Lettre ouverte à ma députée sur le vote prorogeant l'état d'urgence
To my English-speaking readers: France is currently busy destroying public freedoms in the wake of the november attacks. Both the lower and upper legislative chambers approved by a near-unanimous vote a 3-month state of emergency. This seems sufficiently dire to me to write to my representative and post the letter on this blog.
Je ne parle pas beaucoup de politique ici, mais ce qui se passe en ce moment me semble suffisamment grave pour être mentionné. Ce jeudi, l'Assemblée nationale a voté trois mois d'état d'urgence, à l'unanimité moins six voix, suivie vendredi par le Sénat en un vote unanime. Ma députée, Julie Sommaruga, ne faisait pas partie des six qui ont eu le courage de s'opposer, et je lui ai donc écrit pour lui manifester ma désapprobation. (Les liens sont des ajouts par rapport à la version envoyée.)
Objet : Lettre ouverte sur votre vote prorogeant l'état d'urgence
Madame la députée,
C'est vous qui me représentez à l'Assemblée nationale, et je souhaitais réagir à votre vote sur le projet de loi prorogeant l'état d'urgence.
Le 16 novembre, sur votre site Web, votre réaction aux attentats du 13 se concluait ainsi : « Notre fermeté, notre unité, notre sang-froid et notre fidélité à nos valeurs républicaines triompheront de la barbarie, vaincront le terrorisme. »
Le 19 novembre, vous avez permis à l'Assemblée d'entériner, pour trois mois, un état d'urgence qui représente une grave atteinte aux libertés fondamentales. Vous avez permis à l'exécutif d'assigner à résidence sur la base de comportements, de perquisitionner, d'interdire manifestations et rassemblements ; tout cela au nom de la menace terroriste, cette perpétuelle urgence des dernières années et de celles à venir.
Madame la députée, les valeurs dont vous vous revendiquez sont précisément celles qui m'amènent à désapprouver votre vote. Ce n'est pas agir avec fermeté, que de céder à la faiblesse de ceux qui veulent qu'on les rassure, ceux qui sont réconfortés par un spectacle de mesures sécuritaires inefficaces, ceux-là même qui applaudissent les actions militaires revanchardes et aveugles où nous nous enlisons déjà. Ce n'est pas faire preuve de sang-froid, que d'adopter si tôt de telles mesures, alors que nous sommes tous encore sous le choc de ces atrocités et du tapage sensationnaliste des médias.
Il faut se méfier de cette unité à laquelle on nous demande de croire, comme si le débat politique devait se suspendre sous la violence de ces crimes, et une opinion commune s'imposer immédiatement à chacun. N'est-il pas un peu suspect, finalement, que nous nous soyons tous mis d'accord si vite ? Ne pensez-vous pas, comme moi, que l'on entendrait des avis dissidents s'élever, s'il leur était permis de manifester, s'il leur était possible de s'opposer à l'alarmisme ambiant sans qu'on leur objecte le respect dû aux victimes ?
Comme vous, je crois à nos valeurs républicaines, comme vous je suis convaincu que c'est elles qui doivent nous guider en ces temps difficiles. Pourtant, nombre d'entre elles me semblent gravement menacées par le texte que vous avez défendu. Ainsi, le pouvoir législatif, que vous exercez en me représentant, ne bafoue-t-il pas le principe de la séparation des pouvoirs, quand il accède aux demandes d'un pouvoir exécutif qui veut court-circuiter le pouvoir judiciaire ? Peut-on encore parler de présomption d'innocence, quand l'exécutif prive arbitrairement ses citoyens de liberté, au nom d'une urgence qu'il veut étaler sur trois mois ? L'État de droit peut-il s'accommoder de cet état d'urgence permanent avec lequel on parle de le concilier ? En somme, n'est-ce pas laisser triompher le terrorisme, que de rogner ainsi nos chères valeurs, pour mieux les protéger ?
Madame la députée, je tenais à vous écrire pour vous dire que votre vote ne représente pas mes convictions. Comme d'autres de vos électeurs, peut-être, je regrette amèrement de vous voir approuver les graves erreurs que nous commettons aujourd'hui, et j'ai peur de cette France que l'on nous prépare pour demain.
Bien cordialement,
Antoine Amarilli (Montrouge), doctorant
Je recommande aussi fortement la lecture de J'ai peur, un article écrit par Pablo, qui correspond bien à mon avis sur ce qui est en train de se passer.