De nombreuses personnes a qui j'ai exposé ma méthode oralement m'ont ouvertement reproché mon cynisme, et me disaient qu'ils préféraient, de loin, rédiger des devoirs engagés dans lesquels ils affirmaient leur opinion, essayaient d'intéresser leur public, d'être originaux, etc. En bref, le contraire de ce que je décris.
Je ne prétends pas que cela ne fonctionne pas, car certaines de ces personnes ont des résultats remarquables. Cependant, d'autres, non. Faire un devoir intéressant et original est fatiguant, demande de réfléchir, et implique une prise de risques ; si votre texte plaît, vous serez bien noté, sinon, vous serez mal noté.
L'idée de ne rien dire avec panache est de prendre comme postulat que vous n'aller pas intéresser votre lecteur ; l'objectif est de produire un texte prodigieusement ennuyeux, mais qui paraît irréprochable et investi sur le fond et la forme. Votre texte doit ressembler à la prose le plus souvent inintéressante que l'on vous sert en cours, ainsi, même si le correcteur n'apprécie pas, il serait malvenu de sa part de vous en faire le reproche. Vous jouez dans une autre catégorie, et, avec l'habitude, la production de textes de ce type deviendra machinale, habituelle, et vous demandera bien moins d'effort intellectuel que celle d'un autre type de texte ; autant de capacités à garder précieusement pour ce qui compte pour vous, dans un cadre scolaire ou non.
En rédigeant votre texte, vous jouez un rôle de théâtre. Vous endossez un masque approprié à la situation ; celui de quelqu'un de passionné par ce sur quoi il compose, et d'un avis personnel affirmé qui a une certaine tendance à rejoindre l'avis de votre correcteur et celui des auteurs de l'appui documentaire qu'il vous propose. Notez bien qu'à mon humble avis, de nombreux professeurs adoptent, en tant que correcteurs, une attitude similaire (bien que certains semblent vraiment croire à ce qu'ils disent, mais ils sont peut-être simplement d'excellents acteurs). Vous faites semblant, en écrivant un texte ennuyeux, de croire qu'il vous passionne ; votre correcteur fait semblant, en lisant votre prose, de penser qu'elle est passionnante. Vous et votre correcteur jouez à admirer ce qui est détestable, insipide et sans intérêt, parce que cela correspond à un canon, à une norme en usage et que chacun a adopté (cela est certes fort stupide, mais ce n'est, comme je l'ai précisé, pas notre propos).
Venons-en au fait. Lorsque vous composez, n'ayez pas honte de mentir ! N'ayez pas honte d'affirmer une opinion personnelle préfabriquée qui ne correspond pas à la vôtre, n'ayez pas honte d'employer ces mêmes tournures qui vous vrillent les oreilles dès que vous les entendez, tellement elles sont présomptueuses, pompeuses et pédantes ; c'est votre double théâtral, et non vous, qui se souille dans un léchage de bottes et une assurance si indignes. Ne reculez devant rien, vous ne feriez que révéler votre vraie nature. Et pour moi, ma véritable personnalité est quelque chose qui n'a absolument rien à faire dans une composition de ce type, et que je réserve aux situations plus informelles.
Antoine Amarilli 2006-04-24