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Author: Antoine Amarilli <a3nm@a3nm.net>
Date: Mon, 12 Aug 2019 23:43:38 +0200
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+Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel ;
+Je viens, selon l’usage antique et solennel,
+Célébrer avec vous la fameuse journée
+Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée.
+Que les temps sont changés ! Sitôt que de ce jour
+La trompette sacrée annonçait le retour,
+Du temple, orné partout de festons magnifiques,
+Le peuple saint en foule inondait les portiques ;
+Et tous, devant l’autel avec ordre introduits,
+De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux fruits,
+Au Dieu de l’univers consacraient ces prémices :
+Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices.
+L’audace d’une femme arrêtant ce concours,
+En des jours ténébreux a changé ces beaux jours.
+D’adorateurs zélés à peine un petit nombre
+Ose des premiers temps nous retracer quelque ombre,
+Le reste pour son Dieu montre un oubli fatal ;
+Ou même, s’empressant aux autels de Baal,
+Se fait initier à ses honteux mystères,
+Et blasphème le nom qu’ont invoqué leurs pères.
+Je tremble qu’Athalie, à ne vous rien cacher,
+Vous-même de l’autel vous faisant arracher,
+N’achève enfin sur vous ses vengeances funestes,
+Et d’un respect forcé ne dépouille les restes.
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+D’où vous vient aujourd’hui ce noir pressentiment ?
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+Pensez-vous être saint et juste impunément ?
+Dès longtemps elle hait cette fermeté rare
+Qui rehausse en Joad l’éclat de la tiare ;
+Dès longtemps votre amour pour la religion
+Est traité de révolte et de sédition.
+Du mérite éclatant cette reine jalouse
+Hait surtout Josabeth, votre fidèle épouse.
+Si du grand prêtre Aaron Joad est successeur,
+De notre dernier roi Josabeth est la sœur.
+Mathan, d’ailleurs, Mathan, ce prêtre sacrilége,
+Plus méchant qu’Athalie, à toute heure l’assiége ;
+Mathan, de nos autels infâme déserteur,
+Et de toute vertu zélé persécuteur.
+C’est peu que, le front ceint d’une mitre étrangère,
+Ce lévite à Baal prête son ministère ;
+Ce temple l’importune, et son impiété
+Voudrait anéantir le Dieu qu’il a quitté.
+Pour vous perdre il n’est point de ressorts qu’il n’invente ;
+Quelquefois il vous plaint, souvent même il vous vante ;
+Il affecte pour vous une fausse douceur ;
+Et par là de son fiel colorant la noirceur,
+Tantôt à cette reine il vous peint redoutable,
+Tantôt, voyant pour l’or sa soif insatiable,
+Il lui feint qu’en un lieu que vous seul connaissez
+Vous cachez des trésors par David amassés.
+Enfin, depuis deux jours, la superbe Athalie
+Dans un sombre chagrin paraît ensevelie.
+Je l’observais hier, et je voyais ses yeux
+Lancer sur le lieu saint des regards furieux :
+Comme si, dans le fond de ce vaste édifice,
+Dieu cachait un vengeur armé pour son supplice.
+Croyez-moi ; plus j’y pense, et moins je puis douter
+Que sur vous son courroux ne soit près d’éclater,
+Et que de Jézabel la fille sanguinaire
+Ne vienne attaquer Dieu jusqu’en son sanctuaire.
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+Celui qui met un frein à la fureur des flots
+Sait aussi des méchants arrêter les complots.
+Soumis avec respect à sa volonté sainte,
+Je crains Dieu, cher Abner, et n’ai point d’autre crainte.
+Cependant je rends grâce au zèle officieux
+Qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les yeux.
+Je vois que l’injustice en secret vous irrite,
+Que vous avez encor le cœur israélite.
+Le ciel en soit béni ! Mais ce secret courroux,
+Cette oisive vertu, vous en contentez-vous ?
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+La foi qui n’agit point, est-ce une foi sincère ?
+Huit ans déjà passés, une impie étrangère
+Du sceptre de David usurpe tous les droits,
+Se baigne impunément dans le sang de nos rois,
+Des enfants de son fils détestable homicide,
+Et même contre Dieu lève son bras perfide ;
+Et vous, l’un des soutiens de ce tremblant État,
+Vous, nourri dans les camps du saint roi Josaphat,
+Qui sous son fils Joram commandiez nos armées,
+Qui rassurâtes seul nos villes alarmées,
+Lorsque d’Ochozias le trépas imprévu
+Dispersa tout son camp à l’aspect de Jéhu :
+« Je crains Dieu, dites-vous ; sa vérité me touche ! »
+Voici comme ce Dieu vous répond par ma bouche :
+« Du zèle de ma loi que sert de vous parer ?
+« Par de stériles vœux pensez-vous m’honorer ?
+« Quel fruit me revient-il de tous vos sacrifices ?
+« Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses ?
+« Le sang de vos rois crie, et n’est point écouté.
+« Rompez, rompez tout pacte avec l’impiété ;
+« Du milieu de mon peuple exterminez les crimes ;
+« Et vous viendrez alors m’immoler vos victimes. »
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+Eh ! que puis-je au milieu de ce peuple abattu ?
+Benjamin est sans force, et Juda sans vertu :
+Le jour qui de leurs rois vit éteindre la race
+Éteignit tout le feu de leur antique audace.
+Dieu même, disent-ils, s’est retiré de nous :
+De l’honneur des Hébreux autrefois si jaloux,
+Il voit sans intérêt leur grandeur terrassée ;
+Et sa miséricorde à la fin s’est lassée :
+On ne voit plus pour nous ses redoutables mains
+De merveilles sans nombre effrayer les humains ;
+L’arche sainte est muette, et ne rend plus d’oracles.
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+Et quel temps fut jamais si fertile en miracles ?
+Quand Dieu par plus d’effets montra-t-il son pouvoir ?
+Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir,
+Peuple ingrat ? Quoi ! toujours les plus grandes merveilles
+Sans ébranler ton cœur frapperont tes oreilles ?
+Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours
+Des prodiges fameux accomplis en nos jours,
+Des tyrans d’Israël les célèbres disgrâces,
+Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces ;
+L’impie Achab détruit, et de son sang trempé
+Le champ que par le meurtre il avait usurpé ;
+Près de ce champ fatal Jézabel immolée,
+Sous les pieds des chevaux cette reine foulée,
+Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,
+Et de son corps hideux les membres déchirés ;
+Des prophètes menteurs la troupe confondue,
+Et la flamme du ciel sur l’autel descendue ;
+Élie aux éléments parlant en souverain,
+Les cieux par lui fermés et devenus d’airain,
+Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée,
+Les morts se ranimant à la voix d’Élisée ?
+Reconnaissez, Abner, à ces traits éclatants,
+Un Dieu tel aujourd’hui qu’il fut dans tous les temps :
+Il sait, quand il lui plaît, faire éclater sa gloire ;
+Et son peuple est toujours présent à sa mémoire.
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+Mais où sont ces honneurs à David tant promis,
+Et prédits même encore à Salomon son fils ?
+Hélas ! nous espérions que de leur race heureuse
+Devait sortir de rois une suite nombreuse ;
+Que sur toute tribu, sur toute nation,
+L’un d’eux établirait sa domination,
+Ferait cesser partout la discorde et la guerre,
+Et verrait à ses pieds tous les rois de la terre.
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+Aux promesses du ciel pourquoi renoncez-vous ?
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+Ce roi fils de David, où le chercherons-nous ?
+Le ciel même peut-il réparer les ruines
+De cet arbre séché jusque dans ses racines ?
+Athalie étouffa l’enfant même au berceau.
+Les morts, après huit ans, sortent-ils du tombeau ?
+Ah ! si dans sa fureur elle s’était trompée,
+Si du sang de nos rois quelque goutte échappée…
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+Eh bien, que feriez-vous ? Ô jour heureux pour moi !
+De quelle ardeur j’irais reconnaître mon roi !
+Doutez-vous qu’à ses pieds nos tribus empressées…
+Mais pourquoi me flatter de ces vaines pensées ?
+Déplorable héritier de ces rois triomphants,
+Ochozias restait seul avec ses enfants ;
+Par les traits de Jéhu je vis percer le père ;
+Vous avez vu les fils massacrés par la mère.
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+Je ne m’explique point ; mais quand l’astre du jour
+Aura sur l’horizon fait le tiers de son tour,
+Lorsque la troisième heure aux prières rappelle,
+Retrouvez-vous au temple avec ce même zèle.
+Dieu pourra vous montrer, par d’importants bienfaits,
+Que sa parole est stable, et ne trompe jamais.
+Allez : pour ce grand jour il faut que je m’apprête,
+Et du temple déjà l’aube blanchit le faîte.
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+Quel sera ce bienfait, que je ne comprends pas ?
+L’illustre Josabeth porte vers vous ses pas :
+Je sors, et vais me joindre à la troupe fidèle
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+Qu’attire de ce jour la pompe solennelle.
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+Les temps sont accomplis, princesse : il faut parler,
+Et votre heureux larcin ne se peut plus celer.
+Des ennemis de Dieu la coupable insolence
+Abusant contre lui de ce profond silence,
+Accuse trop longtemps ses promesses d’erreur.
+Que dis-je ? le succès animant leur fureur,
+Jusque sur notre autel votre injuste marâtre
+Veut offrir à Baal un encens idolâtre.
+Montrons ce jeune roi que vos mains ont sauvé,
+Sous l’aile du Seigneur dans le temple élevé.
+De nos princes hébreux il aura le courage,
+Et déjà son esprit a devancé son âge.
+Avant que son destin s’explique par ma voix,
+Je vais l’offrir au Dieu par qui règnent les rois :
+Aussitôt assemblant nos lévites, nos prêtres,
+Je leur déclarerai l’héritier de leurs maîtres.
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+Sait-il déjà son nom et son noble destin ?
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+Il ne répond encor qu’au nom d’Éliacin,
+Et se croit quelque enfant rejeté par sa mère,
+À qui j’ai par pitié daigné servir de père.
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+Hélas ! de quel péril je l’avais su tirer !
+Dans quel péril encor il est près de rentrer !
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+Quoi ! déjà votre foi s’affaiblit et s’étonne ?
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+À vos sages conseils, seigneur, je m’abandonne.
+Du jour que j’arrachai cet enfant à la mort,
+Je remis en vos mains tout le soin de son sort ;
+Même, de mon amour craignant la violence,
+Autant que je le puis j’évite sa présence,
+De peur qu’en le voyant quelque trouble indiscret
+Ne fasse avec mes pleurs échapper mon secret.
+Surtout j’ai cru devoir aux larmes, aux prières,
+Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières.
+Cependant aujourd’hui puis-je vous demander
+Quels amis vous avez prêts à vous seconder ?
+Abner, le brave Abner, viendra-t-il nous défendre ?
+A-t-il près de son roi fait serment de se rendre ?
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+Abner, quoiqu’on se pût assurer sur sa foi,
+Ne sait pas même encor si nous avons un roi.
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+Mais à qui de Joas confiez-vous la garde ?
+Est-ce Obed, est-ce Amnon que cet honneur regarde ?
+De mon père sur eux les bienfaits répandus…
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+À l’injuste Athalie ils se sont tous vendus.
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+Qui donc opposez-vous contre ses satellites ?
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+Ne vous l’ai-je pas dit ? Nos prêtres, nos lévites.
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+Je sais que, près de vous en secret assemblé,
+Par vos soins prévoyants leur nombre est redoublé ;
+Que pleins d’amour pour vous, d’horreur pour Athalie,
+Un serment solennel par avance les lie
+À ce fils de David qu’on leur doit révéler.
+Mais, quelque noble ardeur dont ils puissent brûler,
+Peuvent-ils de leur roi venger seuls la querelle ?
+Pour un si grand ouvrage est-ce assez de leur zèle ?
+Doutez-vous qu’Athalie, au premier bruit semé
+Qu’un fils d’Ochozias est ici renfermé,
+De ses fiers étrangers assemblant les cohortes,
+N’environne le temple, et n’en brise les portes ?
+Suffira-t-il contre eux de vos ministres saints,
+Qui, levant au Seigneur leurs innocentes mains,
+Ne savent que gémir et prier pour nos crimes,
+Et n’ont jamais versé que le sang des victimes ?
+Peut-être dans leurs bras Joas percé de coups…
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+Et comptez-vous pour rien Dieu qui combat pour nous ;
+Dieu, qui de l’orphelin protége l’innocence,
+Et fait dans la faiblesse éclater sa puissance ;
+Dieu, qui hait les tyrans, et qui dans Jezraël
+Jura d’exterminer Achab et Jézabel ;
+Dieu, qui frappant Joram, le mari de leur fille,
+A jusque sur son fils poursuivi leur famille ;
+Dieu, dont le bras vengeur, pour un temps suspendu,
+Sur cette race impie est toujours étendu ?
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+Et c’est sur tous ces rois sa justice sévère
+Que je crains pour le fils de mon malheureux frère.
+Qui sait si cet enfant, par leur crime entraîné,
+Avec eux en naissant ne fut pas condamné ?
+Si Dieu, le séparant d’une odieuse race,
+En faveur de David voudra lui faire grâce ?
+Hélas ! l’état horrible où le ciel me l’offrit
+Revient à tout moment effrayer mon esprit.
+De princes égorgés la chambre était remplie ;
+Un poignard à la main l’implacable Athalie
+Au carnage animait ses barbares soldats,
+Et poursuivait le cours de ses assassinats.
+Joas, laissé pour mort, frappa soudain ma vue :
+Je me figure encor sa nourrice éperdue,
+Qui devant les bourreaux s’était jetée en vain,
+Et, faible, le tenait renversé sur son sein.
+Je le pris tout sanglant. En baignant son visage
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+Mes pleurs du sentiment lui rendirent l’usage ;
+Et, soit frayeur encore, ou pour me caresser,
+De ses bras innocents je me sentis presser.
+Grand Dieu ! que mon amour ne lui soit point funeste !
+Du fidèle David c’est le précieux reste :
+Nourri dans ta maison, en l’amour de ta loi,
+Il ne connaît encor d’autre père que toi.
+Sur le point d’attaquer une reine homicide,
+À l’aspect du péril si ma foi s’intimide,
+Si la chair et le sang, se troublant aujourd’hui,
+Ont trop de part aux pleurs que je répands pour lui,
+Conserve l’héritier de tes saintes promesses,
+Et ne punis que moi de toutes mes faiblesses !
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+
+Vos larmes, Josabeth, n’ont rien de criminel ;
+Mais Dieu veut qu’on espère en son soin paternel.
+Il ne recherche point, aveugle en sa colère,
+Sur le fils qui le craint l’impiété du père.
+Tout ce qui reste encor de fidèles Hébreux
+Lui viendront aujourd’hui renouveler leurs vœux :
+Autant que de David la race est respectée,
+Autant de Jézabel la fille est détestée.
+Joas les touchera par sa noble pudeur,
+Où semble de son sang reluire la splendeur ;
+Et Dieu par sa voix même appuyant notre exemple,
+De plus près à leur cœur parlera de son temple.
+Deux infidèles rois tour à tour l’ont bravé :
+Il faut que sur le trône un roi soit élevé,
+Qui se souvienne un jour qu’au rang de ses ancêtres
+Dieu l’a fait remonter par la main de ses prêtres,
+L’a tiré par leur main de l’oubli du tombeau,
+Et de David éteint rallumé le flambeau.
+Grand Dieu, si tu prévois qu’indigne de sa race
+Il doive de David abandonner la trace,
+Qu’il soit comme le fruit en naissant arraché,
+Ou qu’un souffle ennemi dans sa fleur a séché !
+Mais si ce même enfant, à tes ordres docile,
+Doit être à tes desseins un instrument utile,
+Fais qu’au juste héritier le sceptre soit remis ;
+Livre à mes faibles mains ses puissants ennemis ;
+Confonds dans ses conseils une reine cruelle :
+Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle
+Répandre cet esprit d’imprudence et d’erreur,
+De la chute des rois funeste avant-coureur !
+L’heure me presse : adieu. Des plus saintes familles
+Votre fils et sa sœur vous amènent les filles.
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+Cher Zacharie, allez, ne vous arrêtez pas ;
+De votre auguste père accompagnez les pas.
+Ô filles de Lévi, troupe jeune et fidèle,
+Que déjà le Seigneur embrase de son zèle,
+Qui venez si souvent partager mes soupirs,
+Enfants, ma seule joie en mes longs déplaisirs,
+Ces festons dans vos mains, et ces fleurs sur vos têtes,
+Autrefois convenaient à nos pompeuses fêtes :
+Mais, hélas ! en ce temps d’opprobre et de douleurs,
+Quelle offrande sied mieux que celle de nos pleurs !
+J’entends déjà, j’entends la trompette sacrée,
+Et du temple bientôt on permettra l’entrée.
+Tandis que je me vais préparer à marcher,
+Chantez, louez le Dieu que vous venez chercher.
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+Mes filles, c’est assez ; suspendez vos cantiques :
+Il est temps de nous joindre aux prières publiques.
+Voici notre heure : allons célébrer ce grand jour,
+Et devant le Seigneur paraître à notre tour.
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+Mais que vois-je ? Mon fils, quel sujet vous ramène ?
+Où courez-vous ainsi tout pâle et hors d’haleine ?
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+Ô ma mère ! Eh bien ! quoi ? Le temple est profané…
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+Comment ? Et du Seigneur l’autel abandonné.
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+Je tremble. Hâtez-vous d’éclaircir votre mère.
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+Déjà, selon la loi, le grand prêtre mon père,
+Après avoir au Dieu qui nourrit les humains
+De la moisson nouvelle offert les premiers pains,
+Lui présentait encore entre ses mains sanglantes
+Des victimes de paix les entrailles fumantes ;
+Debout à ses côtés le jeune Éliacin
+Comme moi le servait en long habit de lin ;
+Et cependant du sang de la chair immolée
+Les prêtres arrosaient l’autel et l’assemblée :
+Un bruit confus s’élève, et du peuple surpris
+Détourne tout à coup les yeux et les esprits.
+Une femme… Peut-on la nommer sans blasphème !
+Une femme… C’était Athalie elle-même…
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+Ciel ! Dans un des parvis aux hommes réservé
+Cette femme superbe entre, le front levé,
+Et se préparait même à passer les limites
+De l’enceinte sacrée ouverte aux seuls lévites.
+Le peuple s’épouvante, et fuit de toutes parts.
+Mon père… Ah ! quel courroux animait ses regards !
+Moïse à Pharaon parut moins formidable :
+« Reine, sors, a-t-il dit, de ce lieu redoutable,
+« D’où te bannit ton sexe et ton impiété.
+« Viens-tu du Dieu vivant braver la majesté ? »
+La reine alors, sur lui jetant un œil farouche,
+Pour blasphémer sans doute ouvrait déjà la bouche.
+J’ignore si de Dieu l’ange se dévoilant,
+Est venu lui montrer un glaive étincelant ;
+
+Mais sa langue en sa bouche à l’instant s’est glacée,
+Et toute son audace a paru terrassée ;
+Ses yeux, comme effrayés, n’osaient se détourner ;
+Surtout Éliacin paraissait l’étonner.
+
+
+
+Quoi donc ! Éliacin a paru devant elle ?
+
+
+
+Nous regardions tous deux cette reine cruelle,
+Et d’une égale horreur nos cœurs étaient frappés.
+Mais les prêtres bientôt nous ont enveloppés :
+On nous a fait sortir. J’ignore tout le reste,
+Et venais vous conter ce désordre funeste.
+
+
+
+Ah ! de nos bras sans doute elle vient l’arracher ;
+Et c’est lui qu’à l’autel sa fureur vient chercher.
+Peut-être en ce moment l’objet de tant de larmes…
+Souviens-toi de David, Dieu qui vois mes alarmes !
+
+
+
+Quel est-il, cet objet des pleurs que vous versez ?
+
+
+
+Les jours d’Éliacin seraient-ils menacés ?
+
+
+
+Aurait-il de la reine attiré la colère ?
+
+
+
+Que craint-on d’un enfant sans support et sans père ?
+
+
+
+Ah ! la voici. Sortons : il la faut éviter.
+
+
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+
+
+Madame, dans ces lieux pourquoi vous arrêter ?
+Ici tous les objets vous blessent, vous irritent.
+Abandonnez ce temple aux prêtres qui l’habitent ;
+Fuyez tout ce tumulte, et dans votre palais
+À vos sens agités venez rendre la paix.
+
+
+
+Non, je ne puis : tu vois mon trouble et ma faiblesse.
+Va, fais dire à Mathan qu’il vienne, qu’il se presse ;
+Heureuse si je puis trouver par son secours
+Cette paix que je cherche, et qui me fuit toujours !
+
+
+
+
+
+
+
+Madame, pardonnez si j’ose le défendre :
+Le zèle de Joad n’a point dû vous surprendre.
+Du Dieu que nous servons tel est l’ordre éternel ;
+Lui-même il nous traça son temple et son autel,
+Aux seuls enfants d’Aaron commit ses sacrifices,
+Aux lévites marqua leur place et leurs offices,
+Et surtout défendit à leur postérité
+Avec tout autre dieu toute société.
+Eh quoi ! vous de nos rois et la femme et la mère,
+Êtes-vous à ce point parmi nous étrangère ?
+Ignorez-vous nos lois ? et faut-il qu’aujourd’hui…
+Voici votre Mathan : je vous laisse avec lui.
+
+
+
+Votre présence, Abner, est ici nécessaire.
+Laissons là de Joad l’audace téméraire,
+Et tout ce vain amas de superstitions
+Qui ferment votre temple aux autres nations :
+Un sujet plus pressant excite mes alarmes.
+Je sais que, dès l’enfance élevé dans les armes,
+Abner a le cœur noble, et qu’il rend à la fois
+Ce qu’il doit à son Dieu, ce qu’il doit à ses rois.
+Demeurez. Grande reine, est-ce ici votre place ?
+Quel trouble vous agite, et quel effroi vous glace ?
+Parmi vos ennemis que venez-vous chercher ?
+De ce temple profane osez-vous approcher ?
+Avez-vous dépouillé cette haine si vive…
+
+
+
+Prêtez-moi l’un et l’autre une oreille attentive.
+Je ne veux point ici rappeler le passé,
+Ni vous rendre raison du sang que j’ai versé :
+Ce que j’ai fait, Abner, j’ai cru le devoir faire.
+Je ne prends point pour juge un peuple téméraire :
+Quoi que son insolence ait osé publier,
+Le ciel même a pris soin de me justifier.
+Sur d’éclatants succès ma puissance établie
+A fait jusqu’aux deux mers respecter Athalie ;
+Par moi Jérusalem goûte un calme profond ;
+Le Jourdain ne voit plus l’Arabe vagabond,
+Ni l’altier Philistin, par d’éternels ravages,
+Comme au temps de vos rois, désoler ses rivages ;
+Le Syrien me traite et de reine et de sœur ;
+Enfin de ma maison le perfide oppresseur,
+Qui devait jusqu’à moi pousser sa barbarie,
+Jéhu, le fier Jéhu, tremble dans Samarie ;
+De toutes parts pressé par un puissant voisin,
+Que j’ai su soulever contre cet assassin,
+Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse.
+Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse ;
+Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours,
+De mes prospérités interrompre le cours.
+Un songe (me devrais-je inquiéter d’un songe !)
+Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge :
+
+Je l’évite partout, partout il me poursuit.
+C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit ;
+Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,
+Comme au jour de sa mort pompeusement parée ;
+Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté ;
+Même elle avait encor cet éclat emprunté
+Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage,
+Pour réparer des ans l’irréparable outrage :
+« Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi ;
+« Le cruel Dieu des Juifs l’emporte aussi sur toi.
+« Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
+« Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables,
+Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
+Et moi je lui tendais les mains pour l’embrasser ;
+Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
+D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
+Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux
+Que des chiens dévorants se disputaient entre eux…
+
+
+
+Grand Dieu ! Dans ce désordre à mes yeux se présente
+Un jeune enfant couvert d’une robe éclatante,
+Tels qu’on voit des Hébreux les prêtres revêtus.
+Sa vue a ranimé mes esprits abattus ;
+Mais lorsque, revenant de mon trouble funeste,
+J’admirais sa douceur, son air noble et modeste,
+J’ai senti tout à coup un homicide acier
+Que le traître en mon sein a plongé tout entier.
+De tant d’objets divers le bizarre assemblage
+Peut-être du hasard vous paraît un ouvrage :
+Moi-même quelque temps, honteuse de ma peur,
+Je l’ai pris pour l’effet d’une sombre vapeur.
+Mais de ce souvenir mon âme possédée
+A deux fois en dormant revu la même idée ;
+Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer
+Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.
+Lasse enfin des horreurs dont j’étais poursuivie,
+J’allais prier Baal de veiller sur ma vie,
+Et chercher du repos au pied de ses autels :
+Que ne peut la frayeur sur l’esprit des mortels !
+Dans le temple des Juifs un instinct m’a poussée,
+Et d’apaiser leur Dieu j’ai conçu la pensée ;
+J’ai cru que des présents calmeraient son courroux,
+Que ce Dieu, quel qu’il soit, en deviendrait plus doux.
+Pontife de Baal, excusez ma faiblesse.
+J’entre : le peuple fuit, le sacrifice cesse,
+Le grand prêtre vers moi s’avance avec fureur :
+Pendant qu’il me parlait, ô surprise ! ô terreur !
+J’ai vu ce même enfant dont je suis menacée,
+Tel qu’un songe effrayant l’a peint à ma pensée.
+Je l’ai vu : son même air, son même habit de lin,
+Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin ;
+C’est lui-même. Il marchait à côté du grand prêtre ;
+Mais bientôt à ma vue on l’a fait disparaître.
+Voilà quel trouble ici m’oblige à m’arrêter,
+Et sur quoi j’ai voulu tous deux vous consulter.
+Que présage, Mathan, ce prodige incroyable ?
+
+
+
+Ce songe et ce rapport, tout me semble effroyable…
+
+
+
+Mais cet enfant fatal, Abner, vous l’avez vu :
+Quel est-il ? de quel sang, et de quelle tribu ?
+
+
+
+Deux enfants à l’autel prêtaient leur ministère :
+L’un est fils de Joad, Josabeth est sa mère ;
+L’autre m’est inconnu. Pourquoi délibérer ?
+De tous les deux, madame, il se faut assurer.
+Vous savez pour Joad mes égards, mes mesures ;
+Que je ne cherche point à venger mes injures ;
+Que la seule équité règne en tous mes avis ;
+Mais lui-même après tout, fût-ce son propre fils,
+Voudrait-il un moment laisser vivre un coupable ?
+
+
+
+De quel crime un enfant peut-il être capable ?
+
+
+
+Le ciel nous le fait voir un poignard à la main :
+Le ciel est juste et sage, et ne fait rien en vain.
+Que cherchez-vous de plus ? Mais sur la foi d’un songe,
+Dans le sang d’un enfant voulez-vous qu’on se plonge ?
+Vous ne savez encor de quel père il est né,
+Quel il est. On le craint : tout est examiné.
+À d’illustres parents s’il doit son origine,
+La splendeur de son sort doit hâter sa ruine ;
+Dans le vulgaire obscur si le sort l’a placé,
+Qu’importe qu’au hasard un sang vil soit versé ?
+Est-ce aux rois à garder cette lente justice ?
+Leur sûreté souvent dépend d’un prompt supplice.
+N’allons point les gêner d’un soin embarrassant :
+Dès qu’on leur est suspect, on n’est plus innocent.
+
+
+
+Eh quoi, Mathan ? d’un prêtre est-ce là le langage ?
+Moi, nourri dans la guerre, aux horreurs du carnage,
+Des vengeances des rois ministre rigoureux,
+C’est moi qui prête ici ma voix au malheureux !
+Et vous qui lui devez des entrailles de père,
+Vous, ministre de paix dans les temps de colère,
+Couvrant d’un zèle faux votre ressentiment,
+Le sang à votre gré coule trop lentement !
+Vous m’avez commandé de vous parler sans feinte,
+Madame : quel est donc ce grand sujet de crainte ?
+Un songe, un faible enfant que votre œil prévenu
+
+Peut-être sans raison croit avoir reconnu.
+
+
+
+Je le veux croire, Abner ; je puis m’être trompée ;
+Peut-être un songe vain m’a trop préoccupée.
+Eh bien ! il faut revoir cet enfant de plus près ;
+Il en faut à loisir examiner les traits.
+Qu’on les fasse tous deux paraître en ma présence.
+
+
+
+Je crains… Manquerait-on pour moi de complaisance ?
+De ce refus bizarre où seraient les raisons ?
+Il pourrait me jeter en d’étranges soupçons.
+Que Josabeth, vous dis-je, ou Joad les amène.
+Je puis, quand je voudrai, parler en souveraine.
+Vos prêtres, je veux bien, Abner, vous l’avouer,
+Des bontés d’Athalie ont lieu de se louer.
+Je sais sur ma conduite et contre ma puissance
+Jusqu’où de leurs discours ils portent la licence :
+Ils vivent cependant, et leur temple est debout.
+Mais je sens que bientôt ma douceur est à bout.
+Que Joad mette un frein à son zèle sauvage,
+Et ne m’irrite point par un second outrage.
+Allez. Enfin je puis parler en liberté ;
+Je puis dans tout son jour mettre la vérité.
+Quelque monstre naissant dans ce temple s’élève,
+Reine : n’attendez pas que le nuage crève.
+Abner chez le grand prêtre a devancé le jour :
+Pour le sang de ses rois vous savez son amour.
+Et qui sait si Joad ne veut point en leur place
+Substituer l’enfant dont le ciel vous menace,
+Soit son fils, soit quelque autre… Oui, vous m’ouvrez les yeux :
+Je commence à voir clair dans cet avis des cieux.
+Mais je veux de mon doute être débarrassée :
+Un enfant est peu propre à trahir sa pensée ;
+Souvent d’un grand dessein un mot nous fait juger.
+Laissez-moi, cher Mathan, le voir, l’interroger.
+Vous, cependant, allez ; et sans jeter d’alarmes,
+À tous mes Syriens faites prendre les armes.
+
+
+
+
+
+
+
+Ô vous, sur ces enfants si chers, si précieux,
+Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux.
+
+
+
+Princesse, assurez-vous, je les prends sous ma garde.
+
+
+
+Ô ciel ! plus j’examine et plus je le regarde…
+C’est lui ! D’horreur encor tous mes sens sont saisis.
+Épouse de Joad, est-ce là votre fils ?
+
+
+
+Qui ? lui, madame ? Lui. Je ne suis point sa mère.
+Voilà mon fils. Et vous, quel est donc votre père ?
+Jeune enfant, répondez. Le ciel jusque aujourd’hui…
+
+
+
+Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui ?
+C’est à lui de parler. Dans un âge si tendre
+Quel éclaircissement en pouvez-vous attendre ?
+
+
+
+Cet âge est innocent ; son ingénuité
+N’altère point encor la simple vérité.
+Laissez-le s’expliquer sur tout ce qui le touche.
+
+
+
+Daigne mettre, grand Dieu, ta sagesse en sa bouche !
+
+
+
+Comment vous nommez-vous ? J’ai nom Éliacin.
+
+
+
+Votre père ? Je suis, dit-on, un orphelin
+Entre les bras de Dieu jeté dès ma naissance,
+Et qui de mes parents n’eus jamais connaissance.
+
+
+
+Vous êtes sans parents ? Ils m’ont abandonné.
+
+
+
+Comment ? et depuis quand ? Depuis que je suis né.
+
+
+Ne sait-on pas au moins quel pays est le vôtre ?
+
+
+
+Ce temple est mon pays ; je n’en connais point d’autre.
+
+
+
+Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer ?
+
+
+
+Parmi des loups cruels prêts à me dévorer.
+
+
+
+Qui vous mit dans ce temple ? Une femme inconnue,
+Qui ne dit point son nom, et qu’on n’a point revue.
+
+
+
+Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin ?
+
+
+
+Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ?
+Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
+Et sa bonté s’étend sur toute la nature.
+Tous les jours je l’invoque ; et d’un soin paternel
+Il me nourrit des dons offerts sur son autel.
+
+
+
+Quel prodige nouveau me trouble et m’embarrasse !
+La douceur de sa voix, son enfance, sa grâce,
+Font insensiblement à mon inimitié
+Succéder… Je serais sensible à la pitié !
+
+
+
+Madame, voilà donc cet ennemi terrible ?
+De vos songes menteurs l’imposture est visible,
+À moins que la pitié qui semble vous troubler
+Ne soit ce coup fatal qui vous faisait trembler.
+
+
+
+Vous sortez ? Vous avez entendu sa fortune :
+Sa présence à la fin pourrait être importune.
+
+
+
+Non : revenez. Quel est tous les jours votre emploi ?
+
+
+
+J’adore le Seigneur ; on m’explique sa loi ;
+Dans son livre divin on m’apprend à la lire ;
+Et déjà de ma main je commence à l’écrire.
+
+
+
+Que vous dit cette loi ? Que Dieu veut être aimé ;
+Qu’il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé,
+Qu’il est le défenseur de l’orphelin timide ;
+Qu’il résiste au superbe et punit l’homicide.
+
+
+
+J’entends. Mais tout ce peuple enfermé dans ce lieu,
+À quoi s’occupe-t-il ? Il loue, il bénit Dieu.
+
+
+
+Dieu veut-il qu’à toute heure on prie, on le contemple ?
+
+
+
+Tout profane exercice est banni de son temple.
+
+
+
+Quels sont donc vos plaisirs ? Quelquefois à l’autel
+Je présente au grand prêtre ou l’encens ou le sel ;
+J’entends chanter de Dieu les grandeurs infinies ;
+Je vois l’ordre pompeux de ses cérémonies.
+
+
+
+Eh quoi ! vous n’avez point de passe-temps plus doux ?
+Je plains le triste sort d’un enfant tel que vous.
+Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.
+
+
+
+Moi ! des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire !
+
+
+
+Non ! je ne vous veux pas contraindre à l’oublier.
+
+
+
+Vous ne le priez point. Vous pourrez le prier.
+
+
+
+Je verrais cependant en invoquer un autre.
+
+
+
+J’ai mon dieu que je sers, vous servirez le vôtre :
+Ce sont deux puissants dieux. Il faut craindre le mien.
+Lui seul est Dieu, madame ; et le vôtre n’est rien.
+
+
+
+Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule.
+
+
+
+Le bonheur des méchants comme un torrent s’écoule.
+
+
+
+Ces méchants, qui sont-ils ? Eh, madame ! excusez
+Un enfant… J’aime à voir comme vous l’instruisez.
+Enfin, Éliacin, vous avez su me plaire ;
+Vous n’êtes point sans doute un enfant ordinaire.
+Vous voyez, je suis reine et n’ai point d’héritier :
+Laissez là cet habit, quittez ce vil métier ;
+Je veux vous faire part de toutes mes richesses ;
+Essayez dès ce jour l’effet de mes promesses.
+À ma table, partout à mes côtés assis,
+Je prétends vous traiter comme mon propre fils.
+
+
+
+Comme votre fils ? Oui… Vous vous taisez ? Quel père
+Je quitterais ! et pour… Eh bien ? Pour quelle mère !
+
+
+Sa mémoire est fidèle ; et dans tout ce qu’il dit,
+De vous et de Joad je reconnais l’esprit.
+Voilà comme, infectant cette simple jeunesse,
+Vous employez tous deux le calme où je vous laisse.
+Vous cultivez déjà leur haine et leur fureur ;
+Vous ne leur prononcez mon nom qu’avec horreur.
+
+
+
+Peut-on de nos malheurs leur dérober l’histoire ?
+Tout l’univers les sait ; vous-même en faites gloire.
+
+
+
+Oui, ma juste fureur, et j’en fais vanité,
+A vengé mes parents sur ma postérité.
+J’aurais vu massacrer et mon père et mon frère,
+Du haut de son palais précipiter ma mère,
+Et dans un même jour égorger à la fois
+(Quel spectacle d’horreur !) quatre-vingts fils de rois :
+Et pourquoi ? pour venger je ne sais quels prophètes
+Dont elle avait puni les fureurs indiscrètes :
+Et moi, reine sans cœur, fille sans amitié,
+Esclave d’une lâche et frivole pitié,
+Je n’aurais pas du moins à cette aveugle rage
+Rendu meurtre pour meurtre, outrage pour outrage,
+Et de votre David traité tous les neveux
+Comme on traitait d’Achab les restes malheureux !
+Où serais-je aujourd’hui si, domptant ma faiblesse,
+Je n’eusse d’une mère étouffé la tendresse ;
+Si de mon propre sang ma main versant des flots
+N’eût par ce coup hardi réprimé vos complots ?
+Enfin de votre Dieu l’implacable vengeance
+Entre nos deux maisons rompit toute alliance :
+David m’est en horreur ; et les fils de ce roi,
+Quoique nés de mon sang, sont étrangers pour moi.
+
+
+
+Tout vous a réussi. Que Dieu voie, et nous juge.
+
+
+
+Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,
+Que deviendra l’effet de ses prédictions ?
+Qu’il vous donne ce roi promis aux nations,
+Cet enfant de David, votre espoir, votre attente…
+Mais nous nous reverrons. Adieu. Je sors contente :
+J’ai voulu voir ; j’ai vu. Je vous l’avais promis :
+Je vous rends le dépôt que vous m’avez commis.
+
+
+
+
+
+
+
+Avez-vous entendu cette superbe reine,
+Seigneur ? J’entendais tout, et plaignais votre peine.
+Ces lévites et moi, prêts à vous secourir,
+Nous étions avec vous résolus de périr.
+Que Dieu veille sur vous, enfant dont le courage
+
+Vient de rendre à son nom ce noble témoignage.
+Je reconnais, Abner, ce service important :
+Souvenez-vous de l’heure où Joad vous attend.
+Et nous, dont cette femme impie et meurtrière
+A souillé les regards et troublé la prière,
+Rentrons ; et qu’un sang pur, par mes mains épanché,
+Lave jusques au marbre où ses pas ont touché.
+
+
+
+
+Tatatatatata tatatata tatie
+Tatatatatata tatata tatatie
+
+
+Jeunes filles, allez : qu’on dise à Josabeth
+Que Mathan veut ici lui parler en secret.
+
+
+
+Mathan ! Ô Dieu du ciel, puisses-tu le confondre !
+
+
+
+Eh quoi ! tout se disperse, et fuit sans vous répondre !
+
+
+
+Approchons. Téméraire, où voulez-vous passer ?
+
+Au-delà de ce lieu gardez-vous d’avancer :
+C’est des ministres saints la demeure sacrée ;
+Les lois à tout profane en défendent l’entrée.
+Qui cherchez-vous ? Mon père, en ce jour solennel,
+De l’idolâtre impur fuit l’aspect criminel ;
+Et devant le Seigneur maintenant prosternée,
+Ma mère en ce devoir craint d’être détournée.
+
+
+
+Mon fils, nous attendrons ; cessez de vous troubler.
+C’est votre illustre mère à qui je veux parler ;
+Je viens ici chargé d’un ordre de la reine.
+
+
+
+
+
+
+
+Leurs enfants ont déjà leur audace hautaine.
+Mais que veut Athalie en cette occasion ?
+D’où naît dans ses conseils cette confusion ?
+Par l’insolent Joad ce matin offensée,
+Et d’un enfant fatal en songe menacée,
+Elle allait immoler Joad à son courroux,
+Et dans ce temple enfin placer Baal et vous.
+Vous m’en aviez déjà confié votre joie ;
+Et j’espérais ma part d’une si riche proie.
+Qui fait changer ainsi ses vœux irrésolus ?
+
+
+
+Ami, depuis deux jours je ne la connais plus.
+Ce n’est plus cette reine éclairée, intrépide,
+Élevée au-dessus de son sexe timide,
+Qui d’abord accablait ses ennemis surpris,
+Et d’un instant perdu connaissait tout le prix :
+La peur d’un vain remords trouble cette grande âme ;
+Elle flotte, elle hésite ; en un mot, elle est femme.
+J’avais tantôt rempli d’amertume et de fiel
+Son cœur déjà saisi des menaces du ciel ;
+Elle-même, à mes soins confiant sa vengeance,
+M’avait dit d’assembler sa garde en diligence ;
+Mais soit que cet enfant devant elle amené,
+De ses parents, dit-on, rebut infortuné,
+Eût d’un songe effrayant diminué l’alarme,
+Soit qu’elle eût même en lui vu je ne sais quel charme,
+J’ai trouvé son courroux chancelant, incertain,
+Et déjà remettant sa vengeance à demain.
+Tous ses projets semblaient l’un l’autre se détruire :
+« Du sort de cet enfant je me suis fait instruire,
+« Ai-je dit : on commence à vanter ses aïeux ;
+« Joad de temps en temps le montre aux factieux,
+« Le fait attendre aux Juifs comme un autre Moïse,
+« Et d’oracles menteurs s’appuie et s’autorise. »
+Ces mots ont fait monter la rougeur sur son front.
+Jamais mensonge heureux n’eut un effet si prompt.
+« Est-ce à moi de languir dans cette incertitude ?
+« Sortons, a-t-elle dit, sortons d’inquiétude.
+« Vous-même à Josabeth prononcez cet arrêt :
+« Les feux vont s’allumer, et le fer est tout prêt ;
+« Rien ne peut de leur temple empêcher le ravage,
+« Si je n’ai de leur foi cet enfant pour otage. »
+
+
+
+Eh bien ! pour un enfant qu’ils ne connaissent pas,
+Que le hasard peut-être a jeté dans leurs bras,
+Voudront-ils que leur temple enseveli sous l’herbe…
+
+
+
+Ah ! de tous les mortels connais le plus superbe.
+Plutôt que dans mes mains par Joad soit livré
+Un enfant qu’à son Dieu Joad a consacré,
+Tu lui verras subir la mort la plus terrible.
+D’ailleurs pour cet enfant leur attache est visible.
+Si j’ai bien de la reine entendu le récit,
+Joad sur sa naissance en sait plus qu’il ne dit.
+Quel qu’il soit, je prévois qu’il leur sera funeste ;
+Ils le refuseront : je prends sur moi le reste ;
+Et j’espère qu’enfin de ce temple odieux
+Et la flamme et le fer vont délivrer mes yeux.
+
+
+
+Qui peut vous inspirer une haine si forte ?
+Est-ce que de Baal le zèle vous transporte ?
+Pour moi, vous le savez, descendu d’Ismaël,
+Je ne sers ni Baal, ni le Dieu d’Israël.
+
+
+
+Ami, peux-tu penser que d’un zèle frivole
+Je me laisse aveugler pour une vaine idole,
+Pour un fragile bois, que, malgré mon secours,
+Les vers sur son autel consument tous les jours ?
+Né ministre du Dieu qu’en ce temple on adore,
+Peut-être que Mathan le servirait encore,
+Si l’amour des grandeurs, la soif de commander,
+Avec son joug étroit pouvaient s’accommoder.
+Qu’est-il besoin, Nabal, qu’à tes yeux je rappelle
+De Joad et de moi la fameuse querelle,
+Quand j’osai contre lui disputer l’encensoir,
+Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir ?
+Vaincu par lui, j’entrai dans une autre carrière,
+Et mon âme à la cour s’attacha tout entière.
+J’approchai par degrés de l’oreille des rois,
+Et bientôt en oracle on érigea ma voix.
+J’étudiai leur cœur, je flattai leurs caprices ;
+Je leur semai de fleurs les bords des précipices ;
+Près de leurs passions rien ne me fut sacré ;
+De mesure et de poids je changeais à leur gré.
+Autant que de Joad l’inflexible rudesse
+De leur superbe oreille offensait la mollesse ;
+Autant je les charmais par ma dextérité :
+Dérobant à leurs yeux la triste vérité :
+Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables,
+Et prodigue surtout du sang des misérables.
+Enfin, au dieu nouveau qu’elle avait introduit,
+
+Par les mains d’Athalie un temple fut construit.
+Jérusalem pleura de se voir profanée ;
+Des enfants de Lévi la troupe consternée
+En poussa vers le ciel des hurlements affreux.
+Moi seul, donnant l’exemple aux timides Hébreux,
+Déserteur de leur loi, j’approuvai l’entreprise,
+Et par là de Baal méritai la prêtrise ;
+Par là je me rendis terrible à mon rival,
+Je ceignis la tiare, et marchai son égal.
+Toutefois, je l’avoue, en ce comble de gloire,
+Du Dieu que j’ai quitté l’importune mémoire
+Jette encore en mon âme un reste de terreur :
+Et c’est ce qui redouble et nourrit ma fureur.
+Heureux si, sur son temple achevant ma vengeance,
+Je puis convaincre enfin sa haine d’impuissance,
+Et parmi les débris, le ravage et les morts,
+À force d’attentats perdre tous mes remords !
+Mais voici Josabeth. Envoyé par la reine
+Pour rétablir le calme et dissiper la haine,
+Princesse, en qui le ciel mit un esprit si doux,
+Ne vous étonnez pas si je m’adresse à vous.
+Un bruit, que j’ai pourtant soupçonné de mensonge,
+Appuyant les avis qu’elle a reçus en songe,
+Sur Joad, accusé de dangereux complots,
+Allait de sa colère attirer tous les flots.
+Je ne veux point ici vous vanter mes services :
+De Joad contre moi je sais les injustices ;
+Mais il faut à l’offense opposer les bienfaits.
+Enfin, je viens chargé de paroles de paix.
+Vivez, solennisez vos fêtes sans ombrage.
+De votre obéissance elle ne veut qu’un gage :
+C’est, pour l’en détourner j’ai fait ce que j’ai pu,
+Cet enfant sans parents, qu’elle dit qu’elle a vu.
+
+
+
+Éliacin ? J’en ai pour elle quelque honte :
+D’un vain songe peut-être elle fait trop de compte.
+Mais vous vous déclarez ses mortels ennemis,
+Si cet enfant sur l’heure en mes mains n’est remis.
+La reine impatiente attend votre réponse.
+
+
+
+Et voilà de sa part la paix qu’on nous annonce !
+
+
+
+Pourriez-vous un moment douter de l’accepter ?
+D’un peu de complaisance est-ce trop l’acheter ?
+
+
+
+J’admirais si Mathan, dépouillant l’artifice,
+Avait pu de son cœur surmonter l’injustice,
+Et si de tant de maux le funeste inventeur
+De quelque ombre de bien pouvait être l’auteur.
+
+
+
+De quoi vous plaignez-vous ? Vient-on avec furie
+Arracher de vos bras votre fils Zacharie ?
+Quel est cet autre enfant si cher à votre amour ?
+Ce grand attachement me surprend à mon tour.
+Est-ce un trésor pour vous si précieux, si rare ?
+Est-ce un libérateur que le ciel vous prépare ?
+Songez-y : vos refus pourraient me confirmer
+Un bruit sourd que déjà l’on commence à semer.
+
+
+
+Quel bruit ? Que cet enfant vient d’illustre origine ;
+Qu’à quelque grand projet votre époux le destine.
+
+
+
+Et Mathan, par ce bruit qui flatte sa fureur…
+
+
+
+Princesse, c’est à vous à me tirer d’erreur.
+Je sais que, du mensonge implacable ennemie,
+Josabeth livrerait même sa propre vie,
+S’il fallait que sa vie à sa sincérité
+Coûtât le moindre mot contre la vérité.
+Du sort de cet enfant on n’a donc nulle trace ?
+Une profonde nuit enveloppe sa race ?
+Et vous-même ignorez de quels parents issu,
+De quelles mains Joad en ses bras l’a reçu ?
+Parlez, je vous écoute, et suis prêt à vous croire :
+Au Dieu que vous servez, princesse, rendez gloire.
+
+
+
+Méchant, c’est bien à vous d’oser ainsi nommer
+Un Dieu que votre bouche enseigne à blasphémer !
+Sa vérité par vous peut-elle être attestée,
+Vous, malheureux, assis dans la chaire empestée,
+Où le mensonge règne et répand son poison ;
+Vous, nourri dans la fourbe et dans la trahison ?
+
+
+
+
+
+
+
+Où suis-je ? de Baal ne vois-je pas le prêtre ?
+Quoi ! fille de David, vous parlez à ce traître !
+Vous souffrez qu’il vous parle ! et vous ne craignez pas
+Que du fond de l’abîme entr’ouvert sous ses pas
+Il ne sorte à l’instant des feux qui vous embrasent,
+Ou qu’en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent ?
+Que veut-il ? de quel front cet ennemi de Dieu
+Vient-il infecter l’air qu’on respire en ce lieu ?
+
+
+
+On reconnaît Joad à cette violence.
+Toutefois il devrait montrer plus de prudence,
+Respecter une reine, et ne pas outrager
+Celui que de son ordre elle a daigné charger.
+
+
+
+Eh bien ! que nous fait-elle annoncer de sinistre ?
+Quel sera l’ordre affreux qu’apporte un tel ministre ?
+
+
+
+J’ai fait à Josabeth savoir sa volonté.
+
+
+
+Sors donc de devant moi, monstre d’impiété.
+De toutes tes horreurs, va, comble la mesure.
+Dieu s’apprête à te joindre à la race parjure,
+Abiron et Dathan, Doëg, Architophel :
+Les chiens, à qui son bras a livré Jézabel,
+Attendant que sur toi sa fureur se déploie,
+Déjà sont à ta porte, et demandent leur proie.
+
+
+Avant la fin du jour… on verra qui de nous…
+
+Doit… Mais sortons, Nabal. Où vous égarez-vous ?
+De vos sens étonnés quel désordre s’empare ?
+Voilà votre chemin. L’orage se déclare :
+Athalie en fureur demande Éliacin.
+Déjà de sa naissance et de votre dessein
+On commence, seigneur, à percer le mystère ;
+Peu s’en faut que Mathan ne m’ait nommé son père.
+
+
+
+Au perfide Mathan qui l’aurait révélé ?
+Votre trouble à Mathan n’a-t-il point trop parlé ?
+
+
+
+J’ai fait ce que j’ai pu pour m’en rendre maîtresse.
+Cependant, croyez-moi, seigneur, le péril presse.
+Réservons cet enfant pour un temps plus heureux.
+Tandis que les méchants délibèrent entre eux,
+Avant qu’on l’environne, avant qu’on nous l’arrache,
+Une seconde fois souffrez que je le cache :
+Les portes, les chemins, lui sont encore ouverts.
+Faut-il le transporter aux plus affreux déserts ?
+Je suis prête : je sais une secrète issue
+Par où, sans qu’on le voie, et sans être aperçue,
+De Cédron avec lui traversant le torrent,
+J’irai dans le désert où jadis en pleurant,
+Et cherchant comme nous son salut dans la fuite,
+David d’un fils rebelle évita la poursuite.
+Je craindrai moins pour lui les lions et les ours…
+Mais pourquoi de Jéhu refuser le secours ?
+Je vous ouvre peut-être un avis salutaire.
+Faisons de ce trésor Jéhu dépositaire :
+On peut dans ses États le conduire aujourd’hui,
+Et le chemin est court qui mène jusqu’à lui.
+Jéhu n’a point un cœur farouche, inexorable ;
+De David à ses yeux le nom est favorable.
+Hélas ! est-il un roi si dur et si cruel,
+À moins qu’il n’eût pour mère une autre Jézabel
+Qui d’un tel suppliant ne plaignît l’infortune ?
+Sa cause à tous les rois n’est-elle pas commune ?
+
+
+
+Quels timides conseils m’osez-vous suggérer ?
+En l’appui de Jéhu pourriez-vous espérer ?
+
+
+
+Dieu défend-il tout soin et toute prévoyance ?
+Ne l’offense-t-on point par trop de confiance ?
+À ses desseins sacrés employant les humains,
+N’a-t-il pas de Jéhu lui-même armé les mains ?
+
+
+
+Jéhu, qu’avait choisi sa sagesse profonde,
+Jéhu, sur qui je vois que votre espoir se fonde,
+D’un oubli trop ingrat a payé ses bienfaits :
+Jéhu laisse d’Achab l’affreuse fille en paix,
+Suit des rois d’Israël les profanes exemples,
+Du vil dieu de l’Égypte a conservé les temples ;
+Jéhu, sur les hauts lieux enfin osant offrir
+Un téméraire encens que Dieu ne peut souffrir,
+N’a pour servir sa cause et venger ses injures
+Ni le cœur assez droit, ni les mains assez pures.
+Non, non ; c’est à Dieu seul qu’il nous faut attacher.
+Montrons Éliacin ; et, loin de le cacher,
+Que du bandeau royal sa tête soit ornée ;
+Je veux même avancer l’heure déterminée,
+Avant que de Mathan le complot soit formé.
+
+
+
+
+
+
+
+Eh bien, Azarias, le temple est-il fermé ?
+
+
+
+J’en ai fait devant moi fermer toutes les portes.
+
+
+
+N’y reste-t-il que vous et vos saintes cohortes ?
+
+
+
+De ses parvis sacrés j’ai deux fois fait le tour.
+Tout a fui, tous se sont séparés sans retour,
+Misérable troupeau qu’a dispersé la crainte ;
+Et Dieu n’est plus servi que dans la tribu sainte.
+
+Depuis qu’à Pharaon ce peuple est échappé,
+Une égale terreur ne l’avait point frappé.
+
+
+
+Peuple lâche, en effet, et né pour l’esclavage,
+Hardi contre Dieu seul ! Poursuivons notre ouvrage.
+Mais qui retient encor ces enfants parmi nous ?
+
+
+
+Eh ! pourrions-nous, seigneur, nous séparer de vous ?
+Dans le temple de Dieu sommes-nous étrangères ?
+Vous avez près de vous nos pères et nos frères.
+
+
+
+Hélas ! si, pour venger l’opprobre d’Israël,
+Nos mains ne peuvent pas, comme autrefois Jahel,
+Des ennemis de Dieu percer la tête impie,
+Nous lui pouvons du moins immoler notre vie.
+Quand vos bras combattront pour son temple attaqué,
+Par nos larmes du moins il peut être invoqué.
+
+
+
+Voilà donc quels vengeurs s’arment pour ta querelle,
+Des prêtres, des enfants, ô Sagesse éternelle !
+Mais si tu les soutiens, qui peut les ébranler ?
+Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler ;
+Tu frappes et guéris, tu perds et ressuscites.
+Ils ne s’assurent point en leurs propres mérites,
+Mais en ton nom sur eux invoqué tant de fois,
+En tes serments jurés au plus saint de leurs rois ;
+En ce temple où tu fais ta demeure sacrée,
+Et qui doit du soleil égaler la durée.
+Mais d’où vient que mon cœur frémit d’un saint effroi ?
+Est-ce l’Esprit divin qui s’empare de moi ?
+C’est lui-même ; il m’échauffe, il parle : mes yeux s’ouvrent,
+Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.
+Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords,
+Et de ses mouvements secondez les transports.
+
+
+
+
+D’un pas majestueux, à côté de ma mère,
+Le jeune Éliacin s’avance avec mon frère.
+Dans ces voiles, mes sœurs, que portent-ils tous deux ?
+Quel est ce glaive enfin qui marche devant eux ?
+
+
+
+Mon fils, avec respect posez sur cette table
+De notre sainte loi le livre redoutable.
+Et vous aussi, posez, aimable Éliacin,
+Cet auguste bandeau près du livre divin.
+Lévite, il faut placer, Joad ainsi l’ordonne,
+Le glaive de David auprès de sa couronne.
+
+
+
+Princesse, quel est donc ce spectacle nouveau ?
+Pourquoi ce livre saint, ce glaive, ce bandeau ?
+Depuis que le Seigneur m’a reçu dans son temple,
+D’un semblable appareil je n’ai point vu d’exemple.
+
+
+
+Tous vos doutes, mon fils, bientôt s’éclairciront.
+
+
+
+Vous voulez essayer ce bandeau sur mon front ?
+Ah ! princesse, gardez d’en profaner la gloire :
+
+Du roi qui l’a porté respectez la mémoire.
+Un malheureux enfant aux ours abandonné…
+
+
+
+Laissez, mon fils : je fais ce qui m’est ordonné.
+
+
+
+Mais j’entends les sanglots sortir de votre bouche !
+Princesse, vous pleurez ! Quelle pitié vous touche ?
+Est-ce qu’en holocauste aujourd’hui présenté,
+Je dois, comme autrefois la fille de Jephté,
+Du Seigneur par ma mort apaiser la colère ?
+Hélas ! un fils n’a rien qui ne soit à son père.
+
+
+
+Voici qui vous dira les volontés des cieux.
+Ne craignez rien. Et nous, sortons tous de ces lieux.
+
+
+
+
+
+
+
+Mon père ! Eh bien, mon fils ? Qu’est-ce donc qu’on prépare ?
+
+
+
+Il est juste, mon fils, que je vous le déclare.
+Il faut que vous soyez instruit, même avant tous,
+Des grands desseins de Dieu sur son peuple et sur vous.
+Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle :
+Il est temps de montrer cette ardeur et ce zèle
+Qu’au fond de votre cœur mes soins ont cultivés,
+Et de payer à Dieu ce que vous lui devez.
+Sentez-vous cette noble et généreuse envie ?
+
+
+
+Je me sens prêt, s’il veut, de lui donner ma vie.
+
+
+
+On vous a lu souvent l’histoire de nos rois :
+Vous souvient-il, mon fils, quelles étroites lois
+Doit s’imposer un roi digne du diadème ?
+
+
+
+Un roi sage, ainsi Dieu l’a prononcé lui-même,
+Sur la richesse et l’or ne met point son appui,
+Craint le Seigneur son Dieu, sans cesse a devant lui
+Ses préceptes, ses lois, ses jugements sévères,
+Et d’injustes fardeaux n’accable point ses frères.
+
+
+
+Mais sur l’un de ces rois s’il fallait vous régler,
+À qui choisiriez-vous, mon fils, de ressembler ?
+
+
+
+David, pour le Seigneur plein d’un amour fidèle,
+Me paraît des grands rois le plus parfait modèle.
+
+
+
+Ainsi dans leurs excès vous n’imiteriez pas
+L’infidèle Joram, l’impie Ochozias ?
+
+
+
+Ô mon père ! Achevez, dites : que vous en semble ?
+
+
+
+Puisse périr comme eux quiconque leur ressemble !
+Mon père, en quel état vous vois-je devant moi !
+
+
+
+Je vous rends le respect que je dois à mon roi.
+De votre aïeul David, Joas, rendez-vous digne.
+
+
+
+Joas ! Moi ? Vous saurez par quelle grâce insigne,
+D’une mère en fureur Dieu trompant le dessein,
+Quand déjà son poignard était dans votre sein,
+Vous choisit, vous sauva du milieu du carnage.
+Vous n’êtes pas encore échappé de sa rage :
+Avec la même ardeur qu’elle voulut jadis
+Perdre en vous le dernier des enfants de son fils,
+À vous faire périr sa cruauté s’attache,
+Et vous poursuit encor sous le nom qui vous cache.
+Mais sous vos étendards j’ai déjà su ranger
+Un peuple obéissant et prompt à vous venger.
+Entrez, généreux chefs des familles sacrées,
+Du ministère saint tour à tour honorées.
+
+
+
+
+
+
+
+Roi, voilà vos vengeurs contre vos ennemis.
+Prêtres, voilà le roi que je vous ai promis.
+
+
+
+Quoi ! c’est Éliacin ? Quoi ! cet enfant aimable…
+
+
+Est des rois de Juda l’héritier véritable,
+Dernier né des enfants du triste Ochozias,
+Nourri, vous le savez, sous le nom de Joas.
+De cette fleur si tendre et sitôt moissonnée,
+Tout Juda, comme vous, plaignant la destinée,
+Avec ses frères morts le crut enveloppé.
+Du perfide couteau comme eux il fut frappé ;
+Mais Dieu du coup mortel sut détourner l’atteinte,
+Conserva dans son cœur la chaleur presque éteinte
+Permit que des bourreaux trompant l’œil vigilant,
+Josabeth dans son sein l’emportât tout sanglant,
+Et n’ayant de son vol que moi seul pour complice,
+Dans le temple cachât l’enfant et la nourrice.
+
+
+
+Hélas ! de tant d’amour et de tant de bienfaits,
+Mon père, quel moyen de m’acquitter jamais ?
+
+
+
+Gardez pour d’autres temps cette reconnaissance.
+Voilà donc votre roi, votre unique espérance.
+J’ai pris soin jusqu’ici de vous le conserver :
+Ministres du seigneur, c’est à vous d’achever.
+Bientôt de Jézabel la fille meurtrière,
+Instruite que Joas voit encor la lumière,
+Dans l’horreur du tombeau viendra le replonger :
+Déjà, sans le connaître, elle veut l’égorger.
+Prêtres saints, c’est à vous de prévenir sa rage ;
+Il faut finir des Juifs le honteux esclavage,
+Venger vos princes morts, relever votre loi,
+Et faire aux deux tribus reconnaître leur roi.
+L’entreprise, sans doute, est grande et périlleuse :
+J’attaque sur son trône une reine orgueilleuse,
+Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux
+De hardis étrangers, d’infidèles Hébreux ;
+Mais ma force est au Dieu dont l’intérêt me guide.
+Songez qu’en cet enfant tout Israël réside.
+Déjà ce Dieu vengeur commence à la troubler ;
+Déjà, trompant ses soins, j’ai su vous rassembler.
+Elle nous croit ici sans armes, sans défense.
+Couronnons, proclamons Joas en diligence :
+De là, du nouveau prince intrépides soldats,
+Marchons, en invoquant l’arbitre des combats ;
+Et réveillant la foi dans les cœurs endormie,
+Jusque dans son palais cherchons notre ennemie.
+Et quels cœurs si plongés dans un lâche sommeil,
+Nous voyant avancer dans ce saint appareil,
+Ne s’empresseront pas à suivre notre exemple ?
+Un roi que Dieu lui-même a nourri dans son temple,
+Le successeur d’Aaron de ses prêtres suivi,
+Conduisant au combat les enfants de Lévi,
+Et dans ces mêmes mains des peuples révérées
+Les armes au Seigneur par David consacrées !
+Dieu sur ses ennemis répandra sa terreur.
+Dans l’infidèle sang baignez-vous sans horreur ;
+Frappez et Tyriens, et même Israélites.
+Ne descendez-vous pas de ces fameux lévites
+Qui, lorsqu’au dieu du Nil le volage Israël
+Rendit dans le désert un culte criminel,
+De leurs plus chers parents saintement homicides,
+Consacrèrent leurs mains dans le sang des perfides,
+Et par ce noble exploit vous acquirent l’honneur
+D’être seuls employés aux autels du Seigneur ?
+Mais je vois que déjà vous brûlez de me suivre.
+Jurez donc, avant tout, sur cet auguste livre,
+À ce roi que le ciel vous redonne aujourd’hui,
+De vivre, de combattre et de mourir pour lui.
+
+
+
+Oui, nous jurons ici pour nous, pour tous nos frères,
+De rétablir Joas au trône de ses pères,
+De ne poser le fer entre nos mains remis,
+Qu’après l’avoir vengé de tous ses ennemis.
+Si quelque transgresseur enfreint cette promesse,
+Qu’il éprouve, grand Dieu, ta fureur vengeresse ;
+Qu’avec lui ses enfants, de ton partage exclus,
+Soient au rang de ces morts que tu ne connais plus !
+
+
+
+Et vous, à cette loi votre règle éternelle,
+Roi, ne jurez-vous pas d’être toujours fidèle ?
+
+
+
+Pourrais-je à cette loi ne me pas conformer ?
+
+
+
+Ô mon fils, de ce nom j’ose encor vous nommer,
+Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes
+Que m’arrachent pour vous de trop justes alarmes.
+Loin du trône nourri, de ce fatal honneur,
+Hélas ! vous ignorez le charme empoisonneur ;
+De l’absolu pouvoir vous ignorez l’ivresse,
+Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse.
+Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,
+Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois ;
+Qu’un roi n’a d’autre frein que sa volonté même ;
+Qu’il doit immoler tout à sa grandeur suprême ;
+Qu’aux larmes, au travail, le peuple est condamné,
+Et d’un sceptre de fer veut être gouverné ;
+Que, s’il n’est opprimé, tôt ou tard il opprime :
+Ainsi de piége en piége, et d’abîme en abîme,
+Corrompant de vos mœurs l’aimable pureté,
+Ils vous feront enfin haïr la vérité,
+Vous peindront la vertu sous une affreuse image.
+Hélas ! ils ont des rois égaré le plus sage.
+Promettez sur ce livre, et devant ces témoins,
+Que Dieu fera toujours le premier de vos soins ;
+Que, sévère aux méchants, et des bons le refuge,
+Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge ;
+Vous souvenant, mon fils, que, caché sous ce lin,
+Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.
+
+
+
+Je promets d’observer ce que la loi m’ordonne.
+Mon Dieu, punissez-moi si je vous abandonne.
+
+
+
+Venez : de l’huile sainte il faut vous consacrer ;
+Paraissez, Josabeth : vous pouvez vous montrer.
+
+
+
+
+
+
+
+Ô roi, fils de David ! Ô mon unique mère !
+Venez, cher Zacharie, embrasser votre frère.
+
+
+
+Aux pieds de votre roi, prosternez-vous, mon fils.
+
+
+
+Enfants, ainsi toujours puissiez-vous être unis !
+
+
+
+Vous savez donc quel sang vous a donné la vie ?
+
+
+
+Et je sais quelle main sans vous me l’eût ravie.
+
+
+
+De votre nom, Joas, je puis donc vous nommer.
+
+
+
+Joas ne cessera jamais de vous aimer.
+
+
+
+Quoi ! c’est là… C’est Joas. Écoutons ce lévite.
+
+
+
+
+
+
+
+J’ignore contre Dieu quel projet on médite ;
+Mais l’airain menaçant frémit de toutes parts ;
+On voit luire des feux parmi des étendards,
+Et sans doute Athalie assemble son armée :
+Déjà même au secours toute voie est fermée ;
+Déjà le sacré mont où le temple est bâti
+D’insolents Tyriens est partout investi ;
+L’un d’eux, en blasphémant, vient de nous faire entendre
+Qu’Abner est dans les fers, et ne peut nous défendre.
+
+
+
+Cher enfant, que le ciel en vain m’avait rendu,
+Hélas ! pour vous sauver j’ai fait ce que j’ai pu :
+Dieu ne se souvient plus de David votre père !
+
+
+
+Quoi ! vous ne craignez pas d’attirer sa colère
+Sur vous et sur ce roi si cher à votre amour ?
+Et quand Dieu, de vos bras l’arrachant sans retour,
+Voudrait que de David la maison fût éteinte,
+N’êtes-vous pas ici sur la montagne sainte
+Où le père des Juifs sur son fils innocent
+Leva sans murmurer un bras obéissant,
+Et mit sur un bûcher ce fruit de sa vieillesse,
+Laissant à Dieu le soin d’accomplir sa promesse ;
+Et lui sacrifiant, avec ce fils aimé,
+Tout l’espoir de sa race, en lui seul renfermé ?
+Amis, partageons-nous : qu’Ismaël en sa garde
+Prenne tout le côté que l’Orient regarde ;
+Vous, le côté de l’Ourse ; et vous, de l’Occident ;
+Vous, le Midi. Qu’aucun, par un zèle imprudent,
+Découvrant mes desseins, soit prêtre, soit lévite,
+Ne sorte avant le temps, et ne se précipite ;
+Et que chacun enfin, d’un même esprit poussé,
+Garde en mourant le poste où je l’aurai placé.
+L’ennemi nous regarde, en son aveugle rage,
+Comme de vils troupeaux réservés au carnage,
+Et croit ne rencontrer que désordre et qu’effroi.
+Qu’Azarias partout accompagne le roi.
+Venez, cher rejeton d’une vaillante race,
+
+Remplir vos défenseurs d’une nouvelle audace ;
+Venez du diadème à leurs yeux vous couvrir,
+Et périssez du moins en roi, s’il faut périr.
+Suivez-le, Josabeth. Vous, donnez-moi ces armes.
+Enfants, offrez à Dieu vos innocentes larmes.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Tatatatatata tatatatatatous
+Cher Zacharie, eh bien ! que nous apprenez-vous ?
+
+
+
+Redoublez au Seigneur votre ardente prière :
+Peut-être nous touchons à notre heure dernière.
+Pour l’horrible combat, ma sœur, l’ordre est donné.
+
+
+
+Que fait Joas ? Joas vient d’être couronné :
+Le grand prêtre a sur lui répandu l’huile sainte.
+Ô ciel ! dans tous les yeux quelle joie était peinte
+À l’aspect de ce roi racheté du tombeau !
+Ma sœur, on voit encor la marque du couteau ;
+On voit paraître aussi sa fidèle nourrice,
+Qui, cachée en un coin de ce vaste édifice,
+Gardait ce cher dépôt, et n’avait de ses soins
+Que les yeux de ma mère et que Dieu pour témoins.
+Nos lévites pleuraient de joie et de tendresse,
+Et mêlaient leurs sanglots à leurs cris d’allégresse.
+Lui, parmi ces transports, affable et sans orgueil,
+À l’un tendait la main, flattait l’autre de l’œil,
+Jurait de se régler par leurs avis sincères,
+Et les appelait tous ses pères ou ses frères.
+
+
+
+Ce secret au dehors est-il aussi semé ?
+
+
+
+Ce secret dans le temple est encor renfermé.
+Des enfants de Lévi la troupe partagée
+Dans un profond silence aux portes s’est rangée.
+Tous doivent à la fois précipiter leurs pas,
+Et crier pour signal : Vive le roi Joas !
+Mais mon père défend que le roi se hasarde,
+Et veut qu’Azarias demeure pour sa garde.
+Cependant Athalie, un poignard à la main,
+Rit des faibles remparts de nos portes d’airain.
+Pour les rompre elle attend les fatales machines,
+Et ne respire enfin que sang et que ruines.
+Quelques prêtres, ma sœur, ont d’abord proposé
+Qu’en un lieu souterrain, par nos pères creusé,
+On renfermât du moins notre arche précieuse.
+« Ô crainte, a dit mon père, indigne, injurieuse !
+« L’arche qui fit tomber tant de superbes tours,
+« Et força le Jourdain de rebrousser son cours,
+« Des dieux des nations tant de fois triomphante,
+« Fuirait donc à l’aspect d’une femme insolente ! »
+Ma mère, auprès du roi, dans un trouble mortel,
+L’œil tantôt sur ce prince et tantôt vers l’autel,
+Muette, et succombant sous le poids des alarmes,
+Aux yeux les plus cruels arracherait des larmes.
+Le roi de temps en temps la presse entre ses bras,
+La flatte… Chères sœurs, suivez toutes mes pas ;
+Et s’il faut aujourd’hui que notre roi périsse,
+Allons, qu’un même sort avec lui nous unisse.
+
+
+
+Quelle insolente main frappe à coups redoublés ?
+Qui fait courir ainsi ces lévites troublés ?
+Quelle précaution leur fait cacher leurs armes ?
+Le temple est-il forcé ? Dissipez vos alarmes :
+Dieu nous envoie Abner. En croirai-je mes yeux,
+
+Cher Abner ? Quel chemin a pu jusqu’en ces lieux
+Vous conduire au travers d’un camp qui nous assiége ?
+On disait que d’Achab la fille sacrilége
+Avait, pour assurer ses projets inhumains,
+Chargé d’indignes fers vos généreuses mains.
+
+
+
+Oui, seigneur, elle a craint mon zèle et mon courage ;
+Mais c’est le moindre prix que me gardait sa rage.
+Dans l’horreur d’un cachot, par son ordre enfermé,
+J’attendais que, le temple en cendre consumé,
+De tant de flots de sang non encore assouvie,
+Elle vînt m’affranchir d’une importune vie,
+Et retrancher des jours qu’aurait dû mille fois
+Terminer la douleur de survivre à mes rois.
+
+
+
+Par quel miracle a-t-on obtenu votre grâce ?
+
+
+
+Dieu dans ce cœur cruel sait seul ce qui se passe.
+Elle m’a fait venir ; et d’un air égaré :
+« Tu vois de mes soldats tout ce temple entouré,
+« Dit-elle ; un feu vengeur va le réduire en cendre,
+« Et ton Dieu contre moi ne le saurait défendre.
+« Ses prêtres toutefois, mais il faut se hâter,
+« À deux conditions peuvent se racheter :
+« Qu’avec Éliacin on mette en ma puissance
+« Un trésor dont je sais qu’ils ont la connaissance,
+« Par votre roi David autrefois amassé,
+« Sous le sceau du secret au grand prêtre laissé.
+« Va, dis-leur qu’à ce prix je leur permets de vivre. »
+
+
+
+Quel conseil, cher Abner, croyez-vous qu’on doit suivre ?
+
+
+
+Et tout l’or de David, s’il est vrai qu’en effet
+Vous gardiez de David quelque trésor secret ;
+Et tout ce que des mains de cette reine avare
+Vous avez pu sauver et de riche et de rare,
+Donnez-le. Voulez-vous que d’impurs assassins
+Viennent briser l’autel, brûler les chérubins,
+Et portant sur notre arche une main téméraire,
+De votre propre sang souiller le sanctuaire ?
+
+
+
+Mais siérait-il, Abner, à des cœurs généreux
+De livrer au supplice un enfant malheureux,
+Un enfant que Dieu même à ma garde confie,
+Et de nous racheter aux dépens de sa vie ?
+
+
+
+Hélas ! Dieu voit mon cœur. Plût à ce Dieu puissant
+Qu’Athalie oubliât un enfant innocent,
+Et que du sang d’Abner sa cruauté contente
+Crût calmer par ma mort le ciel qui la tourmente !
+Mais que peuvent pour lui vos inutiles soins ?
+Quand vous périrez tous, en périra-t-il moins ?
+Dieu vous ordonne-t-il de tenter l’impossible ?
+Pour obéir aux lois d’un tyran inflexible,
+Moïse, par sa mère au Nil abandonné,
+Se vit, presque en naissant, à périr condamné ;
+Mais Dieu le conservant contre toute espérance,
+Fit par le tyran même élever son enfance.
+Qui sait ce qu’il réserve à votre Éliacin ;
+Et si, lui préparant un semblable destin,
+Il n’a point de pitié déjà rendu capable
+De nos malheureux rois l’homicide implacable ?
+Du moins, et Josabeth comme moi l’a pu voir,
+Tantôt à son aspect je l’ai vu s’émouvoir ;
+J’ai vu de son courroux tomber la violence.
+Princesse, en ce péril vous gardez le silence !
+Eh quoi ! pour un enfant qui vous est étranger,
+Souffrez-vous que sans fruit Joad laisse égorger
+Vous, son fils, tout ce peuple, et que le feu dévore
+Le seul lieu sur la terre où Dieu veut qu’on l’adore ?
+Que feriez-vous de plus, si des rois vos aïeux
+Ce jeune enfant était un reste précieux !
+
+
+
+Pour le sang de ses rois vous voyez sa tendresse :
+Que ne lui parlez-vous ? Il n’est pas temps, princesse.
+
+
+
+Le temps est cher, seigneur, plus que vous ne pensez.
+Tandis qu’à me répondre ici vous balancez,
+Mathan, près d’Athalie, étincelant de rage,
+Demande le signal, et presse le carnage.
+Faut-il que je me mette à vos sacrés genoux ?
+Au nom d’un lieu si saint qui n’est ouvert qu’à vous,
+Lieu terrible où de Dieu la majesté repose,
+Quelque dure que soit la loi qu’on vous impose,
+De ce coup imprévu songeons à nous parer.
+Donnez-moi seulement le temps de respirer :
+Demain, dès cette nuit, je prendrai des mesures
+Pour assurer le temple et venger ses injures.
+Mais je vois que mes pleurs et que mes vains discours
+Pour vous persuader sont un faible secours ;
+Votre austère vertu n’en peut être frappée :
+Eh bien ! trouvez-moi donc quelque arme, quelque épée ;
+Et qu’aux portes du temple, où l’ennemi m’attend,
+Abner puisse du moins mourir en combattant.
+
+
+
+Je me rends. Vous m’ouvrez un avis que j’embrasse :
+De tant de maux, Abner, détournons la menace.
+Il est vrai, de David un trésor est resté,
+La garde en fut commise à ma fidélité ;
+C’était des tristes Juifs l’espérance dernière,
+Que mes soins vigilants cachaient à la lumière.
+Mais puisqu’à votre reine il faut le découvrir,
+Je vais la contenter, nos portes vont s’ouvrir.
+De ses plus braves chefs qu’elle entre accompagnée ;
+Mais de nos saints autels qu’elle tienne éloignée
+
+D’un ramas d’étrangers l’indiscrète fureur ;
+Du pillage du temple épargnez-moi l’horreur.
+Des prêtres, des enfants lui feraient-ils quelque ombre ?
+De sa suite avec vous qu’elle règle le nombre.
+Et quand à cet enfant si craint, si redouté,
+De votre cœur, Abner, je connais l’équité ;
+Je vous veux devant elle expliquer sa naissance ;
+Vous verrez s’il le faut remettre en sa puissance ;
+Et je vous ferai juge entre Athalie et lui.
+
+
+
+Ah ! je le prends déjà, seigneur, sous mon appui.
+Ne craignez rien. Je cours vers celle qui m’envoie.
+
+
+
+
+
+
+
+Grand Dieu ! voici ton heure ; on t’amène ta proie !
+Ismaël, écoutez. Puissant maître des cieux,
+Remets-lui le bandeau dont tu couvris ses yeux
+Lorsque, lui dérobant tout le fruit de son crime,
+Tu cachas dans mon sein cette tendre victime !
+
+
+
+Allez, sage Ismaël, ne perdez point de temps ;
+Suivez de point en point ces ordres importants ;
+Surtout qu’à son entrée, et que sur son passage,
+Tout d’un calme profond lui présente l’image.
+Vous, enfants, préparez un trône pour Joas ;
+Qu’il s’avance suivi de nos sacrés soldats.
+Faites venir aussi sa fidèle nourrice,
+Princesse, et de vos pleurs que la source tarisse.
+Vous, dès que cette reine ivre d’un fol orgueil,
+
+De la porte du temple aura passé le seuil ;
+Qu’elle ne pourra plus retourner en arrière,
+Prenez soin qu’à l’instant la trompette guerrière,
+Dans le camp ennemi jette un subit effroi ;
+Appelez tout le peuple au secours de son roi ;
+Et faites retentir jusques à son oreille
+De Joas conservé l’étonnante merveille.
+Il vient. Lévites saints, prêtres de notre Dieu,
+Partout sans vous montrer environnez ce lieu ;
+Et laissant à mes soins gouverner votre zèle,
+Pour paraître attendez que ma voix vous appelle.
+Roi, je crois qu’à vos vœux cet espoir est permis ;
+
+Venez voir à vos pieds tomber vos ennemis.
+Celle dont la fureur poursuivit votre enfance
+Vers ces lieux à grands pas pour vous perdre s’avance ;
+Mais ne la craignez point ; songez qu’autour de vous
+L’ange exterminateur est debout avec nous.
+Montez sur votre trône, et… Mais la porte s’ouvre :
+Permettez un moment que ce voile vous couvre.
+Vous changez de couleur, princesse ! Ah ! sans pâlir,
+Puis-je voir d’assassins le temple se remplir ?
+Quoi ! ne voyez-vous pas quelle nombreuse escorte…
+
+
+
+Je vois que du saint temple on referme la porte :
+Tout est en sûreté. Te voilà, séducteur,
+De ligues, de complots pernicieux auteur,
+Qui dans le trouble seul a mis tes espérances,
+Éternel ennemi des suprêmes puissances !
+En l’appui de ton Dieu tu t’étais reposé :
+De ton espoir frivole es-tu désabusé ?
+Il laisse en mon pouvoir et son temple et ta vie.
+Je devrais sur l’autel où ta main sacrifie
+Te… Mais du prix qu’on m’offre il faut me contenter.
+Ce que tu m’as promis, songe à l’exécuter :
+Cet enfant, ce trésor qu’il faut qu’on me remette,
+Où sont-ils ? Sur-le-champ tu seras satisfaite :
+Je te les vais montrer l’un et l’autre à la fois.
+
+Paraissez, cher enfant, digne sang de nos rois.
+Connais-tu l’héritier du plus saint des monarques,
+Reine ? de ton poignard connais du moins ces marques.
+Voilà ton roi, ton fils, le fils d’Ochozias.
+Peuples, et vous, Abner, reconnaissez Joas.
+
+
+
+Ciel ! Perfide ! Vois-tu cette Juive fidèle
+Dont tu sais bien qu’alors il suçait la mamelle ?
+Il fut par Josabeth à ta rage enlevé ;
+Ce temple le reçut, et Dieu l’a conservé.
+Des trésors de David voilà ce qui me reste.
+
+
+
+Ta fourbe à cet enfant, traître, sera funeste.
+D’un fantôme odieux, soldats, délivrez-moi.
+
+
+
+Soldats du Dieu vivant, défendez votre roi.
+
+
+
+Où suis-je ? ô trahison ! ô reine infortunée !
+D’armes et d’ennemis je suis environnée !
+
+
+
+Tes yeux cherchent en vain, tu ne peux échapper,
+Et Dieu de toutes parts a su t’envelopper.
+Ce Dieu que tu bravais en nos mains t’a livrée :
+Rends-lui compte du sang dont tu t’es enivrée.
+
+
+
+Quoi ! la peur a glacé mes indignes soldats !
+Lâche Abner, dans quel piége as-tu conduit mes pas !
+
+
+
+Reine, Dieu m’est témoin… Laisse là ton Dieu, traître,
+Et venge-moi. Sur qui ? sur Joas ! sur mon maître !
+
+
+
+Lui, Joas ! lui ton roi ! Songez, méchants, songez
+Que mes armes encor vous tiennent assiégés.
+J’entends à haute voix tout mon camp qui m’appelle.
+On vient à mon secours : tremblez, troupe rebelle !
+
+
+
+
+
+
+
+Seigneur, le temple est libre, et n’a plus d’ennemis :
+L’étranger est en fuite, et le Juif est soumis.
+Comme le vent dans l’air dissipe la fumée,
+La voix du Tout-Puissant a chassé cette armée.
+Nos lévites, du haut de nos sacrés parvis,
+D’Ochozias au peuple ont annoncé le fils,
+Ont conté son enfance au glaive dérobée,
+Et la fille d’Achab dans le piége tombée.
+Partout en même temps la trompette a sonné ;
+Et ses sons et leurs cris dans son camp étonné
+Ont répandu le trouble et la terreur subite
+Dont Gédéon frappa le fier Madianite.
+Les Tyriens, jetant armes et boucliers,
+Ont par divers chemins disparu les premiers ;
+Quelques Juifs éperdus ont aussi pris la fuite ;
+Mais de Dieu sur Joas admirant la conduite,
+Le reste à haute voix s’est pour lui déclaré.
+Enfin, d’un même esprit tout le peuple inspiré,
+Femmes, vieillards, enfants, s’embrassant avec joie,
+Bénissent le Seigneur et celui qu’il envoie.
+Tous chantent de David le fils ressuscité.
+Baal est en horreur dans la sainte cité ;
+De son temple profane on a brisé les portes ;
+Mathan est égorgé. Dieu des Juifs, tu l’emportes !
+Oui, c’est Joas ; je cherche en vain à me tromper ;
+Je reconnais l’endroit où je le fis frapper ;
+Je vois d’Ochozias et le port et le geste ;
+Tout me retrace enfin un sang que je déteste.
+David, David triomphe ; Achab seul est détruit.
+Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit !
+C’est toi qui me flattant d’une vengeance aisée,
+M’as vingt fois en un jour à moi-même opposée :
+Tantôt pour un enfant excitant mes remords,
+Tantôt m’éblouissant de tes riches trésors,
+Que j’ai craint de livrer aux flammes, au pillage.
+Qu’il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage ;
+Et que pour signaler son empire nouveau,
+On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau !
+Voici ce qu’en mourant lui souhaite sa mère :
+Que dis-je, souhaiter ? je me flatte, j’espère
+Qu’indocile à ton joug, fatigué de ta loi,
+Fidèle au sang d’Achab, qu’il a reçu de moi,
+Conforme à son aïeul, à son père semblable,
+On verra de David l’héritier détestable
+Abolir tes honneurs, profaner ton autel,
+Et venger Athalie, Achab et Jézabel.
+
+
+
+Qu’à l’instant hors du temple elle soit emmenée,
+Et que la sainteté n’en soit pas profanée.
+Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris,
+De leur sang par sa mort faire cesser les cris.
+Si quelque audacieux embrasse sa querelle,
+Qu’à la fureur du glaive on le livre avec elle.
+
+
+
+
+
+
+
+Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction,
+Détournez loin de moi sa malédiction,
+Et ne souffrez jamais qu’elle soit accomplie ;
+Faites que Joas meure avant qu’il vous oublie.
+
+
+
+Appelez tout le peuple, et montrons-lui son roi ;
+Qu’il lui vienne en ses mains renouveler sa foi.
+Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnaissance,
+De Jacob avec Dieu confirmer l’alliance,
+Et saintement confus de nos égarements,
+Nous rengager à lui par de nouveaux serments.
+Abner, auprès du roi reprenez votre place.
+
+
+
+
+
+
+
+Eh bien ! de cette impie a-t-on puni l’audace ?
+
+
+
+Le fer a de sa vie expié les horreurs.
+Jérusalem, longtemps en proie à ses fureurs,
+De son joug odieux à la fin soulagée,
+Avec joie en son sang la regarde plongée.
+
+
+
+Par cette fin terrible, et due à ses forfaits,
+Apprenez, roi des Juifs, et n’oubliez jamais
+Que les rois dans le ciel ont un juge sévère,
+L’innocence un vengeur, et l’orphelin un père.
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+6/6 A !X
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+
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+Du séjour bienheureux de la Divinité,
+Je descends dans ce lieu par la Grâce habité ;
+L’Innocence s’y plaît, ma compagne éternelle,
+Et n’a point sous les cieux d’asile plus fidèle.
+Ici, loin du tumulte, aux devoirs les plus saints
+Tout un peuple naissant est formé par mes mains :
+Je nourris dans son cœur la semence féconde
+Des vertus dont il doit sanctifier le monde.
+Un roi qui me protége, un roi victorieux,
+A commis à mes soins ce dépôt précieux.
+C’est lui qui rassembla ces colombes timides,
+Éparses en cent lieux, sans secours et sans guides :
+Pour elles, à sa porte, élevant ce palais,
+Il leur y fit trouver l’abondance et la paix.
+Grand Dieu, que cet ouvrage ait place en ta mémoire
+Que tous les soins qu’il prend pour soutenir ta gloire
+Soient gravés de ta main au livre où sont écrits
+Les noms prédestinés des rois que tu chéris !
+Tu m’écoutes ; ma voix ne t’est point étrangère :
+Je suis la Piété, cette fille si chère,
+Qui t’offre de ce roi les plus tendres soupirs :
+Du feu de ton amour j’allume ses désirs.
+Du zèle qui pour toi l’enflamme et le dévore
+La chaleur se répand du couchant à l’aurore.
+Tu le vois tous les jours, devant toi prosterné,
+Humilier ce front de splendeur couronné ;
+Et, confondant l’orgueil par d’augustes exemples,
+Baiser avec respect le pavé de tes temples.
+De ta gloire animé, lui seul de tant de rois
+S’arme pour ta querelle, et combat pour tes droits.
+Le perfide intérêt, l’aveugle jalousie,
+S’unissent contre toi pour l’affreuse hérésie ;
+La discorde en fureur frémit de toutes parts ;
+Tout semble abandonner tes sacrés étendards ;
+Et l’enfer couvrant tout de ses vapeurs funèbres,
+Sur les yeux les plus saints a jeté ses ténèbres.
+Lui seul, invariable et fondé sur la foi,
+Ne cherche, ne regarde et n’écoute que toi ;
+Et bravant du démon l’impuissant artifice,
+De la religion soutient tout l’édifice.
+Grand Dieu, juge ta cause, et déploie aujourd’hui
+Ce bras, ce même bras qui combattait pour lui,
+Lorsque des nations à sa perte animées
+Le Rhin vit tant de fois disperser les armées.
+Des mêmes ennemis je reconnais l’orgueil ;
+Ils viennent se briser contre le même écueil :
+Déjà rompant partout leurs plus fermes barrières,
+Du débris de leurs forts ils couvrent ses frontières.
+Tu lui donnes un fils prompt à le seconder,
+Qui sait combattre, plaire, obéir, commander ;
+
+Un fils qui, comme lui, suivi de la victoire,
+Semble à gagner son cœur borner toute sa gloire ;
+Un fils à tous ses vœux avec amour soumis,
+L’éternel désespoir de tous ses ennemis :
+Pareil à ces esprits que ta justice envoie,
+Quand son roi lui dit, Pars, il s’élance avec joie ;
+Du tonnerre vengeur s’en va tout embraser,
+Et, tranquille, à ses pieds revient le déposer.
+Mais, tandis qu’un grand roi venge ainsi mes injures,
+Vous qui goûtez ici des délices si pures,
+S’il permet à son cœur un moment de repos,
+À vos jeux innocents appelez ce héros ;
+Retracez-lui d’Esther l’histoire glorieuse,
+Et sur l’impiété la foi victorieuse.
+Et vous, qui vous plaisez aux folles passions
+Qu’allument dans vos cœurs les vaines fictions,
+Profanes amateurs de spectacles frivoles,
+Dont l’oreille s’ennuie au son de mes paroles,
+Fuyez de mes plaisirs la sainte austérité :
+Tout respire ici Dieu, la paix, la vérité.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Tatatatatata tatatata tatie
+Tatatatatata tatata tatatie
+
+Est-ce toi, chère Élise ? ô jour trois fois heureux !
+Que béni soit le ciel qui te rend à mes vœux,
+Toi qui, de Benjamin comme moi descendue,
+Fus de mes premiers ans la compagne assidue,
+Et qui, d’un même joug souffrant l’oppression,
+M’aidais à soupirer les malheurs de Sion !
+Combien ce temps encore est cher à ma mémoire !
+Mais toi, de ton Esther ignorais-tu la gloire ?
+Depuis plus de six mois que je te fais chercher,
+Quel climat, quel désert a donc pu te cacher ?
+
+
+
+Au bruit de votre mort justement éplorée,
+Du reste des humains je vivais séparée ;
+Et de mes tristes jours n’attendais que la fin,
+Quand tout à coup, madame, un prophète divin :
+« C’est pleurer trop longtemps une mort qui t’abuse :
+« Lève-toi, m’a-t-il dit, prends ton chemin vers Suse,
+« Là tu verras d’Esther la pompe et les honneurs,
+« Et sur le trône assis le sujet de tes pleurs.
+« Rassure, ajouta-t-il, tes tribus alarmées,
+« Sion : le jour approche où le Dieu des armées
+« Va de son bras puissant faire éclater l’appui ;
+« Et le cri de son peuple est monté jusqu’à lui. »
+Il dit : et moi, de joie et d’horreur pénétrée,
+Je cours. De ce palais j’ai su trouver l’entrée.
+Ô spectacle ! ô triomphe admirable à mes yeux,
+Digne en effet du bras qui sauva nos aïeux !
+Le fier Assuérus couronne sa captive,
+Et le Persan superbe est aux pieds d’une Juive !
+Par quels secrets ressorts, par quel enchaînement
+Le ciel a-t-il conduit ce grand événement ?
+
+
+
+Peut-être on t’a conté la fameuse disgrâce
+De l’altière Vasthi, dont j’occupe la place,
+Lorsque le roi, contre elle enflammé de dépit,
+La chassa de son trône, ainsi que de son lit.
+Mais il ne put sitôt en bannir la pensée :
+Vasthi régna longtemps dans son âme offensée.
+Dans ses nombreux États il fallut donc chercher
+Quelque nouvel objet qui l’en pût détacher.
+De l’Inde à l’Hellespont ses esclaves coururent :
+Les filles de l’Égypte à Suse comparurent ;
+Celles même du Parthe et du Scythe indompté
+Y briguèrent le sceptre offert à la beauté.
+On m’élevait alors, solitaire et cachée,
+Sous les yeux vigilants du sage Mardochée :
+Tu sais combien je dois à ses heureux secours.
+La mort m’avait ravi les auteurs de mes jours ;
+Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
+Me tint lieu, chère Élise, et de père et de mère.
+Du triste état des Juifs jour et nuit agité,
+Il me tira du sein de mon obscurité ;
+Et sur mes faibles mains fondant leur délivrance,
+Il me fit d’un empire accepter l’espérance.
+À ses desseins secrets, tremblante, j’obéis :
+Je vins ; mais je cachai ma race et mon pays.
+Qui pourrait cependant t’exprimer les cabales
+Que formait en ces lieux ce peuple de rivales,
+Qui toutes, disputant un si grand intérêt,
+Des yeux d’Assuérus attendaient leur arrêt ?
+Chacune avait sa brigue et de puissants suffrages :
+L’une d’un sang fameux vantait les avantages ;
+L’autre, pour se parer de superbes atours,
+
+Des plus adroites mains empruntait le secours ;
+Et moi, pour toute brigue et pour tout artifice,
+De mes larmes au ciel j’offrais le sacrifice.
+Enfin on m’annonça l’ordre d’Assuérus.
+Devant ce fier monarque, Élise, je parus.
+Dieu tient le cœur des rois entre ses mains puissantes ;
+Il fait que tout prospère aux âmes innocentes,
+Tandis qu’en ses projets l’orgueilleux est trompé.
+De mes faibles attraits le roi parut frappé :
+Il m’observa longtemps dans un sombre silence ;
+Et le ciel qui pour moi fit pencher la balance,
+Dans ce temps-là sans doute agissait sur son cœur.
+Enfin, avec des yeux où régnait la douceur :
+Soyez reine, dit-il ; et dès ce moment même,
+De sa main sur mon front posa son diadème.
+Pour mieux faire éclater sa joie et son amour,
+Il combla de présents tous les grands de sa cour ;
+Et même ses bienfaits, dans toutes ses provinces,
+Invitèrent le peuple aux noces de leurs princes.
+Hélas ! durant ces jours de joie et de festins,
+Quelle était en secret ma honte et mes chagrins !
+Esther, disais-je, Esther dans la pourpre est assise,
+La moitié de la terre à son sceptre est soumise,
+Et de Jérusalem l’herbe cache les murs !
+Sion, repaire affreux de reptiles impurs,
+Voit de son temple saint les pierres dispersées,
+Et du Dieu d’Israël les fêtes sont cessées !
+
+
+
+N’avez-vous point au roi confié vos ennuis ?
+
+
+
+Le roi, jusqu’à ce jour, ignore qui je suis :
+Celui par qui le ciel règle ma destinée
+Sur ce secret encor tient ma langue enchaînée.
+
+
+
+Mardochée ? Eh ! peut-il approcher de ces lieux ?
+
+
+
+Son amitié pour moi le rend ingénieux.
+Absent, je le consulte ; et ses réponses sages
+Pour venir jusqu’à moi trouvent mille passages :
+Un père a moins de soin du salut de son fils.
+Déjà même, déjà, par ses secrets avis,
+J’ai découvert au roi les sanglantes pratiques
+Que formaient contre lui deux ingrats domestiques.
+Cependant mon amour pour notre nation
+A rempli ce palais de filles de Sion,
+Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées,
+Sous un ciel étranger comme moi transplantées.
+Dans un lieu séparé de profanes témoins,
+Je mets à les former mon étude et mes soins ;
+Et c’est là que fuyant l’orgueil du diadème,
+Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même,
+Aux pieds de l’Éternel je viens m’humilier,
+Et goûter le plaisir de me faire oublier.
+Mais à tous les Persans je cache leurs familles.
+Il faut les appeler. Venez, venez, mes filles,
+Compagnes autrefois de ma captivité,
+De l’antique Jacob jeune postérité.
+
+
+
+
+
+
+
+
+Tatatatatata tatatata tatie
+Tatatatatata tatata tatatie
+
+Ciel ! quel nombreux essaim d’innocentes beautés
+S’offre à mes yeux en foule, et sort de tous côtés !
+Quelle aimable pudeur sur leur visage est peinte !
+Prospérez, cher espoir d’une nation sainte.
+Puissent jusques au ciel vos soupirs innocents
+Monter comme l’odeur d’un agréable encens !
+Que Dieu jette sur vous des regards pacifiques !
+
+
+
+Mes filles, chantez-nous quelqu’un de ces cantiques
+Où vos voix si souvent se mêlant à mes pleurs
+De la triste Sion célèbrent les malheurs.
+
+
+
+
+Tatatatatata tatatata tatie
+Tatatatatata tatata tatatie
+
+
+Quel profane en ce lieu s’ose avancer vers nous ?
+Que vois-je ? Mardochée ! Ô mon père, est-ce vous ?
+Un ange du Seigneur, sous son aile sacrée,
+A donc conduit vos pas, et caché votre entrée ?
+Mais d’où vient cet air sombre, et ce cilice affreux,
+Et cette cendre enfin qui couvre vos cheveux ?
+Que nous annoncez-vous ? Ô reine infortunée !
+Ô d’un peuple innocent barbare destinée !
+Lisez, lisez l’arrêt détestable, cruel…
+Nous sommes tous perdus ! et c’est fait d’Israël !
+
+
+
+Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace.
+
+
+
+On doit de tous les Juifs exterminer la race.
+Au sanguinaire Aman nous sommes tous livrés ;
+Les glaives, les couteaux, sont déjà préparés ;
+Toute la nation à la fois est proscrite.
+Aman, l’impie Aman, race d’Amalécite,
+A, pour ce coup funeste, armé tout son crédit ;
+Et le roi, trop crédule, a signé cet édit.
+Prévenu contre nous par cette bouche impure,
+Il nous croit en horreur à toute la nature.
+Ses ordres sont donnés ; et, dans tous ses États,
+Le jour fatal est pris pour tant d’assassinats.
+Cieux, éclairerez-vous cet horrible carnage !
+Le fer ne connaîtra ni le sexe ni l’âge ;
+Tout doit servir de proie aux tigres, aux vautours ;
+Et ce jour effroyable arrive dans dix jours.
+
+
+
+Ô Dieu, qui vois former des desseins si funestes,
+As-tu donc de Jacob abandonné les restes ?
+
+
+
+Ciel, qui nous défendra, si tu ne nous défends ?
+
+
+
+Laissez les pleurs, Esther, à ces jeunes enfants.
+En vous est tout l’espoir de vos malheureux frères :
+Il faut les secourir ; mais les heures sont chères :
+Le temps vole, et bientôt amènera le jour
+Où le nom des Hébreux doit périr sans retour.
+Toute pleine du feu de tant de saints prophètes,
+Allez, osez au roi déclarer qui vous êtes.
+
+
+
+Hélas ! ignorez-vous quelles sévères lois
+Aux timides mortels cachent ici les rois ?
+Au fond de leur palais leur majesté terrible
+Affecte à leurs sujets de se rendre invisible ;
+Et la mort est le prix de tout audacieux
+Qui, sans être appelé, se présente à leurs yeux,
+Si le roi dans l’instant, pour sauver le coupable,
+Ne lui donne à baiser son sceptre redoutable.
+Rien ne met à l’abri de cet ordre fatal,
+Ni le rang, ni le sexe ; et le crime est égal.
+Moi-même, sur son trône, à ses côtés assise,
+Je suis à cette loi, comme une autre, soumise ;
+Et, sans le prévenir, il faut pour lui parler,
+Qu’il me cherche, ou du moins qu’il me fasse appeler.
+
+
+
+Quoi ! lorsque vous voyez périr votre patrie,
+Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie !
+Dieu parle, et d’un mortel vous craignez le courroux !
+Que dis-je ? votre vie, Esther, est-elle à vous ?
+N’est-elle pas au sang dont vous êtes issue ?
+N’est-elle pas à Dieu dont vous l’avez reçue ?
+Et qui sait, lorsqu’au trône il conduisit vos pas,
+Si pour sauver son peuple il ne vous gardait pas ?
+Songez-y bien : ce Dieu ne vous a point choisie
+Pour être un vain spectacle aux peuples de l’Asie,
+Ni pour charmer les yeux des profanes humains :
+Pour un plus noble usage il réserve ses saints.
+S’immoler pour son nom et pour son héritage,
+D’un enfant d’Israël voilà le vrai partage :
+Trop heureuse pour lui de hasarder vos jours !
+Et quel besoin son bras a-t-il de nos secours ?
+Que peuvent contre lui tous les rois de la terre ?
+En vain ils s’uniraient pour lui faire la guerre :
+Pour dissiper leur ligue il n’a qu’à se montrer ;
+Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer.
+Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble ;
+Il voit comme un néant tout l’univers ensemble ;
+Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,
+Sont tous devant ses yeux comme s’ils n’étaient pas.
+S’il a permis d’Aman l’audace criminelle,
+
+Sans doute qu’il voulait éprouver votre zèle.
+C’est lui qui, m’excitant à vous oser chercher,
+Devant moi, chère Esther, a bien voulu marcher ;
+Et s’il faut que sa voix frappe en vain vos oreilles,
+Nous n’en verrons pas moins éclater ses merveilles.
+Il peut confondre Aman, il peut briser nos fers
+Par la plus faible main qui soit dans l’univers ;
+Et vous, qui n’aurez point accepté cette grâce,
+Vous périrez peut-être, et toute votre race.
+
+
+
+Allez : que tous les Juifs dans Suse répandus,
+À prier avec vous jour et nuit assidus,
+Me prêtent de leurs vœux le secours salutaire,
+Et pendant ces trois jours gardent un jeûne austère.
+Déjà la sombre nuit a commencé son tour :
+Demain, quand le soleil rallumera le jour,
+Contente de périr, s’il faut que je périsse,
+J’irai pour mon pays m’offrir en sacrifice.
+Qu’on s’éloigne un moment. Ô mon souverain roi,
+Me voici donc tremblante et seule devant toi !
+Mon père mille fois m’a dit dans mon enfance
+Qu’avec nous tu juras une sainte alliance,
+Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux,
+Il plut à ton amour de choisir nos aïeux :
+Même tu leur promis de ta bouche sacrée
+Une postérité d’éternelle durée.
+Hélas ! ce peuple ingrat a méprisé ta loi ;
+La nation chérie a violé sa foi ;
+Elle a répudié son époux et son père,
+Pour rendre à d’autres dieux un honneur adultère :
+Maintenant elle sert sous un maître étranger.
+Mais c’est peu d’être esclave, on la veut égorger :
+Nos superbes vainqueurs, insultant à nos larmes,
+Imputent à leurs dieux le bonheur de leurs armes,
+Et veulent aujourd’hui qu’un même coup mortel
+Abolisse ton nom, ton peuple et ton autel.
+Ainsi donc un perfide, après tant de miracles,
+Pourrait anéantir la foi de tes oracles,
+Ravirait aux mortels le plus cher de tes dons,
+Le saint que tu promets et que nous attendons ?
+Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches,
+Ivres de notre sang, ferment les seules bouches
+Qui dans tout l’univers célèbrent tes bienfaits ;
+Et confonds tous ces dieux qui ne furent jamais.
+Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles,
+Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles,
+Et que je mets au rang des profanations
+Leur table, leurs festins, et leurs libations ;
+Que même cette pompe où je suis condamnée,
+Ce bandeau dont il faut que je paraisse ornée
+Dans ces jours solennels à l’orgueil dédiés,
+Seule et dans le secret, je le foule à mes pieds ;
+Qu’à ces vains ornements je préfère la cendre,
+Et n’ai de goût qu’aux pleurs que tu me vois répandre.
+J’attendais le moment marqué dans ton arrêt,
+Pour oser de ton peuple embrasser l’intérêt.
+Ce moment est venu : ma prompte obéissance
+Va d’un roi redoutable affronter la présence.
+C’est pour toi que je marche : accompagne mes pas
+Devant ce fier lion qui ne te connaît pas ;
+Commande en me voyant que son courroux s’apaise,
+Et prête à mes discours un charme qui lui plaise :
+Les orages, les vents, les cieux te sont soumis :
+Tourne enfin sa fureur contre nos ennemis.
+
+
+Eh quoi ! lorsque le jour ne commence qu’à luire,
+Dans ce lieu redoutable oses-tu m’introduire ?
+
+
+
+Vous savez qu’on s’en peut reposer sur ma foi ;
+Que ces portes, seigneur, n’obéissent qu’à moi :
+Venez. Partout ailleurs on pourrait nous entendre.
+
+
+
+Quel est donc le secret que tu me veux apprendre ?
+
+
+
+Seigneur, de vos bienfaits mille fois honoré,
+Je me souviens toujours que je vous ai juré
+D’exposer à vos yeux, par des avis sincères,
+Tout ce que ce palais renferme de mystères.
+Le roi d’un noir chagrin paraît enveloppé :
+Quelque songe effrayant cette nuit l’a frappé.
+Pendant que tout gardait un silence paisible,
+Sa voix s’est fait entendre avec un cri terrible.
+J’ai couru. Le désordre était dans ses discours :
+Il s’est plaint d’un péril qui menaçait ses jours ;
+Il parlait d’ennemi, de ravisseur farouche ;
+Même le nom d’Esther est sorti de sa bouche.
+Il a dans ces horreurs passé toute la nuit.
+Enfin, las d’appeler un sommeil qui le fuit,
+
+Pour écarter de lui ces images funèbres,
+Il s’est fait apporter ces annales célèbres
+Où les faits de son règne, avec soin amassés,
+Par de fidèles mains chaque jour sont tracés ;
+On y conserve écrits le service et l’offense,
+Monuments éternels d’amour et de vengeance.
+Le roi, que j’ai laissé plus calme dans son lit,
+D’une oreille attentive écoute ce récit.
+
+
+
+De quel temps de sa vie a-t-il choisi l’histoire ?
+
+
+
+Il revoit tous ces temps si remplis de sa gloire,
+Depuis le fameux jour qu’au trône de Cyrus
+Le choix du sort plaça l’heureux Assuérus.
+
+
+
+Ce songe, Hydaspe, est donc sorti de son idée ?
+
+
+
+Entre tous les devins fameux dans la Chaldée,
+Il a fait assembler ceux qui savent le mieux
+Lire en un songe obscur les volontés des cieux…
+Mais quel trouble vous-même aujourd’hui vous agite ?
+Votre âme, en m’écoutant, paraît tout interdite :
+L’heureux Aman a-t-il quelques secrets ennuis ?
+
+
+
+Peux-tu le demander dans la place où je suis ?
+Haï, craint, envié, souvent plus misérable
+Que tous les malheureux que mon pouvoir accable !
+
+
+
+Eh ! qui jamais du ciel eut des regards plus doux ?
+Vous voyez l’univers prosterné devant vous.
+
+
+
+L’univers ! Tous les jours un homme… un vil esclave,
+D’un front audacieux me dédaigne et me brave.
+
+
+
+Quel est cet ennemi de l’État et du roi ?
+
+
+
+Le nom de Mardochée est-il connu de toi ?
+
+
+
+Qui ? ce chef d’une race abominable, impie ?
+
+
+
+Oui, lui-même. Eh, seigneur ! d’une si belle vie
+Un si faible ennemi peut-il troubler la paix ?
+
+
+
+L’insolent devant moi ne se courba jamais.
+En vain de la faveur du plus grand des monarques
+Tout révère à genoux les glorieuses marques ;
+Lorsque d’un respect saint tous les Persans touchés
+N’osent lever leurs fronts à la terre attachés,
+Lui, fièrement assis, et la tête immobile,
+Traite tous ces honneurs d’impiété servile,
+Présente à mes regards un front séditieux,
+Et ne daignerait pas au moins baisser les yeux !
+Du palais cependant il assiége la porte :
+À quelque heure que j’entre, Hydaspe, ou que je sorte,
+Son visage odieux m’afflige et me poursuit ;
+Et mon esprit troublé le voit encor la nuit.
+Ce matin j’ai voulu devancer la lumière :
+Je l’ai trouvé couvert d’une affreuse poussière,
+Revêtu de lambeaux, tout pâle ; mais son œil
+Conservait sous la cendre encor le même orgueil.
+D’où lui vient, cher ami, cette impudente audace ?
+Toi qui dans ce palais vois tout ce qui se passe,
+Crois-tu que quelque voix ose parler pour lui ?
+Sur quel roseau fragile a-t-il mis son appui ?
+
+
+
+Seigneur, vous le savez, son avis salutaire
+Découvrit de Tharès le complot sanguinaire.
+Le roi promit alors de le récompenser :
+Le roi, depuis ce temps, paraît n’y plus penser.
+
+
+
+Non, il faut à tes yeux dépouiller l’artifice.
+J’ai su de mon destin corriger l’injustice :
+Dans les mains des Persans jeune enfant apporté,
+Je gouverne l’empire où je fus acheté ;
+Mes richesses des rois égalent l’opulence ;
+Environné d’enfants soutiens de ma puissance,
+Il ne manque à mon front que le bandeau royal.
+Cependant (des mortels aveuglement fatal !)
+De cet amas d’honneurs la douceur passagère
+Fait sur mon cœur à peine une atteinte légère ;
+Mais Mardochée, assis aux portes du palais,
+Dans ce cœur malheureux enfonce mille traits ;
+Et toute ma grandeur me devient insipide,
+Tandis que le soleil éclaire ce perfide.
+
+
+
+Vous serez de sa vue affranchi dans dix jours :
+La nation entière est promise aux vautours.
+
+
+
+Ah ! que ce temps est long à mon impatience !
+C’est lui, je te veux bien confier ma vengeance,
+C’est lui qui, devant moi refusant de ployer,
+Les a livrés au bras qui les va foudroyer.
+C’était trop peu pour moi d’une telle victime :
+La vengeance trop faible attire un second crime.
+Un homme tel qu’Aman, lorsqu’on l’ose irriter,
+Dans sa juste fureur ne peut trop éclater.
+
+Il faut des châtiments dont l’univers frémisse ;
+Qu’on tremble en comparant l’offense et le supplice ;
+Que les peuples entiers dans le sang soient noyés.
+Je veux qu’on dise un jour aux siècles effrayés :
+« Il fut des Juifs, il fut une insolente race ;
+« Répandus sur la terre, ils en couvraient la face ;
+« Un seul osa d’Aman attirer le courroux,
+« Aussitôt de la terre ils disparurent tous. »
+
+
+
+Ce n’est donc pas, seigneur, le sang amalécite
+Dont la voix à les perdre en secret vous excite ?
+
+
+
+Je sais que descendu de ce sang malheureux,
+Une éternelle haine a dû m’armer contre eux ;
+Qu’ils firent d’Amalec un indigne carnage ;
+Que, jusqu’aux vils troupeaux, tout éprouva leur rage ;
+Qu’un déplorable reste à peine fut sauvé ;
+Mais, crois-moi, dans le rang où je suis élevé,
+Mon âme, à ma grandeur tout entière attachée,
+Des intérêts du sang est faiblement touchée.
+Mardochée est coupable ; et que faut-il de plus ?
+Je prévins donc contre eux l’esprit d’Assuérus,
+J’inventai des couleurs, j’armai la calomnie,
+J’intéressai sa gloire : il trembla pour sa vie.
+Je les peignis puissants, riches, séditieux ;
+Leur Dieu même ennemi de tous les autres dieux.
+« Jusqu’à quand souffre-t-on que ce peuple respire,
+« Et d’un culte profane infecte votre empire ?
+« Étrangers dans la Perse, à nos lois opposés,
+« Du reste des humains ils semblent divisés,
+« N’aspirent qu’à troubler le repos où nous sommes,
+« Et, détestés partout, détestent tous les hommes.
+« Prévenez, punissez leurs insolents efforts :
+« De leur dépouille enfin grossissez vos trésors. »
+Je dis, et l’on me crut. Le roi, dès l’heure même,
+Mit dans ma main le sceau de son pouvoir suprême :
+« Assure, me dit-il, le repos de ton roi,
+« Va, perds ces malheureux : leur dépouille est à toi. »
+Toute la nation fut ainsi condamnée.
+Du carnage avec lui je réglai la journée.
+Mais de ce traître enfin le trépas différé
+Fait trop souffrir mon cœur de son sang altéré.
+Un je ne sais quel trouble empoisonne ma joie.
+Pourquoi dix jours encor faut-il que je le voie ?
+
+
+
+Et ne pouvez-vous pas d’un mot l’exterminer ?
+Dites au roi, seigneur, de vous l’abandonner.
+
+
+
+Je viens pour épier le moment favorable.
+Tu connais, comme moi, ce prince inexorable :
+Tu sais combien terrible en ses soudains transports,
+De nos desseins souvent il rompt tous les ressorts.
+Mais à me tourmenter ma crainte est trop subtile :
+Mardochée à ses yeux est une âme trop vile.
+
+
+
+Que tardez-vous ? Allez, et faites promptement
+Élever de sa mort le honteux instrument.
+
+
+
+J’entends du bruit ; je sors. Toi, si le roi m’appelle…
+
+
+
+Il suffit. Ainsi donc, sans cet avis fidèle,
+Deux traîtres dans son lit assassinaient leur roi ?
+Qu’on me laisse, et qu’Asaph seul demeure avec moi.
+
+
+
+
+
+
+
+Je veux bien l’avouer : de ce couple perfide
+J’avais presque oublié l’attentat parricide ;
+Et j’ai pâli deux fois au terrible récit
+Qui vient d’en retracer l’image à mon esprit.
+Je vois de quel succès leur fureur fut suivie.
+Et que dans les tourments ils laissèrent la vie ;
+Mais ce sujet zélé, qui d’un œil si subtil,
+Sut de leur noir complot développer le fil,
+Qui me montra sur moi leur main déjà levée,
+Enfin par qui la Perse avec moi fut sauvée,
+Quel honneur pour sa foi, quel prix a-t-il reçu ?
+
+
+
+On lui promit beaucoup : c’est tout ce que j’ai su.
+
+
+
+Ô d’un si grand service oubli trop condamnable !
+Des embarras du trône effet inévitable !
+De soins tumultueux un prince environné
+Vers de nouveaux objets est sans cesse entraîné ;
+L’avenir l’inquiète, et le présent le frappe :
+Mais, plus prompt que l’éclair, le passé nous échappe ;
+Et de tant de mortels, à toute heure empressés
+À nous faire valoir leurs soins intéressés,
+Il ne s’en trouve point qui, touchés d’un vrai zèle,
+Prennent à notre gloire un intérêt fidèle,
+Du mérite oublié nous fassent souvenir,
+Trop prompts à nous parler de ce qu’il faut punir.
+Ah ! que plutôt l’injure échappe à ma vengeance,
+Qu’un si rare bienfait à ma reconnaissance !
+Et qui voudrait jamais s’exposer pour son roi ?
+Ce mortel qui montra tant de zèle pour moi
+Vit-il encore ? Il voit l’astre qui vous éclaire.
+
+
+
+Et que n’a-t-il plus tôt demandé son salaire ?
+Quel pays reculé le cache à mes bienfaits ?
+
+
+
+Assis le plus souvent aux portes du palais,
+Sans se plaindre de vous ni de sa destinée,
+Il y traîne, seigneur, sa vie infortunée.
+
+
+
+Et je dois d’autant moins oublier la vertu,
+Qu’elle-même s’oublie. Il se nomme, dis-tu ?
+
+
+
+Mardochée est le nom que je viens de vous lire.
+
+
+
+Et son pays ? Seigneur, puisqu’il faut vous le dire,
+C’est un de ces captifs à périr destinés,
+Des rives du Jourdain sur l’Euphrate amenés.
+
+
+
+Il est donc Juif ! Ô ciel, sur le point que la vie
+Par mes propres sujets m’allait être ravie,
+Un Juif rend par ses soins leurs efforts impuissants !
+Un Juif m’a préservé du glaive des Persans !
+Mais, puisqu’il m’a sauvé, quel qu’il soit il n’importe.
+Holà, quelqu’un ! Seigneur ? Regarde à cette porte,
+Vois s’il s’offre à tes yeux quelque grand de ma cour.
+
+
+
+Aman à votre porte a devancé le jour.
+
+
+
+Qu’il entre. Ses avis m’éclaireront peut-être.
+
+
+
+
+
+
+
+Approche, heureux appui du trône de ton maître,
+Âme de mes conseils, et qui seul tant de fois
+Du sceptre dans ma main as soulagé le poids.
+Un reproche secret embarrasse mon âme.
+Je sais combien est pur le zèle qui t’enflamme :
+Le mensonge jamais n’entra dans tes discours,
+Et mon intérêt seul est le but où tu cours.
+Dis-moi donc : que doit faire un prince magnanime
+Qui veut combler d’honneur un sujet qu’il estime ?
+Par quel gage éclatant, et digne d’un grand roi,
+Puis-je récompenser le mérite et la foi ?
+Ne donne point de borne à ma reconnaissance :
+Mesure tes conseils sur ma vaste puissance.
+
+
+
+C’est pour toi-même, Aman, que tu vas prononcer ;
+Et quel autre que toi peut-on récompenser ?
+
+
+
+Que penses-tu ? Seigneur, je cherche, j’envisage
+Des monarques persans la conduite et l’usage ;
+Mais à mes yeux en vain je les rappelle tous ;
+Pour vous régler sur eux, que sont-ils près de vous ?
+Votre règne aux neveux doit servir de modèle.
+Vous voulez d’un sujet reconnaître le zèle ;
+L’honneur seul peut flatter un esprit généreux :
+Je voudrais donc, seigneur, que ce mortel heureux,
+De la pourpre aujourd’hui paré comme vous-même,
+Et portant sur le front le sacré diadème,
+Sur un de vos coursiers pompeusement orné,
+Aux yeux de vos sujets dans Suse fût mené ;
+Que, pour comble de gloire et de magnificence,
+Un seigneur éminent en richesse, en puissance,
+Enfin de votre empire après vous le premier,
+Par la bride guidât son superbe coursier ;
+Et lui-même marchant en habits magnifiques
+Criât à haute voix dans les places publiques :
+« Mortels, prosternez-vous ; c’est ainsi que le roi
+« Honore le mérite, et couronne la foi. »
+
+
+
+Je vois que la sagesse elle-même t’inspire.
+Avec mes volontés ton sentiment conspire.
+Va, ne perds point de temps, ce que tu m’as dicté
+Je veux de point en point qu’il soit exécuté.
+La vertu dans l’oubli ne sera plus cachée.
+Aux portes du palais prends le Juif Mardochée.
+C’est lui que je prétends honorer aujourd’hui ;
+Ordonne son triomphe, et marche devant lui ;
+Que Suse par ta voix de son nom retentisse,
+Et fais à son aspect que tout genou fléchisse.
+Sortez tous. Dieux ! Le prix est sans doute inouï ;
+Jamais d’un tel honneur un sujet n’a joui ;
+Mais plus la récompense est grande et glorieuse
+Plus même de ce Juif la race est odieuse,
+
+Plus j’assure ma vie, et montre avec éclat
+Combien Assuérus redoute d’être ingrat.
+On verra l’innocent discerné du coupable ;
+Je n’en perdrai pas moins ce peuple abominable :
+Leurs crimes… Sans mon ordre on porte ici ses pas !
+Quel mortel insolent vient chercher le trépas ?
+Gardes… C’est vous, Esther ? quoi ! sans être attendue ?
+
+
+
+Mes filles, soutenez votre reine éperdue ;
+Je me meurs. Dieux puissants ! quelle étrange pâleur
+De son teint tout à coup efface la couleur !
+Esther, que craignez-vous ? suis-je pas votre frère ?
+Est-ce pour vous qu’est fait un ordre si sévère ?
+Vivez : le sceptre d’or que vous tend cette main,
+Pour vous de ma clémence est un gage certain.
+
+
+
+Quelle voix salutaire ordonne que je vive,
+Et rappelle en mon sein mon âme fugitive ?
+
+
+
+Ne connaissez-vous pas la voix de votre époux ?
+Encore un coup, vivez, et revenez à vous.
+
+
+
+Seigneur, je n’ai jamais contemplé qu’avec crainte
+L’auguste majesté sur votre front empreinte ;
+Jugez combien ce front irrité contre moi
+Dans mon âme troublée a dû jeter d’effroi ;
+Sur ce trône sacré qu’environne la foudre
+J’ai cru vous voir tout prêt à me réduire en poudre.
+Hélas ! sans frissonner, quel cœur audacieux
+Soutiendrait les éclairs qui partaient de vos yeux ?
+Ainsi du Dieu vivant la colère étincelle…
+
+
+
+Ô soleil ! ô flambeau de lumière immortelle !
+Je me trouble moi-même ; et sans frémissement
+Je ne puis voir sa peine et son saisissement.
+Calmez, reine, calmez la frayeur qui vous presse.
+Du cœur d’Assuérus souveraine maîtresse,
+Éprouvez seulement son ardente amitié.
+Faut-il de mes États vous donner la moitié ?
+
+
+
+Eh ! se peut-il qu’un roi craint de la terre entière,
+Devant qui tout fléchit et baise la poussière,
+Jette sur son esclave un regard si serein,
+Et m’offre sur son cœur un pouvoir souverain ?
+
+
+
+Croyez-moi, chère Esther, ce sceptre, cet empire,
+Et ces profonds respects que la terreur inspire,
+À leur pompeux éclat mêlent peu de douceur,
+Et fatiguent souvent leur triste possesseur.
+Je ne trouve qu’en vous je ne sais quelle grâce
+Qui me charme toujours et jamais ne me lasse.
+De l’aimable vertu doux et puissants attraits !
+Tout respire en Esther l’innocence et la paix.
+Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres,
+Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres ;
+Que dis-je ? sur ce trône assis auprès de vous,
+Des astres ennemis j’en crains moins le courroux,
+Et crois que votre front prête à mon diadème
+Un éclat qui le rend respectable aux dieux même.
+Osez donc me répondre, et ne me cachez pas
+Quel sujet important conduit ici vos pas.
+Quel intérêt, quels soins vous agitent, vous pressent ?
+Je vois qu’en m’écoutant vos yeux au ciel s’adressent.
+Parlez : de vos désirs le succès est certain,
+Si ce succès dépend d’une mortelle main.
+
+
+
+Ô bonté qui m’assure autant qu’elle m’honore !
+Un intérêt pressant veut que je vous implore.
+J’attends ou mon malheur ou ma félicité ;
+Et tout dépend, seigneur, de votre volonté.
+Un mot de votre bouche, en terminant mes peines,
+Peut rendre Esther heureuse entre toutes les reines.
+
+
+
+Ah ! que vous enflammez mon désir curieux !
+
+
+
+Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant vos yeux,
+Si jamais à mes vœux vous fûtes favorable,
+Permettez, avant tout, qu’Esther puisse à sa table
+Recevoir aujourd’hui son souverain seigneur,
+Et qu’Aman soit admis à cet excès d’honneur.
+J’oserai devant lui rompre ce grand silence ;
+Et j’ai pour m’expliquer besoin de sa présence.
+
+
+
+Dans quelle inquiétude, Esther, vous me jetez !
+Toutefois qu’il soit fait comme vous souhaitez.
+Vous, que l’on cherche Aman, et qu’on lui fasse entendre
+
+Qu’invité chez la reine, il ait soin de s’y rendre.
+
+
+
+
+
+
+
+Les savants chaldéens, par votre ordre appelés,
+Dans cet appartement, seigneur, sont assemblés.
+
+
+
+Princesse, un songe étrange occupe ma pensée :
+Vous-même en leur réponse êtes intéressée.
+Venez, derrière un voile écoutant leurs discours,
+De vos propres clartés me prêter le secours.
+Je crains pour vous, pour moi, quelque ennemi perfide.
+
+
+
+Suis-moi, Thamar. Et vous, troupe jeune et timide,
+Sans craindre ici les yeux d’une profane cour,
+À l’abri de ce trône attendez mon retour.
+
+
+Tatatatatata tatatata tatie
+Tatatatatata tatata tatatie
+
+C’est donc ici d’Esther le superbe jardin ;
+Et ce salon pompeux est le lieu du festin ?
+Mais tandis que la porte en est encor fermée,
+Écoutez les conseils d’une épouse alarmée.
+Au nom du sacré nœud qui me lie avec vous,
+Dissimulez, seigneur, cet aveugle courroux ;
+Éclaircissez ce front où la tristesse est peinte :
+Les rois craignent surtout le reproche et la plainte.
+Seul entre tous les grands par la reine invité,
+Ressentez donc aussi cette félicité.
+Si le mal vous aigrit, que le bienfait vous touche.
+Je l’ai cent fois appris de votre propre bouche :
+Quiconque ne sait pas dévorer un affront,
+Ni de fausses couleurs se déguiser le front,
+Loin de l’aspect des rois qu’il s’écarte, qu’il fuie.
+Il est des contre-temps qu’il faut qu’un sage essuie :
+Souvent avec prudence un outrage enduré
+Aux honneurs les plus hauts a servi de degré.
+
+
+
+Ô douleur, ô supplice affreux à la pensée !
+Ô honte, qui jamais ne peut être effacée !
+Un exécrable Juif, l’opprobre des humains,
+S’est donc vu de la pourpre habillé par mes mains !
+C’est peu qu’il ait sur moi remporté la victoire ;
+Malheureux, j’ai servi de héraut à sa gloire !
+Le traître, il insultait à ma confusion ;
+Et tout le peuple même, avec dérision
+Observant la rougeur qui couvrait mon visage,
+De ma chute certaine en tirait le présage.
+Roi cruel, ce sont là les jeux où tu te plais !
+Tu ne m’as prodigué tes perfides bienfaits
+Que pour me faire mieux sentir ta tyrannie
+Et m’accabler enfin de plus d’ignominie.
+
+
+
+Pourquoi juger si mal de son intention ?
+Il croit récompenser une bonne action.
+Ne faut-il pas, seigneur, s’étonner au contraire
+Qu’il en ait si longtemps différé le salaire ?
+Du reste, il n’a rien fait que par votre conseil.
+Vous-même avez dicté tout ce triste appareil :
+Vous êtes après lui le premier de l’empire.
+Sait-il toute l’horreur que ce Juif vous inspire ?
+
+
+
+Il sait qu’il me doit tout, et que pour sa grandeur
+J’ai foulé sous les pieds remords, crainte, pudeur ;
+Qu’avec un cœur d’airain exerçant sa puissance
+J’ai fait taire les lois, et gémir l’innocence ;
+Que pour lui, des Persans bravant l’aversion,
+J’ai chéri, j’ai cherché la malédiction :
+Et pour prix de ma vie à leur haine exposée,
+Le barbare aujourd’hui m’expose à leur risée !
+
+
+
+Seigneur, nous sommes seuls. Que sert de se flatter ?
+Ce zèle que pour lui vous fîtes éclater,
+Ce soin d’immoler tout à son pouvoir suprême,
+Entre nous, avaient-ils d’autre objet que vous-même ?
+Et sans chercher plus loin, tous ces Juifs désolés,
+N’est-ce pas à vous seul que vous les immolez ?
+Et ne craignez-vous point que quelque avis funeste…
+Enfin la cour nous hait, le peuple nous déteste.
+Ce Juif même, il le faut confesser malgré moi,
+Ce Juif, comblé d’honneurs, me cause quelque effroi.
+Les malheurs sont souvent enchaînés l’un à l’autre,
+Et sa race toujours fut fatale à la vôtre.
+De ce léger affront songez à profiter.
+Peut-être la fortune est prête à vous quitter ;
+Aux plus affreux excès son inconstance passe :
+Prévenez son caprice avant qu’elle se lasse.
+Où tendez-vous plus haut ? Je frémis quand je voi
+Les abîmes profonds qui s’offrent devant moi :
+La chute désormais ne peut être qu’horrible.
+Osez chercher ailleurs un destin plus paisible :
+Regagnez l’Hellespont et ces bords écartés
+Où vos aïeux errants jadis furent jetés,
+Lorsque des Juifs contre eux la vengeance allumée
+Chassa tout Amalec de la triste Idumée.
+Aux malices du sort enfin dérobez-vous.
+Nos plus riches trésors marcheront devant nous :
+Vous pouvez du départ me laisser la conduite ;
+Surtout de vos enfants j’assurerai la fuite.
+N’ayez soin cependant que de dissimuler.
+Contente, sur vos pas vous me verrez voler :
+La mer la plus terrible et la plus orageuse
+Est plus sûre pour nous que cette cour trompeuse.
+Mais à grands pas vers vous je vois quelqu’un marcher.
+C’est Hydaspe. Seigneur, je courais vous chercher.
+Votre absence en ces lieux suspend toute la joie ;
+Et pour vous y conduire Assuérus m’envoie.
+
+
+
+Et Mardochée est-il aussi de ce festin ?
+
+
+
+À la table d’Esther portez-vous ce chagrin ?
+Quoi ! toujours de ce Juif l’image vous désole !
+Laissez-le s’applaudir d’un triomphe frivole.
+Croit-il d’Assuérus éviter la rigueur ?
+Ne possédez-vous pas son oreille et son cœur ?
+On a payé le zèle, on punira le crime ;
+Et l’on vous a, seigneur, orné votre victime.
+Je me trompe, ou vos vœux par Esther secondés
+Obtiendront plus encor que vous ne demandez.
+
+
+
+Croirai-je le bonheur que ta bouche m’annonce ?
+
+
+
+J’ai des savants devins entendu la réponse :
+Ils disent que la main d’un perfide étranger
+Dans le sang de la reine est prête à se plonger.
+Et le roi, qui ne sait où trouver le coupable,
+N’impute qu’aux seuls Juifs ce projet détestable.
+
+
+
+Oui, ce sont, cher ami, des monstres furieux :
+Il faut craindre surtout leur chef audacieux.
+La terre avec horreur dès longtemps les endure ;
+Et l’on n’en peut trop tôt délivrer la nature.
+Ah ! je respire enfin. Chère Zarès, adieu.
+
+
+
+Les compagnes d’Esther s’avancent vers ce lieu :
+Sans doute leur concert va commencer la fête.
+Entrez, et recevez l’honneur qu’on vous apprête.
+
+
+Tatatatatata tatatata tata
+Tatatatatata tatata tatata
+
+Oui, vos moindres discours ont des grâces secrètes :
+Une noble pudeur à tout ce que vous faites
+Donne un prix que n’ont point ni la pourpre ni l’or.
+Quel climat renfermait un si rare trésor ?
+Dans quel sein vertueux avez-vous pris naissance,
+Et quelle main si sage éleva votre enfance ?
+Mais dites promptement ce que vous demandez :
+Tous vos désirs, Esther, vous seront accordés ;
+Dussiez-vous, je l’ai dit, et veux bien le redire,
+Demander la moitié de ce puissant empire.
+
+
+
+Je ne m’égare point dans ces vastes désirs.
+Mais puisqu’il faut enfin expliquer mes soupirs,
+Puisque mon roi lui-même à parler me convie,
+J’ose vous implorer, et pour ma propre vie,
+
+Et pour les tristes jours d’un peuple infortuné
+Qu’à périr avec moi vous avez condamné.
+
+
+
+À périr ! vous ! Quel peuple ? Et quel est ce mystère ?
+
+
+
+Je tremble. Esther, seigneur, eut un Juif pour son père :
+De vos ordres sanglants vous savez la rigueur.
+
+
+
+Ah dieux ! Ah ! de quel coup me percez-vous le cœur !
+Vous la fille d’un Juif ! Eh quoi ! tout ce que j’aime,
+Cette Esther, l’innocence et la sagesse même,
+Que je croyais du ciel les plus chères amours,
+Dans cette source impure aurait puisé ses jours !
+Malheureux ! Vous pourrez rejeter ma prière :
+Mais je demande au moins que, pour grâce dernière,
+Jusqu’à la fin, seigneur, vous m’entendiez parler,
+Et que surtout Aman n’ose point me troubler.
+
+
+Parlez. Ô Dieu, confonds l’audace et l’imposture !
+Ces Juifs, dont vous voulez délivrer la nature,
+Que vous croyez, seigneur, le rebut des humains,
+D’une riche contrée autrefois souverains,
+Pendant qu’ils n’adoraient que le Dieu de leurs pères,
+Ont vu bénir le cours de leurs destins prospères.
+Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux,
+N’est point tel que l’erreur le figure à vos yeux :
+L’Éternel est son nom ; le monde est son ouvrage ;
+Il entend les soupirs de l’humble qu’on outrage,
+Juge tous les mortels avec d’égales lois,
+Et du haut de son trône interroge les rois :
+Des plus fermes États la chute épouvantable,
+Quand il veut, n’est qu’un jeu de sa main redoutable.
+Les Juifs à d’autres dieux osèrent s’adresser :
+Roi, peuples, en un jour tout se vit disperser :
+Sous les Assyriens leur triste servitude
+Devint le juste prix de leur ingratitude.
+Mais, pour punir enfin nos maîtres à leur tour,
+Dieu fit choix de Cyrus avant qu’il vît le jour,
+L’appela par son nom, le promit à la terre,
+Le fit naître, et soudain l’arma de son tonnerre,
+Brisa les fiers remparts et les portes d’airain,
+Mit des superbes rois la dépouille en sa main,
+De son temple détruit vengea sur eux l’injure :
+Babylone paya nos pleurs avec usure.
+Cyrus, par lui vainqueur, publia ses bienfaits,
+Regarda notre peuple avec des yeux de paix,
+Nous rendit et nos lois et nos fêtes divines ;
+Et le temple déjà sortait de ses ruines.
+Mais, de ce roi si sage héritier insensé,
+Son fils interrompit l’ouvrage commencé,
+Fut sourd à nos douleurs : Dieu rejeta sa race,
+Le retrancha lui-même, et vous mit en sa place.
+Que n’espérions-nous point d’un roi si généreux !
+Dieu regarde en pitié son peuple malheureux,
+Disions-nous : un roi règne, ami de l’innocence.
+Partout du nouveau prince on vantait la clémence :
+Les Juifs partout de joie en poussèrent des cris.
+Ciel ! verra-t-on toujours par de cruels esprits
+Des princes les plus doux l’oreille environnée,
+Et du bonheur public la source empoisonnée ?
+Dans le fond de la Thrace un barbare enfanté
+Est venu dans ces lieux souffler la cruauté ;
+Un ministre ennemi de votre propre gloire…
+
+
+
+De votre gloire ! Moi ? Ciel ! le pourriez-vous croire ?
+Moi qui n’ai d’autre objet ni d’autre dieu… Tais-toi.
+Oses-tu donc parler sans l’ordre de ton roi ?
+
+
+
+Notre ennemi cruel devant vous se déclare :
+C’est lui, c’est ce ministre infidèle et barbare
+Qui, d’un zèle trompeur à vos yeux revêtu,
+Contre notre innocence arma votre vertu.
+Et quel autre, grand Dieu ! qu’un Scythe impitoyable
+Aurait de tant d’horreurs dicté l’ordre effroyable !
+
+Partout l’affreux signal en même temps donné
+De meurtres remplira l’univers étonné :
+On verra, sous le nom du plus juste des princes,
+Un perfide étranger désoler vos provinces ;
+Et dans ce palais même, en proie à son courroux,
+Le sang de vos sujets regorger jusqu’à vous.
+Et que reproche aux Juifs sa haine envenimée ?
+Quelle guerre intestine avons-nous allumée ?
+Les a-t-on vus marcher parmi vos ennemis ?
+Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis ?
+Adorant dans leurs fers le Dieu qui les châtie,
+Pendant que votre main sur eux appesantie
+À leurs persécuteurs les livrait sans secours,
+Ils conjuraient ce Dieu de veiller sur vos jours,
+De rompre des méchants les trames criminelles,
+De mettre votre trône à l’ombre de ses ailes.
+N’en doutez point, seigneur, il fut votre soutien :
+Lui seul mit à vos pieds le Parthe et l’Indien,
+Dissipa devant vous les innombrables Scythes,
+Et renferma les mers dans vos vastes limites ;
+Lui seul aux yeux d’un Juif découvrit le dessein
+De deux traîtres tout prêts à vous percer le sein.
+Hélas ! ce Juif jadis m’adopta pour sa fille.
+
+
+
+Mardochée ? Il restait seul de notre famille.
+Mon père était son frère. Il descend comme moi
+Du sang infortuné de notre premier roi.
+Plein d’une juste horreur pour un Amalécite,
+Race que notre Dieu de sa bouche a maudite,
+Il n’a devant Aman pu fléchir les genoux,
+Ni lui rendre un honneur qu’il ne croit dû qu’à vous.
+De là contre les Juifs et contre Mardochée
+Cette haine, seigneur, sous d’autres noms cachée.
+En vain de vos bienfaits Mardochée est paré :
+À la porte d’Aman est déjà préparé
+D’un infâme trépas l’instrument exécrable ;
+Dans une heure au plus tard ce vieillard vénérable,
+Des portes du palais par son ordre arraché,
+Couvert de votre pourpre, y doit être attaché.
+
+
+
+Quel jour mêlé d’horreur vient effrayer mon âme !
+Tout mon sang de colère et de honte s’enflamme.
+J’étais donc le jouet… Ciel, daigne m’éclairer !
+Un moment sans témoins cherchons à respirer.
+Appelez Mardochée : il faut aussi l’entendre.
+
+
+
+Vérité, que j’implore, achève de descendre !
+
+
+
+
+
+
+
+D’un juste étonnement je demeure frappé.
+Les ennemis des Juifs m’ont trahi, m’ont trompé :
+J’en atteste du ciel la puissance suprême,
+En les perdant j’ai cru vous assurer vous-même.
+Princesse, en leur faveur employez mon crédit :
+Le roi, vous le voyez, flotte encore interdit.
+Je sais par quels ressorts on le pousse, on l’arrête ;
+Et fais, comme il me plaît, le calme et la tempête.
+Les intérêts des Juifs déjà me sont sacrés.
+Parlez : vos ennemis aussitôt massacrés,
+Victimes de la foi que ma bouche vous jure,
+De ma fatale erreur répareront l’injure.
+Quel sang demandez-vous ? Va, traître, laisse-moi.
+Les Juifs n’attendent rien d’un méchant tel que toi.
+Misérable, le Dieu vengeur de l’innocence,
+Tout prêt à te juger, tient déjà sa balance !
+Bientôt son juste arrêt te sera prononcé.
+Tremble : son jour approche, et ton règne est passé.
+
+
+
+Oui, ce Dieu, je l’avoue, est un Dieu redoutable.
+Mais veut-il que l’on garde une haine implacable ?
+C’en est fait : mon orgueil est forcé de plier ;
+L’inexorable Aman est réduit à prier.
+Par le salut des Juifs, par ces pieds que j’embrasse,
+
+Par ce sage vieillard, l’honneur de votre race,
+Daignez d’un roi terrible apaiser le courroux ;
+Sauvez Aman, qui tremble à vos sacrés genoux.
+
+
+
+
+
+
+
+Quoi ! le traître sur vous porte ses mains hardies !
+Ah ! dans ses yeux confus je lis ses perfidies ;
+Et son trouble appuyant la foi de vos discours,
+De tous ses attentats me rappelle le cours.
+Qu’à ce monstre à l’instant l’âme soit arrachée ;
+Et que devant sa porte, au lieu de Mardochée,
+Apaisant par sa mort et la terre et les cieux,
+De mes peuples vengés il repaisse les yeux.
+
+
+
+
+
+
+
+Mortel chéri du ciel, mon salut et ma joie,
+Aux conseils des méchants ton roi n’est plus en proie ;
+Mes yeux sont dessillés, le crime est confondu :
+Viens briller près de moi dans le rang qui t’est dû.
+Je te donne d’Aman les biens et la puissance :
+Possède justement son injuste opulence.
+Je romps le joug funeste où les Juifs sont soumis !
+Je leur livre le sang de tous leurs ennemis ;
+À l’égal des Persans je veux qu’on les honore,
+Et que tout tremble au nom du Dieu qu’Esther adore.
+Rebâtissez son temple, et peuplez vos cités ;
+Que vos heureux enfants dans leurs solennités
+Consacrent de ce jour le triomphe et la gloire,
+Et qu’à jamais mon nom vive dans leur mémoire.
+
+
+
+
+
+
+
+Que veut Asaph ? Seigneur, le traître est expiré,
+Par le peuple en fureur à moitié déchiré.
+On traîne, on va donner en spectacle funeste
+De son corps tout sanglant le misérable reste.
+
+
+
+Roi, qu’à jamais le ciel prenne soin de vos jours !
+Le péril des Juifs presse, et veut un prompt secours.
+
+
+
+Oui, je t’entends. Allons, par des ordres contraires,
+Révoquer d’un méchant les ordres sanguinaires.
+
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+
+Ô Dieu, par quelle route inconnue aux mortels
+Ta sagesse conduit ses desseins éternels !
+
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+
+
diff --git a/test/racine_esther.tpl b/test/racine_esther.tpl
@@ -0,0 +1,4 @@
+6/6 A !X
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+6/6 B !x
+6/6 B !x
diff --git a/test/racine_phedre b/test/racine_phedre
@@ -0,0 +1,2511 @@
+
+
+Le dessein en est pris : je pars, cher Théramène,
+Et quitte le séjour de l’aimable Trézène.
+Dans le doute mortel dont je suis agité,
+Je commence à rougir de mon oisiveté.
+Depuis plus de six mois éloigné de mon père,
+J’ignore le destin d’une tête si chère ;
+J’ignore jusqu’aux lieux qui le peuvent cacher.
+
+
+
+
+Et dans quels lieux, seigneur, l’allez-vous donc chercher ?
+Déjà pour satisfaire à votre juste crainte,
+J’ai couru les deux mers que sépare Corinthe ;
+J’ai demandé Thésée aux peuples de ces bords
+Où l’on voit l’Achéron se perdre chez les morts ;
+J’ai visité l’Élide, et laissant le Ténare,
+Passé jusqu’à la mer qui vit tomber Icare :
+Sur quel espoir nouveau, dans quels heureux climats
+Croyez-vous découvrir la trace de ses pas ?
+Qui sait même, qui sait si le roi votre père
+Veut que de son absence on sache le mystère ?
+Et si, lorsqu’avec vous nous tremblons pour ses jours,
+Tranquille, et nous cachant de nouvelles amours,
+Ce héros n’attend point qu’une amante abusée...
+
+
+
+
+Cher Théramène, arrête, et respecte Thésée.
+De ses jeunes erreurs désormais revenu,
+Par un indigne obstacle il n’est point retenu ;
+Et fixant de ses vœux l’inconstance fatale,
+Phèdre depuis longtemps ne craint plus de rivale.
+Enfin, en le cherchant, je suivrai mon devoir,
+Et je fuirai ces lieux, que je n’ose plus voir.
+
+
+
+
+Eh ! depuis quand, seigneur, craignez-vous la présence
+De ces paisibles lieux si chers à votre enfance,
+Et dont je vous ai vu préférer le séjour
+Au tumulte pompeux d’Athène et de la cour ?
+Quel péril, ou plutôt quel chagrin vous en chasse ?
+
+
+
+
+Cet heureux temps n’est plus. Tout a changé de face,
+Depuis que sur ces bords les dieux ont envoyé
+La fille de Minos et de Pasiphaé.
+
+
+
+
+J’entends : de vos douleurs la cause m’est connue.
+Phèdre ici vous chagrine, et blesse votre vue.
+Dangereuse marâtre, à peine elle vous vit,
+Que votre exil d’abord signala son crédit.
+Mais sa haine, sur vous autrefois attachée,
+Ou s’est évanouie, ou s’est bien relâchée.
+Et d’ailleurs quels périls vous peut faire courir
+Une femme mourante, et qui cherche à mourir ?
+Phèdre, atteinte d’un mal qu’elle s’obstine à taire,
+Lasse enfin d’elle-même et du jour qui l’éclaire,
+Peut-elle contre vous former quelques desseins ?
+
+
+
+
+Sa vaine inimitié n’est pas ce que je crains.
+Hippolyte en partant fuit une autre ennemie ;
+Je fuis, je l’avouerai, cette jeune Aricie,
+Reste d’un sang fatal conjuré contre nous.
+
+
+
+
+Quoi ! vous-même, seigneur, la persécutez-vous ?
+Jamais l’aimable sœur des cruels Pallantides
+Trempa-t-elle aux complots de ses frères perfides ?
+Et devez-vous haïr ses innocents appas ?
+
+
+
+
+Si je la haïssais, je ne la fuirais pas.
+
+
+
+
+Seigneur, m’est-il permis d’expliquer votre fuite ?
+Pourriez-vous n’être plus ce superbe Hippolyte
+Implacable ennemi des amoureuses lois,
+Et d’un joug que Thésée a subi tant de fois ?
+Vénus, par votre orgueil si longtemps méprisée,
+Voudrait-elle à la fin justifier Thésée ?
+Et vous mettant au rang du reste des mortels,
+Vous a-t-elle forcé d’encenser ses autels ?
+Aimeriez-vous, seigneur ? Ami, qu’oses-tu dire ?
+Toi qui connais mon cœur depuis que je respire,
+Des sentiments d’un cœur si fier, si dédaigneux,
+Peux-tu me demander le désaveu honteux ?
+C’est peu qu’avec son lait une mère amazone
+M’a fait sucer encor cet orgueil qui t’étonne ;
+Dans un âge plus mûr moi-même parvenu,
+Je me suis applaudi quand je me suis connu.
+Attaché près de moi par un zèle sincère,
+Tu me contais alors l’histoire de mon père.
+Tu sais combien mon âme, attentive à ta voix,
+S’échauffait aux récits de ses nobles exploits,
+Quand tu me dépeignais ce héros intrépide
+Consolant les mortels de l’absence d’Alcide,
+Les monstres étouffés, et les brigands punis,
+Procruste, Cercyon, et Sciron, et Sinis,
+Et les os dispersés du géant d’Épidaure,
+Et la Crète fumant du sang du Minotaure.
+Mais quand tu récitais des faits moins glorieux,
+Sa foi partout offerte, et reçue en cent lieux ;
+Hélène à ses parents dans Sparte dérobée ;
+Salamine témoin des pleurs de Péribée ;
+Tant d’autres, dont les noms lui sont même échappés,
+Trop crédules esprits que sa flamme a trompés !
+Ariane aux rochers contant ses injustices ;
+Phèdre enlevée enfin sous de meilleurs auspices ;
+Tu sais comme, à regret écoutant ce discours,
+Je te pressais souvent d’en abréger le cours.
+Heureux si j’avais pu ravir à la mémoire
+Cette indigne moitié d’une si belle histoire !
+Et moi-même, à mon tour, je me verrais lié !
+Et les dieux jusque-là m’auraient humilié !
+Dans mes lâches soupirs d’autant plus méprisable,
+Qu’un long amas d’honneurs rend Thésée excusable,
+Qu’aucuns monstres par moi domptés jusqu’aujourd’hui,
+Ne m’ont acquis le droit de faillir comme lui !
+Quand même ma fierté pourrait s’être adoucie,
+Aurais-je pour vainqueur dû choisir Aricie ?
+Ne souviendrait-il plus à mes sens égarés
+De l’obstacle éternel qui nous a séparés ?
+Mon père la réprouve, et par des lois sévères,
+Il défend de donner des neveux à ses frères :
+D’une tige coupable il craint un rejeton ;
+Il veut avec la sœur ensevelir leur nom ;
+Et que, jusqu’au tombeau soumise à sa tutelle,
+Jamais les feux d’hymen ne s’allument pour elle.
+Dois-je épouser ses droits contre un père irrité ?
+Donnerai-je l’exemple à la témérité ?
+Et dans un fol amour ma jeunesse embarquée...
+
+
+
+
+Ah, seigneur ! si votre heure est une fois marquée,
+Le ciel de nos raisons ne sait point s’informer.
+Thésée ouvre vos yeux en voulant les fermer ;
+Et sa haine irritant une flamme rebelle,
+Prête à son ennemi une grâce nouvelle.
+Enfin d’un chaste amour pourquoi vous effrayer ?
+S’il a quelque douceur, n’osez-vous l’essayer ?
+En croirez-vous toujours un farouche scrupule ?
+Craint-on de s’égarer sur les traces d’Hercule ?
+Quels courages Vénus n’a-t-elle pas domptés ?
+Vous-même, où seriez-vous, vous qui la combattez,
+Si toujours Antiope à ses lois opposée
+D’une pudique ardeur n’eût brûlé pour Thésée ?
+Mais que sert d’affecter un superbe discours ?
+Avouez-le, tout change ; et depuis quelques jours,
+On vous voit moins souvent, orgueilleux et sauvage,
+Tantôt faire voler un char sur le rivage,
+Tantôt, savant dans l’art par Neptune inventé,
+Rendre docile au frein un coursier indompté ;
+Les forêts de nos cris moins souvent retentissent ;
+Chargés d’un feu secret, vos yeux s’appesantissent ;
+Il n’en faut point douter, vous aimez, vous brûlez ;
+Vous périssez d’un mal que vous dissimulez :
+La charmante Aricie a-t-elle su vous plaire ?
+
+
+
+
+Théramène, je pars, et vais chercher mon père.
+
+
+
+
+Ne verrez-vous point Phèdre avant que de partir,
+Seigneur ? C’est mon dessein : tu peux l’en avertir.
+Voyons-la, puisque ainsi mon devoir me l’ordonne.
+Mais quel nouveau malheur trouble sa chère Œnone ?
+
+
+
+
+
+
+
+
+Hélas ! seigneur, quel trouble au mien peut être égal ?
+La reine touche presque à son terme fatal.
+En vain à l’observer jour et nuit je m’attache ;
+Elle meurt dans mes bras d’un mal qu’elle me cache.
+Un désordre éternel règne dans son esprit ;
+Son chagrin inquiet l’arrache de son lit :
+Elle veut voir le jour : et sa douleur profonde
+M’ordonne toutefois d’écarter tout le monde...
+Elle vient. Il suffit : je la laisse en ces lieux,
+Et ne lui montre point un visage odieux.
+
+
+
+
+
+
+
+N’allons point plus avant, demeurons, chère Œnone.
+Je ne me soutiens plus ; ma force m’abandonne :
+Mes yeux sont éblouis du jour que je revoi,
+Et mes genoux tremblants se dérobent sous moi.
+Hélas ! Dieux tout-puissants, que nos pleurs vous apaisent !
+
+
+
+
+Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent !
+Quelle importune main, en formant tous ces nœuds,
+A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ?
+Tout m’afflige, me nuit, et conspire à me nuire.
+
+
+
+
+Comme on voit tous ses vœux l’un l’autre se détruire !
+Vous-même, condamnant vos injustes desseins,
+Tantôt à vous parer vous excitiez nos mains ;
+Vous-même, rappelant votre force première,
+Vous vouliez vous montrer et revoir la lumière.
+Vous la voyez, madame ; et, prête à vous cacher,
+Vous haïssez le jour que vous veniez chercher !
+
+
+
+
+Noble et brillant auteur d’une triste famille,
+Toi dont ma mère osait se vanter d’être fille,
+Qui peut-être rougis du trouble où tu me vois,
+Soleil, je te viens voir pour la dernière fois !
+
+
+
+
+Quoi ! vous ne perdrez point cette cruelle envie ?
+Vous verrai-je toujours, renonçant à la vie,
+Faire de votre mort les funestes apprêts ?
+
+
+
+
+Dieux ! que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !
+Quand pourrai-je, au travers d’une noble poussière,
+Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière ?
+
+
+
+
+Quoi, madame ? Insensée ! où suis-je ? et qu’ai-je dit ?
+Où laissé-je égarer mes vœux et mon esprit ?
+Je l’ai perdu : les dieux m’en ont ravi l’usage.
+Œnone, la rougeur me couvre le visage :
+Je te laisse trop voir mes honteuses douleurs ;
+Et mes yeux malgré moi se remplissent de pleurs.
+
+
+
+
+Ah ! s’il vous faut rougir, rougissez d’un silence
+Qui de vos maux encore aigrit la violence.
+Rebelle à tous nos soins, sourde à tous nos discours,
+Voulez-vous, sans pitié, laisser finir vos jours ?
+Quelle fureur les borne au milieu de leur course ?
+Quel charme ou quel poison en a tari la source ?
+Les ombres par trois fois ont obscurci les cieux
+Depuis que le sommeil n’est entré dans vos yeux ;
+Et le jour a trois fois chassé la nuit obscure
+Depuis que votre corps languit sans nourriture.
+À quel affreux dessein vous laissez-vous tenter ?
+De quel droit sur vous-même osez-vous attenter ?
+Vous offensez les dieux auteurs de votre vie ;
+Vous trahissez l’époux à qui la foi vous lie ;
+Vous trahissez enfin vos enfants malheureux,
+Que vous précipitez sous un joug rigoureux.
+Songez qu’un même jour leur ravira leur mère
+Et rendra l’espérance au fils de l’étrangère,
+À ce fier ennemi de vous, de votre sang,
+Ce fils qu’une Amazone a porté dans son flanc,
+Cet Hippolyte… Ah ! dieux ! Ce reproche vous touche ?
+
+
+
+
+Malheureuse ! quel nom est sorti de ta bouche !
+
+
+
+
+Eh bien ! votre colère éclate avec raison :
+J’aime à vous voir frémir à ce funeste nom.
+Vivez donc : que l’amour, le devoir vous excite.
+Vivez ; ne souffrez pas que le fils d’une Scythe
+Accablant vos enfants d’un empire odieux,
+Commande au plus beau sang de la Grèce et des dieux.
+Mais ne différez point ; chaque moment vous tue :
+Réparez promptement votre force abattue,
+Tandis que de vos jours prêts à se consumer
+Le flambeau dure encore et peut se rallumer.
+
+
+
+
+J’en ai trop prolongé la coupable durée.
+
+
+
+
+Quoi ! de quelques remords êtes-vous déchirée ?
+Quel crime a pu produire un trouble si pressant ?
+Vos mains n’ont point trempé dans le sang innocent ?
+
+
+
+
+Grâces au ciel, mes mains ne sont point criminelles.
+Plût aux dieux que mon cœur fût innocent comme elles !
+
+
+
+
+Et quel affreux projet avez-vous enfanté
+Dont votre cœur encor doive être épouvanté ?
+
+
+
+
+Je t’en ai dit assez : épargne-moi le reste.
+Je meurs, pour ne point faire un aveu si funeste.
+
+
+
+
+Mourez donc, et gardez un silence inhumain ;
+Mais pour fermer vos yeux cherchez une autre main.
+Quoiqu’il vous reste à peine une faible lumière,
+Mon âme chez les morts descendra la première ;
+Mille chemins ouverts y conduisent toujours,
+Et ma juste douleur choisira les plus courts.
+Cruelle ! quand ma foi vous a-t-elle déçue ?
+Songez-vous qu’en naissant mes bras vous ont reçue ?
+Mon pays, mes enfants, pour vous j’ai tout quitté.
+Réserviez-vous ce prix à ma fidélité ?
+
+
+
+
+Quel fruit espères-tu de tant de violence ?
+Tu frémiras d’horreur si je romps le silence.
+
+
+
+
+Et que me direz-vous qui ne cède, grands dieux !
+À l’horreur de vous voir expirer à mes yeux ?
+
+
+
+
+Quand tu sauras mon crime et le sort qui m’accable,
+Je n’en mourrai pas moins : j’en mourrai plus coupable.
+
+
+
+
+Madame, au nom des pleurs que pour vous j’ai versés,
+Par vos faibles genoux que je tiens embrassés,
+Délivrez mon esprit de ce funeste doute.
+
+
+
+
+Tu le veux ? lève-toi. Parlez : je vous écoute.
+
+
+
+
+Ciel ! que lui vais-je dire ? et par où commencer ?
+
+
+
+
+Par de vaines frayeurs cessez de m’offenser.
+
+
+
+
+Ô haine de Vénus ! ô fatale colère !
+Dans quels égarements l’amour jeta ma mère !
+
+
+
+
+Oublions-les, madame ; et qu’à tout l’avenir
+Un silence éternel cache ce souvenir.
+
+
+
+
+Ariane, ma sœur ! de quel amour blessée
+Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée !
+
+
+
+
+Que faites-vous, madame ? et quel mortel ennui
+Contre tout votre sang vous anime aujourd’hui ?
+
+
+
+
+Puisque Vénus le veut, de ce sang déplorable
+Je péris la dernière et la plus misérable.
+
+
+
+
+Aimez-vous ? De l’amour j’ai toutes les fureurs.
+
+
+
+
+Pour qui ? Tu vas ouïr le comble des horreurs…
+J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne.
+J’aime… Qui ? Tu connais ce fils de l’Amazone,
+Ce prince si longtemps par moi-même opprimé…
+
+
+
+
+Hippolyte ? Grands dieux ! C’est toi qui l’as nommé !
+
+
+
+
+Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace !
+Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race !
+Voyage infortuné ! Rivage malheureux,
+Fallait-il approcher de tes bords dangereux !
+
+
+
+
+Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’Égée
+Sous les lois de l’hymen je m’étais engagée,
+Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ;
+Athènes me montra mon superbe ennemi :
+Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
+Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;
+Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
+Je sentis tout mon corps et transir et brûler :
+Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,
+D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables !
+Par des vœux assidus je crus les détourner :
+Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;
+De victimes moi-même à toute heure entourée,
+Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée :
+D’un incurable amour remèdes impuissants !
+En vain sur les autels ma main brûlait l’encens !
+Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,
+J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse,
+Même au pied des autels que je faisais fumer,
+J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.
+Je l’évitais partout. Ô comble de misère !
+Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père.
+Contre moi-même enfin j’osai me révolter :
+J’excitai mon courage à le persécuter.
+Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,
+J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;
+Je pressai son exil ; et mes cris éternels
+L’arrachèrent du sein et des bras paternels.
+Je respirais, Œnone ; et, depuis son absence,
+Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence :
+Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,
+De son fatal hymen je cultivais les fruits.
+Vaines précautions ! Cruelle destinée !
+Par mon époux lui-même à Trézène amenée,
+J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :
+Ma blessure trop vive aussitôt a saigné.
+Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée :
+C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.
+J’ai conçu pour mon crime une juste terreur ;
+J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur ;
+Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire,
+Et dérober au jour une flamme si noire :
+Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats ;
+Je t’ai tout avoué ; je ne m’en repens pas.
+Pourvu que, de ma mort respectant les approches,
+Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,
+Et que tes vains secours cessent de rappeler
+Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler.
+
+
+
+
+
+
+
+Je voudrais vous cacher une triste nouvelle,
+Madame : mais il faut que je vous la révèle.
+La mort vous a ravi votre invincible époux ;
+Et ce malheur n’est plus ignoré que de vous.
+
+
+
+
+Panope, que dis-tu ? Que la reine abusée
+En vain demande au ciel le retour de Thésée ;
+Et que, par des vaisseaux arrivés dans le port,
+Hippolyte son fils vient d’apprendre sa mort.
+
+
+
+
+Ciel ! Pour le choix d’un maître Athènes se partage :
+Au prince votre fils l’un donne son suffrage,
+Madame ; et de l’État, l’autre oubliant les lois
+Au fils de l’étrangère ose donner sa voix.
+On dit même qu’au trône une brigue insolente
+Veut placer Aricie et le sang de Pallante.
+J’ai cru de ce péril vous devoir avertir.
+Déjà même Hippolyte est tout prêt à partir ;
+Et l’on craint, s’il paraît dans ce nouvel orage,
+Qu’il n’entraîne après lui tout un peuple volage.
+
+
+
+
+Panope, c’est assez : la reine qui t’entend
+Ne négligera point cet avis important.
+
+
+
+
+
+
+
+Madame, je cessais de vous presser de vivre ;
+Déjà même au tombeau je songeais à vous suivre ;
+Pour vous en détourner je n’avais plus de voix :
+Mais ce nouveau malheur vous prescrit d’autres lois.
+Votre fortune change et prend une autre face :
+Le roi n’est plus, madame ; il faut prendre sa place.
+Sa mort vous laisse un fils à qui vous vous devez ;
+Esclave s’il vous perd, et roi si vous vivez.
+Sur qui, dans son malheur, voulez-vous qu’il s’appuie ?
+Ses larmes n’auront plus de main qui les essuie ;
+Et ses cris innocents, portés jusques aux dieux,
+Iront contre sa mère irriter ses aïeux.
+Vivez ; vous n’avez plus de reproche à vous faire :
+Votre flamme devient une flamme ordinaire ;
+Thésée en expirant vient de rompre les nœuds
+Qui faisaient tout le crime et l’horreur de vos feux.
+Hippolyte pour vous devient moins redoutable ;
+Et vous pouvez le voir sans vous rendre coupable.
+Peut-être, convaincu de votre aversion,
+Il va donner un chef à la sédition :
+Détrompez son erreur, fléchissez son courage.
+Roi de ces bords heureux, Trézène est son partage ;
+Mais il sait que les lois donnent à votre fils
+Les superbes remparts que Minerve a bâtis.
+Vous avez l’un et l’autre une juste ennemie :
+Unissez-vous tous deux pour combattre Aricie.
+
+
+
+
+Eh bien ! à tes conseils je me laisse entraîner.
+Vivons, si vers la vie on peut me ramener,
+Et si l’amour d’un fils, en ce moment funeste,
+De mes faibles esprits peut ranimer le reste.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Hippolyte demande à me voir en ce lieu ?
+Hippolyte me cherche, et veut me dire adieu ?
+Ismène, dis-tu vrai ? N’es-tu point abusée ?
+
+
+
+
+C’est le premier effet de la mort de Thésée.
+Préparez-vous, madame, à voir de tous côtés
+Voler vers vous les cœurs par Thésée écartés.
+Aricie, à la fin, de son sort est maîtresse,
+Et bientôt à ses pieds verra toute la Grèce.
+
+
+
+
+Ce n’est donc point, Ismène, un bruit mal affermi ?
+Je cesse d’être esclave, et n’ai plus d’ennemi ?
+
+
+
+
+Non, madame, les dieux ne vous sont plus contraires ;
+Et Thésée a rejoint les mânes de vos frères.
+
+
+
+
+Dit-on quelle aventure a terminé ses jours ?
+
+
+
+
+On sème de sa mort d’incroyables discours.
+On dit que, ravisseur d’une amante nouvelle,
+Les flots ont englouti cet époux infidèle.
+On dit même, et ce bruit est partout répandu,
+Qu’avec Pirithoüs aux enfers descendu,
+Il a vu le Cocyte et les rivages sombres,
+Et s’est montré vivant aux infernales ombres ;
+Mais qu’il n’a pu sortir de ce triste séjour,
+Et repasser les bords qu’on passe sans retour.
+
+
+
+
+Croirai-je qu’un mortel, avant sa dernière heure,
+Peut pénétrer des morts la profonde demeure ?
+Quel charme l’attirait sur ces bords redoutés ?
+
+
+
+
+Thésée est mort, madame, et vous seule en doutez :
+Athènes en gémit ; Trézène en est instruite,
+Et déjà pour son roi reconnait Hippolyte ;
+Phèdre, dans ce palais, tremblante pour son fils,
+De ses amis troublés demande les avis.
+
+
+
+
+Et tu crois que pour moi plus humain que son père,
+Hippolyte rendra ma chaîne plus légère ;
+Qu’il plaindra mes malheurs ? Madame, je le croi.
+
+
+
+
+L’insensible Hippolyte est-il connu de toi ?
+Sur quel frivole espoir penses-tu qu’il me plaigne,
+Et respecte en moi seule un sexe qu’il dédaigne ?
+Tu vois depuis quel temps il évite nos pas,
+Et cherche tous les lieux où nous ne sommes pas.
+
+
+
+
+Je sais de ses froideurs tout ce que l’on récite ;
+Mais j’ai vu près de vous ce superbe Hippolyte ;
+Et même, en le voyant, le bruit de sa fierté
+A redoublé pour lui ma curiosité.
+Sa présence à ce bruit n’a point paru répondre :
+Dès vos premiers regards je l’ai vu se confondre ;
+Ses yeux, qui vainement voulaient vous éviter,
+Déjà pleins de langueur, ne pouvaient vous quitter.
+Le nom d'amant peut-être offense son courage ;
+Mais il en a les yeux, s’il n’en a le langage.
+
+
+
+
+Que mon cœur, chère Ismène, écoute avidement
+Un discours qui peut-être a peu de fondement !
+Ô toi qui me connais, te semblait-il croyable
+Que le triste jouet d’un sort impitoyable,
+Un cœur toujours nourri d’amertume et de pleurs,
+Dût connaître l’amour et ses folles douleurs ?
+Reste du sang d’un roi noble fils de la Terre,
+Je suis seule échappée aux fureurs de la guerre :
+J’ai perdu, dans la fleur de leur jeune saison,
+Six frères... Quel espoir d’une illustre maison !
+Le fer moissonna tout ; et la terre humectée
+But à regret le sang des neveux d’Érechtée.
+Tu sais, depuis leur mort, quelle sévère loi
+Défend à tous les Grecs de soupirer pour moi :
+On craint que de la sœur les flammes téméraires
+Ne raniment un jour la cendre de ses frères.
+Mais tu sais bien aussi de quel œil dédaigneux
+Je regardais ce soin d’un vainqueur soupçonneux :
+Tu sais que, de tout temps à l’amour opposée,
+Je rendais souvent grâce à l’injuste Thésée,
+Dont l’heureuse rigueur secondait mes mépris.
+Mes yeux alors, mes yeux n’avaient pas vu son fils.
+Non que par les yeux seuls lâchement enchantée,
+J’aime en lui sa beauté, sa grâce tant vantée ;
+Présents dont la nature a voulu l’honorer,
+Qu’il méprise lui-même, et qu’il semble ignorer :
+J’aime, je prise en lui de plus nobles richesses,
+Les vertus de son père, et non point les faiblesses ;
+J’aime, je l’avouerai, cet orgueil généreux
+Qui jamais n’a fléchi sous le joug amoureux.
+Phèdre en vain s’honorait des soupirs de Thésée :
+Pour moi, je suis plus fière, et fuis la gloire aisée
+D’arracher un hommage à mille autres offert,
+Et d’entrer dans un cœur de toutes parts ouvert.
+Mais de faire fléchir un courage inflexible,
+De porter la douleur dans une âme insensible,
+D’enchaîner un captif de ses fers étonné,
+Contre un joug qui lui plait vainement mutiné ;
+C’est là ce que je veux, c’est là ce qui m’irrite.
+Hercule à désarmer coûtait moins qu’Hippolyte ;
+Et vaincu plus souvent, et plus tôt surmonté,
+Préparait moins la gloire aux yeux qui l’ont dompté.
+Mais, chère Ismène, hélas ! quelle est mon imprudence !
+On ne m’opposera que trop de résistance :
+Tu m’entendras peut-être, humble dans mon ennui,
+Gémir du même orgueil que j’admire aujourd’hui.
+Hippolyte aimerait ! Par quel bonheur extrême
+Aurais-je pu fléchir… Vous l’entendrez lui-même :
+Il vient à vous. Madame, avant que de partir,
+J’ai cru de votre sort vous devoir avertir.
+Mon père ne vit plus. Ma juste défiance
+Présageait les raisons de sa trop longue absence :
+La mort seule, bornant ses travaux éclatants,
+Pouvait à l’univers le cacher si longtemps.
+Les dieux livrent enfin à la Parque homicide
+L’ami, le compagnon, le successeur d’Alcide.
+Je crois que votre haine, épargnant ses vertus,
+Écoute sans regret ces noms qui lui sont dus.
+Un espoir adoucit ma tristesse mortelle :
+Je puis vous affranchir d’une austère tutelle.
+Je révoque des lois dont j’ai plaint la rigueur :
+Vous pouvez disposer de vous, de votre cœur ;
+Et dans cette Trézène, aujourd’hui mon partage,
+De mon aïeul Pitthée autrefois l’héritage,
+Qui m’a, sans balancer, reconnu pour son roi,
+Je vous laisse aussi libre, et plus libre que moi.
+
+
+
+
+Modérez des bontés dont l’excès m’embarrasse.
+D’un soin si généreux honorer ma disgrâce,
+Seigneur, c’est me ranger, plus que vous ne pensez,
+Sous ces austères lois dont vous me dispensez.
+
+
+
+
+Du choix d’un successeur Athènes incertaine
+Parle de vous, me nomme, et le fils de la reine.
+
+
+
+
+De moi, seigneur ? Je sais, sans vouloir me flatter,
+Qu’une superbe loi semble me rejeter :
+La Grèce me reproche une mère étrangère.
+Mais si pour concurrent je n’avais que mon frère,
+Madame, j’ai sur lui de véritables droits
+Que je saurais sauver du caprice des lois.
+Un frein plus légitime arrête mon audace :
+Je vous cède, ou plutôt je vous rends une place,
+Un sceptre que jadis vos aïeux ont reçu
+De ce fameux mortel que la terre a conçu.
+L’adoption le mit entre les mains d’Égée.
+Athènes, par mon père accrue et protégée,
+Reconnut avec joie un roi si généreux,
+Et laissa dans l’oubli vos frères malheureux.
+Athènes dans ses murs maintenant vous rappelle :
+Assez elle a gémi d’une longue querelle ;
+Assez dans ses sillons votre sang englouti
+A fait fumer le champ dont il était sorti.
+Trézène m’obéit. Les campagnes de Crète
+Offrent au fils de Phèdre une riche retraite.
+L’Attique est votre bien. Je pars, et vais, pour vous,
+Réunir tous les vœux partagés entre nous.
+
+
+
+
+De tout ce que j’entends, étonnée et confuse,
+Je crains presque, je crains qu’un songe ne m’abuse.
+Veillé-je ? Puis-je croire un semblable dessein ?
+Quel dieu, seigneur, quel dieu l’a mis dans votre sein ?
+Qu’à bon droit votre gloire en tous lieux est semée !
+Et que la vérité passe la renommée !
+Vous-même en ma faveur vous voulez vous trahir !
+N’était-ce pas assez de ne me point haïr,
+Et d’avoir si longtemps pu défendre votre âme
+De cette inimitié... Moi, vous haïr, madame !
+Avec quelques couleurs qu’on ait peint ma fierté,
+Croit-on que dans ses flancs un monstre m’ait porté ?
+Quelles sauvages mœurs, quelle haine endurcie
+Pourrait, en vous voyant, n’être point adoucie ?
+Ai-je pu résister au charme décevant...
+
+
+
+
+Quoi ! seigneur… Je me suis engagé trop avant.
+Je vois que la raison cède à la violence :
+Puisque j’ai commencé de rompre le silence,
+Madame, il faut poursuivre ; il faut vous informer
+D’un secret que mon cœur ne peut plus renfermer.
+Vous voyez devant vous un prince déplorable,
+D’un téméraire orgueil exemple mémorable.
+Moi qui, contre l’amour fièrement révolté,
+Aux fers de ses captifs ai longtemps insulté ;
+Qui, des faibles mortels déplorant les naufrages,
+Pensais toujours du bord contempler les orages ;
+Asservi maintenant sous la commune loi,
+Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi !
+Un moment a vaincu mon audace imprudente :
+Cette âme si superbe est enfin dépendante.
+Depuis près de six mois, honteux, désespéré,
+Portant partout le trait dont je suis déchiré,
+Contre vous, contre moi, vainement je m’éprouve :
+Présente, je vous fuis ; absente, je vous trouve ;
+Dans le fond des forêts votre image me suit ;
+La lumière du jour, les ombres de la nuit,
+Tout retrace à mes yeux les charmes que j’évite ;
+Tout vous livre à l’envi le rebelle Hippolyte.
+Moi-même, pour tout fruit de mes soins superflus,
+Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus :
+Mon arc, mes javelots, mon char, tout m’importune ;
+Je ne me souviens plus des leçons de Neptune ;
+Mes seuls gémissements font retentir les bois,
+Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix.
+Peut-être le récit d’un amour si sauvage
+Vous fait, en m’écoutant, rougir de votre ouvrage ?
+D’un cœur qui s’offre à vous quel farouche entretien !
+Quel étrange captif pour un si beau lien !
+Mais l’offrande à vos yeux en doit être plus chère :
+Songez que je vous parle une langue étrangère ;
+Et ne rejetez pas des vœux mal exprimés,
+Qu’Hippolyte sans vous n’aurait jamais formés.
+
+
+
+
+
+
+
+Seigneur, la reine vient, et je l’ai devancée :
+Elle vous cherche. Moi ? J’ignore sa pensée ;
+Mais on vous est venu demander de sa part :
+Phèdre veut vous parler avant votre départ.
+
+
+
+
+Phèdre ! Que lui dirai-je ? Et que peut-elle attendre…
+
+
+
+
+Seigneur, vous ne pouvez refuser de l’entendre :
+Quoique trop convaincu de son inimitié,
+Vous devez à ses pleurs quelque ombre de pitié.
+
+
+
+
+Cependant vous sortez. Et je pars : et j’ignore
+Si je n’offense point les charmes que j’adore !
+J’ignore si ce cœur que je laisse en vos mains…
+
+
+
+
+Partez, prince, et suivez vos généreux desseins :
+Rendez de mon pouvoir Athènes tributaire.
+J’accepte tous les dons que vous me voulez faire.
+Mais cet empire enfin si grand, si glorieux,
+N’est pas de vos présents le plus cher à mes yeux.
+
+
+
+
+
+
+
+Ami, tout est-il prêt ? Mais la reine s’avance.
+Va, que pour le départ tout s’arme en diligence.
+Fais donner le signal, cours, ordonne ; et revien
+Me délivrer bientôt d’un fâcheux entretien.
+
+
+
+
+
+
+
+Le voici : vers mon cœur tout mon sang se retire.
+J’oublie, en le voyant, ce que je viens lui dire.
+
+
+
+
+Souvenez-vous d’un fils qui n’espère qu’en vous.
+
+
+
+
+On dit qu’un prompt départ vous éloigne de nous,
+Seigneur. À vos douleurs je viens joindre mes larmes ;
+Je vous viens pour un fils expliquer mes alarmes.
+Mon fils n’a plus de père ; et le jour n’est pas loin
+Qui de ma mort encor doit le rendre témoin.
+Déjà mille ennemis attaquent son enfance :
+Vous seul pouvez contre eux embrasser sa défense.
+Mais un secret remords agite mes esprits :
+Je crains d’avoir fermé votre oreille à ses cris ;
+Je tremble que sur lui votre juste colère
+Ne poursuive bientôt une odieuse mère.
+
+
+
+
+Madame, je n’ai point des sentiments si bas.
+
+
+
+
+Quand vous me haïriez, je ne m’en plaindrais pas,
+Seigneur : vous m’avez vue attachée à vous nuire ;
+Dans le fond de mon cœur vous ne pouviez pas lire.
+À votre inimitié j’ai pris soin de m’offrir :
+Aux bords que j’habitais je n’ai pu vous souffrir ;
+En public, en secret, contre vous déclarée,
+J’ai voulu par des mers en être séparée ;
+J’ai même défendu, par une expresse loi,
+Qu’on osât prononcer votre nom devant moi.
+Si pourtant à l’offense on mesure la peine,
+Si la haine peut seule attirer votre haine,
+Jamais femme ne fut plus digne de pitié,
+Et moins digne, seigneur, de votre inimitié.
+
+
+
+
+Des droits de ses enfants une mère jalouse
+Pardonne rarement au fils d’une autre épouse ;
+Madame, je le sais : les soupçons importuns
+Sont d’un second hymen les fruits les plus communs.
+Tout autre aurait pour moi pris les mêmes ombrages,
+Et j’en aurais peut-être essuyé plus d’outrages.
+
+
+
+
+Ah, seigneur ! que le ciel, j’ose ici l’attester
+De cette loi commune a voulu m’excepter !
+Qu’un soin bien différent me trouble et me dévore !
+
+
+
+
+Madame, il n’est pas temps de vous troubler encore :
+Peut-être votre époux voit encore le jour ;
+Le ciel peut à nos pleurs accorder son retour.
+Neptune le protège ; et ce dieu tutélaire
+Ne sera pas en vain imploré par mon père.
+
+
+
+
+On ne voit point deux fois le rivage des morts,
+Seigneur : puisque Thésée a vu les sombres bords,
+En vain vous espérez qu’un dieu vous le renvoie ;
+Et l’avare Achéron ne lâche point sa proie.
+Que dis-je ? Il n’est point mort, puisqu’il respire en vous.
+Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux :
+Je le vois, je lui parle ; et mon cœur… Je m’égare,
+Seigneur ; ma folle ardeur malgré moi se déclare.
+
+
+
+
+Je vois de votre amour l’effet prodigieux :
+Tout mort qu’il est, Thésée est présent à vos yeux ;
+Toujours de son amour votre âme est embrasée.
+
+
+
+
+Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée :
+Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers,
+Volage adorateur de mille objets divers,
+Qui va du dieu des morts déshonorer la couche ;
+Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
+Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,
+Tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi.
+Il avait votre port, vos yeux, votre langage ;
+Cette noble pudeur colorait son visage,
+Lorsque de notre Crète il traversa les flots,
+Digne sujet des vœux des filles de Minos.
+Que faisiez-vous alors ? pourquoi, sans Hippolyte,
+Des héros de la Grèce assembla-t-il l’élite ?
+Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
+Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?
+Par vous aurait péri le monstre de la Crète,
+Malgré tous les détours de sa vaste retraite :
+Pour en développer l’embarras incertain,
+Ma sœur du fil fatal eût armé votre main.
+Mais non : dans ce dessein je l’aurais devancée ;
+L’amour m’en eût d’abord inspiré la pensée.
+C’est moi, prince, c’est moi, dont l’utile secours
+Vous eût du labyrinthe enseigné les détours.
+Que de soins m’eût coûtés cette tête charmante !
+Un fil n’eût point assez rassuré votre amante :
+Compagne du péril qu’il vous fallait chercher,
+Moi-même devant vous j’aurais voulu marcher ;
+Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue
+Se serait avec vous retrouvée ou perdue.
+
+
+
+
+Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? Madame, oubliez-vous
+Que Thésée est mon père, et qu’il est votre époux ?
+
+
+
+
+Et sur quoi jugez-vous que j’en perds la mémoire,
+Prince ? Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire ?
+
+
+
+
+Madame, pardonnez : j’avoue, en rougissant,
+Que j’accusais à tort un discours innocent.
+Ma honte ne peut plus soutenir votre vue ;
+Et je vais… Ah, cruel ! tu m’as trop entendue !
+Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur.
+Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur :
+J’aime ! Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,
+Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même ;
+Ni que du fol amour qui trouble ma raison
+Ma lâche complaisance ait nourri le poison ;
+Objet infortuné des vengeances célestes,
+Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes.
+Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
+Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
+Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
+De séduire le cœur d’une faible mortelle.
+Toi-même en ton esprit rappelle le passé :
+C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé ;
+J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine ;
+Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine.
+De quoi m’ont profité mes inutiles soins ?
+Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ;
+Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
+J’ai langui, j’ai séché dans les feux, dans les larmes :
+Il suffit de tes yeux pour t’en persuader,
+Si tes yeux un moment pouvaient me regarder…
+Que dis-je ? cet aveu que je te viens de faire,
+Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
+Tremblante pour un fils que je n’osais trahir,
+Je te venais prier de ne le point haïr :
+Faibles projets d’un cœur trop plein de ce qu’il aime !
+Hélas ! je ne t’ai pu parler que de toi-même !
+Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour :
+Digne fils du héros qui t’a donné le jour,
+Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.
+La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !
+Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper ;
+Voilà mon cœur : c’est là que ta main doit frapper.
+Impatient déjà d’expier son offense,
+Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance.
+Frappe : ou si tu le crois indigne de tes coups,
+Si ta haine m’envie un supplice si doux,
+Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée,
+Au défaut de ton bras prête-moi ton épée ;
+Donne. Que faites-vous, madame ! Justes dieux !
+Mais on vient : évitez des témoins odieux !
+Venez, rentrez ; fuyez une honte certaine.
+
+
+
+
+
+
+
+Est-ce Phèdre qui fuit, ou plutôt qu’on entraîne ?
+Pourquoi, seigneur, pourquoi ces marques de douleur ?
+Je vous vois sans épée, interdit, sans couleur.
+
+
+
+
+Théramène, fuyons. Ma surprise est extrême.
+Je ne puis sans horreur me regarder moi-même.
+Phèdre… Mais non, grands dieux ! qu’en un profond oubli
+Cet horrible secret demeure enseveli !
+
+
+
+
+Si vous voulez partir, la voile est préparée.
+Mais Athènes, seigneur, s’est déjà déclarée ;
+Ses chefs ont pris les voix de toutes ses tribus :
+Votre frère l’emporte, et Phèdre a le dessus.
+
+
+
+
+Phèdre ? Un héraut chargé des volontés d’Athènes
+De l’État en ses mains vient remettre les rênes.
+Son fils est roi, seigneur. Dieux, qui la connaissez,
+Est-ce donc sa vertu que vous récompensez ?
+
+
+
+
+Cependant un bruit sourd veut que le roi respire :
+On prétend que Thésée a paru dans l’Épire.
+Mais moi, qui l’y cherchai, seigneur, je sais trop bien…
+
+N’importe ; écoutons tout, et ne négligeons rien.
+Examinons ce bruit, remontons à sa source :
+S’il ne mérite pas d’interrompre ma course,
+Partons ; et quelque prix qu’il en puisse coûter,
+Mettons le sceptre aux mains dignes de le porter.
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+
+Ah ! que l’on porte ailleurs les honneurs qu’on m’envoie :
+Importune, peux-tu souhaiter qu’on me voie ?
+De quoi viens-tu flatter mon esprit désolé ?
+Cache-moi bien plutôt : je n’ai que trop parlé.
+Mes fureurs au dehors ont osé se répandre :
+J’ai dit ce que jamais on ne devait entendre.
+Ciel ! comme il m’écoutait ! Par combien de détours
+L’insensible a longtemps éludé mes discours !
+Comme il ne respirait qu’une retraite prompte !
+Et combien sa rougeur a redoublé ma honte !
+Pourquoi détournais-tu mon funeste dessein ?
+Hélas ! quand son épée allait chercher mon sein,
+A-t-il pâli pour moi ? me l’a-t-il arrachée ?
+Il suffit que ma main l’ait une fois touchée,
+Je l’ai rendue horrible à ses yeux inhumains ;
+Et ce fer malheureux profanerait ses mains.
+
+
+
+
+Ainsi, dans vos malheurs ne songeant qu’à vous plaindre,
+Vous nourrissez un feu qu’il vous faudrait éteindre.
+Ne vaudrait-il pas mieux, digne sang de Minos,
+Dans de plus nobles soins chercher votre repos ;
+Contre un ingrat qui plaît recourir à la fuite,
+Régner, et de l’État embrasser la conduite ?
+
+
+
+
+Moi, régner ! Moi, ranger un État sous ma loi
+Quand ma faible raison ne règne plus sur moi !
+Lorsque j’ai de mes sens abandonné l’empire !
+Quand sous un joug honteux à peine je respire !
+Quand je me meurs ! Fuyez. Je ne le puis quitter.
+
+
+
+
+Vous l’osâtes bannir, vous n’osez l’éviter ?
+
+
+
+
+Il n’est plus temps : il sait mes ardeurs insensées.
+De l’austère pudeur les bornes sont passées :
+J’ai déclaré ma honte aux yeux de mon vainqueur,
+Et l’espoir malgré moi s’est glissé dans mon cœur.
+Toi-même, rappelant ma force défaillante,
+Et mon âme déjà sur mes lèvres errante,
+Par tes conseils flatteurs tu m’as su ranimer :
+Tu m’as fait entrevoir que je pouvais l’aimer.
+
+
+
+
+Hélas ! de vos malheurs innocente ou coupable,
+De quoi pour vous sauver n’étais-je point capable ?
+Mais si jamais l’offense irrita vos esprits,
+Pouvez-vous d’un superbe oublier les mépris ?
+Avec quels yeux cruels sa rigueur obstinée
+Vous laissait à ses pieds peu s’en faut prosternée !
+Que son farouche orgueil le rendait odieux !
+Que Phèdre en ce moment n’avait-elle mes yeux !
+
+
+
+
+Œnone, il peut quitter cet orgueil qui te blesse ;
+Nourri dans les forêts, il en a la rudesse.
+Hippolyte, endurci par de sauvages lois,
+Entend parler d’amour pour la première fois :
+Peut-être sa surprise a causé son silence ;
+Et nos plaintes peut-être ont trop de violence.
+
+
+
+
+Songez qu’une barbare en son sein l’a formé.
+
+
+
+
+Quoique Scythe et barbare, elle a pourtant aimé.
+
+
+
+
+Il a pour tout le sexe une haine fatale.
+
+
+
+
+Je ne me verrai point préférer de rivale.
+Enfin tous tes conseils ne sont plus de saison :
+Sers ma fureur, Œnone, et non point ma raison.
+Il oppose à l’amour un cœur inaccessible ;
+Cherchons pour l’attaquer quelque endroit plus sensible :
+Les charmes d’un empire ont paru le toucher :
+Athènes l’attirait, il n’a pu s’en cacher ;
+Déjà de ses vaisseaux la pointe était tournée,
+Et la voile flottait aux vents abandonnée.
+Va trouver de ma part ce jeune ambitieux,
+Œnone ; fais briller la couronne à ses yeux :
+Qu’il mette sur son front le sacré diadème ;
+Je ne veux que l’honneur de l’attacher moi-même.
+Cédons-lui ce pouvoir que je ne puis garder.
+Il instruira mon fils dans l’art de commander ;
+Peut-être il voudra bien lui tenir lieu de père ;
+Je mets sous son pouvoir et le fils et la mère.
+Pour le fléchir enfin tente tous les moyens :
+Tes discours trouveront plus d’accès que les miens ;
+Presse, pleure, gémis ; peins-lui Phèdre mourante ;
+Ne rougis point de prendre une voix suppliante :
+Je t’avouerai de tout ; je n’espère qu’en toi.
+Va : j’attends ton retour pour disposer de moi.
+
+
+
+
+Ô toi qui vois la honte où je suis descendue,
+Implacable Vénus, suis-je assez confondue !
+Tu ne saurais plus loin pousser ta cruauté.
+Ton triomphe est parfait ; tous tes traits ont porté.
+Cruelle, si tu veux une gloire nouvelle,
+Attaque un ennemi qui te soit plus rebelle.
+Hippolyte te fuit ; et bravant ton courroux,
+Jamais à tes autels n’a fléchi les genoux ;
+Ton nom semble offenser ses superbes oreilles :
+Déesse, venge-toi ; nos causes sont pareilles.
+Qu’il aime… Mais déjà tu reviens sur tes pas,
+Œnone ! On me déteste ; on ne t’écoute pas !
+
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+
+Il faut d’un vain amour étouffer la pensée,
+Madame ; rappelez votre vertu passée :
+Le roi, qu’on a cru mort, va paraître à vos yeux ;
+Thésée est arrivé, Thésée est en ces lieux.
+Le peuple, pour le voir, court et se précipite.
+Je sortais par votre ordre, et cherchais Hippolyte,
+Lorsque jusques au ciel mille cris élancés…
+
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+
+
+Mon époux est vivant, Œnone ; c’est assez.
+J’ai fait l’indigne aveu d’un amour qui l’outrage ;
+Il vit : je ne veux pas en savoir davantage.
+
+
+
+
+Quoi ? Je te l’ai prédit ; mais tu n’as pas voulu :
+Sur mes justes remords tes pleurs ont prévalu.
+Je mourais ce matin digne d’être pleurée ;
+J’ai suivi tes conseils, je meurs déshonorée.
+
+
+
+
+Vous mourez ? Juste ciel ! qu’ai-je fait aujourd’hui !
+Mon époux va paraître, et son fils avec lui !
+Je verrai le témoin de ma flamme adultère
+Observer de quel front j’ose aborder son père,
+Le cœur gros de soupirs qu’il n’a point écoutés,
+L’œil humide de pleurs par l’ingrat rebutés !
+Penses-tu que, sensible à l’honneur de Thésée,
+Il lui cache l’ardeur dont je suis embrasée ?
+Laissera-t-il trahir et son père et son roi ?
+Pourra-t-il contenir l’horreur qu’il a pour moi ?
+Il se tairait en vain : je sais mes perfidies,
+Œnone, et ne suis point de ces femmes hardies
+Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix,
+Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.
+Je connais mes fureurs, je les rappelle toutes :
+Il me semble déjà que ces murs, que ces voûtes
+Vont prendre la parole, et prêts à m’accuser,
+Attendent mon époux pour le désabuser.
+Mourons : de tant d’horreurs qu’un trépas me délivre.
+Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre ?
+La mort aux malheureux ne cause point d’effroi :
+Je ne crains que le nom que je laisse après moi.
+Pour mes tristes enfants quel affreux héritage !
+Le sang de Jupiter doit enfler leur courage ;
+Mais quelque juste orgueil qu’inspire un sang si beau,
+Le crime d’une mère est un pesant fardeau.
+Je tremble qu’un discours, hélas ! trop véritable,
+Un jour ne leur reproche une mère coupable.
+Je tremble qu’opprimés de ce poids odieux
+L’un ni l’autre jamais n’osent lever les yeux.
+
+
+
+
+Il n’en faut point douter, je les plains l’un et l’autre ;
+Jamais crainte ne fut plus juste que la vôtre.
+Mais à de tels affronts pourquoi les exposer ?
+Pourquoi contre vous-même allez-vous déposer ?
+C’en est fait : on dira que Phèdre, trop coupable,
+De son époux trahi fuit l’aspect redoutable.
+Hippolyte est heureux qu’aux dépens de vos jours
+Vous-même en expirant appuyiez ses discours.
+À votre accusateur que pourrai-je répondre ?
+Je serai devant lui trop facile à confondre :
+De son triomphe affreux je le verrai jouir,
+Et conter votre honte à qui voudra l’ouïr.
+Ah ! que plutôt du ciel la flamme me dévore !
+Mais, ne me trompez point, vous est-il cher encore ?
+De quel œil voyez-vous ce prince audacieux ?
+
+
+
+
+Je le vois comme un monstre effroyable à mes yeux.
+
+
+
+
+Pourquoi donc lui céder une victoire entière ?
+Vous le craignez : osez l’accuser la première
+Du crime dont il peut vous charger aujourd’hui.
+Qui vous démentira ? Tout parle contre lui :
+Son épée en vos mains heureusement laissée,
+Votre trouble présent, votre douleur passée,
+Son père par vos cris dès longtemps prévenu,
+Et déjà son exil par vous-même obtenu.
+
+
+
+
+Moi, que j’ose opprimer et noircir l’innocence !
+
+
+
+
+Mon zèle n’a besoin que de votre silence.
+Tremblante comme vous, j’en sens quelques remords.
+Vous me verriez plus prompte affronter mille morts.
+Mais puisque je vous perds sans ce triste remède,
+Votre vie est pour moi d’un prix à qui tout cède :
+Je parlerai. Thésée, aigri par mes avis,
+Bornera sa vengeance à l’exil de son fils :
+Un père, en punissant, madame, est toujours père ;
+Un supplice léger suffit à sa colère.
+Mais, le sang innocent dût-il être versé,
+Que ne demande point votre honneur menacé ?
+C’est un trésor trop cher pour oser le commettre.
+Quelque loi qu’il vous dicte, il faut vous y soumettre,
+Madame ; et pour sauver votre honneur combattu,
+Il faut immoler tout, et même la vertu.
+On vient ; je vois Thésée. Ah ! je vois Hippolyte ;
+Dans ses yeux insolents je vois ma perte écrite.
+Fais ce que tu voudras, je m’abandonne à toi.
+Dans le trouble où je suis, je ne puis rien pour moi.
+
+
+
+
+
+
+
+La fortune à mes vœux cesse d’être opposée,
+Madame, et dans vos bras met… Arrêtez, Thésée,
+Et ne profanez point des transports si charmants :
+Je ne mérite plus ces doux empressements ;
+Vous êtes offensé. La fortune jalouse
+N’a pas en votre absence épargné votre épouse.
+Indigne de vous plaire et de vous approcher,
+Je ne dois désormais songer qu’à me cacher.
+
+
+
+
+
+
+
+Quel est l’étrange accueil qu’on fait à votre père,
+Mon fils ? Phèdre peut seule expliquer ce mystère.
+Mais si mes vœux ardents vous peuvent émouvoir,
+Permettez-moi, seigneur, de ne la plus revoir ;
+Souffrez que pour jamais le tremblant Hippolyte
+Disparaisse des lieux que votre épouse habite.
+
+
+
+
+Vous, mon fils, me quitter ? Je ne la cherchais pas ;
+C’est vous qui sur ces bords conduisîtes ses pas.
+Vous daignâtes, seigneur, aux rives de Trézène
+Confier en partant Aricie et la reine :
+Je fus même chargé du soin de les garder.
+Mais quels soins désormais peuvent me retarder ?
+Assez dans les forêts mon oisive jeunesse
+Sur de vils ennemis a montré son adresse :
+Ne pourrai-je, en fuyant un indigne repos,
+D’un sang plus glorieux teindre mes javelots ?
+Vous n’aviez pas encore atteint l’âge où je touche,
+Déjà plus d’un tyran, plus d’un monstre farouche
+Avait de votre bras senti la pesanteur ;
+Déjà de l’insolence heureux persécuteur,
+Vous aviez des deux mers assuré les rivages ;
+Le libre voyageur ne craignait plus d’outrages ;
+Hercule, respirant sur le bruit de vos coups,
+Déjà de son travail se reposait sur vous.
+Et moi, fils inconnu d’un si glorieux père,
+Je suis même encor loin des traces de ma mère !
+Souffrez que mon courage ose enfin s’occuper :
+Souffrez, si quelque monstre a pu vous échapper,
+Que j’apporte à vos pieds sa dépouille honorable ;
+Ou que d’un beau trépas la mémoire durable,
+Éternisant des jours si noblement finis,
+Prouve à tout l’univers que j’étais votre fils.
+
+
+
+
+Que vois-je ? Quelle horreur dans ces lieux répandue
+Fait fuir devant mes yeux ma famille éperdue ?
+Si je reviens si craint et si peu désiré,
+Ô ciel, de ma prison pourquoi m’as-tu tiré ?
+Je n’avais qu’un ami : son imprudente flamme
+Du tyran de l’Épire allait ravir la femme ;
+Je servais à regret ses desseins amoureux ;
+Mais le sort irrité nous aveuglait tous deux.
+Le tyran m’a surpris sans défense et sans armes.
+J’ai vu Pirithoüs, triste objet de mes larmes,
+Livré par ce barbare à des monstres cruels
+Qu’il nourrissait du sang des malheureux mortels.
+Moi-même il m’enferma dans des cavernes sombres,
+Lieux profonds et voisins de l’empire des ombres.
+Les dieux, après six mois, enfin m’ont regardé :
+J’ai su tromper les yeux par qui j’étais gardé.
+D’un perfide ennemi j’ai purgé la nature ;
+À ses monstres lui-même a servi de pâture.
+Et lorsqu'avec transport je pense m’approcher
+De tout ce que les dieux m’ont laissé de plus cher ;
+Que dis-je ? quand mon âme, à soi-même rendue,
+Vient se rassasier d’une si chère vue,
+Je n’ai pour tout accueil que des frémissements ;
+Tout fuit, tout se refuse à mes embrassements.
+Et moi-même éprouvant la terreur que j’inspire,
+Je voudrais être encor dans les prisons d’Épire.
+Parlez. Phèdre se plaint que je suis outragé :
+Qui m’a trahi ? pourquoi ne suis-je pas vengé ?
+La Grèce, à qui mon bras fut tant de fois utile,
+A-t-elle au criminel accordé quelque asile ?
+Vous ne répondez point ! mon fils, mon propre fils,
+Est-il d’intelligence avec mes ennemis ?
+Entrons : c’est trop garder un doute qui m’accable.
+Connaissons à la fois le crime et le coupable ;
+Que Phèdre explique enfin le trouble où je la voi.
+
+
+
+
+
+
+
+Où tendait ce discours qui m’a glacé d’effroi ?
+Phèdre, toujours en proie à sa fureur extrême,
+Veut-elle s’accuser et se perdre elle-même ?
+Dieux ! que dira le roi ? Quel funeste poison
+L’amour a répandu sur toute sa maison !
+Moi-même, plein d’un feu que sa haine réprouve,
+Quel il m’a vu jadis, et quel il me retrouve !
+De noirs pressentiments viennent m’épouvanter.
+Mais l’innocence enfin n’a rien à redouter :
+Allons : cherchons ailleurs par quelle heureuse adresse
+Je pourrai de mon père émouvoir la tendresse,
+Et lui dire un amour qu’il peut vouloir troubler,
+Mais que tout son pouvoir ne saurait ébranler.
+
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+Ah ! qu’est-ce que j’entends ? Un traître, un téméraire
+Préparait cet outrage à l’honneur de son père !
+Avec quelle rigueur, destin, tu me poursuis !
+Je ne sais où je vais, je ne sais où je suis.
+Ô tendresse ! ô bonté trop mal récompensée !
+Projet audacieux ! détestable pensée !
+Pour parvenir au but de ses noires amours,
+L’insolent de la force empruntait le secours !
+J’ai reconnu le fer, instrument de sa rage,
+Ce fer dont je l’armai pour un plus noble usage.
+Tous les liens du sang n’ont pu le retenir !
+Et Phèdre différait à le faire punir !
+Le silence de Phèdre épargnait le coupable !
+
+
+
+
+Phèdre épargnait plutôt un père déplorable :
+Honteuse du dessein d’un amant furieux,
+Et du feu criminel qu’il a pris dans ses yeux,
+Phèdre mourait, seigneur, et sa main meurtrière
+Éteignit de ses yeux l’innocente lumière.
+J’ai vu lever le bras, j’ai couru la sauver.
+Moi seule à votre amour j’ai su la conserver.
+Et plaignant à la fois son trouble et vos alarmes,
+J’ai servi, malgré moi, d’interprète à ses larmes.
+
+
+
+
+Le perfide ! il n’a pu s’empêcher de pâlir :
+De crainte, en m’abordant, je l’ai vu tressaillir.
+Je me suis étonné de son peu d’allégresse ;
+Ses froids embrassements ont glacé ma tendresse.
+Mais ce coupable amour dont il est dévoré
+Dans Athènes déjà s’était-il déclaré ?
+
+
+
+
+Seigneur, souvenez-vous des plaintes de la reine :
+Un amour criminel causa toute sa haine.
+
+
+
+
+Et ce feu dans Trézène a donc recommencé ?
+
+
+
+
+Je vous ai dit, seigneur, tout ce qui s’est passé.
+C’est trop laisser la reine à sa douleur mortelle,
+Souffrez que je vous quitte et me range auprès d’elle.
+
+
+
+
+
+
+
+Ah ! le voici. Grands dieux ! à ce noble maintien
+Quel œil ne serait pas trompé comme le mien ?
+Faut-il que sur le front d’un profane adultère
+Brille de la vertu le sacré caractère !
+Et ne devrait-on pas à des signes certains
+Reconnaître le cœur des perfides humains !
+
+
+
+
+Puis-je vous demander quel funeste nuage,
+Seigneur, a pu troubler votre auguste visage ?
+N’osez-vous confier ce secret à ma foi ?
+
+
+
+
+Perfide ! oses-tu bien te montrer devant moi ?
+Monstre, qu’a trop longtemps épargné le tonnerre,
+Reste impur des brigands dont j’ai purgé la terre,
+Après que le transport d’un amour plein d’horreur
+Jusqu’au lit de ton père a porté ta fureur,
+Tu m’oses présenter une tête ennemie !
+Tu parais dans des lieux pleins de ton infamie !
+Et ne vas pas chercher, sous un ciel inconnu,
+Des pays où mon nom ne soit point parvenu ?
+Fuis, traître. Ne viens point braver ici ma haine,
+Et tenter un courroux que je retiens à peine :
+C’est bien assez pour moi de l’opprobre éternel
+D’avoir pu mettre au jour un fils si criminel,
+Sans que ta mort encor, honteuse à ma mémoire,
+De mes nobles travaux vienne souiller la gloire.
+Fuis : et si tu ne veux qu’un châtiment soudain
+T’ajoute aux scélérats qu’a punis cette main,
+Prends garde que jamais l’astre qui nous éclaire
+Ne te voie en ces lieux mettre un pied téméraire.
+Fuis, dis-je ; et sans retour précipitant tes pas,
+De ton horrible aspect purge tous mes États.
+Et toi, Neptune, et toi, si jadis mon courage
+D’infâmes assassins nettoya ton rivage,
+Souviens-toi que, pour prix de mes efforts heureux,
+Tu promis d’exaucer le premier de mes vœux.
+Dans les longues rigueurs d’une prison cruelle
+Je n’ai point imploré ta puissance immortelle ;
+Avare du secours que j’attends de tes soins,
+Mes vœux t’ont réservé pour de plus grands besoins :
+Je t’implore aujourd’hui. Venge un malheureux père ;
+J’abandonne ce traître à toute ta colère ;
+Étouffe dans son sang ses désirs effrontés :
+Thésée à tes fureurs connaîtra tes bontés.
+
+
+
+
+D’un amour criminel Phèdre accuse Hippolyte !
+Un tel excès d’horreur rend mon âme interdite ;
+Tant de coups imprévus m’accablent à la fois,
+Qu’ils m’ôtent la parole, et m’étouffent la voix.
+
+
+
+
+Traître, tu prétendais qu’en un lâche silence
+Phèdre ensevelirait ta brutale insolence :
+Il fallait, en fuyant, ne pas abandonner
+Le fer qui dans ses mains aide à te condamner ;
+Ou plutôt il fallait, comblant ta perfidie,
+Lui ravir tout d’un coup la parole et la vie.
+
+
+
+
+D’un mensonge si noir justement irrité,
+Je devrais faire ici parler la vérité,
+Seigneur ; mais je supprime un secret qui vous touche.
+Approuvez le respect qui me ferme la bouche,
+Et sans vouloir vous-même augmenter vos ennuis,
+Examinez ma vie, et songez qui je suis.
+Quelques crimes toujours précèdent les grands crimes ;
+Quiconque a pu franchir les bornes légitimes
+Peut violer enfin les droits les plus sacrés :
+Ainsi que la vertu, le crime a ses degrés ;
+Et jamais on n’a vu la timide innocence
+Passer subitement à l’extrême licence.
+Un jour seul ne fait point d’un mortel vertueux
+Un perfide assassin, un lâche incestueux.
+Élevé dans le sein d’une chaste héroïne,
+Je n’ai point de son sang démenti l’origine.
+Pitthée, estimé sage entre tous les humains,
+Daigna m’instruire encore au sortir de ses mains.
+Je ne veux point me peindre avec trop d’avantage ;
+Mais si quelque vertu m’est tombée en partage,
+Seigneur, je crois surtout avoir fait éclater
+La haine des forfaits qu’on ose m’imputer.
+C’est par là qu’Hippolyte est connu dans la Grèce.
+J’ai poussé la vertu jusques à la rudesse :
+On sait de mes chagrins l’inflexible rigueur.
+Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur.
+Et l’on veut qu’Hippolyte, épris d’un feu profane...
+
+
+
+
+Oui, c’est ce même orgueil, lâche ! qui te condamne.
+Je vois de tes froideurs le principe odieux :
+Phèdre seule charmait tes impudiques yeux ;
+Et pour tout autre objet ton âme indifférente
+Dédaignait de brûler d’une flamme innocente.
+
+
+
+
+Non, mon père, ce cœur, c’est trop vous le celer,
+N’a point d’un chaste amour dédaigné de brûler.
+Je confesse à vos pieds ma véritable offense :
+J’aime, j’aime, il est vrai, malgré votre défense.
+Aricie à ses lois tient mes vœux asservis ;
+La fille de Pallante a vaincu votre fils :
+Je l’adore ; et mon âme, à vos ordres rebelle,
+Ne peut ni soupirer, ni brûler que pour elle.
+
+
+
+
+Tu l’aimes ! ciel ! Mais non, l’artifice est grossier :
+Tu te feins criminel pour te justifier.
+
+
+
+
+Seigneur, depuis six mois je l’évite et je l’aime ;
+Je venais, en tremblant, vous le dire à vous-même.
+Eh quoi ! de votre erreur rien ne vous peut tirer !
+Par quel affreux serment faut-il vous rassurer ?
+Que la terre, le ciel, que toute la nature...
+
+
+
+
+Toujours les scélérats ont recours au parjure.
+Cesse, cesse, et m’épargne un importun discours,
+Si ta fausse vertu n’a point d’autre secours.
+
+
+
+
+Elle vous paraît fausse et pleine d’artifice :
+Phèdre au fond de son cœur me rend plus de justice.
+
+
+
+
+Ah, que ton impudence excite mon courroux !
+
+
+
+
+Quel temps à mon exil, quel lieu prescrivez-vous ?
+
+
+
+
+Fusses-tu par delà les colonnes d’Alcide,
+Je me croirais encor trop voisin d’un perfide.
+
+
+
+
+Chargé du crime affreux dont vous me soupçonnez,
+Quels amis me plaindront, quand vous m’abandonnez ?
+
+
+
+
+Va chercher des amis dont l’estime funeste
+Honore l’adultère, applaudisse à l’inceste ;
+Des traîtres, des ingrats, sans honneur et sans loi,
+Dignes de protéger un méchant tel que toi.
+
+
+
+
+Vous me parlez toujours d’inceste et d’adultère :
+Je me tais. Cependant Phèdre sort d’une mère,
+Phèdre est d’un sang, seigneur, vous le savez trop bien,
+De toutes ces horreurs plus rempli que le mien.
+
+
+
+
+Quoi ! ta rage à mes yeux perd toute retenue ?
+Pour la dernière fois, ôte-toi de ma vue ;
+Sors, traître : n’attends pas qu’un père furieux
+Te fasse avec opprobre arracher de ces lieux.
+
+
+
+
+Misérable, tu cours à ta perte infaillible !
+Neptune, par le fleuve aux dieux mêmes terrible,
+M’a donné sa parole, et va l’exécuter.
+Un dieu vengeur te suit, tu ne peux l’éviter.
+Je t’aimais ; et je sens que, malgré ton offense,
+Mes entrailles pour toi se troublent par avance.
+Mais à te condamner tu m’as trop engagé :
+Jamais père, en effet, fut-il plus outragé ?
+Justes dieux qui voyez la douleur qui m’accable,
+Ai-je pu mettre au jour un enfant si coupable !
+
+
+
+
+
+
+
+Seigneur, je viens à vous, pleine d’un juste effroi ;
+Votre voix redoutable a passé jusqu’à moi :
+Je crains qu’un prompt effet n’ait suivi la menace.
+S’il en est temps encore, épargnez votre race,
+Respectez votre sang ; j’ose vous en prier :
+Sauvez-moi de l’horreur de l’entendre crier ;
+Ne me préparez point la douleur éternelle
+De l’avoir fait répandre à la main paternelle.
+
+
+
+
+Non, madame, en mon sang ma main n’a point trempé ;
+Mais l’ingrat toutefois ne m’est point échappé :
+Une immortelle main de sa perte est chargée,
+Neptune me la doit ; et vous serez vengée.
+
+
+
+
+Neptune vous la doit ! Quoi ! vos vœux irrités…
+
+
+
+
+Quoi ! craignez-vous déjà qu’ils ne soient écoutés ?
+Joignez-vous bien plutôt à mes vœux légitimes :
+Dans toute leur noirceur retracez-moi ses crimes,
+Échauffez mes transports trop lents, trop retenus.
+Tous ses crimes encor ne vous sont pas connus :
+Sa fureur contre vous se répand en injures ;
+Votre bouche, dit-il, est pleine d’impostures ;
+Il soutient qu’Aricie a son cœur, a sa foi,
+Qu’il l’aime. Quoi, seigneur ! Il l’a dit devant moi :
+Mais je sais rejeter un frivole artifice.
+Espérons de Neptune une prompte justice :
+Je vais moi-même encore au pied de ses autels
+Le presser d’accomplir ses serments immortels.
+
+
+
+
+Il sort. Quelle nouvelle a frappé mon oreille !
+Quel feu mal étouffé dans mon cœur se réveille !
+Quel coup de foudre, ô ciel ! et quel funeste avis !
+Je volais tout entière au secours de son fils ;
+Et m’arrachant des bras d’Œnone épouvantée,
+Je cédais au remords dont j’étais tourmentée.
+Qui sait même où m’allait porter ce repentir ?
+Peut-être à m’accuser j’aurais pu consentir ;
+Peut-être, si la voix ne m’eût été coupée,
+L’affreuse vérité me serait échappée.
+Hippolyte est sensible, et ne sent rien pour moi !
+Aricie a son cœur ! Aricie a sa foi !
+Ah ! dieux ! Lorsqu’à mes vœux l’ingrat inexorable
+S’armait d’un œil si fier, d’un front si redoutable,
+Je pensais qu’à l’amour son cœur toujours fermé
+Fût contre tout mon sexe également armé :
+Une autre cependant a fléchi son audace ;
+Devant ses yeux cruels une autre a trouvé grâce.
+Peut-être a-t-il un cœur facile à s’attendrir :
+Je suis le seul objet qu’il ne saurait souffrir.
+Et je me chargerais du soin de le défendre !
+
+
+
+
+
+
+Chère Œnone, sais-tu ce que je viens d’apprendre ?
+
+
+
+
+Non ; mais je viens tremblante, à ne vous point mentir
+J’ai pâli du dessein qui vous a fait sortir ;
+J’ai craint une fureur à vous-même fatale.
+
+
+
+
+Œnone, qui l’eût cru ? j’avais une rivale !
+
+
+
+
+Comment ! Hippolyte aime ; et je n’en puis douter.
+Ce farouche ennemi qu’on ne pouvait dompter,
+Qu’offensait le respect, qu’importunait la plainte,
+Ce tigre, que jamais je n’abordai sans crainte,
+Soumis, apprivoisé, reconnaît un vainqueur :
+Aricie a trouvé le chemin de son cœur.
+
+
+
+
+Aricie ? Ah ! douleur non encore éprouvée !
+À quel nouveau tourment je me suis réservée !
+Tout ce que j’ai souffert, mes craintes, mes transports,
+La fureur de mes feux, l’horreur de mes remords,
+Et d’un cruel refus l’insupportable injure,
+N’était qu’un faible essai du tourment que j’endure.
+Ils s’aiment ! Par quel charme ont-ils trompé mes yeux ?
+Comment se sont-ils vus ? depuis quand ? dans quels lieux ?
+Tu le savais : pourquoi me laissais-tu séduire ?
+De leur furtive ardeur ne pouvais-tu m’instruire ?
+Les a-t-on vus souvent se parler, se chercher ?
+Dans le fond des forêts allaient-ils se cacher ?
+Hélas ! ils se voyaient avec pleine licence :
+Le ciel de leurs soupirs approuvait l’innocence ;
+Ils suivaient sans remords leur penchant amoureux ;
+Tous les jours se levaient clairs et sereins pour eux !
+Et moi, triste rebut de la nature entière,
+Je me cachais au jour, je fuyais la lumière ;
+La mort est le seul dieu que j’osais implorer.
+J’attendais le moment où j’allais expirer ;
+Me nourrissant de fiel, de larmes abreuvée,
+Encor, dans mon malheur de trop près observée,
+Je n’osais dans mes pleurs me noyer à loisir.
+Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir ;
+Et sous un front serein déguisant mes alarmes,
+Il fallait bien souvent me priver de mes larmes.
+
+
+
+
+Quel fruit recevront-ils de leurs vaines amours ?
+Ils ne se verront plus. Ils s’aimeront toujours !
+Au moment que je parle, ah, mortelle pensée !
+Ils bravent la fureur d’une amante insensée !
+Malgré ce même exil qui va les écarter,
+Ils font mille serments de ne se point quitter…
+Non, je ne puis souffrir un bonheur qui m’outrage ;
+Œnone, prends pitié de ma jalouse rage.
+Il faut perdre Aricie ; il faut de mon époux
+Contre un sang odieux réveiller le courroux :
+Qu’il ne se borne pas à des peines légères ;
+Le crime de la sœur passe celui des frères.
+Dans mes jaloux transports je le veux implorer.
+Que fais-je ? où ma raison se va-t-elle égarer ?
+Moi jalouse ! et Thésée est celui que j’implore !
+Mon époux est vivant, et moi je brûle encore !
+Pour qui ? quel est le cœur où prétendent mes vœux ?
+Chaque mot sur mon front fait dresser mes cheveux.
+Mes crimes désormais ont comblé la mesure :
+Je respire à la fois l’inceste et l’imposture ;
+Mes homicides mains, promptes à me venger,
+Dans le sang innocent brûlent de se plonger.
+Misérable ! et je vis ! et je soutiens la vue
+De ce sacré Soleil dont je suis descendue !
+J’ai pour aïeul le père et le maître des dieux ;
+Le ciel, tout l’univers est plein de mes aïeux :
+Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale.
+Mais que dis-je ? mon père y tient l’urne fatale ;
+Le sort, dit-on, l’a mise en ses sévères mains :
+Minos juge aux enfers tous les pâles humains.
+Ah ! combien frémira son ombre épouvantée,
+Lorsqu’il verra sa fille à ses yeux présentée,
+Contrainte d’avouer tant de forfaits divers,
+Et des crimes peut-être inconnus aux enfers !
+Que diras-tu, mon père, à ce spectacle horrible ?
+Je crois voir de ta main tomber l’urne terrible ;
+Je crois te voir cherchant un supplice nouveau,
+Toi-même de ton sang devenir le bourreau…
+Pardonne : un dieu cruel a perdu ta famille ;
+Reconnais sa vengeance aux fureurs de ta fille.
+Hélas ! du crime affreux dont la honte me suit
+Jamais mon triste cœur n’a recueilli le fruit :
+Jusqu’au dernier soupir de malheurs poursuivie,
+Je rends dans les tourments une pénible vie.
+
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+Eh ! repoussez, madame, une injuste terreur !
+Regardez d’un autre œil une excusable erreur.
+Vous aimez ; on ne peut vaincre sa destinée :
+Par un charme fatal vous fûtes entraînée.
+Est-ce donc un prodige inouï parmi nous ?
+L’amour n’a-t-il encor triomphé que de vous ?
+La faiblesse aux humains n’est que trop naturelle :
+Mortelle, subissez le sort d’une mortelle.
+Vous vous plaignez d’un joug imposé dès longtemps :
+Les dieux mêmes, les dieux de l’Olympe habitants,
+Qui d’un bruit si terrible épouvantent les crimes,
+Ont brûlé quelquefois de feux illégitimes.
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+Qu’entends-je ! quels conseils ose-t-on me donner ?
+Ainsi donc jusqu’au bout tu veux m’empoisonner,
+Malheureuse ! voilà comme tu m’as perdue ;
+Au jour que je fuyais c’est toi qui m’as rendue.
+Tes prières m’ont fait oublier mon devoir ;
+J’évitais Hippolyte, et tu me l’as fait voir.
+De quoi te chargeais-tu ? pourquoi ta bouche impie
+A-t-elle, en l’accusant, osé noircir sa vie ?
+Il en mourra peut-être, et d’un père insensé
+Le sacrilège vœu peut-être est exaucé.
+Je ne t’écoute plus. Va-t’en, monstre exécrable ;
+Va, laisse-moi le soin de mon sort déplorable.
+Puisse le juste ciel dignement te payer !
+Et puisse ton supplice à jamais effrayer
+Tous ceux qui, comme toi, par de lâches adresses,
+Des princes malheureux nourrissent les faiblesses,
+Les poussent au penchant où leur cœur est enclin,
+Et leur osent du crime aplanir le chemin !
+Détestables flatteurs, présent le plus funeste
+Que puisse faire aux rois la colère céleste !
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+Ah dieux ! pour la servir j’ai tout fait, tout quitté ;
+Et j’en reçois ce prix ! je l’ai bien mérité.
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+Quoi ! vous pouvez vous taire en ce péril extrême ?
+Vous laissez dans l’erreur un père qui vous aime ?
+Cruel, si de mes pleurs méprisant le pouvoir,
+Vous consentez sans peine à ne me plus revoir,
+Partez ; séparez-vous de la triste Aricie ;
+Mais du moins en partant assurez votre vie.
+Défendez votre honneur d’un reproche honteux,
+Et forcez votre père à révoquer ses vœux :
+Il en est temps encor. Pourquoi, par quel caprice,
+Laissez-vous le champ libre à votre accusatrice ?
+Éclaircissez Thésée. Eh ! que n’ai-je point dit ?
+Ai-je dû mettre au jour l’opprobre de son lit ?
+Devais-je, en lui faisant un récit trop sincère,
+D’une indigne rougeur couvrir le front d’un père ?
+Vous seule avez percé ce mystère odieux.
+Mon cœur pour s’épancher n’a que vous et les dieux.
+Je n’ai pu vous cacher, jugez si je vous aime,
+Tout ce que je voulais me cacher à moi-même.
+Mais songez sous quel sceau je vous l’ai révélé :
+Oubliez, s’il se peut, que je vous ai parlé,
+Madame ; et que jamais une bouche si pure
+Ne s’ouvre pour conter cette horrible aventure.
+Sur l’équité des dieux osons nous confier ;
+Ils ont trop d’intérêt à me justifier :
+Et Phèdre, tôt ou tard de son crime punie,
+N’en saurait éviter la juste ignominie.
+C’est l’unique respect que j’exige de vous.
+Je permets tout le reste à mon libre courroux :
+Sortez de l’esclavage où vous êtes réduite ;
+Osez me suivre, osez accompagner ma fuite ;
+Arrachez-vous d’un lieu funeste et profané,
+Où la vertu respire un air empoisonné ;
+Profitez, pour cacher votre prompte retraite,
+De la confusion que ma disgrâce y jette.
+Je vous puis de la fuite assurer les moyens :
+Vous n’avez jusqu’ici de gardes que les miens ;
+De puissants défenseurs prendront notre querelle ;
+Argos nous tend les bras, et Sparte nous appelle :
+À nos amis communs portons nos justes cris ;
+Ne souffrons pas que Phèdre, assemblant nos débris,
+Du trône paternel nous chasse l’un et l’autre,
+Et promette à son fils ma dépouille et la vôtre.
+L’occasion est belle, il la faut embrasser…
+Quelle peur vous retient ? vous semblez balancer ?
+Votre seul intérêt m’inspire cette audace :
+Quand je suis tout de feu, d’où vous vient cette glace ?
+Sur les pas d’un banni craignez-vous de marcher ?
+
+
+
+
+Hélas ! qu’un tel exil, seigneur, me serait cher !
+Dans quels ravissements, à votre sort liée,
+Du reste des mortels je vivrais oubliée !
+Mais n’étant point unis par un lien si doux,
+Me puis-je avec honneur dérober avec vous ?
+Je sais que, sans blesser l’honneur le plus sévère,
+Je me puis affranchir des mains de votre père :
+Ce n’est point m’arracher du sein de mes parents ;
+Et la fuite est permise à qui fuit ses tyrans.
+Mais vous m’aimez, seigneur ; et ma gloire alarmée…
+
+
+
+
+Non, non, j’ai trop de soin de votre renommée.
+Un plus noble dessein m’amène devant vous :
+Fuyez vos ennemis, et suivez votre époux.
+Libres dans nos malheurs, puisque le ciel l’ordonne,
+Le don de notre foi ne dépend de personne.
+L’hymen n’est point toujours entouré de flambeaux.
+Aux portes de Trézène, et parmi ces tombeaux,
+Des princes de ma race antiques sépultures,
+Est un temple sacré formidable aux parjures.
+C’est là que les mortels n’osent jurer en vain :
+Le perfide y reçoit un châtiment soudain ;
+Et craignant d’y trouver la mort inévitable,
+Le mensonge n’a point de frein plus redoutable.
+Là, si vous m’en croyez, d’un amour éternel
+Nous irons confirmer le serment solennel ;
+Nous prendrons à témoin le dieu qu’on y révère :
+Nous le prierons tous deux de nous servir de père.
+Des dieux les plus sacrés j’attesterai le nom,
+Et la chaste Diane, et l’auguste Junon,
+Et tous les dieux enfin, témoins de mes tendresses,
+Garantiront la foi de mes saintes promesses.
+
+
+
+
+Le roi vient : fuyez, prince et partez promptement.
+Pour cacher mon départ je demeure un moment.
+Allez ; et laissez-moi quelque fidèle guide,
+Qui conduise vers vous ma démarche timide.
+
+
+
+
+
+
+
+Dieux ! éclairez mon trouble, et daignez à mes yeux
+Montrer la vérité, que je cherche en ces lieux !
+
+
+
+
+Songe à tout, chère Ismène, et sois prête à la fuite.
+
+
+
+
+
+
+
+Vous changez de couleur, et semblez interdite,
+Madame : que faisait Hippolyte en ce lieu ?
+
+
+
+
+Seigneur, il me disait un éternel adieu.
+
+
+
+
+Vos yeux ont su dompter ce rebelle courage ;
+Et ses premiers soupirs sont votre heureux ouvrage.
+
+
+
+
+Seigneur, je ne vous puis nier la vérité :
+De votre injuste haine il n’a pas hérité ;
+Il ne me traitait point comme une criminelle.
+
+
+
+
+J’entends : il vous jurait une amour éternelle.
+Ne vous assurez point sur ce cœur inconstant ;
+Car à d’autres que vous il en jurait autant.
+
+
+
+
+Lui, seigneur ? Vous deviez le rendre moins volage :
+Comment souffriez-vous cet horrible partage ?
+
+
+
+
+Et comment souffrez-vous que d’horribles discours
+D’une si belle vie osent noircir le cours ?
+Avez-vous de son cœur si peu de connaissance ?
+Discernez-vous si mal le crime et l’innocence ?
+Faut-il qu’à vos yeux seuls un nuage odieux
+Dérobe sa vertu, qui brille à tous les yeux ?
+Ah ! c’est trop le livrer à des langues perfides.
+Cessez : repentez-vous de vos vœux homicides ;
+Craignez, seigneur, craignez que le ciel rigoureux
+Ne vous haïsse assez pour exaucer vos vœux.
+Souvent dans sa colère il reçoit nos victimes :
+Ses présents sont souvent la peine de nos crimes.
+
+
+
+
+Non, vous voulez en vain couvrir son attentat ;
+Votre amour vous aveugle en faveur de l’ingrat.
+Mais j’en crois des témoins certains, irréprochables :
+J’ai vu, j’ai vu couler des larmes véritables.
+
+
+
+
+Prenez garde, seigneur : vos invincibles mains
+Ont de monstres sans nombre affranchi les humains ;
+Mais tout n’est pas détruit, et vous en laissez vivre
+Un… Votre fils, seigneur, me défend de poursuivre.
+Instruite du respect qu’il veut vous conserver,
+Je l’affligerais trop si j’osais achever.
+J’imite sa pudeur, et fuis votre présence
+Pour n’être pas forcée à rompre le silence.
+
+
+
+
+Quelle est donc sa pensée, et que cache un discours
+Commencé tant de fois, interrompu toujours ?
+Veulent-ils m’éblouir par une feinte vaine ?
+Sont-ils d’accord tous deux pour me mettre à la gêne ?
+Mais moi-même, malgré ma sévère rigueur,
+Quelle plaintive voix crie au fond de mon cœur ?
+Une pitié secrète et m’afflige et m’étonne.
+Une seconde fois interrogeons Œnone :
+Je veux de tout le crime être mieux éclairci.
+Gardes, qu’Œnone sorte, et vienne seule ici.
+
+
+
+
+
+
+
+J’ignore le projet que la reine médite,
+Seigneur ; mais je crains tout du transport qui l’agite.
+Un mortel désespoir sur son visage est peint ;
+La pâleur de la mort est déjà sur son teint.
+Déjà de sa présence avec honte chassée,
+Dans la profonde mer Œnone s’est lancée.
+On ne sait point d’où part ce dessein furieux ;
+Et les flots pour jamais l’ont ravie à nos yeux.
+
+
+
+
+Qu’entends-je ? Son trépas n’a point calmé la reine ;
+Le trouble semble croître en son âme incertaine.
+Quelquefois, pour flatter ses secrètes douleurs,
+Elle prend ses enfants et les baigne de pleurs ;
+Et soudain, renonçant à l’amour maternelle,
+Sa main avec horreur les repousse loin d’elle ;
+Elle porte au hasard ses pas irrésolus ;
+Son œil tout égaré ne nous reconnaît plus ;
+Elle a trois fois écrit ; et changeant de pensée,
+Trois fois elle a rompu sa lettre commencée.
+Daignez la voir, seigneur ; daignez la secourir.
+
+
+
+
+Ô ciel ! Œnone est morte, et Phèdre veut mourir !
+Qu’on rappelle mon fils, qu’il vienne se défendre ;
+Qu’il vienne me parler, je suis prêt de l’entendre.
+
+
+Ne précipite point tes funestes bienfaits,
+Neptune ; j’aime mieux n’être exaucé jamais.
+J’ai peut-être trop cru des témoins peu fidèles,
+Et j’ai trop tôt vers toi levé mes mains cruelles.
+Ah ! de quel désespoir mes vœux seraient suivis !
+
+
+
+
+
+
+
+Théramène, est-ce toi ? Qu’as-tu fait de mon fils ?
+Je te l’ai confié dès l’âge le plus tendre.
+Mais d’où naissent les pleurs que je te vois répandre ?
+Que fait mon fils ? Ô soins tardifs et superflus !
+Inutile tendresse ! Hippolyte n’est plus.
+
+
+
+
+Dieux ! J’ai vu des mortels périr le plus aimable,
+Et j’ose dire encor, seigneur, le moins coupable.
+
+
+
+
+Mon fils n’est plus ! Eh quoi ! quand je lui tends les bras,
+Les dieux impatients ont hâté son trépas !
+Quel coup me l’a ravi, quelle foudre soudaine ?
+
+
+
+
+À peine nous sortions des portes de Trézène,
+Il était sur son char ; ses gardes affligés
+Imitaient son silence, autour de lui rangés ;
+Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes ;
+Sa main sur les chevaux laissait flotter les rênes ;
+Ses superbes coursiers qu’on voyait autrefois
+Pleins d’une ardeur si noble obéir à sa voix,
+L’œil morne maintenant, et la tête baissée,
+Semblaient se conformer à sa triste pensée.
+Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
+Des airs en ce moment a troublé le repos ;
+Et du sein de la terre une voix formidable
+Répond en gémissant à ce cri redoutable.
+Jusqu’au fond de nos cœurs notre sang s’est glacé ;
+Des coursiers attentifs le crin s’est hérissé.
+Cependant sur le dos de la plaine liquide,
+S’élève à gros bouillons une montagne humide ;
+L’onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
+Parmi des flots d’écume, un monstre furieux.
+Son front large est armé de cornes menaçantes ;
+Tout son corps est couvert d’écailles jaunissantes,
+Indomptable taureau, dragon impétueux,
+Sa croupe se recourbe en replis tortueux ;
+Ses longs mugissements font trembler le rivage.
+Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage ;
+La terre s’en émeut, l’air en est infecté ;
+Le flot qui l’apporta recule épouvanté.
+Tout fuit ; et sans s’armer d’un courage inutile,
+Dans le temple voisin chacun cherche un asile.
+Hippolyte lui seul, digne fils d’un héros,
+Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,
+Pousse au monstre, et d’un dard lancé d’une main sûre,
+Il lui fait dans le flanc une large blessure.
+De rage et de douleur le monstre bondissant
+Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,
+Se roule, et leur présente une gueule enflammée
+Qui les couvre de feu, de sang et de fumée.
+La frayeur les emporte ; et, sourds à cette fois,
+Ils ne connaissent plus ni le frein ni la voix ;
+En efforts impuissants leur maître se consume ;
+Ils rougissent le mors d’une sanglante écume.
+On dit qu’on a vu même, en ce désordre affreux,
+Un dieu qui d’aiguillons pressait leur flanc poudreux.
+À travers les rochers la peur les précipite ;
+L’essieu crie et se rompt : l’intrépide Hippolyte
+Voit voler en éclats tout son char fracassé ;
+Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé.
+Excusez ma douleur : cette image cruelle
+Sera pour moi de pleurs une source éternelle.
+J’ai vu, seigneur, j’ai vu votre malheureux fils
+Traîné par les chevaux que sa main a nourris.
+Il veut les rappeler, et sa voix les effraie ;
+Ils courent : tout son corps n’est bientôt qu’une plaie.
+De nos cris douloureux la plaine retentit.
+Leur fougue impétueuse enfin se ralentit :
+Ils s’arrêtent non loin de ces tombeaux antiques
+Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.
+J’y cours en soupirant, et sa garde me suit :
+De son généreux sang la trace nous conduit ;
+Les rochers en sont teints ; les ronces dégouttantes
+Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.
+J’arrive, je l’appelle ; et me tendant la main,
+Il ouvre un œil mourant qu’il referme soudain :
+« Le ciel, dit-il, m’arrache une innocente vie.
+« Prends soin après ma mort de la triste Aricie.
+« Cher ami, si mon père un jour désabusé
+« Plaint le malheur d’un fils faussement accusé,
+« Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive,
+« Dis-lui qu’avec douceur il traite sa captive ;
+« Qu’il lui rende... » À ce mot, ce héros expiré
+N’a laissé dans mes bras qu’un corps défiguré :
+Triste objet où des dieux triomphe la colère,
+Et que méconnaîtrait l’œil même de son père.
+
+
+
+
+Ô mon fils ! cher espoir que je me suis ravi !
+Inexorables dieux, qui m’avez trop servi !
+À quels mortels regrets ma vie est réservée !
+
+
+
+
+La timide Aricie est alors arrivée :
+Elle venait, seigneur, fuyant votre courroux,
+À la face des dieux l’accepter pour époux.
+Elle approche ; elle voit l’herbe rouge et fumante ;
+Elle voit (quel objet pour les yeux d’une amante !)
+Hippolyte étendu, sans forme et sans couleur…
+Elle veut quelque temps douter de son malheur ;
+Et, ne connaissant plus ce héros qu’elle adore,
+Elle voit Hippolyte, et le demande encore.
+Mais trop sûre à la fin qu’il est devant ses yeux,
+Par un triste regard elle accuse les dieux ;
+Et froide, gémissante, et presque inanimée,
+Aux pieds de son amant elle tombe pâmée.
+Ismène est auprès d’elle ; Ismène, tout en pleurs,
+La rappelle à la vie, ou plutôt aux douleurs.
+Et moi, je suis venu, détestant la lumière,
+Vous dire d’un héros la volonté dernière,
+Et m’acquitter, seigneur, du malheureux emploi
+Dont son cœur expirant s’est reposé sur moi.
+Mais j’aperçois venir sa mortelle ennemie.
+
+
+
+
+
+
+
+Eh bien ! vous triomphez, et mon fils est sans vie !
+Ah ! que j’ai lieu de craindre, et qu’un cruel soupçon,
+L’excusant dans mon cœur, m’alarme avec raison !
+Mais, madame, il est mort, prenez votre victime ;
+Jouissez de sa perte, injuste ou légitime :
+Je consens que mes yeux soient toujours abusés.
+Je le crois criminel, puisque vous l’accusez.
+Son trépas à mes pleurs offre assez de matières
+Sans que j’aille chercher d’odieuses lumières,
+Qui, ne pouvant le rendre à ma juste douleur,
+Peut-être ne feraient qu’accroître mon malheur.
+Laissez-moi, loin de vous, et loin de ce rivage,
+De mon fils déchiré fuir la sanglante image.
+Confus, persécuté d’un mortel souvenir,
+De l’univers entier je voudrais me bannir.
+Tout semble s’élever contre mon injustice ;
+L’éclat de mon nom même augmente mon supplice :
+Moins connu des mortels, je me cacherais mieux.
+Je hais jusques aux soins dont m’honorent les dieux ;
+Et je m’en vais pleurer leurs faveurs meurtrières,
+Sans plus les fatiguer d’inutiles prières.
+Quoi qu’ils fissent pour moi, leur funeste bonté
+Ne me saurait payer de ce qu’ils m’ont ôté.
+
+
+
+
+Non, Thésée, il faut rompre un injuste silence ;
+Il faut à votre fils rendre son innocence :
+Il n’était point coupable. Ah ! père infortuné !
+Et c’est sur votre foi que je l’ai condamné !
+Cruelle ! pensez-vous être assez excusée…
+
+
+
+
+Les moments me sont chers ; écoutez-moi, Thésée
+C’est moi qui sur ce fils, chaste et respectueux,
+Osai jeter un œil profane, incestueux.
+Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste :
+La détestable Œnone a conduit tout le reste.
+Elle a craint qu’Hippolyte, instruit de ma fureur,
+Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur :
+La perfide, abusant de ma faiblesse extrême,
+S’est hâtée à vos yeux de l’accuser lui-même.
+Elle s’en est punie, et fuyant mon courroux,
+A cherché dans les flots un supplice trop doux.
+Le fer aurait déjà tranché ma destinée ;
+Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée :
+J’ai voulu, devant vous exposant mes remords,
+Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
+J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines
+Un poison que Médée apporta dans Athènes.
+Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu
+Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;
+Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage
+Et le ciel et l’époux que ma présence outrage ;
+Et la mort à mes yeux dérobant la clarté,
+Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté.
+
+
+
+
+Elle expire, seigneur ! D’une action si noire
+Que ne peut avec elle expirer la mémoire !
+Allons, de mon erreur, hélas ! trop éclaircis,
+Mêler nos pleurs au sang de mon malheureux fils !
+Allons de ce cher fils embrasser ce qui reste,
+Expier la fureur d’un vœu que je déteste :
+Rendons-lui les honneurs qu’il a trop mérités ;
+Et, pour mieux apaiser ses mânes irrités,
+Que, malgré les complots d’une injuste famille,
+Son amante aujourd’hui me tienne lieu de fille !
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+6/6 A !X
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+6/6 B !x
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