,
+
+Et peut-être déjà ce corsaire effronté
+
+Triomphe insolemment de sa fidélité.
+
+Qu’à ce triste penser ma vigueur diminue !
+
+
+Mais voici de ses gens. Qu’est-elle devenue ?
+
+Amis, le savez-vous ? N’avez-vous rien trouvé
+
+Qui nous puisse éclaircir du malheur arrivé ?
+
+
+
+Nous avons fait, monsieur, une vaine poursuite.
+
+
+
+Du moins vous avez vu des marques de leur fuite.
+
+
+
+Si nous avions pu voir les traces de leurs pas,
+
+Des brigands ou de nous vous sauriez le trépas ;
+
+Mais, hélas ! quelque soin et quelque diligence…
+
+
+
+Ce sont là des effets de votre intelligence,
+
+Traîtres ; ces feints hélas ne sauraient m’abuser.
+
+
+
+Vous n’avez point, monsieur, de quoi nous accuser.
+
+
+
+Perfides, vous prêtez épaule à leur retraite,
+
+Et c’est ce qui vous fait me la tenir secrète.
+
+Mais voici… Vous fuyez ! vous avez beau courir,
+
+Il faut me ramener ma maîtresse, ou mourir.
+
+Cédons à sa fureur, évitons-en l’orage.
+
+Ne nous présentons plus aux transports de sa rage ;
+
+Mais plutôt derechef allons si bien chercher,
+
+Qu’il n’ait plus au retour sujet de se fâcher.
+
+Le voilà. Qui les ôte à ma juste colère ?
+
+Venez de vos forfaits recevoir le salaire,
+
+Infâmes scélérats, venez, qu’espérez-vous ?
+
+Votre fuite ne peut vous sauver de mes coups.
+
+Philiste, à la bonne heure, un miracle visible
+
+T’a rendu maintenant à l’honneur plus sensible,
+
+Puisqu’ainsi tu m’attends les armes à la main.
+
+J’admire avec plaisir ce changement soudain,
+
+Et vais… Ne pense pas ainsi… Laisse-nous faire ;
+
+C’est en homme de cœur qu’il me va satisfaire.
+
+Crains-tu d’être témoin d’une bonne action ?
+
+
+
+Dieux ! ce comble manquait à mon affliction.
+
+Que j’éprouve en mon sort une rigueur cruelle !
+
+Ma maîtresse perdue, un ami me querelle.
+
+
+
+Ta maîtresse perdue ! Hélas ! hier, des voleurs…
+
+
+
+Je n’en veux rien savoir, va le conter ailleurs ;
+
+Je ne prends point de part aux intérêts d’un traître ;
+
+Et puisqu’il est ainsi, le ciel fait bien connaître
+
+Que son juste courroux a soin de me venger.
+
+
+
+Quel plaisir, Alcidon, prends-tu de m’outrager ?
+
+Mon amitié se lasse, et ma fureur m’emporte ;
+
+Mon âme pour sortir ne cherche qu’une porte.
+
+Ne me presse donc plus dans un tel désespoir :
+
+J’ai déjà fait pour toi par-delà mon devoir.
+
+Te peux-tu plaindre encor de ta place usurpée ?
+
+J’ai renvoyé Géron à coups de plat d’épée ;
+
+J’ai menacé Florange, et rompu les accords
+
+Qui t’avaient su causer ces violents transports.
+
+
+
+Entre des cavaliers une offense reçue
+
+Ne se contente point d’une si lâche issue ;
+
+Va m’attendre… Arrêtez, je ne permettrai pas
+
+Qu’un si funeste mot termine vos débats.
+
+
+
+Faire ici du fendant tandis qu’on nous sépare,
+
+C’est montrer un esprit lâche autant que barbare.
+
+Adieu, mauvais, adieu : nous nous pourrons trouver ;
+
+Et si le cœur t’en dit, au lieu de tant braver,
+
+J’apprendrai seul à seul, dans peu, de tes nouvelles.
+
+Mon honneur souffrirait des taches éternelles
+
+À craindre encor de perdre une telle amitié.
+
+Mon cœur à ses douleurs s’attendrit de pitié ;
+
+Il montre une franchise ici trop naturelle,
+
+Pour ne te pas ôter tout sujet de querelle.
+
+L’affaire se traitait sans doute à son desçu,
+
+Et quelque faux soupçon en ce point t’a déçu.
+
+Va retrouver Doris, et rendons-lui Clarice.
+
+
+
+Tu te laisses donc prendre à ce lourd artifice,
+
+À ce piège, qu’il dresse afin de me duper ?
+
+
+
+Romprait-il ces accords à dessein de tromper ?
+
+Que vois-tu là qui sente une supercherie ?
+
+
+
+Je n’y vois qu’un effet de sa poltronnerie,
+
+Qu’un lâche désaveu de cette trahison,
+
+De peur d’être obligé de m’en faire raison.
+
+Je l’en pressai dès hier ; mais son peu de courage
+
+Aima mieux pratiquer ce rusé témoignage,
+
+Par où, m’éblouissant, il pût un de ces jours
+
+Renouer sourdement ces muettes amours.
+
+Il en donne en secret des avis à Florange :
+
+Tu ne le connais pas ; c’est un esprit étrange.
+
+
+
+Quelque étrange qu’il soit, si tu prends bien ton temps,
+
+Malgré lui tes désirs se trouveront contents.
+
+Ses offres acceptés, que rien ne se diffère ;
+
+Après un prompt hymen, tu le mets à pis faire.
+
+
+
+Cet ordre est infaillible à procurer mon bien ;
+
+Mais ton contentement m’est plus cher que le mien.
+
+Longtemps à mon sujet tes passions contraintes
+
+Ont souffert et caché leurs plus vives atteintes ;
+
+Il me faut à mon tour en faire autant pour toi :
+
+Hier devant tous les dieux je t’en donnai ma foi,
+
+Et pour la maintenir tout me sera possible.
+
+
+
+Ta perte en mon bonheur me serait trop sensible ;
+
+Et je m’en haïrais, si j’avais consenti
+
+Que mon hymen laissât Alcidon sans parti.
+
+
+
+Eh bien, pour t’arracher ce scrupule de l’âme
+
+(Quoique je n’eus jamais pour elle aucune flamme),
+
+J’épouserai Clarice. Ainsi, puisque mon sort
+
+Veut qu’à mes amitiés je fasse un tel effort,
+
+Que d’un de mes amis j’épouse la maîtresse,
+
+C’est là que par devoir il faut que je m’adresse.
+
+Philiste est un parjure, et moi ton obligé :
+
+Il m’a fait un affront, et tu m’en as vengé.
+
+Balancer un tel choix avec inquiétude,
+
+Ce serait me noircir de trop d’ingratitude.
+
+
+
+Mais te priver pour moi de ce que tu chéris !
+
+
+
+C’est faire mon devoir, te quittant ma Doris,
+
+Et me venger d’un traître, épousant sa Clarice.
+
+Mes discours ni mon cœur n’ont aucun artifice.
+
+Je vais, pour confirmer tout ce que je t’ai dit,
+
+Employer vers Doris mon reste de crédit :
+
+Si je la puis gagner, je te réponds du frère,
+
+Trop heureux à ce prix d’apaiser ma colère !
+
+
+
+C’est ainsi que tu veux m’obliger doublement.
+
+Vois ce que je pourrai pour ton contentement.
+
+
+
+L’affaire, à mon avis, deviendrait plus aisée,
+
+Si Clarice apprenait une mort supposée…
+
+
+
+De qui ? de son amant ? Va, tiens pour assuré
+
+Qu’elle croira dans peu ce perfide expiré.
+
+
+
+Quand elle en aura su la nouvelle funeste,
+
+Nous aurons moins de peine à la résoudre au reste.
+
+On a beau nous aimer, des pleurs sont tôt séchés
+
+Et les morts soudain mis au rang des vieux péchés.
+
+Il me cède à mon gré Doris de bon courage ;
+
+Et ce nouveau dessein d’un autre mariage,
+
+Pour être fait sur l’heure, et tout nonchalamment,
+
+Est conduit, ce me semble, assez accortement.
+
+Qu’il en sait de moyens ! qu’il a ses raisons prêtes !
+
+Et qu’il trouve à l’instant de prétextes honnêtes
+
+Pour ne point rapprocher de son premier amour !
+
+Plus j’y porte la vue, et moins j’y vois de jour.
+
+M’aurait-il bien caché le fond de sa pensée ?
+
+Oui, sans doute, Clarice a son âme blessée ;
+
+Il se venge en parole, et s’oblige en effet.
+
+On ne le voit que trop, rien ne le satisfait :
+
+Quand on lui rend Doris, il s’aigrit davantage.
+
+Je jouerais, à ce conte, un joli personnage !
+
+Il s’en faut éclaircir. Alcidon ruse en vain,
+
+Tandis que le succès est encore en ma main :
+
+Si mon soupçon est vrai, je lui ferai connaître
+
+Que je ne suis pas homme à seconder un traître.
+
+Ce n’est point avec moi qu’il faut faire le fin,
+
+Et qui me veut duper en doit craindre la fin.
+
+Il ne voulait que moi pour lui servir d’escorte,
+
+Et si je ne me trompe, il n’ouvrit point la porte ;
+
+Nous étions attendus, on secondait nos coups ;
+
+La nourrice parut en même temps que nous,
+
+Et se pâma soudain avec tant de justesse,
+
+Que cette pâmoison nous livra sa maîtresse.
+
+Qui lui pourrait un peu tirer les vers du nez,
+
+Que nous verrions demain des gens bien étonnés !
+
+Ah ! j’entends des soupirs. Destins ! C’est la nourrice ;
+
+Qu’elle vient à propos ! Ou rendez-moi Clarice…
+
+Il la faut aborder. Ou me donnez la mort.
+
+
+
+Qu’est-ce ? qu’as-tu, nourrice, à t’affliger si fort ?
+
+Quel funeste accident ? quelle perte arrivée ?
+
+Perfide ! c’est donc toi qui me l’as enlevée ?
+
+En quel lieu la tiens-tu ? dis-moi, qu’en as-tu fait ?
+
+
+
+Ta douleur sans raison m’impute ce forfait ;
+
+Car enfin je t’entends, tu cherches ta maîtresse ?
+
+
+
+Oui, je te la demande, âme double et traîtresse.
+
+
+
+Je n’ai point eu de part en cet enlèvement ;
+
+Mais je t’en dirai bien l’heureux événement.
+
+Il ne faut plus avoir un visage si triste,
+
+Elle est en bonne main. De qui ? De son Philiste.
+
+
+Le cœur me le disait, que ce rusé flatteur
+
+Devait être du coup le véritable auteur.
+
+
+
+Je ne dis pas cela, nourrice ; du contraire,
+
+Sa rencontre à Clarice était fort nécessaire.
+
+
+
+Quoi ! l’a-t-il délivrée ? Oui. Bons dieux ! Sa valeur
+
+Ote ensemble la vie, et Clarice au voleur.
+
+
+
+Vous ne parlez que d’un. L’autre ayant pris la fuite,
+
+Philiste a négligé d’en faire la poursuite.
+
+
+
+Leur carrosse roulant, comme est-il avenu…
+
+
+
+Tu m’en veux informer en vain par le menu.
+
+Peut-être un mauvais pas, une branche, une pierre,
+
+Fit verser leur carrosse, et les jeta par terre ;
+
+Et Philiste eut tant d’heur que de les rencontrer
+
+Comme eux et ta maîtresse étaient prêts d’y rentrer.
+
+
+
+Cette heureuse nouvelle a mon âme ravie.
+
+Mais le nom de celui qu’il a privé de vie ?
+
+
+
+C’est… je l’aurais nommé mille fois en un jour :
+
+Que ma mémoire ici me fait un mauvais tour !
+
+C’est un des bons amis que Philiste eût au monde.
+
+Rêve un peu comme moi, nourrice, et me seconde.
+
+
+Donnez-m’en quelque adresse. Il se termine en don.
+
+C’est… j’y suis ; peu s’en faut ; attends, c’est… Alcidon ?
+
+
+
+T’y voilà justement. Est-ce lui ? Quel dommage
+
+Qu’un brave gentilhomme en la fleur de son âge…
+
+Toutefois il n’a rien qu’il n’ait bien mérité,
+
+Et grâces aux bons dieux, son dessein avorté…
+
+Mais du moins, en mourant, il nomma son complice ?
+
+
+
+C’est là le pis pour toi. Pour moi ! Pour toi, nourrice.
+
+Ah ! le traître ! Sans doute il te voulait du mal.
+
+
+
+Et m’en pourrait-il faire ? Oui, son rapport fatal…
+
+
+
+Ne peut rien contenir que je ne le dénie.
+
+
+
+En effet, ce rapport n’est qu’une calomnie.
+
+Ecoute cependant : il a dit qu’à ton su
+
+Ce malheureux dessein avait été conçu ;
+
+Et que pour empêcher la fuite de Clarice,
+
+Ta feinte pâmoison lui fit un bon office ;
+
+Qu’il trouva le jardin par ton moyen ouvert.
+
+
+
+De quels damnables tours cet imposteur se sert !
+
+Non, monsieur ; à présent il faut que je le die !
+
+Le ciel ne vit jamais de telle perfidie.
+
+Ce traître aimait Clarice, et brûlant de ce feu,
+
+Il n’amusait Doris que pour couvrir son jeu ;
+
+Depuis près de six mois il a tâché sans cesse
+
+D’acheter ma faveur auprès de ma maîtresse ;
+
+Il n’a rien épargné qui fût en son pouvoir ;
+
+Mais me voyant toujours ferme dans le devoir,
+
+Et que pour moi ses dons n’avaient aucune amorce,
+
+Enfin il a voulu recourir à la force.
+
+Vous savez le surplus, vous voyez son effort
+
+À se venger de moi pour le moins en sa mort :
+
+Piqué de mes refus, il me fait criminelle,
+
+Et mon crime ne vient que d’être trop fidèle.
+
+Mais, monsieur, le croit-on ? N’en doute aucunement.
+
+Le bruit est qu’on t’apprête un rude châtiment.
+
+
+
+Las ! que me dites-vous ? Ta maîtresse en colère
+
+Jure que tes forfaits recevront leur salaire ;
+
+Surtout elle s’aigrit contre ta pâmoison.
+
+Si tu veux éviter une infâme prison,
+
+N’attends pas son retour. Où me vois-je réduite,
+
+Si mon salut dépend d’une soudaine fuite !
+
+Et mon esprit confus ne sait où l’adresser.
+
+
+
+J’ai pitié des malheurs qui te viennent presser :
+
+Nourrice, fais chez moi, si tu veux, ta retraite ;
+
+Autant qu’en lieu du monde elle y sera secrète.
+
+
+
+Oserais-je espérer que la compassion…
+
+
+
+Je prends ton innocence en ma protection.
+
+Va, ne perds point de temps : être ici davantage
+
+Ne pourrait à la fin tourner qu’à ton dommage.
+
+Je te suivrai de l’œil, et ne dis encor rien
+
+Comme après je saurai m’employer pour ton bien :
+
+Durant l’éloignement ta paix se pourra faire.
+
+
+
+Vous me serez, monsieur, comme un dieu tutélaire.
+
+
+
+Trêve, pour le présent, de ces remerciements ;
+
+Va, tu n’as pas loisir de tant de compliments.
+
+
+
+Voilà mon homme pris, et ma vieille attrapée.
+
+Vraiment un mauvais conte aisément l’a dupée :
+
+Je la croyais plus fine, et n’eusse pas pensé
+
+Qu’un discours sur-le-champ par hasard commencé,
+
+Dont la suite non plus n’allait qu’à l’aventure,
+
+Pût donner à son âme une telle torture,
+
+La jeter en désordre, et brouiller ses ressorts ;
+
+Mais la raison le veut, c’est l’effet des remords.
+
+Le cuisant souvenir d’une action méchante
+
+Soudain au moindre mot nous donne l’épouvante.
+
+Mettons-la cependant en lieu de sûreté,
+
+D’où nous ne craignions rien de sa subtilité ;
+
+Après, nous ferons voir qu’il me faut d’une affaire
+
+Ou du tout ne rien dire, ou du tout ne rien taire,
+
+Et que depuis qu’on joue à surprendre un ami,
+
+Un trompeur en moi trouve un trompeur et demi.
+
+
+
+C’est donc pour un ami que tu veux que mon âme
+
+Allume à ta prière une nouvelle flamme ?
+
+
+
+Oui, de tout mon pouvoir je t’en viens conjurer.
+
+
+
+À ce coup, Alcidon, voilà te déclarer.
+
+Ce compliment, fort beau pour des âmes glacées,
+
+M’est un aveu bien clair de tes feintes passées.
+
+
+
+Ne parle point de feinte ; il n’appartient qu’à toi
+
+D’être dissimulée, et de manquer de foi ;
+
+L’effet l’a trop montré. L’effet a dû t’apprendre,
+
+Quand on feint avec moi, que je sais bien le rendre.
+
+Mais je reviens à toi. Tu fais donc tant de bruit
+
+Afin qu’après un autre en recueille le fruit ;
+
+Et c’est à ce dessein que ta fausse colère
+
+Abuse insolemment de l’esprit de mon frère ?
+
+
+
+Ce qu’il a pris de part en mes ressentiments
+
+Apporte seul du trouble à tes contentements ;
+
+Et pour moi, qui vois trop ta haine par ce change
+
+Qui t’a fait sans raison me préférer Florange,
+
+Je n’ose plus t’offrir un service odieux.
+
+
+
+Tu ne fais pas tant mal. Mais pour faire encor mieux,
+
+Puisque tu reconnais ma véritable haine,
+
+De moi, ni de mon choix ne te mets point en peine.
+
+C’est trop manquer de sens : je te prie, est-ce à toi,
+
+À l’objet de ma haine, à disposer de moi ?
+
+
+
+Non ; mais puisque je vois à mon peu de mérite
+
+De ta possession l’espérance interdite,
+
+Je sentirais mon mal puissamment soulagé,
+
+Si du moins un ami m’en était obligé.
+
+Ce cavalier, au reste, a tous les avantages
+
+Que l’on peut remarquer aux plus braves courages,
+
+Beau de corps et d’esprit, riche, adroit, valeureux,
+
+Et surtout de Doris à l’extrême amoureux.
+
+
+
+Toutes ces qualités n’ont rien qui me déplaise ;
+
+Mais il en a de plus une autre fort mauvaise,
+
+C’est qu’il est ton ami ; cette seule raison
+
+Me le ferait haïr, si j’en savais le nom.
+
+
+
+Donc, pour le bien servir, il faut ici le taire ?
+
+
+
+Et de plus lui donner cet avis salutaire,
+
+Que s’il est vrai qu’il m’aime et qu’il veuille être aimé,
+
+Quand il m’entretiendra, tu ne sois point nommé ;
+
+Qu’il n’espère autrement de réponse que triste.
+
+J’ai dépit que le sang me lie avec Philiste,
+
+Et qu’ainsi malgré moi j’aime un de tes amis.
+
+
+
+Tu seras quelque jour d’un esprit plus remis.
+
+Adieu. Quoi qu’il en soit, souviens-toi, dédaigneuse,
+
+Que tu hais Alcidon qui te veut rendre heureuse.
+
+
+
+Va, je ne veux point d’heur qui parte de ta main.
+
+
+
+Qu’aux filles comme moi le sort est inhumain !
+
+Que leur condition se trouve déplorable !
+
+Une mère aveuglée, un frère inexorable,
+
+Chacun de son côté, prennent sur mon devoir
+
+Et sur mes volontés un absolu pouvoir.
+
+Chacun me veut forcer à suivre son caprice :
+
+L’un a ses amitiés, l’autre a son avarice.
+
+Ma mère veut Florange, et mon frère Alcidon.
+
+Dans leurs divisions mon cœur à l’abandon
+
+N’attend que leur accord pour souffrir et pour feindre.
+
+Je n’ose qu’espérer, et je ne sais que craindre,
+
+Ou plutôt je crains tout et je n’espère rien.
+
+Je n’ose fuir mon mal, ni rechercher mon bien.
+
+Dure sujétion ! étrange tyrannie !
+
+Toute liberté donc à mon choix se dénie !
+
+On ne laisse à mes yeux rien à dire à mon cœur,
+
+Et par force un amant n’a de moi que rigueur.
+
+Cependant il y va du reste de ma vie,
+
+Et je n’ose écouter tant soit peu mon envie.
+
+Il faut que mes désirs, toujours indifférents,
+
+Aillent sans résistance au gré de mes parents,
+
+Qui m’apprêtent peut-être un brutal, un sauvage :
+
+Et puis cela s’appelle une fille bien sage !
+
+Ciel, qui vois ma misère et qui fais les heureux,
+
+Prends pitié d’un devoir qui m’est si rigoureux !
+
+
+
+
+N’espérez pas, madame, avec cet artifice,
+
+Apprendre du forfait l’auteur ni le complice :
+
+Je chéris l’un et l’autre, et crois qu’il m’est permis
+
+De conserver l’honneur de mes plus chers amis.
+
+L’un, aveuglé d’amour, ne jugea point de blâme
+
+À ravir la beauté qui lui ravissait l’âme ;
+
+Et l’autre l’assista par importunité :
+
+C’est ce que vous saurez de leur témérité.
+
+
+
+Puisque vous le voulez, monsieur, je suis contente
+
+De voir qu’un bon succès a trompé leur attente ;
+
+Et me résolvant même à perdre à l’avenir,
+
+De toute ma douleur l’odieux souvenir,
+
+J’estime que la perte en sera plus aisée,
+
+Si j’ignore les noms de ceux qui l’ont causée.
+
+C’est assez que je sais qu’à votre heureux secours
+
+Je dois tout le bonheur du reste de mes jours.
+
+Philiste autant que moi vous en est redevable ;
+
+S’il a su mon malheur, il est inconsolable ;
+
+Et dans son désespoir sans doute qu’aujourd’hui
+
+Vous lui rendez la vie en me rendant à lui.
+
+Disposez du pouvoir et de l’un et de l’autre ;
+
+Ce que vous y verrez, tenez-le comme au vôtre ;
+
+Et souffrez cependant qu’on le puisse avertir
+
+Que nos maux en plaisirs se doivent convertir.
+
+La douleur trop longtemps règne sur son courage.
+
+
+
+C’est à moi qu’appartient l’honneur de ce message ;
+
+Mon secours sans cela, comme de nul effet,
+
+Ne vous aurait rendu qu’un service imparfait.
+
+
+
+Après avoir rompu les fers d’une captive,
+
+C’est tout de nouveau prendre une peine excessive,
+
+Et l’obligation que j’en vais vous avoir
+
+Met la revanche hors de mon peu de pouvoir.
+
+Ainsi dorénavant, quelque espoir qui me flatte,
+
+Il faudra malgré moi que j’en demeure ingrate.
+
+
+
+En quoi que mon service oblige votre amour,
+
+Vos seuls remerciements me mettent à retour.
+
+
+
+Qu’Alcidon maintenant soit de feu pour Clarice,
+
+Qu’il ait de son parti sa traîtresse nourrice,
+
+Que d’un ami trop simple il fasse un ravisseur,
+
+Qu’il querelle Philiste, et néglige sa sœur,
+
+Enfin qu’il aime, dupe, enlève, feigne, abuse,
+
+Je trouve mieux que lui mon compte dans sa ruse :
+
+Son artifice m’aide, et succède si bien,
+
+Qu’il me donne Doris, et ne lui laisse rien.
+
+Il semble n’enlever qu’à dessein que je rende,
+
+Et que Philiste après une faveur si grande
+
+N’ose me refuser celle dont ses transports
+
+Et ses faux mouvements font rompre les accords.
+
+Ne m’offre plus Doris, elle m’est toute acquise ;
+
+Je ne la veux devoir, traître, qu’à ma franchise ;
+
+Il suffit que ta ruse ait dégagé sa foi :
+
+Cesse tes compliments, je l’aurai bien sans toi.
+
+Mais pour voir ces effets allons trouver le frère :
+
+Notre heur s’accorde mal avecque sa misère,
+
+Et ne peut s’avancer qu’en lui disant le sien.
+
+
+
+
+Ah ! je cherchais une heure avec toi d’entretien ;
+
+Ta rencontre jamais ne fut plus opportune.
+
+
+
+En quel point as-tu mis l’état de ma fortune ?
+
+
+
+Tout va le mieux du monde. Il ne se pouvait pas
+
+Avec plus de succès supposer un trépas ;
+
+Clarice au désespoir croit Philiste sans vie.
+
+
+
+Et l’auteur de ce coup ? Celui qui l’a ravie,
+
+Un amant inconnu dont je lui fais parler.
+
+
+
+Elle a donc bien jeté des injures en l’air ?
+
+
+
+Cela s’en va sans dire. Ainsi rien ne l’apaise ?
+
+Si je te disais tout, tu mourrais de trop d’aise.
+
+
+
+Je n’en veux point qui porte une si dure loi.
+
+
+
+Dans ce grand désespoir elle parle de toi.
+
+
+
+Elle parle de moi ! "J’ai perdu ce que j’aime,
+
+Dit-elle ; mais du moins si cet autre lui-même,
+
+Son fidèle Alcidon, m’en consolait ici ! "
+
+
+
+Tout de bon ? Son esprit en paraît adouci.
+
+
+Je ne me pensais pas si fort dans sa mémoire.
+
+Mais non, cela n’est point, tu m’en donnes à croire.
+
+
+
+Tu peux, dans ce jour même, en voir la vérité.
+
+
+
+J’accepte le parti par curiosité.
+
+Dérobons-nous ce soir pour lui rendre visite.
+
+
+
+Tu verras à quel point elle met ton mérite.
+
+
+
+Si l’occasion s’offre, on peut la disposer,
+
+Mais comme sans dessein… J’entends, à t’épouser.
+
+
+Nous pourrons feindre alors que par ma diligence
+
+Le concierge, rendu de mon intelligence,
+
+Me donne un accès libre aux lieux de sa prison ;
+
+Que déjà quelque argent m’en a fait la raison,
+
+Et que, s’il en faut croire une juste espérance,
+
+Les pistoles dans peu feront sa délivrance,
+
+Pourvu qu’un prompt hymen succède à mes désirs.
+
+
+
+Que cette invention t’assure de plaisirs !
+
+Une subtilité si dextrement tissue
+
+Ne peut jamais avoir qu’une admirable issue.
+
+
+
+Mais l’exécution ne s’en doit pas surseoir.
+
+
+
+Ne diffère donc point. Je t’attends vers le soir ;
+
+N’y manque pas. Adieu. J’ai quelque affaire en ville.
+
+O l’excellent ami ! qu’il a l’esprit docile !
+
+Pouvais-je faire un choix plus commode pour moi ?
+
+Je trompe tout le monde avec sa bonne foi ;
+
+Et quant à sa Doris, si sa poursuite est vaine,
+
+C’est de quoi maintenant je ne suis guère en peine ;
+
+Puisque j’aurai mon compte, il m’importe fort peu
+
+Si la coquette agrée ou néglige son feu.
+
+Mais je ne songe pas que ma joie imprudente
+
+Laisse en perplexité ma chère confidente ;
+
+Avant que de partir, il faudra sur le tard
+
+De nos heureux succès lui faire quelque part.
+
+
+
+
+Je ne le puis celer, bien que j’y compatisse :
+
+Je trouve en ton malheur quelque peu de justice :
+
+Le ciel venge ta sœur ; ton fol emportement
+
+A rompu sa fortune, et chassé son amant,
+
+Et tu vois aussitôt la tienne renversée,
+
+Ta maîtresse par force en d’autres mains passée.
+
+Cependant Alcidon, que tu crois rappeler,
+
+Toujours de plus en plus s’obstine à quereller.
+
+
+
+Madame, c’est à vous que nous devons nous prendre
+
+De tous les déplaisirs qu’il nous en faut attendre.
+
+D’un si honteux affront le cuisant souvenir
+
+Eteint toute autre ardeur que celle de punir.
+
+Ainsi mon mauvais sort m’a bien ôté Clarice ;
+
+Mais du reste accusez votre seule avarice.
+
+Madame, nous perdons par votre aveuglement
+
+Votre fils, un ami ; votre fille, un amant.
+
+
+
+Otez ce nom d’amant : le fard de son langage
+
+Ne m’empêcha jamais de voir dans son courage ;
+
+Et nous étions tous deux semblables en ce point,
+
+Que nous feignions d’aimer ce que nous n’aimions point.
+
+
+
+Ce que vous n’aimiez point ! Jeune dissimulée,
+
+Fallait-il donc souffrir d’en être cajolée ?
+
+
+
+Il le fallait souffrir, ou vous désobliger.
+
+
+
+Dites qu’il vous fallait un esprit moins léger.
+
+
+
+Célidan vient d’entrer : fais un peu de silence,
+
+Et du moins à ses yeux cache ta violence.
+
+Eh bien ! que dit, que fait, notre amant irrité ?
+
+Persiste-t-il encor dans sa brutalité ?
+
+
+
+Quitte pour aujourd’hui le soin de tes querelles :
+
+J’ai bien à te conter de meilleures nouvelles.
+
+Les ravisseurs n’ont plus Clarice en leur pouvoir.
+
+
+
+Ami, que me dis-tu ? Ce que je viens de voir.
+
+
+
+Et de grâce, où voit-on le sujet que j’adore ?
+
+Dis-moi le lieu. Le lieu ne se dit pas encore.
+
+Celui qui te la rend te veut faire une loi…
+
+
+
+Après cette faveur, qu’il dispose de moi ;
+
+Mon possible est à lui. Donc, sous cette promesse,
+
+Tu peux dans son logis aller voir ta maîtresse :
+
+Ambassadeur exprès… Son feu précipité
+
+Lui fait faire envers vous une incivilité ;
+
+Vous la pardonnerez à cette ardeur trop forte
+
+Qui sans vous dire adieu, vers son objet l’emporte.
+
+
+
+C’est comme doit agir un véritable amour.
+
+Un feu moindre eût souffert quelque plus long séjour ;
+
+Et nous voyons assez par cette expérience
+
+Que le sien est égal à son impatience.
+
+Mais puisqu’ainsi le ciel rejoint ces deux amants,
+
+Et que tout se dispose à vos contentements,
+
+Pour m’avancer aux miens, oserais-je, madame
+
+Offrir à tant d’appas un cœur qui n’est que flamme,
+
+Un cœur sur qui ses yeux de tout temps absolus
+
+Ont imprimé des traits qui ne s’effacent plus ?
+
+J’ai cru par le passé qu’une ardeur mutuelle
+
+Unissait les esprits et d’Alcidon et d’elle,
+
+Et qu’en ce cavalier son désir arrêté
+
+Prendrait tous autres vœux pour importunité.
+
+Cette seule raison m’obligeant à me taire,
+
+Je trahissais mon feu de peur de lui déplaire ;
+
+Mais aujourd’hui qu’un autre en sa place reçu
+
+Me fait voir clairement combien j’étais déçu,
+
+Je ne condamne plus mon amour au silence,
+
+Et viens faire éclater toute sa violence.
+
+Souffrez que mes désirs, si longtemps retenus,
+
+Rendent à sa beauté des vœux qui lui sont dus ;
+
+Et du moins, par pitié d’un si cruel martyre,
+
+Permettez quelque espoir à ce cœur qui soupire.
+
+
+
+Votre amour pour Doris est un si grand bonheur
+
+Que je voudrais sur l’heure en accepter l’honneur ;
+
+Mais vous voyez le point où me réduit Philiste,
+
+Et comme son caprice à mes souhaits résiste.
+
+Trop chaud ami qu’il est, il s’emporte à tous coups
+
+Pour un fourbe insolent qui se moque de nous.
+
+Honteuse qu’il me force à manquer de promesse,
+
+Je n’ose vous donner une réponse expresse,
+
+Tant je crains de sa part un désordre nouveau.
+
+
+
+Vous me tuez, madame, et cachez le couteau :
+
+Sous ce détour discret un refus se colore.
+
+
+
+Non, monsieur, croyez-moi, votre offre nous honore.
+
+Aussi dans le refus j’aurais peu de raison :
+
+Je connais votre bien, je sais votre maison.
+
+Votre père jadis (hélas ! que cette histoire
+
+Encor sur mes vieux ans m’est douce en la mémoire !),
+
+Votre feu père, dis-je, eut de l’amour pour moi ;
+
+J’étais son cher objet ; et maintenant je voi
+
+Que comme par un droit successif de famille,
+
+L’amour qu’il eut pour moi, vous l’avez pour ma fille.
+
+S’il m’aimait, je l’aimais ; et les seules rigueurs
+
+De ses cruels parents divisèrent nos cœurs :
+
+On l’éloigna de moi par ce maudit usage
+
+Qui n’a d’égard qu’aux biens pour faire un mariage ;
+
+Et son père jamais ne souffrit son retour
+
+Que ma foi n’eût ailleurs engagé mon amour :
+
+En vain à cet hymen j’opposai ma constance ;
+
+La volonté des miens vainquit ma résistance.
+
+Mais je reviens à vous, en qui je vois portraits
+
+De ses perfections les plus aimables traits.
+
+Afin de vous ôter désormais toute crainte
+
+Que dessous mes discours se cache aucune feinte,
+
+Allons trouver Philiste, et vous verrez alors
+
+Comme en votre faveur je ferai mes efforts.
+
+
+
+Si de ce cher objet j’avais même assurance,
+
+Rien ne pourrait jamais troubler mon espérance.
+
+
+
+Je ne sais qu’obéir, et n’ai point de vouloir.
+
+
+
+Employer contre vous un absolu pouvoir !
+
+Ma flamme d’y penser se tiendrait criminelle.
+
+
+
+Je connais bien ma fille, et je vous réponds d’elle.
+
+Dépêchons seulement d’aller vers ces amants.
+
+
+
+Allons : mon heur dépend de vos commandements.
+
+
+
+
+Ma douleur, qui s’obstine à combattre ma joie,
+
+Pousse encor des soupirs, bien que je vous revoie ;
+
+Et l’excès des plaisirs qui me viennent charmer
+
+Mêle dans ces douceurs je ne sais quoi d’amer :
+
+Mon âme en est ensemble et ravie et confuse.
+
+D’un peu de lâcheté votre retour m’accuse,
+
+Et votre liberté me reproche aujourd’hui
+
+Que mon amour la doit à la pitié d’autrui.
+
+Elle me comble d’aise et m’accable de honte ;
+
+Celui qui vous la rend, en m’obligeant, m’affronte :
+
+Un coup si glorieux n’appartenait qu’à moi.
+
+
+
+Vois-tu dans mon esprit des doutes de ta foi ?
+
+Y vois-tu des soupçons qui blessent ton courage,
+
+Et dispensent ta bouche à ce fâcheux langage ?
+
+Ton amour et tes soins trompés par mon malheur,
+
+Ma prison inconnue a bravé ta valeur.
+
+Que t’importe à présent qu’un autre m’en délivre,
+
+Puisque c’est pour toi seul que Clarice veut vivre,
+
+Et que d’un tel orage en bonace réduit
+
+Célidan a la peine, et Philiste le fruit ?
+
+
+
+Mais vous ne dites pas que le point qui m’afflige,
+
+C’est la reconnaissance où l’honneur vous oblige :
+
+Il vous faut être ingrate, ou bien à l’avenir
+
+Lui garder en votre âme un peu de souvenir.
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+La mienne en est jalouse, et trouve ce partage,
+
+Quelque inégal qu’il soit, à son désavantage ;
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+Je ne puis le souffrir. Nos pensers à tous deux
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+Ne devraient, à mon gré, parler que de nos feux.
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+Tout autre objet que moi dans votre esprit me pique.
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+Ton humeur, à ce compte, est un peu tyrannique :
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+Penses-tu que je veuille un amant si jaloux ?
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+Je tâche d’imiter ce que je vois en vous ;
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+Mon esprit amoureux, qui vous tient pour sa reine,
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+Fait de vos actions sa règle souveraine.
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+Je ne puis endurer ces propos outrageux :
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+Où me vois-tu jalouse, afin d’être ombrageux ?
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+Quoi ! ne l’étiez-vous point l’autre jour qu’en visite
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+J’entretins quelque temps Bélinde et Chrysolite ?
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+Ne me reproche point l’excès de mon amour.
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+Mais permettez-moi donc cet excès à mon tour :
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+Est-il rien de plus juste, ou de plus équitable ?
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+Encor pour un jaloux tu seras fort traitable,
+
+Et n’es pas maladroit en ces doux entretiens,
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+D’accuser mes défauts pour excuser les tiens ;
+
+Par cette liberté tu me fais bien paraître
+
+Que tu crois que l’hymen t’ait déjà rendu maître,
+
+Puisque laissant les vœux et les submissions,
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+Tu me dis seulement mes imperfections.
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+Philiste, c’est douter trop peu de ta puissance,
+
+Et prendre avant le temps un peu trop de licence.
+
+Nous avions notre hymen à demain arrêté ;
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+Mais, pour te bien punir de cette liberté,
+
+De plus de quatre jours ne crois pas qu’il s’achève.
+
+
+
+Mais si durant ce temps quelque autre vous enlève,
+
+Avez-vous sûreté que, pour votre secours,
+
+Le même Célidan se rencontre toujours ?
+
+
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+Il faut savoir de lui s’il prendrait cette peine.
+
+Vois ta mère et ta sœur que vers nous il amène.
+
+Sa réponse rendra nos débats terminés.
+
+
+
+Ah ! mère, sœur, ami, que vous m’importunez !
+
+Je viens après mon fils vous rendre une assurance
+
+De la part que je prends en votre délivrance ;
+
+Et mon cœur tout à vous ne saurait endurer
+
+Que mes humbles devoirs osent se différer.
+
+N’usez point de ce mot vers celle dont l’envie
+
+Est de vous obéir le reste de sa vie,
+
+Que son retour rend moins à soi-même qu’à vous.
+
+Ce brave cavalier accepté pour époux,
+
+C’est à moi désormais, entrant dans sa famille,
+
+À vous rendre un devoir de servante et de fille ;
+
+Heureuse mille fois, si le peu que je vaux
+
+Ne vous empêche point d’excuser mes défauts,
+
+Et si votre bonté d’un tel choix se contente !
+
+Dans ce bien excessif, qui passe mon attente,
+
+Je soupçonne mes sens d’une infidélité,
+
+Tant ma raison s’oppose à ma crédulité.
+
+Surprise que je suis d’une telle merveille,
+
+Mon esprit tout confus doute encor si je veille ;
+
+Mon âme en est ravie, et ces ravissements
+
+M’ôtent la liberté de tous remerciements.
+
+Souffrez qu’en ce bonheur mon zèle m’enhardisse
+
+À vous offrir, madame, un fidèle service.
+
+Et moi, sans compliment qui vous farde mon cœur,
+
+Je vous offre et demande une amitié de sœur.
+
+Toi, sans qui mon malheur était inconsolable,
+
+Ma douleur sans espoir, ma perte irréparable,
+
+Qui m’as seul obligé plus que tous mes amis,
+
+Puisque je te dois tout, que je t’ai tout promis,
+
+Cesse de me tenir dedans l’incertitude :
+
+Dis-moi par où je puis sortir d’ingratitude ;
+
+Donne-moi le moyen, après un tel bienfait,
+
+De réduire pour toi ma parole en effet.
+
+S’il est vrai que ta flamme et celle de Clarice
+
+Doivent leur bonne issue à mon peu de service,
+
+Qu’un bon succès par moi réponde à tous vos vœux,
+
+J’ose t’en demander un pareil à mes feux.
+
+J’ose te demander, sous l’aveu de Madame,
+
+Ce digne et seul objet de ma secrète flamme,
+
+Cette sœur que j’adore, et qui pour faire un choix
+
+Attend de ton vouloir les favorables lois.
+
+Ta demande m’étonne ensemble et m’embarrasse :
+
+Sur ton meilleur ami tu brigues cette place,
+
+Et tu sais que ma foi la réserve pour lui.
+
+Si tu n’as entrepris de m’accabler d’ennui,
+
+Ne te fais point ingrat pour une âme si double.
+
+Mon esprit divisé de plus en plus se trouble ;
+
+Dispense-moi, de grâce, et songe qu’avant toi
+
+Ce bizarre Alcidon tient en gage ma foi.
+
+Si ton amour est grand, l’excuse t’est sensible ;
+
+Mais je ne t’ai promis que ce qui m’est possible ;
+
+Et cette foi donnée ôte de mon pouvoir
+
+Ce qu’à notre amitié je me sais trop devoir.
+
+Ne te ressouviens plus d’une vieille promesse ;
+
+Et juge, en regardant cette belle maîtresse,
+
+Si celui qui pour toi l’ôte à son ravisseur
+
+N’a pas bien mérité l’échange de ta sœur.
+
+Je ne saurais souffrir qu’en ma présence on die
+
+Qu’il doive m’acquérir par une perfidie ;
+
+Et pour un tel ami lui voir si peu de foi
+
+Me ferait redouter qu’il en eût moins pour moi.
+
+Mais Alcidon survient ; nous l’allons voir lui-même
+
+Contre un rival et vous disputer ce qu’il aime.
+
+Mon abord t’a surpris, tu changes de couleur ;
+
+Tu me croyais sans doute encor dans le malheur :
+
+Voici qui m’en délivre ; et n’était que Philiste
+
+À ses nouveaux desseins en ta faveur résiste,
+
+Cet ami si parfait qu’entre tous tu chéris
+
+T’aurait pour récompense enlevé ta Doris.
+
+
+
+Le désordre éclatant qu’on voit sur mon visage
+
+N’est que l’effet trop prompt d’une soudaine rage.
+
+Je forcène de voir que sur votre retour
+
+Ce traître assure ainsi ma perte et son amour.
+
+Perfide ! à mes dépens tu veux donc des maîtresses,
+
+Et mon honneur perdu te gagne leurs caresses ?
+
+Quoi ! j’ai su jusqu’ici cacher tes lâchetés,
+
+Et tu m’oses couvrir de ces indignités !
+
+Cesse de m’outrager, ou le respect des dames
+
+N’est plus pour contenir celui que tu diffames.
+
+Cher ami, ne crains rien, et demeure assuré
+
+Que je sais maintenir ce que je t’ai juré :
+
+Pour t’enlever ma sœur, il faut m’arracher l’âme.
+
+Non, non, il n’est plus temps de déguiser ma flamme.
+
+Il te faut, malgré moi, faire un honteux aveu
+
+Que si mon cœur brûlait, c’était d’un autre feu.
+
+Ami, ne cherche plus qui t’a ravi Clarice :
+
+Voici l’auteur du coup, et voilà le complice.
+
+Adieu. Ce mot lâché, je te suis en horreur.
+
+Eh bien ! rebelle, enfin sortiras-tu d’erreur ?
+
+Puisque son désespoir vous découvre un mystère
+
+Que ma discrétion vous avait voulu taire,
+
+C’est à moi de montrer quel était mon dessein.
+
+Il est vrai qu’en ce coup je lui prêtai la main :
+
+La peur que j’eus alors qu’après ma résistance
+
+Il ne trouvât ailleurs trop fidèle assistance…
+
+Quittons là ce discours, puisqu’en cette action
+
+La fin m’éclaircit trop de ton intention,
+
+Et ta sincérité se fait assez connaître.
+
+Je m’obstinais tantôt dans le parti d’un traître ;
+
+Mais au lieu d’affaiblir vers toi mon amitié,
+
+Un tel aveuglement te doit faire pitié.
+
+Plains-moi, plains mon malheur, plains mon trop de franchise,
+
+Qu’un ami déloyal a tellement surprise ;
+
+Vois par là comme j’aime, et ne te souviens plus
+
+Que j’ai voulu te faire un injuste refus.
+
+Fais, malgré mon erreur, que ton feu persévère ;
+
+Ne punis point la sœur de la faute du frère ;
+
+Et reçois de ma main celle que ton désir,
+
+Avant mon imprudence, avait daigné choisir.
+
+Une pareille erreur me rend toute confuse ;
+
+Mais ici mon amour me servira d’excuse ;
+
+Il serre nos esprits d’un trop étroit lien
+
+Pour permettre à mon sens de s’éloigner du sien.
+
+
+
+Si vous croyez encor que cette erreur me touche,
+
+Un mot me satisfait de cette belle bouche ;
+
+Mais, hélas ! quel espoir ose rien présumer,
+
+Quand on n’a pu servir, et qu’on n’a fait qu’aimer ?
+
+
+
+Réunir les esprits d’une mère et d’un frère,
+
+Du choix qu’ils m’avaient fait avoir su me défaire,
+
+M’arracher à Florange et m’ôter Alcidon,
+
+Et d’un cœur généreux me faire l’heureux don,
+
+C’est avoir su me rendre un assez grand service
+
+Pour espérer beaucoup avec quelque justice.
+
+Et, puisqu’on me l’ordonne, on peut vous assurer
+
+Qu’alors que j’obéis, c’est sans en murmurer.
+
+
+
+À ces mots enchanteurs tout mon cœur se déploie,
+
+Et s’ouvre tout entier à l’excès de ma joie.
+
+
+
+Que la mienne est extrême ! et que sur mes vieux ans
+
+Le favorable ciel me fait de doux présents !
+
+Qu’il conduit mon bonheur par un ressort étrange !
+
+Qu’à propos sa faveur m’a fait perdre Florange !
+
+Puisse-t-elle, pour comble, accorder à mes vœux
+
+Qu’une éternelle paix suive de si beaux nœuds,
+
+Et rendre par les fruits de ce double hyménée
+
+Ma dernière vieillesse à jamais fortunée !
+
+Cependant pour ce soir ne me refusez pas
+
+L’heur de vous voir ici prendre un mauvais repas,
+
+Afin qu’à ce qui reste ensemble on se prépare,
+
+Tant qu’un mystère saint deux à deux nous sépare.
+
+Nous éloigner de vous avant ce doux moment,
+
+Ce serait me priver de tout contentement.
diff --git a/test/corneille_veuve.tpl b/test/corneille_veuve.tpl
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