a3nm's blog

An activist's riddle

English version

This riddle is sometimes used by activists:

A father and his son have a car accident. The father dies, and the son survives but is badly hurt. He is brought to the emergency room, but the surgeon says: "It's too hard for me to operate on this boy, he is my son."

How is this possible?

If you don't know the answer, before I give it away, I encourage you to look at the following version instead:

A father and his daughter are hit by a reckless driver in an empty street. The father is killed instantly, the daughter survives but is badly hurt. A few minutes later, someone passes by, notices the girl and shouts: "Help! It's my daughter!"

How is this possible?

If you still haven't found the answer, I invite you to think it over, and continue when you got it or gave up. See this footnote for the answer: 1.

When they work as they should, I think such riddles are a great way to make people notice that their view of the world is influenced by gender stereotypes. That said, to be fair, the original riddle relies on at least two additional cues:

  • A contextual bias, namely, a priming effect: all characters but the last one are male, which makes it harder to think about a woman. This can be eliminated by adding female characters, for instance replacing the son by a daughter3 as I did. This "priming" effect is not specific to gender, and it is also used, e.g., in the following riddle (source) answer7:

    A black man dressed all in black, wearing a black mask, stands at a crossroads in a totally black-painted town. All of the streetlights in town are broken. There is no moon. A black-painted car without headlights drives straight toward him, but turns in time and doesn't hit him.

    How did the driver know to swerve?

  • A sociological bias: surgeons are mostly males (around 75% in France according to Insee), which makes it harder to think of a woman. I eliminated this by using the neutral term "someone" to refer to the person instead. (This is much harder to do in French.)
  • (The French version of the riddle uses the fact that the word "surgeon", in French, reflects the gender of the person involved, in a misleading way.)

I obviously can't tell, as I know the answer already, but I hope that my modified riddle above, while it is probably easier, is still non-trivial, even though it does not rely on these two effects: there is no contextual or social reason to think that the passerby is a man.

By contrast, it's hard to produce a convincing "reverse" riddle, even when using all available effects. Here's an attempt:

An impulsive young lady has a particularly violent argument with her mother, and jumps out of a window. The house cleaner in a nearby building notices the scene and shouts: "Help, help, it's my daughter!" How is this possible?

If, like me, you find my modified "passerby" riddle harder than the reverse riddle above, then your gender prejudices are making it easier for you to imagine people as men rather than women.

Of course, to reach definite conclusions about this, one would need to undertake a statistical study where different groups of people (of both genders) would be told the different riddles, and where the average time needed to answer them would be compared. This would be interesting to do, but way more complicated than just coming up with the variants.

Version française

On m'a raconté la devinette suivante :

Un père et son fils ont un accident de voiture. Le père meurt, le fils est entre la vie et la mort. On le conduit aux urgences et le chirurgien qui le voit dit : "C'est trop difficile pour moi de l'opérer car c'est mon fils."

Comment est-ce possible ?

Ma dissection de cette devinette va rendre la solution évidente, donc si vous ne la connaissez pas, essayez peut-être d'abord cette variante plus facile de mon invention, que je vais comparer à l'originale :

Dans un pays lointain, un père et sa fille tombent dans une rivière. Le père se noie immédiatement, mais sa fille est emportée par le courant. La rivière passe dans un village en aval, et l'autochtone qui voit arriver l'enfant s'exclame : "Au secours, c'est ma fille !".

Comment est-ce possible ?

Si vous n'avez toujours pas trouvé, je vous invite à interrompre votre lecture et à la reprendre quand vous aurez trouvé la réponse ou donné votre langue au chat. Pour la réponse, voir la note de bas de page: 2.

Je trouve que des devinettes de ce genre, quand elles fonctionnent, sont une façon particulièrement frappante d'interpeller ceux qui ne se sentent pas concernées par les questions de genre, en leur permettant de découvrir qu'ils ont tendance, spontanément, à se représenter des personnages comme des hommes plutôt que des femmes. Cependant, la devinette originale repose sur trois astuces pour nous y encourager :

  • Un biais contextuel, à savoir, un effet psychologique d'amorçage : si tous les personnages sont masculins, il est plus difficile de penser spontanément à un personnage féminin. Pour éviter ça, j'ai remplacé le fils par une fille4. Ce phénomène d'amorçage n'est pas spécifique au genre, et il est aussi utilisé¸ par exemple, dans la devinette suivante réponse8 :

    Un homme noir vêtu de noir traverse une route noire dans une rue sans le moindre réverbère où tous les bâtiments sont noirs. Une voiture noire arrive tous feux éteints, mais freine soudainement pour laisser passer le piéton.

    Comment a-t-elle fait ?

  • Un biais lexical : l'emploi de la forme non-marquée "le chirurgien" pour désigner une femme, et la confusion possible avec le masculin5. On peut donc remplacer par un nom de fonction épicène (et qui doit en plus commencer par une voyelle pour permettre l'élision), par exemple "urgentiste", ou "autochtone" pour la raison que je vais expliquer.
  • Un biais social, à savoir, l'utilisation d'un nom de métier majoritairement exercé par des hommes : seulement un chirgurgien sur quatre est une femme en France (source : Insee). On pourrait remplacer par un nom de fonction épicène et statistiquement paritaire aujourd'hui, par exemple "énarque", mais un tel choix illustre surtout, je trouve, que nos statistiques mentales sur les énarques ne sont pas à jour. D'où mon choix d'"autochtone", qui ne devrait pas avoir la moindre implication statistique.

Ma version modifiée de la devinette plus haut élimine donc le recours à ces trois astuces. Difficile pour moi d'en juger, vu que je connais la réponse, mais j'espère que cette version, si elle est plus facile, n'est pas triviale non plus. Pourtant, contrairement à la devinette originale, il n'y a plus aucune raison, ni lexicale, ni contextuelle, ni sociale, de penser que "l'autochtone" est un homme.

Si on essaie de faire la devinette dans le sens inverse, en revanche, ça ne semble pas vraiment marcher :

Une jeune fille extrêmement impulsive se dispute violemment avec sa mère, et, désespérée, se jette par la fenêtre. L'aide à domicile d'une des familles de la tour voisine, qui nettoyait les vitres, aperçoit la scène et s'exclame "au secours, c'est ma fille !".

Comment est-ce possible ?

On ne peut plus utiliser de ressort lexical, parce qu'on ne pourrait pas vraiment parler (par exemple) de "caissière" pour désigner un homme individuellement, même si "caissière" est communément utilisé au féminin par défaut (par exemple, "grève des caissières" ; je trouve d'ailleurs ça extrêmement problématique, le "féminin par défaut" employé de la sorte pour certains métiers spécifiques). En revanche, les deux autres astuces sont utilisées à plein régime : à part l'aide à domicile, tous les personnages (et même tous les noms utilisés) sont féminins, et les aides à domicile en France sont des femmes par une majorité extrêmement large (Source: Dares). Pourtant, je ne trouve pas que ça marche aussi bien, ce qui tendrait à illustrer que la situation n'est pas symétrique ; mais là encore, j'ai du mal à me rendre compte. Maxime me fait remarquer qu'on pourrait aussi utiliser un autre terme vraiment grammaticalement féminin pour faire référence à l'homme, comme "personne", dont je vais parler jutse après pour la direction inverse, ou bien "victime"...

Cependant, une version de la devinette originale qui semble la rendre vraiment trop facile, c'est d'utiliser le terme de "personne", ce qui donne par exemple :

Dans un pays lointain, un père et sa fille tombent dans une rivière. Le père se noie immédiatement, mais sa fille est emportée par le courant. La rivière passe dans un village en aval, et la personne qui voit arriver l'enfant s'exclame "au secours, c'est ma fille !".

Comment est-ce possible ?

Je trouve que "personne" rend plus facile d'imaginer une femme, juste parce que le terme est féminin. Dans le même genre, d'autres tentatives de ne pas divulguer le sexe du locuteur ("Un cri s'élève...") ne fonctionneraient probablement pas non plus6. Il est aussi possible d'utiliser "quelqu'un", qui peut-être marcherait mieux que "personne". Ainsi, je crois que le ressort principal reste grammatical : un lecteur invité à annoter une phrase par des informations de genre purement grammatical, indépendamment du sens, verrait sans doute "l'autochtone" comme un masculin, sauf preuve grammaticale indiscutable du contraire : par exemple, dans la phrase "L'autochtone était hermaphrodite."

Ainsi, une fois éliminés l'amorçage et le biais social, je dirais que la devinette illustre surtout les principes suivants :

  • Désigner une personne par un terme grammaticalement masculin fait qu'on se la représente comme un homme.
  • Une forme grammaticalement épicène a tendance à être perçue comme grammaticalement masculine par défaut.

À ce titre, la version anglaise de telles devinettes, où on peut utiliser "someone" pour ne donner aucune indication grammaticale, me semblent peut-être plus intéressantes parce que j'ai l'impression qu'elles fonctionnent encore, sans recours nécessaire à des termes épicènes.

Bien sûr, la seule manière d'aboutir à des conclusions fiables à ce propos serait de mener une étude statistique sérieuse comparant le temps moyen nécessaire à des groupes de sujets expérimentaux (des deux sexes) pour trouver la réponse à chacune de ces diverses variantes. Malheureusement, c'est quelque chose de plus difficile à faire que de juste écrire un billet de blog pour comparer quelques variantes.

Une jeune fille tombe inconsciente dans une rue déserte. Peu après, deux touristes passent par là, la voient, et se rendent compte en même temps : "Ciel ! C'est ma fille !". Les deux ont raison.

Comment est-ce possible ?


Des touristes visitent un pont ; quelqu'un tombe du pont et se noie. La police intervient et recueille séparément les dépositions. Un premier touriste a déclaré : "Je suis son père." Quelqu'un d'autre a affirmé ensuite : "C'était mon enfant." Pourtant, la police les croit tous les deux.

Comment est-ce possible ?


  1. The surgeon and the passerby are women. 

  2. Le chirurgien et l'autochtone sont des femmes. 

  3. Of course, the father must still be a man. By the way, it would be better if one could somehow insist on the fact that we are talking about biological parenthood, but this would probably be hard to do without drawing attention to the answer. I don't know if people can be tempted to answer the riddle in the following interesting way: the father and surgeon are a gay couple, and this is their adopted son. 

  4. Évidemment, le père doit rester un homme. À ce titre, il serait d'ailleurs préférable de préciser, pour éviter toute confusion, que c'est la relation de filiation biologique qui nous intéresse, mais ça semble difficile de le faire sans vendre la mèche. Je trouve d'ailleurs assez intéressante la réponse alternative suivante, dont je ne sais pas si elle peut venir à l'esprit des gens : le père et le chirurgien sont un couple de gays et c'est leur fils adoptif

  5. En fait, on m'a déjà présenté la devinette comme une critique de la solution, pour le genre des noms de métier, qui consiste à utiliser la forme non-marquée de cette façon en lui donnant un sens neutre. Pourtant, je pense que la devinette marche très bien aussi avec un nom de profession épicène comme "urgentiste", qu'il n'y aurait, en théorie, pas lieu de féminiser. 

  6. Une technique qui pourrait marcher serait d'utiliser le pluriel. Par exemple, voici deux possibilités : 

  7. This happened during the day. 

  8. Il fait jour. 

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