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racine_esther (47948B)


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      4 Du séjour bienheureux de la Divinité,
      5 Je descends dans ce lieu par la Grâce habité ;
      6 L’Innocence s’y plaît, ma compagne éternelle,
      7 Et n’a point sous les cieux d’asile plus fidèle.
      8 Ici, loin du tumulte, aux devoirs les plus saints
      9 Tout un peuple naissant est formé par mes mains :
     10 Je nourris dans son cœur la semence féconde
     11 Des vertus dont il doit sanctifier le monde.
     12 Un roi qui me protége, un roi victorieux,
     13 A commis à mes soins ce dépôt précieux.
     14 C’est lui qui rassembla ces colombes timides,
     15 Éparses en cent lieux, sans secours et sans guides :
     16 Pour elles, à sa porte, élevant ce palais,
     17 Il leur y fit trouver l’abondance et la paix.
     18 Grand Dieu, que cet ouvrage ait place en ta mémoire
     19 Que tous les soins qu’il prend pour soutenir ta gloire
     20 Soient gravés de ta main au livre où sont écrits
     21 Les noms prédestinés des rois que tu chéris !
     22 Tu m’écoutes ; ma voix ne t’est point étrangère :
     23 Je suis la Piété, cette fille si chère,
     24 Qui t’offre de ce roi les plus tendres soupirs :
     25 Du feu de ton amour j’allume ses désirs.
     26 Du zèle qui pour toi l’enflamme et le dévore
     27 La chaleur se répand du couchant à l’aurore.
     28 Tu le vois tous les jours, devant toi prosterné,
     29 Humilier ce front de splendeur couronné ;
     30 Et, confondant l’orgueil par d’augustes exemples,
     31 Baiser avec respect le pavé de tes temples.
     32 De ta gloire animé, lui seul de tant de rois
     33 S’arme pour ta querelle, et combat pour tes droits.
     34 Le perfide intérêt, l’aveugle jalousie,
     35 S’unissent contre toi pour l’affreuse hérésie ;
     36 La discorde en fureur frémit de toutes parts ;
     37 Tout semble abandonner tes sacrés étendards ;
     38 Et l’enfer couvrant tout de ses vapeurs funèbres,
     39 Sur les yeux les plus saints a jeté ses ténèbres.
     40 Lui seul, invariable et fondé sur la foi,
     41 Ne cherche, ne regarde et n’écoute que toi ;
     42 Et bravant du démon l’impuissant artifice,
     43 De la religion soutient tout l’édifice.
     44 Grand Dieu, juge ta cause, et déploie aujourd’hui
     45 Ce bras, ce même bras qui combattait pour lui,
     46 Lorsque des nations à sa perte animées
     47 Le Rhin vit tant de fois disperser les armées.
     48 Des mêmes ennemis je reconnais l’orgueil ;
     49 Ils viennent se briser contre le même écueil :
     50 Déjà rompant partout leurs plus fermes barrières,
     51 Du débris de leurs forts ils couvrent ses frontières.
     52 Tu lui donnes un fils prompt à le seconder,
     53 Qui sait combattre, plaire, obéir, commander ;
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     55 Un fils qui, comme lui, suivi de la victoire,
     56 Semble à gagner son cœur borner toute sa gloire ;
     57 Un fils à tous ses vœux avec amour soumis,
     58 L’éternel désespoir de tous ses ennemis :
     59 Pareil à ces esprits que ta justice envoie,
     60 Quand son roi lui dit, Pars, il s’élance avec joie ;
     61 Du tonnerre vengeur s’en va tout embraser,
     62 Et, tranquille, à ses pieds revient le déposer.
     63 Mais, tandis qu’un grand roi venge ainsi mes injures,
     64 Vous qui goûtez ici des délices si pures,
     65 S’il permet à son cœur un moment de repos,
     66 À vos jeux innocents appelez ce héros ;
     67 Retracez-lui d’Esther l’histoire glorieuse,
     68 Et sur l’impiété la foi victorieuse.
     69 Et vous, qui vous plaisez aux folles passions
     70 Qu’allument dans vos cœurs les vaines fictions,
     71 Profanes amateurs de spectacles frivoles,
     72 Dont l’oreille s’ennuie au son de mes paroles,
     73 Fuyez de mes plaisirs la sainte austérité :
     74 Tout respire ici Dieu, la paix, la vérité.
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     89 Tatatatatata tatatata tatie
     90 Tatatatatata tatata tatatie
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     92 Est-ce toi, chère Élise ? ô jour trois fois heureux !
     93 Que béni soit le ciel qui te rend à mes vœux,
     94 Toi qui, de Benjamin comme moi descendue,
     95 Fus de mes premiers ans la compagne assidue,
     96 Et qui, d’un même joug souffrant l’oppression,
     97 M’aidais à soupirer les malheurs de Sion !
     98 Combien ce temps encore est cher à ma mémoire !
     99 Mais toi, de ton Esther ignorais-tu la gloire ?
    100 Depuis plus de six mois que je te fais chercher,
    101 Quel climat, quel désert a donc pu te cacher ?
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    105 Au bruit de votre mort justement éplorée,
    106 Du reste des humains je vivais séparée ;
    107 Et de mes tristes jours n’attendais que la fin,
    108 Quand tout à coup, madame, un prophète divin :
    109 « C’est pleurer trop longtemps une mort qui t’abuse :
    110 « Lève-toi, m’a-t-il dit, prends ton chemin vers Suse,
    111 « Là tu verras d’Esther la pompe et les honneurs,
    112 « Et sur le trône assis le sujet de tes pleurs.
    113 « Rassure, ajouta-t-il, tes tribus alarmées,
    114 « Sion : le jour approche où le Dieu des armées
    115 « Va de son bras puissant faire éclater l’appui ;
    116 « Et le cri de son peuple est monté jusqu’à lui. »
    117 Il dit : et moi, de joie et d’horreur pénétrée,
    118 Je cours. De ce palais j’ai su trouver l’entrée.
    119 Ô spectacle ! ô triomphe admirable à mes yeux,
    120 Digne en effet du bras qui sauva nos aïeux !
    121 Le fier Assuérus couronne sa captive,
    122 Et le Persan superbe est aux pieds d’une Juive !
    123 Par quels secrets ressorts, par quel enchaînement
    124 Le ciel a-t-il conduit ce grand événement ?
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    128 Peut-être on t’a conté la fameuse disgrâce
    129 De l’altière Vasthi, dont j’occupe la place,
    130 Lorsque le roi, contre elle enflammé de dépit,
    131 La chassa de son trône, ainsi que de son lit.
    132 Mais il ne put sitôt en bannir la pensée :
    133 Vasthi régna longtemps dans son âme offensée.
    134 Dans ses nombreux États il fallut donc chercher
    135 Quelque nouvel objet qui l’en pût détacher.
    136 De l’Inde à l’Hellespont ses esclaves coururent :
    137 Les filles de l’Égypte à Suse comparurent ;
    138 Celles même du Parthe et du Scythe indompté
    139 Y briguèrent le sceptre offert à la beauté.
    140 On m’élevait alors, solitaire et cachée,
    141 Sous les yeux vigilants du sage Mardochée :
    142 Tu sais combien je dois à ses heureux secours.
    143 La mort m’avait ravi les auteurs de mes jours ;
    144 Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
    145 Me tint lieu, chère Élise, et de père et de mère.
    146 Du triste état des Juifs jour et nuit agité,
    147 Il me tira du sein de mon obscurité ;
    148 Et sur mes faibles mains fondant leur délivrance,
    149 Il me fit d’un empire accepter l’espérance.
    150 À ses desseins secrets, tremblante, j’obéis :
    151 Je vins ; mais je cachai ma race et mon pays.
    152 Qui pourrait cependant t’exprimer les cabales
    153 Que formait en ces lieux ce peuple de rivales,
    154 Qui toutes, disputant un si grand intérêt,
    155 Des yeux d’Assuérus attendaient leur arrêt ?
    156 Chacune avait sa brigue et de puissants suffrages :
    157 L’une d’un sang fameux vantait les avantages ;
    158 L’autre, pour se parer de superbes atours,
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    160 Des plus adroites mains empruntait le secours ;
    161 Et moi, pour toute brigue et pour tout artifice,
    162 De mes larmes au ciel j’offrais le sacrifice.
    163 Enfin on m’annonça l’ordre d’Assuérus.
    164 Devant ce fier monarque, Élise, je parus.
    165 Dieu tient le cœur des rois entre ses mains puissantes ;
    166 Il fait que tout prospère aux âmes innocentes,
    167 Tandis qu’en ses projets l’orgueilleux est trompé.
    168 De mes faibles attraits le roi parut frappé :
    169 Il m’observa longtemps dans un sombre silence ;
    170 Et le ciel qui pour moi fit pencher la balance,
    171 Dans ce temps-là sans doute agissait sur son cœur.
    172 Enfin, avec des yeux où régnait la douceur :
    173 Soyez reine, dit-il ; et dès ce moment même,
    174 De sa main sur mon front posa son diadème.
    175 Pour mieux faire éclater sa joie et son amour,
    176 Il combla de présents tous les grands de sa cour ;
    177 Et même ses bienfaits, dans toutes ses provinces,
    178 Invitèrent le peuple aux noces de leurs princes.
    179 Hélas ! durant ces jours de joie et de festins,
    180 Quelle était en secret ma honte et mes chagrins !
    181 Esther, disais-je, Esther dans la pourpre est assise,
    182 La moitié de la terre à son sceptre est soumise,
    183 Et de Jérusalem l’herbe cache les murs !
    184 Sion, repaire affreux de reptiles impurs,
    185 Voit de son temple saint les pierres dispersées,
    186 Et du Dieu d’Israël les fêtes sont cessées !
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    190 N’avez-vous point au roi confié vos ennuis ?
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    194 Le roi, jusqu’à ce jour, ignore qui je suis :
    195 Celui par qui le ciel règle ma destinée
    196 Sur ce secret encor tient ma langue enchaînée.
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    200 Mardochée ? Eh ! peut-il approcher de ces lieux ?
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    204 Son amitié pour moi le rend ingénieux.
    205 Absent, je le consulte ; et ses réponses sages
    206 Pour venir jusqu’à moi trouvent mille passages :
    207 Un père a moins de soin du salut de son fils.
    208 Déjà même, déjà, par ses secrets avis,
    209 J’ai découvert au roi les sanglantes pratiques
    210 Que formaient contre lui deux ingrats domestiques.
    211 Cependant mon amour pour notre nation
    212 A rempli ce palais de filles de Sion,
    213 Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées,
    214 Sous un ciel étranger comme moi transplantées.
    215 Dans un lieu séparé de profanes témoins,
    216 Je mets à les former mon étude et mes soins ;
    217 Et c’est là que fuyant l’orgueil du diadème,
    218 Lasse de vains honneurs, et me cherchant moi-même,
    219 Aux pieds de l’Éternel je viens m’humilier,
    220 Et goûter le plaisir de me faire oublier.
    221 Mais à tous les Persans je cache leurs familles.
    222 Il faut les appeler. Venez, venez, mes filles,
    223 Compagnes autrefois de ma captivité,
    224 De l’antique Jacob jeune postérité.
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    233 Tatatatatata tatatata tatie
    234 Tatatatatata tatata tatatie
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    236 Ciel ! quel nombreux essaim d’innocentes beautés
    237 S’offre à mes yeux en foule, et sort de tous côtés !
    238 Quelle aimable pudeur sur leur visage est peinte !
    239 Prospérez, cher espoir d’une nation sainte.
    240 Puissent jusques au ciel vos soupirs innocents
    241 Monter comme l’odeur d’un agréable encens !
    242 Que Dieu jette sur vous des regards pacifiques !
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    246 Mes filles, chantez-nous quelqu’un de ces cantiques
    247 Où vos voix si souvent se mêlant à mes pleurs
    248 De la triste Sion célèbrent les malheurs.
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    253 Tatatatatata tatatata tatie
    254 Tatatatatata tatata tatatie
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    257 Quel profane en ce lieu s’ose avancer vers nous ?
    258 Que vois-je ? Mardochée ! Ô mon père, est-ce vous ?
    259 Un ange du Seigneur, sous son aile sacrée,
    260 A donc conduit vos pas, et caché votre entrée ?
    261 Mais d’où vient cet air sombre, et ce cilice affreux,
    262 Et cette cendre enfin qui couvre vos cheveux ?
    263 Que nous annoncez-vous ? Ô reine infortunée !
    264 Ô d’un peuple innocent barbare destinée !
    265 Lisez, lisez l’arrêt détestable, cruel…
    266 Nous sommes tous perdus ! et c’est fait d’Israël !
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    270 Juste ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace.
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    274 On doit de tous les Juifs exterminer la race.
    275 Au sanguinaire Aman nous sommes tous livrés ;
    276 Les glaives, les couteaux, sont déjà préparés ;
    277 Toute la nation à la fois est proscrite.
    278 Aman, l’impie Aman, race d’Amalécite,
    279 A, pour ce coup funeste, armé tout son crédit ;
    280 Et le roi, trop crédule, a signé cet édit.
    281 Prévenu contre nous par cette bouche impure,
    282 Il nous croit en horreur à toute la nature.
    283 Ses ordres sont donnés ; et, dans tous ses États,
    284 Le jour fatal est pris pour tant d’assassinats.
    285 Cieux, éclairerez-vous cet horrible carnage !
    286 Le fer ne connaîtra ni le sexe ni l’âge ;
    287 Tout doit servir de proie aux tigres, aux vautours ;
    288 Et ce jour effroyable arrive dans dix jours.
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    292 Ô Dieu, qui vois former des desseins si funestes,
    293 As-tu donc de Jacob abandonné les restes ?
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    297 Ciel, qui nous défendra, si tu ne nous défends ?
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    301 Laissez les pleurs, Esther, à ces jeunes enfants.
    302 En vous est tout l’espoir de vos malheureux frères :
    303 Il faut les secourir ; mais les heures sont chères :
    304 Le temps vole, et bientôt amènera le jour
    305 Où le nom des Hébreux doit périr sans retour.
    306 Toute pleine du feu de tant de saints prophètes,
    307 Allez, osez au roi déclarer qui vous êtes.
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    311 Hélas ! ignorez-vous quelles sévères lois
    312 Aux timides mortels cachent ici les rois ?
    313 Au fond de leur palais leur majesté terrible
    314 Affecte à leurs sujets de se rendre invisible ;
    315 Et la mort est le prix de tout audacieux
    316 Qui, sans être appelé, se présente à leurs yeux,
    317 Si le roi dans l’instant, pour sauver le coupable,
    318 Ne lui donne à baiser son sceptre redoutable.
    319 Rien ne met à l’abri de cet ordre fatal,
    320 Ni le rang, ni le sexe ; et le crime est égal.
    321 Moi-même, sur son trône, à ses côtés assise,
    322 Je suis à cette loi, comme une autre, soumise ;
    323 Et, sans le prévenir, il faut pour lui parler,
    324 Qu’il me cherche, ou du moins qu’il me fasse appeler.
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    328 Quoi ! lorsque vous voyez périr votre patrie,
    329 Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie !
    330 Dieu parle, et d’un mortel vous craignez le courroux !
    331 Que dis-je ? votre vie, Esther, est-elle à vous ?
    332 N’est-elle pas au sang dont vous êtes issue ?
    333 N’est-elle pas à Dieu dont vous l’avez reçue ?
    334 Et qui sait, lorsqu’au trône il conduisit vos pas,
    335 Si pour sauver son peuple il ne vous gardait pas ?
    336 Songez-y bien : ce Dieu ne vous a point choisie
    337 Pour être un vain spectacle aux peuples de l’Asie,
    338 Ni pour charmer les yeux des profanes humains :
    339 Pour un plus noble usage il réserve ses saints.
    340 S’immoler pour son nom et pour son héritage,
    341 D’un enfant d’Israël voilà le vrai partage :
    342 Trop heureuse pour lui de hasarder vos jours !
    343 Et quel besoin son bras a-t-il de nos secours ?
    344 Que peuvent contre lui tous les rois de la terre ?
    345 En vain ils s’uniraient pour lui faire la guerre :
    346 Pour dissiper leur ligue il n’a qu’à se montrer ;
    347 Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer.
    348 Au seul son de sa voix la mer fuit, le ciel tremble ;
    349 Il voit comme un néant tout l’univers ensemble ;
    350 Et les faibles mortels, vains jouets du trépas,
    351 Sont tous devant ses yeux comme s’ils n’étaient pas.
    352 S’il a permis d’Aman l’audace criminelle,
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    354 Sans doute qu’il voulait éprouver votre zèle.
    355 C’est lui qui, m’excitant à vous oser chercher,
    356 Devant moi, chère Esther, a bien voulu marcher ;
    357 Et s’il faut que sa voix frappe en vain vos oreilles,
    358 Nous n’en verrons pas moins éclater ses merveilles.
    359 Il peut confondre Aman, il peut briser nos fers
    360 Par la plus faible main qui soit dans l’univers ;
    361 Et vous, qui n’aurez point accepté cette grâce,
    362 Vous périrez peut-être, et toute votre race.
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    366 Allez : que tous les Juifs dans Suse répandus,
    367 À prier avec vous jour et nuit assidus,
    368 Me prêtent de leurs vœux le secours salutaire,
    369 Et pendant ces trois jours gardent un jeûne austère.
    370 Déjà la sombre nuit a commencé son tour :
    371 Demain, quand le soleil rallumera le jour,
    372 Contente de périr, s’il faut que je périsse,
    373 J’irai pour mon pays m’offrir en sacrifice.
    374 Qu’on s’éloigne un moment. Ô mon souverain roi,
    375 Me voici donc tremblante et seule devant toi !
    376 Mon père mille fois m’a dit dans mon enfance
    377 Qu’avec nous tu juras une sainte alliance,
    378 Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux,
    379 Il plut à ton amour de choisir nos aïeux :
    380 Même tu leur promis de ta bouche sacrée
    381 Une postérité d’éternelle durée.
    382 Hélas ! ce peuple ingrat a méprisé ta loi ;
    383 La nation chérie a violé sa foi ;
    384 Elle a répudié son époux et son père,
    385 Pour rendre à d’autres dieux un honneur adultère :
    386 Maintenant elle sert sous un maître étranger.
    387 Mais c’est peu d’être esclave, on la veut égorger :
    388 Nos superbes vainqueurs, insultant à nos larmes,
    389 Imputent à leurs dieux le bonheur de leurs armes,
    390 Et veulent aujourd’hui qu’un même coup mortel
    391 Abolisse ton nom, ton peuple et ton autel.
    392 Ainsi donc un perfide, après tant de miracles,
    393 Pourrait anéantir la foi de tes oracles,
    394 Ravirait aux mortels le plus cher de tes dons,
    395 Le saint que tu promets et que nous attendons ?
    396 Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches,
    397 Ivres de notre sang, ferment les seules bouches
    398 Qui dans tout l’univers célèbrent tes bienfaits ;
    399 Et confonds tous ces dieux qui ne furent jamais.
    400 Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles,
    401 Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles,
    402 Et que je mets au rang des profanations
    403 Leur table, leurs festins, et leurs libations ;
    404 Que même cette pompe où je suis condamnée,
    405 Ce bandeau dont il faut que je paraisse ornée
    406 Dans ces jours solennels à l’orgueil dédiés,
    407 Seule et dans le secret, je le foule à mes pieds ;
    408 Qu’à ces vains ornements je préfère la cendre,
    409 Et n’ai de goût qu’aux pleurs que tu me vois répandre.
    410 J’attendais le moment marqué dans ton arrêt,
    411 Pour oser de ton peuple embrasser l’intérêt.
    412 Ce moment est venu : ma prompte obéissance
    413 Va d’un roi redoutable affronter la présence.
    414 C’est pour toi que je marche : accompagne mes pas
    415 Devant ce fier lion qui ne te connaît pas ;
    416 Commande en me voyant que son courroux s’apaise,
    417 Et prête à mes discours un charme qui lui plaise :
    418 Les orages, les vents, les cieux te sont soumis :
    419 Tourne enfin sa fureur contre nos ennemis.
    420 
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    422 Eh quoi ! lorsque le jour ne commence qu’à luire,
    423 Dans ce lieu redoutable oses-tu m’introduire ?
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    427 Vous savez qu’on s’en peut reposer sur ma foi ;
    428 Que ces portes, seigneur, n’obéissent qu’à moi :
    429 Venez. Partout ailleurs on pourrait nous entendre.
    430 
    431 
    432 
    433 Quel est donc le secret que tu me veux apprendre ?
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    436 
    437 Seigneur, de vos bienfaits mille fois honoré,
    438 Je me souviens toujours que je vous ai juré
    439 D’exposer à vos yeux, par des avis sincères,
    440 Tout ce que ce palais renferme de mystères.
    441 Le roi d’un noir chagrin paraît enveloppé :
    442 Quelque songe effrayant cette nuit l’a frappé.
    443 Pendant que tout gardait un silence paisible,
    444 Sa voix s’est fait entendre avec un cri terrible.
    445 J’ai couru. Le désordre était dans ses discours :
    446 Il s’est plaint d’un péril qui menaçait ses jours ;
    447 Il parlait d’ennemi, de ravisseur farouche ;
    448 Même le nom d’Esther est sorti de sa bouche.
    449 Il a dans ces horreurs passé toute la nuit.
    450 Enfin, las d’appeler un sommeil qui le fuit,
    451 
    452 Pour écarter de lui ces images funèbres,
    453 Il s’est fait apporter ces annales célèbres
    454 Où les faits de son règne, avec soin amassés,
    455 Par de fidèles mains chaque jour sont tracés ;
    456 On y conserve écrits le service et l’offense,
    457 Monuments éternels d’amour et de vengeance.
    458 Le roi, que j’ai laissé plus calme dans son lit,
    459 D’une oreille attentive écoute ce récit.
    460 
    461 
    462 
    463 De quel temps de sa vie a-t-il choisi l’histoire ?
    464 
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    466 
    467 Il revoit tous ces temps si remplis de sa gloire,
    468 Depuis le fameux jour qu’au trône de Cyrus
    469 Le choix du sort plaça l’heureux Assuérus.
    470 
    471 
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    473 Ce songe, Hydaspe, est donc sorti de son idée ?
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    477 Entre tous les devins fameux dans la Chaldée,
    478 Il a fait assembler ceux qui savent le mieux
    479 Lire en un songe obscur les volontés des cieux…
    480 Mais quel trouble vous-même aujourd’hui vous agite ?
    481 Votre âme, en m’écoutant, paraît tout interdite :
    482 L’heureux Aman a-t-il quelques secrets ennuis ?
    483 
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    486 Peux-tu le demander dans la place où je suis ?
    487 Haï, craint, envié, souvent plus misérable
    488 Que tous les malheureux que mon pouvoir accable !
    489 
    490 
    491 
    492 Eh ! qui jamais du ciel eut des regards plus doux ?
    493 Vous voyez l’univers prosterné devant vous.
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    497 L’univers ! Tous les jours un homme… un vil esclave,
    498 D’un front audacieux me dédaigne et me brave.
    499 
    500 
    501 
    502 Quel est cet ennemi de l’État et du roi ?
    503 
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    506 Le nom de Mardochée est-il connu de toi ?
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    509 
    510 Qui ? ce chef d’une race abominable, impie ?
    511 
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    513 
    514 Oui, lui-même. Eh, seigneur ! d’une si belle vie
    515 Un si faible ennemi peut-il troubler la paix ?
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    519 L’insolent devant moi ne se courba jamais.
    520 En vain de la faveur du plus grand des monarques
    521 Tout révère à genoux les glorieuses marques ;
    522 Lorsque d’un respect saint tous les Persans touchés
    523 N’osent lever leurs fronts à la terre attachés,
    524 Lui, fièrement assis, et la tête immobile,
    525 Traite tous ces honneurs d’impiété servile,
    526 Présente à mes regards un front séditieux,
    527 Et ne daignerait pas au moins baisser les yeux !
    528 Du palais cependant il assiége la porte :
    529 À quelque heure que j’entre, Hydaspe, ou que je sorte,
    530 Son visage odieux m’afflige et me poursuit ;
    531 Et mon esprit troublé le voit encor la nuit.
    532 Ce matin j’ai voulu devancer la lumière :
    533 Je l’ai trouvé couvert d’une affreuse poussière,
    534 Revêtu de lambeaux, tout pâle ; mais son œil
    535 Conservait sous la cendre encor le même orgueil.
    536 D’où lui vient, cher ami, cette impudente audace ?
    537 Toi qui dans ce palais vois tout ce qui se passe,
    538 Crois-tu que quelque voix ose parler pour lui ?
    539 Sur quel roseau fragile a-t-il mis son appui ?
    540 
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    542 
    543 Seigneur, vous le savez, son avis salutaire
    544 Découvrit de Tharès le complot sanguinaire.
    545 Le roi promit alors de le récompenser :
    546 Le roi, depuis ce temps, paraît n’y plus penser.
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    549 
    550 Non, il faut à tes yeux dépouiller l’artifice.
    551 J’ai su de mon destin corriger l’injustice :
    552 Dans les mains des Persans jeune enfant apporté,
    553 Je gouverne l’empire où je fus acheté ;
    554 Mes richesses des rois égalent l’opulence ;
    555 Environné d’enfants soutiens de ma puissance,
    556 Il ne manque à mon front que le bandeau royal.
    557 Cependant (des mortels aveuglement fatal !)
    558 De cet amas d’honneurs la douceur passagère
    559 Fait sur mon cœur à peine une atteinte légère ;
    560 Mais Mardochée, assis aux portes du palais,
    561 Dans ce cœur malheureux enfonce mille traits ;
    562 Et toute ma grandeur me devient insipide,
    563 Tandis que le soleil éclaire ce perfide.
    564 
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    567 Vous serez de sa vue affranchi dans dix jours :
    568 La nation entière est promise aux vautours.
    569 
    570 
    571 
    572 Ah ! que ce temps est long à mon impatience !
    573 C’est lui, je te veux bien confier ma vengeance,
    574 C’est lui qui, devant moi refusant de ployer,
    575 Les a livrés au bras qui les va foudroyer.
    576 C’était trop peu pour moi d’une telle victime :
    577 La vengeance trop faible attire un second crime.
    578 Un homme tel qu’Aman, lorsqu’on l’ose irriter,
    579 Dans sa juste fureur ne peut trop éclater.
    580 
    581 Il faut des châtiments dont l’univers frémisse ;
    582 Qu’on tremble en comparant l’offense et le supplice ;
    583 Que les peuples entiers dans le sang soient noyés.
    584 Je veux qu’on dise un jour aux siècles effrayés :
    585 « Il fut des Juifs, il fut une insolente race ;
    586 « Répandus sur la terre, ils en couvraient la face ;
    587 « Un seul osa d’Aman attirer le courroux,
    588 « Aussitôt de la terre ils disparurent tous. »
    589 
    590 
    591 
    592 Ce n’est donc pas, seigneur, le sang amalécite
    593 Dont la voix à les perdre en secret vous excite ?
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    597 Je sais que descendu de ce sang malheureux,
    598 Une éternelle haine a dû m’armer contre eux ;
    599 Qu’ils firent d’Amalec un indigne carnage ;
    600 Que, jusqu’aux vils troupeaux, tout éprouva leur rage ;
    601 Qu’un déplorable reste à peine fut sauvé ;
    602 Mais, crois-moi, dans le rang où je suis élevé,
    603 Mon âme, à ma grandeur tout entière attachée,
    604 Des intérêts du sang est faiblement touchée.
    605 Mardochée est coupable ; et que faut-il de plus ?
    606 Je prévins donc contre eux l’esprit d’Assuérus,
    607 J’inventai des couleurs, j’armai la calomnie,
    608 J’intéressai sa gloire : il trembla pour sa vie.
    609 Je les peignis puissants, riches, séditieux ;
    610 Leur Dieu même ennemi de tous les autres dieux.
    611 « Jusqu’à quand souffre-t-on que ce peuple respire,
    612 « Et d’un culte profane infecte votre empire ?
    613 « Étrangers dans la Perse, à nos lois opposés,
    614 « Du reste des humains ils semblent divisés,
    615 « N’aspirent qu’à troubler le repos où nous sommes,
    616 « Et, détestés partout, détestent tous les hommes.
    617 « Prévenez, punissez leurs insolents efforts :
    618 « De leur dépouille enfin grossissez vos trésors. »
    619 Je dis, et l’on me crut. Le roi, dès l’heure même,
    620 Mit dans ma main le sceau de son pouvoir suprême :
    621 « Assure, me dit-il, le repos de ton roi,
    622 « Va, perds ces malheureux : leur dépouille est à toi. »
    623 Toute la nation fut ainsi condamnée.
    624 Du carnage avec lui je réglai la journée.
    625 Mais de ce traître enfin le trépas différé
    626 Fait trop souffrir mon cœur de son sang altéré.
    627 Un je ne sais quel trouble empoisonne ma joie.
    628 Pourquoi dix jours encor faut-il que je le voie ?
    629 
    630 
    631 
    632 Et ne pouvez-vous pas d’un mot l’exterminer ?
    633 Dites au roi, seigneur, de vous l’abandonner.
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    637 Je viens pour épier le moment favorable.
    638 Tu connais, comme moi, ce prince inexorable :
    639 Tu sais combien terrible en ses soudains transports,
    640 De nos desseins souvent il rompt tous les ressorts.
    641 Mais à me tourmenter ma crainte est trop subtile :
    642 Mardochée à ses yeux est une âme trop vile.
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    646 Que tardez-vous ? Allez, et faites promptement
    647 Élever de sa mort le honteux instrument.
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    651 J’entends du bruit ; je sors. Toi, si le roi m’appelle…
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    655 Il suffit. Ainsi donc, sans cet avis fidèle,
    656 Deux traîtres dans son lit assassinaient leur roi ?
    657 Qu’on me laisse, et qu’Asaph seul demeure avec moi.
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    665 Je veux bien l’avouer : de ce couple perfide
    666 J’avais presque oublié l’attentat parricide ;
    667 Et j’ai pâli deux fois au terrible récit
    668 Qui vient d’en retracer l’image à mon esprit.
    669 Je vois de quel succès leur fureur fut suivie.
    670 Et que dans les tourments ils laissèrent la vie ;
    671 Mais ce sujet zélé, qui d’un œil si subtil,
    672 Sut de leur noir complot développer le fil,
    673 Qui me montra sur moi leur main déjà levée,
    674 Enfin par qui la Perse avec moi fut sauvée,
    675 Quel honneur pour sa foi, quel prix a-t-il reçu ?
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    679 On lui promit beaucoup : c’est tout ce que j’ai su.
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    681 
    682 
    683 Ô d’un si grand service oubli trop condamnable !
    684 Des embarras du trône effet inévitable !
    685 De soins tumultueux un prince environné
    686 Vers de nouveaux objets est sans cesse entraîné ;
    687 L’avenir l’inquiète, et le présent le frappe :
    688 Mais, plus prompt que l’éclair, le passé nous échappe ;
    689 Et de tant de mortels, à toute heure empressés
    690 À nous faire valoir leurs soins intéressés,
    691 Il ne s’en trouve point qui, touchés d’un vrai zèle,
    692 Prennent à notre gloire un intérêt fidèle,
    693 Du mérite oublié nous fassent souvenir,
    694 Trop prompts à nous parler de ce qu’il faut punir.
    695 Ah ! que plutôt l’injure échappe à ma vengeance,
    696 Qu’un si rare bienfait à ma reconnaissance !
    697 Et qui voudrait jamais s’exposer pour son roi ?
    698 Ce mortel qui montra tant de zèle pour moi
    699 Vit-il encore ? Il voit l’astre qui vous éclaire.
    700 
    701 
    702 
    703 Et que n’a-t-il plus tôt demandé son salaire ?
    704 Quel pays reculé le cache à mes bienfaits ?
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    708 Assis le plus souvent aux portes du palais,
    709 Sans se plaindre de vous ni de sa destinée,
    710 Il y traîne, seigneur, sa vie infortunée.
    711 
    712 
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    714 Et je dois d’autant moins oublier la vertu,
    715 Qu’elle-même s’oublie. Il se nomme, dis-tu ?
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    719 Mardochée est le nom que je viens de vous lire.
    720 
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    723 Et son pays ? Seigneur, puisqu’il faut vous le dire,
    724 C’est un de ces captifs à périr destinés,
    725 Des rives du Jourdain sur l’Euphrate amenés.
    726 
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    729 Il est donc Juif ! Ô ciel, sur le point que la vie
    730 Par mes propres sujets m’allait être ravie,
    731 Un Juif rend par ses soins leurs efforts impuissants !
    732 Un Juif m’a préservé du glaive des Persans !
    733 Mais, puisqu’il m’a sauvé, quel qu’il soit il n’importe.
    734 Holà, quelqu’un ! Seigneur ? Regarde à cette porte,
    735 Vois s’il s’offre à tes yeux quelque grand de ma cour.
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    738 
    739 Aman à votre porte a devancé le jour.
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    743 Qu’il entre. Ses avis m’éclaireront peut-être.
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    750 
    751 Approche, heureux appui du trône de ton maître,
    752 Âme de mes conseils, et qui seul tant de fois
    753 Du sceptre dans ma main as soulagé le poids.
    754 Un reproche secret embarrasse mon âme.
    755 Je sais combien est pur le zèle qui t’enflamme :
    756 Le mensonge jamais n’entra dans tes discours,
    757 Et mon intérêt seul est le but où tu cours.
    758 Dis-moi donc : que doit faire un prince magnanime
    759 Qui veut combler d’honneur un sujet qu’il estime ?
    760 Par quel gage éclatant, et digne d’un grand roi,
    761 Puis-je récompenser le mérite et la foi ?
    762 Ne donne point de borne à ma reconnaissance :
    763 Mesure tes conseils sur ma vaste puissance.
    764 
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    767 C’est pour toi-même, Aman, que tu vas prononcer ;
    768 Et quel autre que toi peut-on récompenser ?
    769 
    770 
    771 
    772 Que penses-tu ? Seigneur, je cherche, j’envisage
    773 Des monarques persans la conduite et l’usage ;
    774 Mais à mes yeux en vain je les rappelle tous ;
    775 Pour vous régler sur eux, que sont-ils près de vous ?
    776 Votre règne aux neveux doit servir de modèle.
    777 Vous voulez d’un sujet reconnaître le zèle ;
    778 L’honneur seul peut flatter un esprit généreux :
    779 Je voudrais donc, seigneur, que ce mortel heureux,
    780 De la pourpre aujourd’hui paré comme vous-même,
    781 Et portant sur le front le sacré diadème,
    782 Sur un de vos coursiers pompeusement orné,
    783 Aux yeux de vos sujets dans Suse fût mené ;
    784 Que, pour comble de gloire et de magnificence,
    785 Un seigneur éminent en richesse, en puissance,
    786 Enfin de votre empire après vous le premier,
    787 Par la bride guidât son superbe coursier ;
    788 Et lui-même marchant en habits magnifiques
    789 Criât à haute voix dans les places publiques :
    790 « Mortels, prosternez-vous ; c’est ainsi que le roi
    791 « Honore le mérite, et couronne la foi. »
    792 
    793 
    794 
    795 Je vois que la sagesse elle-même t’inspire.
    796 Avec mes volontés ton sentiment conspire.
    797 Va, ne perds point de temps, ce que tu m’as dicté
    798 Je veux de point en point qu’il soit exécuté.
    799 La vertu dans l’oubli ne sera plus cachée.
    800 Aux portes du palais prends le Juif Mardochée.
    801 C’est lui que je prétends honorer aujourd’hui ;
    802 Ordonne son triomphe, et marche devant lui ;
    803 Que Suse par ta voix de son nom retentisse,
    804 Et fais à son aspect que tout genou fléchisse.
    805 Sortez tous. Dieux ! Le prix est sans doute inouï ;
    806 Jamais d’un tel honneur un sujet n’a joui ;
    807 Mais plus la récompense est grande et glorieuse
    808 Plus même de ce Juif la race est odieuse,
    809 
    810 Plus j’assure ma vie, et montre avec éclat
    811 Combien Assuérus redoute d’être ingrat.
    812 On verra l’innocent discerné du coupable ;
    813 Je n’en perdrai pas moins ce peuple abominable :
    814 Leurs crimes… Sans mon ordre on porte ici ses pas !
    815 Quel mortel insolent vient chercher le trépas ?
    816 Gardes… C’est vous, Esther ? quoi ! sans être attendue ?
    817 
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    819 
    820 Mes filles, soutenez votre reine éperdue ;
    821 Je me meurs. Dieux puissants ! quelle étrange pâleur
    822 De son teint tout à coup efface la couleur !
    823 Esther, que craignez-vous ? suis-je pas votre frère ?
    824 Est-ce pour vous qu’est fait un ordre si sévère ?
    825 Vivez : le sceptre d’or que vous tend cette main,
    826 Pour vous de ma clémence est un gage certain.
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    830 Quelle voix salutaire ordonne que je vive,
    831 Et rappelle en mon sein mon âme fugitive ?
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    835 Ne connaissez-vous pas la voix de votre époux ?
    836 Encore un coup, vivez, et revenez à vous.
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    838 
    839 
    840 Seigneur, je n’ai jamais contemplé qu’avec crainte
    841 L’auguste majesté sur votre front empreinte ;
    842 Jugez combien ce front irrité contre moi
    843 Dans mon âme troublée a dû jeter d’effroi ;
    844 Sur ce trône sacré qu’environne la foudre
    845 J’ai cru vous voir tout prêt à me réduire en poudre.
    846 Hélas ! sans frissonner, quel cœur audacieux
    847 Soutiendrait les éclairs qui partaient de vos yeux ?
    848 Ainsi du Dieu vivant la colère étincelle…
    849 
    850 
    851 
    852 Ô soleil ! ô flambeau de lumière immortelle !
    853 Je me trouble moi-même ; et sans frémissement
    854 Je ne puis voir sa peine et son saisissement.
    855 Calmez, reine, calmez la frayeur qui vous presse.
    856 Du cœur d’Assuérus souveraine maîtresse,
    857 Éprouvez seulement son ardente amitié.
    858 Faut-il de mes États vous donner la moitié ?
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    860 
    861 
    862 Eh ! se peut-il qu’un roi craint de la terre entière,
    863 Devant qui tout fléchit et baise la poussière,
    864 Jette sur son esclave un regard si serein,
    865 Et m’offre sur son cœur un pouvoir souverain ?
    866 
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    869 Croyez-moi, chère Esther, ce sceptre, cet empire,
    870 Et ces profonds respects que la terreur inspire,
    871 À leur pompeux éclat mêlent peu de douceur,
    872 Et fatiguent souvent leur triste possesseur.
    873 Je ne trouve qu’en vous je ne sais quelle grâce
    874 Qui me charme toujours et jamais ne me lasse.
    875 De l’aimable vertu doux et puissants attraits !
    876 Tout respire en Esther l’innocence et la paix.
    877 Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres,
    878 Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres ;
    879 Que dis-je ? sur ce trône assis auprès de vous,
    880 Des astres ennemis j’en crains moins le courroux,
    881 Et crois que votre front prête à mon diadème
    882 Un éclat qui le rend respectable aux dieux même.
    883 Osez donc me répondre, et ne me cachez pas
    884 Quel sujet important conduit ici vos pas.
    885 Quel intérêt, quels soins vous agitent, vous pressent ?
    886 Je vois qu’en m’écoutant vos yeux au ciel s’adressent.
    887 Parlez : de vos désirs le succès est certain,
    888 Si ce succès dépend d’une mortelle main.
    889 
    890 
    891 
    892 Ô bonté qui m’assure autant qu’elle m’honore !
    893 Un intérêt pressant veut que je vous implore.
    894 J’attends ou mon malheur ou ma félicité ;
    895 Et tout dépend, seigneur, de votre volonté.
    896 Un mot de votre bouche, en terminant mes peines,
    897 Peut rendre Esther heureuse entre toutes les reines.
    898 
    899 
    900 
    901 Ah ! que vous enflammez mon désir curieux !
    902 
    903 
    904 
    905 Seigneur, si j’ai trouvé grâce devant vos yeux,
    906 Si jamais à mes vœux vous fûtes favorable,
    907 Permettez, avant tout, qu’Esther puisse à sa table
    908 Recevoir aujourd’hui son souverain seigneur,
    909 Et qu’Aman soit admis à cet excès d’honneur.
    910 J’oserai devant lui rompre ce grand silence ;
    911 Et j’ai pour m’expliquer besoin de sa présence.
    912 
    913 
    914 
    915 Dans quelle inquiétude, Esther, vous me jetez !
    916 Toutefois qu’il soit fait comme vous souhaitez.
    917 Vous, que l’on cherche Aman, et qu’on lui fasse entendre
    918 
    919 Qu’invité chez la reine, il ait soin de s’y rendre.
    920 
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    927 Les savants chaldéens, par votre ordre appelés,
    928 Dans cet appartement, seigneur, sont assemblés.
    929 
    930 
    931 
    932 Princesse, un songe étrange occupe ma pensée :
    933 Vous-même en leur réponse êtes intéressée.
    934 Venez, derrière un voile écoutant leurs discours,
    935 De vos propres clartés me prêter le secours.
    936 Je crains pour vous, pour moi, quelque ennemi perfide.
    937 
    938 
    939 
    940 Suis-moi, Thamar. Et vous, troupe jeune et timide,
    941 Sans craindre ici les yeux d’une profane cour,
    942 À l’abri de ce trône attendez mon retour.
    943 
    944 
    945 Tatatatatata tatatata tatie
    946 Tatatatatata tatata tatatie
    947 
    948 C’est donc ici d’Esther le superbe jardin ;
    949 Et ce salon pompeux est le lieu du festin ?
    950 Mais tandis que la porte en est encor fermée,
    951 Écoutez les conseils d’une épouse alarmée.
    952 Au nom du sacré nœud qui me lie avec vous,
    953 Dissimulez, seigneur, cet aveugle courroux ;
    954 Éclaircissez ce front où la tristesse est peinte :
    955 Les rois craignent surtout le reproche et la plainte.
    956 Seul entre tous les grands par la reine invité,
    957 Ressentez donc aussi cette félicité.
    958 Si le mal vous aigrit, que le bienfait vous touche.
    959 Je l’ai cent fois appris de votre propre bouche :
    960 Quiconque ne sait pas dévorer un affront,
    961 Ni de fausses couleurs se déguiser le front,
    962 Loin de l’aspect des rois qu’il s’écarte, qu’il fuie.
    963 Il est des contre-temps qu’il faut qu’un sage essuie :
    964 Souvent avec prudence un outrage enduré
    965 Aux honneurs les plus hauts a servi de degré.
    966 
    967 
    968 
    969 Ô douleur, ô supplice affreux à la pensée !
    970 Ô honte, qui jamais ne peut être effacée !
    971 Un exécrable Juif, l’opprobre des humains,
    972 S’est donc vu de la pourpre habillé par mes mains !
    973 C’est peu qu’il ait sur moi remporté la victoire ;
    974 Malheureux, j’ai servi de héraut à sa gloire !
    975 Le traître, il insultait à ma confusion ;
    976 Et tout le peuple même, avec dérision
    977 Observant la rougeur qui couvrait mon visage,
    978 De ma chute certaine en tirait le présage.
    979 Roi cruel, ce sont là les jeux où tu te plais !
    980 Tu ne m’as prodigué tes perfides bienfaits
    981 Que pour me faire mieux sentir ta tyrannie
    982 Et m’accabler enfin de plus d’ignominie.
    983 
    984 
    985 
    986 Pourquoi juger si mal de son intention ?
    987 Il croit récompenser une bonne action.
    988 Ne faut-il pas, seigneur, s’étonner au contraire
    989 Qu’il en ait si longtemps différé le salaire ?
    990 Du reste, il n’a rien fait que par votre conseil.
    991 Vous-même avez dicté tout ce triste appareil :
    992 Vous êtes après lui le premier de l’empire.
    993 Sait-il toute l’horreur que ce Juif vous inspire ?
    994 
    995 
    996 
    997 Il sait qu’il me doit tout, et que pour sa grandeur
    998 J’ai foulé sous les pieds remords, crainte, pudeur ;
    999 Qu’avec un cœur d’airain exerçant sa puissance
   1000 J’ai fait taire les lois, et gémir l’innocence ;
   1001 Que pour lui, des Persans bravant l’aversion,
   1002 J’ai chéri, j’ai cherché la malédiction :
   1003 Et pour prix de ma vie à leur haine exposée,
   1004 Le barbare aujourd’hui m’expose à leur risée !
   1005 
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   1007 
   1008 Seigneur, nous sommes seuls. Que sert de se flatter ?
   1009 Ce zèle que pour lui vous fîtes éclater,
   1010 Ce soin d’immoler tout à son pouvoir suprême,
   1011 Entre nous, avaient-ils d’autre objet que vous-même ?
   1012 Et sans chercher plus loin, tous ces Juifs désolés,
   1013 N’est-ce pas à vous seul que vous les immolez ?
   1014 Et ne craignez-vous point que quelque avis funeste…
   1015 Enfin la cour nous hait, le peuple nous déteste.
   1016 Ce Juif même, il le faut confesser malgré moi,
   1017 Ce Juif, comblé d’honneurs, me cause quelque effroi.
   1018 Les malheurs sont souvent enchaînés l’un à l’autre,
   1019 Et sa race toujours fut fatale à la vôtre.
   1020 De ce léger affront songez à profiter.
   1021 Peut-être la fortune est prête à vous quitter ;
   1022 Aux plus affreux excès son inconstance passe :
   1023 Prévenez son caprice avant qu’elle se lasse.
   1024 Où tendez-vous plus haut ? Je frémis quand je voi
   1025 Les abîmes profonds qui s’offrent devant moi :
   1026 La chute désormais ne peut être qu’horrible.
   1027 Osez chercher ailleurs un destin plus paisible :
   1028 Regagnez l’Hellespont et ces bords écartés
   1029 Où vos aïeux errants jadis furent jetés,
   1030 Lorsque des Juifs contre eux la vengeance allumée
   1031 Chassa tout Amalec de la triste Idumée.
   1032 Aux malices du sort enfin dérobez-vous.
   1033 Nos plus riches trésors marcheront devant nous :
   1034 Vous pouvez du départ me laisser la conduite ;
   1035 Surtout de vos enfants j’assurerai la fuite.
   1036 N’ayez soin cependant que de dissimuler.
   1037 Contente, sur vos pas vous me verrez voler :
   1038 La mer la plus terrible et la plus orageuse
   1039 Est plus sûre pour nous que cette cour trompeuse.
   1040 Mais à grands pas vers vous je vois quelqu’un marcher.
   1041 C’est Hydaspe. Seigneur, je courais vous chercher.
   1042 Votre absence en ces lieux suspend toute la joie ;
   1043 Et pour vous y conduire Assuérus m’envoie.
   1044 
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   1047 Et Mardochée est-il aussi de ce festin ?
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   1051 À la table d’Esther portez-vous ce chagrin ?
   1052 Quoi ! toujours de ce Juif l’image vous désole !
   1053 Laissez-le s’applaudir d’un triomphe frivole.
   1054 Croit-il d’Assuérus éviter la rigueur ?
   1055 Ne possédez-vous pas son oreille et son cœur ?
   1056 On a payé le zèle, on punira le crime ;
   1057 Et l’on vous a, seigneur, orné votre victime.
   1058 Je me trompe, ou vos vœux par Esther secondés
   1059 Obtiendront plus encor que vous ne demandez.
   1060 
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   1063 Croirai-je le bonheur que ta bouche m’annonce ?
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   1067 J’ai des savants devins entendu la réponse :
   1068 Ils disent que la main d’un perfide étranger
   1069 Dans le sang de la reine est prête à se plonger.
   1070 Et le roi, qui ne sait où trouver le coupable,
   1071 N’impute qu’aux seuls Juifs ce projet détestable.
   1072 
   1073 
   1074 
   1075 Oui, ce sont, cher ami, des monstres furieux :
   1076 Il faut craindre surtout leur chef audacieux.
   1077 La terre avec horreur dès longtemps les endure ;
   1078 Et l’on n’en peut trop tôt délivrer la nature.
   1079 Ah ! je respire enfin. Chère Zarès, adieu.
   1080 
   1081 
   1082 
   1083 Les compagnes d’Esther s’avancent vers ce lieu :
   1084 Sans doute leur concert va commencer la fête.
   1085 Entrez, et recevez l’honneur qu’on vous apprête.
   1086 
   1087 
   1088 Tatatatatata tatatata tata
   1089 Tatatatatata tatata tatata
   1090 
   1091 Oui, vos moindres discours ont des grâces secrètes :
   1092 Une noble pudeur à tout ce que vous faites
   1093 Donne un prix que n’ont point ni la pourpre ni l’or.
   1094 Quel climat renfermait un si rare trésor ?
   1095 Dans quel sein vertueux avez-vous pris naissance,
   1096 Et quelle main si sage éleva votre enfance ?
   1097 Mais dites promptement ce que vous demandez :
   1098 Tous vos désirs, Esther, vous seront accordés ;
   1099 Dussiez-vous, je l’ai dit, et veux bien le redire,
   1100 Demander la moitié de ce puissant empire.
   1101 
   1102 
   1103 
   1104 Je ne m’égare point dans ces vastes désirs.
   1105 Mais puisqu’il faut enfin expliquer mes soupirs,
   1106 Puisque mon roi lui-même à parler me convie,
   1107 J’ose vous implorer, et pour ma propre vie,
   1108 
   1109 Et pour les tristes jours d’un peuple infortuné
   1110 Qu’à périr avec moi vous avez condamné.
   1111 
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   1113 
   1114 À périr ! vous ! Quel peuple ? Et quel est ce mystère ?
   1115 
   1116 
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   1118 Je tremble. Esther, seigneur, eut un Juif pour son père :
   1119 De vos ordres sanglants vous savez la rigueur.
   1120 
   1121 
   1122 
   1123 Ah dieux ! Ah ! de quel coup me percez-vous le cœur !
   1124 Vous la fille d’un Juif ! Eh quoi ! tout ce que j’aime,
   1125 Cette Esther, l’innocence et la sagesse même,
   1126 Que je croyais du ciel les plus chères amours,
   1127 Dans cette source impure aurait puisé ses jours !
   1128 Malheureux ! Vous pourrez rejeter ma prière :
   1129 Mais je demande au moins que, pour grâce dernière,
   1130 Jusqu’à la fin, seigneur, vous m’entendiez parler,
   1131 Et que surtout Aman n’ose point me troubler.
   1132 
   1133 
   1134 Parlez. Ô Dieu, confonds l’audace et l’imposture !
   1135 Ces Juifs, dont vous voulez délivrer la nature,
   1136 Que vous croyez, seigneur, le rebut des humains,
   1137 D’une riche contrée autrefois souverains,
   1138 Pendant qu’ils n’adoraient que le Dieu de leurs pères,
   1139 Ont vu bénir le cours de leurs destins prospères.
   1140 Ce Dieu, maître absolu de la terre et des cieux,
   1141 N’est point tel que l’erreur le figure à vos yeux :
   1142 L’Éternel est son nom ; le monde est son ouvrage ;
   1143 Il entend les soupirs de l’humble qu’on outrage,
   1144 Juge tous les mortels avec d’égales lois,
   1145 Et du haut de son trône interroge les rois :
   1146 Des plus fermes États la chute épouvantable,
   1147 Quand il veut, n’est qu’un jeu de sa main redoutable.
   1148 Les Juifs à d’autres dieux osèrent s’adresser :
   1149 Roi, peuples, en un jour tout se vit disperser :
   1150 Sous les Assyriens leur triste servitude
   1151 Devint le juste prix de leur ingratitude.
   1152 Mais, pour punir enfin nos maîtres à leur tour,
   1153 Dieu fit choix de Cyrus avant qu’il vît le jour,
   1154 L’appela par son nom, le promit à la terre,
   1155 Le fit naître, et soudain l’arma de son tonnerre,
   1156 Brisa les fiers remparts et les portes d’airain,
   1157 Mit des superbes rois la dépouille en sa main,
   1158 De son temple détruit vengea sur eux l’injure :
   1159 Babylone paya nos pleurs avec usure.
   1160 Cyrus, par lui vainqueur, publia ses bienfaits,
   1161 Regarda notre peuple avec des yeux de paix,
   1162 Nous rendit et nos lois et nos fêtes divines ;
   1163 Et le temple déjà sortait de ses ruines.
   1164 Mais, de ce roi si sage héritier insensé,
   1165 Son fils interrompit l’ouvrage commencé,
   1166 Fut sourd à nos douleurs : Dieu rejeta sa race,
   1167 Le retrancha lui-même, et vous mit en sa place.
   1168 Que n’espérions-nous point d’un roi si généreux !
   1169 Dieu regarde en pitié son peuple malheureux,
   1170 Disions-nous : un roi règne, ami de l’innocence.
   1171 Partout du nouveau prince on vantait la clémence :
   1172 Les Juifs partout de joie en poussèrent des cris.
   1173 Ciel ! verra-t-on toujours par de cruels esprits
   1174 Des princes les plus doux l’oreille environnée,
   1175 Et du bonheur public la source empoisonnée ?
   1176 Dans le fond de la Thrace un barbare enfanté
   1177 Est venu dans ces lieux souffler la cruauté ;
   1178 Un ministre ennemi de votre propre gloire…
   1179 
   1180 
   1181 
   1182 De votre gloire ! Moi ? Ciel ! le pourriez-vous croire ?
   1183 Moi qui n’ai d’autre objet ni d’autre dieu… Tais-toi.
   1184 Oses-tu donc parler sans l’ordre de ton roi ?
   1185 
   1186 
   1187 
   1188 Notre ennemi cruel devant vous se déclare :
   1189 C’est lui, c’est ce ministre infidèle et barbare
   1190 Qui, d’un zèle trompeur à vos yeux revêtu,
   1191 Contre notre innocence arma votre vertu.
   1192 Et quel autre, grand Dieu ! qu’un Scythe impitoyable
   1193 Aurait de tant d’horreurs dicté l’ordre effroyable !
   1194 
   1195 Partout l’affreux signal en même temps donné
   1196 De meurtres remplira l’univers étonné :
   1197 On verra, sous le nom du plus juste des princes,
   1198 Un perfide étranger désoler vos provinces ;
   1199 Et dans ce palais même, en proie à son courroux,
   1200 Le sang de vos sujets regorger jusqu’à vous.
   1201 Et que reproche aux Juifs sa haine envenimée ?
   1202 Quelle guerre intestine avons-nous allumée ?
   1203 Les a-t-on vus marcher parmi vos ennemis ?
   1204 Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis ?
   1205 Adorant dans leurs fers le Dieu qui les châtie,
   1206 Pendant que votre main sur eux appesantie
   1207 À leurs persécuteurs les livrait sans secours,
   1208 Ils conjuraient ce Dieu de veiller sur vos jours,
   1209 De rompre des méchants les trames criminelles,
   1210 De mettre votre trône à l’ombre de ses ailes.
   1211 N’en doutez point, seigneur, il fut votre soutien :
   1212 Lui seul mit à vos pieds le Parthe et l’Indien,
   1213 Dissipa devant vous les innombrables Scythes,
   1214 Et renferma les mers dans vos vastes limites ;
   1215 Lui seul aux yeux d’un Juif découvrit le dessein
   1216 De deux traîtres tout prêts à vous percer le sein.
   1217 Hélas ! ce Juif jadis m’adopta pour sa fille.
   1218 
   1219 
   1220 
   1221 Mardochée ? Il restait seul de notre famille.
   1222 Mon père était son frère. Il descend comme moi
   1223 Du sang infortuné de notre premier roi.
   1224 Plein d’une juste horreur pour un Amalécite,
   1225 Race que notre Dieu de sa bouche a maudite,
   1226 Il n’a devant Aman pu fléchir les genoux,
   1227 Ni lui rendre un honneur qu’il ne croit dû qu’à vous.
   1228 De là contre les Juifs et contre Mardochée
   1229 Cette haine, seigneur, sous d’autres noms cachée.
   1230 En vain de vos bienfaits Mardochée est paré :
   1231 À la porte d’Aman est déjà préparé
   1232 D’un infâme trépas l’instrument exécrable ;
   1233 Dans une heure au plus tard ce vieillard vénérable,
   1234 Des portes du palais par son ordre arraché,
   1235 Couvert de votre pourpre, y doit être attaché.
   1236 
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   1239 Quel jour mêlé d’horreur vient effrayer mon âme !
   1240 Tout mon sang de colère et de honte s’enflamme.
   1241 J’étais donc le jouet… Ciel, daigne m’éclairer !
   1242 Un moment sans témoins cherchons à respirer.
   1243 Appelez Mardochée : il faut aussi l’entendre.
   1244 
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   1247 Vérité, que j’implore, achève de descendre !
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   1255 D’un juste étonnement je demeure frappé.
   1256 Les ennemis des Juifs m’ont trahi, m’ont trompé :
   1257 J’en atteste du ciel la puissance suprême,
   1258 En les perdant j’ai cru vous assurer vous-même.
   1259 Princesse, en leur faveur employez mon crédit :
   1260 Le roi, vous le voyez, flotte encore interdit.
   1261 Je sais par quels ressorts on le pousse, on l’arrête ;
   1262 Et fais, comme il me plaît, le calme et la tempête.
   1263 Les intérêts des Juifs déjà me sont sacrés.
   1264 Parlez : vos ennemis aussitôt massacrés,
   1265 Victimes de la foi que ma bouche vous jure,
   1266 De ma fatale erreur répareront l’injure.
   1267 Quel sang demandez-vous ? Va, traître, laisse-moi.
   1268 Les Juifs n’attendent rien d’un méchant tel que toi.
   1269 Misérable, le Dieu vengeur de l’innocence,
   1270 Tout prêt à te juger, tient déjà sa balance !
   1271 Bientôt son juste arrêt te sera prononcé.
   1272 Tremble : son jour approche, et ton règne est passé.
   1273 
   1274 
   1275 
   1276 Oui, ce Dieu, je l’avoue, est un Dieu redoutable.
   1277 Mais veut-il que l’on garde une haine implacable ?
   1278 C’en est fait : mon orgueil est forcé de plier ;
   1279 L’inexorable Aman est réduit à prier.
   1280 Par le salut des Juifs, par ces pieds que j’embrasse,
   1281 
   1282 Par ce sage vieillard, l’honneur de votre race,
   1283 Daignez d’un roi terrible apaiser le courroux ;
   1284 Sauvez Aman, qui tremble à vos sacrés genoux.
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   1292 Quoi ! le traître sur vous porte ses mains hardies !
   1293 Ah ! dans ses yeux confus je lis ses perfidies ;
   1294 Et son trouble appuyant la foi de vos discours,
   1295 De tous ses attentats me rappelle le cours.
   1296 Qu’à ce monstre à l’instant l’âme soit arrachée ;
   1297 Et que devant sa porte, au lieu de Mardochée,
   1298 Apaisant par sa mort et la terre et les cieux,
   1299 De mes peuples vengés il repaisse les yeux.
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   1307 Mortel chéri du ciel, mon salut et ma joie,
   1308 Aux conseils des méchants ton roi n’est plus en proie ;
   1309 Mes yeux sont dessillés, le crime est confondu :
   1310 Viens briller près de moi dans le rang qui t’est dû.
   1311 Je te donne d’Aman les biens et la puissance :
   1312 Possède justement son injuste opulence.
   1313 Je romps le joug funeste où les Juifs sont soumis !
   1314 Je leur livre le sang de tous leurs ennemis ;
   1315 À l’égal des Persans je veux qu’on les honore,
   1316 Et que tout tremble au nom du Dieu qu’Esther adore.
   1317 Rebâtissez son temple, et peuplez vos cités ;
   1318 Que vos heureux enfants dans leurs solennités
   1319 Consacrent de ce jour le triomphe et la gloire,
   1320 Et qu’à jamais mon nom vive dans leur mémoire.
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   1328 Que veut Asaph ? Seigneur, le traître est expiré,
   1329 Par le peuple en fureur à moitié déchiré.
   1330 On traîne, on va donner en spectacle funeste
   1331 De son corps tout sanglant le misérable reste.
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   1335 Roi, qu’à jamais le ciel prenne soin de vos jours !
   1336 Le péril des Juifs presse, et veut un prompt secours.
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   1340 Oui, je t’entends. Allons, par des ordres contraires,
   1341 Révoquer d’un méchant les ordres sanguinaires.
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   1345 Ô Dieu, par quelle route inconnue aux mortels
   1346 Ta sagesse conduit ses desseins éternels !
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