commit 4f4cb6699ad8eecca6d7c1fb465c88d9e37b0783
Author: Antoine Amarilli <a3nm@a3nm.net>
Date: Sat, 15 Dec 2012 19:15:54 +0100
initial
Diffstat:
script | | | 6213 | +++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++++ |
1 file changed, 6213 insertions(+), 0 deletions(-)
diff --git a/script b/script
@@ -0,0 +1,6213 @@
+<MASTER> Acte I.
+<MASTER> Une Représentation à l'Hôtel de Bourgogne.
+<MASTER> La salle de l'Hôtel de Bourgogne, en 1640. Sorte de hangar de jeu de
+<MASTER> paume aménagé et embelli pour des représentations.
+<MASTER> La salle est un carré long; on la voit en biais, de sorte qu'un de ses
+<MASTER> côtés forme le fond qui part du premier plan, à droite, et va au dernier
+<MASTER> plan, à gauche, faire angle avec la scène, qu'on aperçoit en pan coupé.
+<MASTER> Cette scène est encombrée, des deux côtés, le long des coulisses, par
+<MASTER> des banquettes. Le rideau est formé par deux tapisseries qui peuvent
+<MASTER> s'écarter. Au-dessus du manteau d'Arlequin, les armes royales. On
+<MASTER> descend de l'estrade dans la salle par de larges marches. De chaque côté
+<MASTER> de ces marches, la place des violons. Rampe de chandelles.
+<MASTER> Deux rangs superposés de galeries latérales : le rang supérieur est
+<MASTER> divisé en loges. Pas de sièges au parterre, qui est la scène même du
+<MASTER> théâtre; au fond de ce parterre, c'est-à-dire à droite, premier plan,
+<MASTER> quelques bancs formant gradins et, sous un escalier qui monte vers des
+<MASTER> places supérieures, et dont on ne voit que le départ, une sorte de
+<MASTER> buffet orné de petits lustres, de vases fleuris, de verres de cristal,
+<MASTER> d'assiettes de gâteaux, de flacons, etc.
+<MASTER> Au fond, au milieu, sous la galerie de loges, l'entrée du théâtre.
+<MASTER> Grande porte qui s'entre-bâille pour laisser passer les spectateurs. Sur
+<MASTER> les battants de cette porte, ainsi que dans plusieurs coins et au-dessus
+<MASTER> du buffet, des affiches rouges sur lesquelles on lit : La Clorise.
+<MASTER> Au lever du rideau, la salle est dans une demi-obscurité, vide encore.
+<MASTER> Les lustres sont baissés au milieu du parterre, attendant d'être
+<MASTER> allumés.
+<MASTER> Scène 1.I.
+<MASTER> Le public, qui arrive peu à peu. Cavaliers, bourgeois, laquais, pages,
+<MASTER> tire-laine, le portier, etc., puis les marquis, Cuigy, Brissaille, la
+<MASTER> distributrice, les violons, etc.
+<salle> /join
+<portier> /join
+<MASTER> On entend derrière la porte un tumulte de voix, puis un cavalier
+<MASTER> entre brusquement.
+<cavalier1> /join
+<portier> /me le poursuivant
+<portier> Holà ! Vos quinze sols ! ...
+<cavalier1> ... J'entre gratis ! ...
+<portier> ... Pourquoi ?
+<cavalier1> Je suis chevau-léger de la maison du Roi !
+<cavalier2> /join
+<portier> /me à un autre cavalier qui vient d'entrer
+<portier> Vous ? ...
+<cavalier2> ... Je ne paye pas ! ...
+<portier> ... Mais ...
+<cavalier2> ... Je suis mousquetaire.
+<laquais2> /join
+<cavalier1> /me au deuxième
+<cavalier1> On ne commence qu'à deux heures. Le parterre
+<cavalier1> Est vide. Exerçons-nous au fleuret. ...
+<MASTER> Ils font des armes avec des fleurets qu'ils ont apportés.
+<laquais1> /join
+<laquais1> /me entrant
+<laquais1> ... Psit... Flanquin !
+<laquais2> /me déjà arrivé
+<laquais2> Champagne ? ...
+<laquais1> /me lui montrant des jeux qu'il sort de son pourpoint
+<laquais1> ... Cartes. Dés. ...
+<laquais1> /me s'assied par terre
+<laquais1> ... Jouons. ...
+<laquais2> /me même jeu
+<laquais2> ... Oui, mon coquin.
+<garde> /join
+<laquais1> /me tirant de sa poche un bout de chandelle qu'il allume
+<laquais1> /me et colle par terre
+<laquais1> J'ai soustrait à mon maître un peu de luminaire.
+<bouquetiere> /join
+<garde> /me à une bouquetière qui s'avance
+<garde> C'est gentil de venir avant que l'on n'éclaire !
+<garde> /me lui prend la taille.
+<cavalier2> /me recevant un coup de fleuret
+<cavalier2> Touche ! ...
+<laquais2> ... Trèfle ! ...
+<garde> /me poursuivant la fille
+<garde> ... Un baiser ! ...
+<bouquetiere> /me se dégageant
+<bouquetiere> ... On voit ! ...
+<garde> /me l'entraînant dans les coins sombres
+<garde> ... Pas de danger !
+<homme> /join
+<homme> /me s'asseyant par terre avec d'autres porteurs de provisions
+<homme> /me de bouche
+<homme> Lorsqu'on vient en avance, on est bien pour manger.
+<bourgeois> /join
+<fils> /join
+<bourgeois> /me conduisant son fils
+<bourgeois> Plaçons-nous là, mon fils. ...
+<laquais1> ... Brelan d'as ! ...
+<homme> /me tirant une bouteille de sous son manteau et s'asseyant aussi
+<homme> ... Un ivrogne
+<homme> Doit boire son bourgogne ...
+<homme> /me boit
+<homme> ... À l'hôtel de Bourgogne !
+<bourgeois> /me à son fils
+<bourgeois> Ne se croirait-on pas en quelque mauvais lieu ?
+<bourgeois> /me montre l'ivrogne du bout de sa canne
+<bourgeois> Buveurs ...
+<MASTER> En rompant, un des cavaliers le bouscule
+<bourgeois> ... Bretteurs ! ...
+<bourgeois> /me tombe au milieu des joueurs
+<bourgeois> ... Joueurs ! ...
+<garde> /me derrière lui, lutinant toujours la femme
+<garde> ... Un baiser ! ...
+<bourgeois> /me éloignant vivement son fils
+<bourgeois> ... Jour de Dieu !
+<bourgeois> --Et penser que c'est dans une salle pareille
+<bourgeois> Qu'on joua du Rotrou, mon fils. ...
+<fils> ... Et du Corneille !
+<pages> /join
+<page1> /join
+<page2> /join
+<page3> /join
+<pages> /me se tenant par la main, entre en farandole et chante
+<pages> /me tra la la la la la la la la la la lère
+<portier> /me sévèrement aux pages
+<portier> Les pages, pas de farce ! ...
+<page1> /me avec une dignité blessée
+<page1> ... Oh ! Monsieur ! Ce soupçon !
+<page1> /me vivement au deuxième, dès que le portier a tourné le dos
+<page1> As-tu de la ficelle ? ...
+<page2> ... Avec un hameçon.
+<page1> On pourra de là-haut pêcher quelque perruque.
+<tirelaine> /join
+<tirelaine> /me groupant autour de lui plusieurs hommes de mauvaise mine
+<tirelaine> Or çà, jeunes escrocs, venez qu'on vous éduque :
+<tirelaine> Puis donc que vous volez pour la première fois
+<page2> /me criant à d'autres pages déjà placés aux galeries supérieures
+<page2> Hep ! Avez-vous des sarbacanes ? ...
+<page3> /me d'en haut
+<page3> ... Et des pois !
+<page3> /me souffle et les crible de pois.
+<spectateur1> /join
+<fils> /me à son père
+<fils> Que va-t-on nous jouer ? ...
+<bourgeois> ... Clorise. ...
+<fils> ... De qui est-ce ?
+<bourgeois2> /join
+<bourgeois> De monsieur Balthazar Baro. C'est une pièce !
+<bourgeois> /me remonte au bras de son fils.
+<spectateur2> /join
+<tirelaine> /me à ses acolytes
+<tirelaine> La dentelle surtout des canons, coupez-la !
+<spectateur1> /me à un autre, lui montrant une encoignure élevée
+<spectateur1> Tenez, à la première du Cid, j'étais là !
+<tirelaine> /me faisant avec ses doigts le geste de subtiliser
+<tirelaine> Les montres ...
+<bourgeois> /me redescendant, à son fils
+<bourgeois> ... Vous verrez des acteurs très illustres
+<tirelaine> /me faisant le geste de tirer par petites secousses furtives
+<tirelaine> Les mouchoirs ...
+<bourgeois3> /join
+<bourgeois> ... Montfleury ...
+<spectateur2> /me criant de la galerie supérieure
+<spectateur2> ... Allumez donc les lustres !
+<bourgeois> Bellerose, L'Epy, la Beaupré, Jodelet !
+<page1> /me au parterre
+<page1> Ah ! voici la distributrice ! ...
+<distributrice> /join
+<distributrice> /me paraissant derrière le buffet
+<distributrice> ... Oranges, lait,
+<distributrice> Eau de framboise, aigre de cèdre ! ...
+<MASTER> Brouhaha à la porte.
+<fausset> /join
+<fausset> /me d'une voix de fausset
+<fausset> ... Place, brutes !
+<laquais1> /me s'étonnant
+<laquais1> Les marquis ! ... au parterre ? ...
+<laquais2> ... Oh ! pour quelques minutes.
+<MASTER> Entre une bande de petits marquis.
+<marquis1> /join
+<marquis2> /join
+<marquis1b> /join
+<marquis2b> /join
+<marquis1c> /join
+<marquis2c> /join
+<marquis1e> /join
+<marquis1> /me voyant la salle à moitié vide
+<marquis1> Hé quoi ! Nous arrivons ainsi que les drapiers,
+<marquis1> Sans déranger les gens ? sans marcher sur les pieds ?
+<cuigy> /join
+<brissaille> /join
+<bourgeois4> /join
+<bourgeois5> /join
+<marquis1> Ah, fi ! fi ! fi ! ...
+<marquis1> /me se trouve devant d'autres gentilshommes entrés peu avant
+<marquis1> ... Cuigy ! Brissaille ! ...
+<MASTER> Grandes embrassades.
+<cuigy> ... Des fidèles !
+<cuigy> Mais oui, nous arrivons devant que les chandelles
+<dame> /join
+<femme1> /join
+<femme2> /join
+<femmes> /join
+<seigneur> /join
+<marquis1> Ah, ne m'en parlez pas ! Je suis dans une humeur
+<vieuxbourgeois> /join
+<marquis2> Console-toi, marquis, car voici l'allumeur !
+<salle> /me saluant l'entrée de l'allumeur
+<salle> Ah ! ...
+<ligniere> /join
+<christian> /join
+<MASTER> On se groupe autour des lustres qu'il allume. Quelques personnes ont
+<MASTER> pris place aux galeries. Lignière entre au parterre, donnant le bras à
+<MASTER> Christian de Neuvillette. Lignière, un peu débraillé, figure d'ivrogne
+<MASTER> distingué. Christian, vêtu élégamment, mais d'une façon un peu
+<MASTER> démodée, paraît préoccupé et regarde les loges.
+
+<MASTER> Scène 1.II.
+<MASTER> Les mêmes, Christian, Lignière, puis Ragueneau et Le Bret.
+<violons> /join
+<chefviolons> /join
+<cuigy> ... Lignière ! ...
+<brissaille> /me riant
+<jeunehomme> /join
+<brissaille> ... Pas encor gris ! ...
+<ligniere> /me bas à Christian
+<ligniere> ... Je vous présente ?
+<voix1> /join
+<MASTER> Signe d'assentiment de Christian
+<ligniere> Baron de Neuvillette. ...
+<MASTER> Saluts.
+<salle> /me acclamant l'ascension du premier lustre allumé
+<salle> ... Ah ! ...
+<lemousquetaire> /join
+<cuigy> /me à Brissaille, en regardant Christian
+<cuigy> ... La tête est charmante.
+<marquis1> /me qui a entendu
+<marquis1> Peuh ! ...
+<ligniere> /me présentant à Christian
+<ligniere> ... Messieurs de Cuigy, de Brissaille ...
+<christian> /me s'inclinant
+<christian> ... Enchanté !
+<marquis1> /me au deuxième
+<marquis1> Il est assez joli, mais n'est pas ajusté
+<marquis1> Au dernier goût. ...
+<ligniere> /me à Cuigy
+<ligniere> ... Monsieur débarque de Touraine.
+<christian> Oui, je suis à Paris depuis vingt jours à peine.
+<christian> J'entre aux gardes demain, dans les Cadets. ...
+<marquis1> /me regardant les personnes qui entrent dans les loges
+<marquis1> ... Voilà
+<voix2> /join
+<marquis1> La présidente Aubry ! ...
+<distributrice> ... Oranges, lait ...
+<violons> /me s'accordant
+<violons> ... La... la
+<cuigy> /me à Christian, lui désignant la salle qui se garnit
+<cuigy> Du monde ! ...
+<christian> ... Eh, oui, beaucoup, ...
+<marquis1> ... Tout le bel air ! ...
+<voix3> /join
+<voix4> /join
+<MASTER> Ils nomment les femmes à mesure qu'elles entrent, très parées, dans
+<MASTER> les loges. Envois de saluts, réponses de sourires.
+<marquis1> ... Mesdames
+<marquis1> De Guéméné ...
+<cuigy> ... De Bois-Dauphin ...
+<marquis1> ... Que nous aimâmes
+<brissaille> De Chavigny ...
+<marquis2> ... Qui de nos cœurs va se jouant !
+<ligniere> Tiens, monsieur de Corneille est arrivé de Rouen.
+<fils> /me à son père
+<fils> L'Académie est là ? ...
+<bourgeois> ... Mais... j'en vois plus d'un membre;
+<bourgeois> Voici Boudu, Boissat, et Cureau de la Chambre;
+<bourgeois> Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud
+<bourgeois> Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c'est beau !
+<marquis1> Attention ! nos précieuses prennent place :
+<precieuses> /join
+<voix5> /join
+<marquis1> Barthénoïde, Urimédonte, Cassandace,
+<marquis1> Félixérie ...
+<marquis2> /me se pâmant
+<marquis2> ... Ah ! Dieu ! leurs surnoms sont exquis !
+<marquis2> Marquis, tu les sais tous ? ...
+<marquis1> ... Je les sais tous, marquis !
+<ligniere> /me prenant Christian à part
+<ligniere> Mon cher, je suis entré pour vous rendre service :
+<ligniere> La dame ne vient pas. Je retourne à mon vice !
+<christian> /me suppliant
+<christian> Non ! ... Vous, qui chansonnez et la ville et la cour,
+<christian> Restez : vous me direz pour qui je meurs d'amour.
+<chefviolons> /me frappant sur son pupitre, avec son archet
+<chefviolons> Messieurs les violons ! ...
+<chefviolons> /me lève son archet.
+<distributrice> ... Macarons, citronnée
+<MASTER> Les violons commencent à jouer.
+<christian> J'ai peur qu'elle ne soit coquette et raffinée,
+<christian> Je n'ose lui parler car je n'ai pas d'esprit.
+<christian> Le langage aujourd'hui qu'on parle et qu'on écrit,
+<christian> Me trouble. Je ne suis qu'un bon soldat timide.
+<christian> --Elle est toujours à droite, au fond : la loge vide.
+<ligniere> /me faisant mine de sortir
+<ligniere> Je pars. ...
+<christian> /me le retenant encore
+<christian> ... Oh ! non, restez ! ...
+<ligniere> ... Je ne peux. D'Assoucy
+<ligniere> M'attend au cabaret. On meurt de soif, ici.
+<distributrice> /me passant devant lui avec un plateau
+<distributrice> Orangeade ? ...
+<ligniere> ... Fi ! ...
+<distributrice> ... Lait ? ...
+<ligniere> ... Pouah ! ...
+<distributrice> ... Rivesalte ? ...
+<ligniere> ... Halte !
+<ligniere> /me à Christian
+<ligniere> Je reste encore un peu.--Voyons ce rivesalte ?
+<ligniere> /me s'assied près du buffet. La distributrice lui verse du rivesalte.
+<ragueneau> /join
+<salle> /me à l'entrée d'un petit homme grassouillet et réjoui
+<salle> Ah ! Ragueneau ! ...
+<ligniere> /me à Christian
+<ligniere> ... Le grand rôtisseur Ragueneau.
+<ragueneau> /me costume de pâtissier endimanché, s'avançant vivement vers
+<ragueneau> /me Lignière
+<ragueneau> Monsieur, avez-vous vu monsieur de Cyrano ?
+<ligniere> /me présentant Ragueneau à Christian
+<ligniere> Le pâtissier des comédiens et des poètes !
+<ragueneau> /me se confondant
+<ragueneau> Trop d'honneur ...
+<ligniere> ... Taisez-vous, Mécène que vous êtes !
+<ragueneau> Oui, ces messieurs chez moi se servent ...
+<ligniere> ... À crédit.
+<ligniere> Poète de talent lui-même ...
+<ragueneau> ... Ils me l'ont dit.
+<ligniere> Fou de vers ! ...
+<ragueneau> ... Il est vrai que pour une odelette
+<ligniere> Vous donnez une tarte ...
+<ragueneau> ... Oh ! une tartelette !
+<ligniere> Brave homme, il s'en excuse ! Et pour un triolet
+<ligniere> Ne donnâtes-vous pas ? ...
+<ragueneau> ... Des petits pains ! ...
+<ligniere> /me sévèrement
+<ligniere> ... Au lait.
+<ligniere> --Et le théâtre, vous l'aimez ? ...
+<ragueneau> ... Je l'idolâtre.
+<ligniere> Vous payez en gâteaux vos billets de théâtre !
+<ligniere> Votre place, aujourd'hui, là, voyons, entre nous,
+<ligniere> Vous a coûté combien ? ...
+<ragueneau> ... Quatre flans. Quinze choux.
+<ragueneau> /me regarde de tous côtés
+<ragueneau> Monsieur de Cyrano n'est pas là ? Je m'étonne.
+<ligniere> Pourquoi ? ...
+<ragueneau> ... Montfleury joue ! ...
+<ligniere> ... En effet, cette tonne
+<ligniere> Va nous jouer ce soir le rôle de Phédon.
+<ligniere> Qu'importe à Cyrano ? ...
+<ragueneau> ... Mais vous ignorez donc ?
+<ragueneau> Il fit à Montfleury, messieurs, qu'il prit en haine,
+<ragueneau> Défense, pour un mois, de reparaître en scène.
+<ligniere> /me qui en est à son quatrième petit verre
+<lebret> /join
+<ligniere> Eh bien ? ...
+<ragueneau> ... Montfleury joue ! ...
+<cuigy> /me qui s'est rapproché de son groupe
+<cuigy> ... Il n'y peut rien. ...
+<ragueneau> ... Oh ! oh !
+<ragueneau> Moi, je suis venu voir ! ...
+<marquis1> ... Quel est ce Cyrano ?
+<cuigy> C'est un garçon versé dan les colichemardes.
+<marquis2> Noble ? ...
+<cuigy> ... Suffisamment. Il est cadet aux gardes.
+<cuigy> /me montrant un gentilhomme qui va et vient dans la salle comme s'il
+<cuigy> /me cherchait quelqu'un
+<cuigy> Mais son ami Le Bret peut vous dire ...
+<cuigy> /me appelle
+<cuigy> ... Le Bret !
+<MASTER> Le Bret descend vers eux
+<cuigy> Vous cherchez Bergerac ? ...
+<lebret> ... Oui, je suis inquiet !
+<cuigy> N'est-ce pas que cet homme est des moins ordinaires ?
+<lebret> /me avec tendresse
+<lebret> Ah, c'est le plus exquis des êtres sublunaires !
+<ragueneau> Rimeur ! ...
+<cuigy> ... Bretteur ! ...
+<brissaille> ... Physicien ! ...
+<lebret> ... Musicien !
+<ligniere> Et quel aspect hétéroclite que le sien !
+<ragueneau> Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne
+<ragueneau> Le solennel monsieur Philippe de Champaigne;
+<ragueneau> Mais bizarre, excessif, extravagant, falot,
+<ragueneau> Il eût fourni, je pense, à feu Jacques Callot
+<ragueneau> Le plus fol spadassin à mettre entre ses masques :
+<ragueneau> Feutre à panache triple et pourpoint à six basques,
+<ragueneau> Cape que par derrière, avec pompe, l'estoc
+<ragueneau> Lève, comme une queue insolente de coq,
+<ragueneau> Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne
+<ragueneau> Fut et sera toujours l'alme Mère Gigogne,
+<ragueneau> Il promène, en sa fraise à la Pulcinella,
+<ragueneau> Un nez ! ... Ah ! messeigneurs, quel nez que ce nez-là !
+<ragueneau> On ne peut voir passer un pareil nasigère
+<ragueneau> Sans s'écrier : "Oh ! non, vraiment, il exagère !"
+<ragueneau> Puis on sourit, on dit : "Il va l'enlever..." Mais
+<ragueneau> Monsieur de Bergerac ne l'enlève jamais.
+<lebret> /me hochant la tête
+<lebret> Il le porte,--et pourfend quiconque le remarque !
+<ragueneau> /me fièrement
+<ragueneau> Son glaive est la moitié des ciseaux de la Parque !
+<marquis1> /me haussant les épaules
+<marquis1> Il ne viendra pas ! ...
+<ragueneau> ... Si ! ... Je parie un poulet
+<ragueneau> À la Ragueneau ! ...
+<marquis1> /me riant
+<marquis1> ... Soit ! ...
+<MASTER> Rumeurs d'admiration dan la salle. Roxane vient de paraître dans sa
+<MASTER> loge. Elle s'assied sur le devant, sa duègne prend place au fond.
+<MASTER> Christian, occupé à payer la distributrice, ne regarde pas.
+<marquis2> /me avec des petit cris
+<marquis2> ... Ah, messieurs ! mais elle est
+<marquis2> Épouvantablement ravissante ! ...
+<marquis1> ... Une pêche
+<marquis1> Qui sourirait avec une fraise ! ...
+<marquis2> ... Et si fraîche
+<marquis2> Qu'on pourrait, l'approchant, prendre un rhume de cœur !
+<christian> /me lève la tête, aperçoit Roxane, et saisit vivement Lignière
+<christian> /me par le bras
+<christian> C'est elle ! ...
+<ligniere> /me regardant
+<ligniere> ... Ah ! c'est elle ? ...
+<christian> ... Oui. Dites vite. J'ai peur.
+<ligniere> /me dégustant son rivesalte à petits coups
+<ligniere> Magdeleine Robin, dite Roxane.--Fine.
+<ligniere> Précieuse. ...
+<christian> ... Hélas ! ...
+<ligniere> ... Libre. Orpheline. Cousine
+<ligniere> De Cyrano,--dont on parlait ...
+<MASTER> À ce moment, un seigneur très élégant, le cordon bleu en sautoir,
+<MASTER> entre dans la loge et, debout, cause un instant avec Roxane.
+<christian> /me tressaillant
+<christian> ... Cet homme ? ...
+<ligniere> /me qui commence à être gris, clignant de l'œil
+<ligniere> ... Hé ! hé !
+<ligniere> --Comte de Guiche. Épris d'elle. Mais marié
+<ligniere> À la nièce d'Armand de Richelieu. Désire
+<ligniere> Faire épouser Roxane à certain triste sire,
+<ligniere> Un monsieur de Valvert, vicomte ... et complaisant.
+<ligniere> Elle n'y souscrit pas, mais de Guiche est puissant :
+<ligniere> Il peut persécuter une simple bourgeoise.
+<ligniere> D'ailleurs j'ai dévoilé sa manœuvre sournoise
+<ligniere> Dans une chanson qui ... Ho ! il doit m'en vouloir !
+<ligniere> --La fin était méchante Écoutez ...
+<ligniere> /me se lève en titubant, le verre haut, prêt a chanter.
+<christian> ... Non. Bonsoir.
+<ligniere> Vous allez ? ...
+<christian> ... Chez monsieur de Valvert ! ...
+<ligniere> ... Prenez garde :
+<ligniere> C'est lui qui vous tuera ! ...
+<ligniere> /me lui désignant du coin de l'œil Roxane
+<ligniere> ... Restez. On vous regarde.
+<christian> C'est vrai ! ...
+<christian> /me reste en contemplation. Le groupe de tire-laine, à partir de ce
+<christian> /me moment, le voyant la tête en l'air et bouche bée, se rapproche de
+<christian> /me lui.
+<ligniere> ... C'est moi qui pars. J'ai soif ! Et l'on m'attend
+<ligniere> --Dans les tavernes ! ...
+<ligniere> /me sort, zigzaguant.
+<ligniere> /part
+<lebret> /me qui a fait le tour de la salle, revenant vers Ragueneau, d'une
+<lebret> /me voix rassurée
+<lebret> ... Pas de Cyrano. ...
+<ragueneau> /me incrédule
+<ragueneau> ... Pourtant
+<facheux> /join
+<lebret> Ah ! je veux espérer qu'il n'a pas vu l'affiche !
+<salle> Commencez ! Commencez ! ...
+
+<MASTER> Scène 1.III.
+<MASTER> Les mêmes, moins Lignière; De Guiche, Valvert, puis Montfleury.
+<deguiche> /join
+<valvert> /join
+<voix> /join
+<marquis1> /me voyant de Guiche, qui descend de la loge de Roxane, traverse
+<marquis1> /me le parterre, entouré de seigneurs obséquieux, parmi lesquels le vicomte
+<marquis1> /me de Valvert
+<marquis1> ... Quelle cour, ce de Guiche !
+<marquis2> Fi ! ... Encore un Gascon ! ...
+<marquis1> ... Le Gascon souple et froid,
+<marquis1> Celui qui réussit ! ... Saluons-le, crois-moi.
+<MASTER> Ils vont vers de Guiche.
+<marquis2b> Les beaux rubans ! Quelle couleur, comte de Guiche ?
+<marquis2b> Baise-moi-ma-mignonne ou bien Ventre-de-biche ?
+<deguiche> C'est couleur Espagnol malade. ...
+<marquis1b> ... La couleur
+<marquis1b> Ne ment pas, car bientôt, grâce à votre valeur,
+<marquis1b> L'Espagnol ira mal, dans les Flandres ! ...
+<deguiche> ... Je monte
+<deguiche> Sur scène. Venez-vous ? ...
+<deguiche> /me se dirige, suivi de tous les marquis et gentilshommes, vers le théâtre.
+<deguiche> /me se retourne et appelle
+<deguiche> ... Viens, Valvert ! ...
+<christian> /me qui les écoute et les observe, tressaille en entendant ce nom
+<christian> ... Le vicomte !
+<christian> Ah ! je vais lui jeter à la face mon ...
+<christian> /me met la main dans sa poche, et y rencontre celle d'un tire-laine en train de le dévaliser.
+<christian> /me se retourne
+<christian> ... Hein ?
+<tirelaine> Ay ! ...
+<christian> /me sans le lâcher
+<christian> ... Je cherchais un gant ! ...
+<tirelaine> /me avec un sourire piteux
+<tirelaine> ... Vous trouvez une main.
+<tirelaine> /me changeant de ton, bas et vite
+<tirelaine> Lâchez-moi. Je vous livre un secret. ...
+<christian> /me le tenant toujours
+<christian> ... Quel ? ...
+<tirelaine> ... Lignière
+<tirelaine> Qui vous quitte ...
+<christian> /me de même
+<christian> ... Eh ! bien ? ...
+<tirelaine> ... touche à son heure dernière.
+<tirelaine> Une chanson qu'il fit blessa quelqu'un de grand,
+<tirelaine> Et cent hommes--j'en suis--ce soir sont postés ! ...
+<christian> ... Cent !
+<christian> Par qui ? ...
+<tirelaine> ... Discrétion ...
+<christian> /me haussant les épaules
+<christian> ... Oh ! ...
+<tirelaine> /me avec beaucoup de dignité
+<tirelaine> ... Professionnelle !
+<christian> Où seront-ils postés ? ...
+<tirelaine> ... À la porte de Nesle.
+<tirelaine> Sur son chemin. Prévenez-le ! ...
+<christian> /me qui lui lâche enfin le poignet
+<christian> ... Mais où le voir !
+<tirelaine> Allez courir tous les cabarets : le Pressoir
+<tirelaine> D'Or, la Pomme de Pin, la Ceinture qui craque,
+<tirelaine> Les Deux Torches, les Trois Entonnoirs,--et dans chaque,
+<tirelaine> Laissez un petit mot d'écrit l'avertissant.
+<christian> Oui, je cours ! Ah ! les gueux ! Contre un seul homme, cent !
+<tirelaine> /part
+<christian> /me regardant Roxane avec amour
+<christian> La quitter... elle ! ...
+<christian> /me avec fureur, Valvert
+<christian> ... Et lui ! ... --Mais il faut que je sauve
+<christian> Lignière ! ...
+<christian> /me sort en courant.
+<christian> /part
+<MASTER> De Guiche, le vicomte, les marquis, tous les gentilshommes ont
+<MASTER> disparu derrière le rideau pour prendre place sur les banquettes
+<MASTER> de la scène. Le parterre est complètement rempli. Plus une place vide aux galeries et aux loges.
+<parterre> /join
+<loges> /join
+<salle> ... Commencez. ...
+<bourgeois2> /me dont la perruque s'envole au bout d'une ficelle, pêchée
+<bourgeois2> /me par un page de la galerie supérieure
+<bourgeois2> ... Ma perruque ! ...
+<salle> /me cris de joie
+<salle> ... Il est chauve !
+<salle> Bravo, les pages ! ... Ha ! ha ! ha ! ...
+<bourgeois2> /me furieux, montrant le poing
+<bourgeois2> ... Petit gredin !
+<salle> /me rires et cris qui commencent très fort et vont décroissant
+<salle> Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ...
+<MASTER> Silence complet.
+<lebret> /me étonné
+<lebret> ... Ce silence soudain ?
+<MASTER> Un spectateur lui parle bas
+<lebret> Ah ? ...
+<spectateur1> ... La chose me vient d'être certifiée.
+<salle> /me murmures qui courent
+<salle> Chut !--Il paraît ? ... --Non ! ... --Si !--Dans la loge grillée.--
+<salle> Le Cardinal !--Le Cardinal ?--Le Cardinal !
+<page2> Ah ! diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal !
+<MASTER> On frappe sur la scène. Tout le monde s'immobilise. Attente.
+<marquis1c> /me dans le silence, derrière le rideau
+<marquis1c> Mouchez cette chandelle ! ...
+<marquis2c> /me passant la tête par la fente du rideau
+<marquis2c> ... Une chaise ! ...
+<MASTER> Une chaise est passée, de main en main, au-dessus des têtes. Le
+<MASTER> marquis la prend et disparaît, non sans avoir envoyé quelques baisers
+<MASTER> aux loges.
+<spectateur2> ... Silence !
+<MASTER> On refrappe les trois coups. Le rideau s'ouvre. Tableau. Les marquis
+<MASTER> assis sur les côtés, dans des poses insolentes. Toile de fond
+<MASTER> représentant un décor bleuâtre de pastorale. Quatre petits lustres de
+<MASTER> cristal éclairent la scène. Les violons jouent doucement.
+<lebret> /me à Ragueneau, bas
+<lebret> Montfleury entre en scène ? ...
+<ragueneau> /me bas aussi
+<ragueneau> ... Oui, c'est lui qui commence.
+<lebret> Cyrano n'est pas là. ...
+<ragueneau> ... J'ai perdu mon pari.
+<lebret> Tant mieux ! tant mieux ! ...
+<MASTER> On entend un air de musette, et Montfleury paraît en scène, énorme,
+<MASTER> dans un costume de berger de pastorale, un chapeau garni de roses
+<MASTER> penché sur l'oreille, et soufflant dans une cornemuse enrubannée.
+<montfleury> /join
+<parterre> /me applaudissant
+<parterre> ... Bravo, Montfleury ! Montfleury !
+<montfleury> /me après avoir salué, jouant le rôle de Phédon
+<montfleury> Heureux qui loin des cours, dans un lieu solitaire,
+<montfleury> Se prescrit à soi-même un exil volontaire,
+<montfleury> Et qui, lorsque Zéphire a soufflé sur les bois
+<voix> /me au milieu du parterre
+<voix> Coquin, ne t'ai-je pas interdit pour un mois ?
+<MASTER> Stupeur. Tout le monde se retourne. Murmures.
+<salle> Hein ?--Quoi ?--Qu'est-ce ? ...
+<MASTER> On se lève dans les loges, pour voir.
+<cuigy> ... C'est lui ! ...
+<lebret> /me terrifié
+<lebret> ... Cyrano ! ...
+<voix> ... Roi des pitres !
+<voix> Hors de scène a l'instant ! ...
+<salle> /me indignée
+<salle> ... Oh ! ...
+<montfleury> ... Mais ...
+<voix> ... Tu récalcitres ?
+<salle> /me du parterre, des loges
+<salle> Chut !--Assez !--Montfleury, jouez !--Ne craignez rien !
+<montfleury> /me d'une voix mal assurée
+<montfleury> Heureux qui loin des cours dans un lieu sol ...
+<voix> /me plus menaçante
+<voix> ... Eh bien !
+<voix> Faudra-t-il que je fasse, ô Monarque des drôles,
+<voix> Une plantation de bois sur vos épaules ?
+<MASTER> Une canne au bout d'un bras jaillit au-dessus des têtes.
+<montfleury> /me d'une voix de plus en plus faible
+<montfleury> Heureux qui ...
+<MASTER> La canne s'agite.
+<voix> ... Sortez ! ...
+<parterre> ... Oh ! ...
+<montfleury> /me s'étranglant
+<montfleury> ... Heureux qui loin des cours
+<voix> /nick cyrano
+<cyrano> /me surgissant du parterre, debout sur une chaise, les bras croisés,
+<cyrano> /me son feutre en bataille, la moustache hérissée, le nez terrible
+<cyrano> Ah ! je vais me fâcher ! ...
+<MASTER> Sensation à sa vue.
+
+<MASTER> Scène 1.IV.
+<MASTER> Les mêmes, Cyrano, puis Bellerose, Jodelet.
+<montfleury> /me aux marquis
+<montfleury> ... Venez à mon secours,
+<montfleury> Messieurs ! ...
+<marquis2> /me nonchalamment
+<marquis2> ... Mais jouez donc ! ...
+<cyrano> ... Gros homme, si tu joues
+<cyrano> Je vais être obligé de te fesser les joues !
+<marquis2> Assez ! ...
+<cyrano> ... Que les marquis se taisent sur leurs bancs,
+<cyrano> Ou bien je fais tâter ma canne à leurs rubans !
+<marquis1> /me debout
+<marquis1> C'en est trop ! ... Montfleury ...
+<cyrano> ... Que Montfleury s'en aille,
+<cyrano> Ou bien je l'essorille et le désentripaille !
+<voix1> Mais ...
+<cyrano> ... Qu'il sorte ! ...
+<voix2> ... Pourtant ...
+<cyrano> ... Ce n'est pas encor fait ?
+<cyrano> /me avec le geste de retrousser ses manches
+<cyrano> Bon ! je vais sur la scène en guise de buffet,
+<cyrano> Découper cette mortadelle d'Italie !
+<montfleury> /me rassemblant toute sa dignité
+<montfleury> En m'insultant, Monsieur, vous insultez Thalie !
+<cyrano> /me très poli
+<cyrano> Si cette Muse, à qui, Monsieur, vous n'êtes rien,
+<cyrano> Avait l'honneur de vous connaître, croyez bien
+<cyrano> Qu'en vous voyant si gros et bête comme une urne,
+<cyrano> Elle vous flanquerait quelque part son cothurne.
+<parterre> Montfleury ! Montfleury !--La pièce de Baro !--
+<cyrano> /me à ceux qui crient autour de lui
+<cyrano> Je vous en prie, ayez pitié de mon fourreau :
+<cyrano> Si vous continuez, il va rendre sa lame !
+<MASTER> Le cercle s'élargit.
+<salle> /me reculant
+<salle> Hé ! là ! ...
+<cyrano> /me à Montfleury
+<cyrano> ... Sortez de scène ! ...
+<salle> /me se rapprochant et grondant
+<salle> ... Oh ! oh ! ...
+<cyrano> /me se retournant vivement
+<cyrano> ... Quelqu'un réclame ?
+<MASTER> Nouveau recul.
+<voix3> /me chantant au fond
+<voix3> Monsieur de Cyrano
+<voix3> Vraiment nous tyrannise,
+<voix3> Malgré ce tyranneau
+<voix3> On jouera la Clorise.
+<salle> /me chantant
+<salle> /me La Clorise, la Clorise !
+<cyrano> Si j'entends une fois encor cette chanson,
+<cyrano> Je vous assomme tous. ...
+<bourgeois3> ... Vous n'êtes pas Samson !
+<cyrano> Voulez-vous me prêter, Monsieur, votre mâchoire ?
+<dame> /me dans les loges
+<dame> C'est inouï ! ...
+<seigneur> ... C'est scandaleux ! ...
+<bourgeois4> ... C'est vexatoire !
+<page1> Ce qu'on s'amuse ! ...
+<parterre> ... Kssi !--Montfleury !--Cyrano !
+<cyrano> Silence ! ...
+<parterre> /me en délire
+<parterre> ... Hi han ! Bêê ! Ouah, ouah ! Cocorico !
+<cyrano> Je vous ...
+<page2> ... Miâou ! ...
+<cyrano> ... Je vous ordonne de vous taire !
+<cyrano> Et j'adresse un défi collectif au parterre !
+<cyrano> --J'inscris les noms !--Approchez-vous, jeunes héros !
+<cyrano> Chacun son tour ! Je vais donner des numéros !--
+<cyrano> Allons, quel est celui qui veut ouvrir la liste ?
+<cyrano> Vous, Monsieur ? Non ! Vous ? Non ! Le premier duelliste,
+<cyrano> Je l'expédie avec les honneurs qu'on lui doit !
+<cyrano> --Que tous ceux qui veulent mourir lèvent le doigt.
+<MASTER> Silence
+<cyrano> La pudeur vous défend de voir ma lame nue ?
+<cyrano> Pas un nom ?--Pas un doigt ?--C'est bien. Je continue.
+<cyrano> /me se retournant vers la scène où Montfleury attend avec angoisse
+<cyrano> Donc, je désire voir le théâtre guéri
+<cyrano> De cette fluxion. Sinon ...
+<cyrano> /me la main à son épée
+<cyrano> ... le bistouri !
+<montfleury> Je ...
+<cyrano> /me descend de sa chaise, s'assied au milieu du rond qui s'est
+<cyrano> /me formé, s'installe comme chez lui
+<cyrano> ... Mes mains vont frapper trois claques, pleine lune !
+<cyrano> Vous vous éclipserez à la troisième. ...
+<parterre> /me amusé
+<parterre> ... Ah ? ...
+<cyrano> /me frappant dans ses mains
+<cyrano> ... Une !
+<montfleury> Je ...
+<voix4> /me des loges
+<voix4> ... Restez ! ...
+<parterre> ... Restera ... restera pas ...
+<montfleury> ... Je crois,
+<montfleury> Messieurs ...
+<cyrano> ... Deux ! ...
+<montfleury> ... Je suis sûr qu'il vaudrait mieux que ...
+<cyrano> ... Trois !
+<MASTER> Montfleury disparaît comme dans une trappe. Tempête de rires, de
+<MASTER> sifflets et de huées.
+<montfleury> /part
+<salle> Hu ! ... hu ! ... Lâche ! ... Reviens ! ...
+<cyrano> /me épanoui, se renverse sur sa chaise, et croise ses jambes
+<cyrano> ... Qu'il revienne, s'il l'ose !
+<bourgeois5> L'orateur de la troupe ! ...
+<bellerose> /join
+<bellerose> /me s'avance et salue.
+<loges> ... Ah ! ... Voilà Bellerose !
+<bellerose> /me avec élégance
+<bellerose> Nobles seigneurs ...
+<parterre> ... Non ! Non ! Jodelet ! ...
+<jodelet> /join
+<jodelet> /me s'avance, et, nasillard
+<jodelet> ... Tas de veaux !
+<parterre> Ah ! Ah ! Bravo ! très bien ! bravo ! ...
+<jodelet> ... Pas de bravos !
+<jodelet> Le gros tragédien dont vous aimez le ventre
+<jodelet> S'est senti ...
+<parterre> ... C'est un lâche ! ...
+<jodelet> ... Il dut sortir ! ...
+<parterre> ... Qu'il rentre !
+<parterre> /me les uns
+<parterre> Non ! ...
+<parterre> /me les autres
+<parterre> ... Si ! ...
+<jeunehomme> /me à Cyrano
+<jeunehomme> ... Mais à la fin, monsieur, quelle raison
+<jeunehomme> Avez-vous de haïr Montfleury ? ...
+<cyrano> /me gracieux, toujours assis
+<cyrano> ... Jeune oison,
+<cyrano> J'ai deux raisons, dont chaque est suffisante seule.
+<cyrano> Primo : c'est un acteur déplorable, qui gueule,
+<cyrano> Et qui soulève avec des han ! de porteur d'eau,
+<cyrano> Le vers qu'il faut laisser s'envoler !--Secundo :
+<cyrano> Est mon secret ...
+<vieuxbourgeois> /me derrière lui
+<vieuxbourgeois> ... Mais vous nous privez sans scrupule
+<vieuxbourgeois> De la Clorise ! Je m'entête ...
+<cyrano> /me tournant sa chaise vers le bourgeois, respectueusement
+<cyrano> ... Vieille mule !
+<cyrano> Les vers du vieux Baro valant moins que zéro,
+<cyrano> J'interromps sans remords ! ...
+<precieuses> /me dans les loges
+<precieuses> ... Ha !--Ho !--Notre Baro !
+<precieuses> Ma chère !--Peut-on dire ? ... Ah ! Dieu ! ...
+<cyrano> /me tournant sa chaise vers les loges, galant
+<cyrano> ... Belles personnes,
+<cyrano> Rayonnez, fleurissez, soyez des échansonnes
+<cyrano> De rêve, d'un sourire enchantez un trépas,
+<cyrano> Inspirez-nous des vers... mais ne les jugez pas !
+<bellerose> Et l'argent qu'il va falloir rendre ! ...
+<cyrano> /me tournant sa chaise vers la scène
+<cyrano> ... Bellerose,
+<cyrano> Vous avez dit la seule intelligente chose !
+<cyrano> Au manteau de Thespis je ne fais pas de trous :
+<cyrano> /me se lève, et lançant un sac sur la scène
+<cyrano> Attrapez cette bourse au vol, et taisez-vous !
+<salle> /me éblouie
+<salle> Ah ! ... Oh ! ...
+<jodelet> /me ramassant prestement la bourse et la soupesant
+<jodelet> ... À ce prix-là, monsieur, je t'autorise
+<jodelet> À venir chaque jour empêcher la Clorise !
+<salle> Hu ! ... Hu ! ...
+<jodelet> ... Dussions-nous même ensemble être hués !
+<bellerose> Il faut évacuer la salle ! ...
+<jodelet> ... Évacuez !
+<MASTER> On commence à sortir, pendant que Cyrano regarde d'un air satisfait.
+<MASTER> Mais la foule s'arrête bientôt en entendant la scène suivante, et la
+<MASTER> sortie cesse. Les femmes qui, dans les loges, étaient déjà debout,
+<MASTER> leur manteau remis, s'arrêtent pour écouter, et finissent par se
+<MASTER> rasseoir.
+<lebret> /me à Cyrano
+<lebret> C'est fou ! ...
+<facheux> /me qui s'est approché de Cyrano
+<facheux> ... Le comédien Montfleury ! quel scandale !
+<facheux> Mais il est protégé par le duc de Candale !
+<facheux> Avez-vous un patron ? ...
+<cyrano> ... Non ! ...
+<facheux> ... Vous n'avez pas ? ...
+<cyrano> ... Non !
+<facheux> Quoi, pas un grand seigneur pour couvrir de son nom ?
+<cyrano> /me agacé
+<cyrano> Non, ai-je dit deux fois. Faut-il donc que je trisse ?
+<cyrano> Non, pas de protecteur ...
+<cyrano> /me la main à son épée
+<cyrano> ... mais une protectrice !
+<facheux> Mais vous allez quitter la ville ? ...
+<cyrano> ... C'est selon.
+<facheux> Mais le duc de Candale a le bras long ! ...
+<cyrano> ... Moins long
+<cyrano> Que n'est le mien ...
+<cyrano> /me montrant son épée
+<cyrano> ... quand je lui mets cette rallonge !
+<facheux> Mais vous ne songez pas à prétendre ...
+<cyrano> ... J'y songe.
+<facheux> Mais ...
+<cyrano> ... Tournez les talons, maintenant. ...
+<facheux> ... Mais ...
+<cyrano> ... Tournez !
+<cyrano> --Ou dites-moi pourquoi vous regardez mon nez.
+<facheux> /me ahuri
+<facheux> Je ...
+<cyrano> /me marchant sur lui
+<cyrano> ... Qu'a-t-il d'étonnant ? ...
+<facheux> /me reculant
+<facheux> ... Votre Grâce se trompe
+<cyrano> Est-il mol et ballant, monsieur, comme une trompe ?
+<facheux> /me même jeu
+<facheux> Je n'ai pas ...
+<cyrano> ... Ou crochu comme un bec de hibou ?
+<facheux> Je ...
+<cyrano> ... Y distingue-t-on une verrue au bout ?
+<facheux> Mais ...
+<cyrano> ... Ou si quelque mouche, à pas lents, s'y promène ?
+<cyrano> Qu'a-t-il d'hétéroclite ? ...
+<facheux> ... Oh ! ...
+<cyrano> ... Est-ce un phénomène ?
+<facheux> Mais d'y porter les yeux j'avais su me garder !
+<cyrano> Et pourquoi, s'il vous plaît, ne pas le regarder ?
+<facheux> J'avais ...
+<cyrano> ... Il vous dégoûte alors ? ...
+<facheux> ... Monsieur ...
+<cyrano> ... Malsaine
+<cyrano> Vous semble sa couleur ? ...
+<facheux> ... Monsieur ! ...
+<cyrano> ... Sa forme, obscène ?
+<facheux> Mais du tout ! ...
+<cyrano> ... Pourquoi donc prendre un air dénigrant ?
+<cyrano> --Peut-être que monsieur le trouve un peu trop grand ?
+<facheux> /me balbutiant
+<facheux> Je le trouve petit, tout petit, minuscule !
+<cyrano> Hein ? comment ? m'accuser d'un pareil ridicule ?
+<cyrano> Petit, mon nez ? Holà ! ...
+<facheux> ... Ciel ! ...
+<cyrano> ... Énorme, mon nez !
+<cyrano> --Vil camus, sot camard, tête plate, apprenez
+<cyrano> Que je m'enorgueillis d'un pareil appendice,
+<cyrano> Attendu qu'un grand nez est proprement l'indice
+<cyrano> D'un homme affable, bon, courtois, spirituel,
+<cyrano> Libéral, courageux, tel que je suis, et tel
+<cyrano> Qu'il vous est interdit à jamais de vous croire,
+<cyrano> Déplorable maraud ! car la face sans gloire
+<cyrano> Que va chercher ma main en haut de votre col,
+<cyrano> Est aussi dénuée ...
+<cyrano> /me le soufflette.
+<facheux> ... Aï ! ...
+<cyrano> ... De fierté, d'envol,
+<cyrano> De lyrisme, de pittoresque, d'étincelle,
+<cyrano> De somptuosité, de Nez enfin, que celle
+<cyrano> /me le retourne par les épaules, joignant le geste à la parole
+<cyrano> Que va chercher ma botte au bas de votre dos !
+<facheux> /me se sauvant
+<facheux> Au secours ! À la garde ! ...
+<facheux> /part
+<cyrano> ... Avis donc aux badauds
+<cyrano> Qui trouveraient plaisant mon milieu de visage,
+<cyrano> Et si le plaisantin est noble, mon usage
+<cyrano> Est de lui mettre, avant de le laisser s'enfuir,
+<cyrano> Pas devant, et plus haut, du fer, et non du cuir !
+<deguiche> /me qui est descendu de la scène, avec les marquis
+<deguiche> Mais à la fin il nous ennuie ! ...
+<valvert> /me haussant les épaules
+<valvert> ... Il fanfaronne !
+<deguiche> Personne ne va donc lui répondre ? ...
+<valvert> ... Personne ?
+<valvert> Attendez ! Je vais lui lancer un de ces traits !
+<valvert> /me s'avance vers Cyrano qui l'observe, et se campant devant lui d'un
+<valvert> /me air fat
+<valvert> Vous... vous avez un nez... heu... un nez... très grand. ...
+<cyrano> /me gravement
+<cyrano> ... Très !
+<valvert> /me riant
+<valvert> Ha ! ...
+<cyrano> /me imperturbable
+<cyrano> ... C'est tout ? ...
+<valvert> ... Mais ...
+<cyrano> ... Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme !
+<cyrano> On pouvait dire... Oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme
+<cyrano> En variant le ton,--par exemple, tenez :
+<cyrano> Agressif : "Moi, monsieur, si j'avais un tel nez
+<cyrano> Il faudrait sur-le-champ que je me l'amputasse !"
+<cyrano> Amical : "Mais il doit tremper dans votre tasse !
+<cyrano> Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap !"
+<cyrano> Descriptif : "C'est un roc ! ... c'est un pic ! ... c'est un cap !
+<cyrano> Que dis-je, c'est un cap ? ... C'est une péninsule !"
+<cyrano> Curieux : "De quoi sert cette oblongue capsule ?
+<cyrano> D'écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ?"
+<cyrano> Gracieux : "Aimez-vous à ce point les oiseaux
+<cyrano> Que paternellement vous vous préoccupâtes
+<cyrano> De tendre ce perchoir à leur petites pattes ?"
+<cyrano> Truculent : "Ça, monsieur, lorsque vous pétunez,
+<cyrano> La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
+<cyrano> Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ?"
+<cyrano> Prévenant : "Gardez-vous, votre tête entraînée
+<cyrano> Par ce poids, de tomber en avant sur le sol !"
+<cyrano> Tendre : "Faites-lui faire un petit parasol
+<cyrano> De peur que sa couleur au soleil ne se fane !"
+<cyrano> Pédant : "L'animal seul, monsieur, qu'Aristophane
+<cyrano> Appelle Hippocampelephantocamélos
+<cyrano> Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d'os !"
+<cyrano> Cavalier : 'Quoi, l'ami, ce croc est à la mode ?
+<cyrano> Pour pendre son chapeau, c'est vraiment très commode !'
+<cyrano> Emphatique : "Aucun vent ne peut, nez magistral,
+<cyrano> T'enrhumer tout entier, excepté le mistral !"
+<cyrano> Dramatique : "C'est la Mer Rouge quand il saigne !"
+<cyrano> Admiratif : "Pour un parfumeur, quelle enseigne !"
+<cyrano> Lyrique : "Est-ce une conque, êtes-vous un triton ?"
+<cyrano> Naïf : "Ce monument, quand le visite-t-on ?"
+<cyrano> Respectueux : "Souffrez, monsieur, qu'on vous salue,
+<cyrano> C'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur rue !"
+<cyrano> Campagnard : "Hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain !
+<cyrano> C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain !"
+<cyrano> Militaire : "Pointez contre cavalerie !"
+<cyrano> Pratique : "Voulez-vous le mettre en loterie ?
+<cyrano> Assurément, monsieur, ce sera le gros lot !"
+<cyrano> Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot :
+<cyrano> "Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître
+<cyrano> A détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître !"
+<cyrano> --Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit
+<cyrano> Si vous aviez un peu de lettres et d'esprit :
+<cyrano> Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres,
+<cyrano> Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres
+<cyrano> Vous n'avez que les trois qui forment le mot : sot !
+<cyrano> Eussiez-vous eu, d'ailleurs, l'invention qu'il faut
+<cyrano> Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,
+<cyrano> Me servir toutes ces folles plaisanteries,
+<cyrano> Que vous n'en eussiez pas articulé le quart
+<cyrano> De la moitié du commencement d'une, car
+<cyrano> Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
+<cyrano> Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve.
+<deguiche> /me voulant emmener le vicomte pétrifié
+<deguiche> Vicomte, laissez donc ! ...
+<valvert> /me suffoqué
+<valvert> ... Ces grands airs arrogants !
+<valvert> Un hobereau qui... qui... n'a même pas de gants !
+<valvert> Et qui sort sans rubans, sans bouffettes, sans ganses !
+<cyrano> Moi, c'est moralement que j'ai mes élégances.
+<cyrano> Je ne m'attife pas ainsi qu'un freluquet,
+<cyrano> Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet;
+<cyrano> Je ne sortirais pas avec, par négligence,
+<cyrano> Un affront pas très bien lavé, la conscience
+<cyrano> Jaune encor de sommeil dans le coin de son œil,
+<cyrano> Un honneur chiffonné, des scrupules en deuil.
+<cyrano> Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise,
+<cyrano> Empanaché d'indépendance et de franchise;
+<cyrano> Ce n'est pas une taille avantageuse, c'est
+<cyrano> Mon âme que je cambre ainsi qu'en un corset,
+<cyrano> Et tout couvert d'exploits qu'en rubans je m'attache,
+<cyrano> Retroussant mon esprit ainsi qu'une moustache,
+<cyrano> Je fais, en traversant les groupes et les ronds,
+<cyrano> Sonner les vérités comme des éperons.
+<valvert> Mais, monsieur ...
+<cyrano> ... Je n'ai pas de gants ? ... la belle affaire !
+<cyrano> Il m'en restait un seul d'une très vieille paire !
+<cyrano> --Lequel m'était d'ailleurs encor fort importun :
+<cyrano> Je l'ai laissé dans la figure de quelqu'un.
+<valvert> Maraud, faquin, butor de pied plat ridicule !
+<cyrano> /me ôtant son chapeau et saluant comme si le vicomte venait de se
+<cyrano> /me présenter
+<cyrano> Ah ? ... Et moi, Cyrano-Savinien-Hercule
+<cyrano> De Bergerac. ...
+<MASTER> Rires.
+<valvert> /me exaspéré
+<valvert> ... Bouffon ! ...
+<cyrano> /me poussant un cri comme lorsqu'on est saisi d'une crampe
+<cyrano> ... Ay ! ...
+<valvert> /me qui remontait, se retournant
+<valvert> ... Qu'est-ce encor qu'il dit ?
+<cyrano> /me avec des grimaces de douleur
+<cyrano> Il faut la remuer car elle s'engourdit
+<cyrano> --Ce que c'est que de la laisser inoccupée !--
+<cyrano> Ay ! ...
+<valvert> ... Qu'avez-vous ? ...
+<cyrano> ... J'ai des fourmis dans mon épée !
+<valvert> /me tirant la sienne
+<valvert> Soit ! ...
+<cyrano> ... Je vais vous donner un petit coup charmant.
+<valvert> /me méprisant
+<valvert> Poète ! ...
+<cyrano> ... Oui, monsieur, poète ! et tellement,
+<cyrano> Qu'en ferraillant je vais--hop !--à l'improvisade,
+<cyrano> Vous composer une ballade. ...
+<valvert> ... Une ballade ?
+<cyrano> Vous ne vous doutez pas de ce que c'est, je crois ?
+<cyrano>
+<valvert> Mais ...
+<cyrano> /me récitant comme une leçon
+<cyrano> ... La ballade, donc, se compose de trois
+<cyrano> Couplets de huit vers ...
+<valvert> /me piétinant
+<valvert> ... Oh ! ...
+<cyrano> /me continuant
+<cyrano> ... Et d'un envoi de quatre
+<valvert> Vous ...
+<cyrano> ... Je vais tout ensemble en faire une et me battre,
+<cyrano> Et vous toucher, monsieur, au dernier vers. ...
+<valvert> ... Non !
+<cyrano> Non ? ...
+<cyrano> /me déclamant
+<cyrano> ... Ballade du duel qu'en l'hôtel bourguignon
+<cyrano> Monsieur de Bergerac eut avec un bélître !
+<valvert> Qu'est-ce que c'est que ça, s'il vous plaît ? ...
+<cyrano> ... C'est le titre.
+<salle> /me surexcitée au plus haut point
+<salle> Place !--Très amusant !--Rangez-vous !--Pas de bruits !
+<MASTER> Tableau. Cercle de curieux au parterre, les marquis et les officiers
+<MASTER> mêlés aux bourgeois et aux gens du peuple; les pages grimpés sur des
+<MASTER> épaules pour mieux voir. Toutes les femmes debout dans les loges. A
+<MASTER> droite, De Guiche et ses gentilshommes. À gauche, Le Bret, Ragueneau,
+<MASTER> Cuigy, etc.
+<cyrano> /me fermant une seconde les yeux
+<cyrano> Attendez ! ... je choisis mes rimes... Là, j'y suis.
+<cyrano> /me fait ce qu'il dit, à mesure
+<cyrano> Je jette avec grâce mon feutre,
+<cyrano> Je fais lentement l'abandon
+<cyrano> Du grand manteau qui me calfeutre,
+<cyrano> Et je tire mon espadon;
+<cyrano> Élégant comme Céladon,
+<cyrano> Agile comme Scaramouche,
+<cyrano> Je vous préviens, cher Mirmydon,
+<cyrano> Qu'à la fin de l'envoi je touche !
+<MASTER> Premiers engagements de fer
+<cyrano> Vous auriez bien dû rester neutre;
+<cyrano> Où vais-je vous larder, dindon ?
+<cyrano> Dans le flanc, sous votre maheutre ?
+<cyrano> Au cœur, sous votre bleu cordon ?
+<cyrano> --Les coquilles tintent, ding-don !
+<cyrano> Ma pointe voltige : une mouche !
+<cyrano> Décidément... c'est au bedon,
+<cyrano> Qu'à la fin de l'envoi, je touche.
+<cyrano> Il me manque une rime en eutre
+<cyrano> Vous rompez, plus blanc qu'amidon ?
+<cyrano> C'est pour me fournir le mot pleutre !
+<cyrano> --Tac ! je pare la pointe dont
+<cyrano> Vous espériez me faire don;--
+<cyrano> J'ouvre la ligne,--je la bouche
+<cyrano> Tiens bien ta broche, Laridon !
+<cyrano> À la fin de l'envoi, je touche.
+<cyrano> /me annonce solennellement
+<cyrano> Envoi
+<cyrano> Prince, demande à Dieu pardon !
+<cyrano> Je quarte du pied, j'escarmouche,
+<cyrano> Je coupe, je feinte ...
+<cyrano> /me se fendant
+<cyrano> ... Hé ! là, donc !
+<valvert> /me chancelle
+<cyrano> /me salue
+<cyrano> À la fin de l'envoi, je touche !
+<MASTER> Acclamations. Applaudissements dans les loges. Des fleurs et des
+<MASTER> mouchoirs tombent. Les officiers entourent et félicitent Cyrano.
+<MASTER> Ragueneau danse d'enthousiasme. Le Bret est heureux et navré. Les amis
+<MASTER> du vicomte le soutiennent et l'emmènent.
+<valvert> /part
+<salle> /me en un long cri
+<salle> Ah ! ...
+<cavalier1> ... Superbe ! ...
+<femme1> ... Joli ! ...
+<ragueneau> ... Pharamineux ! ...
+<marquis1e> ... Nouveau !
+<lebret> Insensé ! ...
+<salle> /me se bouscule autour de Cyrano. On entend:
+<salle> ... Compliments ! ... félicite ... bravo
+<femme2> C'est un héros ! ...
+<lemousquetaire> /me s'avançant vivement vers Cyrano, la main tendue
+<lemousquetaire> ... Monsieur, voulez-vous me permettre ?
+<lemousquetaire> C'est tout à fait très bien, et je crois m'y connaître;
+<lemousquetaire> J'ai du reste exprimé ma joie en trépignant !
+<lemousquetaire> /me s'éloigne.
+<lemousquetaire> /part
+<cyrano> /me à Cuigy
+<cyrano> Comment s'appelle donc ce monsieur ? ...
+<cuigy> ... D'Artagnan.
+<lebret> /me à Cyrano, lui prenant le bras
+<lebret> Çà, causons ! ...
+<cyrano> ... Laisse un peu sortir cette cohue
+<cavalier1> /part
+<cavalier2> /part
+<laquais1> /part
+<laquais2> /part
+<garde> /part
+<bouquetiere> /part
+<homme> /part
+<bourgeois> /part
+<fils> /part
+<pages> /part
+<page1> /part
+<page2> /part
+<page3> /part
+<parterre> /part
+<cyrano> /me à Bellerose
+<cyrano> Je peux rester ? ...
+<bellerose> /me respectueusement
+<bellerose> ... Mais oui ! ...
+<ragueneau> /part
+<deguiche> /part
+<bourgeois2> /part
+<bourgeois3> /part
+<bourgeois4> /part
+<bourgeois5> /part
+<loges> /part
+<dame> /part
+<femme1> /part
+<seigneur> /part
+<jeunehomme> /part
+<vieuxbourgeois> /part
+<precieuses> /part
+<femme2> /part
+<marquis1e> /part
+<MASTER> On entend des cris au dehors.
+<jodelet> /me qui a regardé
+<jodelet> ... C'est Montfleury qu'on hue !
+<marquis1b> /part
+<marquis2b> /part
+<marquis1c> /part
+<bellerose> /me solennellement
+<bellerose> Sic transit ! ...
+<marquis2c> /part
+<cuigy> /part
+<brissaille> /part
+<voix1> /part
+<voix2> /part
+<bellerose> /me changeant de ton, au portier et au moucheur de chandelles
+<bellerose> ... Balayez. Fermez. N'éteignez pas.
+<bellerose> Nous allons revenir après notre repas,
+<bellerose> Répéter pour demain une nouvelle farce.
+<spectateur1> /part
+<spectateur2> /part
+<fausset> /part
+<marquis1> /part
+<marquis2> /part
+<voix3> /part
+<voix4> /part
+<MASTER> Jodelet et Bellerose sortent, après de grands saluts à Cyrano.
+<bellerose> /part
+<jodelet> /part
+<portier> /me à Cyrano
+<portier> Vous ne dînez donc pas ? ...
+<cyrano> ... Moi ? ... Non. ...
+<MASTER> Le portier se retire.
+<portier> /part
+<lebret> /me à Cyrano
+<lebret> ... Parce que ? ...
+<cyrano> /me fièrement
+<cyrano> ... Parce
+<cyrano> /me changeant de ton, en voyant que le portier est loin
+<cyrano> Que je n'ai pas d'argent ! ...
+<lebret> /me faisant le geste de lancer un sac
+<lebret> ... Comment ! le sac d'écus ?
+<cyrano> Pension paternelle, en un jour, tu vécus !
+<lebret> Pour vivre tout un mois, alors ? ...
+<cyrano> ... Rien ne me reste.
+<lebret> Jeter ce sac, quelle sottise ! ...
+<cyrano> ... Mais quel geste !
+<distributrice> /me toussant derrière son petit comptoir
+<distributrice> Hum ! ...
+<MASTER> Cyrano et Le Bret se retournent.
+<distributrice> /me s'avance intimidée
+<distributrice> ... Monsieur... Vous savoir jeûner... le cœur me fend
+<distributrice> /me montrant le buffet
+<distributrice> J'ai là tout ce qu'il faut ...
+<distributrice> /me avec élan
+<distributrice> ... Prenez ! ...
+<cyrano> /me se découvrant
+<cyrano> ... Ma chère enfant,
+<cyrano> Encor que mon orgueil de Gascon m'interdise
+<cyrano> D'accepter de vos doigts la moindre friandise,
+<cyrano> J'ai trop peur qu'un refus ne vous soit un chagrin,
+<cyrano> Et j'accepterai donc ...
+<cyrano> /me va au buffet et choisit
+<cyrano> ... Oh ! peu de chose !--un grain
+<cyrano> De ce raisin ...
+<distributrice> /me veut lui donner la grappe
+<cyrano> /me cueille un grain
+<cyrano> ... Un seul ! ... ce verre d'eau ...
+<distributrice> /me veut y verser du vin,
+<cyrano> /me l'arrête
+<cyrano> ... limpide !
+<cyrano> --Et la moitié d'un macaron ! ...
+<cyrano> /me rend l'autre moitié.
+<lebret> ... Mais c'est stupide !
+<distributrice> Oh ! quelque chose encor ! ...
+<cyrano> ... Oui. La main à baiser.
+<cyrano> /me baise, comme la main d'une princesse, la main qu'elle lui tend.
+<distributrice> Merci, monsieur. ...
+<distributrice> /me révérence
+<distributrice> ... Bonsoir. ...
+<distributrice> /me sort.
+<distributrice> /part
+
+<MASTER> Scène 1.V.
+<MASTER> Cyrano, Le Bret, puis le portier.
+<cyrano> /me à Le Bret
+<cyrano> ... Je t'écoute causer.
+<cyrano> /me s'installe devant le buffet et rangeant devant lui le macaron ...
+<cyrano> Dîner ! ...
+<cyrano> /me ... le verre d'eau ...
+<cyrano> ... Boisson ! ...
+<cyrano> /me ... le grain de raisin
+<cyrano> ... Dessert ! ...
+<cyrano> /me s'assied
+<cyrano> ... Là, je me mets à table !
+<cyrano> --Ah ! ... j'avais une faim, mon cher, épouvantable !
+<cyrano> /me mangeant
+<cyrano> --Tu disais ? ...
+<lebret> ... Que ces fats aux grands airs belliqueux
+<lebret> Te fausseront l'esprit si tu n'écoutes qu'eux !
+<lebret> Va consulter des gens de bon sens, et t'informe
+<lebret> De l'effet qu'a produit ton algarade. ...
+<cyrano> /me achevant son macaron
+<cyrano> ... Énorme.
+<lebret> Le Cardinal ...
+<cyrano> /me s'épanouissant
+<cyrano> ... Il était là, le Cardinal ?
+<lebret> A dû trouver cela ...
+<cyrano> ... Mais très original.
+<lebret> Pourtant ...
+<cyrano> ... C'est un auteur. Il ne peut lui déplaire
+<cyrano> Que l'on vienne troubler la pièce d'un confrère.
+<lebret> Tu te mets sur les bras, vraiment, trop d'ennemis !
+<cyrano> /me attaquant son grain de raisin
+<cyrano> Combien puis-je, à peu près, ce soir, m'en être mis ?
+<lebret> Quarant'-huit. Sans compter les femmes. ...
+<cyrano> ... Voyons, compte !
+<lebret> Montfleury, le bourgeois, de Guiche, le vicomte,
+<lebret> Baro, l'Académie ...
+<cyrano> ... Assez ! tu me ravis !
+<lebret> Mais où te mènera la façon dont tu vis ?
+<lebret> Quel système est le tien ? ...
+<cyrano> ... J'errais dans un méandre;
+<cyrano> J'avais trop de partis, trop compliqués, à prendre;
+<cyrano> J'ai pris ...
+<lebret> ... Lequel ? ...
+<cyrano> ... Mais le plus simple, de beaucoup.
+<cyrano> J'ai décidé d'être admirable, en tout, pour tout !
+<lebret> /me haussant les épaules
+<lebret> Soit !--Mais enfin, à moi, le motif de ta haine
+<lebret> Pour Montfleury, le vrai, dis-le-moi ! ...
+<cyrano> /me se levant
+<cyrano> ... Ce Silène,
+<cyrano> Si ventru que son doigt n'atteint pas son nombril,
+<cyrano> Pour les femmes encor se croit un doux péril,
+<cyrano> Et leur fait, cependant qu'en jouant il bredouille,
+<cyrano> Des yeux de carpe avec ses gros yeux de grenouille !
+<cyrano> Et je le hais depuis qu'il se permit, un soir,
+<cyrano> De poser son regard, sur celle... Oh !j'ai cru voir
+<cyrano> Glisser sur une fleur une longue limace !
+<lebret> /me stupéfait
+<lebret> Hein ? Comment ? Serait-il possible ? ...
+<cyrano> /me avec un rire amer
+<cyrano> ... Que j'aimasse ?
+<cyrano> /me changeant de ton et gravement
+<cyrano> J'aime. ...
+<lebret> ... Et peut-on savoir ? tu ne m'as jamais dit ?
+<cyrano> Qui j'aime ? ... Réfléchis, voyons. Il m'interdit
+<cyrano> Le rêve d'être aimé même par une laide,
+<cyrano> Ce nez qui d'un quart d'heure en tous lieux me précède;
+<cyrano> Alors, moi, j'aime qui ? ... Mais cela va de soi !
+<cyrano> J'aime--mais c'est forcé !--la plus belle qui soit !
+<lebret> La plus belle ? ...
+<cyrano> ... Tout simplement, qui soit au monde !
+<cyrano> La plus brillante, la plus fine, ...
+<cyrano> /me avec accablement
+<cyrano> ... la plus blonde !
+<lebret> Eh ! mon Dieu, quelle est donc cette femme ? ...
+<cyrano> ... Un danger
+<cyrano> Mortel sans le vouloir, exquis sans y songer,
+<cyrano> Un piège de nature, une rose muscade
+<cyrano> Dans laquelle l'amour se tient en embuscade !
+<cyrano> Qui connaît son sourire a connu le parfait.
+<cyrano> Elle fait de la grâce avec rien, elle fait
+<cyrano> Tenir tout le divin dans un geste quelconque,
+<cyrano> Et tu ne saurais pas, Vénus, monter en conque,
+<cyrano> Ni toi, Diane, marcher dans les grands bois fleuris,
+<cyrano> Comme elle monte en chaise et marche dans Paris !
+<lebret> Sapristi ! je comprends. C'est clair ! ...
+<cyrano> ... C'est diaphane.
+<lebret> Magdeleine Robin, ta cousine ? ...
+<cyrano> ... Oui,--Roxane.
+<lebret> Eh bien, mais c'est au mieux ! Tu l'aimes ? Dis-le-lui !
+<lebret> Tu t'es couvert de gloire à ses yeux aujourd'hui !
+<cyrano> Regarde-moi, mon cher, et dis quelle espérance
+<cyrano> Pourrait bien me laisser cette protubérance !
+<cyrano> Oh ! je ne me fais pas d'illusion !--Parbleu,
+<cyrano> Oui, quelquefois, je m'attendris, dans le soir bleu;
+<cyrano> J'entre en quelque jardin où l'heure se parfume;
+<cyrano> Avec mon pauvre grand diable de nez je hume
+<cyrano> L'avril,--je suis des yeux, sous un rayon d'argent,
+<cyrano> Au bras d'un cavalier, quelque femme, en songeant
+<cyrano> Que pour marcher, à petits pas, dans de la lune,
+<cyrano> Aussi moi j'aimerais au bras en avoir une,
+<cyrano> Je m'exalte, j'oublie et j'aperçois soudain
+<cyrano> L'ombre de mon profil sur le mur du jardin !
+<lebret> /me ému
+<lebret> Mon ami ! ...
+<cyrano> ... Mon ami, j'ai de mauvaises heures !
+<cyrano> De me sentir si laid, parfois, tout seul ...
+<lebret> /me vivement, lui prenant la main
+<lebret> ... Tu pleures ?
+<cyrano> Ah ! non, cela, jamais ! Non, ce serait trop laid,
+<cyrano> Si le long de ce nez une larme coulait !
+<cyrano> Je ne laisserai pas, tant que j'en serai maître,
+<cyrano> La divine beauté des larmes se commettre
+<cyrano> Avec tant de laideur grossière ! ... Vois-tu bien,
+<cyrano> Les larmes, il n'est rien de plus sublime, rien,
+<cyrano> Et je ne voudrais pas qu'excitant la risée,
+<cyrano> Une seule, par moi, fût ridiculisée !
+<lebret> Va, ne t'attriste pas ! L'amour n'est que hasard !
+<cyrano> /me secouant la tête
+<cyrano> Non ! J'aime Cléopâtre : ai-je l'air d'un César ?
+<cyrano> J'adore Bérénice : ai-je l'aspect d'un Tite ?
+<lebret> Mais ton courage ! ton esprit !--Cette petite
+<lebret> Qui t'offrait là, tantôt, ce modeste repas,
+<lebret> Ses yeux, tu l'as bien vu, ne te détestaient pas !
+<cyrano> /me saisi
+<cyrano> C'est vrai ! ...
+<lebret> ... Hé ! bien ! alors ? ... Mais, Roxane, elle-même,
+<lebret> Toute blême a suivi ton duel ! ...
+<cyrano> ... Toute blême ?
+<lebret> Son cœur et son esprit déjà sont étonnés !
+<lebret> Ose, et lui parle, afin ...
+<cyrano> ... Qu'elle me rie au nez ?
+<cyrano> Non !--C'est la seule chose au monde que je craigne !
+<portier> /join
+<portier> /me introduisant quelqu'un à Cyrano
+<portier> Monsieur, on vous demande ...
+<cyrano> /me voyant la duègne
+<cyrano> ... Ah ! mon Dieu ! Sa duègne !
+<portier> /part
+<MASTER> Scène 1.VI.
+<MASTER> Cyrano, Le Bret, la duègne.
+<duegne> /join
+<duegne> /me avec un grand salut
+<duegne> De son vaillant cousin on désire savoir
+<duegne> Où l'on peut, en secret, le voir. ...
+<cyrano> /me bouleversé
+<cyrano> ... Me voir ? ...
+<duegne> /me avec une révérence
+<duegne> ... Vous voir.
+<duegne> --On a des choses à vous dire. ...
+<cyrano> ... Des ? ...
+<duegne> /me nouvelle révérence
+<duegne> ... Des choses !
+<cyrano> /me chancelant
+<cyrano> Ah, mon Dieu ! ...
+<duegne> ... L'on ira, demain, aux primes roses
+<duegne> D'aurore,--ouïr la messe à Saint-Roch. ...
+<cyrano> /me se soutenant sur Le Bret
+<cyrano> ... Ah ! mon Dieu !
+<duegne> En sortant,--où peut-on entrer, causer un peu ?
+<cyrano> /me affolé
+<cyrano> Où ? ... Je... mais... Ah ! mon Dieu ! ...
+<duegne> ... Dites vite. ...
+<cyrano> ... Je cherche !
+<duegne> Où ? ...
+<cyrano> ... Chez... chez... Ragueneau... le pâtissier ...
+<duegne> ... Il perche ?
+<cyrano> Dans la rue--Ah ! mon Dieu, mon Dieu !--Saint-Honoré !
+<duegne> /me remontant
+<duegne> On ira. Soyez-y. Sept heures. ...
+<cyrano> ... J'y serai.
+<MASTER> La duègne sort.
+<duegne> /part
+
+<MASTER> Scène 1.VII.
+<MASTER> Cyrano, Le Bret, puis les comédiens, les comédiennes, Cuigy, Brissaille,
+<MASTER> Lignière, le portier, les violons.)
+<cyrano> /me tombant dans les bras de Le Bret
+<cyrano> Moi ! ... D'elle ! ... Un rendez-vous ! ...
+<lebret> ... Eh bien ! tu n'es plus triste ?
+<cyrano> Ah ! pour quoi que ce soit, elle sait que j'existe !
+<lebret> Maintenant, tu vas être calme ? ...
+<cyrano> /me hors de lui
+<cyrano> ... Maintenant
+<cyrano> Mais je vais être frénétique et fulminant !
+<cyrano> Il me faut une armée entière a déconfire !
+<cyrano> J'ai dix cœurs; j'ai vingt bras; il ne peut me suffire
+<cyrano> De pourfendre des nains ...
+<cyrano> /me crie à tue-tête
+<cyrano> ... Il me faut des géants !
+<MASTER> Depuis un moment, sur la scène, au fond, des ombres de comédiens et
+<MASTER> de comédiennes s'agitent, chuchotent : on commence à répéter. Les
+<MASTER> violons ont repris leur place.
+<voix5> /me de la scène
+<voix5> Hé ! psit ! là-bas ! Silence ! on répète céans !
+<cyrano> /me riant
+<cyrano> Nous partons ! ...
+<cyrano> /me remonte.
+<voix5> /part
+<MASTER> par la grande porte du fond; entrent Cuigy, Brissaille,
+<MASTER> plusieurs officiers, qui soutiennent Lignière complètement ivre.
+<cuigy> /join
+<brissaille> /join
+<ligniere> /join
+<cuigy> ... Cyrano ! ...
+<cyrano> ... Qu'est-ce ? ...
+<cuigy> ... Une énorme grive
+<cuigy> Qu'on t'apporte ! ...
+<cyrano> /me le reconnaissant
+<cyrano> ... Lignière ! ... Hé, qu'est-ce qui t'arrive ?
+<cuigy> Il te cherche ! ...
+<brissaille> ... Il ne peut rentrer chez lui ! ...
+<cyrano> ... Pourquoi ?
+<ligniere> /me d'une voix pâteuse, lui montrant un billet tout chiffonné
+<ligniere> Ce billet m'avertit... cent hommes contre moi
+<ligniere> À cause de... chanson... grand danger me menace
+<ligniere> Porte de Nesle... Il faut, pour rentrer, que j'y passe
+<ligniere> Permets-moi donc d'aller coucher sous... sous ton toit !
+<cyrano> Cent hommes, m'as-tu dit ? Tu coucheras chez toi !
+<ligniere> /me épouvanté
+<ligniere> Mais ...
+<cyrano> /me d'une voix terrible, lui montrant la lanterne allumée que le
+<cyrano> /me portier balance en écoutant curieusement cette scène
+<cyrano> ... Prends cette lanterne ! ...
+<ligniere> /me saisit précipitamment la lanterne
+<cyrano> ... Et marche !--Je te jure
+<cyrano> Que c'est moi qui ferai ce soir ta couverture !
+<cyrano> /me aux officiers
+<cyrano> Vous, suivez à distance, et vous serez témoins !
+<cuigy> Mais cent hommes ! ...
+<cyrano> ... Ce soir, il ne m'en faut pas moins !
+<MASTER> Les comédiens et les comédiennes, descendus de scène, se sont
+<MASTER> rapprochés dans leurs divers costumes.
+<comedienne1> /join
+<comedienne2> /join
+<comedienne3> /join
+<jodelet> /join
+<lebret> Mais pourquoi protéger ...
+<cyrano> ... Voilà Le Bret qui grogne !
+<lebret> Cet ivrogne banal ? ...
+<cyrano> /me frappant sur l'épaule de Lignière
+<cyrano> ... Parce que cet ivrogne,
+<cyrano> Ce tonneau de muscat, ce fût de rossoli,
+<cyrano> Fit quelque chose un jour de tout à fait joli :
+<cyrano> Au sortir d'une messe ayant, selon le rite,
+<cyrano> Vu celle qu'il aimait prendre de l'eau bénite,
+<cyrano> Lui que l'eau fait sauver, courut au bénitier,
+<cyrano> Se pencha sur sa conque et le but tout entier !
+<comedienne1> /me en costume de soubrette
+<comedienne1> Tiens, c'est gentil, cela ! ...
+<cyrano> ... N'est-ce pas, la soubrette ?
+<comedienne1> /me aux autres
+<comedienne1> Mais pourquoi sont-ils cent contre un pauvre poète ?
+<cyrano> Marchons ! ...
+<cyrano> /me aux officiers
+<cyrano> ... Et vous, messieurs, en me voyant charger,
+<cyrano> Ne me secondez pas, quel que soit le danger !
+<comedienne2> /me sautant de la scène
+<comedienne2> Oh ! mais, moi, je vais voir ! ...
+<cyrano> ... Venez ! ...
+<comedienne3> /me sautant aussi, à un vieux comédien
+<comedienne3> ... Viens-tu, Cassandre ?
+<cyrano> Venez tous, le Docteur, Isabelle, Léandre,
+<cyrano> Tous ! Car vous allez joindre, essaim charmant et fol,
+<cyrano> La farce italienne à ce drame espagnol,
+<cyrano> Et, sur son ronflement tintant un bruit fantasque,
+<cyrano> L'entourer de grelots comme un tambour de basque !
+<femmes> /me sautant de joie
+<femmes> Bravo !--Vite, une mante !--Un capuchon ! ...
+<jodelet> ... Allons !
+<cyrano> /me aux violons
+<cyrano> Vous nous jouerez un air, messieurs les violons !
+<MASTER> Les violons se joignent au cortège qui se forme. On s'empare des
+<MASTER> chandelles allumées de la rampe et on se les distribue. Cela devient
+<MASTER> une retraite aux flambeaux
+<cyrano> Bravo ! des officiers, des femmes en costume,
+<cyrano> Et, vingt pas en avant ...
+<cyrano> /me se place comme il dit
+<cyrano> ... Moi, tout seul, sous la plume
+<cyrano> Que la gloire elle-même à ce feutre piqua,
+<cyrano> Fier comme un Scipion triplement Nasica !
+<cyrano> --C'est compris ? Défendu de me prêter main-forte !--
+<cyrano> On y est ? ... Un, deux, trois ! Portier, ouvre la porte !
+<MASTER> Le portier ouvre à deux battants. Un coin du vieux Paris pittoresque
+<MASTER> et lunaire paraît
+<cyrano> Ah ! ... Paris fuit, nocturne et quasi nébuleux;
+<cyrano> Le clair de lune coule aux pentes des toits bleus;
+<cyrano> Un cadre se prépare, exquis, pour cette scène;
+<cyrano> Là-bas, sous des vapeurs en écharpe, la Seine,
+<cyrano> Comme un mystérieux et magique miroir,
+<cyrano> Tremble... Et vous allez voir ce que vous allez voir !
+<salle> À la porte de Nesle ! ...
+<cyrano> /me debout sur le seuil
+<cyrano> ... À la porte de Nesle !
+<cyrano> /me se retournant avant de sortir, à la soubrette
+<cyrano> Ne demandiez-vous pas pourquoi, mademoiselle,
+<cyrano> Contre ce seul rimeur cent hommes furent mis ?
+<cyrano> /me tire l'épée et, tranquillement
+<cyrano> C'est parce qu'on savait qu'il est de mes amis !
+<cyrano> /me sort.
+<cyrano> /part
+<MASTER> Le cortège,--Lignière zigzaguant en tête,--puis les
+<MASTER> comédiennes aux bras des officiers,--puis les comédiens gambadant,--se
+<MASTER> met en marche dans la nuit au son des violons, et à la lueur falote
+<MASTER> des chandelles.
+<ligniere> /part
+<lebret> /part
+<comedienne1> /part
+<cuigy> /part
+<brissaille> /part
+<comedienne2> /part
+<comedienne3> /part
+<jodelet> /part
+<femmes> /part
+<salle> /part
+<violons> /part
+<chefviolons> /part
+<MASTER> Rideau.
+
+
+<MASTER> Acte II.
+<MASTER> La Rôtisserie Des Poètes.
+<MASTER> La boutique de Ragueneau, rôtisseur-pâtissier, vaste ouvroir au coin
+<MASTER> de la rue Saint-Honoré et de la rue de l'Arbre-Sec qu'on aperçoit
+<MASTER> largement au fond, par le vitrage de la porte, grises dans les
+<MASTER> premières lueurs de l'aube.
+<MASTER> À gauche, premier plan, comptoir surmonté d'un dais en fer forgé,
+<MASTER> auquel sont accrochés des oies, des canards, des paons blancs. Dans de
+<MASTER> grands vases de faïence de hauts bouquets de fleurs naïves,
+<MASTER> principalement des tournesols jaunes. Du même côté, second plan,
+<MASTER> immense cheminée devant laquelle, entre de monstrueux chenets, dont
+<MASTER> chacun supporte une petite marmite, les rôtis pleurent dans les
+<MASTER> lèchefrites.
+<MASTER> À droite, premier plan avec porte. Deuxième plan, un escalier montant
+<MASTER> à une petite salle en soupente, dont on aperçoit l'intérieur par des
+<MASTER> volets ouverts; une table y est dressée, un menu lustre flamand y
+<MASTER> luit : c'est un réduit où l'on va manger et boire. Une galerie de bois,
+<MASTER> faisant suite à l'escalier, semble mener à d'autres petites salles
+<MASTER> analogues.
+<MASTER> Au milieu de la rôtisserie, un cercle en fer que l'on peut faire
+<MASTER> descendre avec une corde, et auquel de grosses pièces sont accrochées,
+<MASTER> fait un lustre de gibier.
+<MASTER> Les fours, dans l'ombre, sous l'escalier, rougeoient. Des cuivres
+<MASTER> étincellent. Des broches tournent. Des pièces montées pyramident, des
+<MASTER> jambons pendent. C'est le coup de feu matinal. Bousculade de marmitons
+<MASTER> effarés, d'énormes cuisiniers et de minuscules gâte-sauces.
+<MASTER> Foisonnement de bonnets à plume de poulet ou à aile de pintade. On
+<MASTER> apporte, sur des plaques de tôle et des clayons d'osier, des
+<MASTER> quinconces de brioches, des villages de petits-fours.
+<MASTER> Des tables sont couvertes de gâteaux et de plats. D'autres, entourées
+<MASTER> de chaises, attendent les mangeurs et les buveurs. Une plus petite,
+<MASTER> dans un coin, disparaît sous les papiers. Ragueneau y est assis au
+<MASTER> lever du rideau; il écrit.
+<MASTER> Scène 2.I.
+<MASTER> Ragueneau, pâtissiers, puis Lise; Ragueneau, à la petite table,
+<MASTER> écrivant d'un air inspiré, et comptant sur ses doigts.
+<ragueneau> /join
+<cuisinier> /join
+<patissier1> /join
+<patissier1> /me apportant une pièce montée
+<patissier1> Fruits en nougat ! ...
+<patissier2> /join
+<patissier2> /me apportant un plat
+<patissier2> ... Flan ! ...
+<patissier3> /join
+<patissier3> /me apportant un rôti paré de plumes
+<patissier3> ... Paon ! ...
+<patissier4> /join
+<patissier4> /me apportant une plaque de gâteaux
+<patissier4> ... Roinsoles ! ...
+<patissier5> /join
+<patissier5> /me apportant une sorte de terrine
+<patissier5> ... Bœuf en daube !
+<ragueneau> /me cessant d'écrire et levant la tête
+<ragueneau> Sur les cuivres, déjà, glisse l'argent de l'aube !
+<ragueneau> Étouffe en toi le dieu qui chante, Ragueneau !
+<ragueneau> L'heure du luth viendra,--c'est l'heure du fourneau !
+<ragueneau> /me se lève. À un cuisinier
+<ragueneau> Vous, veuillez m'allonger cette sauce, elle est courte !
+<cuisinier> De combien ? ...
+<ragueneau> ... De trois pieds. ...
+<ragueneau> /me passe.
+<cuisinier> ... Hein ? ...
+<patissier1> ... La tarte ! ...
+<patissier2> ... La tourte !
+<ragueneau> /me devant la cheminée
+<ragueneau> Ma Muse, éloigne-toi, pour que tes yeux charmants
+<ragueneau> N'aillent pas se rougir au feu de ces sarments !
+<ragueneau> /me à un pâtissier, lui montrant des pains
+<ragueneau> Vous avez mal placé la fente de ces miches :
+<ragueneau> Au milieu la césure,--entre les hémistiches !
+<ragueneau> /me à un autre, lui montrant un pâté inachevé
+<ragueneau> À ce palais de croûte, il faut, vous, mettre un toit
+<ragueneau> /me à un jeune apprenti, qui, assis par terre, embroche des volailles
+<ragueneau> Et toi, sur cette broche interminable, toi,
+<ragueneau> Le modeste poulet et la dinde superbe,
+<ragueneau> Alterne-les, mon fils, comme le vieux Malherbe
+<ragueneau> Alternait les grands vers avec les plus petits,
+<ragueneau> Et fais tourner au feu des strophes de rôtis !
+<patissier1> /part
+<patissier2> /part
+<patissier3> /part
+<patissier4> /part
+<patissier5> /part
+<cuisinier> /part
+<apprenti> /join
+<apprenti> /me s'avançant avec un plateau recouvert d'une assiette
+<apprenti> Maître, en pensant à vous, dans le four, j'ai fait cuire
+<apprenti> Ceci, qui vous plaira, je l'espère. ...
+<apprenti> /me découvre le plateau, on voit une grande lyre de pâtisserie.
+<ragueneau> /me ébloui
+<ragueneau> ... Une lyre !
+<apprenti> En pâte de brioche. ...
+<ragueneau> /me ému
+<ragueneau> ... Avec des fruits confits !
+<apprenti> Et les cordes, voyez, en sucre je les fis.
+<ragueneau> /me lui donnant de l'argent
+<ragueneau> Va boire à ma santé ! ...
+<lise> /join
+<ragueneau> /me apercevant Lise qui entre
+<ragueneau> ... Chut ! ma femme ! Circule,
+<ragueneau> Et cache cet argent ! ...
+<apprenti> /part
+<ragueneau> /me à Lise, lui montrant la lyre d'un air gêné
+<ragueneau> ... C'est beau ? ...
+<lise> ... C'est ridicule !
+<lise> /me pose sur le comptoir une pile de sacs en papier.
+<ragueneau> Des sacs ? ... Bon. Merci. ...
+<ragueneau> /me les regarde
+<ragueneau> ... Ciel ! Mes livres vénérés !
+<ragueneau> Les vers de mes amis ! déchirés ! démembrés !
+<ragueneau> Pour en faire des sacs à mettre des croquantes
+<ragueneau> Ah ! vous renouvelez Orphée et les bacchantes !
+<lise> /me sèchement
+<lise> Et n'ai-je pas le droit d'utiliser vraiment
+<lise> Ce que laissent ici, pour unique paiement,
+<lise> Vos méchants écriveurs de lignes inégales !
+<ragueneau> Fourmi ! ... n'insulte pas ces divines cigales !
+<lise> Avant de fréquenter ces gens-là, mon ami,
+<lise> Vous ne m'appeliez pas bacchante,--ni fourmi !
+<ragueneau> Avec des vers, faire cela ! ...
+<lise> ... Pas autre chose.
+<ragueneau> Que faites-vous, alors, madame, avec la prose ?
+
+<MASTER> Scène 2.II.
+<MASTER> Les mêmes, deux enfants, qui viennent d'entrer dans la pâtisserie.
+<enfant1> /join
+<enfant2> /join
+<ragueneau> Vous désirez, petits ? ...
+<enfant1> ... Trois pâtés. ...
+<ragueneau> /me les servant
+<ragueneau> ... Là, bien roux
+<ragueneau> Et bien chauds. ...
+<enfant2> ... S'il vous plaît, enveloppez-les-nous ?
+<ragueneau> /me saisi, à part
+<ragueneau> Hélas ! un de mes sacs ! ...
+<ragueneau> /me aux enfants
+<ragueneau> ... Que je les enveloppe ?
+<ragueneau> /me prend un sac et au moment d'y mettre les pâtés, il lit
+<ragueneau> Tel Ulysse, le jour qu'il quitta Pénélope
+<ragueneau> Pas celui-ci ! ...
+<ragueneau> /me le met de côté et en prend un autre. Au moment d'y mettre les
+<ragueneau> /me pâtés, il lit
+<ragueneau> ... Le blond Phœbus... Pas celui-là !
+<ragueneau> /me même jeu.
+<lise> /me impatientée
+<lise> Eh bien ! qu'attendez-vous ? ...
+<ragueneau> ... Voilà, voilà, voilà !
+<ragueneau> /me en prend un troisième et se résigne
+<ragueneau> Le sonnet à Philis ! ... mais c'est dur tout de même !
+<lise> C'est heureux qu'il se soit décidé ! ...
+<lise> /me haussant les épaules
+<lise> ... Nicodème !
+<lise> /me monte sur une chaise et se met à ranger des plats sur une crédence.
+<ragueneau> /me profitant de ce qu'elle tourne le dos, rappelle les enfants
+<ragueneau> /me déjà à la porte
+<ragueneau> Psit ! ... Petits ! ... Rendez-moi le sonnet à Philis,
+<ragueneau> Au lieu de trois pâtés je vous en donne six.
+<MASTER> Les enfants lui rendent le sac, prennent vivement les gâteaux et
+<MASTER> sortent.
+<enfant1> /part
+<enfant2> /part
+<MASTER> Ragueneau, défripant le papier, se met à lire en déclamant
+<ragueneau> Philis ! ... Sur ce doux nom, une tache de beurre !
+<ragueneau> Philis ! ...
+<cyrano> /join
+<cyrano> /me entre brusquement.
+
+<MASTER> Scène 2.III.
+<MASTER> Ragueneau, Lise, Cyrano, puis le mousquetaire.
+<cyrano> ... Quelle heure est-il ? ...
+<ragueneau> /me le saluant avec empressement
+<ragueneau> ... Six heures. ...
+<cyrano> /me avec émotion
+<cyrano> ... Dans une heure !
+<cyrano> /me va et vient dans la boutique.
+<ragueneau> /me le suivant
+<ragueneau> Bravo ! J'ai vu ...
+<cyrano> ... Quoi donc ! ...
+<ragueneau> ... Votre combat ! ...
+<cyrano> ... Lequel ?
+<ragueneau> Celui de l'hôtel de Bourgogne ! ...
+<cyrano> /me avec dédain
+<cyrano> ... Ah ! ... Le duel !
+<ragueneau> /me admiratif
+<ragueneau> Oui, le duel en vers ! ...
+<lise> ... Il en a plein la bouche !
+<cyrano> Allons ! tant mieux ! ...
+<ragueneau> /me se fendant avec une broche qu'il a saisi
+<ragueneau> ... À la fin de l'envoi, je touche !
+<ragueneau> À la fin de l'envoi, je touche ! ... Que c'est beau !
+<ragueneau> /me avec un enthousiasme croissant
+<ragueneau> À la fin de l'envoi ...
+<cyrano> ... Quelle heure, Ragueneau ?
+<ragueneau> /me restant fendu pour regarder l'horloge
+<ragueneau> Six heures cinq ! ... je touche ! ...
+<ragueneau> /me se relève
+<ragueneau> ... Oh ! faire une ballade !
+<lise> /me à Cyrano, qui en passant devant son comptoir lui a serré
+<lise> /me distraitement la main
+<lise> Qu'avez-vous à la main ? ...
+<cyrano> ... Rien. Une estafilade.
+<ragueneau> Courûtes-vous quelque péril ? ...
+<cyrano> ... Aucun péril.
+<lise> /me le menaçant du doigt
+<lise> Je crois que vous mentez ! ...
+<cyrano> ... Mon nez remuerait-il ?
+<cyrano> Il faudrait que ce fût pour un mensonge énorme !
+<cyrano> /me changeant de ton
+<cyrano> J'attends ici quelqu'un. Si ce n'est pas sous l'orme,
+<cyrano> Vous nous laisserez seuls. ...
+<ragueneau> ... C'est que je ne peux pas;
+<ragueneau> Mes rimeurs vont venir ...
+<lise> /me ironique
+<lise> ... Pour leur premier repas.
+<cyrano> Tu les éloigneras quand je te ferai signe
+<cyrano> L'heure ? ...
+<ragueneau> ... Six heures dix. ...
+<cyrano> /me s'asseyant nerveusement à la table de Ragueneau et prenant du
+<cyrano> /me papier
+<cyrano> ... Une plume ? ...
+<ragueneau> /me lui offrant celle qu'il a à son oreille
+<ragueneau> ... De cygne.
+<mousquetaire> /join
+<mousquetaire> /me superbement moustachu, entre et d'une voix de stentor
+<mousquetaire> Salut ! ...
+<lise> /me remonte vivement vers lui.
+<cyrano> /me se retournant
+<cyrano> ... Qu'est-ce ? ...
+<ragueneau> ... Un ami de ma femme. Un guerrier
+<ragueneau> Terrible,--à ce qu'il dit ! ...
+<cyrano> /me reprenant la plume et éloignant du geste Ragueneau
+<cyrano> ... Chut ! ...
+<cyrano> ... Écrire,--plier,--
+<cyrano> /me à lui-même
+<cyrano> Lui donner,--me sauver ...
+<cyrano> /me jetant la plume
+<cyrano> ... Lâche ! ... Mais que je meure,
+<cyrano> Si j'ose lui parler, lui dire un seul mot ...
+<cyrano> /me à Ragueneau
+<cyrano> ... L'heure ?
+<ragueneau> Six et quart ! ...
+<cyrano> /me frappant sa poitrine
+<cyrano> ... --un seul mot de tous ceux que j'ai là !
+<cyrano> Tandis qu'en écrivant ...
+<cyrano> /me reprend la plume
+<cyrano> ... Eh bien ! écrivons-la,
+<cyrano> Cette lettre d'amour qu'en moi-même j'ai faite
+<cyrano> Et refaite cent fois, de sorte qu'elle est prête,
+<cyrano> Et que mettant mon âme à côté du papier,
+<cyrano> Je n'ai tout simplement qu'à la recopier.
+<cyrano> /me écrit.
+<MASTER> Derrière le vitrage de la porte on voit s'agiter des
+<MASTER> silhouettes maigres et hésitantes.
+
+<MASTER> Scène 2.IV.
+<MASTER> Ragueneau, Lise, le mousquetaire, Cyrano, à la petite table, écrivant,
+<MASTER> les poètes, vêtus de noir, les bas tombants, couverts de boue.
+<lise> /me entrant, à Ragueneau
+<lise> Les voici vos crottés ! ...
+<poetes> /join
+<poete1> /join
+<poete1> /me entrant, à Ragueneau
+<poete1> ... Confrère ! ...
+<poete2> /join
+<poete2> /me de même, lui secouant les mains
+<poete2> ... Cher confrère !
+<poete3> /join
+<poete3> Aigle des pâtissiers ! ...
+<poete3> /me renifle
+<poete3> ... Ça sent bon dans votre aire,
+<poete4> /join
+<poete4> O Phœbus-Rôtisseur ! ...
+<poete5> /join
+<poete5> ... Apollon maître-queux !
+<ragueneau> /me entouré, embrassé, secoué
+<ragueneau> Comme on est tout de suite à son aise avec eux !
+<poete1> Nous fûmes retardés par la foule attroupée
+<poete1> À la porte de Nesle ! ...
+<poete2> ... Ouverts à coups d'épée,
+<poete2> Huit malandrins sanglants illustraient les pavés !
+<cyrano> /me levant une seconde la tête
+<cyrano> Huit ? ... Tiens, je croyais sept. ...
+<cyrano> /me reprend sa lettre.
+<ragueneau> /me à Cyrano
+<ragueneau> ... Est-ce que vous savez
+<ragueneau> Le héros du combat ? ...
+<cyrano> /me négligemment
+<cyrano> ... Moi ? ... Non ! ...
+<lise> /me au mousquetaire
+<lise> ... Et vous ? ...
+<mousquetaire> /me se frisant la moustache
+<mousquetaire> ... Peut-être !
+<cyrano> /me écrivant, à part,--on l'entend murmurer de temps en temps
+<cyrano> Je vous aime ...
+<poete1> ... Un seul homme, assurait-on, sut mettre
+<poete1> Toute une bande en fuite ! ...
+<poete2> ... Oh ! c'était curieux !
+<poete2> Des piques, des bâtons jonchaient le sol ! ...
+<cyrano> /me écrivant
+<cyrano> ... vos yeux
+<poete3> On trouvait des chapeaux jusqu'au quai des Orfèvres !
+<poete1> Sapristi ! ce dut être un féroce ...
+<cyrano> /me même jeu
+<cyrano> ... vos lèvres
+<poete1> Un terrible géant, l'auteur de ces exploits !
+<cyrano> /me même jeu
+<cyrano> Et je m'évanouis de peur quand je vous vois.
+<poete2> /me happant un gâteau
+<poete2> Qu'as-tu rimé de neuf, Ragueneau ? ...
+<cyrano> /me même jeu
+<cyrano> ... qui vous aime
+<cyrano> /me s'arrête au moment de signer, et se lève, mettant sa lettre dans
+<cyrano> /me son pourpoint
+<cyrano> Pas besoin de signer. Je la donne moi-même.
+<ragueneau> /me au deuxième poète
+<ragueneau> J'ai mis une recette en vers. ...
+<poete3> /me s'installant près d'un plateau de choux à la crème
+<poete3> ... Oyons ces vers !
+<poete4> /me regardant une brioche qu'il a prise
+<poete4> Cette brioche a mis son bonnet de travers.
+<poete4> /me la décoiffe d'un coup de dent.
+<poete1> Ce pain d'épice suit le rimeur famélique,
+<poete1> De ses yeux en amande aux sourcils d'angélique !
+<poete1> /me happe le morceau de pain d'épice.
+<poete2> Nous écoutons. ...
+<poete3> /me serrant légèrement un chou entre ses doigts
+<poete3> ... Ce chou bave sa crème. Il rit.
+<poete2> /me mordant à même la grande lyre de pâtisserie
+<poete2> Pour la première fois la Lyre me nourrit !
+<ragueneau> /me qui s'est préparé à réciter, qui a toussé, assuré son bonnet,
+<ragueneau> /me pris une pose
+<ragueneau> Une recette en vers ...
+<poete2> /me au premier, lui donnant un coup de coude
+<poete2> ... Tu déjeunes ? ...
+<poete1> /me au deuxième
+<poete1> ... Tu dînes !
+<ragueneau> Comment on fait les tartelettes amandines.
+<ragueneau> Battez, pour qu'ils soient mousseux,
+<ragueneau> Quelques œufs;
+<ragueneau> Incorporez à leur mousse
+<ragueneau> Un jus de cédrat choisi;
+<ragueneau> Versez-y
+<ragueneau> Un bon lait d'amande douce;
+<ragueneau> Mettez de la pâte à flan
+<ragueneau> Dans le flanc
+<ragueneau> De moules à tartelette;
+<ragueneau> D'un doigt preste, abricotez
+<ragueneau> Les côtés;
+<ragueneau> Versez goutte à gouttelette
+<ragueneau> Votre mousse en ces puits, puis
+<ragueneau> Que ces puits
+<ragueneau> Passent au four, et, blondines,
+<ragueneau> Sortant en gais troupelets,
+<ragueneau> Ce sont les
+<ragueneau> Tartelettes amandines !
+<poetes> /me la bouche pleine
+<poetes> Exquis ! Délicieux ! ...
+<poete1> /me s'étouffant
+<poete1> ... Homph ! ...
+<MASTER> Ils remontent vers le fond, en mangeant.
+<cyrano> /me qui a observé s'avance vers Ragueneau
+<cyrano> ... Bercés par ta voix,
+<cyrano> Ne vois-tu pas comme ils s'empiffrent ? ...
+<ragueneau> /me plus bas, avec un sourire
+<ragueneau> ... Je le vois
+<ragueneau> Sans regarder, de peur que cela ne les trouble;
+<ragueneau> Et dire ainsi mes vers me donne un plaisir double,
+<ragueneau> Puisque je satisfais un doux faible que j'ai
+<ragueneau> Tout en laissant manger ceux qui n'ont pas mangé !
+<cyrano> /me lui frappant sur l'épaule
+<cyrano> Toi, tu me plais ! ...
+<ragueneau> /me va rejoindre ses amis
+<cyrano> /me le suit des yeux, puis, un peu brusquement
+<cyrano> ... Hé là, Lise ? ...
+<lise> /me en conversation tendre avec le mousquetaire, tressaille et
+<lise> /me descend vers Cyrano
+<cyrano> ... Ce capitaine
+<cyrano> Vous assiège ? ...
+<lise> /me offensée
+<lise> ... Oh ! mes yeux, d'une œillade hautaine,
+<lise> Savent vaincre quiconque attaque mes vertus.
+<cyrano> Euh ! pour des yeux vainqueurs, je les trouve battus.
+<lise> /me suffoquée
+<lise> Mais ...
+<cyrano> /me nettement
+<cyrano> ... Ragueneau me plaît. C'est pourquoi, dame Lise,
+<cyrano> Je défends que quelqu'un le ridicoculise.
+<lise> Mais ...
+<cyrano> /me qui a élevé la voix assez pour être entendu du galant
+<cyrano> ... À bon entendeur ...
+<cyrano> /me salue le mousquetaire, et va se mettre en observation, à la porte
+<cyrano> /me du fond, après avoir regardé l'horloge.
+<lise> /me au mousquetaire qui a simplement rendu son salut à Cyrano
+<lise> ... Vraiment, vous m'étonnez !
+<lise> Répondez... sur son nez ...
+<mousquetaire> ... Sur son nez... sur son nez
+<mousquetaire> /me s'éloigne vivement
+<mousquetaire> /part
+<lise> /me le suit.
+<lise> /part
+<cyrano> /me de la porte du fond, faisant signe à Ragueneau d'emmener les
+<cyrano> /me poètes
+<cyrano> Psit ! ...
+<ragueneau> /me montrant aux poètes la porte de droite
+<ragueneau> ... Nous serons bien mieux par là ...
+<cyrano> /me s'impatientant
+<cyrano> ... Psit ! psit ! ...
+<ragueneau> /me les entraînant
+<ragueneau> ... Pour lire
+<ragueneau> Des vers ...
+<poete1> /me désespéré, la bouche pleine
+<poete1> ... Mais les gâteaux ! ...
+<poete2> ... Emportons-les ! ...
+<poete1> /part
+<poete2> /part
+<poete3> /part
+<poete4> /part
+<poete5> /part
+<poetes> /part
+<ragueneau> /part
+<MASTER> Ils sortent tous derrière Ragueneau, processionnellement, et après
+<MASTER> avoir fait une rafle de plateaux.
+
+<MASTER> Scène 2.V.
+<MASTER> Cyrano, Roxane, la duègne.
+<cyrano> ... Je tire
+<cyrano> Ma lettre si je sens seulement qu'il y a
+<cyrano> Le moindre espoir ! ...
+<MASTER> Roxane, masquée, suivie de la duègne, paraît derrière le vitrage.
+<cyrano> /me ouvre vivement la porte
+<cyrano> ... Entrez ! ...
+<duegne> /join
+<roxane> /join
+<cyrano> /me marchant sur la duègne
+<cyrano> ... Vous, deux mots, duègna !
+<duegne> Quatre. ...
+<cyrano> ... Êtes-vous gourmande ? ...
+<duegne> ... À m'en rendre malade.
+<cyrano> /me prenant vivement des sacs de papier sur le comptoir
+<cyrano> Bon. Voici deux sonnets de monsieur Benserade
+<duegne> /me piteuse
+<duegne> Heu ! ...
+<cyrano> ... que je vous remplis de darioles. ...
+<duegne> /me changeant de figure
+<duegne> ... Hou !
+<cyrano> Aimez-vous le gâteau qu'on nomme petit chou ?
+<duegne> /me avec dignité
+<duegne> Monsieur, j'en fais état, lorsqu'il est à la crème.
+<cyrano> J'en plonge six pour vous dans le sein d'un poème
+<cyrano> De Saint-Amant ! Et dans ces vers de Chapelain
+<cyrano> Je dépose un fragment, moins lourd, de poupelin.
+<cyrano> --Ah ! Vous aimez les gâteaux frais ? ...
+<duegne> ... J'en suis férue !
+<cyrano> /me lui chargeant les bras de sacs remplis
+<cyrano> Veuillez aller manger tous ceux-ci dans la rue.
+<duegne> Mais ...
+<cyrano> /me la poussant dehors
+<cyrano> ... Et ne revenez qu'après avoir fini !
+<cyrano> /me referme la porte, redescend vers Roxane, et s'arrête, découvert,
+<cyrano> /me à une distance respectueuse.
+<MASTER> Scène 2.VI.
+<MASTER> Cyrano, Roxane, la duègne, un instant.
+<cyrano> Que l'instant entre tous les instants soit béni,
+<cyrano> Où, cessant d'oublier qu'humblement je respire
+<cyrano> Vous venez jusqu'ici pour me dire... me dire ?
+<roxane> /me qui s'est démasquée
+<roxane> Mais tout d'abord merci, car ce drôle, ce fat
+<roxane> Qu'au brave jeu d'épée, hier, vous avez fait mat,
+<roxane> C'est lui qu'un grand seigneur... épris de moi ...
+<cyrano> ... De Guiche ?
+<roxane> /me baissant les yeux
+<roxane> Cherchait à m'imposer... comme mari ...
+<cyrano> ... Postiche ?
+<cyrano> /me saluant
+<cyrano> Je me suis donc battu, madame, et c'est tant mieux,
+<cyrano> Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux.
+<roxane> Puis... je voulais... Mais pour l'aveu que je viens faire,
+<roxane> Il faut que je revoie en vous le... presque frère,
+<roxane> Avec qui je jouais, dans le parc--près du lac !
+<cyrano> Oui... vous veniez tous les étés à Bergerac !
+<roxane> Les roseaux fournissaient le bois pour vos épées ?
+<cyrano> Et les maïs, les cheveux blonds pour vos poupées !
+<roxane> C'était le temps des jeux ...
+<cyrano> ... Des mûrons aigrelets
+<roxane> Le temps où vous faisiez tout ce que je voulais !
+<cyrano> Roxane, en jupons courts, s'appelait Madeleine
+<roxane> J'étais jolie, alors ? ...
+<cyrano> ... Vous n'étiez pas vilaine.
+<roxane> Parfois, la main en sang de quelque grimpement,
+<roxane> Vous accouriez !--Alors, jouant à la maman,
+<roxane> Je disais d'une voix qui tâchait d'être dure :
+<roxane> /me lui prend la main
+<roxane> 'Qu'est-ce que c'est encor que cette égratignure ?'
+<roxane> /me s'arrête stupéfaite
+<roxane> Oh ! C'est trop fort ! Et celle-ci ! ...
+<cyrano> /me veut retirer sa main
+<roxane> ... Non ! Montrez-la !
+<roxane> Hein ? à votre âge, encor !--Où t'es-tu fait cela ?
+<cyrano> En jouant, du côté de la porte de Nesle.
+<roxane> /me s'asseyant à une table, et trempant son mouchoir dans un verre
+<roxane> /me d'eau
+<roxane> Donnez ! ...
+<cyrano> /me s'asseyant aussi
+<cyrano> ... Si gentiment ! Si gaiement maternelle !
+<roxane> Et, dites-moi,--pendant que j'ôte un peu le sang,--
+<roxane> Ils étaient contre vous ? ...
+<cyrano> ... Oh ! pas tout à fait cent.
+<roxane> Racontez ! ...
+<cyrano> ... Non. Laissez. Mais vous, dites la chose
+<cyrano> Que vous n'osiez tantôt me dire ...
+<roxane> /me sans quitter sa main
+<roxane> ... À présent, j'ose,
+<roxane> Car le passé m'encouragea de son parfum !
+<roxane> Oui, j'ose maintenant. Voilà. J'aime quelqu'un.
+<cyrano> Ah ! ...
+<roxane> ... Qui ne le sait pas d'ailleurs. ...
+<cyrano> ... Ah ! ...
+<roxane> ... Pas encore.
+<cyrano> Ah ! ...
+<roxane> ... Mais qui va bientôt le savoir, s'il l'ignore.
+<cyrano> Ah ! ...
+<roxane> ... Un pauvre garçon qui jusqu'ici m'aima
+<roxane> Timidement, de loin, sans oser le dire ...
+<cyrano> ... Ah !
+<roxane> Laissez-moi votre main, voyons, elle a la fièvre.--
+<roxane> Mais moi, j'ai vu trembler les aveux sur sa lèvre.
+<cyrano> Ah ! ...
+<roxane> /me achevant de lui faire un petit bandage avec son mouchoir
+<roxane> ... Et figurez-vous, tenez, que, justement
+<roxane> Oui, mon cousin, il sert dans votre régiment !
+<cyrano> Ah ! ...
+<roxane> /me riant
+<roxane> ... Puisqu'il est cadet dans votre compagnie !
+<cyrano> Ah ! ...
+<roxane> ... Il a sur son front de l'esprit, du génie,
+<roxane> Il est fier, noble, jeune, intrépide, beau ...
+<cyrano> /me se levant tout pâle
+<cyrano> ... Beau !
+<roxane> Quoi ? Qu'avez-vous ? ...
+<cyrano> ... Moi, rien... C'est... c'est ...
+<cyrano> /me montre sa main, avec un sourire
+<cyrano> ... C'est ce bobo.
+<roxane> Enfin, je l'aime. Il faut d'ailleurs que je vous die
+<roxane> Que je ne l'ai jamais vu qu'à la Comédie
+<cyrano> Vous ne vous êtes donc pas parlé ? ...
+<roxane> ... Nos yeux seuls.
+<cyrano> Mais comment savez-vous, alors ? ...
+<roxane> ... Sous les tilleuls
+<roxane> De la place Royale, on cause... Des bavardes
+<roxane> M'ont renseignée ...
+<cyrano> ... Il est cadet ? ...
+<roxane> ... Cadet aux gardes.
+<cyrano> Son nom ? ...
+<roxane> ... Baron Christian de Neuvillette. ...
+<cyrano> ... Hein ?
+<cyrano> Il n'est pas aux cadets. ...
+<roxane> ... Si, depuis ce matin :
+<roxane> Capitaine Carbon de Castel-Jaloux. ...
+<cyrano> ... Vite,
+<cyrano> Vite, on lance son cœur ! ... Mais, ma pauvre petite
+<duegne> /me ouvrant la porte du fond
+<duegne> J'ai fini les gâteaux, monsieur de Bergerac !
+<cyrano> Eh bien ! lisez les vers imprimés sur le sac !
+<duegne> /me disparaît
+<duegne> /part
+<cyrano> Ma pauvre enfant, vous qui n'aimez que beau langage,
+<cyrano> Bel esprit,--si c'était un profane, un sauvage.
+<roxane> Non, il a les cheveux d'un héros de d'Urfé !
+<cyrano> S'il était aussi maldisant que bien coiffé !
+<roxane> Non, tous les mots qu'il dit sont fins, je le devine !
+<cyrano> Oui, tous les mots sont fins quand la moustache est fine.
+<cyrano> --Mais si c'était un sot ! ...
+<roxane> /me frappant du pied
+<roxane> ... Eh bien ! j'en mourrais, là !
+<cyrano> /me après un temps
+<cyrano> Vous m'avez fait venir pour me dire cela ?
+<cyrano> Je n'en sens pas très bien l'utilité, madame.
+<roxane> Ah, c'est que quelqu'un hier m'a mis la mort dans l'âme,
+<roxane> Et me disant que tous, vous êtes tous Gascons
+<roxane> Dans votre compagnie ...
+<cyrano> ... Et que nous provoquons
+<cyrano> Tous les blancs-becs qui, par faveur, se font admettre
+<cyrano> Parmi les purs Gascons que nous sommes, sans l'être ?
+<cyrano> C'est ce qu'on vous a dit ? ...
+<roxane> ... Et vous pensez si j'ai
+<roxane> Tremblé pour lui ! ...
+<cyrano> /me entre ses dents
+<cyrano> ... Non sans raison ! ...
+<roxane> ... Mais j'ai songé
+<roxane> Lorsque invincible et grand, hier, vous nous apparûtes,
+<roxane> Châtiant ce coquin, tenant tête à ces brutes,--
+<roxane> J'ai songé : s'il voulait, lui que tous ils craindront
+<cyrano> C'est bien, je défendrai votre petit baron.
+<roxane> Oh ! n'est-ce pas que vous allez me le défendre ?
+<roxane> J'ai toujours eu pour vous une amitié si tendre.
+<cyrano> Oui, oui. ...
+<roxane> ... Vous serez son ami ? ...
+<cyrano> ... Je le serai.
+<roxane> Et jamais il n'aura de duel ? ...
+<cyrano> ... C'est juré.
+<roxane> Oh ! je vous aime bien. Il faut que je m'en aille.
+<roxane> /me remet vivement son masque, une dentelle sur son front, et, distraitement
+<roxane> Mais vous ne m'avez pas raconté la bataille
+<roxane> De cette nuit. Vraiment ce dut être inouï !
+<roxane> --Dites-lui qu'il m'écrive. ...
+<roxane> /me lui envoie un petit baiser de la main
+<roxane> ... Oh ! je vous aime ! ...
+<cyrano> ... Oui, oui.
+<roxane> Cent hommes contre vous ? Allons, adieu.--Nous sommes
+<roxane> De grands amis ! ...
+<cyrano> ... Oui, oui. ...
+<roxane> ... Qu'il m'écrive !--Cent hommes !--
+<roxane> Vous me direz plus tard. Maintenant, je ne puis.
+<roxane> Cent hommes ! Quel courage ! ...
+<cyrano> /me la saluant
+<cyrano> ... Oh ! j'ai fait mieux depuis.
+<roxane> /me sort.
+<roxane> /part
+<cyrano> /me reste immobile, les yeux à terre.
+<MASTER> Un silence. La porte de droite s'ouvre. Ragueneau passe sa tête.
+<MASTER> Scène 2.VII.
+<MASTER> Cyrano, Ragueneau, les poètes, Carbon de Castel-Jaloux, les cadets, la
+<MASTER> foule, etc., puis De Guiche.
+<ragueneau> /join
+<ragueneau> Peut-on rentrer ? ...
+<cyrano> /me sans bouger
+<cyrano> ... Oui ...
+<ragueneau> /me fait signe et ses amis rentrent.
+<MASTER> En même temps, à la porte
+<MASTER> du fond paraît Carbon de Castel-Jaloux, costume de capitaine aux
+<MASTER> gardes, qui fait de grands gestes en apercevant Cyrano.
+<carbon> /join
+<carbon> ... Le voilà ! ...
+<cyrano> /me levant la tête
+<cyrano> ... Mon capitaine !
+<carbon> /me exultant
+<carbon> Notre héros ! Nous savons tout ! Une trentaine
+<carbon> De mes cadets sont là ! ...
+<cyrano> /me reculant
+<cyrano> ... Mais ...
+<carbon> /me voulant l'entraîner
+<carbon> ... Viens ! on veut te voir !
+<cyrano> Non ! ...
+<carbon> ... Il boivent en face, à la Croix du Trahoir.
+<cyrano> Je ...
+<carbon> /me remontant à la porte, et criant à la cantonade, d'une voix de
+<carbon> /me tonnerre
+<carbon> ... Le héros refuse. Il est d'humeur bourrue !
+<voix> /join
+<voix> /me au dehors
+<voix> Ah ! Sandious ! ...
+<voix> /part
+<MASTER> Tumulte au dehors, bruit d'épées et de bottes qui se rapprochent.
+<carbon> /me se frottant les mains
+<carbon> ... Les voici qui traversent la rue !
+<cadets> /join
+<cadet1> /join
+<cadet2> /join
+<cadet3> /join
+<cadet4> /join
+<cadet5> /join
+<cadet6> /join
+<cadet7> /join
+<cadet8> /join
+<cadets> /me entrant dans la rôtisserie
+<cadets> Mille dious !--Capdedious !--Mordious !--Pocapdedious !
+<ragueneau> /me reculant épouvanté
+<ragueneau> Messieurs, vous êtes donc tous de Gascogne ! ...
+<cadets> ... Tous !
+<cadet1> /me à Cyrano
+<cadet1> Bravo ! ...
+<cyrano> ... Baron ! ...
+<cadet2> /me lui secouant les mains
+<cadet2> ... Vivat ! ...
+<cyrano> ... Baron ! ...
+<cadet3> ... Que je t'embrasse !
+<cyrano> Baron ! ...
+<cadets> ... Embrassons-le ! ...
+<cyrano> /me ne sachant auquel répondre
+<cyrano> ... Baron ! ... baron ! ... de grâce
+<ragueneau> Vous êtes tous barons, messieurs ? ...
+<cadets> ... Tous ? ...
+<ragueneau> ... Le sont-ils ?
+<cadet1> On ferait une tour rien qu'avec nos tortils !
+<lebret> /join
+<lebret> /me entrant, et courant à Cyrano
+<lebret> On te cherche ! Une foule en délire conduite
+<lebret> Par ceux qui cette nuit marchèrent à ta suite
+<cyrano> /me épouvanté
+<cyrano> Tu ne leur as pas dit où je me trouve ? ...
+<lebret> /me se frottant les mains
+<lebret> ... Si !
+<unbourgeois> /join
+<unbourgeois> /me entrant suivi d'un groupe
+<unbourgeois> Monsieur, tout le Marais se fait porter ici !
+<MASTER> Au dehors la rue s'est remplie de monde. Des chaises à porteurs, des
+<MASTER> carrosses s'arrêtent.
+<foule> /join
+<lebret> /me bas, souriant, à Cyrano
+<lebret> Et Roxane ? ...
+<cyrano> /me vivement
+<cyrano> ... Tais-toi ! ...
+<foule> /me criant dehors
+<foule> ... Cyrano ! ...
+<MASTER> Une cohue se précipite dans la pâtisserie. Bousculade. Acclamations.
+<ragueneau> /me debout sur une table
+<ragueneau> ... Ma boutique
+<ragueneau> Est envahie ! On casse tout ! C'est magnifique !
+<foule> /me autour de Cyrano
+<foule> Mon ami... mon ami ...
+<cyrano> ... Je n'avais pas hier
+<cyrano> Tant d'amis ! ...
+<lebret> /me ravi
+<lebret> ... Le succès ! ...
+<petitmarquis> /join
+<petitmarquis> /me accourant, les mains tendues
+<petitmarquis> ... Si tu savais, mon cher
+<cyrano> Si tu ? ... Tu ? ... Qu'est-ce donc qu'ensemble nous gardâmes ?
+<petitmarquis> /part
+<petitmarquis2> /join
+<petitmarquis2> Je veux vous présenter, Monsieur, à quelques dames
+<petitmarquis2> Qui là, dans mon carrosse ...
+<cyrano> /me froidement
+<cyrano> ... Et vous d'abord, à moi,
+<cyrano> Qui vous présentera ? ...
+<petitmarquis2> /part
+<lebret> /me stupéfait
+<lebret> ... Mais qu'as-tu donc ? ...
+<cyrano> ... Tais-toi !
+<renaudot> /join
+<renaudot> /me avec une écritoire
+<renaudot> Puis-je avoir des détails sur ? ...
+<cyrano> ... Non. ...
+<lebret> /me lui poussant le coude
+<lebret> ... C'est Théophraste,
+<lebret> Renaudot ! l'inventeur de la gazette. ...
+<cyrano> ... Baste !
+<lebret> Cette feuille où l'on fait tant de choses tenir !
+<lebret> On dit que cette idée a beaucoup d'avenir !
+<renaudot> /part
+<poete1> /join
+<poete1> /me s'avançant
+<poete1> Monsieur ...
+<cyrano> ... Encor ! ...
+<poete1> ... Je veux faire un pentacrostiche
+<poete1> Sur votre nom ...
+<quelquun> /join
+<quelquun> /me s'avançant encore
+<quelquun> ... Monsieur ...
+<cyrano> ... Assez ! ...
+<MASTER> Mouvement. On se range. De Guiche paraît, escorté d'officiers. Cuigy,
+<MASTER> Brissaille, les officiers qui sont partis avec Cyrano à la fin du
+<MASTER> premier acte. Cuigy vient vivement à Cyrano.
+<deguiche> /join
+<cuigy> /join
+<brissaille> /join
+<cuigy> /me à Cyrano
+<cuigy> ... Monsieur de Guiche !
+<MASTER> Murmure. Tout le monde se range
+<cuigy> Vient de la part du maréchal de Gassion !
+<deguiche> /me saluant Cyrano
+<deguiche> Qui tient à vous mander son admiration
+<deguiche> Pour le nouvel exploit dont le bruit vient de courre.
+<foule> Bravo ! ...
+<cyrano> /me s'inclinant
+<cyrano> ... Le maréchal s'y connaît en bravoure.
+<deguiche> Il n'aurait jamais cru le fait si ces messieurs
+<deguiche> N'avaient pu lui jurer l'avoir vu. ...
+<cuigy> ... De nos yeux !
+<lebret> /me bas à Cyrano, qui a l'air absent
+<lebret> Mais ...
+<cyrano> ... Tais-toi ! ...
+<lebret> ... Tu parais souffrir ! ...
+<cyrano> /me tressaillant et se redressant vivement
+<cyrano> ... Devant ce monde ?
+<MASTER> Sa moustache se hérisse; il poitrine
+<cyrano> Moi souffrir ? ... Tu vas voir ! ...
+<deguiche> /me auquel Cuigy a parlé à l'oreille
+<deguiche> ... Votre carrière abonde
+<deguiche> De beaux exploits, déjà.--Vous servez chez ces fous
+<deguiche> De Gascons, n'est-ce pas ? ...
+<cyrano> ... Aux cadets, oui. ...
+<cadet4> /me d'une voix terrible
+<cadet4> ... Chez nous !
+<deguiche> /me regardant les Gascons, rangés derrière Cyrano
+<deguiche> Ah ! ah ! ... Tous ces messieurs à la mine hautaine,
+<deguiche> Ce sont donc les fameux ? ...
+<carbon> ... Cyrano ! ...
+<cyrano> ... Capitaine ?
+<carbon> Puisque ma compagnie est, je crois, au complet,
+<carbon> Veuillez la présenter au comte, s'il vous plaît.
+<cyrano> /me faisant deux pas vers De Guiche et montrant les cadets
+<cyrano> Ce sont les cadets de Gascogne
+<cyrano> De Carbon de Castel-Jaloux !
+<cyrano> Bretteurs et menteurs sans vergogne,
+<cyrano> Ce sont les cadets de Gascogne !
+<cyrano> Parlant blason, lambel, bastogne,
+<cyrano> Tous plus nobles que des filous,
+<cyrano> Ce sont les cadets de Gascogne
+<cyrano> De Carbon de Castel-Jaloux :
+<cyrano> Œil d'aigle, jambe de cigogne,
+<cyrano> Moustache de chat, dents de loups,
+<cyrano> Fendant la canaille qui grogne,
+<cyrano> Œil d'aigle, jambe de cigogne,
+<cyrano> Ils vont,--coiffés d'un vieux vigogne
+<cyrano> Dont la plume cache les trous !--
+<cyrano> Œil d'aigle, jambe de cigogne,
+<cyrano> Moustache de chat, dents de loups !
+<cyrano> Perce-Bedaine et Casse-Trogne
+<cyrano> Sont leurs sobriquets les plus doux;
+<cyrano> De gloire, leur âme est ivrogne !
+<cyrano> Perce-Bedaine et Casse-Trogne,
+<cyrano> Dans tous les endroits où l'on cogne
+<cyrano> Ils se donnent des rendez-vous
+<cyrano> Perce-Bedaine et Casse-Trogne
+<cyrano> Sont leurs sobriquets les plus doux !
+<cyrano> Voici les cadets de Gascogne
+<cyrano> Qui font cocus tous les jaloux !
+<cyrano> O femme, adorable carogne,
+<cyrano> Voici les cadets de Gascogne !
+<cyrano> Que le vieil époux se renfrogne :
+<cyrano> Sonnez, clairons ! chantez, coucous !
+<cyrano> Voici les cadets de Gascogne
+<cyrano> Qui font cocus tous les jaloux !
+<deguiche> /me nonchalamment assis dans un fauteuil que Ragueneau a vite
+<deguiche> /me apporté
+<deguiche> Un poète est un luxe, aujourd'hui, qu'on se donne.
+<deguiche> --Voulez-vous être à moi ? ...
+<cyrano> ... Non, Monsieur, à personne.
+<deguiche> Votre verve amusa mon oncle Richelieu,
+<deguiche> Hier. Je veux vous servir auprès de lui. ...
+<lebret> /me ébloui
+<lebret> ... Grand Dieu !
+<deguiche> Vous avez bien rimé cinq actes, j'imagine ?
+<lebret> /me à l'oreille de Cyrano
+<lebret> Tu vas faire jouer, mon cher, ton Agrippine !
+<deguiche> Portez-les-lui. ...
+<cyrano> /me tenté et un peu charmé
+<cyrano> ... Vraiment ...
+<deguiche> ... Il est des plus experts.
+<deguiche> Il vous corrigera seulement quelques vers
+<cyrano> /me dont le visage s'est immédiatement rembruni
+<cyrano> Impossible, Monsieur; mon sang se coagule
+<cyrano> En pensant qu'on y peut changer une virgule.
+<deguiche> Mais quand un vers lui plaît, en revanche, mon cher,
+<deguiche> Il le paye très cher. ...
+<cyrano> ... Il le paye moins cher
+<cyrano> Que moi, lorsque j'ai fait un vers, et que je l'aime,
+<cyrano> Je me le paye, en me le chantant à moi-même !
+<deguiche> Vous êtes fier. ...
+<cyrano> ... Vraiment, vous l'avez remarqué ?
+<cadet5> /me entrant avec, enfilés à son épée, des chapeaux aux plumets
+<cadet5> /me miteux, aux coiffes trouées, défoncées
+<cadet5> Regarde, Cyrano ! ce matin, sur le quai
+<cadet5> Le bizarre gibier à plumes que nous prîmes !
+<cadet5> Les feutres des fuyards ! ...
+<carbon> ... Des dépouilles opimes !
+<cadets> /me riant
+<cadets> Ah ! Ah ! Ah ! ...
+<cuigy> ... Celui qui posta ces gueux, ma foi,
+<cuigy> Doit rager aujourd'hui. ...
+<brissaille> ... Sait-on qui c'est ? ...
+<deguiche> ... C'est moi.
+<MASTER> Les rires s'arrêtent
+<deguiche> Je les avais chargés de châtier,--besogne
+<deguiche> Qu'on ne fait pas soi-même,--un rimailleur ivrogne.
+<MASTER> Silence gêné.
+<cadet5> /me à mi-voix, à Cyrano, lui montrant les feutres
+<cadet5> Que faut-il qu'on en fasse ? Ils sont gras... Un salmis ?
+<cyrano> /me prenant l'épée où ils sont enfilés, et les faisant, dans un
+<cyrano> /me salut, tous glisser aux pieds de De Guiche
+<cyrano> Monsieur, si vous voulez les rendre à vos amis ?
+<deguiche> /me se levant et d'une voix brève
+<deguiche> Ma chaise et mes porteurs, tout de suite : je monte.
+<deguiche> /me à Cyrano, violemment
+<deguiche> Vous, Monsieur ! ...
+<voix> /join
+<voix> /me dans la rue, criant
+<voix> ... Les porteurs de monseigneur le comte
+<voix> De Guiche ! ...
+<voix> /part
+<deguiche> /me qui s'est dominé, avec un sourire
+<deguiche> ... Avez-vous lu Don Quichot ? ...
+<cyrano> ... Je l'ai lu.
+<cyrano> Et me découvre au nom de cet hurluberlu.
+<deguiche> Veuillez donc méditer alors ...
+<porteur> /join
+<porteur> /me paraissant au fond
+<porteur> ... Voici la chaise.
+<deguiche> Sur le chapitre des moulins ! ...
+<cyrano> /me saluant
+<cyrano> ... Chapitre treize.
+<deguiche> Car, lorsqu'on les attaque, il arrive souvent
+<cyrano> J'attaque donc des gens qui tournent à tout vent ?
+<deguiche> Qu'un moulinet de leurs grands bras chargés de toiles
+<deguiche> Vous lance dans la boue ! ...
+<cyrano> ... Ou bien dans les étoiles !
+<MASTER> De Guiche sort. On le voit remonter en chaise. Les seigneurs
+<MASTER> s'éloignent en chuchotant. Le Bret les réaccompagne. La foule sort.
+<porteur> /part
+<deguiche> /part
+<lebret> /part
+<cuigy> /part
+<foule> /part
+<quelquun> /part
+<unbourgeois> /part
+<brissaille> /part
+<poete1> /part
+
+<MASTER> Scène 2.VIII.
+<MASTER> Cyrano, Le Bret, les cadets, qui se sont attablés à droite et à gauche
+<MASTER> et auxquels on sert à boire et à manger.
+<cyrano> /me saluant d'un air goguenard ceux qui sortent sans oser le saluer
+<cyrano> Messieurs... Messieurs... Messieurs ...
+<lebret> /join
+<lebret> /me désolé, redescendant, les bras au ciel
+<lebret> ... Ah ! dans quels jolis draps.
+<cyrano> Oh ! toi ! tu vas grogner ! ...
+<lebret> ... Enfin, tu conviendras
+<lebret> Qu'assassiner toujours la chance passagère,
+<lebret> Devient exagéré. ...
+<cyrano> ... Hé bien oui, j'exagère !
+<lebret> /me triomphant
+<lebret> Ah ! ...
+<cyrano> ... Mais pour le principe, et pour l'exemple aussi,
+<cyrano> Je trouve qu'il est bon d'exagérer ainsi.
+<lebret> Si tu laissais un peu ton âme mousquetaire,
+<lebret> La fortune et la gloire ...
+<cyrano> ... Et que faudrait-il faire ?
+<cyrano> Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
+<cyrano> Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
+<cyrano> Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
+<cyrano> Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?
+<cyrano> Non, merci. Dédier, comme tous il le font,
+<cyrano> Des vers aux financiers ? se changer en bouffon
+<cyrano> Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,
+<cyrano> Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
+<cyrano> Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ?
+<cyrano> Avoir un ventre usé par la marche ? une peau
+<cyrano> Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ?
+<cyrano> Exécuter des tours de souplesse dorsale ?
+<cyrano> Non, merci. D'une main flatter la chèvre au cou
+<cyrano> Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,
+<cyrano> Et, donneur de séné par désir de rhubarbe,
+<cyrano> Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
+<cyrano> Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
+<cyrano> Devenir un petit grand homme dans un rond,
+<cyrano> Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
+<cyrano> Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
+<cyrano> Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy
+<cyrano> Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
+<cyrano> S'aller faire nommer pape par les conciles
+<cyrano> Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ?
+<cyrano> Non, merci ! Travailler à se construire un nom
+<cyrano> Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non,
+<cyrano> Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?
+<cyrano> Être terrorisé par de vagues gazettes,
+<cyrano> Et se dire sans cesse : "Oh, pourvu que je sois
+<cyrano> Dans les petits papiers du Mercure François ?"
+<cyrano> Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,
+<cyrano> Aimer mieux faire une visite qu'un poème,
+<cyrano> Rédiger des placets, se faire présenter ?
+<cyrano> Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter,
+<cyrano> Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
+<cyrano> Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
+<cyrano> Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
+<cyrano> Pour un oui, pour un non, se battre,--ou faire un vers !
+<cyrano> Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
+<cyrano> À tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
+<cyrano> N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
+<cyrano> Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit,
+<cyrano> Soit satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
+<cyrano> Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
+<cyrano> Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
+<cyrano> Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,
+<cyrano> Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
+<cyrano> Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,
+<cyrano> Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,
+<cyrano> Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
+<lebret> Tout seul, soit ! Mais non pas contre tous ! Comment diable
+<lebret> As-tu donc contracté la manie effroyable
+<lebret> De te faire toujours, partout, des ennemis ?
+<cyrano> À force de vous voir vous faire des amis,
+<cyrano> Et rire à ces amis dont vous avez des foules,
+<cyrano> D'une bouche empruntée au derrière des poules !
+<cyrano> J'aime raréfier sur mes pas les saluts,
+<cyrano> Et m'écrie avec joie : un ennemi de plus !
+<lebret> Quelle aberration ! ...
+<cyrano> ... Eh bien, oui, c'est mon vice.
+<cyrano> Déplaire est mon plaisir. J'aime qu'on me haïsse.
+<cyrano> Mon cher, si tu savais comme l'on marche mieux
+<cyrano> Sous la pistolétade excitante des yeux !
+<cyrano> Comme, sur les pourpoints, font d'amusantes taches
+<cyrano> Le fiel des envieux et la bave des lâches !
+<cyrano> --Vous, la molle amitié dont vous vous entourez,
+<cyrano> Ressemble à ces grands cols d'Italie, ajourés
+<cyrano> Et flottants, dans lesquels votre cou s'effémine :
+<cyrano> On y est plus à l'aise... et de moins haute mine,
+<cyrano> Car le front n'ayant pas de maintien ni de loi,
+<cyrano> S'abandonne à pencher dans tous les sens. Mais moi,
+<cyrano> La Haine, chaque jour, me tuyaute et m'apprête
+<cyrano> La fraise dont l'empois force à lever la tête;
+<cyrano> Chaque ennemi de plus est un nouveau godron
+<cyrano> Qui m'ajoute une gêne, et m'ajoute un rayon :
+<cyrano> Car, pareille en tous points à la fraise espagnole,
+<cyrano> La Haine est un carcan, mais c'est une auréole !
+<lebret> /me après un silence, passant son bras sous le sien
+<lebret> Fais tout haut l'orgueilleux et l'amer, mais, tout bas
+<lebret> Dis-moi tout simplement qu'elle ne t'aime pas !
+<lebret> /part
+<cyrano> /me vivement
+<cyrano> Tais-toi ! ...
+<christian> /join
+<MASTER> Depuis un moment, Christian est entré, s'est mêlé aux cadets; ceux-ci
+<MASTER> ne lui adressent pas la parole; il a fini par s'asseoir seul à une
+<MASTER> petite table, où Lise le sert.
+
+<MASTER> Scène 2.IX.
+<MASTER> Cyrano, Le Bret, les cadets, Christian de Neuvillette.
+<cadet6> /me assis à une table du fond, le verre en main
+<cadet6> ... Hé ! Cyrano ! ...
+<cyrano> /me se retourne
+<cadet6> ... Le récit ? ...
+<cyrano> ... Tout à l'heure !
+<cyrano> /me remonte au bras de Le Bret. Ils causent bas.
+<cadet6> /me se levant, et descendant
+<cadet6> Le récit du combat ! Ce sera la meilleure
+<cadet6> Leçon ...
+<cadet6> /me s'arrête devant la table où est Christian
+<cadet6> ... pour ce timide apprentif ! ...
+<christian> /me levant la tête
+<christian> ... Apprentif ?
+<cadet7> Oui, septentrional maladif ! ...
+<christian> ... Maladif ?
+<cadet6> /me goguenard
+<cadet6> Monsieur de Neuvillette, apprenez quelque chose :
+<cadet6> C'est qu'il est un objet, chez nous, dont on ne cause
+<cadet6> Pas plus que de cordon dans l'hôtel d'un pendu !
+<christian> Qu'est-ce ? ...
+<cadet7> /me d'une voix terrible
+<cadet7> ... Regardez-moi ! ...
+<cadet7> /me pose trois fois, mystérieusement, son doigt sur son nez
+<cadet7> ... M'avez-vous entendu ?
+<christian> Ah ! c'est le ...
+<cadet8> ... Chut ! ... jamais ce mot ne se profère !
+<cadet8> /me montre Cyrano qui cause au fond avec Le Bret.
+<cadet8> Ou c'est à lui, là-bas, que l'on aurait affaire !
+<cadet8> /me qui, pendant qu'il était tourné vers les premiers, est venu
+<cadet8> /me sans bruit s'asseoir sur la table, dans son dos
+<cadet8> Deux nasillards par lui furent exterminés
+<cadet8> Parce qu'il lui déplut qu'ils parlassent du nez !
+<cadet8> /me d'une voix caverneuse,--surgissant de sous la table où il
+<cadet8> /me s'est glissé à quatre pattes
+<cadet8> On ne peut faire, sans défuncter avant l'âge,
+<cadet8> La moindre allusion au fatal cartilage !
+<cadet8> /me lui posant la main sur l'épaule
+<cadet8> Un mot suffit ! Que dis-je, un mot ? Un geste, un seul !
+<cadet8> Et tirer son mouchoir, c'est tirer son linceul !
+<MASTER> Silence. Tous autour de lui, les bras croisés, le regardent. Il se
+<MASTER> lève et va à Carbon de Castel-Jaloux qui, causant avec un officier, a
+<MASTER> l'air de ne rien voir.
+<christian> Capitaine ! ...
+<carbon> /me se retournant et le toisant
+<carbon> ... Monsieur ? ...
+<christian> ... Que fait-on quand on trouve
+<christian> Des Méridionaux trop vantards ? ...
+<carbon> ... On leur prouve
+<carbon> Qu'on peut être du Nord, et courageux. ...
+<carbon> /me lui tourne le dos.
+<christian> ... Merci.
+<cadet6> /me à Cyrano
+<cadet6> Maintenant, ton récit ! ...
+<cadets> ... Son récit ! ...
+<cyrano> /me redescendant vers eux
+<cyrano> ... Mon récit ?
+<MASTER> Tous rapprochent leurs escabeaux, se groupent autour de lui, tendent
+<MASTER> le col. Christian s'est mis à cheval sur une chaise
+<cyrano> Eh bien ! donc je marchais tout seul, à leur rencontre.
+<cyrano> La lune, dans le ciel, luisait comme une montre,
+<cyrano> Quand soudain, je ne sais quel soigneux horloger
+<cyrano> S'étant mis à passer un coton nuager
+<cyrano> Sur le boîtier d'argent de cette montre ronde,
+<cyrano> Il se fit une nuit la plus noire du monde,
+<cyrano> Et les quais n'étant pas du tout illuminés,
+<cyrano> Mordious ! on n'y voyait pas plus loin ...
+<christian> ... Que son nez.
+<MASTER> Silence. Tous le monde se lève lentement. On regarde Cyrano avec
+<MASTER> terreur. Celui-ci s'est interrompu, stupéfait. Attente.
+<cyrano> Qu'est-ce que c'est que cet homme-là ? ...
+<cadet8> /me à mi-voix
+<cadet8> ... C'est un homme
+<cadet8> Arrivé ce matin. ...
+<cyrano> /me faisant un pas vers Christian
+<cyrano> ... Ce matin ? ...
+<carbon> /me à mi-voix
+<carbon> ... Il se nomme
+<carbon> Le baron de Neuvil ...
+<cyrano> /me vivement, s'arrêtant
+<cyrano> ... Ah ! C'est bien ...
+<cyrano> /me pâlit, rougit, a encore un mouvement pour se jeter sur Christian
+<cyrano> ... Je ...
+<MASTER> Puis, il se domine, et dit d'une voix sourde
+<cyrano> ... Très bien
+<cyrano> /me reprend
+<cyrano> Je disais donc ...
+<cyrano> /me avec un éclat de rage dans la voix
+<cyrano> ... Mordious ! ...
+<cyrano> /me continue d'un ton naturel
+<cyrano> ... que l'on n'y voyait rien.
+<MASTER> Stupeur. On se rassied en se regardant
+<cyrano> Et je marchais, songeant que pour un gueux fort mince
+<cyrano> J'allais mécontenter quelque grand, quelque prince,
+<cyrano> Qui m'aurait sûrement ...
+<christian> ... Dans le nez ! ...
+<MASTER> Tout le monde se lève.
+<christian> /me se balance sur sa chaise.
+<cyrano> /me d'une voix étranglée
+<cyrano> ... Une dent,--
+<cyrano> Qui m'aurait une dent... et qu'en somme, imprudent,
+<cyrano> J'allais fourrer ...
+<christian> ... Le nez ...
+<cyrano> ... Le doigt... entre l'écorce
+<cyrano> Et l'arbre, car ce grand pouvait être de force
+<cyrano> À me faire donner ...
+<christian> ... Sur le nez ...
+<cyrano> /me essuyant la sueur à son front
+<cyrano> ... Sur les doigts.
+<cyrano> --Mais j'ajoutai : Marche, Gascon, fais ce que dois !
+<cyrano> Va, Cyrano ! Et ce disant, je me hasarde,
+<cyrano> Quand, dans l'ombre, quelqu'un me porte ...
+<christian> ... Une nasarde.
+<cyrano> Je la pare, et soudain me trouve ...
+<christian> ... Nez à nez
+<cyrano> /me bondissant vers lui
+<cyrano> Ventre-Saint-Gris ! ...
+<MASTER> Tous les Gascons se précipitent pour voir, arrivé sur Christian,
+<MASTER> il se maîtrise et continue
+<cyrano> ... avec cent braillards avinés
+<cyrano> Qui puaient ...
+<christian> ... À plein nez ...
+<cyrano> /me blême et souriant
+<cyrano> ... L'oignon et la litharge !
+<cyrano> Je bondis, front baissé ...
+<christian> ... Nez au vent ! ...
+<cyrano> ... et je charge !
+<cyrano> J'en estomaque deux ! J'en empale un tout vif !
+<cyrano> Quelqu'un m'ajuste : Paf ! et je riposte ...
+<christian> ... Pif !
+<cyrano> /me éclatant
+<cyrano> Tonnerre ! Sortez tous ! ...
+<MASTER> Tous les cadets se précipitent vers les portes.
+<cadet7> /part
+<cadet8> ... C'est le réveil du tigre !
+<cadet8> /part
+<cyrano> Tous ! Et laissez-moi seul avec cet homme ! ...
+<cadet1> ... Bigre !
+<cadet1> On va le retrouver en hachis ! ...
+<cadet1> /part
+<ragueneau> ... En hachis ?
+<cadet2> Dans un de vos pâtés ! ...
+<cadet2> /part
+<ragueneau> ... Je sens que je blanchis,
+<ragueneau> Et que je m'amollis comme une serviette !
+<ragueneau> /part
+<carbon> Sortons ! ...
+<carbon> /part
+<cadet3> ... Il n'en va pas laisser une miette !
+<cadet4> /part
+<cadet3> Ce qui va se passer ici, j'en meurs d'effroi !
+<cadet5> /part
+<cadet3> /me refermant la porte de droite
+<cadet6> /part
+<cadet3> Quelque chose d'épouvantable ! ...
+<cadet3> /part
+<cadets> /part
+<MASTER> Ils sont tous sortis,--soit par le fond, soit par les
+<MASTER> côtés,--quelques-uns ont disparu par l'escalier. Cyrano et Christian
+<MASTER> restent face à face, et se regardent un moment.
+<MASTER> Scène 2.X.
+<MASTER> Cyrano, Christian.
+<cyrano> ... Embrasse-moi !
+<christian> Monsieur ...
+<cyrano> ... Brave. ...
+<christian> ... Ah ça ! mais ! ...
+<cyrano> ... Très brave. Je préfère.
+<christian> Me direz-vous ? ...
+<cyrano> ... Embrasse-moi. Je suis son frère.
+<christian> De qui ? ...
+<cyrano> ... Mais d'elle ! ...
+<christian> ... Hein ? ...
+<cyrano> ... Mais de Roxane ! ...
+<christian> /me courant à lui
+<christian> ... Ciel !
+<christian> Vous, son frère ? ...
+<cyrano> ... Ou tout comme : un cousin fraternel.
+<christian> Elle vous a ? ...
+<cyrano> ... Tout dit ! ...
+<christian> ... M'aime-t-elle ? ...
+<cyrano> ... Peut-être !
+<christian> /me lui prenant les mains
+<christian> Comme je suis heureux, Monsieur, de vous connaître !
+<cyrano> Voilà ce qui s'appelle un sentiment soudain.
+<christian> Pardonnez-moi ...
+<cyrano> /me le regardant, et lui mettant la main sur l'épaule
+<cyrano> ... C'est vrai qu'il est beau, le gredin !
+<christian> Si vous saviez, Monsieur, comme je vous admire !
+<cyrano> Mais tous ces nez que vous m'avez ...
+<christian> ... Je les retire !
+<cyrano> Roxane attend ce soir une lettre ...
+<christian> ... Hélas ! ...
+<cyrano> ... Quoi ?
+<christian> C'est me perdre que de cesser de rester coi !
+<cyrano> Comment ? ...
+<christian> ... Las ! je suis sot à m'en tuer de honte !
+<cyrano> Mais non, tu ne l'es pas, puisque tu t'en rends compte.
+<cyrano> D'ailleurs, tu ne m'as pas attaqué comme un sot.
+<christian> Bah ! on trouve des mots quand on monte à l'assaut !
+<christian> Oui, j'ai certain esprit facile et militaire,
+<christian> Mais je ne sais, devant les femmes, que me taire.
+<christian> Oh ! leurs yeux, quand je passe, ont pour moi des bontés
+<cyrano> Leurs cœurs n'en ont-ils plus quand vous vous arrêtez ?
+<christian> Non ! car je suis de ceux,--je le sais... et je tremble !--
+<christian> Qui ne savent parler d'amour. ...
+<cyrano> ... Tiens ! ... Il me semble
+<cyrano> Que si l'on eût pris soin de me mieux modeler,
+<cyrano> J'aurais été de ceux qui savent en parler.
+<christian> Oh ! pouvoir exprimer les choses avec grâce !
+<cyrano> Être un joli petit mousquetaire qui passe !
+<christian> Roxane est précieuse et sûrement je vais
+<christian> Désillusionner Roxane ! ...
+<cyrano> /me regardant Christian
+<cyrano> ... Si j'avais
+<cyrano> Pour exprime mon âme un pareil interprète !
+<christian> /me avec désespoir
+<christian> Il me faudrait de l'éloquence ! ...
+<cyrano> /me brusquement
+<cyrano> ... Je t'en prête !
+<cyrano> Toi, du charme physique et vainqueur, prête-m'en :
+<cyrano> Et faisons à nous deux un héros de roman !
+<christian> Quoi ? ...
+<cyrano> ... Te sens-tu de force à répéter les choses
+<cyrano> Que chaque jour je t'apprendrai ? ...
+<christian> ... Tu me proposes ?
+<cyrano> Roxane n'aura pas de désillusions !
+<cyrano> Dis, veux-tu qu'à nous deux nous la séduisions ?
+<cyrano> Veux-tu sentir passer, de mon pourpoint de buffle
+<cyrano> Dans ton pourpoint brodé, l'âme que je t'insuffle !
+<christian> Mais, Cyrano ! ...
+<cyrano> ... Christian, veux-tu ? ...
+<christian> ... Tu me fais peur !
+<cyrano> Puisque tu crains, tout seul, de refroidir son cœur,
+<cyrano> Veux-tu que nous fassions--et bientôt tu l'embrases !--
+<cyrano> Collaborer un peu tes lèvres et mes phrases ?
+<christian> Tes yeux brillent ! ...
+<cyrano> ... Veux-tu ? ...
+<christian> ... Quoi ! cela te ferait
+<christian> Tant de plaisir ? ...
+<cyrano> /me avec enivrement
+<cyrano> ... Cela ...
+<cyrano> /me se reprenant, et en artiste
+<cyrano> ... Cela m'amuserait !
+<cyrano> C'est une expérience à tenter un poète.
+<cyrano> Veux-tu me compléter et que je te complète ?
+<cyrano> Tu marcheras, j'irai dans l'ombre à ton côté :
+<cyrano> Je serai ton esprit, tu seras ma beauté.
+<christian> Mais la lettre qu'il faut, au plus tôt, lui remettre !
+<christian> Je ne pourrai jamais ...
+<cyrano> /me sortant de son pourpoint la lettre qu'il a écrite
+<cyrano> ... Tiens, la voilà, ta lettre !
+<christian> Comment ? ...
+<cyrano> ... Hormis l'adresse, il n'y manque plus rien.
+<christian> Je ...
+<cyrano> ... Tu peux l'envoyer. Sois tranquille. Elle est bien.
+<christian> Vous aviez ? ...
+<cyrano> ... Nous avons toujours, nous, dans nos poches,
+<cyrano> Des épîtres à des Chloris... de nos caboches,
+<cyrano> Car nous sommes ceux-là qui pour amante n'ont
+<cyrano> Que du rêve soufflé dans la bulle d'un nom !
+<cyrano> Prends, et tu changeras en vérités ces feintes;
+<cyrano> Je lançais au hasard ces aveux et ces plaintes :
+<cyrano> Tu verras se poser tous ces oiseaux errants.
+<cyrano> Tu verras que je fus dans cette lettre--prends !--
+<cyrano> D'autant plus éloquent que j'étais moins sincère !
+<cyrano> --Prends donc, et finissons ! ...
+<christian> ... N'est-il pas nécessaire
+<christian> De changer quelques mots ? Écrite en divaguant,
+<christian> Ira-t-elle à Roxane ? ...
+<cyrano> ... Elle ira comme un gant !
+<christian> Mais ...
+<cyrano> ... La crédulité de l'amour-propre est telle,
+<cyrano> Que Roxane croira que c'est écrit pour elle !
+<christian> Ah ! mon ami ! ...
+<christian> /me se jette dans les bras de Cyrano. Ils restent embrassés.
+<MASTER> Scène 2.XI.
+<MASTER> Cyrano, Christian, les Gascons, le mousquetaire, Lise.
+<cadet2> /join
+<cadet2> /me entr'ouvrant la porte
+<cadet2> ... Plus rien... Un silence de mort
+<cadet2> Je n'ose regarder ...
+<cadet2> /me passe la tête
+<cadet2> ... Hein ? ...
+<cadets> /join
+<cadets> /me entrant et voyant Cyrano et Christian qui s'embrassent
+<cadets> ... Ah ! ... Oh ! ...
+<cadet3> /join
+<cadet3> ... C'est trop fort !
+<MASTER> Consternation.
+<mousquetaire> /join
+<mousquetaire> /me goguenard
+<mousquetaire> Ouais ? ...
+<carbon> /join
+<carbon> ... Notre démon est doux comme un apôtre !
+<carbon> Quand sur une narine on le frappe,--il tend l'autre !
+<mousquetaire> On peut donc lui parler de son nez, maintenant ?
+<mousquetaire> /me appelant Lise, d'un air triomphant
+<mousquetaire> --Eh ! Lise ! Tu vas voir ! ...
+<mousquetaire> /me humant l'air avec affectation
+<mousquetaire> ... Oh ! ... oh ! ... c'est surprenant !
+<mousquetaire> Quelle odeur ! ...
+<mousquetaire> /me allant à Cyrano, dont il regarde le nez avec impertinence
+<mousquetaire> ... Mais monsieur doit l'avoir reniflée ?
+<mousquetaire> Qu'est-ce que cela sent ici ? ...
+<cyrano> /me le souffletant
+<cyrano> ... La giroflée !
+<MASTER> Joie. Les cadets ont retrouvé Cyrano : ils font des culbutes.
+<cadet2> /part
+<cadet3> /part
+<cadets> /part
+<carbon> /part
+<mousquetaire> /part
+<cyrano> /part
+<christian> /part
+<MASTER> Rideau.
+
+
+<MASTER> Acte III.
+<MASTER> Le Baiser de Roxane.
+<MASTER> Une petite place dans l'ancien Marais. Vieille maisons. Perspectives
+<MASTER> de ruelles. À droite, la maison de Roxane et le mur de son jardin que
+<MASTER> débordent de larges feuillages. Au-dessus de la porte, fenêtre et
+<MASTER> balcon. Un banc devant le seuil.
+<MASTER> Du lierre grimpe au mur, du jasmin enguirlande le balcon, frissonne et
+<MASTER> retombe.
+<MASTER> Par le banc et les pierres en saillie du mur, on peut facilement grimper
+<MASTER> au balcon.
+<MASTER> En face, une ancienne maison de même style, brique et pierre, avec une
+<MASTER> porte d'entrée. Le heurtoir de cette porte est emmailloté de linge comme
+<MASTER> un pouce malade.
+<MASTER> Au lever du rideau, la duègne est assise sur le banc. La fenêtre est
+<MASTER> grande ouverte sur le balcon de Roxane.
+<MASTER> Près de la duègne se tient debout Ragueneau, vêtu d'une sorte de livrée :
+<MASTER> il termine un récit, en s'essuyant les yeux.
+<MASTER> Scène 3.I.
+<MASTER> Ragueneau, la duègne, puis Roxane, Cyrano, et deux pages.
+<ragueneau> /join
+<duegne> /join
+<ragueneau> Et puis, elle est partie avec un mousquetaire !
+<ragueneau> Seul, ruiné, je me pends. J'avais quitté la terre.
+<ragueneau> Monsieur de Bergerac entre, et, me dépendant,
+<ragueneau> Me vient à sa cousine offrir comme intendant.
+<duegne> Mais comment expliquer cette ruine où vous êtes ?
+<ragueneau> Lise aimait les guerriers, et j'aimais les poètes !
+<ragueneau> Mars mangeait les gâteaux qui laissait Apollon :
+<ragueneau> --Alors, vous comprenez, cela ne fut pas long !
+<duegne> /me se levant et appelant vers la fenêtre ouverte
+<duegne> Roxane, êtes-vous prête ? ... On nous attend ! ...
+<roxane> /join
+<roxane> /me par la fenêtre
+<roxane> ... Je passe
+<roxane> Une mante ! ...
+<duegne> /me à Ragueneau, lui montrant la porte d'en face
+<duegne> ... C'est là qu'on nous attend, en face.
+<duegne> Chez Clomire. Elle tient bureau, dans son réduit.
+<duegne> On y lit un discours sur le Tendre, aujourd'hui.
+<ragueneau> Sur le Tendre ? ...
+<duegne> /me minaudant
+<duegne> ... Mais oui ! ...
+<duegne> /me criant vers la fenêtre
+<duegne> ... Roxane, il faut descendre,
+<duegne> Ou nous allons manquer le discours sur le Tendre !
+<roxane> Je viens ! ...
+<MASTER> On entend un bruit d'instruments à cordes qui se rapproche.
+<MASTER> chantant dans la coulisse
+<cyrano> /join
+<cyrano> ... La ! la ! la ! la ! ...
+<duegne> /me surprise
+<duegne> ... On nous joue un morceau ?
+<cyrano> /me suivi de deux pages porteurs de théorbes
+<page1> /join
+<page2> /join
+<cyrano> Je vous dis que la croche est triple, triple sot !
+<page1> /me ironique
+<page1> Vous savez donc, Monsieur, si les croches sont triples ?
+<cyrano> Je suis musicien, comme tous les disciples
+<cyrano> De Gassendi ! ...
+<page1> /me jouant et chantant
+<page1> ... La ! la ! ...
+<cyrano> /me lui arrachant le théorbe et continuant la phrase musicale
+<cyrano> ... Je peux continuer !
+<cyrano> La ! la ! la ! la ! ...
+<roxane> /me paraissant sur le balcon
+<roxane> ... C'est vous ? ...
+<cyrano> /me chantant sur l'air qu'il continue
+<cyrano> ... Moi qui viens saluer
+<cyrano> Vos lys, et présenter mes respects à vos roses !
+<roxane> Je descends ! ...
+<roxane> /me quitte le balcon.
+<roxane> /part
+<duegne> /me montrant les pages
+<duegne> ... Qu'est-ce donc que ces deux virtuoses ?
+<cyrano> C'est un pari que j'ai gagné sur d'Assoucy.
+<cyrano> Nous discutions un point de grammaire.--Non !--Si !--
+<cyrano> Quand soudain me montrant ces deux grands escogriffes
+<cyrano> Habiles à gratter les cordes de leurs griffes,
+<cyrano> Et dont il fait toujours son escorte, il me dit :
+<cyrano> "Je te parie un jour de musique !" Il perdit.
+<cyrano> Jusqu'à ce que Phœbus recommence son orbe,
+<cyrano> J'ai donc sur mes talons ces joueurs de théorbe,
+<cyrano> De tout ce que je fais harmonieux témoins !
+<cyrano> Ce fut d'abord charmant, et ce l'est déjà moins.
+<cyrano> /me aux musiciens
+<cyrano> Hep ! ... Allez de ma part jouer une pavane
+<cyrano> À Montfleury ! ...
+<MASTER> Les pages remontent pour sortir.
+<page1> /part
+<page2> /part
+<cyrano> /me à la duègne
+<cyrano> ... Je viens demander à Roxane
+<cyrano> Ainsi que chaque soir ...
+<cyrano> /me aux pages qui sortent
+<cyrano> ... Jouez longtemps,--et faux !
+<cyrano> /me à la duègne
+<cyrano> Si l'ami de son âme est toujours sans défauts ?
+<roxane> /join
+<roxane> /me sortant de la maison
+<roxane> Ah ! qu'il est beau, qu'il a d'esprit, et que je l'aime !
+<cyrano> /me souriant
+<cyrano> Christian a tant d'esprit ? ...
+<roxane> ... Mon cher, plus que vous-même !
+<cyrano> J'y consens. ...
+<roxane> ... Il ne peut exister à mon goût
+<roxane> Plus fin diseur de ces jolis riens qui sont tout.
+<roxane> Parfois il est distrait, ses Muses sont absentes;
+<roxane> Puis, tout à coup, il dit des choses ravissantes !
+<cyrano> /me incrédule
+<cyrano> Non ? ...
+<roxane> ... C'est trop fort ! Voilà comme les hommes sont :
+<roxane> Il n'aura pas d'esprit puisqu'il est beau garçon !
+<cyrano> Il sait parler du cœur d'une façon experte ?
+<roxane> Mais il n'en parle pas, Monsieur, il en disserte !
+<cyrano> Il écrit ? ...
+<roxane> ... Mieux encor ! Écoutez donc un peu :
+<roxane> /me déclamant
+<roxane> Plus tu me prends de cœur, plus j'en ai ! ...
+<roxane> /me triomphante, à Cyrano
+<roxane> ... Hé ! bien ? ...
+<cyrano> ... Peuh !
+<roxane> Et ceci : Pour souffrir, puisqu'il m'en faut un autre,
+<roxane> Si vous gardez mon cœur, envoyez-moi le vôtre !
+<cyrano> Tantôt il en a trop et tantôt pas assez.
+<cyrano> Qu'est-ce au juste qu'il veut, de cœur ? ...
+<roxane> /me frappant du pied
+<roxane> ... Vous m'agacez !
+<roxane> C'est la jalousi' ...
+<cyrano> /me tressaillant
+<cyrano> ... Hein ! ...
+<roxane> ... d'auteur qui vous dévore !
+<roxane> --Et ceci, n'est-il pas du dernier tendre encore ?
+<roxane> Croyez que devers vous mon cœur ne fait qu'un cri,
+<roxane> Et que si les baisers s'envoyaient par écrit,
+<roxane> Madame, vous liriez ma lettre avec les lèvres !
+<cyrano> /me souriant malgré lui de satisfaction
+<cyrano> Ha ! ha ! ces lignes-là sont... hé ! hé ! ...
+<cyrano> /me se reprenant et avec dédain
+<cyrano> ... mais bien mièvres !
+<roxane> Et ceci ...
+<cyrano> /me ravi
+<cyrano> ... Vous savez donc ses lettres par cœur ?
+<roxane> Toutes ! ...
+<cyrano> /me frisant sa moustache
+<cyrano> ... Il n'y a pas à dire : c'est flatteur !
+<roxane> C'est un maître ! ...
+<cyrano> /me modeste
+<cyrano> ... Oh ! ... un maître ! ...
+<roxane> /me péremptoire
+<roxane> ... Un maître ! ...
+<cyrano> /me saluant
+<cyrano> ... Soit ! ... un maître !
+<duegne> /me qui était remontée, redescendant vivement
+<duegne> Monsieur de Guiche ! ...
+<duegne> /me à Cyrano, le poussant vers la maison
+<duegne> ... Entrez ! ... car il vaut mieux, peut-être,
+<duegne> Qu'il ne vous trouve pas ici; cela pourrait
+<duegne> Le mettre sur la piste ...
+<roxane> /me à Cyrano
+<roxane> ... Oui, de mon cher secret !
+<roxane> Il m'aime, il est puissant, il ne faut pas qu'il sache !
+<roxane> Il peut dans mes amours donner un coup de hache !
+<cyrano> /me entrant dans la maison
+<cyrano> Bien ! bien ! bien ! ...
+<cyrano> /part
+<ragueneau> /part
+<MASTER> De Guiche paraît.
+<deguiche> /join
+
+<MASTER> Scène 3.II.
+<MASTER> Roxane, De Guiche, la duègne, à l'écart.
+<roxane> /me à De Guiche, lui faisant une révérence
+<roxane> ... Je sortais. ...
+<deguiche> ... Je viens prendre congé.
+<roxane> Vous partez ? ...
+<deguiche> ... Pour la guerre. ...
+<roxane> ... Ah ! ...
+<deguiche> ... Ce soir même. ...
+<roxane> ... Ah ! ...
+<deguiche> ... J'ai
+<deguiche> Des ordres. On assiège Arras. ...
+<roxane> ... Ah... on assiège ?
+<deguiche> Oui... Mon départ a l'air de vous laisser de neige.
+<roxane> /me poliment
+<roxane> Oh ! ...
+<deguiche> ... Moi, je suis navré. Vous reverrai-je ? ... Quand ?
+<deguiche> --Vous savez que je suis nommé mestre de camp ?
+<roxane> /me indifférente
+<roxane> Bravo. ...
+<deguiche> ... Du régiment des gardes. ...
+<roxane> /me saisie
+<roxane> ... Ah ? des gardes ?
+<deguiche> Où sert votre cousin, l'homme aux phrases vantardes.
+<deguiche> Je saurai me venger de lui, là-bas. ...
+<roxane> /me suffoquée
+<roxane> ... Comment !
+<roxane> Les gardes vont là-bas ? ...
+<deguiche> /me riant
+<deguiche> ... Tiens ! c'est mon régiment !
+<roxane> /me tombant assise sur le banc,--à part
+<roxane> Christian ! ...
+<deguiche> ... Qu'avez-vous ? ...
+<roxane> /me toute émue
+<roxane> ... Ce... départ... me désespère !
+<roxane> Quand on tient à quelqu'un, le savoir à la guerre !
+<deguiche> /me surpris et charmé
+<deguiche> Pour la première fois me dire un mot si doux,
+<deguiche> Le jour de mon départ ! ...
+<roxane> /me changeant de ton et s'éventant
+<roxane> ... Alors,--vous allez vous
+<roxane> Venger de mon cousin ? ...
+<deguiche> /me souriant
+<deguiche> ... On est pour lui ? ...
+<roxane> ... Non,--contre !
+<deguiche> Vous le voyez ? ...
+<roxane> ... Très peu. ...
+<deguiche> ... Partout on le rencontre
+<deguiche> Avec un des cadets ...
+<deguiche> /me cherche le nom
+<deguiche> ... ce Neu... villen... viller
+<roxane> Un grand ? ...
+<deguiche> ... Blond. ...
+<roxane> ... Roux. ...
+<deguiche> ... Beau ! ...
+<roxane> ... Peuh ! ...
+<deguiche> ... Mais bête. ...
+<roxane> ... Il en a l'air !
+<roxane> /me changeant de ton
+<roxane> Votre vengeance envers Cyrano ?--c'est peut-être
+<roxane> De l'exposer au feu, qu'il adore ? ... Elle est piètre !
+<roxane> Je sais bien, moi, ce qui lui serait sanglant ! ...
+<deguiche> ... C'est ?
+<roxane> Mais, si le régiment, en partant, le laissait
+<roxane> Avec ses chers cadets, pendant toute la guerre,
+<roxane> À Paris, bras croisés ! ... C'est la seule manière,
+<roxane> Un homme comme lui, de le faire enrager :
+<roxane> Vous voulez le punir ? privez-le de danger.
+<deguiche> Une femme ! une femme ! il n'y a qu'une femme
+<deguiche> Pour inventer ce tour ! ...
+<roxane> ... Il se rongera l'âme,
+<roxane> Et ses amis les poings, de n'être pas au feu :
+<roxane> Et vous serez vengé ! ...
+<deguiche> /me se rapprochant
+<deguiche> ... Vous m'aimez donc un peu ?
+<roxane> /me sourit
+<deguiche> Je veux voir dans ce fait d'épouser ma rancune
+<deguiche> Une preuve d'amour, Roxane ! ...
+<roxane> ... C'en est une.
+<deguiche> /me montrant plusieurs plis cachetés
+<deguiche> J'ai les ordres sur moi qui vont être transmis
+<deguiche> À chaque compagnie, a l'instant mêm', hormis
+<deguiche> /me en détache un
+<deguiche> Celui-ci ! C'est celui des cadets. ...
+<deguiche> /me le met dans sa poche
+<deguiche> ... Je le garde.
+<deguiche> /me riant
+<deguiche> Ah ! ah ! ah ! Cyrano ! ... Son humeur bataillarde !
+<deguiche> --Vous jouez donc des tours aux gens, vous ? ...
+<roxane> /me le regardant
+<roxane> ... Quelquefois.
+<deguiche> /me tout près d'elle
+<deguiche> Vous m'affolez ! Ce soir--écoutez--oui, je dois
+<deguiche> Être parti. Mais fuir quand je vous sens émue !
+<deguiche> Écoutez. Il y a, près d'ici, dans la rue
+<deguiche> D'Orléans, un couvent fondé par le syndic
+<deguiche> Des capucins, le Père Athanase. Un laïc
+<deguiche> N'y peut entrer. Mais les bons Pères, je m'en charge !
+<deguiche> Il peuvent me cacher dans leur manche : elle est large.
+<deguiche> --Ce sont les capucins qui servent Richelieu
+<deguiche> Chez lui; redoutant l'oncle, ils craignent le neveu.
+<deguiche> --On me croira parti. Je viendrai sous le masque.
+<deguiche> Laissez-moi retarder d'un jour, chère fantasque !
+<roxane> /me vivement
+<roxane> Mais si cela s'apprend, votre gloire ...
+<deguiche> ... Bah ! ...
+<roxane> ... Mais
+<roxane> Le siège, Arras ...
+<deguiche> ... Tant pis ! Permettez ! ...
+<roxane> ... Non ! ...
+<deguiche> ... Permets !
+<roxane> /me tendrement
+<roxane> Je dois vous le défendre ! ...
+<deguiche> ... Ah ! ...
+<roxane> ... Partez ! ...
+<roxane> /me à part
+<roxane> ... Christian reste.
+<roxane> /me haut
+<roxane> Je vous veux héroïque,--Antoine ! ...
+<deguiche> ... Mot céleste !
+<deguiche> Vous aimez donc celui ? ...
+<roxane> ... Pour lequel j'ai frémi.
+<deguiche> /me transporté de joie
+<deguiche> Ah ! je pars ! ...
+<deguiche> /me lui baise la main
+<deguiche> ... Êtes-vous contente ? ...
+<roxane> ... Oui, mon ami !
+<deguiche> /me sort.
+<deguiche> /part
+<duegne> /me lui faisant dans le dos une révérence comique
+<duegne> Oui, mon ami ! ...
+<roxane> /me à la duègne
+<roxane> ... Taisons ce que je viens de faire :
+<roxane> Cyrano m'en voudrait de lui voler sa guerre !
+<roxane> /me appelle vers la maison
+<roxane> Cousin ! ...
+<cyrano> /join
+
+<MASTER> Scène 3.III.
+<MASTER> Roxane, la duègne, Cyrano.
+<roxane> ... Nous allons chez Clomire. ...
+<roxane> /me désigne la porte d'en face
+<roxane> ... Alcandre y doit
+<roxane> Parler, et Lysimon ! ...
+<duegne> /me mettant son petit doigt dans son oreille
+<duegne> ... Oui ! mais mon petit doigt
+<duegne> Dit qu'on va les manquer ! ...
+<cyrano> /me à Roxane
+<cyrano> ... Ne manquez pas ces singes.
+<MASTER> Ils sont arrivés devant la porte de Clomire.
+<duegne> /me avec ravissement
+<duegne> Oh, voyez ! le heurtoir est entouré de linges !
+<duegne> /me au heurtoir
+<duegne> On vous a bâillonné pour que votre métal
+<duegne> Ne troublât pas les beaux discours,--petit brutal !
+<duegne> /me le soulève avec des soins infinis et frappe doucement.
+<roxane> /me voyant qu'on ouvre
+<roxane> Entrons ! ...
+<roxane> /me du seuil, à Cyrano
+<roxane> ... Si Christian vient, comme je le présume,
+<roxane> Qu'il m'attende ! ...
+<duegne> /part
+<cyrano> /me vivement, comme elle va disparaître
+<cyrano> ... Ah ! ...
+<roxane> /me se retourne
+<cyrano> ... Sur quoi, selon votre coutume,
+<cyrano> Comptez-vous aujourd'hui l'interroger ! ...
+<roxane> ... Sur
+<cyrano> /me vivement
+<cyrano> Sur ? ...
+<roxane> ... Mais vous serez muet, là-dessus ! ...
+<cyrano> ... Comme un mur.
+<roxane> Sur rien ! ... Je vais lui dire : Allez ! Partez sans bride !
+<roxane> Improvisez. Parlez d'amour. Soyez splendide !
+<cyrano> /me souriant
+<cyrano> Bon. ...
+<roxane> ... Chut ! ...
+<cyrano> ... Chut ! ...
+<roxane> ... Pas un mot ! ...
+<roxane> /me rentre et referme la porte.
+<cyrano> /me la saluant, la porte une fois fermée
+<cyrano> ... En vous remerciant.
+<MASTER> La porte se rouvre et Roxane passe la tête.
+<roxane> Il se préparerait ! ...
+<cyrano> ... Diable, non ! ...
+<cyrano> /me avec Roxane
+<cyrano> ... Chut ! ...
+<MASTER> La porte se ferme.
+<roxane> /part
+<cyrano> /me appelant
+<cyrano> ... Christian !
+
+<MASTER> Scène 3.IV.
+<MASTER> Cyrano, Christian.
+<christian> /join
+<cyrano> Je sais tout ce qu'il faut. Prépare ta mémoire.
+<cyrano> Voici l'occasion de se couvrir de gloire.
+<cyrano> Ne perdons pas de temps. Ne prends pas l'air grognon.
+<cyrano> Vite, rentrons chez toi, je vais t'apprendre ...
+<christian> ... Non !
+<cyrano> Hein ? ...
+<christian> ... Non ! J'attends Roxane ici. ...
+<cyrano> ... De quel vertige
+<cyrano> Es-tu frappé ? Viens vite apprendre ...
+<christian> ... Non, te dis-je !
+<christian> Je suis las d'emprunter mes lettres, mes discours,
+<christian> Et de jouer ce rôle, et de trembler toujours !
+<christian> C'était bon au début ! Mais je sens qu'elle m'aime !
+<christian> Merci. Je n'ai plus peur. Je vais parler moi-même.
+<cyrano> Ouais ! ...
+<christian> ... Et qui te dit que je ne saurais pas ?
+<christian> Je ne suis pas si bête à la fin ! Tu verras !
+<christian> Mais, mon cher, tes leçons m'ont été profitables.
+<christian> Je saurai parler seul ! Et, de par tous les diables,
+<christian> Je saurai bien toujours la prendre dans mes bras !
+<christian> /me apercevant Roxane, qui ressort de chez Clomire
+<christian> --C'est elle ! Cyrano, non, ne me quitte pas !
+<cyrano> /me le saluant
+<cyrano> Parlez tout seul, Monsieur. ...
+<cyrano> /me disparaît derrière le mur du jardin.
+
+<MASTER> Scène 3.V.
+<MASTER> Christian, Roxane, quelques précieux et précieuses, et la duègne,
+<MASTER> un instant.
+<roxane> /join
+<roxane> /me sortant de la maison de Clomire avec une compagnie qu'elle
+<roxane> /me quitte : révérences et saluts
+<roxane> ... Barthénoïde !--Alcandre !
+<roxane> --Grémione ! ...
+<duegne> /join
+<duegne> /me désespérée
+<duegne> ... On a manqué le discours sur le Tendre !
+<duegne> /me rentre chez Roxane.
+<roxane> /me saluant encore
+<roxane> Urimédonte ! ... Adieu ! ...
+<MASTER> Tous saluent Roxane, se resaluent entre eux, se séparent et
+<MASTER> s'éloignent par différentes rues. Roxane voit Christian
+<roxane> ... C'est vous ! ...
+<roxane> /me va à lui
+<roxane> ... Le soir descend.
+<roxane> Attendez. Ils sont loin. L'air est doux. Nul passant.
+<roxane> Asseyons-nous. Parlez. J'écoute. ...
+<christian> /me s'assied près d'elle, sur le banc. Un silence
+<christian> ... Je vous aime.
+<roxane> /me fermant les yeux
+<roxane> Oui, parlez-moi d'amour. ...
+<christian> ... Je t'aime. ...
+<roxane> ... C'est le thème.
+<roxane> Brodez, brodez. ...
+<christian> ... Je vous ...
+<roxane> ... Brodez ! ...
+<christian> ... Je t'aime tant.
+<roxane> Sans doute ! Et puis ? ...
+<christian> ... Et puis... je serais si content
+<christian> Si vous m'aimiez !--Dis-moi, Roxane, que tu m'aimes !
+<roxane> /me avec une moue
+<roxane> Vous m'offrez du brouet quand j'espérais des crèmes !
+<roxane> Dites un peu comment vous m'aimez ? ...
+<christian> ... Mais... beaucoup.
+<roxane> Oh ! ... Délabyrinthez vos sentiments ! ...
+<christian> /me qui s'est rapproché et dévore des yeux la nuque blonde
+<christian> ... Ton cou !
+<christian> Je voudrais l'embrasser ! ...
+<roxane> ... Christian ! ...
+<christian> ... Je t'aime ! ...
+<roxane> /me voulant se lever
+<roxane> ... Encore !
+<christian> /me vivement, la retenant
+<christian> Non ! je ne t'aime pas ! ...
+<roxane> /me se rasseyant
+<roxane> ... C'est heureux ! ...
+<christian> ... Je t'adore !
+<roxane> /me se levant et s'éloignant
+<roxane> Oh ! ...
+<christian> ... Oui... je deviens sot ! ...
+<roxane> /me sèchement
+<roxane> ... Et cela me déplaît !
+<roxane> Comme il me déplairait que vous devinssiez laid.
+<christian> Mais ...
+<roxane> ... Allez rassembler votre éloquence en fuite !
+<christian> Je ...
+<roxane> ... Vous m'aimez, je sais. Adieu. ...
+<roxane> /me va vers la maison.
+<christian> ... Pas tout de suite !
+<christian> Je vous dirai ...
+<roxane> /me poussant la porte pour rentrer
+<roxane> ... Que vous m'adorez... oui, je sais.
+<roxane> Non ! Non ! Allez-vous-en ! ...
+<christian> ... Mais je ...
+<christian> /me lui ferme la porte au nez.
+<cyrano> /me qui depuis un moment est rentré sans être vu
+<cyrano> ... C'est un succès.
+
+<MASTER> Scène 3.VI.
+<MASTER> Christian, Cyrano, les pages, un instant.
+<christian> Au secours ! ...
+<cyrano> ... Non monsieur. ...
+<christian> ... Je meurs si je ne rentre
+<christian> En grâce, à l'instant même ...
+<cyrano> ... Et comment puis-je, diantre !
+<cyrano> Vous faire à l'instant même, apprendre ? ...
+<christian> /me lui saisissant le bras
+<christian> ... Oh ! là, tiens, vois !
+<MASTER> La fenêtre du balcon s'est éclairée
+<cyrano> /me ému
+<cyrano> Sa fenêtre ! ...
+<christian> /me criant
+<christian> ... Je vais mourir ! ...
+<cyrano> ... Baissez la voix !
+<christian> /me tout bas
+<christian> Mourir ! ...
+<cyrano> ... La nuit est noire ...
+<christian> ... Eh ! bien ? ...
+<cyrano> ... C'est réparable.
+<cyrano> Vous ne méritez pas... Mets-toi là, misérable !
+<cyrano> Là, devant le balcon ! Je me mettrai dessous
+<cyrano> Et je te soufflerai tes mots. ...
+<christian> ... Mais ...
+<cyrano> ... Taisez-vous !
+<page1> /join
+<page2> /join
+<page1> /me reparaissant au fond, à Cyrano
+<page1> Hep ! ...
+<cyrano> ... Chut ! ...
+<cyrano> /me leur fait signe de parler bas.
+<page1> /me à mi-voix
+<page1> ... Nous venons de donner la sérénade
+<page1> À Montfleury ! ...
+<cyrano> /me bas, vite
+<cyrano> ... Allez-vous mettre en embuscade
+<cyrano> L'un à ce coin de rue, et l'autre à celui-ci;
+<cyrano> Et si quelque passant gênant vient par ici,
+<cyrano> Jouez un air ! ...
+<page2> ... Quel air, monsieur le gassendiste ?
+<cyrano> Joyeux pour une femme, et pour un homme, triste !
+<MASTER> Les pages disparaissent, un à chaque coin de rue.
+<page1> /part
+<page2> /part
+<cyrano> /me À Christian
+<cyrano> Appelle-la ! ...
+<christian> ... Roxane ! ...
+<cyrano> /me ramassant des cailloux qu'il jette dans les vitres
+<cyrano> ... Attends ! Quelques cailloux.
+
+<MASTER> Scène VII.
+<MASTER> Roxane, Christian, Cyrano, d'abord caché sous le balcon.
+<roxane> /me entr'ouvrant sa fenêtre
+<roxane> Qui donc m'appelle ? ...
+<christian> ... Moi. ...
+<roxane> ... Qui, moi ? ...
+<christian> ... Christian. ...
+<roxane> /me avec dédain
+<roxane> ... C'est vous ?
+<christian> Je voudrais vous parler. ...
+<cyrano> /me sous le balcon, à Christian
+<cyrano> ... Bien. Bien. Presque à voix basse.
+<roxane> Non ! Vous parlez trop mal. Allez-vous-en ! ...
+<christian> ... De grâce !
+<roxane> Non ! Vous ne m'aimez plus ! ...
+<christian> /me à qui Cyrano souffle ses mots
+<christian> ... M'accuser,--justes dieux !--
+<christian> De n'aimer plus... quand... j'aime plus ! ...
+<roxane> /me qui allait refermer sa fenêtre, s'arrêtant
+<roxane> ... Tiens ! mais c'est mieux !
+<christian> /me même jeu
+<christian> L'amour grandit bercé dans mon âme inquiète
+<christian> Que ce... cruel marmot prit pour... barcelonnette !
+<roxane> /me s'avançant sur le balcon
+<roxane> C'est mieux !--Mais, puisqu'il est cruel, vous fûtes sot
+<roxane> De ne pas, cet amour, l'étouffer au berceau !
+<christian> /me même jeu
+<christian> Aussi l'ai-je tenté, mais... tentative nulle :
+<christian> Ce nouveau-né, Madame, est un petit Hercule.
+<roxane> C'est mieux ! ...
+<christian> /me même jeu
+<christian> ... De sorte qu'il... strangula comme rien
+<christian> Les deux serpents... Orgueil et... Doute. ...
+<roxane> /me s'accoudant au balcon
+<roxane> ... Ah ! c'est très bien.
+<roxane> --Mais pourquoi parlez-vous de façon peu hâtive ?
+<roxane> Auriez-vous donc la goutte à l'imaginative ?
+<cyrano> /me tirant Christian sous le balcon, et se glissant à sa place
+<cyrano> Chut ! Cela devient trop difficile ! ...
+<roxane> ... Aujourd'hui
+<roxane> Vos mots sont hésitants. Pourquoi ? ...
+<cyrano> /me parlant à mi-voix, comme Christian
+<cyrano> ... C'est qu'il fait nuit,
+<cyrano> Dans cette ombre, à tâtons, ils cherchent votre oreille.
+<roxane> Les miens n'éprouvent pas difficulté pareille.
+<cyrano> Ils trouvent tout de suite ? Oh ! cela va de soi,
+<cyrano> Puisque c'est dans mon cœur, eux, que je les reçois;
+<cyrano> Or, moi, j'ai le cœur grand, vous, l'oreille petite.
+<cyrano> D'ailleurs vos mots à vous, descendent : ils vont vite.
+<cyrano> Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps !
+<roxane> Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants.
+<cyrano> De cette gymnastique, ils ont pris l'habitude !
+<roxane> Je vous parle, en effet, d'une vraie altitude !
+<cyrano> Certes, et vous me tueriez si de cette hauteur
+<cyrano> Vous me laissiez tomber un mot dur sur le cœur !
+<roxane> /me avec un mouvement
+<roxane> Je descends. ...
+<cyrano> /me vivement
+<cyrano> ... Non ! ...
+<roxane> /me lui montrant le banc qui est sous le balcon
+<roxane> ... Grimpez sur le banc, alors, vite !
+<cyrano> /me reculant avec effroi dans la nuit
+<cyrano> Non ! ...
+<roxane> ... Comment... non ? ...
+<cyrano> /me que l'émotion gagne de plus en plus
+<cyrano> ... Laissez un peu que l'on profite
+<cyrano> De cette occasion qui s'offre... de pouvoir
+<cyrano> Se parler doucement, sans se voir. ...
+<roxane> ... Sans se voir ?
+<cyrano> Mais oui, c'est adorable. On se devine à peine.
+<cyrano> Vous voyez la noirceur d'un long manteau qui traîne,
+<cyrano> J'aperçois la blancheur d'une robe d'été :
+<cyrano> Moi je ne suis qu'une ombre, et vous qu'une clarté !
+<cyrano> Vous ignorez pour moi ce que sont ces minutes !
+<cyrano> Si quelquefois je fus éloquent ...
+<roxane> ... Vous le fûtes !
+<cyrano> Mon langage jamais jusqu'ici n'est sorti
+<cyrano> De mon vrai cœur ...
+<roxane> ... Pourquoi ? ...
+<cyrano> ... Parce que... jusqu'ici
+<cyrano> Je parlais à travers ...
+<roxane> ... Quoi ? ...
+<cyrano> ... le vertige où tremble
+<cyrano> Quiconque est sous vos yeux ! ... Mais, ce soir, il me semble
+<cyrano> Que je vais vous parler pour la première fois !
+<roxane> C'est vrai que vous avez une tout autre voix.
+<cyrano> /me se rapprochant avec fièvre
+<cyrano> Oui, tout autre, car dans la nuit qui me protège
+<cyrano> J'ose être enfin moi-même, et j'ose ...
+<cyrano> /me s'arrête et avec égarement
+<cyrano> ... Où en étais-je ?
+<cyrano> Je ne sais... tout ceci,--pardonnez mon émoi,--
+<cyrano> C'est si délicieux, c'est si nouveau pour moi !
+<roxane> Si nouveau ? ...
+<cyrano> /me bouleversé, et essayant toujours de rattraper ses mots
+<cyrano> ... Si nouveau... mais oui... d'être sincère :
+<cyrano> La peur d'être raillé, toujours au cœur me serre
+<roxane> Raillé de quoi ? ...
+<cyrano> ... Mais de... d'un élan ! ... Oui, mon cœur
+<cyrano> Toujours, de mon esprit s'habille, par pudeur :
+<cyrano> Je pars pour décrocher l'étoile, et je m'arrête
+<cyrano> Par peur du ridicule, à cueillir la fleurette !
+<roxane> La fleurette a du bon. ...
+<cyrano> ... Ce soir, dédaignons-la !
+<roxane> Vous ne m'aviez jamais parlé comme cela !
+<cyrano> Ah ! si loin des carquois, des torches et des flèches,
+<cyrano> On se sauvait un peu vers des choses... plus fraîches !
+<cyrano> Au lieu de boire goutte à goutte, en un mignon
+<cyrano> Dé à coudre d'or fin, l'eau fade du Lignon,
+<cyrano> Si l'on tentait de voir comment l'âme s'abreuve
+<cyrano> En buvant largement à même le grand fleuve !
+<roxane> Mais l'esprit ? ...
+<cyrano> ... J'en ai fait pour vous faire rester
+<cyrano> D'abord, mais maintenant ce serait insulter
+<cyrano> Cette nuit, ces parfums, cette heure, la Nature,
+<cyrano> Que de parler comme un billet doux de Voiture !
+<cyrano> --Laissons, d'un seul regard de ses astres, le ciel
+<cyrano> Nous désarmer de tout notre artificiel :
+<cyrano> Je crains tant que parmi notre alchimie exquise
+<cyrano> Le vrai du sentiment ne se volatilise,
+<cyrano> Que l'âme ne se vide à ces passe-temps vains,
+<cyrano> Et que le fin du fin ne soit la fin des fins !
+<roxane> Mais l'esprit ? ...
+<cyrano> ... Je le hais dans l'amour ! C'est un crime
+<cyrano> Lorsqu'on aime de trop prolonger cette escrime !
+<cyrano> Le moment vient d'ailleurs inévitablement,
+<cyrano> --Et je plains ceux pour qui ne vient pas ce moment !--
+<cyrano> Où nous sentons qu'en nous une amour noble existe
+<cyrano> Que chaque joli mot que nous disons rend triste !
+<roxane> Eh bien ! si ce moment est venu pour nous deux,
+<roxane> Quels mots me direz-vous ? ...
+<cyrano> ... Tous ceux, tous ceux, tous ceux
+<cyrano> Qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe,
+<cyrano> Sans les mettre en bouquet : je vous aime, j'étouffe,
+<cyrano> Je t'aime, je suis fou, je n'en peux plus, c'est trop;
+<cyrano> Ton nom est dans mon cœur comme dans un grelot,
+<cyrano> Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne,
+<cyrano> Tout le temps, le grelot s'agite, et le nom sonne !
+<cyrano> De toi, je me souviens de tout, j'ai tout aimé :
+<cyrano> Je sais que l'an dernier, un jour, le douze mai,
+<cyrano> Pour sortir le matin tu changeas de coiffure !
+<cyrano> J'ai tellement pris pour clarté ta chevelure
+<cyrano> Que, comme lorsqu'on a trop fixé le soleil,
+<cyrano> On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil,
+<cyrano> Sur tout, quand j'ai quitté les feux dont tu m'inondes,
+<cyrano> Mon regard ébloui pose des taches blondes !
+<roxane> /me d'une voix troublée
+<roxane> Oui, c'est bien de l'amour ...
+<cyrano> ... Certes, ce sentiment
+<cyrano> Qui m'envahit, terrible et jaloux, c'est vraiment
+<cyrano> De l'amour, il en a toute la fureur triste !
+<cyrano> De l'amour,--et pourtant il n'est pas égoïste !
+<cyrano> Ah ! que pour ton bonheur je donnerais le mien,
+<cyrano> Quand même tu devrais n'en savoir jamais rien,
+<cyrano> S'il se pouvait, parfois, que de loin, j'entendisse
+<cyrano> Rire un peu le bonheur né de mon sacrifice !
+<cyrano> --Chaque regard de toi suscite une vertu
+<cyrano> Nouvelle, une vaillance en moi ! Commences-tu
+<cyrano> À comprendre, à présent ? voyons, te rends-tu compte ?
+<cyrano> Sens-tu mon âme, un peu, dans cette ombre, qui monte ?
+<cyrano> Oh ! mais vraiment, ce soir, c'est trop beau, c'est trop doux !
+<cyrano> Je vous dis tout cela, vous m'écoutez, moi, vous !
+<cyrano> C'est trop ! Dans mon espoir même le moins modeste,
+<cyrano> Je n'ai jamais espéré tant ! Il ne me reste
+<cyrano> Qu'à mourir maintenant ! C'est à cause des mots
+<cyrano> Que je dis qu'elle tremble entre les bleus rameaux !
+<cyrano> Car vous tremblez, comme une feuille entre les feuilles !
+<cyrano> Car tu trembles ! car j'ai senti, que tu le veuilles
+<cyrano> Ou non, le tremblement adoré de ta main
+<cyrano> Descendre tout le long des branches du jasmin !
+<cyrano> /me baise éperdument l'extrémité d'une branche pendante.
+<roxane> Oui, je tremble, et je pleure, et je t'aime, et suis tienne !
+<roxane> Et tu m'as enivrée ! ...
+<cyrano> ... Alors, que la mort vienne !
+<cyrano> Cette ivresse, c'est moi, moi, qui l'ai su causer !
+<cyrano> Je ne demande plus qu'une chose ...
+<christian> /me sous le balcon
+<christian> ... Un baiser !
+<roxane> /me se rejetant en arrière
+<roxane> Hein ? ...
+<cyrano> ... Oh ! ...
+<roxane> ... Vous demandez ? ...
+<cyrano> ... Oui... je ...
+<cyrano> /me à Christian bas
+<cyrano> ... Tu vas trop vite.
+<christian> Puisqu'elle est si troublée, il faut que j'en profite !
+<cyrano> /me à Roxane
+<cyrano> Oui, je... j'ai demandé, c'est vrai... mais justes cieux !
+<cyrano> Je comprends que je fus bien trop audacieux.
+<roxane> /me un peu déçue
+<roxane> Vous n'insistez pas plus que cela ? ...
+<cyrano> ... Si ! j'insiste
+<cyrano> Sans insister ! ... Oui, oui ! votre pudeur s'attriste !
+<cyrano> Eh bien ! mais, ce baiser... ne me l'accordez pas !
+<christian> /me à Cyrano, le tirant par son manteau
+<christian> Pourquoi ? ...
+<cyrano> ... Tais-toi, Christian ! ...
+<roxane> /me se penchant
+<roxane> ... Que dites-vous tout bas ?
+<cyrano> Mais d'être allé trop loin, moi-même je me gronde;
+<cyrano> Je me disais : tais toi, Christian ! ...
+<MASTER> Les théorbes se mettent à jouer
+<cyrano> ... Une seconde !
+<cyrano> On vient ! ...
+<MASTER> Roxane referme la fenêtre. Cyrano écoute les théorbes, dont l'un joue
+<MASTER> un air folâtre et l'autre un air lugubre
+<cyrano> ... Air triste ? Air gai ? ... Quel est donc leur dessein ?
+<cyrano> Est-ce un homme ? Une femme ?--Ah ! c'est un capucin !
+<capucin> /join
+<MASTER> Entre un capucin qui va de maison en maison, une lanterne à la main,
+<MASTER> regardant les portes.
+
+<MASTER> Scène 3.VIII.
+<MASTER> Cyrano, Christian, un capucin.
+<cyrano> /me au capucin
+<cyrano> Quel est ce jeu renouvelé de Diogène ?
+<capucin> Je cherche la maison de madame ...
+<christian> ... Il nous gêne !
+<capucin> Magdeleine Robin ...
+<christian> ... Que veut-il ? ...
+<cyrano> /me lui montrant une rue montante
+<cyrano> ... Par ici !
+<cyrano> Tout droit,--toujours tout droit ...
+<capucin> ... Je vais pour vous !--Merci
+<capucin> Dire mon chapelet jusqu'au grain majuscule.
+<capucin> /me sort.
+<capucin> /part
+<cyrano> Bonne chance ! Mes vœux suivent votre cuculle !
+<cyrano> /me redescend vers Christian.
+
+<MASTER> Scène 3.IX.
+<MASTER> Cyrano, Christian.
+<christian> Obtiens-moi ce baiser ! ...
+<cyrano> ... Non ! ...
+<christian> ... Tôt ou tard ! ...
+<cyrano> ... C'est vrai !
+<cyrano> Il viendra, ce moment de vertige enivré
+<cyrano> Où vos bouches iront l'une vers l'autre, à cause
+<cyrano> De ta moustache blonde et de sa lèvre rose !
+<cyrano> /me à lui-même
+<cyrano> J'aime mieux que ce soit à cause de ...
+<MASTER> Bruit des volets qui se rouvrent, Christian se cache sous le balcon.
+
+<MASTER> Scène 3.X.
+<MASTER> Cyrano, Christian, Roxane.
+<roxane> /me s'avançant sur le balcon
+<roxane> ... C'est vous ?
+<roxane> Nous parlions de... de... d'un ...
+<cyrano> ... Baiser ! Le mot est doux.
+<cyrano> Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l'ose;
+<cyrano> S'il la brûle déjà, que sera-ce la chose ?
+<cyrano> Ne vous en faites pas un épouvantement :
+<cyrano> N'avez-vous pas tantôt, presque insensiblement,
+<cyrano> Quitté le badinage et glissé sans alarmes
+<cyrano> Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes !
+<cyrano> Glissez encore un peu d'insensible façon :
+<cyrano> Des larmes au baiser il n'y a qu'un frisson !
+<roxane> Taisez-vous ! ...
+<cyrano> ... Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce ?
+<cyrano> Un serment fait d'un peu plus près, une promesse
+<cyrano> Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
+<cyrano> Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer;
+<cyrano> C'est un secret qui prend la bouche pour oreille,
+<cyrano> Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille,
+<cyrano> Une communion ayant un goût de fleur,
+<cyrano> Une façon d'un peu se respirer le cœur,
+<cyrano> Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme !
+<roxane> Taisez-vous ! ...
+<cyrano> ... Un baiser, c'est si noble, Madame,
+<cyrano> Que la reine de France, au plus heureux des lords,
+<cyrano> En a laissé prendre un, la reine même ! ...
+<roxane> ... Alors !
+<cyrano> /me s'exaltant
+<cyrano> J'eus comme Buckingham des souffrances muettes,
+<cyrano> J'adore comme lui la reine que vous êtes,
+<cyrano> Comme lui je suis triste et fidèle ...
+<roxane> ... Et tu es
+<roxane> Beau comme lui ! ...
+<cyrano> /me à part, dégrisé
+<cyrano> ... C'est vrai, je suis beau, j'oubliais !
+<roxane> Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille
+<cyrano> /me poussant Christian vers le balcon
+<cyrano> Monte ! ...
+<roxane> ... Ce goût de cœur ...
+<cyrano> ... Monte ! ...
+<roxane> ... Ce bruit d'abeille
+<cyrano> Monte ! ...
+<christian> /me hésitant
+<christian> ... Mais il me semble, à présent, que c'est mal !
+<roxane> Cet instant d'infini ! ...
+<cyrano> /me le poussant
+<cyrano> ... Monte donc, animal !
+<MASTER> Christian s'élance, et par le banc, le feuillage, les piliers,
+<MASTER> atteint les balustres qu'il enjambe.
+<christian> Ah, Roxane ! ...
+<christian> /me l'enlace et se penche sur ses lèvres.
+<cyrano> ... Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre !
+<cyrano> --Baiser, festin d'amour dont je suis le Lazare !
+<cyrano> Il me vient dans cette ombre une miette de toi,--
+<cyrano> Mais oui, je sens un peu mon cœur qui te reçoit,
+<cyrano> Puisque sur cette lèvre où Roxane se leurre
+<cyrano> Elle baise les mots que j'ai dits tout à l'heure !
+<MASTER> On entend les théorbes
+<cyrano> Un air triste, un air gai : le capucin ! ...
+<cyrano> /me feint de courir comme s'il arrivait de loin, et d'une voix claire
+<cyrano> ... Holà !
+<roxane> Qu'est ce ? ...
+<cyrano> ... Moi. Je passais... Christian est encor là ?
+<christian> /me très étonné
+<christian> Tiens Cyrano ! ...
+<roxane> ... Bonjour, cousin ! ...
+<cyrano> ... Bonjour, cousine !
+<roxane> Je descends ! ...
+<roxane> /me disparaît dans la maison.
+<roxane> /part
+<MASTER> Au fond rentre le capucin.
+<capucin> /join
+<christian> /me l'apercevant
+<christian> ... Oh ! encor ! ...
+<christian> /me suit Roxane.
+<christian> /part
+
+<MASTER> Scène 3.XI.
+<MASTER> Cyrano, Christian, Roxane, le capucin, Ragueneau.
+<capucin> ... C'est ici, -- je m'obstine --
+<capucin> Magdeleine Robin ! ...
+<cyrano> ... Vous aviez dit : Ro-lin.
+<capucin> Non : Bin. B, i, n, bin ! ...
+<roxane> /join
+<roxane> /me paraissant sur le seuil de la maison, suivie de Ragueneau qui
+<roxane> /me porte une lanterne, et de Christian
+<christian> /join
+<ragueneau> /join
+<roxane> ... Qu'est-ce ? ...
+<capucin> ... Une lettre. ...
+<christian> ... Hein ?
+<capucin> /me à Roxane
+<capucin> Oh ! il ne peut s'agir que d'une sainte chose !
+<capucin> C'est un digne seigneur qui ...
+<roxane> /me à Christian
+<roxane> ... C'est De Guiche ! ...
+<christian> ... Il ose ?
+<roxane> Oh ! mais il ne va pas m'importuner toujours !
+<roxane> /me décachetant la lettre
+<roxane> Je t'aime, et si ...
+<roxane> /me à la lueur de la lanterne de Ragueneau, elle lit, à l'écart, à voix basse
+<roxane> ... Mademoiselle, ...
+<roxane> ... Les tambours
+<roxane> Battent; mon régiment boucle sa soubreveste;
+<roxane> Il part; moi, l'on me croit déjà parti : je reste.
+<roxane> Je vous désobéis. Je suis dans ce couvent.
+<roxane> Je vais venir, et vous le mande auparavant
+<roxane> Par un religieux simple comme une chèvre
+<roxane> Qui ne peut rien comprendre à ceci. Votre lèvre
+<roxane> M'a trop souri tantôt : j'ai voulu la revoir.
+<roxane> Éloignez un chacun, et daignez recevoir
+<roxane> L'audacieux déjà pardonné, je l'espère,
+<roxane> Qui signe votre très... et caetera ...
+<roxane> /me au capucin
+<roxane> ... Mon Père,
+<roxane> Voici ce que me dit cette lettre. Écoutez :
+<MASTER> Tous se rapprochent, elle lit à haute voix
+<roxane> Mademoiselle, ...
+<roxane> ... Il faut souscrire aux volontés
+<roxane> Du cardinal, si dur que cela vous puisse être.
+<roxane> C'est la raison pourquoi j'ai fait choix, pour remettre
+<roxane> Ces lignes en vos mains charmantes, d'un très saint,
+<roxane> D'un très intelligent et discret capucin;
+<roxane> Nous voulons qu'il vous donne, et dans votre demeure,
+<roxane> La bénédiction ...
+<roxane> /me tourne la page
+<roxane> ... nuptiale sur l'heure.
+<roxane> Christian doit en secret devenir votre époux;
+<roxane> Je vous l'envoie. Il vous déplaît. Résignez-vous.
+<roxane> Songez bien que le ciel bénira votre zèle,
+<roxane> Et tenez pour tout assuré, Mademoiselle,
+<roxane> Le respect de celui qui fut et qui sera
+<roxane> Toujours votre très humble et très... et cætera.
+<capucin> /me rayonnant
+<capucin> Digne seigneur ! ... Je l'avais dit. J'étais sans crainte !
+<capucin> Il ne pouvait s'agir que d'une chose sainte !
+<roxane> /me bas à Christian
+<roxane> N'est-ce pas que je lis très bien les lettres ? ...
+<christian> ... Hum !
+<roxane> /me haut, avec désespoir
+<roxane> Ah ! ... c'est affreux ! ...
+<capucin> /me qui a dirigé sur Cyrano la clarté de sa lanterne
+<capucin> ... C'est vous ? ...
+<christian> ... C'est moi ! ...
+<capucin> /me tournant la lumière vers lui, et, comme si un doute lui
+<capucin> /me venait, en voyant sa beauté
+<capucin> ... Mais ...
+<roxane> /me vivement
+<roxane> ... Post-scriptum :
+<roxane> Donnez pour le couvent cent vingt pistoles. ...
+<capucin> ... Digne,
+<capucin> Digne seigneur ! ...
+<capucin> /me à Roxane
+<capucin> ... Résignez-vous ? ...
+<roxane> /me en martyre
+<roxane> ... Je me résigne !
+<MASTER> Pendant que Ragueneau ouvre la porte au capucin que Christian invite
+<MASTER> à entrer, elle dit bas à Cyrano
+<roxane> Vous, retenez ici De Guiche ! Il va venir !
+<roxane> Qu'il n'entre pas tant que ...
+<cyrano> ... Compris ! ...
+<cyrano> /me au capucin
+<cyrano> ... Pour les bénir
+<cyrano> Il vous faut ? ...
+<capucin> ... Un quart d'heure. ...
+<cyrano> /me les poussant tous vers la maison
+<cyrano> ... Allez ! moi, je demeure !
+<roxane> /me à Christian
+<roxane> Viens ! ...
+<MASTER> Ils entrent.
+<ragueneau> /part
+<roxane> /part
+<duegne> /part
+<capucin> /part
+<christian> /part
+
+<MASTER> Scène XII.
+<MASTER> Cyrano, seul.
+<cyrano> ... Comment faire perdre à De Guiche un quart d'heure.
+<cyrano> /me se précipite sur le banc, grimpe au mur, vers le balcon
+<cyrano> Là ! ... Grimpons ! ... J'ai mon plan ! ...
+<MASTER> Les théorbes se mettent à jouer une phrase lugubre
+<cyrano> ... Ho ! c'est un homm' ! ...
+<MASTER> Le trémolo devient sinistre
+<cyrano> ... Ho ! ho !
+<cyrano> Cette fois, c'en est un ! ...
+<cyrano> /me sur le balcon,
+<cyrano> /me rabaisse son feutre sur ses yeux
+<cyrano> /me ôte son épée
+<cyrano> /me se drape dans sa cape
+<cyrano> /me se penche et regarde au dehors
+<cyrano> ... Non, ce n'est pas trop haut !
+<cyrano> /me enjambe les balustres et attirant à lui la longue branche d'un des
+<cyrano> /me arbres qui débordent le mur du jardin, il s'y accroche des deux mains,
+<cyrano> /me prêt a se laisser tomber
+<cyrano> Je vais légèrement troubler cette atmosphère !
+
+<MASTER> Scène 3.XIII.
+<MASTER> Cyrano, De Guiche.
+<deguiche> /join
+<deguiche> /me qui entre, masqué, tâtonnant dans la nuit
+<deguiche> Qu'est-ce que ce maudit capucin peut bien faire ?
+<cyrano> Diable ! Et ma voix ? ... S'il la reconnaissait ? ...
+<cyrano> /me lâchant d'une main, il a l'air de tourner une invisible clef
+<cyrano> ... Cric ! Crac !
+<cyrano> /me solennellement
+<cyrano> Cyrano, reprenez l'accent de Bergerac !
+<deguiche> /me regardant la maison
+<deguiche> Oui, c'est là. J'y vois mal. Ce masque m'importune !
+<MASTER> Il va pour entrer, Cyrano saute du balcon en se tenant à la branche,
+<MASTER> qui plie, et le dépose entre la porte et De Guiche; il feint de tomber
+<MASTER> lourdement, comme si c'était de très haut, et s'aplatit par terre, où
+<MASTER> il reste immobile, comme étourdi. De Guiche fait un bond en arrière
+<deguiche> Hein ? quoi ? ...
+<MASTER> Quand il lève les yeux, la branche s'est redressée; il ne voit que le
+<MASTER> ciel; il ne comprend pas
+<deguiche> ... D'où tombe donc cet homme ? ...
+<cyrano> /me se mettant sur son séant, et avec l'accent de Gascogne
+<cyrano> ... De la lune !
+<deguiche> De la ? ...
+<cyrano> /me d'une voix de rêve
+<cyrano> ... Quelle heure est-il ? ...
+<deguiche> ... N'a-t-il plus sa raison ?
+<cyrano> Quelle heure ? Quel pays ? Quel jour ? Quelle saison ?
+<deguiche> Mais ...
+<cyrano> ... Je suis étourdi ! ...
+<deguiche> ... Monsieur ...
+<cyrano> ... Comme une bombe
+<cyrano> Je tombe de la lune ! ...
+<deguiche> /me impatienté
+<deguiche> ... Ah ça ! Monsieur ! ...
+<cyrano> /me se relevant, d'une voix terrible
+<cyrano> ... J'en tombe !
+<deguiche> /me reculant
+<deguiche> Soit ! soit ! vous en tombez ! ... c'est peut-être un dément !
+<cyrano> /me marchant sur lui
+<cyrano> Et je n'en tombe pas métaphoriquement !
+<deguiche> Mais ...
+<cyrano> ... Il y a cent ans, ou bien une minute,
+<cyrano> --J'ignore tout à fait ce que dura ma chute !--
+<cyrano> J'étais dans cette boule à couleur de safran !
+<deguiche> /me haussant les épaules
+<deguiche> Oui. Laissez-moi passer ! ...
+<cyrano> /me s'interposant
+<cyrano> ... Où suis-je ? soyez franc !
+<cyrano> Ne me déguisez rien ! En quel lieu, dans quel site,
+<cyrano> Viens-je de choir, Monsieur, comme un aérolithe ?
+<deguiche> Morbleu ! ...
+<cyrano> ... Tout en cheyant je n'ai pu faire choix
+<cyrano> De mon point d'arrivée,--et j'ignore où je chois !
+<cyrano> Est-ce dans une lune ou bien dans une terre,
+<cyrano> Que vient de m'entraîner le poids de mon postère ?
+<deguiche> Mais je vous dis, Monsieur ...
+<cyrano> /me avec un cri de terreur qui fait reculer de Guiche
+<cyrano> ... Ha ! grand Dieu ! ... je crois voir
+<cyrano> Qu'on a dans ce pays le visage tout noir !
+<deguiche> /me portant la main à son visage
+<deguiche> Comment ? ...
+<cyrano> /me avec une peur emphatique
+<cyrano> ... Suis-je en Alger ? Êtes-vous indigène ?
+<deguiche> /me qui a senti son masque
+<deguiche> Ce masque ! ...
+<cyrano> /me feignant de se rassurer un peu
+<cyrano> ... Je suis donc dans Venise, ou dans Gêne ?
+<deguiche> /me voulant passer
+<deguiche> Une dame m'attend ! ...
+<cyrano> /me complètement rassuré
+<cyrano> ... Je suis donc à Paris.
+<deguiche> /me souriant malgré lui
+<deguiche> Le drôle est assez drôle ! ...
+<cyrano> ... Ah ! vous riez ? ...
+<deguiche> ... Je ris,
+<deguiche> Mais veux passer ! ...
+<cyrano> /me rayonnant
+<cyrano> ... C'est à Paris que je retombe !
+<cyrano> /me tout à fait à son aise, riant, s'époussetant, saluant
+<cyrano> J'arrive -- excusez-moi ! -- par la dernière trombe.
+<cyrano> Je suis un peu couvert d'éther. J'ai voyagé !
+<cyrano> J'ai les yeux tout remplis de poudre d'astres. J'ai
+<cyrano> Aux éperons, encor, quelques poils de planète !
+<cyrano> /me cueillant quelque chose sur sa manche
+<cyrano> Tenez, sur mon pourpoint, un cheveu de comète !
+<cyrano> /me souffle comme pour le faire envoler.
+<deguiche> /me hors de lui
+<deguiche> Monsieur ! ...
+<cyrano> /me au moment où il va passer, tend sa jambe comme pour y montrer
+<cyrano> /me quelque chose et l'arrête
+<cyrano> ... Dans mon mollet je rapporte une dent
+<cyrano> De la Grande Ourse,--et comme, en frôlant le Trident,
+<cyrano> Je voulais éviter une de ses trois lances,
+<cyrano> Je suis allé tomber assis dans les Balances,--
+<cyrano> Dont l'aiguille, à présent, là-haut, marque mon poids !
+<cyrano> /me empêchant vivement de Guiche de passer et le prenant à un bouton du
+<cyrano> /me pourpoint
+<cyrano> Si vous serriez mon nez, Monsieur, entre vos doigts,
+<cyrano> Il jaillirait du lait ! ...
+<deguiche> ... Hein ? du lait ? ...
+<cyrano> ... De la Voie
+<cyrano> Lactée ! ...
+<deguiche> ... Oh ! Par l'enfer ! ...
+<cyrano> ... C'est le ciel qui m'envoie !
+<cyrano> /me se croisant les bras
+<cyrano> Non ! croiriez-vous, je viens de le voir en tombant,
+<cyrano> Que Sirius, la nuit, s'affuble d'un turban ?
+<cyrano> /me confidentiel
+<cyrano> L'autre Ourse est trop petite encor pour qu'elle morde !
+<cyrano> /me riant
+<cyrano> J'ai traversé la Lyre en cassant une corde !
+<cyrano> /me superbe
+<cyrano> Mais je compte en un livre écrire tout ceci,
+<cyrano> Et les étoiles d'or qu'en mon manteau roussi
+<cyrano> Je viens de rapporter à mes périls et risques,
+<cyrano> Quand on l'imprimera, serviront d'astérisques !
+<deguiche> À la parfin, je veux ...
+<cyrano> ... Vous, je vous vois venir !
+<deguiche> Monsieur ! ...
+<cyrano> ... Vous voudriez de ma bouche tenir
+<cyrano> Comment la lune est faite, et si quelqu'un habite
+<cyrano> Dans la rotondité de cette cucurbite ?
+<deguiche> /me criant
+<deguiche> Mais non ! Je veux ...
+<cyrano> ... Savoir comment j'y suis monté.
+<cyrano> Ce fut par un moyen que j'avais inventé.
+<deguiche> /me découragé
+<deguiche> C'est un fou ! ...
+<cyrano> /me dédaigneux
+<cyrano> ... Je n'ai pas refait l'aigle stupide
+<cyrano> De Regiomontanus, ni le pigeon timide
+<cyrano> D'Archytas ! ...
+<deguiche> ... C'est un fou,--mais c'est un fou savant.
+<cyrano> Non, je n'imitai rien de ce qu'on fit avant !
+<MASTER> De Guiche a réussi à passer et il marche vers la porte de Roxane.
+<MASTER> Cyrano le suit, prêt a l'empoigner
+<cyrano> J'inventai six moyens de violer l'azur vierge !
+<deguiche> /me se retournant
+<deguiche> Six ? ...
+<cyrano> /me avec volubilité
+<cyrano> ... Je pouvais, mettant mon corps nu comme un cierge,
+<cyrano> La caparaçonner de fioles de cristal
+<cyrano> Toutes pleines des pleurs d'un ciel matutinal,
+<cyrano> Et ma personne, alors, au soleil exposée,
+<cyrano> L'astre l'aurait humée en humant la rosée !
+<deguiche> /me surpris et faisant un pas vers Cyrano
+<deguiche> Tiens ! Oui, cela fait un ! ...
+<cyrano> /me reculant pour l'entraîner de l'autre côté
+<cyrano> ... Et je pouvais encor
+<cyrano> Faire engouffrer du vent, pour prendre mon essor,
+<cyrano> En raréfiant l'air dans un coffre de cèdre
+<cyrano> Par des miroirs ardents, mis en icosaèdre !
+<deguiche> /me fait encore un pas
+<deguiche> Deux ! ...
+<cyrano> /me reculant toujours
+<cyrano> ... Ou bien, machiniste autant qu'artificier,
+<cyrano> Sur une sauterelle aux détentes d'acier,
+<cyrano> Me faire, par des feux successifs de salpêtre,
+<cyrano> Lancer dans les prés bleus où les astres vont paître !
+<deguiche> /me le suivant, sans s'en douter, et comptant sur ses doigts
+<deguiche> Trois ! ...
+<cyrano> ... Puisque la fumée a tendance à monter,
+<cyrano> En souffler dans un globe assez pour m'emporter !
+<deguiche> /me même jeu, de plus en plus étonné
+<deguiche> Quatre ! ...
+<cyrano> ... Puisque Phœbé, quand son arc est le moindre,
+<cyrano> Aime sucer, ô bœufs, votre moelle... m'en oindre !
+<deguiche> /me stupéfait
+<deguiche> Cinq ! ...
+<cyrano> /me qui en parlant l'a amené jusqu'à l'autre côté de la place, près
+<cyrano> /me d'un banc
+<cyrano> ... Enfin, me plaçant sur un plateau de fer,
+<cyrano> Prendre un morceau d'aimant et le lancer en l'air !
+<cyrano> Ça, c'est un bon moyen : le fer se précipite,
+<cyrano> Aussitôt que l'aimant s'envole, à sa poursuite;
+<cyrano> On relance l'aimant bien vite, et cadédis !
+<cyrano> On peut monter ainsi indéfiniment. ...
+<deguiche> ... Six !
+<deguiche> --Mais voilà six moyens excellents ! ... Quel système
+<deguiche> Choisîtes-vous des six, Monsieur ? ...
+<cyrano> ... Un septième !
+<deguiche> Par exemple ! Et lequel ? ...
+<cyrano> ... Je vous le donne en cent !
+<deguiche> C'est que ce mâtin-là devient intéressant !
+<cyrano> /me faisant le bruit des vagues avec de grands gestes mystérieux
+<cyrano> Houüh ! houüh ! ...
+<deguiche> ... Eh bien ! ...
+<cyrano> ... Vous devinez ? ...
+<deguiche> ... Non ! ...
+<cyrano> ... La marée !
+<cyrano> À l'heure où l'onde par la lune est attirée,
+<cyrano> Je me mis sur la sable -- après un bain de mer --
+<cyrano> Et la tête partant la première, mon cher,
+<cyrano> --Car les cheveux, surtout, gardent l'eau dans leur frange !--
+<cyrano> Je m'enlevai dans l'air, droit, tout droit, comme un ange.
+<cyrano> Je montais, je montais doucement, sans efforts,
+<cyrano> Quand je sentis un choc ! ... Alors ...
+<deguiche> /me entraîné par la curiosité, et s'asseyant sur le banc
+<deguiche> ... Alors ? ...
+<cyrano> ... Alors
+<cyrano> /me reprenant sa voix naturelle
+<cyrano> Le quart d'heure est passé, Monsieur, je vous délivre :
+<cyrano> Le mariage est fait. ...
+<deguiche> /me se relevant d'un bond
+<deguiche> ... Çà, voyons, je suis ivre !
+<deguiche> Cette voix ? ...
+<MASTER> La porte de la maison s'ouvre, des laquais paraissent portant des
+<MASTER> candélabres allumés. Lumière. Cyrano ôte son chapeau au bord abaissé
+<deguiche> ... Et ce nez--Cyrano ? ...
+<cyrano> /me saluant
+<cyrano> ... Cyrano.
+<cyrano> --Ils viennent à l'instant d'échanger leur anneau.
+<deguiche> Qui cela ? ...
+<deguiche> /me se retourne.
+<MASTER> --Tableau. Derrière les laquais, Roxane et Christian
+<MASTER> se tiennent par la main. Le capucin les suit en souriant. Ragueneau
+<MASTER> élève aussi un flambeau. La duègne ferme la marche, ahurie, en petit
+<MASTER> saut de lit
+<roxane> /join
+<christian> /join
+<ragueneau> /join
+<duegne> /join
+<capucin> /join
+<deguiche> ... Ciel ! ...
+
+<MASTER> Scène 3.XIV.
+<MASTER> Les mêmes, Roxane, Christian, le capucin, Ragueneau, laquais, la duègne.
+<deguiche> /me à Roxane
+<deguiche> ... Vous ? ...
+<deguiche> /me reconnaissant Christian avec stupeur
+<deguiche> ... Lui ? ...
+<deguiche> /me saluant Roxane avec admiration
+<deguiche> ... Vous êtes des plus fines !
+<deguiche> /me à Cyrano
+<deguiche> Mes compliments, Monsieur l'inventeur des machines :
+<deguiche> Votre récit eût fait s'arrêter au portail
+<deguiche> Du paradis, un saint ! Notez-en le détail,
+<deguiche> Car vraiment cela peut resservir dans un livre !
+<cyrano> /me s'inclinant
+<cyrano> Monsieur, c'est un conseil que je m'engage à suivre.
+<capucin> /me montrant les amants à De Guiche et hochant avec satisfaction
+<capucin> /me sa grande barbe blanche
+<capucin> Un beau couple, mon fils, réuni là par vous !
+<deguiche> /me le regardant d'un œil glacé
+<deguiche> Oui. ...
+<deguiche> /me à Roxane
+<deguiche> ... Veuillez dire adieu, Madame, à votre époux.
+<roxane> Comment ? ...
+<deguiche> /me à Christian
+<deguiche> ... Le régiment déjà se met en route.
+<deguiche> Joignez-le ! ...
+<roxane> ... Pour aller à la guerre ? ...
+<deguiche> ... Sans doute !
+<roxane> Mais, Monsieur, les cadets n'y vont pas ! ...
+<deguiche> ... Ils iront.
+<deguiche> /me tirant le papier qu'il avait mis dans sa poche
+<deguiche> Voici l'ordre. ...
+<deguiche> /me à Christian
+<deguiche> ... Courez le porter, vous, baron.
+<roxane> /me se jetant dans les bras de Christian
+<roxane> Christian ! ...
+<deguiche> /me ricanant, à Cyrano
+<deguiche> ... La nuit de noce est encore lointaine !
+<cyrano> /me à part
+<cyrano> Dire qu'il croit me faire énormément de peine !
+<christian> /me à Roxane
+<christian> Oh ! tes lèvres encor ! ...
+<cyrano> ... Allons, voyons, assez !
+<christian> /me continuant à embrasser Roxane
+<christian> C'est dur de la quitter... Tu ne sais pas ...
+<cyrano> /me cherchant à l'entraîner
+<cyrano> ... Je sais.
+<MASTER> On entend au loin des tambours qui battent une marche.
+<deguiche> /me qui est remonté au fond
+<deguiche> Le régiment qui part ! ...
+<roxane> /me à Cyrano, en retenant Christian qu'il essaye toujours d'entraîner
+<roxane> ... Oh ! ... je vous le confie !
+<roxane> Promettez-moi que rien ne va mettre sa vie
+<roxane> En danger ! ...
+<cyrano> ... J'essaierai... mais ne peux cependant
+<cyrano> Promettre ...
+<roxane> /me même jeu
+<roxane> ... Promettez qu'il sera très prudent !
+<cyrano> Oui, je tâcherai, mais ...
+<roxane> /me même jeu
+<roxane> ... Qu'à ce siège terrible
+<roxane> Il n'aura jamais froid ! ...
+<cyrano> ... Je ferai mon possible.
+<cyrano> Mais ...
+<roxane> /me même jeu
+<roxane> ... Qu'il sera fidèle ! ...
+<cyrano> ... Eh oui ! sans doute, mais
+<roxane> /me même jeu
+<roxane> Qu'il m'écrira souvent ! ...
+<cyrano> /me s'arrêtant
+<cyrano> ... Ça,--je vous le promets !
+<capucin> /part
+<ragueneau> /part
+<cyrano> /part
+<duegne> /part
+<christian> /part
+<roxane> /part
+<deguiche> /part
+<MASTER> Rideau.
+
+
+<MASTER> Acte IV.
+<MASTER> Les Cadets de Gascogne.
+<MASTER> Le poste qu'occupe la compagnie de Carbon de Castel-Jaloux au siège
+<MASTER> d'Arras.
+<MASTER> Au fond, talus traversant toute la scène. Au delà s'aperçoit un horizon
+<MASTER> de plaine : le pays couvert de travaux de siège. Les murs d'Arras et la
+<MASTER> silhouette de ses toits sur le ciel, très loin.
+<MASTER> Tentes; armes éparses; tambours, etc.--Le jour va se lever. Jaune
+<MASTER> Orient.--Sentinelles espacées. Feux.
+<MASTER> Roulés dans leurs manteaux, les Cadets de Gascogne dorment. Carbon de
+<MASTER> Castel-Jaloux et Le Bret veillent. Ils sont très pâles et très maigris.
+<MASTER> Christian dort, parmi les autres, dans sa cape, au premier plan, le
+<MASTER> visage éclairé par un feu. Silence.
+<MASTER> Scène 4.I.
+<MASTER> Christian, Carbon de Castel-Jaloux, Le Bret, les cadets, puis Cyrano.
+<lebret> /join
+<carbon> /join
+<christian> /join
+<cadet1> /join
+<cadet2> /join
+<cadet3> /join
+<cadet4> /join
+<cadet5> /join
+<cadet6> /join
+<cadet7> /join
+<cadet8> /join
+<cadet9> /join
+<cadets> /join
+<sentinelle> /join
+<lebret> C'est affreux ! ...
+<carbon> ... Oui. Plus rien. ...
+<lebret> ... Mordious ! ...
+<carbon> /me lui faisant signe de parler plus bas
+<carbon> ... Jure en sourdine !
+<carbon> Tu vas les réveiller. ...
+<carbon> /me aux cadets
+<carbon> ... Chut ! Dormez ! ...
+<carbon> /me à Le Bret
+<carbon> ... Qui dort dîne !
+<lebret> Quand on a l'insomnie on trouve que c'est peu !
+<lebret> Quelle famine ! ...
+<MASTER> On entend au loin quelques coups de feu.
+<carbon> ... Ah ! maugrébis des coups de feu !
+<carbon> Ils vont me réveiller mes enfants ! ...
+<carbon> /me aux cadets qui lèvent la tête
+<carbon> ... Dormez ! ...
+<MASTER> On se recouche. Nouveaux coups de feu plus rapprochés.
+<cadet1> /me s'agitant
+<cadet1> ... Diantre !
+<cadet1> Encore ? ...
+<carbon> ... Ce n'est rien ! C'est Cyrano qui rentre !
+<MASTER> Les têtes qui s'étaient relevées se recouchent.
+<sentinelle> /me au dehors
+<sentinelle> Ventrebieu ! qui va là ? ...
+<cyrano> /join
+<cyrano> ... Bergerac ! ...
+<sentinelle> /me qui est sur le talus
+<sentinelle> ... Ventrebieu !
+<sentinelle> Qui va là ? ...
+<cyrano> /me paraissant sur la crête
+<cyrano> ... Bergerac, imbécile ! ...
+<cyrano> /me descend.
+<lebret> /me va au-devant de lui, inquiet
+<lebret> ... Ah ! grand Dieu !
+<cyrano> /me lui faisant signe de ne réveiller personne
+<cyrano> Chut ! ...
+<lebret> ... Blessé ? ...
+<cyrano> ... Tu sais bien qu'ils ont pris l'habitude
+<cyrano> De me manquer tous les matins ! ...
+<lebret> ... C'est un peu rude,
+<lebret> Pour porter une lettre, à chaque jour levant,
+<lebret> De risquer ! ...
+<cyrano> /me s'arrêtant devant Christian
+<cyrano> ... J'ai promis qu'il écrirait souvent !
+<cyrano> /me le regarde
+<cyrano> Il dort. Il est pâli. Si la pauvre petite
+<cyrano> Savait qu'il meurt de faim... Mais toujours beau ! ...
+<lebret> ... Va vite
+<lebret> Dormir ! ...
+<cyrano> ... Ne grogne pas, Le Bret ! ... Sache ceci :
+<cyrano> Pour traverser les rangs espagnols, j'ai choisi
+<cyrano> Un endroit où je sais, chaque nuit, qu'ils sont ivres.
+<lebret> Tu devrais bien un jour nous rapporter des vivres.
+<cyrano> Il faut être léger pour passer !--Mais je sais
+<cyrano> Qu'il y aura ce soir du nouveau. Les Français
+<cyrano> Mangeront ou mourront,--si j'ai bien vu ...
+<lebret> ... Raconte !
+<cyrano> Non. Je ne suis pas sûr... vous verrez ! ...
+<carbon> ... Quelle honte,
+<carbon> Lorsqu'on est assiégeant, d'être affamé ! ...
+<lebret> ... Hélas !
+<lebret> Rien de plus compliqué que ce siège d'Arras :
+<lebret> Nous assiégeons Arras,--nous-mêmes, pris au piège,
+<lebret> Le cardinal infant d'Espagne nous assiège
+<cyrano> Quelqu'un devrait venir l'assiéger à son tour.
+<lebret> Je ne ris pas. ...
+<cyrano> ... Oh ! oh ! ...
+<lebret> ... Penser que chaque jour
+<lebret> Vous risquez une vie, ingrat, comme la vôtre,
+<lebret> Pour porter ...
+<lebret> /me le voyant qui se dirige vers une tente
+<lebret> ... Où vas-tu ? ...
+<cyrano> ... J'en vais écrire une autre.
+<cyrano> /me soulève la toile et disparaît.
+<cyrano> /part
+
+<MASTER> Scène 4.II.
+<MASTER> Les mêmes, moins Cyrano.
+<MASTER> Le jour s'est un peu levé. Lueurs roses. La ville d' Arras se dore à
+<MASTER> l'horizon. On entend un coup de canon immédiatement suivi d'une
+<MASTER> batterie de tambours, très au loin, vers la gauche. D'autres tambours
+<MASTER> battent plus près. Les batteries vont se répondant, et se rapprochant,
+<MASTER> éclatent presque en scène et s'éloignent vers la droite, parcourant le
+<MASTER> camp. Rumeurs de réveil. Voix lointaines d'officiers.
+<carbon> /me avec un soupir
+<carbon> La diane ! ... Hélas ! ...
+<MASTER> Les cadets s'agitent dans leurs manteaux, s'étirent
+<carbon> ... Sommeil succulent, tu prends fin !
+<carbon> Je sais trop quel sera leur premier cri ! ...
+<cadet2> /me se mettant sur son séant
+<cadet2> ... J'ai faim !
+<cadet3> Je meurs ! ...
+<cadets> ... Oh ! ...
+<carbon> ... Levez-vous ! ...
+<cadet4> ... Plus un pas ! ...
+<cadet5> ... Plus un geste !
+<cadet2> /me se regardant dans un morceau de cuirasse
+<cadet2> Ma langue est jaune : l'air du temps est indigeste !
+<cadet6> Mon tortil de baron pour un peu de Chester !
+<cadet6> Moi, si l'on ne veut pas fournir à mon gaster
+<cadet6> De quoi m'élaborer une pinte de chyle,
+<cadet6> Je me retire sous ma tente--comme Achille !
+<cadet6> Oui, du pain ! ...
+<carbon> /me allant à la tente où est entré Cyrano, à mi-voix
+<carbon> ... Cyrano ! ...
+<cadets> ... Nous mourons ! ...
+<carbon> /me toujours à mi-voix, à la porte de la tente
+<carbon> ... Au secours !
+<carbon> Toi qui sais si gaiement leur répliquer toujours,
+<carbon> Viens les ragaillardir ! ...
+<cadet3> /me se précipitant vers le premier qui mâchonne quelque chose
+<cadet3> ... Qu'est-ce que tu grignotes !
+<cadet2> De l'étoupe à canon que dans les bourguignotes
+<cadet2> On fait frire en la graisse à graisser les moyeux,
+<cadet2> Les environs d'Arras sont très peu giboyeux !
+<cadet7> /me entrant
+<cadet7> Moi, je viens de chasser ! ...
+<cadet8> /me même jeu
+<cadet8> ... J'ai pêché, dans la Scarpe !
+<cadets> /me debout, se ruant sur les deux nouveaux venus
+<cadets> Quoi !--Que rapportez-vous ?--Un faisan ?--Une carpe ?--
+<cadets> Vite, vite, montrez ! ...
+<cadet8> ... Un goujon ! ...
+<cadet7> ... Un moineau !
+<cadets> /me exaspérés
+<cadets> Assez !--Révoltons-nous ! ...
+<carbon> ... Au secours, Cyrano !
+<carbon> /me fait maintenant tout à fait jour.
+<MASTER> Scène 4.III.
+<MASTER> Les mêmes, Cyrano.
+<cyrano> /join
+<cyrano> /me sortant de sa tente, tranquille, une plume à l'oreille, un livre
+<cyrano> /me à la main
+<cyrano> Hein ? ...
+<MASTER> Silence.
+<cyrano> /me au premier cadet
+<cyrano> ... Pourquoi t'en vas-tu, toi, de ce pas qui traîne ?
+<cadet2> J'ai quelque chose, dans les talons, qui me gêne !
+<cyrano> Et quoi donc ? ...
+<cadet2> ... L'estomac ! ...
+<cyrano> ... Moi de même, pardi !
+<cadet2> Cela doit te gêner ? ...
+<cyrano> ... Non, cela me grandit.
+<cadet3> J'ai les dents longues ! ...
+<cyrano> ... Tu n'en mordras que plus large.
+<cadet4> Mon ventre sonne creux ! ...
+<cyrano> ... Nous y battrons la charge.
+<cadet5> Dans les oreilles, moi, j'ai des bourdonnements.
+<cyrano> Non, non; ventre affamé, pas d'oreilles : tu mens !
+<cadet6> Oh ! manger quelque chose,--à l'huile ! ...
+<cyrano> /me le décoiffant et lui mettant son casque dans la main
+<cyrano> ... Ta salade.
+<cadet7> Qu'est-ce qu'on pourrait bien dévorer ? ...
+<cyrano> /me lui jetant le livre qu'il tient à la main
+<cyrano> ... L'Iliade.
+<cadet8> Le ministre, à Paris, fait ses quatre repas !
+<cyrano> Il devrait t'envoyer du perdreau ? ...
+<cadet8> ... Pourquoi pas ?
+<cadet8> Et du vin ! ...
+<cyrano> ... Richelieu, du Bourgogne, if you please?
+<cadet8> Par quelque capucin ! ...
+<cyrano> ... L'éminence qui grise ?
+<cadet9> J'ai des faims d'ogre ! ...
+<cyrano> ... Eh ! bien ! ... tu croques le marmot !
+<cadet2> /me haussant les épaules
+<cadet2> Toujours le mot, la pointe ! ...
+<cyrano> ... Oui, la pointe, le mot !
+<cyrano> Et je voudrais mourir, un soir, sous un ciel rose,
+<cyrano> En faisant un bon mot, pour une belle cause !
+<cyrano> --Oh ! frappé par la seule arme noble qui soit,
+<cyrano> Et par un ennemi qu'on sait digne de soi,
+<cyrano> Sur un gazon de gloire et loin d'un lit de fièvres,
+<cyrano> Tomber la pointe au cœur en même temps qu'aux lèvres !
+<cadets> J'ai faim ! ...
+<cyrano> /me se croisant les bras
+<cyrano> ... Ah çà ! mais vous ne pensez qu'à manger ?
+<cyrano> --Approche, Bertrandou le fifre, ancien berger;
+<cyrano> Du double étui de cuir tire l'un de tes fifres,
+<cyrano> Souffle, et joue à ce tas de goinfres et de piffres
+<cyrano> Ces vieux airs du pays, au doux rythme obsesseur,
+<cyrano> Dont chaque note est comme une petite sœur,
+<cyrano> Dans lesquels restent pris des sons de voix aimées,
+<cyrano> Ces airs dont la lenteur est celle des fumées
+<cyrano> Que le hameau natal exhale de ses toits,
+<cyrano> Ces airs dont la musique a l'air d'être en patois !
+<MASTER> Le vieux s'assied et prépare son fifre
+<cyrano> Que la flûte, aujourd'hui, guerrière qui s'afflige,
+<cyrano> Se souvienne un moment, pendant que sur sa tige
+<cyrano> Tes doigts semblent danser un menuet d'oiseau,
+<cyrano> Qu'avant d'être d'ébène, elle fut de roseau;
+<cyrano> Que sa chanson l'étonne, et qu'elle y reconnaisse
+<cyrano> L'âme de sa rustique et paisible jeunesse !
+<MASTER> Le vieux commence à jouer des airs languedociens
+<cyrano> Écoutez, les Gascons... Ce n'est plus, sous ses doigts,
+<cyrano> Le fifre aigu des camps, c'est la flûte des bois !
+<cyrano> Ce n'est plus le sifflet du combat, sous ses lèvres,
+<cyrano> C'est le lent galoubet de nos meneurs de chèvres !
+<cyrano> Écoutez... C'est le val, la lande, la forêt,
+<cyrano> Le petit pâtre brun sous son rouge béret,
+<cyrano> C'est la verte douceur des soirs sur la Dordogne,
+<cyrano> Écoutez, les Gascons : c'est toute la Gascogne !
+<MASTER> Toutes les têtes se sont inclinées;--tous les yeux rêvent;--et des
+<MASTER> larmes sont furtivement essuyées, avec un revers de manche, un coin de
+<MASTER> manteau.
+<carbon> /me à Cyrano, bas
+<carbon> Mais tu les fais pleurer ! ...
+<cyrano> ... De nostalgie ! ... Un mal
+<cyrano> Plus noble que la faim ! ... pas physique : moral !
+<cyrano> J'aime que leur souffrance ait changé de viscère,
+<cyrano> Et que ce soit leur cœur, maintenant, qui se serre !
+<carbon> Tu vas les affaiblir en les attendrissant !
+<cyrano> /me qui a fait signe au tambour d'approcher
+<cyrano> Laisse donc ! Les héros qu'ils portent dans leur sang
+<cyrano> Sont vite réveillés ! Il suffit ...
+<cyrano> /me fait un geste.
+<MASTER> Le tambour roule.
+<cadets> /me se levant et se précipitant sur leurs armes
+<cadets> ... Hein ? ... Quoi ? ... Qu'est-ce ?
+<cyrano> /me souriant
+<cyrano> Tu vois, il a suffi d'un roulement de caisse !
+<cyrano> Adieu, rêves, regrets, vieille province, amour
+<cyrano> Ce qui du fifre vient s'en va par le tambour !
+<cadet1> /me qui regarde au fond
+<cadet1> Ah ! Ah ! Voici monsieur de Guiche. ...
+<cadets> /me murmurant
+<cadets> ... Hou ...
+<cyrano> /me souriant
+<cyrano> ... Murmure
+<cyrano> Flatteur ! ...
+<cadet2> ... Il nous ennuie ! ...
+<cadet3> ... Avec, sur son armure,
+<cadet4> Son grand col de dentelle, il vient faire le fier !
+<cadet5> Comme si l'on portait du linge sur du fer !
+<cadet2> C'est bon lorsque à son cou l'on a quelque furoncle !
+<cadet3> Encore un courtisan ! ...
+<cadet6> ... Le neveu de son oncle !
+<carbon> C'est un Gascon pourtant ! ...
+<cadet2> ... Un faux ! ... Méfiez-vous !
+<cadet2> Parce que, les Gascons... ils doivent être fous :
+<cadet2> Rien de plus dangereux qu'un Gascon raisonnable.
+<lebret> Il est pâle ! ...
+<cadet7> ... Il a faim... autant qu'un pauvre diable !
+<cadet7> Mais comme sa cuirasse a des clous de vermeil,
+<cadet7> Sa crampe d'estomac étincelle au soleil !
+<cyrano> /me vivement
+<cyrano> N'ayons pas l'air non plus de souffrir ! Vous, vos cartes,
+<cyrano> Vos pipes et vos dés ...
+<MASTER> Tous rapidement se mettent à jouer sur des tambours, sur des
+<MASTER> escabeaux et par terre, sur leurs manteaux, et ils allument de longues
+<MASTER> pipes de pétun
+<cyrano> ... Et moi, je lis Descartes.
+<cyrano> /me se promène de long en large et lit dans un petit livre qu'il a
+<cyrano> /me tiré de sa poche.
+<MASTER> Tableau.--De Guiche entre. Tout le monde a l'air
+<MASTER> absorbé et content.
+<deguiche> /join
+<MASTER> Il est très pâle. Il va vers Carbon.
+
+<MASTER> Scène 4.IV.
+<MASTER> Les mêmes, de Guiche.
+<deguiche> /me à Carbon
+<deguiche> Ah !--Bonjour ! ...
+<MASTER> Ils s'observent tous les deux. À part, avec satisfaction
+<deguiche> ... Il est vert. ...
+<carbon> /me de même
+<carbon> ... Il n'a plus que les yeux.
+<deguiche> /me regardant les cadets
+<deguiche> Voici donc les mauvaises têtes ? ... Oui, messieurs,
+<deguiche> Il me revient de tous côtés qu'on me brocarde
+<deguiche> Chez vous, que les cadets, noblesse montagnarde,
+<deguiche> Hobereaux béarnais, barons périgourdins,
+<deguiche> N'ont pour leur colonel pas assez de dédains,
+<deguiche> M'appellent intrigant, courtisan,--qu'il les gêne
+<deguiche> De voir sur ma cuirasse un col en point de Gêne,--
+<deguiche> Et qu'ils ne cessent pas de s'indigner entre eux
+<deguiche> Qu'on puisse être Gascon et ne pas être gueux !
+<MASTER> Silence. On joue. On fume.
+<deguiche> Vous ferai-je punir par votre capitaine ?
+<deguiche> Non. ...
+<carbon> ... D'ailleurs, je suis libre et n'inflige de peine
+<deguiche> Ah ? ...
+<carbon> ... J'ai payé ma compagnie, elle est à moi.
+<carbon> Je n'obéis qu'aux ordres de guerre. ...
+<deguiche> ... Ah ? ... Ma foi !
+<deguiche> Cela suffit. ...
+<deguiche> /me s'adressant aux cadets
+<deguiche> ... Je peux mépriser vos bravades.
+<deguiche> On connaît ma façon d'aller aux mousquetades;
+<deguiche> Hier, à Bapaume, on vit la furie avec quoi
+<deguiche> J'ai fait lâcher le pied au comte de Bucquoi;
+<deguiche> Ramenant sur ses gens les miens en avalanche,
+<deguiche> J'ai chargé par trois fois ! ...
+<cyrano> /me sans lever le nez de son livre
+<cyrano> ... Et votre écharpe blanche ?
+<deguiche> /me surpris et satisfait
+<deguiche> Vous savez ce détail ? ... En effet, il advint,
+<deguiche> Durant que je faisais ma caracole afin
+<deguiche> De rassembler mes gens la troisième charge,
+<deguiche> Qu'un remous de fuyards m'entraîna sur la marge
+<deguiche> Des ennemis; j'étais en danger qu'on me prît
+<deguiche> Et qu'on m'arquebusât, quand j'eus le bon esprit
+<deguiche> De dénouer et de laisser couler à terre
+<deguiche> L'écharpe qui disait mon grade militaire;
+<deguiche> En sorte que je pus, sans attirer les yeux,
+<deguiche> Quitter les Espagnols, et revenant sur eux,
+<deguiche> Suivi de tous les miens réconfortés, les battre !
+<deguiche> --Eh bien ! que dites-vous de ce trait ? ...
+<MASTER> Les cadets n'ont pas l'air d'écouter; mais ici les cartes et les
+<MASTER> cornets à dés restent en l'air, la fumée des pipes demeure dans les
+<MASTER> joues : attente.
+<cyrano> ... Qu'Henri quatre
+<cyrano> N'eût jamais consenti, le nombre l'accablant,
+<cyrano> À se diminuer de son panache blanc.
+<MASTER> Joie silencieuse. Les cartes s'abattent. Les dés tombe. La fumée
+<MASTER> s'échappe.
+<deguiche> L'adresse a réussi, cependant ! ...
+<MASTER> Même attente suspendant les jeux et les pipes.
+<cyrano> ... C'est possible.
+<cyrano> Mais on n'abdique pas l'honneur d'être une cible.
+<MASTER> Cartes, dés, fumées, s'abattent, tombent, s'envolent avec une
+<MASTER> satisfaction croissante
+<cyrano> Si j'eusse été présent quand l'écharpe coula
+<cyrano> -- Nos courages, monsieur, diffèrent en cela --
+<cyrano> Je l'aurais ramassée et me la serais mise.
+<deguiche> Oui, vantardise, encor, de gascon ! ...
+<cyrano> ... Vantardise ?
+<cyrano> Prêtez-la-moi. Je m'offre à monter, dès ce soir,
+<cyrano> À l'assaut, le premier, avec elle en sautoir.
+<deguiche> Offre encor de gascon ! Vous savez que l'écharpe
+<deguiche> Resta chez l'ennemi, sur les bords de la Scarpe,
+<deguiche> En un lieu que depuis la mitraille cribla,--
+<deguiche> Où nul ne peut aller la chercher ! ...
+<cyrano> /me tirant de sa poche l'écharpe blanche et la lui tendant
+<cyrano> ... La voilà.
+<MASTER> Silence. Les cadets étouffent leurs rires dans les cartes et dans les
+<MASTER> cornets à dés. De Guiche se retourne, les regarde : immédiatement ils
+<MASTER> reprennent leur gravité, leurs jeux; l'un d'eux sifflote avec
+<MASTER> indifférence l'air montagnard joué par le fifre.
+<deguiche> /me prenant l'écharpe
+<deguiche> Merci. Je vais, avec ce bout d'étoffe claire,
+<deguiche> Pouvoir faire un signal,--que j'hésitais à faire.
+<deguiche> /me va au talus, y grimpe, et agite plusieurs fois l'écharpe en l'air.
+<cadets> Hein ! ...
+<sentinelle> /me en haut du talus
+<sentinelle> ... Cet homme, là-bas qui se sauve en courant !
+<deguiche> /me redescendant
+<deguiche> C'est un faux espion espagnol. Il nous rend
+<deguiche> De grands services. Les renseignements qu'il porte
+<deguiche> Aux ennemis sont ceux que je lui donne, en sorte
+<deguiche> Que l'on peut influer sur leurs décisions.
+<cyrano> C'est un gredin ! ...
+<deguiche> /me se nouant nonchalamment son écharpe
+<deguiche> ... C'est très commode. Nous disions ?
+<deguiche> --Ah ! J'allais vous apprendre un fait. Cette nuit même,
+<deguiche> Pour nous ravitailler tentant un coup suprême,
+<deguiche> Le maréchal s'en fut vers Dourlens, sans tambours;
+<deguiche> Les vivandiers du Roi sont là; par les labours
+<deguiche> Il les joindra; mais pour revenir sans encombre,
+<deguiche> Il a pris avec lui des troupes en tel nombre
+<deguiche> Que l'on aurait beau jeu, certes, en nous attaquant :
+<deguiche> La moitié de l'armée est absente du camp !
+<carbon> Oui, si les Espagnols savaient, ce serait grave.
+<carbon> Mais ils ne savent pas ce départ ? ...
+<deguiche> ... Ils le savent.
+<deguiche> Ils vont nous attaquer. ...
+<carbon> ... Ah ! ...
+<deguiche> ... Mon faux espion
+<deguiche> M'est venu prévenir de leur agression.
+<deguiche> Il ajouta : "J'en peux déterminer la place;
+<deguiche> Sur quel point voulez-vous que l'attaque se fasse ?
+<deguiche> Je dirai que de tous c'est le moins défendu,
+<deguiche> Et l'effort portera sur lui."--J'ai répondu :
+<deguiche> "C'est bon. Sortez du camp. Suivez des yeux la ligne :
+<deguiche> Ce sera sur le point d'où je vous ferai signe."
+<carbon> /me aux cadets
+<carbon> Messieurs, préparez-vous ! ...
+<MASTER> Tous se lèvent. Bruit d'épées et de ceinturons qu'on boucle.
+<deguiche> ... C'est dans une heure. ...
+<cadet1> ... Ah ! ... bien !
+<MASTER> Ils se rasseyent tous. On reprend la partie interrompue.
+<deguiche> /me à Carbon
+<deguiche> Il faut gagner du temps. Le maréchal revient.
+<carbon> Et pour gagner du temps ? ...
+<deguiche> ... Vous aurez l'obligeance
+<deguiche> De vous faire tuer. ...
+<cyrano> ... Ah ! voilà la vengeance ?
+<deguiche> Je ne prétendrai pas que si je vous aimais
+<deguiche> Je vous eusse choisis vous et les vôtres, mais,
+<deguiche> Comme à votre bravoure on n'en compare aucune,
+<deguiche> C'est mon Roi que je sers en servant ma rancune.
+<cyrano> /me saluant
+<cyrano> Souffrez que je vous sois, monsieur, reconnaissant.
+<deguiche> /me saluant
+<deguiche> Je sais que vous aimez vous battre un contre cent.
+<deguiche> Vous ne vous plaindrez pas de manquer de besogne.
+<deguiche> /me remonte, avec Carbon.
+<deguiche> /part
+<carbon> /part
+<lebret> /part
+<cyrano> /me aux cadets
+<cyrano> Eh bien donc ! nous allons au blason de Gascogne,
+<cyrano> Qui porte six chevrons, messieurs, d'azur et d'or,
+<cyrano> Joindre un chevron de sang qui lui manquait encor !
+<MASTER> De Guiche cause bas avec Carbon de Castel-Jaloux, au fond. On donne
+<MASTER> des ordres. La résistance se prépare. Cyrano va vers Christian qui est
+<MASTER> resté immobile, les bras croisés.
+<cyrano> /me lui mettant la main sur l'épaule
+<cyrano> Christian ? ...
+<christian> /me secouant la tête
+<christian> ... Roxane ! ...
+<cyrano> ... Hélas ! ...
+<christian> ... Au moins, je voudrais mettre
+<christian> Tout l'adieu de mon cœur dans une belle lettre !
+<cyrano> Je me doutais que ce serait pour aujourd'hui.
+<cyrano> /me tire un billet de son pourpoint
+<cyrano> Et j'ai fait tes adieux. ...
+<christian> ... Montre ! ...
+<cyrano> ... Tu veux ? ...
+<christian> /me lui prenant la lettre
+<christian> ... Mais oui !
+<christian> /me l'ouvre, lit et s'arrête
+<christian> Tiens ! ...
+<cyrano> ... Quoi ? ...
+<christian> ... Ce petit rond ? ...
+<cyrano> /me reprenant la lettre vivement, et regardant d'un air naïf
+<cyrano> ... Un rond ? ...
+<christian> ... C'est une larme !
+<cyrano> Oui... Poète, on se prend à son jeu, c'est le charme !
+<cyrano> Tu comprends... ce billet,--c'était très émouvant :
+<cyrano> Je me suis fait pleurer moi-même en l'écrivant.
+<christian> Pleurer ? ...
+<cyrano> ... Oui... parce que... mourir n'est pas terrible.
+<cyrano> Mais... ne plus la revoir jamais... voilà l'horrible !
+<cyrano> Car enfin je ne la ...
+<christian> /me le regarde
+<cyrano> ... nous ne la ...
+<cyrano> /me vivement
+<cyrano> ... tu ne la
+<christian> /me lui arrachant la lettre
+<christian> Donne-moi ce billet ! ...
+<MASTER> On entend une rumeur, au loin, dans le camp.
+<sentinelle> ... Ventrebieu, qui va là ?
+<MASTER> Coups de feu. Bruits de voix. Grelots.
+<carbon> /join
+<deguiche> /join
+<lebret> /join
+<carbon> Qu'est-ce ? ...
+<deguiche> Qu'est-ce ? ...
+<sentinelle> /me qui est sur le talus
+<sentinelle> ... Un carrosse ! ...
+<MASTER> On se précipite pour voir.
+<cadets> ... Quoi ! Dans le camp ?--Il y entre !
+<cadets> --Il a l'air de venir de chez l'ennemi !--Diantre !
+<cadets> Tirez !--Non ! Le cocher a crié !--Crié quoi ?--
+<cadets> Il a crié : Service du Roi ! ...
+<MASTER> Tout le monde est sur le talus et regarde au dehors. Les grelots se
+<MASTER> rapprochent.
+<deguiche> ... Hein ? Du Roi !
+<MASTER> On redescend, on s'aligne.
+<carbon> Chapeau bas, tous ! ...
+<deguiche> /me à la cantonade
+<deguiche> ... Du Roi !--Rangez-vous, vile tourbe,
+<deguiche> Pour qu'il puisse décrire avec pompe sa courbe !
+<MASTER> Le carrosse entre au grand trot. Il est couvert de boue et de
+<MASTER> poussière. Les rideaux sont tirés. Deux laquais derrière. Il s'arrête
+<MASTER> net.
+<cocher> /join
+<carbon> /me criant
+<carbon> Battez aux champs ! ...
+<MASTER> Roulement de tambours. Tous les cadets se découvrent.
+<deguiche> ... Baissez le marchepied ! ...
+<MASTER> Deux hommes se précipitent. La portière s'ouvre.
+<roxane> /join
+<roxane> /me sautant du carrosse
+<roxane> ... Bonjour !
+<MASTER> Le son d'une voix de femme relève d'un seul coup tout ce monde
+<MASTER> profondément incliné.--Stupeur.
+
+<MASTER> Scène 4.V.
+<MASTER> Les mêmes, Roxane.
+<deguiche> Service du Roi ! Vous ? ...
+<roxane> ... Mais du seul roi, l'Amour !
+<cyrano> Ah ! grand Dieu ! ...
+<christian> /me s'élancant
+<christian> ... Vous ! Pourquoi ? ...
+<roxane> ... C'était trop long, ce siège !
+<christian> Pourquoi ? ...
+<roxane> ... Je te dirai ! ...
+<cyrano> /me qui, au son de sa voix, est resté cloué immobile, sans oser
+<cyrano> /me tourner les yeux vers elle
+<cyrano> ... Dieu ! La regarderai-je ?
+<deguiche> Vous ne pouvez rester ici ! ...
+<roxane> /me gaiement
+<roxane> ... Mais si ! mais si !
+<roxane> Voulez-vous m'avancer un tambour ? ...
+<roxane> /me s'assied sur un tambour qu'on avance
+<roxane> ... Là, merci !
+<roxane> /me rit
+<roxane> On a tiré sur mon carrosse ! ...
+<roxane> /me fièrement
+<roxane> ... Une patrouille !
+<roxane> --Il a l'air d'être fait avec une citrouille,
+<roxane> N'est-ce pas ? comme dans le conte, et les laquais
+<roxane> Avec des rats. ...
+<roxane> /me envoyant des lèvres un baiser à Christian
+<roxane> ... Bonjour ! ...
+<roxane> /me les regardant tous
+<roxane> ... Vous n'avez pas l'air gais !
+<roxane> --Savez-vous que c'est loin, Arras ? ...
+<roxane> /me apercevant Cyrano
+<roxane> ... Cousin, charmée !
+<cyrano> /me a'avançant
+<cyrano> Ah çà ! comment ? ...
+<roxane> ... Comment j'ai retrouvé l'armée ?
+<roxane> Oh ! mon Dieu, mon ami, mais c'est tout simple : j'ai
+<roxane> Marché tant que j'ai vu le pays ravagé.
+<roxane> Ah ! ces horreurs, il a fallu que je les visse
+<roxane> Pour y croire ! Messieurs, si c'est là le service
+<roxane> De votre Roi, le mien vaut mieux ! ...
+<cyrano> ... Voyons, c'est fou !
+<cyrano> Par où diable avez-vous bien pu passer ? ...
+<roxane> ... Par où ?
+<roxane> Par chez les Espagnols. ...
+<cadet1> ... Ah ! qu'elles sont malignes !
+<deguiche> Comment avez-vous fait pour traverser leurs lignes ?
+<lebret> Cela dut être très difficile ! ...
+<roxane> ... Pas trop.
+<roxane> J'ai simplement passé dans mon carrosse, au trot.
+<roxane> Si quelque hidalgo montrait sa mine altière,
+<roxane> Je mettais mon plus beau sourire à la portière,
+<roxane> Et ces messieurs étant, n'en déplaise aux Français,
+<roxane> Les plus galantes gens du monde,--je passais !
+<carbon> Oui, c'est un passe-port, certes, que ce sourire !
+<carbon> Mais on a fréquemment dû vous sommer de dire
+<carbon> Où vous alliez ainsi, madame ? ...
+<roxane> ... Fréquemment.
+<roxane> Alors je répondais : "Je vais voir mon amant."
+<roxane> --Aussitôt l'Espagnol à l'air le plus féroce
+<roxane> Refermait gravement la porte du carrosse,
+<roxane> D'un geste de la main à faire envie au Roi
+<roxane> Relevait les mousquets déjà braqués sur moi,
+<roxane> Et superbe de grâce, à la fois, et de morgue,
+<roxane> L'ergot tendu sous la dentelle en tuyau d'orgue,
+<roxane> Le feutre au vent pour que la plume palpitât,
+<roxane> S'inclinait en disant : "Passez, señorita !"
+<christian> Mais, Roxane ...
+<roxane> ... J'ai dit : mon amant, oui... pardonne !
+<roxane> Tu comprends, si j'avais dit : mon mari, personne
+<roxane> Ne m'eût laissé passer ! ...
+<christian> ... Mais ...
+<roxane> ... Qu'avez-vous ? ...
+<deguiche> ... Il faut
+<deguiche> Vous en aller d'ici ! ...
+<roxane> ... Moi ? ...
+<cyrano> ... Bien vite ! ...
+<lebret> ... Au plus tôt !
+<christian> Oui ! ...
+<roxane> ... Mais comment ? ...
+<christian> /me embarrassé
+<christian> ... C'est que ...
+<cyrano> /me de même
+<cyrano> ... Dans trois quarts d'heure ...
+<deguiche> /me de même
+<deguiche> ... ou quatre
+<carbon> /me de même
+<carbon> Il vaut mieux ...
+<lebret> /me de même
+<lebret> ... Vous pourriez ...
+<roxane> ... Je reste. On va se battre.
+<cadets> Oh ! non ! ...
+<roxane> ... C'est mon mari ! ...
+<roxane> /me se jette dans les bras de Christian
+<roxane> ... Qu'on me tue avec toi !
+<christian> Mais quels yeux vous avez ! ...
+<roxane> ... Je te dirai pourquoi !
+<deguiche> /me désespéré
+<deguiche> C'est un poste terribl' ! ...
+<roxane> /me se retournant
+<roxane> ... Hein ! terrible ? ...
+<cyrano> ... Et la preuve
+<cyrano> C'est qu'il nous l'a donné ! ...
+<roxane> /me à De Guiche
+<roxane> ... Ah ! vous me vouliez veuve ?
+<deguiche> Oh ! je vous jure ! ...
+<roxane> ... Non ! Je suis folle à présent !
+<roxane> Et je ne m'en vais plus !--D'ailleurs, c'est amusant.
+<cyrano> Eh quoi ! la précieuse était une héroïne ?
+<roxane> Monsieur de Bergerac, je suis votre cousine.
+<cadet2> Nous vous défendrons bien ! ...
+<roxane> /me enfiévrée de plus en plus
+<roxane> ... Je le crois, mes amis !
+<cadet3> /me avec enivrement
+<cadet3> Tout le camp sent l'iris ! ...
+<roxane> ... Et j'ai justement mis
+<roxane> Un chapeau qui fera très bien dans la bataille !
+<roxane> /me regardant de Guiche
+<roxane> Mais peut-être est-il temps que le comte s'en aille :
+<roxane> On pourrait commencer. ...
+<deguiche> ... Ah ! c'en est trop ! Je vais
+<deguiche> Inspecter mes canons, et reviens... Vous avez
+<deguiche> Le temps encor : changez d'avis ! ...
+<roxane> ... Jamais ! ...
+<deguiche> /me sort.
+<deguiche> /part
+
+<MASTER> Scène 4.VI.
+<MASTER> Les mêmes, moins De Guiche.
+<christian> /me suppliant
+<christian> ... Roxane !
+<roxane> Non ! ...
+<cadet1> /me aux autres
+<cadet1> ... Elle reste ! ...
+<cadets> /me se précipitant, se bousculant, s'astiquant
+<cadets> ... Un peigne !--Un savon !--Ma basane
+<cadets> Est trouée : une aiguille !--Un ruban !--Ton miroir !--
+<cadets> Mes manchettes !--Ton fer à moustache !--Un rasoir !
+<roxane> /me à Cyrano qui la supplie encore
+<roxane> Non ! rien ne me fera bouger de cette place !
+<MASTER> Carbon, après s'être, comme les autres, sanglé, épousseté, avoir brossé
+<MASTER> son chapeau, redressé sa plume et tiré ses manchettes, s'avance vers
+<MASTER> Roxane, et cérémonieusement
+<carbon> Peut-être siérait-il que je vous présentasse,
+<carbon> Puisqu'il en est ainsi, quelques de ces messieurs
+<carbon> Qui vont avoir l'honneur de mourir sous vos yeux.
+<MASTER> Roxane s'incline et elle attend, debout au bras de Christian. Carbon
+<MASTER> présente
+<carbon> Baron de Peyrescous de Colignac ! ...
+<cadet1> /me saluant
+<cadet1> ... Madame
+<carbon> /me continuant
+<carbon> Baron de Casterac de Cahuzac.--Vidame
+<carbon> De Malgouyre Estressac Lésbas d'Escarabiot.--
+<carbon> Chevalier d'Antignac-Juzet.--Baron Hillot
+<carbon> De Blagnac-Saléchan de Castel Crabioules
+<roxane> Mais combien avez-vous de noms, chacun ? ...
+<cadet2> ... Des foules !
+<carbon> /me à Roxane
+<carbon> Ouvrez la main qui tient votre mouchoir. ...
+<roxane> /me ouvre la main et le mouchoir tombe
+<roxane> ... Pourquoi ?
+<MASTER> Toute la compagnie fait le mouvement de s'élancer pour le ramasser.
+<carbon> /me le ramassant vivement
+<carbon> Ma compagnie était sans drapeau ! Mais ma foi,
+<carbon> C'est le plus beau du camp qui flottera sur elle !
+<roxane> /me souriant
+<roxane> Il est un peu petit. ...
+<carbon> /me attachant le mouchoir à la hampe de sa lance de capitaine
+<carbon> ... Mais il est en dentelle !
+<cadet3> /me aux autres
+<cadet3> Je mourrais sans regret ayant vu ce minois,
+<cadet3> Si j'avais seulement dans le ventre une noix !
+<carbon> /me qui l'a entendu, indigné
+<carbon> Fi ! parler de manger lorsqu'une exquise femme !
+<roxane> Mais l'air du camp est vif et, moi-même, m'affame :
+<roxane> Pâtés, chaud-froids, vins fins :--mon menu, le voilà !
+<roxane> --Voulez-vous m'apporter tout cela ! ...
+<MASTER> Consternation.
+<cadet4> ... Tout cela !
+<cadet5> Où le prendrions-nous, grand Dieu ? ...
+<roxane> /me tranquillement
+<roxane> ... Dans mon carrosse.
+<cadets> Hein ? ...
+<roxane> ... Mais il faut qu'on serve et découpe, et désosse !
+<roxane> Regardez mon cocher d'un peu plus près, messieurs,
+<roxane> Et vous reconnaîtrez un homme précieux :
+<roxane> Chaque sauce sera, si l'on veut, réchauffée !
+<cadets> /me se ruant vers le carrosse
+<cadets> C'est Ragueneau ! ...
+<cocher> /nick ragueneau
+<MASTER> Acclamations
+<cadets> ... Oh ! Oh ! ...
+<roxane> /me les suivant des yeux
+<roxane> ... Pauvre gens ! ...
+<cyrano> /me lui baisant la main
+<cyrano> ... Bonne fée !
+<ragueneau> /me debout sur le siège comme un charlatan en place publique
+<ragueneau> Messieurs ! ...
+<MASTER> Enthousiasme.
+<cadets> ... Bravo ! Bravo ! ...
+<ragueneau> ... Les Espagnols n'ont pas,
+<ragueneau> Quand passaient tant d'appas, vu passer le repas !
+<MASTER> Applaudissements.
+<cyrano> /me bas à Christian
+<cyrano> Hum ! hum ! Christian ! ...
+<ragueneau> ... Distraits par la galanterie
+<ragueneau> Ils n'ont pas vu ...
+<ragueneau> /me tire de son siège un plat qu'il élève
+<ragueneau> ... la galantine ! ...
+<MASTER> Applaudissements. La galantine passe de mains en mains.
+<cyrano> /me bas à Christian
+<cyrano> ... Je t'en prie,
+<cyrano> Un seul mot ! ...
+<ragueneau> ... Et Vénus sut occuper leur œil
+<ragueneau> Pour que Diane en secret, pût passer ...
+<ragueneau> /me brandit un gigot
+<ragueneau> ... son chevreuil !
+<MASTER> Enthousiasme. Le gigot est saisi par vingt mains tendues.
+<cyrano> /me bas à Christian
+<cyrano> Je voudrais te parler ! ...
+<roxane> /me aux cadets qui redescendent, les bras chargés de victuailles
+<roxane> ... Posez cela par terre !
+<roxane> /me met le couvert sur l'herbe, aidée des deux laquais
+<roxane> /me imperturbables qui étaient derrière le carrosse
+<roxane> /me à Christian, au moment où Cyrano allait l'entraîner à part
+<roxane> Vous, rendez-vous utile ? ...
+<MASTER> Christian vient l'aider. Mouvement d'inquiétude de Cyrano.
+<ragueneau> ... Un paon truffé ! ...
+<cadet1> /me épanoui, qui descend en coupant une large tranche de
+<cadet1> /me jambon
+<cadet1> ... Tonnerre !
+<cadet1> Nous n'aurons pas couru notre dernier hasard
+<cadet1> Sans faire un gueuleton ...
+<cadet1> /me se reprenant vivement en voyant Roxane
+<cadet1> ... pardon ! un balthazar !
+<ragueneau> /me lançant les coussins du carrosse
+<ragueneau> Les coussins sont remplis d'ortolans ! ...
+<MASTER> Tumulte. On éventre les coussins. Rires. Joie.
+<cadet3> ... Ah ! Viédaze !
+<ragueneau> /me lançant des flacons de vin rouge
+<ragueneau> Des flacons de rubis !-- ...
+<ragueneau> /me de vin blanc
+<ragueneau> ... Des flacons de topaze !
+<roxane> /me jetant une nappe pliée à la figure de Cyrano
+<roxane> Défaites cette nappe ! ... Eh ! hop ! Soyez léger !
+<ragueneau> /me brandissant une lanterne arrachée
+<ragueneau> Chaque lanterne est un petit garde-manger !
+<cyrano> /me bas à Christian, pendant qu'ils arrangent la nappe ensemble
+<cyrano> Il faut que je te parle avant que tu lui parles !
+<ragueneau> /me de plus en plus lyrique
+<ragueneau> Le manche de mon fouet est un saucisson d'Arles !
+<roxane> /me versant du vin, servant
+<roxane> Puisqu'on nous fait tuer, morbleu ! nous nous moquons
+<roxane> Du reste de l'armée !--Oui ! tout pour les Gascons !
+<roxane> Et si De Guiche vient, personne ne l'invite !
+<roxane> /me allant de l'un à l'autre
+<roxane> Là, vous avez le temps.--Ne manger pas si vite !--
+<roxane> Buvez un peu.--Pourquoi pleurez-vous ? ...
+<cadet1> ... C'est trop bon !
+<roxane> Chut !--Rouge ou blanc ?--Du pain pour monsieur de Carbon !
+<roxane> --Un couteau !--Votre assiette !--Un peu de croûte ?--Encore ?
+<roxane> Je vous sers !--Du bourgogne ?--Une aile ? ...
+<cyrano> /me qui la suit, les bras chargés de plats, l'aidant à servir
+<cyrano> ... Je l'adore !
+<roxane> /me allant vers Christian
+<roxane> Vous ? ...
+<christian> ... Rien. ...
+<roxane> ... Si ! ce biscuit, dans du muscat... deux doigts !
+<christian> /me essayant de la retenir
+<christian> Oh ! dites-moi pourquoi vous vîntes ? ...
+<roxane> ... Je me dois
+<roxane> À ces malheureux... Chut ! Tout à l'heure ! ...
+<lebret> /me qui était remonté au fond, pour passer, au bout d'une lance, un
+<lebret> /me pain à la sentinelle du talus
+<lebret> ... De Guiche !
+<cyrano> Vite, cachez flacon, plat, terrine, bourriche !
+<cyrano> Hop !--N'ayons l'air de rien ! ...
+<cyrano> /me à Ragueneau
+<cyrano> ... Toi, remonte d'un bond
+<cyrano> Sur ton siège !--Tout est caché ? ...
+<ragueneau> /part
+<MASTER> En un clin d'œil tout a été repoussé dans les tentes, ou caché sous
+<MASTER> les vêtements, sous les manteaux, dans les feutres.--De Guiche entre
+<MASTER> vivement--et s'arrête, tout d'un coup, reniflant.--Silence.
+<deguiche> /join
+<MASTER> Scène 4.VII.
+
+<MASTER> Les mêmes, De Guiche.
+<deguiche> ... Cela sent bon.
+<cadet1> /me chantonnant d'un air détaché
+<cadet1> To lo lo ! ...
+<deguiche> /me s'arrêtant et le regardant
+<deguiche> ... Qu'avez-vous, vous ? ... Vous êtes tout rouge !
+<cadet1> Moi ? ... Mais rien. C'est le sang. On va se battre : il bouge !
+<cadet2> Poum ... poum ... poum ...
+<deguiche> /me se retournant
+<deguiche> ... Qu'est cela ? ...
+<cadet1> /me légèrement gris
+<cadet1> ... Rien ! C'est une chanson !
+<cadet1> Une petite ...
+<deguiche> ... Vous êtes gai, mon garçon !
+<cadet1> L'approche du danger ! ...
+<deguiche> /me appelant Carbon de Castel-Jaloux, pour donner un ordre
+<deguiche> ... Capitaine ! je ...
+<deguiche> /me s'arrête en le voyant
+<deguiche> ... Peste !
+<deguiche> Vous avez bonne mine aussi ! ...
+<carbon> /me cramoisi, et cachant une bouteille derrière son dos, avec an
+<carbon> /me geste évasif
+<carbon> ... Oh ! ...
+<deguiche> ... Il me reste
+<deguiche> Un canon que j'ai fait porter ...
+<deguiche> /me montre un endroit dans la coulisse
+<deguiche> ... là, dans ce coin,
+<deguiche> Et vos hommes pourront s'en servir au besoin.
+<cadet1> /me se dandinant
+<cadet1> Charmante attention ! ...
+<cadet3> /me lui souriant gracieusement
+<cadet3> ... Douce sollicitude !
+<deguiche> Ah ça ! mais ils sont fous !-- ...
+<deguiche> /me sèchement
+<deguiche> ... N'ayant pas l'habitude
+<deguiche> Du canon, prenez garde au recul. ...
+<cadet1> ... Ah ! pffitt ! ...
+<deguiche> /me allant à lui, furieux
+<deguiche> ... Mais !
+<cadet1> Le canon des Gascons ne recule jamais !
+<deguiche> /me le prenant par le bras et le secouant
+<deguiche> Vous êtes gris ! ... De quoi ? ...
+<cadet1> /me superbe
+<cadet1> ... De l'odeur de la poudre !
+<deguiche> /me haussant les épaules, le repousse et va vivement à Roxane
+<deguiche> Vite, à quoi daignez-vous, madame, vous résoudre ?
+<roxane> Je reste ! ...
+<deguiche> ... Fuyez ! ...
+<roxane> ... Non ! ...
+<deguiche> ... Puisqu'il en est ainsi,
+<deguiche> Qu'on me donne un mousquet ! ...
+<carbon> ... Comment ? ...
+<deguiche> ... Je reste aussi.
+<cyrano> Enfin, Monsieur ! voilà de la bravoure pure !
+<cadet1> Seriez-vous un Gascon malgré votre guipure ?
+<roxane> Quoi ! ...
+<deguiche> ... Je ne quitte pas une femme en danger.
+<cadet2> /me au premier
+<cadet2> Dis donc ! Je crois qu'on peut lui donner à manger !
+<MASTER> Toutes les victuailles reparaissent comme par enchantement.
+<deguiche> /me dont les yeux s'allument
+<deguiche> Des vivres ! ...
+<cadet3> ... Il en sort de sous toutes les vestes !
+<deguiche> /me se maîtrisant, avec hauteur
+<deguiche> Est-ce que vous croyez que je mange vos restes ?
+<cyrano> /me saluant
+<cyrano> Vous faites des progrès ! ...
+<deguiche> /me fièrement, et à qui échappe sur le dernier mot une légère
+<deguiche> /me pointe d'accent
+<deguiche> ... Je vais me battre à jeun !
+<cadet1> /me exultant de joie
+<cadet1> À jeung ! Il vient d'avoir l'accent ! ...
+<deguiche> /me riant
+<deguiche> ... Moi ? ...
+<cadet1> ... C'en est un !
+<cadets> /me se mettent tous à danser.
+<carbon> /me qui a disparu depuis un moment derrière le
+<carbon> /me talus, reparaissant sur la crête
+<carbon> J'ai rangé mes piquiers, leur troupe est résolue !
+<carbon> /me montre une ligne de piques qui dépasse la crête.
+<deguiche> /me à Roxane, en s'inclinant
+<deguiche> Acceptez-vous ma main pour passer leur revue ?
+<MASTER> Elle la prend, ils remontent vers le talus. Tous le monde se découvre
+<MASTER> et les suit.
+<christian> /me allant à Cyrano, vivement
+<christian> Parle vite ! ...
+<MASTER> Au moment où Roxane paraît sur la crête, les lances disparaissent,
+<MASTER> abaissées pour le salut, un cri s'élève : elle s'incline.
+<piquiers> /join
+<piquiers> /me au dehors
+<piquiers> ... Vivat ! ...
+<christian> ... Quel était ce secret ?
+<cyrano> Dans le cas où Roxane ...
+<christian> ... Eh bien ? ...
+<cyrano> ... Te parlerait
+<cyrano> Des lettres ? ...
+<christian> ... Oui, je sais ! ...
+<cyrano> ... Ne fais pas la sottise
+<cyrano> De t'étonner ...
+<christian> ... De quoi ? ...
+<cyrano> ... Il faut que je te dise !
+<cyrano> Oh ! mon Dieu, c'est tout simple, et j'y pense aujourd'hui
+<cyrano> En la voyant. Tu lui ...
+<christian> ... Parle vite ! ...
+<cyrano> ... Tu lui
+<cyrano> As écrit plus souvent que tu ne crois. ...
+<christian> ... Hein ? ...
+<cyrano> ... Dame !
+<cyrano> Je m'en étais chargé : j'interprétais ta flamme !
+<cyrano> J'écrivais quelquefois sans te dire : j'écris !
+<christian> Ah ? ...
+<cyrano> ... C'est tout simple ! ...
+<christian> ... Mais comment t'y es-tu pris,
+<christian> Depuis qu'on est bloqué pour ? ...
+<cyrano> ... Oh ! ... avant l'aurore
+<cyrano> Je pouvais traverser ...
+<christian> /me se croisant les bras
+<christian> ... Ah ! c'est tout simple encore ?
+<christian> Et qu'ai-je écrit de fois par semaine ? ... Deux ?--Trois ?--
+<christian> Quatre ?-- ...
+<cyrano> ... Plus. ...
+<christian> ... Tous les jours ? ...
+<cyrano> ... Oui, tous les jours.--Deux fois.
+<christian> /me violemment
+<christian> Et cela t'enivrait, et l'ivresse était telle
+<christian> Que tu bravais la mort ...
+<cyrano> /me voyant Roxane qui revient
+<cyrano> ... Tais-toi ! Pas devant elle !
+<cyrano> /me rentre vivement dans sa tente.
+<cyrano> /part
+
+<MASTER> Scène 4.VIII.
+<MASTER> Roxane, Christian; au fond, allées et venues de cadets. Carbon et De
+<MASTER> Guiche donnent des ordres.
+<carbon> /part
+<deguiche> /part
+<lebret> /part
+<roxane> /me courant à Christian
+<roxane> Et maintenant, Christian ! ...
+<christian> /me lui prenant les mains
+<christian> ... Et maintenant, dis-moi
+<christian> Pourquoi, par ces chemins effroyables, pourquoi
+<christian> À travers tous ces rangs de soudards et de reîtres,
+<christian> Tu m'a rejoint ici ? ...
+<roxane> ... C'est à cause des lettres !
+<christian> Tu dis ? ...
+<roxane> ... Tant pis pour vous si je cours ces dangers !
+<roxane> Ce sont vos lettres qui m'ont grisée ! Ah ! songez
+<roxane> Combien depuis un mois vous m'en avez écrites,
+<roxane> Et plus belles toujours ! ...
+<christian> ... Quoi ! pour quelques petites
+<christian> Lettres d'amour ...
+<roxane> ... Tais-toi ! Tu ne peux pas savoir !
+<roxane> Mon Dieu, je t'adorais, c'est vrai, depuis qu'un soir,
+<roxane> D'une voix que je t'ignorais, sous ma fenêtre,
+<roxane> Ton âme commença de se faire connaître
+<roxane> Eh bien ! tes lettres, c'est, vois-tu, depuis un mois,
+<roxane> Comme si tout le temps je l'entendais, ta voix
+<roxane> De ce soir-là, si tendre, et qui vous enveloppe !
+<roxane> Tant pis pour toi, j'accours. La sage Pénélope
+<roxane> Ne fût pas demeurée à broder sous son toit,
+<roxane> Si le seigneur Ulysse eût écrit comme toi,
+<roxane> Mais pour le joindre, elle eût, aussi folle qu'Hélène,
+<roxane> Envoyé promener ses pelotons de laine !
+<christian> Mais ...
+<roxane> ... Je lisais, je relisais, je défaillais,
+<roxane> J'étais à toi. Chacun de ces petits feuillets
+<roxane> Était comme un pétale envolé de ton âme.
+<roxane> On sent à chaque mot de ces lettres de flamme
+<roxane> L'amour puissant, sincère ...
+<christian> ... Ah ! sincère et puissant ?
+<christian> Cela se sent, Roxane ? ...
+<roxane> ... Oh ! si cela se sent !
+<christian> Et vous venez ? ...
+<roxane> ... Je viens (ô mon Christian, mon maître !
+<roxane> Vous me relèveriez si je voulais me mettre
+<roxane> À vos genoux, c'est donc mon âme que j'y mets,
+<roxane> Et vous ne pourrez plus la relever jamais !)
+<roxane> Je viens te demander pardon )et c'est bien l'heure
+<roxane> De demander pardon, puisqu'il se peut qu'on meure !)
+<roxane> De t'avoir fait d'abord, dans ma frivolité,
+<roxane> L'insulte de t'aimer pour ta seule beauté !
+<christian> /me avec épouvante
+<christian> Ah ! Roxane ! ...
+<roxane> ... Et plus tard, mon ami, moins frivole,
+<roxane> --Oiseau qui saute avant tout à fait qu'il s'envole,--
+<roxane> Ta beauté m'arrêtant, ton âme m'entraînant,
+<roxane> Je t'aimais pour les deux ensemble ! ...
+<christian> ... Et maintenant ?
+<roxane> Eh bien ! toi-même enfin l'emporte sur toi-même,
+<roxane> Et ce n'est plus que pour ton âme que je t'aime !
+<christian> /me reculant
+<christian> Ah ! Roxane ! ...
+<roxane> ... Sois donc heureux. Car n'être aimé
+<roxane> Que pour ce dont on est un instant costumé,
+<roxane> Doit mettre un cœur avide et noble à la torture;
+<roxane> Mais ta chère pensée efface ta figure,
+<roxane> Et la beauté par quoi tout d'abord tu me plus,
+<roxane> Maintenant j'y vois mieux... et je ne la vois plus !
+<christian> Oh ! ...
+<roxane> ... Tu doutes encor d'une telle victoire ?
+<christian> /me douloureusement
+<christian> Roxane ! ...
+<roxane> ... Je comprends, tu ne peux pas y croire,
+<roxane> À cet amour ? ...
+<christian> ... Je ne veux pas de cet amour !
+<christian> Moi, je veux être aimé plus simplement pour ...
+<roxane> ... Pour
+<roxane> Ce qu'en vous elles ont aimé jusqu'à cette heure ?
+<roxane> Laissez-vous donc aimer d'une façon meilleure !
+<christian> Non ! c'était mieux avant ! ...
+<roxane> ... Ah ! tu n'y entends rien !
+<roxane> C'est maintenant que j'aime mieux, que j'aime bien !
+<roxane> C'est ce qui te fait toi, tu m'entends, que j'adore !
+<roxane> Et moins brillant ...
+<christian> ... Tais-toi ! ...
+<roxane> ... Je t'aimerais encore !
+<roxane> Si toute ta beauté tout d'un coup s'envolait
+<christian> Oh ! ne dis pas cela ! ...
+<roxane> ... Si, je le dis ! ...
+<christian> ... Quoi ? laid ?
+<roxane> Laid ! je le jure ! ...
+<christian> ... Dieu ! ...
+<roxane> ... Et ta joie est profonde ?
+<christian> /me d'une voix étouffée
+<christian> Oui ...
+<roxane> ... Qu'as-tu ? ...
+<christian> /me la repoussant doucement
+<christian> ... Rien. Deux mots à dire : une seconde
+<roxane> Mais ? ...
+<christian> /me lui montrant un groupe de cadets, au fond
+<christian> ... À ces pauvres gens mon amour t'enleva :
+<christian> Va leur sourire un peu puisqu'ils vont mourir... va !
+<roxane> /me attendrie
+<roxane> Cher Christian ! ...
+<roxane> /me remonte vers les Gascons qui s'empressent respectueusement autour
+<roxane> /me d'elle.
+
+<MASTER> Scène 4.IX.
+<MASTER> Christian, Cyrano; au fond Roxane causant avec Carbon et quelques cadets.
+<christian> /me appelant vers la tente de Cyrano
+<christian> ... Cyrano ? ...
+<cyrano> /join
+<cyrano> /me reparaissant, armé pour la bataille
+<cyrano> ... Qu'est-ce ? Te voilà blême !
+<christian> Elle ne m'aime plus ! ...
+<cyrano> ... Comment ? ...
+<christian> ... C'est toi qu'elle aime !
+<cyrano> Non ! ...
+<christian> ... Elle n'aime plus que mon âme ! ...
+<cyrano> ... Non ! ...
+<christian> ... Si !
+<christian> C'est donc bien toi qu'elle aime,--et tu l'aimes aussi !
+<cyrano> Moi ? ...
+<christian> ... Je le sais. ...
+<cyrano> ... C'est vrai. ...
+<christian> ... Comme un fou. ...
+<cyrano> ... Davantage.
+<christian> Dis-le-lui ! ...
+<cyrano> ... Non ! ...
+<christian> ... Pourquoi ? ...
+<cyrano> ... Regarde mon visage !
+<christian> Elle m'aimerait laid ! ...
+<cyrano> ... Elle te l'a dit ! ...
+<christian> ... Là !
+<cyrano> Ah ! je suis bien content qu'elle t'ait dit cela !
+<cyrano> Mais va, va, ne crois pas cette chose insensée !
+<cyrano> --Mon Dieu, je suis content qu'elle ait eu la pensée
+<cyrano> De la dire,--mais va, ne la prends pas au mot,
+<cyrano> Va, ne deviens pas laid : elle m'en voudrait trop !
+<christian> C'est ce que je veux voir ! ...
+<cyrano> ... Non, non ! ...
+<christian> ... Qu'elle choisisse !
+<christian> Tu vas lui dire tout ! ...
+<cyrano> ... Non, non ! Pas ce supplice.
+<christian> Je tuerais ton bonheur parce que je suis beau ?
+<christian> C'est trop injuste ! ...
+<cyrano> ... Et moi, je mettrais au tombeau
+<cyrano> Le tien parce que, grâce au hasard qui fait naître,
+<cyrano> J'ai le don d'exprimer... ce que tu sens peut-être ?
+<christian> Dis-lui tout ! ...
+<cyrano> ... Il s'obstine à me tenter, c'est mal !
+<christian> Je suis las de porter en moi-même un rival !
+<cyrano> Christian ! ...
+<christian> ... Notre union--sans témoins--clandestine,
+<christian> --Peut se rompre,--si nous survivons ! ...
+<cyrano> ... Il s'obstine !
+<christian> Oui, je veux être aimé moi-même, ou pas du tout !
+<christian> --Je vais voir ce qu'on fait, tiens ! Je vais jusqu'au bout
+<christian> Du poste; je reviens : parle, et qu'elle préfère
+<christian> L'un de nous deux ! ...
+<cyrano> ... Ce sera toi ! ...
+<christian> ... Mais... je l'espère !
+<christian> /me appelle
+<christian> Roxane ! ...
+<cyrano> ... Non ! Non ! ...
+<roxane> /me accourant
+<roxane> ... Quoi ? ...
+<christian> ... Cyrano vous dira
+<christian> Une chose importante ...
+<roxane> /me va vivement à Cyrano.
+<christian> /me sort.
+<christian> /part
+<MASTER> Scène 4.X.
+<MASTER> Roxane, Cyrano, puis Le Bret, Carbon de Castel-Jaloux, les cadets,
+<MASTER> Ragueneau, de Guiche, etc.
+<roxane> ... Importante ? ...
+<cyrano> /me éperdu
+<cyrano> ... Il s'en va !
+<cyrano> /me à Roxane
+<cyrano> Rien ! ... Il attache,--oh ! Dieu ! vous devez le connaître !--
+<cyrano> De l'importance à rien ! ...
+<roxane> /me vivement
+<roxane> ... Il a douté peut-être
+<roxane> De ce que j'ai dit là ? ... J'ai vu qu'il a douté !
+<cyrano> /me lui prenant la main
+<cyrano> Mais avez-vous bien dit, d'ailleurs, la vérité ?
+<roxane> Oui, oui, je l'aimerais même ...
+<roxane> /me hésite une seconde.
+<cyrano> /me souriant tristement
+<cyrano> ... Le mot vous gêne
+<cyrano> Devant moi ? ...
+<roxane> ... Mais ...
+<cyrano> ... Il ne me fera pas de peine !
+<cyrano> --Même laid ? ...
+<roxane> ... Même laid ! ...
+<MASTER> Mousqueterie au dehors
+<roxane> ... Ah ! tiens, on a tiré !
+<cyrano> /me ardemment
+<cyrano> Affreux ? ...
+<roxane> ... Affreux ! ...
+<cyrano> ... Défiguré ! ...
+<roxane> ... Défiguré !
+<cyrano> Grotesque ? ...
+<roxane> ... Rien ne peut me le rendre grotesque !
+<cyrano> Vous l'aimeriez encore ? ...
+<roxane> ... Et davantage presque !
+<cyrano> /me perdant la tête, à part
+<cyrano> Mon Dieu, c'est vrai, peut-être, et le bonheur est là !
+<cyrano> /me à Roxane
+<cyrano> Je... Roxane... écoutez ! ...
+<lebret> /join
+<lebret> /me entrant rapidement, appelle à mi-voix
+<lebret> ... Cyrano ! ...
+<cyrano> /me se retournant
+<cyrano> ... Hein ? ...
+<lebret> ... Chut ! ...
+<lebret> /me lui dit un mot tout bas.
+<cyrano> /me laissant échapper la main de Roxane, avec un cri
+<cyrano> ... Ah !
+<roxane> Qu'avez vous ? ...
+<cyrano> /me à lui-même, avec stupeur
+<cyrano> ... C'est fini. ...
+<MASTER> Détonations nouvelles.
+<roxane> ... Quoi ? Qu'est-ce encore ? On tire ?
+<roxane> /me remonte pour regarder au dehors.
+<cyrano> C'est fini, jamais plus je ne pourrai le dire !
+<roxane> /me voulant s'élancer
+<roxane> Que se passe-t-il ? ...
+<cyrano> /me vivement, l'arrêtant
+<cyrano> ... Rien ! ...
+<MASTER> Des cadets sont entrés, cachant quelque chose qu'ils portent, et ils
+<MASTER> forment un groupe empêchant Roxane d'approcher.
+<roxane> ... Ces hommes ? ...
+<cyrano> /me l'éloignant
+<cyrano> ... Laissez-les !
+<roxane> Mais qu'alliez-vous me dire avant ? ...
+<cyrano> ... Ce que j'allais
+<cyrano> Vous dire ? ... rien, oh ! rien, je le jure, madame !
+<cyrano> /me solennellement
+<cyrano> Je jure que l'esprit de Christian, que son âme
+<cyrano> Étaient ...
+<cyrano> /me se reprenant avec terreur
+<cyrano> ... sont les plus grands ...
+<roxane> ... Étaient ? ...
+<roxane> /me avec un grand cri
+<roxane> ... Ah ! ...
+<roxane> /me se précipite et écarte tout le monde.
+<cyrano> ... C'est fini !
+<christian> /join
+<roxane> /me voyant Christian couché dans son manteau
+<roxane> Christian ! ...
+<lebret> /me à Cyrano
+<lebret> ... Le premier coup de feu de l'ennemi !
+<MASTER> Roxane se jette sur le corps de Christian. Nouveaux coups de feu.
+<MASTER> Cliquetis. Rumeurs. Tambours.
+<carbon> /join
+<carbon> /me l'épée au poing
+<carbon> C'est l'attaque ! Aux mousquets ! ...
+<MASTER> Suivi des cadets, il passe de l'autre côté du talus.
+<roxane> ... Christian ! ...
+<carbon> /me derrière le talus
+<carbon> ... Qu'on se dépêche !
+<roxane> Christian ! ...
+<carbon> ... Alignez-vous ! ...
+<roxane> ... Christian ! ...
+<carbon> ... Mesurez... mèche !
+<MASTER> Ragueneau est accouru, apportant de l'eau dans un casque.
+<ragueneau> /join
+<christian> /me d'une voix mourante
+<christian> Roxane ! ...
+<cyrano> /me vite et bas à l'oreille de Christian, pendant que Roxane affolée
+<cyrano> /me trempe dans l'eau, pour le panser, un morceau de linge arraché à sa
+<cyrano> /me poitrine
+<cyrano> ... J'ai tout dit. C'est toi qu'elle aime encor !
+<christian> /me ferme les yeux.
+<roxane> Quoi, mon amour ? ...
+<carbon> ... Baguette haute ! ...
+<roxane> /me à Cyrano
+<roxane> ... Il n'est pas mort ?
+<carbon> Ouvrez la charge avec les dents ! ...
+<roxane> ... Je sens sa joue
+<roxane> Devenir froide, là, contre la mienne ! ...
+<carbon> ... En joue !
+<roxane> Une lettre sur lui ! ...
+<roxane> /me l'ouvre
+<roxane> ... Pour moi ! ...
+<cyrano> /me à part
+<cyrano> ... Ma lettre ! ...
+<carbon> ... Feu !
+<MASTER> Mousqueterie. Cris. Bruit de bataille.
+<cyrano> /me voulant dégager sa main que tient Roxane agenouillée
+<cyrano> Mais, Roxane, on se bat ! ...
+<roxane> /me le retenant
+<roxane> ... Restez encore un peu.
+<roxane> Il est mort. Vous étiez le seul à le connaître.
+<roxane> /me pleure doucement
+<roxane> --N'est-ce pas que c'était un être exquis, un être
+<roxane> Merveilleux ? ...
+<cyrano> /me debout, tête nue
+<cyrano> ... Oui, Roxane. ...
+<roxane> ... Un poète inouï.
+<roxane> Adorable ? ...
+<cyrano> ... Oui, Roxane. ...
+<roxane> ... Un esprit sublime ? ...
+<cyrano> ... Oui,
+<cyrano> Roxane ! ...
+<roxane> ... Un cœur profond, inconnu du profane,
+<roxane> Une âme magnifique et charmante ? ...
+<cyrano> /me fermement
+<cyrano> ... Oui, Roxane !
+<roxane> /me se jetant sur le corps de Christian
+<roxane> Il est mort ! ...
+<cyrano> /me à part, tirant l'épée
+<cyrano> ... Et je n'ai qu'à mourir aujourd'hui,
+<cyrano> Puisque, sans le savoir, elle me pleure en lui !
+<MASTER> Trompettes au loin.
+<deguiche> /join
+<deguiche> /me qui reparaît sur le talus, décoiffé, blessé au front, d'une
+<deguiche> /me voix tonnante
+<deguiche> C'est le signal promis ! Des fanfares de cuivres !
+<deguiche> Les Français vont rentrer au camp avec des vivres !
+<deguiche> Tenez encore un peu ! ...
+<roxane> ... Sur sa lettre, du sang,
+<roxane> Des pleurs ! ...
+<voix> /join
+<voix> /me au dehors, criant
+<voix> ... Rendez-vous ! ...
+<cadets> ... Non ! ...
+<ragueneau> /me qui, grimpé sur son carrosse, regarde la bataille par-dessus
+<ragueneau> /me le talus
+<ragueneau> ... Le péril va croissant !
+<cyrano> /me à de Guiche, lui montrant Roxane
+<cyrano> Emportez-la ! Je vais charger ! ...
+<roxane> /me baisant la lettre, d'une voix mourante
+<roxane> ... Son sang ! ses larmes !
+<ragueneau> /me sautant à bas du carrosse pour courir vers elle
+<ragueneau> Elle s'évanouit ! ...
+<deguiche> /me sur le talus, aux cadets, avec rage
+<deguiche> ... Tenez bon ! ...
+<voix2> /join
+<voix2> /me au dehors
+<voix2> ... Bas les armes !
+<cadets> Non ! ...
+<cyrano> /me à de Guiche
+<cyrano> ... Vous avez prouvé, Monsieur, votre valeur :
+<cyrano> /me lui montrant Roxane
+<cyrano> Fuyez en la sauvant ! ...
+<deguiche> /me qui court à Roxane et l'enlève dans ses bras
+<deguiche> ... Soit ! Mais on est vainqueur
+<deguiche> Si vous gagnez du temps ! ...
+<cyrano> ... C'est bon ! ...
+<cyrano> /me criant vers Roxane que de Guiche, aidé de Ragueneau, emporte évanouie
+<cyrano> ... Adieu, Roxane !
+<roxane> /part
+<deguiche> /part
+<ragueneau> /part
+<MASTER> Tumulte. Cris. Des cadets reparaissent blessés et viennent tomber en
+<MASTER> scène. Cyrano se précipitant au combat est arrêté sur la crête par
+<MASTER> Carbon de Castel-Jaloux, couvert de sang.
+<carbon> Nous plions ! J'ai reçu deux coups de pertuisane !
+<cyrano> /me criant aux Gascons
+<cyrano> Hardi ! Reculès pas, drollos ! ...
+<cyrano> /me à Carbon, qu'il soutient
+<cyrano> ... N'ayez pas peur !
+<cyrano> J'ai deux morts à venger : Christian et mon bonheur !
+<MASTER> Ils redescendent. Cyrano brandit la lance où est attaché le mouchoir.
+<cyrano> /me de Roxane
+<cyrano> Flotte, petit drapeau de dentelle à son chiffre !
+<cyrano> /me la plante en terre;
+<cyrano> /me crie aux cadets
+<cyrano> Toumbé dèssus ! Escrasas lous ! ...
+<cyrano> /me au fifre
+<cyrano> ... Un air de fifre !
+<MASTER> Le fifre joue. Des blessés se relèvent. Des cadets dégringolant le
+<MASTER> talus, viennent se grouper autour de Cyrano et du petit drapeau. Le
+<MASTER> carrosse se couvre et se remplit d'hommes, se hérisse d'arquebuses, se
+<MASTER> transforme en redoute.
+<cadet1> /me paraissant, à reculons, sur la crête, se battant toujours, crie
+<cadet1> Ils montent le talus ! ...
+<cadet1> /me tombe mort.
+<cyrano> ... On va les saluer !
+<MASTER> Le talus se couronne en un instant d'une rangée terrible d'ennemis.
+<MASTER> Les grands étendards des Impériaux se lèvent
+<cyrano> Feu ! ...
+<MASTER> Décharge générale.
+<ennemi> /join
+<ennemi> /me cri dans les rangs ennemis
+<ennemi> ... Feu ! ...
+<MASTER> Riposte meurtrière. Les cadets tombent de tous côtés.
+<officierespagnol> /join
+<officierespagnol> /me se découvrant
+<officierespagnol> ... Quels sont ces gens qui se font tous tuer ?
+<cyrano> /me récitant debout au milieu des balles
+<cyrano> Ce sont les cadets de Gascogne,
+<cyrano> De Carbon de Castel-Jaloux;
+<cyrano> Bretteurs et menteurs sans vergogne
+<cyrano> /me s'élance, suivi des quelques survivants
+<cyrano> Ce sont les cadets
+<MASTER> Le reste se perd dans la bataille.
+<voix> /part
+<voix2> /part
+<officierespagnol> /part
+<ennemi> /part
+<cyrano> /part
+<cadet1> /part
+<cadet2> /part
+<cadet3> /part
+<cadet4> /part
+<cadet5> /part
+<cadet6> /part
+<cadet7> /part
+<cadet8> /part
+<cadet9> /part
+<cadets> /part
+<carbon> /part
+<christian> /part
+<piquiers> /part
+<sentinelle> /part
+<lebret> /part
+<MASTER> Rideau.
+
+
+<MASTER> Acte V.
+<MASTER> La Gazette de Cyrano.
+<MASTER> Quinze ans après, en 1655. Le parc du couvent que les Dames de la Croix
+<MASTER> occupaient à Paris.
+<MASTER> Superbes ombrages. À gauche, la maison; vaste perron sur lequel ouvrent
+<MASTER> plusieurs portes. Un arbre énorme au milieu de la scène, isolé au milieu
+<MASTER> d'une petite place ovale. À droite, premier plan, parmi de grands buis,
+<MASTER> un banc de pierre demi-circulaire.
+<MASTER> Tout le fond du théâtre est traversé par une allée de marronniers qui
+<MASTER> aboutit à droite, quatrième plan, à la porte d'une chapelle entre-vue
+<MASTER> parmi les branches. À travers le double rideau d'arbres de cette allée,
+<MASTER> on aperçoit des fuites de pelouses, d'autres allées, des bosquets, les
+<MASTER> profondeurs du parc, le ciel.
+<MASTER> La chapelle ouvre une porte latérale sur une colonnade enguirlandée de
+<MASTER> vigne rougie, qui vient se perdre à droite, au premier plan, derrière
+<MASTER> les buis.
+<MASTER> C'est l'automne. Toute la frondaison est rousse au-dessus des pelouses
+<MASTER> fraîches. Taches sombres des buis et des ifs restés verts. Une plaque de
+<MASTER> feuilles jaunes sous chaque arbre. Les feuilles jonchent toute la scène,
+<MASTER> craquent sous les pas dans les allées, couvrent à demi le perron et les
+<MASTER> bancs.
+<MASTER> Entre le banc de droite et l'arbre, un grand métier à broder devant
+<MASTER> lequel une petite chaise a été apportée. Paniers pleins d'écheveaux et
+<MASTER> de pelotons. Tapisserie commencée.
+<MASTER> Au lever du rideau, des sœurs vont et viennent dans le parc;
+<MASTER> quelques-unes sont assises sur le banc autour d'une religieuse plus
+<MASTER> âgée. Des feuilles tombent.
+<MASTER> Scène 5.I.
+<MASTER> Mère Marguerite, Sœur Marthe, Sœur Claire, les sœurs.
+<marguerite> /join
+<marthe> /join
+<claire> /join
+<soeurs> /join
+<marthe> /me à Mère Marguerite
+<marthe> Sœur Claire a regardé deux fois comment allait
+<marthe> Sa cornette, devant la glace. ...
+<marguerite> /me à sœur Claire
+<marguerite> ... C'est très laid.
+<claire> Mais sœur Marthe a repris un pruneau de la tarte,
+<claire> Ce matin : je l'ai vu. ...
+<marguerite> /me à sœur Marthe
+<marguerite> ... C'est très vilain, sœur Marthe.
+<claire> Un tout petit regard ! ...
+<marthe> ... Un tout petit pruneau !
+<marguerite> /me sévèrement
+<marguerite> Je le dirai, ce soir, à monsieur Cyrano.
+<claire> /me épouvantée
+<claire> Non, il va se moquer ! ...
+<marthe> ... Il dira que les nonnes
+<marthe> Sont très coquettes ! ...
+<claire> ... Très gourmandes ! ...
+<marguerite> /me souriant
+<marguerite> ... Et très bonnes.
+<claire> N'est-ce pas, Mère Marguerite de Jésus,
+<claire> Qu'il vient, le samedi, depuis dix ans ! ...
+<marguerite> ... Et plus !
+<marguerite> Depuis que sa cousine à nos béguins de toile
+<marguerite> Mêla le deuil mondain de sa coiffe de voile,
+<marguerite> Qui chez nous vint s'abattre, il y a quatorze ans,
+<marguerite> Comme un grand oiseau noir parmi les oiseaux blancs !
+<marthe> Lui seul, depuis qu'elle a pris chambre dans ce cloître,
+<marthe> Sait distraire un chagrin qui ne veut pas décroître.
+<soeurs> Il est si drôle !--C'est amusant quand il vient !
+<soeurs> --Il nous taquine !--Il est gentil !--Nous l'aimons bien !
+<soeurs> --Nous fabriquons pour lui des pâtes d'angélique !
+<marthe> Mais enfin, ce n'est pas un très bon catholique !
+<claire> Nous le convertirons. ...
+<soeurs> ... Oui ! oui ! ...
+<marguerite> ... Je vous défends
+<marguerite> De l'entreprendre encor sur ce point, mes enfants.
+<marguerite> Ne le tourmentez pas : il viendrait moins peut-être !
+<marthe> Mais... Dieu ! ...
+<marguerite> ... Rassurez-vous : Dieu doit bien le connaître.
+<marthe> Mais chaque samedi, quand il vient d'un air fier,
+<marthe> Il me dit en entrant : 'Ma sœur, j'ai fait gras, hier !'
+<marguerite> Ah ! il vous dit cela ? ... Eh bien ! la fois dernière
+<marguerite> Il n'avait pas mangé depuis deux jours ! ...
+<marthe> ... Ma Mère !
+<marguerite> Il est pauvre. ...
+<marthe> ... Qui vous l'a dit ? ...
+<marguerite> ... Monsieur Le Bret.
+<marthe> On ne le secourt pas ? ...
+<marguerite> ... Non, il se fâcherait.
+<MASTER> Dans une allée du fond, on voit apparaître Roxane, vêtue de noir,
+<MASTER> avec la coiffe des veuves et de long voiles; de Guiche, magnifique et
+<MASTER> vieillissant, marche auprès d'elle. Ils vont à pas lents. Mère
+<marguerite> /me se lève
+<marguerite> --Allons, il faut rentrer... Madame Madeleine,
+<marguerite> Avec un visiteur, dans le parc se promène.
+<marthe> /me bas à sœur Claire
+<marthe> C'est le duc-maréchal de Grammont ? ...
+<claire> /me regardant
+<claire> ... Oui, je crois.
+<marthe> Il n'était plus venu la voir depuis des mois !
+<soeurs> Il est très pris !--La cour !--Les camps ! ...
+<claire> ... Les soins du monde !
+<marguerite> /part
+<claire> /part
+<marthe> /part
+<soeurs> /part
+<MASTER> Elles sortent. De Guiche et Roxane descendent en silence et
+<MASTER> s'arrêtent près du métier. Un temps.
+<MASTER> Scène 5.II.
+<MASTER> Roxane; le duc de Grammont, ancien comte de Guiche, puis Le Bret et
+<MASTER> Ragueneau.
+<deguiche> /join
+<roxane> /join
+<deguiche> Et vous demeurerez ici, vainement blonde,
+<deguiche> Toujours en deuil ? ...
+<roxane> ... Toujours. ...
+<deguiche> ... Aussi fidèle ? ...
+<roxane> ... Aussi.
+<deguiche> /me après un temps
+<deguiche> Vous m'avez pardonné ? ...
+<roxane> /me simplement, regardant la croix du couvent
+<roxane> ... Puisque je suis ici.
+<MASTER> Nouveau silence.
+<deguiche> Vraiment c'était un être ? ...
+<roxane> ... Il fallait le connaître !
+<deguiche> Ah ! Il fallait ? ... Je l'ai trop peu connu, peut-être !
+<deguiche> Et son dernier billet, sur votre cœur, toujours ?
+<roxane> Comme un doux scapulaire, il pend à ce velours.
+<deguiche> Même mort, vous l'aimez ? ...
+<roxane> ... Quelquefois il me semble
+<roxane> Qu'il n'est mort qu'à demi, que nos cœurs sont ensemble,
+<roxane> Et que son amour flotte, autour de moi, vivant !
+<deguiche> /me après un silence encore
+<deguiche> Est-ce que Cyrano vient vous voir ? ...
+<roxane> ... Oui, souvent.
+<roxane> --Ce vieil ami, pour moi, remplace les gazettes.
+<roxane> Il vient; c'est régulier; sous cet arbre où vous êtes
+<roxane> On place son fauteuil, s'il fait beau; je l'attends
+<roxane> En brodant; l'heure sonne; au dernier coup, j'entends
+<roxane> --Car je ne tourne plus même le front !--sa canne
+<roxane> Descendre le perron; il s'assied; il ricane
+<roxane> De ma tapisserie éternelle; il me fait
+<roxane> La chronique de la semaine, et ...
+<MASTER> Le Bret paraît sur le perron
+<roxane> ... Tiens, Le Bret !
+<lebret> /join
+<lebret> /me descend
+<roxane> Comment va notre ami ? ...
+<lebret> ... Mal. ...
+<deguiche> ... Oh ! ...
+<roxane> /me au duc
+<roxane> ... Il exagère !
+<lebret> Tout ce que j'ai prédit : l'abandon, la misère !
+<lebret> Ses épîtres lui font des ennemis nouveaux !
+<lebret> Il attaque les faux nobles, les faux dévots,
+<lebret> Les faux braves, les plagiaires,--tout le monde.
+<roxane> Mais son épée inspire une terreur profonde.
+<roxane> On ne viendra jamais à bout de lui. ...
+<deguiche> /me hochant la tête
+<deguiche> ... Qui sait ?
+<lebret> Ce que je crains, ce n'est pas les attaques, c'est
+<lebret> La solitude, la famine, c'est Décembre
+<lebret> Entrant à pas de loup dans son obscure chambre :
+<lebret> Voilà les spadassins qui plutôt le tueront !
+<lebret> --Il serre chaque jour, d'un cran, son ceinturon.
+<lebret> Son pauvre nez a pris des tons de vieil ivoire.
+<lebret> Il n'a plus qu'un petit habit de serge noire.
+<deguiche> Ah ! celui-là n'est pas parvenu !--C'est égal,
+<deguiche> Ne le plaignez pas trop. ...
+<lebret> /me avec un sourire amer
+<lebret> ... Monsieur le maréchal !
+<deguiche> Ne le plaignez pas trop : il a vécu sans pactes,
+<deguiche> Libre dans sa pensée autant que dans ses actes.
+<lebret> /me de même
+<lebret> Monsieur le duc ! ...
+<deguiche> /me hautainement
+<deguiche> ... Je sais, oui : j'ai tout; il n'a rien
+<deguiche> Mais je lui serrerais bien volontiers la main.
+<deguiche> /me saluant Roxane
+<deguiche> Adieu. ...
+<roxane> ... Je vous conduis. ...
+<MASTER> Le duc salue Le Bret et se dirige avec Roxane vers le perron.
+<deguiche> /me s'arrêtant, tandis qu'elle monte
+<deguiche> ... Oui, parfois, je l'envie.
+<deguiche> --Voyez-vous, lorsqu'on a trop réussi sa vie,
+<deguiche> On sent,--n'ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal !--
+<deguiche> Mille petits dégoûts de soi, dont le total
+<deguiche> Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure;
+<deguiche> Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure,
+<deguiche> Pendant que des grandeurs on monte les degrés,
+<deguiche> Un bruit d'illusions sèches et de regrets,
+<deguiche> Comme, quand vous montez lentement vers ces portes,
+<deguiche> Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes.
+<roxane> /me ironique
+<roxane> Vous voilà bien rêveur ? ...
+<deguiche> ... Eh ! oui ! ...
+<deguiche> /me au moment de sortir, brusquement
+<deguiche> ... Monsieur Le Bret !
+<deguiche> /me à Roxane
+<deguiche> Vous permettez ? Un mot. ...
+<deguiche> /me va à Le Bret, et à mi-voix
+<deguiche> ... C'est vrai : nul n'oserait
+<deguiche> Attaquer votre ami; mais beaucoup l'ont en haine;
+<deguiche> Et quelqu'un me disait, hier, au jeu, chez la Reine :
+<deguiche> "Ce Cyrano pourrait mourir d'un accident."
+<lebret> Ah ? ...
+<deguiche> ... Oui. Qu'il sorte peu. Qu'il soit prudent. ...
+<lebret> /me levant les bras au ciel
+<lebret> ... Prudent !
+<lebret> Il va venir. Je vais l'avertir. Oui, mais ! ...
+<roxane> /me qui est restée sur le perron, à une sœur qui s'avance vers elle
+<soeur> /join
+<roxane> ... Qu'est-ce ?
+<soeur> Ragueneau vient vous voir, Madame. ...
+<roxane> ... Qu'on le laisse
+<roxane> Entrer. ...
+<soeur> /part
+<roxane> /me au duc et à Le Bret
+<roxane> ... Il vient crier misère. Étant un jour
+<roxane> Parti pour être auteur, il devint tour à tour
+<roxane> Chantre ...
+<lebret> ... Étuviste ...
+<roxane> ... Acteur ...
+<lebret> ... Bedeau ...
+<roxane> ... Perruquier ...
+<lebret> ... Maître
+<lebret> De théorbe ...
+<roxane> ... Aujourd'hui que pourrait-il bien être ?
+<ragueneau> /join
+<ragueneau> /me entrant précipitamment
+<ragueneau> Ah ! Madame ! ...
+<ragueneau> /me aperçoit Le Bret
+<ragueneau> ... Monsieur ! ...
+<roxane> /me souriant
+<roxane> ... Racontez vos malheurs
+<roxane> À Le Bret. Je reviens. ...
+<ragueneau> ... Mais, Madame ...
+<roxane> /me sort sans l'écouter, avec le duc
+<roxane> /part
+<deguiche> /part
+<ragueneau> /me redescend vers le Bret.
+
+<MASTER> Scène 5.III.
+<MASTER> Le Bret, Ragueneau.
+<ragueneau> ... D'ailleurs,
+<ragueneau> Puisque vous êtes là, j'aime mieux qu'elle ignore !
+<ragueneau> --J'allais voir votre ami tantôt. J'étais encore
+<ragueneau> À vingt pas de chez lui... quand je le vois de loin,
+<ragueneau> Qui sort. Je veux le joindre. Il va tourner le coin
+<ragueneau> De la rue... et je cours... lorsque d'une fenêtre
+<ragueneau> Sous laquelle il passait--est-ce un hasard ? ... peut-être !--
+<ragueneau> Un laquais laisse choir une pièce de bois.
+<lebret> Les lâches ! ... Cyrano ! ...
+<ragueneau> ... J'arrive et je le vois
+<lebret> C'est affreux ! ...
+<ragueneau> ... Notre ami, Monsieur, notre poète,
+<ragueneau> Je le vois, là, par terre, un grand trou dans la tête !
+<lebret> Il est mort ? ...
+<ragueneau> ... Non ! mais... Dieu ! je l'ai porté chez lui.
+<ragueneau> Dans sa chambre... Ah ! sa chambre ! il faut voir ce réduit !
+<lebret> Il souffre ? ...
+<ragueneau> ... Non, Monsieur, il est sans connaissance,
+<lebret> Un médecin ? ...
+<ragueneau> ... Il en vint un par complaisance,
+<lebret> Mon pauvre Cyrano !--Ne disons pas cela
+<lebret> Tout d'un coup à Roxane !--Et ce docteur ? ...
+<ragueneau> ... Il a
+<ragueneau> Parlé,--je ne sais plus,--de fièvre, de méninges !
+<ragueneau> Ah ! si vous le voyiez--la tête dans des linges !
+<ragueneau> Courons vite !--Il n'y a personne à son chevet !--
+<ragueneau> C'est qu'il pourrait mourir, Monsieur, s'il se levait !
+<lebret> /me l'entraînant vers la droite
+<lebret> Passons par là ! Viens, c'est plus court ! Par la chapelle !
+<roxane> /join
+<roxane> /me paraissant sur le perron et voyant Le Bret s'éloigner par la
+<roxane> /me colonnade qui mène a la petite porte de la chapelle
+<roxane> Monsieur Le Bret ! ...
+<MASTER> Le Bret et Ragueneau se sauvent sans répondre
+<lebret> /part
+<ragueneau> /part
+<roxane> ... Le Bret s'en va quand on l'appelle ?
+<roxane> C'est quelque histoire encor de ce bon Ragueneau !
+<roxane> /me descend le perron.
+
+<MASTER> Scène 5.IV.
+<MASTER> Roxane seule, puis deux sœurs, un instant.
+<roxane> Ah ! que ce dernier jour de septembre est donc beau !
+<roxane> Ma tristesse sourit. Elle qu'Avril offusque,
+<roxane> Se laisse décider par l'automne, moins brusque.
+<roxane> /me s'assied à son métier.
+<MASTER> Deux sœurs sortent de la maison et apportent un grand fauteuil sous l'arbre
+<marthe> /join
+<soeur> /join
+<roxane> Ah ! voici le fauteuil classique où vient s'asseoir
+<roxane> Mon vieil ami ! ...
+<marthe> ... Mais c'est le meilleur du parloir !
+<roxane> Merci, ma sœur. ...
+<MASTER> Les sœurs s'éloignent
+<marthe> /part
+<soeur> /part
+<roxane> ... Il va venir. ...
+<roxane> /me s'installe. On entend sonner l'heure
+<roxane> ... Là... l'heure sonne.
+<roxane> --Mes écheveaux !--L'heure a sonné ? Ceci m'étonne !
+<roxane> Serait-il en retard pour la première fois ?
+<roxane> La sœur tourière doit--mon dé ? ... là, je le vois !--
+<roxane> L'exhorter à la pénitence. ...
+<MASTER> Un temps
+<roxane> ... Elle l'exhorte !
+<roxane> --Il ne peut plus tarder.--Tiens ! une feuille morte !--
+<roxane> /me repousse du doigt la feuille tombée sur son métier
+<roxane> D'ailleurs, rien ne pourrait.--Mes ciseaux ? ... dans mon sac !--
+<roxane> L'empêcher de venir ! ...
+<soeur> /join
+<soeur> /me paraissant sur le perron
+<soeur> ... Monsieur de Bergerac.
+<soeur> /part
+
+<MASTER> Scène 5.V.
+<MASTER> Roxane, Cyrano et, un moment, sœur Marthe.
+<roxane> /me sans se retourner
+<roxane> Qu'est-ce que je disais ? ...
+<MASTER> Et elle brode. Cyrano, très pâle, le feutre enfoncé sur les yeux,
+<MASTER> paraît. La sœur qui l'a introduit rentre. Il se met à descendre le
+<MASTER> perron lentement, avec un effort visible pour se tenir debout, et en
+<MASTER> s'appuyant sur sa canne. Roxane travaille à sa tapisserie
+<cyrano> /join
+<roxane> ... Ah ! ces teintes fanées
+<roxane> Comment les rassortir ? ...
+<roxane> /me à Cyrano, sur un ton d'amicale gronderie
+<roxane> ... Depuis quatorze années,
+<roxane> Pour la première fois, en retard ! ...
+<cyrano> /me qui est parvenu au fauteuil et s'est assis, d'une voix gaie,
+<cyrano> /me contrastant avec son visage
+<cyrano> ... Oui, c'est fou !
+<cyrano> J'enrage. Je fus mis en retard, vertuchou !
+<roxane> Par ? ...
+<cyrano> ... Par une visite assez inopportune.
+<roxane> /me distraite, travaillant
+<roxane> Ah ! oui ! quelque fâcheux ? ...
+<cyrano> ... Cousine, c'était une
+<cyrano> Fâcheuse. ...
+<roxane> ... Vous l'avez renvoyée ? ...
+<cyrano> ... Oui, j'ai dit :
+<cyrano> Excusez-moi, mais c'est aujourd'hui samedi,
+<cyrano> Jour où je dois me rendre en certaine demeure;
+<cyrano> Rien ne m'y fait manquer : repassez dans une heure !
+<roxane> /me légèrement
+<roxane> Eh bien ! cette personne attendra pour vous voir :
+<roxane> Je ne vous laisse pas partir avant ce soir.
+<cyrano> /me avec douceur
+<cyrano> Peut-être un peu plus tôt faudra-t-il que je parte.
+<cyrano> /me ferme les yeux et se tait un instant.
+<marthe> /join
+<marthe> /me traverse le parc de la chapelle au perron.
+<roxane> /me l'aperçoit, lui fait un petit signe de tête.
+<roxane> /me à Cyrano
+<roxane> Vous ne taquinez pas sœur Marthe ? ...
+<cyrano> /me vivement, ouvrant les yeux
+<cyrano> ... Si ! ...
+<cyrano> /me avec une grosse voix comique
+<cyrano> ... Sœur Marthe !
+<cyrano> Approchez ! ...
+<marthe> /me glisse vers lui
+<cyrano> ... Ha ! ha ! ha ! Beaux yeux toujours baissés !
+<marthe> /me levant les yeux en souriant
+<marthe> Mais ...
+<marthe> /me voit sa figure et fait un geste d'étonnement
+<marthe> ... Oh ! ...
+<cyrano> /me bas, lui montrant Roxane
+<cyrano> ... Chut ! Ce n'est rien !-- ...
+<cyrano> /me d'une voix fanfaronne, haut
+<cyrano> ... Hier, j'ai fait gras. ...
+<marthe> ... Je sais.
+<marthe> /me à part
+<marthe> C'est pour cela qu'il est si pâle ! ...
+<marthe> /me vite et bas
+<marthe> ... Au réfectoire
+<marthe> Vous viendrez tout à l'heure, et je vous ferai boire
+<marthe> Un grand bol de bouillon... Vous viendrez ? ...
+<cyrano> ... Oui, oui, oui.
+<marthe> Ah ! vous êtes un peu raisonnable, aujourd'hui !
+<roxane> /me qui les entend chuchoter
+<roxane> Elle essaye de vous convertir ? ...
+<marthe> ... Je m'en garde !
+<cyrano> Tiens, c'est vrai ! Vous toujours si saintement bavarde,
+<cyrano> Vous ne me prêchez pas ? c'est étonnant, ceci !
+<cyrano> /me avec une fureur bouffonne
+<cyrano> Sabre de bois ! Je veux vous étonner aussi !
+<cyrano> Tenez, je vous permets ...
+<cyrano> /me a l'air de chercher une bonne taquinerie, et de la trouver
+<cyrano> ... Ah ! la chose est nouvelle ?
+<cyrano> De... de prier pour moi, ce soir, à la chapelle.
+<roxane> Oh ! oh ! ...
+<cyrano> /me riant
+<cyrano> ... Sœur Marthe est dans la stupéfaction !
+<marthe> /me doucement
+<marthe> Je n'ai pas attendu votre permission.
+<marthe> /me rentre.
+<marthe> /part
+<cyrano> /me revenant à Roxane, penchée sur son métier
+<cyrano> Du diable si je peux jamais, tapisserie,
+<cyrano> Voir ta fin ! ...
+<roxane> ... J'attendais cette plaisanterie.
+<MASTER> À ce moment un peu de brise fait tomber les feuilles.
+<cyrano> Les feuilles ! ...
+<roxane> /me levant la tête, et regardant au loin, dans les allées
+<roxane> ... Elles sont d'un blond vénitien.
+<roxane> Regardez-les tomber. ...
+<cyrano> ... Comme elles tombent bien !
+<cyrano> Dans ce trajet si court de la branche à la terre,
+<cyrano> Comme elles savent mettre une beauté dernière,
+<cyrano> Et malgré leur terreur de pourrir sur le sol,
+<cyrano> Veulent que cette chute ait la grâce d'un vol !
+<roxane> Mélancolique, vous ? ...
+<cyrano> /me se reprenant
+<cyrano> ... Mais pas du tout, Roxane !
+<roxane> Allons, laissez tomber les feuilles de platane
+<roxane> Et racontez un peu ce qu'il y a de neuf.
+<roxane> Ma gazette ? ...
+<cyrano> ... Voici ! ...
+<roxane> ... Ah ! ...
+<cyrano> /me de plus en plus pâle, et luttant contre la douleur
+<cyrano> ... Samedi, dix-neuf :
+<cyrano> Ayant mangé huit fois du raisiné de Cette,
+<cyrano> Le Roi fut pris de fièvre; à deux coups de lancette
+<cyrano> Son mal fut condamné pour lèse-majesté,
+<cyrano> Et cet auguste pouls n'a plus fébricité !
+<cyrano> Au grand bal, chez la reine, on a brûlé, dimanche,
+<cyrano> Sept cent soixante-trois flambeaux de cire blanche;
+<cyrano> Nos troupes ont battu, dit-on, Jean l'Autrichien;
+<cyrano> On a pendu quatre sorciers; le petit chien
+<cyrano> De madame d'Athis a dû prendre un clystère
+<roxane> Monsieur de Bergerac, voulez-vous bien vous taire !
+<cyrano> Lundi... rien. Lygdamire a changé d'amant. ...
+<roxane> ... Oh !
+<cyrano> /me dont le visage s'altère de plus en plus
+<cyrano> Mardi, toute la cour est à Fontainebleau.
+<cyrano> Mercredi, la Montglat dit au comte de Fiesque :
+<cyrano> Non ! Jeudi : Mancini, Reine de France,--ou presque !
+<cyrano> Le vingt-cinq, la Monglat à de Fiesque dit : Oui;
+<cyrano> Et samedi, vingt-six ...
+<cyrano> /me ferme les yeux. Sa tête tombe. Silence.
+<roxane> /me surprise de ne plus rien entendre, se retourne, le regarde, et
+<roxane> /me se levant effrayée
+<roxane> ... Il est évanoui ?
+<roxane> /me court vers lui en criant
+<roxane> Cyrano ! ...
+<cyrano> /me rouvrant les yeux, d'une voix vague
+<cyrano> ... Qu'est-ce ? ... Quoi ? ...
+<cyrano> /me voit Roxane penchée sur lui et, vivement, assurant son chapeau sur
+<cyrano> /me sa tête et reculant avec effroi dans son fauteuil
+<cyrano> ... Non ! non ! je vous assure,
+<cyrano> Ce n'est rien ! Laissez-moi ! ...
+<roxane> ... Pourtant ...
+<cyrano> ... C'est ma blessure
+<cyrano> D'Arras... qui... quelquefois... vous savez ...
+<roxane> ... Pauvre ami !
+<cyrano> Mais ce n'est rien. Cela va finir. ...
+<cyrano> /me sourit avec effort
+<cyrano> ... C'est fini.
+<roxane> /me debout près de lui
+<roxane> Chacun de nous a sa blessure : j'ai la mienne.
+<roxane> Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne,
+<roxane> /me met la main sur sa poitrine
+<roxane> Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant
+<roxane> Où l'on peut voir encor des larmes et du sang !
+<MASTER> Le crépuscule commence à venir.
+<cyrano> Sa lettre ! ... N'aviez-vous pas dit qu'un jour, peut-être,
+<cyrano> Vous me la feriez lire ? ...
+<roxane> ... Ah ! vous voulez ? ... Sa lettre ?
+<cyrano> Oui ... Je veux ... Aujourd'hui ...
+<roxane> /me lui donnant le sachet pendu à son cou
+<roxane> ... Tenez ! ...
+<cyrano> /me le prenant
+<cyrano> ... Je peux ouvrir ?
+<roxane> Ouvrez... lisez ! ...
+<roxane> /me revient à son métier, le replie, range ses laines.
+<cyrano> /me lisant
+<cyrano> ... Roxane, adieu, je vais mourir !
+<roxane> /me s'arrêtant, étonnée
+<roxane> Tout haut ? ...
+<cyrano> /me lisant
+<cyrano> ... C'est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée !
+<cyrano> J'ai l'âme lourde encor d'amour inexprimée,
+<cyrano> Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés,
+<cyrano> Mes regards dont c'était ...
+<roxane> ... Comment vous la lisez,
+<roxane> Sa lettre ! ...
+<cyrano> /me continuant
+<cyrano> ... dont c'était les frémissantes fêtes,
+<cyrano> Ne baiseront au vol les gestes que vous faites;
+<cyrano> J'en revois un petit qui vous est familier
+<cyrano> Pour toucher votre front, et je voudrais crier
+<roxane> /me troublée
+<roxane> Comme vous la lisez,--cette lettre ! ...
+<MASTER> La nuit vient insensiblement.
+<cyrano> ... Et je crie :
+<cyrano> Adieu ! ...
+<roxane> ... Vous la lisez ...
+<cyrano> ... Ma chère, ma chérie,
+<cyrano> Mon trésor ...
+<roxane> /me rêveuse
+<roxane> ... D'une voix ...
+<cyrano> ... Mon amour ! ...
+<roxane> ... D'une voix
+<roxane> /me tressaille
+<roxane> Mais... que je n'entends pas pour la première fois !
+<roxane> /me s'approche tout doucement, sans qu'il s'en aperçoive, passe
+<roxane> /me derrière le fauteuil, se penche sans bruit, regarde la
+<roxane> /me lettre.--L'ombre augmente.
+<cyrano> Mon cœur ne vous quitta jamais une seconde,
+<cyrano> Et je suis et serai jusque dans l'autre monde
+<cyrano> Celui qui vous aima sans mesure, celui
+<roxane> /me lui posant la main sur l'épaule
+<roxane> Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit.
+<roxane> /me tressaille, se retourne, la voit là tout près, fait un geste
+<roxane> /me d'effroi, baisse la tête.
+<MASTER> Un long silence.
+<MASTER> Puis, dans l'ombre complètement venue, elle dit avec lenteur, joignant les mains
+<roxane> Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle
+<roxane> D'être le vieil ami qui vient pour être drôle !
+<cyrano> Roxane ! ...
+<roxane> ... C'était vous ! ...
+<cyrano> ... Non, non, Roxane, non !
+<roxane> J'aurais dû deviner quand il disait mon nom !
+<cyrano> Non, ce n'était pas moi ! ...
+<roxane> ... C'était vous ! ...
+<cyrano> ... Je vous jure
+<roxane> J'aperçois toute la généreuse imposture :
+<roxane> Les lettres, c'était vous ...
+<cyrano> ... Non ! ...
+<roxane> ... Les mots chers et fous,
+<roxane> C'était vous ...
+<cyrano> ... Non ! ...
+<roxane> ... La voix dans la nuit, c'était vous !
+<cyrano> Je vous jure que non ! ...
+<roxane> ... L'âme, c'était la vôtre !
+<cyrano> Je ne vous aimais pas. ...
+<roxane> ... Vous m'aimiez ! ...
+<cyrano> /me se débattant
+<cyrano> ... C'était l'autre !
+<roxane> Vous m'aimiez ! ...
+<cyrano> /me d'une voix qui faiblit
+<cyrano> ... Non ! ...
+<roxane> ... Déjà vous le dites plus bas !
+<cyrano> Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !
+<roxane> Ah ! que de choses qui sont mortes... qui sont nées !
+<roxane> --Pourquoi vous être tu pendant quatorze années,
+<roxane> Puisque sur cette lettre où, lui, n'était pour rien,
+<roxane> Ces pleurs étaient de vous ? ...
+<cyrano> /me lui tendant la lettre
+<cyrano> ... Ce sang était le sien.
+<roxane> Alors pourquoi laisser ce sublime silence
+<roxane> Se briser aujourd'hui ? ...
+<cyrano> ... Pourquoi ? ...
+<MASTER> Le Bret et Ragueneau entrent en courant.
+<lebret> /join
+<ragueneau> /join
+
+<MASTER> Scène 5.VI.
+<MASTER> Les mêmes, Le Bret et Ragueneau.
+<lebret> ... Quelle imprudence !
+<lebret> Ah ! j'en étais bien sûr ! il est là ! ...
+<cyrano> /me souriant et se redressant
+<cyrano> ... Tiens, parbleu !
+<lebret> Il s'est tué, Madame, en se levant ! ...
+<roxane> ... Grand Dieu !
+<roxane> Mais tout à l'heure alors... cette faiblesse ? ... cette ?
+<cyrano> C'est vrai ! je n'avais pas terminé ma gazette :
+<cyrano> Et samedi, vingt-six, une heure avant dîné,
+<cyrano> Monsieur de Bergerac est mort assassiné.
+<cyrano> /me se découvre; on voit sa tête entourée de linges.
+<roxane> Que dit-il ?--Cyrano !--Sa tête enveloppée !
+<roxane> Ah, que vous a-t-on fait ? Pourquoi ? ...
+<cyrano> ... "D'un coup d'épée,
+<cyrano> Frappé par un héros, tomber la pointe au cœur !"
+<cyrano> --Oui, je disais cela ! ... Le destin est railleur !
+<cyrano> Et voilà que je suis tué dans une embûche,
+<cyrano> Par derrière, par un laquais, d'un coup de bûche !
+<cyrano> C'est très bien. J'aurai tout manqué, même ma mort.
+<ragueneau> Ah, Monsieur ! ...
+<cyrano> ... Ragueneau, ne pleure pas si fort !
+<cyrano> /me lui tend la main
+<cyrano> Qu'est-ce que tu deviens, maintenant, mon confrère ?
+<ragueneau> /me à travers ses larmes
+<ragueneau> Je suis moucheur de... de... chandelles, chez Molière.
+<cyrano> Molière ! ...
+<ragueneau> ... Mais je veux le quitter, dès demain :
+<ragueneau> Oui, je suis indigné ! ... Hier, on jouait Scapin,
+<ragueneau> Et j'ai vu qu'il vous a pris une scène ! ...
+<lebret> ... Entière !
+<ragueneau> Oui, Monsieur, le fameux : "Que Diable allait-il faire ? "
+<lebret> /me furieux
+<lebret> Molière te l'a pris ! ...
+<cyrano> ... Chut ! chut ! Il a bien fait !
+<cyrano> /me à Ragueneau
+<cyrano> La scène, n'est-ce pas, produit beaucoup d'effet ?
+<ragueneau> /me sanglotant
+<ragueneau> Ah ! Monsieur, on riait ! on riait ! ...
+<cyrano> ... Oui, ma vie
+<cyrano> Ce fut d'être celui qui souffle -- et qu'on oublie !
+<cyrano> /me à Roxane
+<cyrano> Vous souvient-il du soir où Christian vous parla
+<cyrano> Sous le balcon ? Eh bien ! toute ma vie est là :
+<cyrano> Pendant que je restais en bas, dans l'ombre noire,
+<cyrano> D'autres montaient cueillir le baiser de la gloire !
+<cyrano> C'est justice, et j'approuve au seuil de mon tombeau :
+<cyrano> Molière a du génie et Christian était beau !
+<MASTER> À ce moment, la cloche de la chapelle ayant tinté, on voit passer au
+<MASTER> fond, dans l'allée, les religieuses se rendant à l'office
+<cyrano> Qu'elles aillent prier puisque leur cloche sonne !
+<roxane> /me se relevant pour appeler
+<roxane> Ma sœur ! ma sœur ! ...
+<cyrano> /me la retenant
+<cyrano> ... Non ! non ! n'allez chercher personne :
+<cyrano> Quand vous reviendriez, je ne serais plus là.
+<MASTER> Les religieuses sont entrées dans la chapelle, on entend l'orgue
+<cyrano> Il me manquait un peu d'harmonie... en voilà.
+<roxane> Je vous aime, vivez ! ...
+<cyrano> ... Non ! car c'est dans le conte
+<cyrano> Que lorsqu'on dit : Je t'aime ! au prince plein de honte,
+<cyrano> Il sent sa laideur fondre à ces mots de soleil
+<cyrano> Mais tu t'apercevrais que je reste pareil.
+<roxane> J'ai fait votre malheur ! moi ! moi ! ...
+<cyrano> ... Vous ? ... au contraire !
+<cyrano> J'ignorais la douceur féminine. Ma mère
+<cyrano> Ne m'a pas trouvé beau. Je n'ai pas eu de sœur.
+<cyrano> Plus tard, j'ai redouté l'amante à l'œil moqueur.
+<cyrano> Je vous dois d'avoir eu, tout au moins, une amie.
+<cyrano> Grâce à vous une robe a passé dans ma vie.
+<lebret> /me lui montrant le clair de lune qui descend à travers les branches
+<lebret> Ton autre amie est là, qui vient te voir ! ...
+<cyrano> /me souriant à la lune
+<cyrano> ... Je vois.
+<roxane> Je n'aimais qu'un seul être et je le perds deux fois !
+<cyrano> Le Bret, je vais monter dans la lune opaline,
+<cyrano> Sans qu'il faille inventer, aujourd'hui, de machine
+<lebret> Que dites-vous ? ...
+<cyrano> ... Mais oui, c'est là, je vous le dis,
+<cyrano> Que l'on va m'envoyer faire mon paradis
+<cyrano> Plus d'une âme que j'aime y doit être exilée,
+<cyrano> Et je retrouverai Socrate et Galilée !
+<lebret> /me se révoltant
+<lebret> Non, non ! C'est trop stupide à la fin, et c'est trop
+<lebret> Injuste ! Un tel poète ! Un cœur si grand, si haut !
+<lebret> Mourir ainsi ! ... Mourir ! ...
+<cyrano> ... Voilà Le Bret qui grogne !
+<lebret> /me fondant en larmes
+<lebret> Mon cher ami ...
+<cyrano> /me se soulevant, l'œil égaré
+<cyrano> ... Ce sont les cadets de Gascogne
+<cyrano> --La masse élémentaire... Eh oui ! ... voilà le hic
+<lebret> Sa science... dans son délire ! ...
+<cyrano> ... Copernic
+<cyrano> A dit ...
+<roxane> ... Oh ! ...
+<cyrano> ... Mais aussi que diable allait-il faire,
+<cyrano> Mais que diable allait-il faire en cette galère ?
+<cyrano> Philosophe, physicien,
+<cyrano> Rimeur, bretteur, musicien,
+<cyrano> Et voyageur aérien,
+<cyrano> Grand riposteur du tac au tac,
+<cyrano> Amant aussi--pas pour son bien !--
+<cyrano> Ci-gît Hercule-Savinien
+<cyrano> De Cyrano de Bergerac,
+<cyrano> Qui fut tout, et qui ne fut rien,
+<cyrano> Mais je m'en vais, pardon, je ne peux faire attendre :
+<cyrano> Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre !
+<cyrano> /me est retombé assis, les pleurs de Roxane le rappellent à la réalité
+<cyrano> /me la regarde, et caressant ses voiles
+<cyrano> Je ne veux pas que vous pleuriez moins ce charmant,
+<cyrano> Ce bon, ce beau Christian; mais je veux seulement
+<cyrano> Que lorsque le grand froid aura pris mes vertèbres,
+<cyrano> Vous donniez un sens double à ces voiles funèbres,
+<cyrano> Et que son deuil sur vous devienne un peu mon deuil.
+<roxane> Je vous jure ! ...
+<cyrano> /me est secoué d'un grand frisson et se lève brusquement
+<cyrano> ... Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil !
+<MASTER> On veut s'élancer vers lui
+<cyrano> --Ne me soutenez pas !--Personne ! ...
+<cyrano> /me va s'adosser à l'arbre
+<cyrano> ... Rien que l'arbre !
+<MASTER> Silence
+<cyrano> Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre,
+<cyrano> --Ganté de plomb ! ...
+<cyrano> /me se raidit
+<cyrano> ... Oh ! mais ! ... puisqu'elle est en chemin,
+<cyrano> Je l'attendrai debout, ...
+<cyrano> /me tire l'épée
+<cyrano> ... et l'épée à la main !
+<lebret> Cyrano ! ...
+<roxane> /me défaillante
+<roxane> ... Cyrano ! ...
+<MASTER> Tous reculent épouvantés.
+<cyrano> ... Je crois qu'elle regarde
+<cyrano> Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde
+<cyrano> /me lève son épée
+<cyrano> Que dites-vous ? ... C'est inutile ? ... Je le sais !
+<cyrano> Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
+<cyrano> Non ! non ! c'est bien plus beau lorsque c'est inutile !
+<cyrano> -- Qu'est-ce que c'est que tous ceux-là ? -- Vous êtes mille ?
+<cyrano> Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
+<cyrano> Le Mensonge ? ...
+<cyrano> /me frappe de son épée le vide
+<cyrano> ... Tiens, tiens !--Ha ! ha ! les Compromis !
+<cyrano> Les Préjugés, les Lâchetés ! ...
+<cyrano> /me frappe
+<cyrano> ... Que je pactise ?
+<cyrano> Jamais, jamais !--Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
+<cyrano> --Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas;
+<cyrano> N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
+<cyrano> /me fait des moulinets immenses et s'arrête haletant
+<cyrano> Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
+<cyrano> Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
+<cyrano> Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu,
+<cyrano> Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
+<cyrano> Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
+<cyrano> J'emporte malgré vous, ...
+<cyrano> /me s'élance l'épée haute
+<cyrano> ... et c'est ...
+<MASTER> L'épée s'échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de
+<MASTER> Le Bret et de Ragueneau.
+<roxane> /me se penchant sur lui et lui baisant le front
+<roxane> ... C'est ? ...
+<cyrano> /me rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant
+<cyrano> ... Mon panache.
+<lebret> /part
+<ragueneau> /part
+<roxane> /part
+<cyrano> /part
+<MASTER> Rideau.