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Author: Antoine Amarilli <a3nm@a3nm.net>
Date: Thu, 30 Mar 2017 00:27:41 +0200
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diff --git a/TODO b/TODO
@@ -1,3 +1,5 @@
+"pays" and "paysage": "payse", "abbaye"
+
should be rejected (hemistiche is broken):
Tatata ta verre un tata tatata
@@ -5,15 +7,14 @@ Tatata ta verre un tata tatata
Concluera l'examen. Venez, je vous invite !
^ n'existe pas, mais vérifier
-/usr/lib/python3.5/re.py:203: FutureWarning: split() requires a non-empty pattern match.
-
Remerciez-le plutôt, et félicitez-vous
- fuzz testing
- log exceptions separately for plint_web
-- faire marcher oublieux
-- change additions to give numerical syllable count
+- change additions to give numerical syllable count for affected syllable
+- adjust the diaeresis uncertainty threshold to assert that all verses are
+ correct (change your opinion about the syllable with least confidence)
- document expected errors of test.sh and commit necessary files
- remove kludge for invalid characters, split them in specific chunks
- improve performance with profiling
diff --git a/test/prudhomme b/test/prudhomme
@@ -0,0 +1,1160 @@
+
+
+Mère des fils d’Énée, ô volupté des Dieux
+Et des hommes, Vénus, sous les astres des cieux
+Qui vont, tu peuples tout : l’onde où court le navire,
+Le sol fécond ; par toi tout être qui respire
+Germe, se dresse et voit le soleil radieux !
+Tu parais, les vents fuient, et les sombres nuages ;
+
+Le champ des mers te rit ; fertile en beaux ouvrages,
+La terre épand les fleurs suaves sous tes pieds,
+Le jour immense éclate aux cieux pacifiés !
+Dès qu’avril apparaît, et qu’enflé de jeunesse
+Le fécondant Zéphir a forcé sa prison,
+Ta vertu frappe au cœur les oiseaux, ô Déesse,
+Leur bande aérienne annonce ta saison ;
+Le sauvage troupeau bondit dans l’herbe épaisse
+Et fend l’onde à la nage, et tout être vivant
+À ta grâce enchaîné brûle en te poursuivant.
+C’est toi qui par les mers, les torrents, les montagnes,
+Les bois peuplés de nids et les vertes campagnes,
+Plantant au cœur de tous l’amour cher et puissant,
+Les pousses d’âge en âge à propager leur sang !
+Le monde ne connaît, Vénus, que ton empire ;
+Rien sans toi, rien n’éclôt aux régions du jour,
+Nul n’inspire sans toi, ni ne ressent d’amour !
+À ton divin concours dans mon œuvre j’aspire !
+Je veux à Memmius parler de l’Univers,
+À notre Memmius que, prodigue et constante,
+Orna de tous les dons ta faveur éclatante !
+Donne, ô Vénus, la grâce éternelle à mes vers !
+
+ Mais, pendant que je chante, et sur mer et sur terre
+Endors et fais tomber la fureur de la guerre :
+Tu peux, seule, aux mortels donner la douce paix.
+Mars, le Dieu tout armé de la guerre farouche,
+Quand l’amour l’a vaincu, sur ton sein jette et couche
+Son cœur blessé du mal qui ne guérit jamais ;
+Tes genoux pour coussin, dans un regard de flamme,
+
+Béant vers toi, d’amour il se repaît les yeux,
+Et, renversé, suspend à tes lèvres son âme !
+Lorsqu’il repose ainsi sur ton corps glorieux,
+Presse-le comme une onde, et que ta voix le charme
+Et le prie, et, propice aux Romains, le désarme !
+Mon chant, quand la patrie est dans de mauvais jours,
+Se trouble, et Memmius ne peut, en pleine alarme,
+Frustrer l’espoir public d’un illustre secours !
+Les Dieux, de leur nature, entière par soi-même,
+Sont immortels, heureux dans une paix suprême,
+Loin des choses de l’homme et bien plus haut que nous ;
+Nos périls, nos douleurs ne leur sont pas communes ;
+Sans nul besoin de nous, maîtres de leurs fortunes,
+Ils sont indifférents, sans grâce ni courroux.
+
+ Apprête ton génie, et d’une libre oreille
+À loisir, Memmius, entends la vérité ;
+Ce gage de mon zèle et ce fruit de ma veille,
+Ne les dédaigne pas sans m’avoir écouté.
+ Je vais dire des Dieux les principes suprêmes
+Et sonder la Nature en ces éléments mêmes
+Dont les corps sont créés, vivifiés, nourris,
+Où, par la mort dissous, retournent leurs débris.
+Retiens qu’en mes leçons les mots matière ou germe,
+Ou corps générateur, désignent l’élément ;
+Le nom de corps premier tous les trois les renferme,
+Car il marque à la fois cause et commencement.
+
+ L’homme traînait sa vie abjecte et malheureuse,
+Sous le genou pesant de la Religion
+
+Qui, des hauteurs du ciel penchant sa tête affreuse,
+Le tenait dans l’horreur de son obsession.
+Un Grec fut le premier qui, redressant la face,
+Affronta le fantôme avec des yeux mortels.
+Foudre, ni ciel tonnant, ni prestige d’autels
+Ne l’ébranle, et d’un cœur qu’enhardit la menace
+Il brûle de forcer pour la première fois
+Le temple où la Nature enserre et clôt ses lois.
+Son héroïque ardeur triomphe, et, vagabonde,
+L’entraîne par delà les murs flambants du monde ;
+Son âme et sa pensée explorent l’infini ;
+Il en revient vainqueur : il sait ce qui peut naître,
+Ce qui ne le peut pas, du pouvoir de chaque être
+Les bornes, et son terme à son fond même uni.
+Sur la Religion un pied vengeur se pose,
+L’écrase ; et sa victoire est notre apothéose !
+ Tu crains, dans mes leçons, de te voir entraîné
+Par la raison sans culte au noir chemin des crimes.
+Ah ! la Religion fait plutôt des victimes ;
+Et d’un culte odieux le sacrilège est né !
+ Des Grecs, au port d’Aulis, l’élite réunie,
+Les rois, pour conjurer la Vierge-aux-Carrefours,
+Souillent l’infâme autel du sang d’Iphigénie.
+Sur ses tempes déjà flottent les blancs atours
+Suspendus au bandeau qu’à son front on attache.
+Elle voit là son père immobile d’horreur,
+Le couteau que le prêtre à ce malheureux cache,
+Les larmes que sa vue à tout le peuple arrache,
+Et sent fuir ses genoux, muette de terreur.
+La misérable ! En vain c’est elle la première
+
+Qui fit entendre au roi le nom sacré de père :
+On la saisit tremblante, on la traîne à l’autel,
+Non pour voir accomplir le rite solennel
+Et par l’hymen brillant s’en retourner suivie,
+Mais, nubile, offrant pure au fer honteux sa vie,
+Tomber, victime en pleurs qu’un père sacrifie
+Pour le départ heureux et sûr de ses vaisseaux...
+Tant la Religion put conseiller de maux !
+ Vaincu par tous les vieux et terribles mensonges
+Que t’ont faits les devins, tu te gares de moi ;
+Car combien n’ont-ils pas imaginé de songes
+Qui pussent, de la vie abolissant la loi,
+Bouleverser ton sort tout entier par l’effroi !
+
+ Ah ! que si, reniant sa sainte extravagance,
+L’homme avait bien la foi que ses maux finiront,
+Des devins menaçants il vaincrait l’arrogance !
+Mais, ignorant, sans force, il baisse encor le front,
+Car il craint dans la mort une éternelle peine :
+Que sait-il, en effet, de l’âme et de son sort ?
+L’âme est-elle l’ainée ou la contemporaine
+De la vie, ou dissoute avec nous par la mort ?
+Au gouffre de Pluton dans la nuit descend-elle ?
+Un dieu la souffle-t-il en mainte chair nouvelle ?
+Comme autrefois l’a dit Ennius, qui ravit
+À l’Hélicon charmant la verdure immortelle,
+La première qu’autour d’un front latin l’on vit !
+Mais ses vers d’étemelle et haute renommée,
+Peignant l’Achéron noir, en ont peuplé les bords
+De spectres sans couleur, d’une essence innommée,
+
+Ombre qui n’est point l’âme et qui n’est plus le corps.
+Et c’est là qu’il a vu la figure d’Homère,
+Toujours jeune, surgir et de tristesse amère
+Fondre en pleurs, puis ouvrir la Nature à ses yeux.
+ Mais avant de sonder et d’expliquer les cieux,
+Le soleil et la lune et la loi qui les mène,
+Les forces de la terre et ses créations,
+C’est nous qu’il faut d’abord que nous interrogions.
+Qu’est donc la vie en nous ? Qu’est-ce que l’âme humaine ?
+Quand des objets, le jour, ont frappé nos cerveaux,
+Pourquoi se dressent-ils dans la fièvre ou le somme ?
+Qui de nous n’a pas cru revoir, entendre un homme
+Dont la terre enserrait depuis longtemps les os ?
+ Je sens bien que des Grecs les recherches obscures
+Ne peuvent par mes vers luire d’un jour plus beau ;
+J’ai dû même innover des mots et des figures,
+Car notre langue est pauvre et le sujet nouveau.
+Mais ta vertu, l’espoir d’une amitié suave
+M’allègent le fardeau que la fatigue aggrave ;
+L’amitié, m’éveillant dans le calme des nuits,
+Me dictera le mot, l’accent qui devant l’âme
+Allume et fait courir une brillante flamme
+Dont l’inconnu s’éclaire en ses profonds réduits.
+Pour dissiper l’horreur de notre nuit profonde,
+Le soleil ne peut rien, ni le jour éclatant ;
+Mais la Nature parle et la Raison l’entend !
+
+ Et voici le principe où la raison se fonde :
+Rien n’est jamais sorti du néant par les Dieux.
+Que si l’humanité tremble dans l’épouvante,
+
+C’est qu’à l’œuvre infini de la terre et des cieux
+L’homme cherche une cause ; elle échappe à ses yeux,
+Et la force divine est celle qu’il invente.
+Mais quand nous aurons vu que rien n’éclôt de rien,
+Nous marcherons guidés au but qui nous appelle,
+Nous saurons de quel fond, par quel secret moyen,
+Tout prend l’être et se meut sans que nul Dieu s’en mêle.
+ Que le néant engendre, et les êtres divers
+Naissent tous l’un de l’autre, et tout leur est semence.
+Dès lors la race humaine au sein des mers commence,
+Le poisson naît du sol, l’oiseau surgit des airs,
+Bêtes fauves, troupeaux, bétails de toute espèce,
+Aux déserts comme aux champs vivent sans loi produits,
+Et les arbres n’ont plus toujours les mêmes fruits :
+Tous bons à tout produire, ils en changent sans cesse.
+Car si chaque être n’a ses corps générateurs,
+Où chacun trouve-t-il une constante mère ?
+Mais tu leur vois à tous leurs germes créateurs :
+Aussi chacun n’éclôt, n’émerge à la lumière
+Qu’où reposent ses corps premiers et sa matière.
+Tout être ainsi ne peut par tous être enfanté,
+Car des pouvoirs distincts à chaque être appartiennent.
+Pourquoi la rose en mai, les moissons en été ?
+Et le cep par l’automne à s’épandre invité ?
+Si ce n’est qu’en leur temps les semences conviennent,
+Et qu’ainsi tout produit apparaît tour à tour,
+Quand la terre vivace élève au seuil du jour
+L’être en fleur, sur la foi des saisons qui reviennent.
+Si tout de rien naissait, tout surgirait soudain,
+Sans nulle saison propre, en un temps incertain,
+
+N’étant plus d’éléments dont un ciel impropice
+Pût jamais empêcher l’union créatrice.
+S’ils poussaient du néant, les êtres aussitôt
+Croîtraient, n’attendant point des germes l’assemblage :
+L’enfance à la jeunesse atteindrait sans passage,
+L’arbre soudain du sol s’élèverait d’un saut.
+Mais quoi ! d’un tel désordre a-t-on jamais vu trace ?
+Tout grandit lentement, ainsi que le prescrit
+Un germe sûr ; chaque être est conforme à sa race ;
+Chacun d’un propre fonds croît donc et se nourrit.
+ Puis le sol, sans les eaux que chaque année assure,
+Ne pourrait, infécond, de beaux fruits s’égayer,
+Ni tous les animaux, privés de nourriture,
+Entretenir leur vie et se multiplier.
+Loin d’admettre qu’il soit sans corps premiers des êtres,
+Crois plutôt que, pareils aux mots formés de lettres,
+Ils trouvent par milliers de communs éléments.
+Qui donc à la Nature eût interdit de faire
+Des hommes qu’on eût vus déraciner, géants,
+Les grands monts, traverser à gué les océans,
+Et porter, invaincus, un âge séculaire,
+S’il n’était aux objets, pour naître, un fond marqué,
+Principe où de chacun l’essor fût impliqué ?
+Il faut donc l’avouer : rien de rien ne commence,
+Puisque tous les objets ont besoin de semence,
+Qui, les créant, les porte au champ subtil des airs.
+Si la campagne, enfin, préférable aux déserts,
+Par nos mains cultivée en fruits meilleurs abonde,
+Il faut bien qu’en la terre il soit des éléments,
+Que le labour incite à leurs enfantements
+
+Quand notre soc retourne une glèbe féconde.
+Que s’il n’en était point, tout sans notre labeur
+D’un essor spontané naîtrait beaucoup meilleur.
+ Ajoute que la mort désagrège la chose
+Sans réduire jamais ses germes à néant ;
+S’il pouvait rien périr de ce qui la compose,
+La chose périrait, disparue à l’instant,
+Sans attendre un agent qui, propre à la dissoudre,
+Dût miner ses liens pour la réduire en poudre.
+Mais un germe éternel fixe chaque produit ;
+Jusqu’à ce qu’un agent vienne assaillir cet être,
+Ou, le désagrégeant, dans ses pores pénètre,
+La Nature ne souffre en rien qu’il soit détruit.
+Si l’âge enfin, des corps que son travail dissipe
+Tuant le fond, consume en entier leur principe,
+D’où vient le divers sang des êtres que Vénus
+Rend au jour de la vie ? Où puise, eux revenus,
+Le sol riche un suc propre à nourrir chaque type ?
+Quelle eau la source vive et le fleuve à la mer
+Prodiguent-ils ? Quels feux donne aux astres l’éther ?
+Car le passé sans borne et la vie actuelle
+Ont dû tarir tout être à substance mortelle.
+Que s’il dure aujourd’hui, s’il a toujours duré
+Des corps par qui ce monde est fait et réparé,
+Il faut bien, les douant d’une immortelle essence,
+De rentrer au néant leur nier la puissance.
+Si la matière enfin, d’un nœud plus ou moins fort
+Se liant, ne restait l’éternel fond des choses,
+Tout, d’une même atteinte et par les mêmes causes,
+Périrait au toucher seulement de la mort,
+
+Faute de corps massifs, d’éternelle substance,
+Dont quelque force dût rompre la consistance.
+Mais non ! les éléments formant de divers nœuds
+Tandis que la matière est éternelle en eux,
+Les corps restent entiers tant que nul choc n’arrive
+Assez fort pour briser leur trame respective ;
+La mort réduit ainsi l’objet à l’élément
+Et, loin d’anéantir, désunit seulement.
+ Il pleut et l’eau périt, quand l’éther, divin père,
+La précipite au sein maternel de la terre ;
+Mais, vois : le beau blé monte, et le rameau verdit,
+Et l’arbre cède au poids de ses fruits et grandit ;
+Vois donc : le genre humain, les bêtes s’en nourrissent,
+Et les riches cités d’un jeune sang fleurissent.
+Par tous les bois feuillus chantent les nouveaux nids ;
+Las du faix de leur graisse, en des prés bien fournis,
+Se couchent les troupeaux, et, gonflant la mamelle,
+Le blanc laitage coule, et la race nouvelle,
+Folle, sur les gazons, d’un pied encor peu sûr,
+Bondit, le cerveau jeune enivré de lait pur.
+Quand donc la chose meurt, tout ne meurt pas en elle :
+Des débris de chaque être un nouvel être sort ;
+Ainsi toute naissance est l’œuvre d’une mort.
+
+ Comme j’ai dit que rien du néant ne peut naître
+Et que rien n’y retourne après avoir eu l’être,
+Tu te prends à douter de mes enseignements,
+Parce que l’œil ne peut saisir les éléments ;
+Je te vais donc prouver qu’il faut que l’on conçoive
+Dans tout objet des corps, sans que l’œil les perçoive.
+
+Ainsi le vent flagelle avec fougue les eaux,
+Répand la nue au loin, coule les gros vaisseaux,
+Casse, en tourbillonnant à travers les campagnes,
+Les grands arbres, et bat les sublimes montagnes
+D’un souffle aux pins fatal : tel le vent frémissant
+Se déchaîne en furie et hurle menaçant.
+Il est donc fait de corps qui, soustraits à la vue,
+Balayant et la mer et la terre et la nue,
+Entraînent tout obstacle à leur vol turbulent.
+Ces corps fluides vont propageant leurs ravages,
+Tout comme on voit soudain l’eau mobile en coulant
+Monter, quand vient l’accroître, après d’amples orages,
+Un déluge apportant de la cime des monts
+Avec des troncs entiers des fragments de branchages.
+L’impétueux torrent force les meilleurs ponts ;
+Il court sus aux piliers, tourbillon gros de pluie ;
+La masse, sous l’effort terrible qu’elle essuie,
+Croule avec un grand bruit ; les lourds quartiers de roc
+Sont roulés sous les flots ; rien ne résiste au choc !
+Or, le souffle du vent doit courir de la sorte :
+Quand, pareil au torrent, il fond sur un objet,
+Il l’assaille, des coups répétés qu’il lui porte
+Le renverse, l’enlève, et tournoyant jouet
+Dans les cercles fougueux de la trombe il le roule.
+Donc le vent cache en soi des corps premiers en foule,
+Puisqu’il imite ainsi les mœurs, le mouvement
+Des grands cours d’eau qui sont des corps évidemment.
+ On ne peut voir non plus des choses odorantes
+Aux narines monter les senteurs différentes ;
+Le chaud ne se voit pas ; le froid de même aux yeux
+
+Se dérobe, et le son ne s’aperçoit pas mieux ;
+Et ces choses pourtant sont vraiment corporelles,
+Si j’en prends à témoin les sens frappés par elles,
+Car les corps seulement sont tangibles entre eux.
+Une tunique, au bord des flots brisés pendue,
+Boit leur rosée, et sèche au soleil étendue.
+Or, ce travail de l’eau pénétrant le tissu,
+Puis dissipée au feu, l’œil ne l’a point perçu :
+L’onde en minimes parts s’épand et se divise,
+Et nulle à nos regards ne laisse aucune prise.
+Quand elle a du soleil compté bien des retours,
+La bague s’use au doigt qu’elle orna tous les jours ;
+L’eau que distille un toit creuse, en tombant, la pierre ;
+Le fer de la charrue est rongé par la terre ;
+Les pieds ont aplani les pavés du chemin ;
+Vois l’idole d’airain sur le seuil de la porte :
+Il faut qu’en la baisant une foule entre et sorte,
+Et ces saluts nombreux en ont usé la main.
+La perte se voit bien, car la forme s’altère ;
+Mais ce qu’à tout instant l’objet perd de matière,
+La Nature en ravit la vue à l’œil humain.
+Ce qu’aux êtres le temps apporte et la Nature,
+Peu à peu les forçant à croître avec mesure,
+Ne peut être saisi des yeux les plus puissants,
+Non plus que le déclin de leurs corps vieillissants.
+Nul œil, à chaque instant, ne peut voir la morsure
+Que fait aux rocs pendants le sel rongeur des mers.
+C’est d’invisibles corps qu’est formé l’Univers.
+ La matière pourtant n’emplit pas tout le monde ;
+Sache que toute chose a quelque vide en soi.
+
+C’est cette connaissance importante et féconde
+Qui va guider, fixer ta raison vagabonde,
+T’expliquer le grand Tout, et me gagner ta foi !
+
+ Il est donc un milieu libre, vide, impalpable.
+Rien ne serait, sans lui, de se mouvoir capable,
+Car leur solidité formerait chez les corps
+Un mutuel obstacle à leurs communs efforts,
+Et nul n’avancerait, puisque nul dans la masse
+Aux autres ne pourrait le premier faire place.
+Or, dans les champs du ciel, de la terre et des mers,
+Tout se meut à nos yeux sur des rythmes divers :
+Aucun de tous ces corps agités sans relâche
+N’eût pu, faute d’un vide, y commencer sa tâche ;
+Et bien plus, aucun d’eux n’aurait même existé :
+La matière eût dormi dans sa solidité.
+ Il n’est pas un objet, de ceux qu’on croit solides,
+Qui n’offre aux corps subtils un vide où pénétrer.
+Vois suinter la pierre, et les grottes humides
+Par des canaux secrets goutte à goutte pleurer.
+Dans nos membres partout filtre la nourriture ;
+Si l’arbre pousse, et donne au temps marqué ses fruits.
+C’est que les sucs, du bout des racines conduits,
+Circulent par le tronc dans toute la ramure ;
+La voix perce une enceinte, et par les huis bien clos
+Vole et passe ; un froid vif se glisse jusqu’aux os :
+Ce que tu ne verrais nullement se produire
+Sans des vides par où le corps pût s’introduire.
+ Et que penseras-tu des choses que tu vois,
+Pareilles de grandeur, se surpasser de poids ?
+
+Si l’une est de matière autant que l’autre pleine,
+Le plomb ne saurait donc peser plus que la laine,
+Car la matière seule entraîne tout en bas,
+Et le propre du vide est de ne peser pas.
+Plus une chose est grande et te semble légère,
+Plus elle atteste ainsi qu’elle a de vide en soi ;
+Et plus pesante elle est, plus sa lourdeur fait foi
+Qu’elle a perdu de vide et gagné de matière.
+Nos recherches enfin nous l’ont donc révélé,
+Ce vide, à toute chose intimement mêlé !
+ Il faut qu’en hâte ici, de peur qu’on ne t’égare,
+Contre un exemple adroit, mais vain, je te prépare.
+L’eau cède aux flancs luisants des poissons écailleux,
+Et leur ouvre un sentier liquide, et derrière eux
+Comble la brèche ouverte au retour de son onde.
+Ainsi peuvent, dit-on, les choses se mouvoir
+Et se substituer dans la masse du monde.
+Mais quoi ! rien de plus faux se peut-il concevoir ?
+Car où chaque poisson trouve-t-il une issue,
+S’il ne l’a de l’eau même auparavant reçue ?
+Mais où peut passer l’eau, sans qu’il ait avancé ?
+Voilà donc tous les corps dans un repos forcé,
+Ou conviens que partout le vide au plein s’ajoute,
+Et qu’à tout mouvement il ouvre et fait sa route.
+ Enfin, prends un corps plat par un autre pressé.
+Soudain, sépare-les : il faut sans aucun doute
+Que l’air occupe entre eux tout l’espace laissé ;
+Mais bien que d’alentour l’air prompt s’y précipite,
+Il ne peut, dans l’instant, aflluer assez vite
+Pour l’emplir en entier, mais doit par chaque bout
+
+Gagner de proche en proche avant d’occuper tout.
+Le contact et l’écart, si l’air est contractile,
+S’expliquent, dira-t-on, sans vide ; erreur subtile !
+Un lieu, qui n’était point occupé, le devient ;
+Un autre, qui l’était, cède ce qu’il contient :
+Il n’est pas de raison pour que l’air se condense,
+Et le fit-il, sans vide il ne pourrait, je pense,
+Grouper ses éléments, se retirer en soi.
+Ne t’embarrasse plus d’objections frivoles :
+Il faut du vide enfin reconnaître la loi !
+ Et je pourrais encore, ami, dans mes paroles,
+Par d’autres arguments corroborer ta foi ;
+Mais, pour les signaler à ton esprit sagace,
+Il suffit que mes vers t’en aient livré la trace.
+Quand le chien, par les monts pleins d’errants animaux,
+Flaire, il va droit au gîte abrité de rameaux,
+Dès qu’il s’est élancé sur des pistes certaines ;
+Ainsi, de preuve en preuve, aux notions lointaines
+Tu cours, et, jusqu’au vrai fidèlement conduit,
+Tu le forces dans l’ombre en son dernier réduit !
+ Si mon verbe concis t’arrête ou te déroute,
+J’étendrai la doctrine et la déploîrai toute ;
+Mon sein riche épandra le miel de mes discours
+En fleuve intarissable et si large en son cours
+Qu’en nos membres le froid de l’âge peut descendre
+Et de la vie en nous la gaine se briser,
+Sans que mon luth t’ait fait sur chaque chose entendre
+Les arguments sans nombre où tu pourrais puiser !
+
+ De l’œuvre commencé renouons la texture :
+
+Deux choses donc : les Corps, et par eux habité
+Le Vide, ouvrant carrière à leur mobilité,
+Voilà le propre fond de toute la Nature !
+Les corps, nous les sentons, le sens est vrai par soi ;
+Sans ce premier appui d’une commune foi,
+Sur les secrets du monde il n’est pas d’avenue
+Et pas de vérité certainement connue.
+Quant à ce lieu, l’espace, en mes vers appelé
+Le Vide, il est : sans lui les corps n’ont plus de siège,
+Ils ont de circuler perdu le privilège ;
+C’est ce que mes leçons déjà t’ont révélé.
+ Et n’imagine point d’être qui d’aventure
+Serait distinct des corps et du vide à la fois,
+Qui fît une nouvelle et troisième nature.
+Quel que fût cet objet, dès qu’il est, tu conçois
+Qu’un surcroît, fort ou faible, à l’Univers s’ajoute.
+Est-il tangible, encor que léger et subril,
+Dans la somme des corps il doit compter sans doute ;
+Et s’il est intangible, alors que pourrait-il
+Au passage d’un autre opposer de solide ?
+Il est donc pénétrable ; en un mot, c’est le Vide.
+ Et toute chose est telle, au surplus, qu’elle peut
+Soit agir, soit subir l’acte d’une autre chose,
+Ou telle enfin qu’une autre y réside et s’y meut ;
+Mais, causée ou subie, une action suppose
+Quelque masse, et le lieu quelque espace vacant.
+Hors le vide et les corps, l’être donc ne comporte
+Nulle nature en soi d’une troisième sorte,
+Plus rien qui de nos sens vienne ébranler la porte,
+Ni qu’atteigne l’esprit d’un regard convaincant !
+
+ Ces deux principes font dans tout objet l’essence ;
+Et d’elle tout le reste, accident, prend naissance.
+L’essence ne se peut de l’objet détacher
+Sans le détruire : ainsi, le poids dans le rocher,
+La chaleur dans le feu, dans l’eau l’état fluide,
+Ce qu’on palpe en tout corps, ce qui cède en tout vide.
+Pour ce qui vient et fuit, laissant inaltéré
+Le fond de l’être, ainsi la liberté, la guerre,
+L’esclavage, la paix, le luxe, la misère,
+Accident est le nom justement consacré.
+ Le temps n’est point par soi ; ce n’est que par les choses
+Que ton esprit conçoit l’être vain que tu poses
+Sous les noms de présent, de passé, d’avenir ;
+Car le temps n’est sensible, il faut en convenir.
+Que dans le mouvement ou le repos qui dure,
+Quand d’Hélène on te dit réelle la capture,
+Et réels les Troyens domptés par les combats,
+Certes cette aventure en soi n’existe pas :
+Des âges accomplis l’irrévocable fuite
+Emporta les héros et leur œuvre à leur suite,
+Car rien ne s’est jadis exécuté par eux
+Qui ne fut l’accident des choses et des lieux.
+ Enfin, si tu niais l’Espace et la Matière,
+Bases de la nature et de l’histoire entière,
+Pour la beauté d’Hélène une ardente fureur
+N’eût point, soufflant au cœur du Phrygien sa flamme,
+Allumé ces combats pleins d’une illustre horreur,
+Ni le cheval de bois n’eût, pour brûler Pergame,
+Dans une nuit perfide enfanté l’Achéen.
+ L’action n’a donc pas, à fond considérée.
+
+Par soi, comme les corps, existence et durée,
+Ni comme l’être vide un fondement certain ;
+Mais elle est l’accident, elle est ce qui varie,
+Dans la masse et le lieu, théâtre de la vie !
+ Tout corps, par son essence, ou n’est qu’un élément,
+Ou d’éléments ensemble agrégés se compose ;
+S’il est élémentaire, à l’effort violent
+Pour le broyer sa masse invincible s’oppose.
+ Mais tu pourrais douter qu’au monde il existât
+Nul corps dont la matière aux efforts résistât :
+Le fer incandescent s’amollit sous la braise ;
+La voix, les cris, la foudre ont accès par les murs ;
+L’or se dissout au feu qui tord ses lingots durs ;
+Le roc, fumant de rage, éclate en la fournaise ;
+La flamme dompte et fond la glace de l’airain ;
+L’argent, sous le flot lent des liqueurs qu’on y verse,
+Fait sentir la chaleur ou le froid qui le perce,
+Sitôt que le convive a pris la coupe en main.
+L’existence du plein te paraît donc peu sûre.
+Mais puisque la Raison l’exige et la Nature,
+Écoute-moi : bientôt tu m’auras avoué
+Que d’une consistance éternelle est doué
+L’élément primitif, germe de toute chose,
+Où l’œuvre universel se résume et repose.
+ Je l’ai dit : la Nature est double ; et tu comprends,
+Depuis qu’il t’est prouvé combien sont différents
+Et le corps et le lieu, champ de toute naissance,
+Que chacun d’eux sépare et garde son essence :
+Partout où git l’espace en mes vers appelé
+Le Vide, point de masse ; et partout où réside
+
+La masse, il ne saurait exister aucun vide ;
+Ainsi l’atome est plein, sans vide au plein mêlé.
+ Puisqu’aux objets formés nous découvrons du vide,
+Il doit donc à l’entour exister du solide ;
+Et certes l’on feindrait sans aucun fondement
+Qu’un vide est dans leur masse enclos intimement ;
+Car encor faut-il bien qu’une paroi l’enserre,
+Et qu’est-elle ? sinon quelque amas de matière
+Qui compose à ce vide un emprisonnement.
+La matière peut donc, en vertu de sa masse,
+Être éternelle, alors que périt l’agrégat.
+ Se pût-il que le vide au monde entier manquât,
+Tout serait donc massif, et s’il ne fût pas trace
+De corps venant former tous en leurs lieux des pleins,
+Tout serait pénétrable en ces abîmes vains.
+Or, le vide et le plein se partagent le monde ;
+Aucun n’en bannit l’autre et n’est tout l’univers.
+Afin donc que le vide au plein ne se confonde,
+Il faut l’atome, un corps qui les fasse divers.
+Aux assauts du dehors il reste invulnérable ;
+Rien ne peut desserrer sa trame impénétrable.
+Enfin, et mes leçons l’ont déjà démontré,
+D’une épreuve quelconque il sort inaltéré.
+Ni rupture, ni choc en effet n’est possible
+Sans vide, rien n’est plus aux tranchants divisible,
+Plus rien n’absorbe l’eau, le froid qui gagne et mord,
+Ni le feu pénétrant, ces ministres de mort ;
+Et plus la chose atteinte offre de vide en elle,
+Plus leur intime attaque a de mortel effet.
+Si donc vraiment l’atome est de solide fait
+
+Sans vide, la matière est vraiment éternelle.
+Et s’il fût que jamais la matière périt,
+Dans leur ancien néant qui les eût fait éclore
+Les choses rentreraient pour en renaître encore.
+Mais rien ne naît de rien, ma Muse te l’apprit,
+Et rien n’est jamais né que le néant reprît.
+De l’atome immortelle est donc la masse entière :
+L’objet, s’y résolvant à son heure dernière,
+Rapporte au renouveau des choses la matière !
+Ainsi, fort de sa simple et solide unité,
+L’atome se conserve et rouvre la carrière
+Aux transformations depuis l’éternité !
+ S’il n’était point enfin posé par la Nature
+De terme aux fractions, une longue rupture
+Eût déjà divisé la matière à tel point
+Qu’une heure dût bientôt arriver dans la suite
+Où ses œuvres conçus ne s’achèveraient point ;
+Car toute chose au monde est plus vite détruite
+Qu’elle n’est restaurée ; aussi ce que le temps
+Dans le cours infini des âges précédents
+Eût brisé, manquerait, dissous et pêle-mêle,
+D’assez de jours pour naître à sa forme nouvelle.
+Or, tout prouve aujourd’hui, dans ce que nous voyons,
+Qu’il est à ce broîment une limite sûre,
+Car le temps refait tout, et par genres assure
+Leur croissance et leur fleur à ses créations.
+
+ Ajoute que malgré la solide substance
+Des atomes, l’esprit peut concevoir comment
+L’eau, la vapeur, la terre, et l’air, sans consistance,
+
+Se forment, et d’où vient leur souple mouvement ;
+Car il suffit d’un vide épars dans la Nature.
+Mais si de tous les corps les éléments sont mous,
+La naissance du fer et de la pierre dure
+Demeure sans principe et sans raison pour nous,
+Faute de quelque assise où la Nature fonde.
+Il doit donc exister de durs et simples corps
+Dont le compacte amas puisse produire au monde
+Le tissu plus serré de tous les êtres forts.
+Qu’on suppose les corps divisés sans limite :
+Il faut bien que pourtant, depuis l’éternité
+Jusqu’à présent, des corps aient toujours subsisté
+Dont la masse n’a point encore été détruite.
+Or, dit-on, leur essence est la fragilité ;
+Comment donc, subissant des assauts innombrables,
+À travers tous les temps sont-ils demeurés stables ?
+ Puisqu’aux espèces donc la Nature a prescrit
+Leur degré de croissance et leur fixe durée ;
+Que la part de pouvoir qui leur est mesurée
+En de constantes lois trouve son terme écrit ;
+Puisque, loin de changer, l’ordre des choses reste,
+Si bien que les oiseaux, tout variés qu’ils sont,
+Gardent du genre en eux le signe manifeste,
+L’atome, dans tout être, est l’immuable fond !
+Car si les éléments qui forment toute essence
+Étaient par quelque atteinte au changement sujets,
+On ne saurait quels corps pourraient prendre naissance
+Ou ne le pourraient pas, la dose de puissance
+Et le terme inhérents à l’être des objets,
+Ni comment chaque race eût transmis sa nature,
+
+Ses lois, ses mœurs, son vivre à sa progéniture.
+ Le point, le dernier terme où le plein se résout,
+Limite qui n’est plus des organes sentie,
+Existe assurément sans aucune partie ;
+D’essence irréductible, il n’a pu hors d’un tout
+Ni ne pourra jamais subsister par lui-même,
+Partiel par nature, élément simple, extrême ;
+Et le plein est formé par le compacte amas
+De pareils éléments qu’un seul contact assemble
+Et qui, n’existant point, par soi, hors de l’ensemble,
+Y tiennent forcément et ne s’arrachent pas.
+L’atome est donc un plein solide, indivisible,
+Bloc massif d’éléments le plus petits possible,
+Non fait de corps distincts conduits à concourir,
+Mais de tout temps pourvus d’une unité profonde,
+À qui l’on n’ôte rien, qu’on ne peut amoindrir.
+Réservoir étemel des semences du monde !
+ Si la division n’a son terme borné,
+Le moindre corps se prête à des parts innombrables,
+Les moitiés des moitiés sont en deux séparables
+Toujours, et tout objet reste indéterminé ;
+Car, dès lors, de la moindre à la plus grande chose
+Quelle est la différence ? Aucune. Vainement
+La plus grande au-dessus s’élève infiniment ;
+De parts sans nombre aussi la moindre se compose.
+Mais la raison qui sent ces contradictions
+S’en révolte ; et tu dois, convaincu, reconnaître
+Qu’il existe des corps simples, sans portions,
+D’essence indivisible, et qui, possédant l’être,
+Sont solides aussi, doivent toujours durer.
+
+Supprime cette loi : que les choses produites
+En d’insécables parts sont forcément réduites,
+Et la Nature alors ne peut se réparer ;
+Car un corps devenant à l’infini poussière.
+Répugne à ces états qu’affecte une matière
+Apte à créer, tels que : poids, chocs, liens divers,
+Rencontre et mouvement, d’où sort tout l’univers.
+
+Ceux qui veulent que tout existe et s’accomplisse
+Par le feu, que le feu soit l’unique élément,
+De ceux-là tu prévois l’insigne égarement.
+Héraclite, leur chef, est le premier en lice
+Qui, chez les sages grecs, moins à l’autorité
+Qu’à l’art d’un verbe obscur dut la célébrité.
+La foule volontiers s’éprend et s’émerveille
+Du mystère entrevu sous d’habiles détours ;
+La foule tient pour vrai ce qui flatte l’oreille,
+Ce que farde un sonore et caressant discours !
+ S’il n’est que le feu pur, d’où vient donc, je te prie,
+Que le monde, son œuvre, à l’infini varie
+Dans ses productions ? Car il importe peu
+Que se dilate ou bien se condense le feu,
+S’il reste feu toujours et dans chaque partie ;
+Son ardeur, là plus vive, est ailleurs amortie,
+Selon qu’il se resserre ou s’écarte diffus,
+Mais tu n’en peux tirer pour cela rien de plus.
+Tant s’en faut que l’état si varié des choses
+N’ait que ses éléments, clairs ou serrés, pour causes.
+ Encor s’ils admettaient du vide aux corps uni,
+Le corps igné pourrait devenir dense ou rare ;
+
+Mais devant les écueils que le vrai leur prépare,
+Ils esquivent le vide, ils l’ont partout banni ;
+La peur d’un sol ardu les jette aux fausses routes.
+Aussi ne voient-ils pas qu’ôtant le vide aux corps,
+Ils rendent tout massif : les choses ne font toutes
+Qu’un seul plein qui ne peut rien émettre au dehors,
+Comme un foyer qui lance et chaleur et lumière,
+Et prouve qu’il n’est point de compacte matière.
+ S’ils pensent que le feu, par quelque autre moyen
+Transforme ainsi sa masse, en groupes la resserre,
+Sans que nulle partie en lui soit nécessaire,
+Il faudra que ce feu tout entier tombe à rien,
+Et que tout l’Univers prenne de rien naissance ;
+Car tout être changé, qui de ses bornes sort,
+Anéantit par là ce qu’il était d’abord.
+Si donc rien n’est sauvé de la première essence,
+Le monde, tu le vois, rentre dans le néant,
+Et du néant renaît tout entier florissant !
+ Puisque pour conserver la Nature la même
+À tout jamais, il est des corps déterminés
+Qui dans leur va-et-vient variant leur système,
+Transforment les objets autrement combinés,
+Ces corps ne sont donc pas des éléments ignés.
+Que feraient en effet leur rupture, leur fuite,
+Leur ordre varié, leur changement de lieu,
+Si de tous les objets l’essence était de feu ?
+Resterait feu toujours toute chose produite !
+ Voici le vrai, je crois : il est des éléments
+Dont le concours, le jeu, la place, la figure,
+Et l’ordre font du feu lui-même la nature,
+
+Et la changent au gré de leurs agencements ;
+Ils n’offrent rien d’igné, ni rien qui puisse émettre
+Des corps dont notre tact sente et palpe le jet.
+ Prétendre que le feu c’est tout, ne pas admettre
+Hors le feu, dans le monde, un seul réel objet,
+Comme enseigne Héraclite, est d’un fou le langage :
+Car il oppose aux sens leur propre témoignage ;
+Il ébranle les sens dont toute foi dépend,
+D’où ce qu’il nomme feu s’est fait à lui connaître ;
+Il admet que le sens connaît au vrai cet être,
+Mais non d’autres, qu’il voit tout aussi clairement.
+Doctrine assurément non moins folle que vaine !
+Car où te référer ? Quelle marque certaine
+Ont le faux et le vrai hors de tes sens pour toi ?
+À quel titre, niant au reste l’existence,
+Ne laisser que le feu pour unique substance
+Plutôt qu’ôtant le feu laisser n’importe quoi ?
+Cènes des deux côtés la démence est la même.
+ Avoir donc pris le feu pour le seul élément,
+Et composé de feu l’universel système,
+Ou voulu tirer tout de l’air uniquement,
+Ou cru que l’eau peut seule et par soi faire un monde,
+Ou pensé que la terre, en tout créant, revêt
+Les attributs divers propres à chaque objet,
+Quel écart de bon sens et quelle erreur profonde !
+Erreur aussi d’unir les éléments par deux,
+En joignant au feu l’air, et la terre au fluide ;
+Ou par quatre : air, feu, terre, onde, croyant qu’en eux
+De toute éclosion le principe réside.
+
+ L’Agrigentin fameux, Empédocle y croyait,
+Celui qu’enfanta l’île à bords triangulaires
+Dont la mer d’Ionie aux eaux vertes et claires
+Bat les golfes profonds de son flot inquiet,
+Et, prompte, se ruant par un étroit passage,
+Des bords italiens sépare le rivage.
+Charybde immense est là ; c’est là qu’en grommelant
+Bout l’Etna qui menace, encor gros de colère,
+De vomir de sa gorge un autre jet brûlant,
+Flambante éruption dont tout le ciel s’éclaire !
+Des merveilles ont mis cette terre en honneur,
+Et tout le genre humain l’admire et la renomme :
+Sol opulent, armé d’une race au grand cœur ;
+Mais il n’en est sorti rien d’égal à cet homme,
+D’aussi prodigieux, d’aussi cher et sacré !
+Ah ! dans de si beaux chants sa divine poitrine
+Exhale et fait parler son illustre doctrine
+Qu’à peine paraît-il de sang d’homme engendré !
+ Hé bien ! lui-même et ceux qu’en ces vers j’interpelle,
+Mais que si loin son œuvre a laissés derrière elle,
+Eux qui, dans leur sublime et riche invention,
+Arrachent un oracle au temple de leur âme,
+Plus sûr et plus divin que tout ce que proclame
+La Pythie au trépied verdoyant d’Apollon,
+Sur les sources du monde, écueil de leurs disputes,
+Faillissent lourdement ! Aux grands les grandes chutes !
+ Et d’abord, sans nul vide ils font tout se mouvoir,
+Et gardant les corps mous et subtils, la lumière,
+Le feu, l’air, les vivants, les plantes et la terre,
+Sans y mêler de vide ils les croient concevoir.
+
+Puis ils croient que les corps à l’infini se rompent,
+Sans admettre jamais d’arrêt aux fractions
+Ni, dans les corps, d’atome insécable. Ils se trompent :
+Il faut bien que pour point dernier nous admettions
+Ce que l’aveu des sens prononce irréductible :
+Or, l’atome insécable est justement pour nous
+Cet extrême d’un corps qui n’est plus perceptible.
+En outre, comme ils font de corps souples et mous,
+Corps sujets à périr comme on les a vus naître,
+Les éléments premiers, créateurs de tout être,
+Il suit que l’Univers doit retourner à rien
+Et doit tirer de rien ses œuvres rajeunies.
+Erreur deux fois absurde et que tu connais bien !
+Ces substances, d’ailleurs, si souvent ennemies
+Et poisons l’une à l’autre, ou périraient unies,
+Ou se disperseraient comme par les gros temps
+Se dispersent la foudre et la pluie et les vents.
+ Admets enfin que tout sorte de quatre choses,
+Et qu’aussi tout retourne à ces quatre éléments ;
+Mais ces principes-là, d’où vient que tu supposes
+Qu’ils font les corps plutôt que les corps ne les font ?
+Car ils alternent tous pour engendrer le monde
+D’un échange éternel d’apparence et de fond.
+ Que si tu veux que l’air se puisse unir à l’onde,
+Et la matière ignée à l’élément terreux,
+Sans changer de nature en s’accouplant entre eux,
+Jamais tu ne feras que leur concours enfante
+Un corps vivant, non plus que sans vie : une plante ;
+Car chacun dans ce groupe, amas d’êtres divers,
+Accuse sa nature, et l’air s’y manifeste
+
+Joint à la terre, et joint à l’eau le feu s’atteste.
+Or, les vrais éléments n’engendrent l’Univers
+Que par un fond occulte et des moyens couverts,
+Pour que nul, n’élevant une hostile puissance,
+Ne rompe dans les corps leur unité d’essence.
+ Ces sages font venir du céleste foyer
+Le feu, qui doit en air se changer le premier ;
+Puis l’onde sort de l’air, et la terre de l’onde ;
+À l’inverse renaît de la terre le monde,
+L’eau, puis l’air, puis le feu, par un flux éternel
+Des astres à la terre et de la terre au ciel,
+Sans que leur changement réciproque s’arrête.
+Mais il ne se peut pas que l’élément s’y prête :
+Pour sauver, en effet, le monde du néant,
+Il faut bien qu’un principe invariable y dure,
+Car la mutation qui franchit la nature,
+C’est la mort de l’objet qui fut auparavant.
+Or, puisque les objets énoncés tout à l’heure
+Se viennent tous entre eux convertir, il faut bien
+Que le fond, qui n’y peut se transformer, demeure.
+Sans quoi tout l’Univers se résoudrait à rien.
+Que n’admettons-nous donc des corps de cette espèce,
+Qui, les mêmes toujours, ayant créé le feu,
+Dès que leur nombre augmente ou diminue un peu,
+Font l’air, en variant leur ordre et leur vitesse,
+Et d’objets en objets transforment tout sans cesse ?
+ Mais tout, me diras-tu (le fait aux yeux est clair),
+Puise au sol, croît et monte aux régions de l’air.
+Si la pluie aux saisons favorables n’abonde
+Pour distiller la nue aux feuillages mouvants,
+
+Si le soleil n’y joint sa chaleur qui féconde,
+Il ne croît de moissons, d’arbres, ni de vivants,
+Faute d’aliments secs et d’eau qui les arrose,
+Le corps se perd, la vie alors se décompose
+Et rompt avec les nerfs et les os son lien.
+Nous prenons en effet nourriture et soutien
+De corps fixes, fixés aussi pour toute chose.
+ C’est que les éléments, cent fois modifiés,
+Entrent, communs à tout, en des choses diverses,
+Variant l’aliment aux êtres variés.
+Ce qui surtout importe en leurs mille commerces,
+C’est leur accord, comment ils se sont ordonnés.
+Les mouvements entre eux soit reçus, soit donnés ;
+Car les mêmes font tout : soleil, azur et fange,
+Mers et fleuves, ainsi qu’arbres, bêtes, moissons,
+Mais combinés et mus de diverses façons.
+Et ne voyons-nous pas, dans ces vers que j’arrange,
+Les mêmes lettres faire ainsi des mots nombreux,
+Bien qu’il faille avouer que mots et vers entre eux
+De son comme de sens à tout moment diffèrent,
+Dès que les rapports seuls de leurs lettres s’altèrent ?
+Certes, les éléments, en composés divers,
+Sont plus féconds encore au monde qu’en mes vers.
+
+ Enfin d’Anaxagore explorons le système
+Rapporté par les Grecs, mais qu’ici je ne peux
+Traduire en ce parler pauvre de nos aïeux ;
+Je t’en pourrai du moins exposer l’esprit même.
+Son homœomérie est toute en ce qui suit :
+L’os est fait d’os menus de petitesse extrême,
+
+De viscères menus le viscère est produit,
+Le sang naît du concours de mille gouttelettes
+Toutes de sang, l’or vient de l’or même en paillettes,
+La terre est un amas de corps terreux en miettes,
+Le feu de corps ignés, et l’eau de corps aqueux,
+Ainsi tous les objets de corps les mêmes qu’eux.
+Il le croit, et pourtant ne veut du tout admettre
+Ni vide en les objets, ni terme aux fractions ;
+Sur l’un et l’autre point il me paraît commettre
+La même erreur que ceux que plus haut nous citions.
+En outre, il fait ainsi trop fragile le germe,
+Si l’on peut appeler germe un principe tel,
+Identique aux objets, pâtissant et mortel
+Comme eux, et n’offrant rien, pour subsister, de ferme.
+Lequel pourra tenir contre un puissant effort,
+Et se pourra sauver, sous les dents de la mort ?
+Est-ce le sang ? les os ? la flamme, l’air, ou l’onde ?
+Aucun, certes, dès lors qu’au même titre tous
+Seront aussi mortels que toute chose au monde
+Que nous voyons lutter et périr devant nous.
+Or, les choses jamais, j’en ai fourni les preuves,
+Ne rentrent au néant et n’en remontent neuves.
+ Puis, grâce aux mets, le corps s’accroît et s’entretient ;
+Il s’ensuit que les os, les nerfs, le sang, les veines,
+Faits de mets variés, sont tous hétérogènes ;
+Ou bien chaque élément est complexe et contient
+
+De petits corps nerveux et des veines complètes,
+De petits os, du sang réduit en gouttelettes ;
+Dans ce cas, l’aliment, qu’il soit humide ou sec,
+Est donc hétérogène : il y faut reconnaître
+Des nerfs, des os, du sang, mainte autre humeur avec.
+ De plus, si tous les corps que du sol on voit naître
+S’y trouvent en petit, le sol implique alors
+Des germes d’un genre autre, autant qu’il fait de corps.
+Et de tous les objets tu peux ainsi l’entendre :
+Le bois cachant en lui flamme, fumée et cendre,
+Des germes d’un genre autre y sont donc inhérents ;
+Tous les corps que la terre alimente y vont prendre
+Des corps différents d’eux, nés de corps différents.
+ Il restait au système une ombre de refuge ;
+Anaxagore ici s’en empare : il préjuge
+De tous les corps dans tous le mélange secret ;
+Seul le corps dont la dose y domine apparaît,
+Le premier sous la main et le premier qu’on voie.
+C’est là du vrai pourtant se beaucoup éloigner :
+Dans les blés, quand le grès d’un âpre effort les broie,
+La présence du sang se devrait témoigner,
+Et des autres produits que notre corps sécrète ;
+On devrait voir la meule en mouvement saigner.
+Des herbes et de l’eau serait de même extraite
+Une rosée exquise et semblable de goût
+Au lait dont les brebis ont la mamelle pleine.
+Rien qu’en pulvérisant les glèbes de la plaine,
+On verrait, dispersés en embryons partout,
+Herbes, moissons, forêts, dans le sein de la terre.
+Enfin le bois rompu révélerait le feu,
+
+La cendre et la vapeur, qu’en germes il enserre.
+Or, il est évident que rien de tel n’a lieu :
+Il est donc faux qu’ainsi les choses s’entremêlent,
+Mais les germes, communs aux corps qui les recèlent,
+Y font mainte alliance en variant leur nœud.
+ Pourtant, me diras-tu, les puissantes tempêtes,
+Soufflant sur les grands monts, contraignent quelquefois
+Les hauts arbres voisins à tant froisser leurs faîtes
+Que la flamme jaillit en vifs éclairs du bois.
+Mais la flamme en ce bois n’est pas toute produite,
+Ses germes seuls y sont qui, par le frottement
+Rassemblés, des forêts causent l’embrasement ;
+Si la flamme y gisait à l’avance introduite.
+Le feu ne se pourrait jamais dissimuler,
+Il devrait, attaquant les arbres, tout brûler.
+ Je te l’ai donc bien dit : ce qui surtout importe,
+Ce sont des éléments tous de la même sorte,
+Leur concours, le rapport qui les tient ordonnés,
+Les mouvements entre eux soit reçus, soit donnés.
+C’est ainsi que, changeant à peine leurs systèmes,
+Ils font le bois, le feu ; comme dans ces mots mêmes
+Il suflit de changer les lettres quelque peu
+Pour désigner de noms distincts le bois, le feu.
+ Enfin, si rien pour toi du spectacle des choses
+N’est explicable à moins qu’en tout tu ne supposes
+Des genres de nature analogue aux produits,
+Dans leurs propres effets les germes sont détruits ;
+S’ils vibrent dans l’éclat du ris qui les secoue,
+Comment de pleurs salés vont-ils baigner la joue ?
+
+ Courage ! entends le reste, alors tu verras mieux :
+L’ombre est épaisse, oui, mais d’un thyrse de flamme
+Un grand espoir d’honneur m’est venu frapper l’âme ;
+Il m’attise au côté l’amour délicieux
+Des Muses ! et tout plein de leur vertu, j’explore
+Des déserts que nul autre au mont Piérus encore
+N’a foulés ! Il me plait d’aller faire jaillir
+Des eaux vierges encore ; il me plaît de cueillir
+Des fleurs neuves, d’atteindre une illustre couronne
+Dont les Muses n’ont ceint les tempes de personne !
+Et mon objet est grand ! Je viens rompre les fers
+Dont les religions garrottent l’âme humaine.
+Je chante, illuminant un ténébreux domaine
+Où je colore tout de la beauté des vers !
+Et ce charme est utile à l’œuvre que je tente :
+Le médecin qui fait d’ingénieux efforts
+Pour donner aux enfants l’absinthe rebutante
+A d’un miel doux et blond du vase enduit les bords,
+Et l’approchant ainsi de leur lèvre amusée
+Leur verse à leur insu cette amère liqueur,
+Non pour mettre en péril leur candeur abusée,
+Mais leur rendre plutôt la vie et la vigueur ;
+Et moi, dont le sujet est si peu fait pour plaire,
+Sujet souvent ingrat aux disciples nouveaux
+Et toujours abhorré du rebelle vulgaire,
+Dans ce parler suave exposant mes travaux,
+J’ai voulu les dorer du doux miel de la Muse.
+Puisses-tu, jusqu’au bout, séduit par cette ruse,
+Avec moi pénétrer, sous le charme des vers,
+L’essence, la figure et l’art de l’Univers !
+
+ Solides, tu le sais, les germes de matière
+Vont et viennent sans fin, masse à jamais entière ;
+Mais leur somme, ce point doit être examiné,
+Est-elle ou non finie ? Et j’ai déterminé
+Le lieu, l’espace libre où s’agite le monde.
+Ce vide, recherchons s’il offre un champ borné
+Ou d’un abîme ouvert l’immensité profonde.
+ Certes, dans aucun sens le Tout n’est limité :
+Car il faudrait qu’au Tout fût une extrémité ;
+Or, nulle extrémité n’existe en une chose
+Sans quelque être au-delà qui la borne et qui pose
+Un terme où le trajet du regard aboutit ;
+Donc le Tout (hors duquel n’est rien sans contredit)
+Manquant d’extrémité n’a ni fin ni mesure.
+Et n’importe en quel lieu l’on s’y trouve placé,
+Toujours de quelque poste éloigné qu’on s’assure,
+On voit tout l’infini de toutes parts laissé.
+ En outre, supposons fini l’espace vide ;
+Que si quelqu’un se porte à son extrême bord,
+Et là, juste au confin, décoche un trait rapide,
+Admets-tu que, brandi par un puissant effort,
+Le trait d’un libre vol fuie où la main l’adresse,
+Ou bien que devant lui quelque obstacle se dresse ?
+C’est l’un ou l’autre : il faut évidemment opter ;
+Des deux parts point d’issue ! et tu dois reconnaître
+Qu’à l’infini s’étend tout l’ensemble de l’être,
+Car, ou bien, quelque objet venant l’intercepter,
+Ce trait n’atteindra pas à la limite même,
+Ou, s’il passe, il n’est point parti du bord extrême.
+Je te peux suivre ainsi, tu recules en vain
+
+N’importe où ; qu’advient-il de cette flèche enfin ?
+Elle ne peut trouver nulle part de limite,
+Il s’ouvre une carrière éternelle à sa fuite.
+ En outre, que l’espace entier soit limité,
+Qu’en un cercle fixé le Tout se circonscrive,
+Aussitôt par son poids la matière massive
+Se ramasse en un bloc au fond précipité ;
+Sous la voûte du ciel rien, plus rien ne circule,
+Même il n’est plus ni ciel ni rayons de soleil.
+La matière, en effet, qui toute s’accumule,
+Dès l’infini du temps croupit dans le sommeil.
+II n’en est point ainsi : les corps élémentaires
+N’ont jamais de repos, car il n’est pas de fond
+Où tous ils puissent tendre et rester sédentaires ;
+Dans une activité sans fin les choses vont
+En tous sens, et le flot des principes du monde,
+Étemels et lancés du sein du gouffre, abonde.
+ L’objet borne l’objet, partout nous l’observons :
+Les monts limitent l’air, et l’air enceint les monts,
+La mer confine au sol, le sol aux mers confine ;
+Mais le Tout hors de soi n’a rien qui le termine.
+Une lueur de foudre en son rapide cours
+Peut, tant la profondeur de l’espace est immense,
+Suivre le vol du temps en y fuyant toujours,
+Et toujours sa carrière en entier recommence.
+Ainsi, de tous côtés, des abîmes ouverts ;
+Nulle part, de limite à l’énorme univers !
+La Nature interdit à cette somme entière
+Des choses toute borne, en forçant la matière
+À borner l’être vide et la bornant par lui ;
+
+Tous deux font l’un par l’autre un ensemble infini.
+Si l’un, absorbant l’autre, eût franchi sa barrière,
+Usurpant à lui seul toute l’immensité,
+Ni terre alors, ni mer, ni coupole sereine
+Du ciel, ni corps sacrés des Dieux, ni race humaine,
+Rien n’eût, un seul moment de l’heure, subsisté ;
+La matière disjointe, en poudre, éparse toute,
+Par le grand vide irait vagabonde et dissoute ;
+Ou plutôt, de tout temps diffuse et sans lien,
+Ne se pouvant grouper, elle ne créerait rien.
+ Et ce n’est certes point par conseil et génie
+Que les germes entre eux se sont coordonnés ;
+Ils n’ont point stipulé leur future harmonie ;
+Mais de mille façons, mus, heurtés, combinés,
+Ils explorent partout l’étendue infinie ;
+Essayant toute sorte et de jeux et d’accords,
+Ils parviennent enfin jusqu’à ces assemblages
+Où se fixe créé le monde entier des corps,
+Qui reste organisé pour un grand nombre d’âges
+Dès que les mouvements ont trouvé leurs concerts.
+L’eau des fleuves ainsi roule aux avides mers
+Et les comble à grands flots, et les races pullulent
+Florissantes, la terre au doux soleil mûrit
+Des fruits nouveaux, les feux éthérés qui circulent
+Vivent ! Mais il fallait que l’infini s’ouvrît
+D’où jaillit la matière, abondamment offerte
+À tous, en temps voulu, pour réparer leur perte.
+ Comme les animaux privés de se nourrir
+Défaillent amaigris, le monde doit mourir
+Si par quelque motif, en détournant sa course,
+
+La matière une fois le laisse sans ressource.
+ Puis les chocs du dehors ne peuvent de partout
+Tenir l’ensemble uni, comme qu’il se compose ;
+Leur pression fréquente en maintient quelque chose,
+Tandis que d’autres corps viennent remplir le tout ;
+Mais cette pression, qu’un ressaut entrecoupe,
+Laisse aux germes ainsi la place et le moment
+De fuir, et de jaillir en liberté du groupe.
+Il faut donc qu’il en vienne encore abondamment,
+Et qu’à flots infinis la matière se presse,
+Afin qu’aussi les chocs se succèdent sans cesse.
+ Sur ce point, Memmius, prends garde et ne crois pas
+Que tout, comme ils l’ont dit, tende au centre du monde,
+Qu’ainsi de l’Univers l’équilibre se fonde
+Sans chocs extérieurs, et qu’en haut comme en bas,
+Tout tendant au milieu, rien ne se désagrège ;
+Quelque chose aurait donc en soi son propre siège,
+Et les corps lourds qui sont sous terre, montant tous,
+Prendraient pied sur le sol à l’opposé de nous.
+Comme on voit des objets les images dans l’onde,
+Un peuple d’animaux, selon eux, vagabonde
+Renversé, sans qu’il puisse au-dessous plutôt choir
+De terre en ciel qu’ici nos corps n’ont le pouvoir
+D’eux-mêmes de voler vers le céleste temple ;
+Ceux-là voient le soleil, lorsque notre œil contemple
+Les astres de la nuit ; avec nous tour à tour
+Partageant l’heure, ils font leur nuit de notre jour.
+ Chimères, dont l’erreur de ces fous était grosse,
+Parce qu’ils ont d’abord pris une route fausse :
+Il ne peut être au vide, au lieu sans horizon,
+
+Nul centre ; y fût-il même un centre, aucune chose
+Ne doit se fixer là par cette seule cause
+Plutôt qu’ailleurs siéger pour toute autre raison.
+En effet, tout le lieu, l’espace appelé vide,
+Doit s’ouvrir dans le centre aussi bien qu’en dehors
+Aux corps pesants partout où leur chute les guide.
+Il n’est pas d’endroit tel qu’arrivé là le corps,
+Cessant de graviter, dans l’abîme réside.
+Tout vide sous le poids qui s’y veut appuyer
+Cède indéfiniment par son essence même.
+Rien de tel ne peut donc maintenir le système
+Des corps, et par l’attrait d’un centre les lier.
+ Ce ne sont pas d’ailleurs tous les corps qu’ils prétendent
+Vers le centre poussés, mais bien certains d’entre eux :
+Les terres, les liqueurs, les corps quasi terreux,
+Océans, grandes eaux qui des sommets descendent ;
+Tandis qu’inversement les atomes de feu,
+Les particules d’air s’écartent du milieu :
+Tout l’éther étoilé vibre en formant la sphère,
+Et le soleil repaît ses flammes au champ bleu
+Du ciel, où tout le feu rayonné s’agglomère.
+Des arbres, disent-ils, jamais ne verdirait
+Le faîte, si du sol chacun d’eux ne tirait
+Les murs rompus du monde, entraînant tout le reste,
+
+Ou que ne croule bas l’ample voûte céleste,
+Que, sous les pieds la terre en un clin d’œil fuyant,
+Dans leurs débris mêlés cieux et choses broyant
+Les corps, tout n’aille au vide, immensité profonde,
+Et qu’en un point de temps rien ne subsiste au monde
+Hors la matière aveugle et l’espace désert.
+Car, si les éléments font faute en quelque place,
+Au désastre commun c’est un passage ouvert :
+La matière par là va jaillir toute en masse.
+
+ Retiens ces vers, le reste aisément s’en déduit :
+Un point éclaircit l’autre, en vain la nuit obscure
+Couvre tes pas, va lire au cœur de la Nature :
+Va ! c’est ainsi qu’au vrai le vrai s’allume et luit !
+
+
diff --git a/test/prudhomme.tpl b/test/prudhomme.tpl
@@ -0,0 +1 @@
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diff --git a/verse.py b/verse.py
@@ -106,11 +106,10 @@ class Verse:
self.phon = None
self.possible = None
- self.hyphen_regexp = re.compile("(-*)")
- whitespace_regexp = re.compile("(\s*)")
- ys_regexp = re.compile("(\s*)")
+ self.hyphen_regexp = re.compile("(-+)")
+ whitespace_regexp = re.compile("(\s+)")
all_consonants = consonants + consonants.upper()
- consonants_regexp = re.compile('([^'+all_consonants+'*-]*)', re.UNICODE)
+ consonants_regexp = re.compile('([^'+all_consonants+'*-]+)', re.UNICODE)
words = re.split(whitespace_regexp, line)
words = remove_trivial(words, (lambda w: re.match("^\s*$", w) or
@@ -243,7 +242,7 @@ class Verse:
first_letter == first_letter.upper())
# case of 'y'
- ys_regexp = re.compile("(y*)")
+ ys_regexp = re.compile("(y+)")
for i, w in enumerate(self.chunks):
new_word = []
for j, chunk in enumerate(w):