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racine_athalie (75004B)


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      4 Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel ;
      5 Je viens, selon l’usage antique et solennel,
      6 Célébrer avec vous la fameuse journée
      7 Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée.
      8 Que les temps sont changés ! Sitôt que de ce jour
      9 La trompette sacrée annonçait le retour,
     10 Du temple, orné partout de festons magnifiques,
     11 Le peuple saint en foule inondait les portiques ;
     12 Et tous, devant l’autel avec ordre introduits,
     13 De leurs champs dans leurs mains portant les nouveaux fruits,
     14 Au Dieu de l’univers consacraient ces prémices :
     15 Les prêtres ne pouvaient suffire aux sacrifices.
     16 L’audace d’une femme arrêtant ce concours,
     17 En des jours ténébreux a changé ces beaux jours.
     18 D’adorateurs zélés à peine un petit nombre
     19 Ose des premiers temps nous retracer quelque ombre,
     20 Le reste pour son Dieu montre un oubli fatal ;
     21 Ou même, s’empressant aux autels de Baal,
     22 Se fait initier à ses honteux mystères,
     23 Et blasphème le nom qu’ont invoqué leurs pères.
     24 Je tremble qu’Athalie, à ne vous rien cacher,
     25 Vous-même de l’autel vous faisant arracher,
     26 N’achève enfin sur vous ses vengeances funestes,
     27 Et d’un respect forcé ne dépouille les restes.
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     31 D’où vous vient aujourd’hui ce noir pressentiment ?
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     35 Pensez-vous être saint et juste impunément ?
     36 Dès longtemps elle hait cette fermeté rare
     37 Qui rehausse en Joad l’éclat de la tiare ;
     38 Dès longtemps votre amour pour la religion
     39 Est traité de révolte et de sédition.
     40 Du mérite éclatant cette reine jalouse
     41 Hait surtout Josabeth, votre fidèle épouse.
     42 Si du grand prêtre Aaron Joad est successeur,
     43 De notre dernier roi Josabeth est la sœur.
     44 Mathan, d’ailleurs, Mathan, ce prêtre sacrilége,
     45 Plus méchant qu’Athalie, à toute heure l’assiége ;
     46 Mathan, de nos autels infâme déserteur,
     47 Et de toute vertu zélé persécuteur.
     48 C’est peu que, le front ceint d’une mitre étrangère,
     49 Ce lévite à Baal prête son ministère ;
     50 Ce temple l’importune, et son impiété
     51 Voudrait anéantir le Dieu qu’il a quitté.
     52 Pour vous perdre il n’est point de ressorts qu’il n’invente ;
     53 Quelquefois il vous plaint, souvent même il vous vante ;
     54 Il affecte pour vous une fausse douceur ;
     55 Et par là de son fiel colorant la noirceur,
     56 Tantôt à cette reine il vous peint redoutable,
     57 Tantôt, voyant pour l’or sa soif insatiable,
     58 Il lui feint qu’en un lieu que vous seul connaissez
     59 Vous cachez des trésors par David amassés.
     60 Enfin, depuis deux jours, la superbe Athalie
     61 Dans un sombre chagrin paraît ensevelie.
     62 Je l’observais hier, et je voyais ses yeux
     63 Lancer sur le lieu saint des regards furieux :
     64 Comme si, dans le fond de ce vaste édifice,
     65 Dieu cachait un vengeur armé pour son supplice.
     66 Croyez-moi ; plus j’y pense, et moins je puis douter
     67 Que sur vous son courroux ne soit près d’éclater,
     68 Et que de Jézabel la fille sanguinaire
     69 Ne vienne attaquer Dieu jusqu’en son sanctuaire.
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     73 Celui qui met un frein à la fureur des flots
     74 Sait aussi des méchants arrêter les complots.
     75 Soumis avec respect à sa volonté sainte,
     76 Je crains Dieu, cher Abner, et n’ai point d’autre crainte.
     77 Cependant je rends grâce au zèle officieux
     78 Qui sur tous mes périls vous fait ouvrir les yeux.
     79 Je vois que l’injustice en secret vous irrite,
     80 Que vous avez encor le cœur israélite.
     81 Le ciel en soit béni ! Mais ce secret courroux,
     82 Cette oisive vertu, vous en contentez-vous ?
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     84 La foi qui n’agit point, est-ce une foi sincère ?
     85 Huit ans déjà passés, une impie étrangère
     86 Du sceptre de David usurpe tous les droits,
     87 Se baigne impunément dans le sang de nos rois,
     88 Des enfants de son fils détestable homicide,
     89 Et même contre Dieu lève son bras perfide ;
     90 Et vous, l’un des soutiens de ce tremblant État,
     91 Vous, nourri dans les camps du saint roi Josaphat,
     92 Qui sous son fils Joram commandiez nos armées,
     93 Qui rassurâtes seul nos villes alarmées,
     94 Lorsque d’Ochozias le trépas imprévu
     95 Dispersa tout son camp à l’aspect de Jéhu :
     96 « Je crains Dieu, dites-vous ; sa vérité me touche ! »
     97 Voici comme ce Dieu vous répond par ma bouche :
     98 « Du zèle de ma loi que sert de vous parer ?
     99 « Par de stériles vœux pensez-vous m’honorer ?
    100 « Quel fruit me revient-il de tous vos sacrifices ?
    101 « Ai-je besoin du sang des boucs et des génisses ?
    102 « Le sang de vos rois crie, et n’est point écouté.
    103 « Rompez, rompez tout pacte avec l’impiété ;
    104 « Du milieu de mon peuple exterminez les crimes ;
    105 « Et vous viendrez alors m’immoler vos victimes. »
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    109 Eh ! que puis-je au milieu de ce peuple abattu ?
    110 Benjamin est sans force, et Juda sans vertu :
    111 Le jour qui de leurs rois vit éteindre la race
    112 Éteignit tout le feu de leur antique audace.
    113 Dieu même, disent-ils, s’est retiré de nous :
    114 De l’honneur des Hébreux autrefois si jaloux,
    115 Il voit sans intérêt leur grandeur terrassée ;
    116 Et sa miséricorde à la fin s’est lassée :
    117 On ne voit plus pour nous ses redoutables mains
    118 De merveilles sans nombre effrayer les humains ;
    119 L’arche sainte est muette, et ne rend plus d’oracles.
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    123 Et quel temps fut jamais si fertile en miracles ?
    124 Quand Dieu par plus d’effets montra-t-il son pouvoir ?
    125 Auras-tu donc toujours des yeux pour ne point voir,
    126 Peuple ingrat ? Quoi ! toujours les plus grandes merveilles
    127 Sans ébranler ton cœur frapperont tes oreilles ?
    128 Faut-il, Abner, faut-il vous rappeler le cours
    129 Des prodiges fameux accomplis en nos jours,
    130 Des tyrans d’Israël les célèbres disgrâces,
    131 Et Dieu trouvé fidèle en toutes ses menaces ;
    132 L’impie Achab détruit, et de son sang trempé
    133 Le champ que par le meurtre il avait usurpé ;
    134 Près de ce champ fatal Jézabel immolée,
    135 Sous les pieds des chevaux cette reine foulée,
    136 Dans son sang inhumain les chiens désaltérés,
    137 Et de son corps hideux les membres déchirés ;
    138 Des prophètes menteurs la troupe confondue,
    139 Et la flamme du ciel sur l’autel descendue ;
    140 Élie aux éléments parlant en souverain,
    141 Les cieux par lui fermés et devenus d’airain,
    142 Et la terre trois ans sans pluie et sans rosée,
    143 Les morts se ranimant à la voix d’Élisée ?
    144 Reconnaissez, Abner, à ces traits éclatants,
    145 Un Dieu tel aujourd’hui qu’il fut dans tous les temps :
    146 Il sait, quand il lui plaît, faire éclater sa gloire ;
    147 Et son peuple est toujours présent à sa mémoire.
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    151 Mais où sont ces honneurs à David tant promis,
    152 Et prédits même encore à Salomon son fils ?
    153 Hélas ! nous espérions que de leur race heureuse
    154 Devait sortir de rois une suite nombreuse ;
    155 Que sur toute tribu, sur toute nation,
    156 L’un d’eux établirait sa domination,
    157 Ferait cesser partout la discorde et la guerre,
    158 Et verrait à ses pieds tous les rois de la terre.
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    162 Aux promesses du ciel pourquoi renoncez-vous ?
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    166 Ce roi fils de David, où le chercherons-nous ?
    167 Le ciel même peut-il réparer les ruines
    168 De cet arbre séché jusque dans ses racines ?
    169 Athalie étouffa l’enfant même au berceau.
    170 Les morts, après huit ans, sortent-ils du tombeau ?
    171 Ah ! si dans sa fureur elle s’était trompée,
    172 Si du sang de nos rois quelque goutte échappée…
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    176 Eh bien, que feriez-vous ? Ô jour heureux pour moi !
    177 De quelle ardeur j’irais reconnaître mon roi !
    178 Doutez-vous qu’à ses pieds nos tribus empressées…
    179 Mais pourquoi me flatter de ces vaines pensées ?
    180 Déplorable héritier de ces rois triomphants,
    181 Ochozias restait seul avec ses enfants ;
    182 Par les traits de Jéhu je vis percer le père ;
    183 Vous avez vu les fils massacrés par la mère.
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    187 Je ne m’explique point ; mais quand l’astre du jour
    188 Aura sur l’horizon fait le tiers de son tour,
    189 Lorsque la troisième heure aux prières rappelle,
    190 Retrouvez-vous au temple avec ce même zèle.
    191 Dieu pourra vous montrer, par d’importants bienfaits,
    192 Que sa parole est stable, et ne trompe jamais.
    193 Allez : pour ce grand jour il faut que je m’apprête,
    194 Et du temple déjà l’aube blanchit le faîte.
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    198 Quel sera ce bienfait, que je ne comprends pas ?
    199 L’illustre Josabeth porte vers vous ses pas :
    200 Je sors, et vais me joindre à la troupe fidèle
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    202 Qu’attire de ce jour la pompe solennelle.
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    210 Les temps sont accomplis, princesse : il faut parler,
    211 Et votre heureux larcin ne se peut plus celer.
    212 Des ennemis de Dieu la coupable insolence
    213 Abusant contre lui de ce profond silence,
    214 Accuse trop longtemps ses promesses d’erreur.
    215 Que dis-je ? le succès animant leur fureur,
    216 Jusque sur notre autel votre injuste marâtre
    217 Veut offrir à Baal un encens idolâtre.
    218 Montrons ce jeune roi que vos mains ont sauvé,
    219 Sous l’aile du Seigneur dans le temple élevé.
    220 De nos princes hébreux il aura le courage,
    221 Et déjà son esprit a devancé son âge.
    222 Avant que son destin s’explique par ma voix,
    223 Je vais l’offrir au Dieu par qui règnent les rois :
    224 Aussitôt assemblant nos lévites, nos prêtres,
    225 Je leur déclarerai l’héritier de leurs maîtres.
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    229 Sait-il déjà son nom et son noble destin ?
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    233 Il ne répond encor qu’au nom d’Éliacin,
    234 Et se croit quelque enfant rejeté par sa mère,
    235 À qui j’ai par pitié daigné servir de père.
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    239 Hélas ! de quel péril je l’avais su tirer !
    240 Dans quel péril encor il est près de rentrer !
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    244 Quoi ! déjà votre foi s’affaiblit et s’étonne ?
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    248 À vos sages conseils, seigneur, je m’abandonne.
    249 Du jour que j’arrachai cet enfant à la mort,
    250 Je remis en vos mains tout le soin de son sort ;
    251 Même, de mon amour craignant la violence,
    252 Autant que je le puis j’évite sa présence,
    253 De peur qu’en le voyant quelque trouble indiscret
    254 Ne fasse avec mes pleurs échapper mon secret.
    255 Surtout j’ai cru devoir aux larmes, aux prières,
    256 Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières.
    257 Cependant aujourd’hui puis-je vous demander
    258 Quels amis vous avez prêts à vous seconder ?
    259 Abner, le brave Abner, viendra-t-il nous défendre ?
    260 A-t-il près de son roi fait serment de se rendre ?
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    264 Abner, quoiqu’on se pût assurer sur sa foi,
    265 Ne sait pas même encor si nous avons un roi.
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    269 Mais à qui de Joas confiez-vous la garde ?
    270 Est-ce Obed, est-ce Amnon que cet honneur regarde ?
    271 De mon père sur eux les bienfaits répandus…
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    275 À l’injuste Athalie ils se sont tous vendus.
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    279 Qui donc opposez-vous contre ses satellites ?
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    283 Ne vous l’ai-je pas dit ? Nos prêtres, nos lévites.
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    287 Je sais que, près de vous en secret assemblé,
    288 Par vos soins prévoyants leur nombre est redoublé ;
    289 Que pleins d’amour pour vous, d’horreur pour Athalie,
    290 Un serment solennel par avance les lie
    291 À ce fils de David qu’on leur doit révéler.
    292 Mais, quelque noble ardeur dont ils puissent brûler,
    293 Peuvent-ils de leur roi venger seuls la querelle ?
    294 Pour un si grand ouvrage est-ce assez de leur zèle ?
    295 Doutez-vous qu’Athalie, au premier bruit semé
    296 Qu’un fils d’Ochozias est ici renfermé,
    297 De ses fiers étrangers assemblant les cohortes,
    298 N’environne le temple, et n’en brise les portes ?
    299 Suffira-t-il contre eux de vos ministres saints,
    300 Qui, levant au Seigneur leurs innocentes mains,
    301 Ne savent que gémir et prier pour nos crimes,
    302 Et n’ont jamais versé que le sang des victimes ?
    303 Peut-être dans leurs bras Joas percé de coups…
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    307 Et comptez-vous pour rien Dieu qui combat pour nous ;
    308 Dieu, qui de l’orphelin protége l’innocence,
    309 Et fait dans la faiblesse éclater sa puissance ;
    310 Dieu, qui hait les tyrans, et qui dans Jezraël
    311 Jura d’exterminer Achab et Jézabel ;
    312 Dieu, qui frappant Joram, le mari de leur fille,
    313 A jusque sur son fils poursuivi leur famille ;
    314 Dieu, dont le bras vengeur, pour un temps suspendu,
    315 Sur cette race impie est toujours étendu ?
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    319 Et c’est sur tous ces rois sa justice sévère
    320 Que je crains pour le fils de mon malheureux frère.
    321 Qui sait si cet enfant, par leur crime entraîné,
    322 Avec eux en naissant ne fut pas condamné ?
    323 Si Dieu, le séparant d’une odieuse race,
    324 En faveur de David voudra lui faire grâce ?
    325 Hélas ! l’état horrible où le ciel me l’offrit
    326 Revient à tout moment effrayer mon esprit.
    327 De princes égorgés la chambre était remplie ;
    328 Un poignard à la main l’implacable Athalie
    329 Au carnage animait ses barbares soldats,
    330 Et poursuivait le cours de ses assassinats.
    331 Joas, laissé pour mort, frappa soudain ma vue :
    332 Je me figure encor sa nourrice éperdue,
    333 Qui devant les bourreaux s’était jetée en vain,
    334 Et, faible, le tenait renversé sur son sein.
    335 Je le pris tout sanglant. En baignant son visage
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    337 Mes pleurs du sentiment lui rendirent l’usage ;
    338 Et, soit frayeur encore, ou pour me caresser,
    339 De ses bras innocents je me sentis presser.
    340 Grand Dieu ! que mon amour ne lui soit point funeste !
    341 Du fidèle David c’est le précieux reste :
    342 Nourri dans ta maison, en l’amour de ta loi,
    343 Il ne connaît encor d’autre père que toi.
    344 Sur le point d’attaquer une reine homicide,
    345 À l’aspect du péril si ma foi s’intimide,
    346 Si la chair et le sang, se troublant aujourd’hui,
    347 Ont trop de part aux pleurs que je répands pour lui,
    348 Conserve l’héritier de tes saintes promesses,
    349 Et ne punis que moi de toutes mes faiblesses !
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    353 Vos larmes, Josabeth, n’ont rien de criminel ;
    354 Mais Dieu veut qu’on espère en son soin paternel.
    355 Il ne recherche point, aveugle en sa colère,
    356 Sur le fils qui le craint l’impiété du père.
    357 Tout ce qui reste encor de fidèles Hébreux
    358 Lui viendront aujourd’hui renouveler leurs vœux :
    359 Autant que de David la race est respectée,
    360 Autant de Jézabel la fille est détestée.
    361 Joas les touchera par sa noble pudeur,
    362 Où semble de son sang reluire la splendeur ;
    363 Et Dieu par sa voix même appuyant notre exemple,
    364 De plus près à leur cœur parlera de son temple.
    365 Deux infidèles rois tour à tour l’ont bravé :
    366 Il faut que sur le trône un roi soit élevé,
    367 Qui se souvienne un jour qu’au rang de ses ancêtres
    368 Dieu l’a fait remonter par la main de ses prêtres,
    369 L’a tiré par leur main de l’oubli du tombeau,
    370 Et de David éteint rallumé le flambeau.
    371 Grand Dieu, si tu prévois qu’indigne de sa race
    372 Il doive de David abandonner la trace,
    373 Qu’il soit comme le fruit en naissant arraché,
    374 Ou qu’un souffle ennemi dans sa fleur a séché !
    375 Mais si ce même enfant, à tes ordres docile,
    376 Doit être à tes desseins un instrument utile,
    377 Fais qu’au juste héritier le sceptre soit remis ;
    378 Livre à mes faibles mains ses puissants ennemis ;
    379 Confonds dans ses conseils une reine cruelle :
    380 Daigne, daigne, mon Dieu, sur Mathan et sur elle
    381 Répandre cet esprit d’imprudence et d’erreur,
    382 De la chute des rois funeste avant-coureur !
    383 L’heure me presse : adieu. Des plus saintes familles
    384 Votre fils et sa sœur vous amènent les filles.
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    392 Cher Zacharie, allez, ne vous arrêtez pas ;
    393 De votre auguste père accompagnez les pas.
    394 Ô filles de Lévi, troupe jeune et fidèle,
    395 Que déjà le Seigneur embrase de son zèle,
    396 Qui venez si souvent partager mes soupirs,
    397 Enfants, ma seule joie en mes longs déplaisirs,
    398 Ces festons dans vos mains, et ces fleurs sur vos têtes,
    399 Autrefois convenaient à nos pompeuses fêtes :
    400 Mais, hélas ! en ce temps d’opprobre et de douleurs,
    401 Quelle offrande sied mieux que celle de nos pleurs !
    402 J’entends déjà, j’entends la trompette sacrée,
    403 Et du temple bientôt on permettra l’entrée.
    404 Tandis que je me vais préparer à marcher,
    405 Chantez, louez le Dieu que vous venez chercher.
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    412 Mes filles, c’est assez ; suspendez vos cantiques :
    413 Il est temps de nous joindre aux prières publiques.
    414 Voici notre heure : allons célébrer ce grand jour,
    415 Et devant le Seigneur paraître à notre tour.
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    423 Mais que vois-je ? Mon fils, quel sujet vous ramène ?
    424 Où courez-vous ainsi tout pâle et hors d’haleine ?
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    428 Ô ma mère ! Eh bien ! quoi ? Le temple est profané…
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    432 Comment ? Et du Seigneur l’autel abandonné.
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    436 Je tremble. Hâtez-vous d’éclaircir votre mère.
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    440 Déjà, selon la loi, le grand prêtre mon père,
    441 Après avoir au Dieu qui nourrit les humains
    442 De la moisson nouvelle offert les premiers pains,
    443 Lui présentait encore entre ses mains sanglantes
    444 Des victimes de paix les entrailles fumantes ;
    445 Debout à ses côtés le jeune Éliacin
    446 Comme moi le servait en long habit de lin ;
    447 Et cependant du sang de la chair immolée
    448 Les prêtres arrosaient l’autel et l’assemblée :
    449 Un bruit confus s’élève, et du peuple surpris
    450 Détourne tout à coup les yeux et les esprits.
    451 Une femme… Peut-on la nommer sans blasphème !
    452 Une femme… C’était Athalie elle-même…
    453 
    454 
    455 
    456 Ciel ! Dans un des parvis aux hommes réservé
    457 Cette femme superbe entre, le front levé,
    458 Et se préparait même à passer les limites
    459 De l’enceinte sacrée ouverte aux seuls lévites.
    460 Le peuple s’épouvante, et fuit de toutes parts.
    461 Mon père… Ah ! quel courroux animait ses regards !
    462 Moïse à Pharaon parut moins formidable :
    463 « Reine, sors, a-t-il dit, de ce lieu redoutable,
    464 « D’où te bannit ton sexe et ton impiété.
    465 « Viens-tu du Dieu vivant braver la majesté ? »
    466 La reine alors, sur lui jetant un œil farouche,
    467 Pour blasphémer sans doute ouvrait déjà la bouche.
    468 J’ignore si de Dieu l’ange se dévoilant,
    469 Est venu lui montrer un glaive étincelant ;
    470 
    471 Mais sa langue en sa bouche à l’instant s’est glacée,
    472 Et toute son audace a paru terrassée ;
    473 Ses yeux, comme effrayés, n’osaient se détourner ;
    474 Surtout Éliacin paraissait l’étonner.
    475 
    476 
    477 
    478 Quoi donc ! Éliacin a paru devant elle ?
    479 
    480 
    481 
    482 Nous regardions tous deux cette reine cruelle,
    483 Et d’une égale horreur nos cœurs étaient frappés.
    484 Mais les prêtres bientôt nous ont enveloppés :
    485 On nous a fait sortir. J’ignore tout le reste,
    486 Et venais vous conter ce désordre funeste.
    487 
    488 
    489 
    490 Ah ! de nos bras sans doute elle vient l’arracher ;
    491 Et c’est lui qu’à l’autel sa fureur vient chercher.
    492 Peut-être en ce moment l’objet de tant de larmes…
    493 Souviens-toi de David, Dieu qui vois mes alarmes !
    494 
    495 
    496 
    497 Quel est-il, cet objet des pleurs que vous versez ?
    498 
    499 
    500 
    501 Les jours d’Éliacin seraient-ils menacés ?
    502 
    503 
    504 
    505 Aurait-il de la reine attiré la colère ?
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    508 
    509 Que craint-on d’un enfant sans support et sans père ?
    510 
    511 
    512 
    513 Ah ! la voici. Sortons : il la faut éviter.
    514 
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    518 
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    520 
    521 Madame, dans ces lieux pourquoi vous arrêter ?
    522 Ici tous les objets vous blessent, vous irritent.
    523 Abandonnez ce temple aux prêtres qui l’habitent ;
    524 Fuyez tout ce tumulte, et dans votre palais
    525 À vos sens agités venez rendre la paix.
    526 
    527 
    528 
    529 Non, je ne puis : tu vois mon trouble et ma faiblesse.
    530 Va, fais dire à Mathan qu’il vienne, qu’il se presse ;
    531 Heureuse si je puis trouver par son secours
    532 Cette paix que je cherche, et qui me fuit toujours !
    533 
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    538 
    539 
    540 Madame, pardonnez si j’ose le défendre :
    541 Le zèle de Joad n’a point dû vous surprendre.
    542 Du Dieu que nous servons tel est l’ordre éternel ;
    543 Lui-même il nous traça son temple et son autel,
    544 Aux seuls enfants d’Aaron commit ses sacrifices,
    545 Aux lévites marqua leur place et leurs offices,
    546 Et surtout défendit à leur postérité
    547 Avec tout autre dieu toute société.
    548 Eh quoi ! vous de nos rois et la femme et la mère,
    549 Êtes-vous à ce point parmi nous étrangère ?
    550 Ignorez-vous nos lois ? et faut-il qu’aujourd’hui…
    551 Voici votre Mathan : je vous laisse avec lui.
    552 
    553 
    554 
    555 Votre présence, Abner, est ici nécessaire.
    556 Laissons là de Joad l’audace téméraire,
    557 Et tout ce vain amas de superstitions
    558 Qui ferment votre temple aux autres nations :
    559 Un sujet plus pressant excite mes alarmes.
    560 Je sais que, dès l’enfance élevé dans les armes,
    561 Abner a le cœur noble, et qu’il rend à la fois
    562 Ce qu’il doit à son Dieu, ce qu’il doit à ses rois.
    563 Demeurez. Grande reine, est-ce ici votre place ?
    564 Quel trouble vous agite, et quel effroi vous glace ?
    565 Parmi vos ennemis que venez-vous chercher ?
    566 De ce temple profane osez-vous approcher ?
    567 Avez-vous dépouillé cette haine si vive…
    568 
    569 
    570 
    571 Prêtez-moi l’un et l’autre une oreille attentive.
    572 Je ne veux point ici rappeler le passé,
    573 Ni vous rendre raison du sang que j’ai versé :
    574 Ce que j’ai fait, Abner, j’ai cru le devoir faire.
    575 Je ne prends point pour juge un peuple téméraire :
    576 Quoi que son insolence ait osé publier,
    577 Le ciel même a pris soin de me justifier.
    578 Sur d’éclatants succès ma puissance établie
    579 A fait jusqu’aux deux mers respecter Athalie ;
    580 Par moi Jérusalem goûte un calme profond ;
    581 Le Jourdain ne voit plus l’Arabe vagabond,
    582 Ni l’altier Philistin, par d’éternels ravages,
    583 Comme au temps de vos rois, désoler ses rivages ;
    584 Le Syrien me traite et de reine et de sœur ;
    585 Enfin de ma maison le perfide oppresseur,
    586 Qui devait jusqu’à moi pousser sa barbarie,
    587 Jéhu, le fier Jéhu, tremble dans Samarie ;
    588 De toutes parts pressé par un puissant voisin,
    589 Que j’ai su soulever contre cet assassin,
    590 Il me laisse en ces lieux souveraine maîtresse.
    591 Je jouissais en paix du fruit de ma sagesse ;
    592 Mais un trouble importun vient, depuis quelques jours,
    593 De mes prospérités interrompre le cours.
    594 Un songe (me devrais-je inquiéter d’un songe !)
    595 Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge :
    596 
    597 Je l’évite partout, partout il me poursuit.
    598 C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit ;
    599 Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,
    600 Comme au jour de sa mort pompeusement parée ;
    601 Ses malheurs n’avaient point abattu sa fierté ;
    602 Même elle avait encor cet éclat emprunté
    603 Dont elle eut soin de peindre et d’orner son visage,
    604 Pour réparer des ans l’irréparable outrage :
    605 « Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi ;
    606 « Le cruel Dieu des Juifs l’emporte aussi sur toi.
    607 « Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
    608 « Ma fille. » En achevant ces mots épouvantables,
    609 Son ombre vers mon lit a paru se baisser ;
    610 Et moi je lui tendais les mains pour l’embrasser ;
    611 Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
    612 D’os et de chairs meurtris et traînés dans la fange,
    613 Des lambeaux pleins de sang, et des membres affreux
    614 Que des chiens dévorants se disputaient entre eux…
    615 
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    617 
    618 Grand Dieu ! Dans ce désordre à mes yeux se présente
    619 Un jeune enfant couvert d’une robe éclatante,
    620 Tels qu’on voit des Hébreux les prêtres revêtus.
    621 Sa vue a ranimé mes esprits abattus ;
    622 Mais lorsque, revenant de mon trouble funeste,
    623 J’admirais sa douceur, son air noble et modeste,
    624 J’ai senti tout à coup un homicide acier
    625 Que le traître en mon sein a plongé tout entier.
    626 De tant d’objets divers le bizarre assemblage
    627 Peut-être du hasard vous paraît un ouvrage :
    628 Moi-même quelque temps, honteuse de ma peur,
    629 Je l’ai pris pour l’effet d’une sombre vapeur.
    630 Mais de ce souvenir mon âme possédée
    631 A deux fois en dormant revu la même idée ;
    632 Deux fois mes tristes yeux se sont vu retracer
    633 Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.
    634 Lasse enfin des horreurs dont j’étais poursuivie,
    635 J’allais prier Baal de veiller sur ma vie,
    636 Et chercher du repos au pied de ses autels :
    637 Que ne peut la frayeur sur l’esprit des mortels !
    638 Dans le temple des Juifs un instinct m’a poussée,
    639 Et d’apaiser leur Dieu j’ai conçu la pensée ;
    640 J’ai cru que des présents calmeraient son courroux,
    641 Que ce Dieu, quel qu’il soit, en deviendrait plus doux.
    642 Pontife de Baal, excusez ma faiblesse.
    643 J’entre : le peuple fuit, le sacrifice cesse,
    644 Le grand prêtre vers moi s’avance avec fureur :
    645 Pendant qu’il me parlait, ô surprise ! ô terreur !
    646 J’ai vu ce même enfant dont je suis menacée,
    647 Tel qu’un songe effrayant l’a peint à ma pensée.
    648 Je l’ai vu : son même air, son même habit de lin,
    649 Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin ;
    650 C’est lui-même. Il marchait à côté du grand prêtre ;
    651 Mais bientôt à ma vue on l’a fait disparaître.
    652 Voilà quel trouble ici m’oblige à m’arrêter,
    653 Et sur quoi j’ai voulu tous deux vous consulter.
    654 Que présage, Mathan, ce prodige incroyable ?
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    658 Ce songe et ce rapport, tout me semble effroyable…
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    660 
    661 
    662 Mais cet enfant fatal, Abner, vous l’avez vu :
    663 Quel est-il ? de quel sang, et de quelle tribu ?
    664 
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    666 
    667 Deux enfants à l’autel prêtaient leur ministère :
    668 L’un est fils de Joad, Josabeth est sa mère ;
    669 L’autre m’est inconnu. Pourquoi délibérer ?
    670 De tous les deux, madame, il se faut assurer.
    671 Vous savez pour Joad mes égards, mes mesures ;
    672 Que je ne cherche point à venger mes injures ;
    673 Que la seule équité règne en tous mes avis ;
    674 Mais lui-même après tout, fût-ce son propre fils,
    675 Voudrait-il un moment laisser vivre un coupable ?
    676 
    677 
    678 
    679 De quel crime un enfant peut-il être capable ?
    680 
    681 
    682 
    683 Le ciel nous le fait voir un poignard à la main :
    684 Le ciel est juste et sage, et ne fait rien en vain.
    685 Que cherchez-vous de plus ? Mais sur la foi d’un songe,
    686 Dans le sang d’un enfant voulez-vous qu’on se plonge ?
    687 Vous ne savez encor de quel père il est né,
    688 Quel il est. On le craint : tout est examiné.
    689 À d’illustres parents s’il doit son origine,
    690 La splendeur de son sort doit hâter sa ruine ;
    691 Dans le vulgaire obscur si le sort l’a placé,
    692 Qu’importe qu’au hasard un sang vil soit versé ?
    693 Est-ce aux rois à garder cette lente justice ?
    694 Leur sûreté souvent dépend d’un prompt supplice.
    695 N’allons point les gêner d’un soin embarrassant :
    696 Dès qu’on leur est suspect, on n’est plus innocent.
    697 
    698 
    699 
    700 Eh quoi, Mathan ? d’un prêtre est-ce là le langage ?
    701 Moi, nourri dans la guerre, aux horreurs du carnage,
    702 Des vengeances des rois ministre rigoureux,
    703 C’est moi qui prête ici ma voix au malheureux !
    704 Et vous qui lui devez des entrailles de père,
    705 Vous, ministre de paix dans les temps de colère,
    706 Couvrant d’un zèle faux votre ressentiment,
    707 Le sang à votre gré coule trop lentement !
    708 Vous m’avez commandé de vous parler sans feinte,
    709 Madame : quel est donc ce grand sujet de crainte ?
    710 Un songe, un faible enfant que votre œil prévenu
    711 
    712 Peut-être sans raison croit avoir reconnu.
    713 
    714 
    715 
    716 Je le veux croire, Abner ; je puis m’être trompée ;
    717 Peut-être un songe vain m’a trop préoccupée.
    718 Eh bien ! il faut revoir cet enfant de plus près ;
    719 Il en faut à loisir examiner les traits.
    720 Qu’on les fasse tous deux paraître en ma présence.
    721 
    722 
    723 
    724 Je crains… Manquerait-on pour moi de complaisance ?
    725 De ce refus bizarre où seraient les raisons ?
    726 Il pourrait me jeter en d’étranges soupçons.
    727 Que Josabeth, vous dis-je, ou Joad les amène.
    728 Je puis, quand je voudrai, parler en souveraine.
    729 Vos prêtres, je veux bien, Abner, vous l’avouer,
    730 Des bontés d’Athalie ont lieu de se louer.
    731 Je sais sur ma conduite et contre ma puissance
    732 Jusqu’où de leurs discours ils portent la licence :
    733 Ils vivent cependant, et leur temple est debout.
    734 Mais je sens que bientôt ma douceur est à bout.
    735 Que Joad mette un frein à son zèle sauvage,
    736 Et ne m’irrite point par un second outrage.
    737 Allez. Enfin je puis parler en liberté ;
    738 Je puis dans tout son jour mettre la vérité.
    739 Quelque monstre naissant dans ce temple s’élève,
    740 Reine : n’attendez pas que le nuage crève.
    741 Abner chez le grand prêtre a devancé le jour :
    742 Pour le sang de ses rois vous savez son amour.
    743 Et qui sait si Joad ne veut point en leur place
    744 Substituer l’enfant dont le ciel vous menace,
    745 Soit son fils, soit quelque autre… Oui, vous m’ouvrez les yeux :
    746 Je commence à voir clair dans cet avis des cieux.
    747 Mais je veux de mon doute être débarrassée :
    748 Un enfant est peu propre à trahir sa pensée ;
    749 Souvent d’un grand dessein un mot nous fait juger.
    750 Laissez-moi, cher Mathan, le voir, l’interroger.
    751 Vous, cependant, allez ; et sans jeter d’alarmes,
    752 À tous mes Syriens faites prendre les armes.
    753 
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    760 Ô vous, sur ces enfants si chers, si précieux,
    761 Ministres du Seigneur, ayez toujours les yeux.
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    765 Princesse, assurez-vous, je les prends sous ma garde.
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    769 Ô ciel ! plus j’examine et plus je le regarde…
    770 C’est lui ! D’horreur encor tous mes sens sont saisis.
    771 Épouse de Joad, est-ce là votre fils ?
    772 
    773 
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    775 Qui ? lui, madame ? Lui. Je ne suis point sa mère.
    776 Voilà mon fils. Et vous, quel est donc votre père ?
    777 Jeune enfant, répondez. Le ciel jusque aujourd’hui…
    778 
    779 
    780 
    781 Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui ?
    782 C’est à lui de parler. Dans un âge si tendre
    783 Quel éclaircissement en pouvez-vous attendre ?
    784 
    785 
    786 
    787 Cet âge est innocent ; son ingénuité
    788 N’altère point encor la simple vérité.
    789 Laissez-le s’expliquer sur tout ce qui le touche.
    790 
    791 
    792 
    793 Daigne mettre, grand Dieu, ta sagesse en sa bouche !
    794 
    795 
    796 
    797 Comment vous nommez-vous ? J’ai nom Éliacin.
    798 
    799 
    800 
    801 Votre père ? Je suis, dit-on, un orphelin
    802 Entre les bras de Dieu jeté dès ma naissance,
    803 Et qui de mes parents n’eus jamais connaissance.
    804 
    805 
    806 
    807 Vous êtes sans parents ? Ils m’ont abandonné.
    808 
    809 
    810 
    811 Comment ? et depuis quand ? Depuis que je suis né. 
    812 
    813 
    814 Ne sait-on pas au moins quel pays est le vôtre ?
    815 
    816 
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    818 Ce temple est mon pays ; je n’en connais point d’autre.
    819 
    820 
    821 
    822 Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer ?
    823 
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    825 
    826 Parmi des loups cruels prêts à me dévorer.
    827 
    828 
    829 
    830 Qui vous mit dans ce temple ? Une femme inconnue,
    831 Qui ne dit point son nom, et qu’on n’a point revue.
    832 
    833 
    834 
    835 Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin ?
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    837 
    838 
    839 Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ?
    840 Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
    841 Et sa bonté s’étend sur toute la nature.
    842 Tous les jours je l’invoque ; et d’un soin paternel
    843 Il me nourrit des dons offerts sur son autel.
    844 
    845 
    846 
    847 Quel prodige nouveau me trouble et m’embarrasse !
    848 La douceur de sa voix, son enfance, sa grâce,
    849 Font insensiblement à mon inimitié
    850 Succéder… Je serais sensible à la pitié !
    851 
    852 
    853 
    854 Madame, voilà donc cet ennemi terrible ?
    855 De vos songes menteurs l’imposture est visible,
    856 À moins que la pitié qui semble vous troubler
    857 Ne soit ce coup fatal qui vous faisait trembler.
    858 
    859 
    860 
    861 Vous sortez ? Vous avez entendu sa fortune :
    862 Sa présence à la fin pourrait être importune.
    863 
    864 
    865 
    866 Non : revenez. Quel est tous les jours votre emploi ?
    867 
    868 
    869 
    870 J’adore le Seigneur ; on m’explique sa loi ;
    871 Dans son livre divin on m’apprend à la lire ;
    872 Et déjà de ma main je commence à l’écrire.
    873 
    874 
    875 
    876 Que vous dit cette loi ? Que Dieu veut être aimé ;
    877 Qu’il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé,
    878 Qu’il est le défenseur de l’orphelin timide ;
    879 Qu’il résiste au superbe et punit l’homicide.
    880 
    881 
    882 
    883 J’entends. Mais tout ce peuple enfermé dans ce lieu,
    884 À quoi s’occupe-t-il ? Il loue, il bénit Dieu.
    885 
    886 
    887 
    888 Dieu veut-il qu’à toute heure on prie, on le contemple ?
    889 
    890 
    891 
    892 Tout profane exercice est banni de son temple.
    893 
    894 
    895 
    896 Quels sont donc vos plaisirs ? Quelquefois à l’autel
    897 Je présente au grand prêtre ou l’encens ou le sel ;
    898 J’entends chanter de Dieu les grandeurs infinies ;
    899 Je vois l’ordre pompeux de ses cérémonies.
    900 
    901 
    902 
    903 Eh quoi ! vous n’avez point de passe-temps plus doux ?
    904 Je plains le triste sort d’un enfant tel que vous.
    905 Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.
    906 
    907 
    908 
    909 Moi ! des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire !
    910 
    911 
    912 
    913 Non ! je ne vous veux pas contraindre à l’oublier.
    914 
    915 
    916 
    917 Vous ne le priez point. Vous pourrez le prier.
    918 
    919 
    920 
    921 Je verrais cependant en invoquer un autre.
    922 
    923 
    924 
    925 J’ai mon dieu que je sers, vous servirez le vôtre :
    926 Ce sont deux puissants dieux. Il faut craindre le mien.
    927 Lui seul est Dieu, madame ; et le vôtre n’est rien.
    928 
    929 
    930 
    931 Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule.
    932 
    933 
    934 
    935 Le bonheur des méchants comme un torrent s’écoule.
    936 
    937 
    938 
    939 Ces méchants, qui sont-ils ? Eh, madame ! excusez
    940 Un enfant… J’aime à voir comme vous l’instruisez.
    941 Enfin, Éliacin, vous avez su me plaire ;
    942 Vous n’êtes point sans doute un enfant ordinaire.
    943 Vous voyez, je suis reine et n’ai point d’héritier :
    944 Laissez là cet habit, quittez ce vil métier ;
    945 Je veux vous faire part de toutes mes richesses ;
    946 Essayez dès ce jour l’effet de mes promesses.
    947 À ma table, partout à mes côtés assis,
    948 Je prétends vous traiter comme mon propre fils.
    949 
    950 
    951 
    952 Comme votre fils ? Oui… Vous vous taisez ? Quel père
    953 Je quitterais ! et pour… Eh bien ? Pour quelle mère ! 
    954 
    955 
    956 Sa mémoire est fidèle ; et dans tout ce qu’il dit,
    957 De vous et de Joad je reconnais l’esprit.
    958 Voilà comme, infectant cette simple jeunesse,
    959 Vous employez tous deux le calme où je vous laisse.
    960 Vous cultivez déjà leur haine et leur fureur ;
    961 Vous ne leur prononcez mon nom qu’avec horreur.
    962 
    963 
    964 
    965 Peut-on de nos malheurs leur dérober l’histoire ?
    966 Tout l’univers les sait ; vous-même en faites gloire.
    967 
    968 
    969 
    970 Oui, ma juste fureur, et j’en fais vanité,
    971 A vengé mes parents sur ma postérité.
    972 J’aurais vu massacrer et mon père et mon frère,
    973 Du haut de son palais précipiter ma mère,
    974 Et dans un même jour égorger à la fois
    975 (Quel spectacle d’horreur !) quatre-vingts fils de rois :
    976 Et pourquoi ? pour venger je ne sais quels prophètes
    977 Dont elle avait puni les fureurs indiscrètes :
    978 Et moi, reine sans cœur, fille sans amitié,
    979 Esclave d’une lâche et frivole pitié,
    980 Je n’aurais pas du moins à cette aveugle rage
    981 Rendu meurtre pour meurtre, outrage pour outrage,
    982 Et de votre David traité tous les neveux
    983 Comme on traitait d’Achab les restes malheureux !
    984 Où serais-je aujourd’hui si, domptant ma faiblesse,
    985 Je n’eusse d’une mère étouffé la tendresse ;
    986 Si de mon propre sang ma main versant des flots
    987 N’eût par ce coup hardi réprimé vos complots ?
    988 Enfin de votre Dieu l’implacable vengeance
    989 Entre nos deux maisons rompit toute alliance :
    990 David m’est en horreur ; et les fils de ce roi,
    991 Quoique nés de mon sang, sont étrangers pour moi.
    992 
    993 
    994 
    995 Tout vous a réussi. Que Dieu voie, et nous juge.
    996 
    997 
    998 
    999 Ce Dieu, depuis longtemps votre unique refuge,
   1000 Que deviendra l’effet de ses prédictions ?
   1001 Qu’il vous donne ce roi promis aux nations,
   1002 Cet enfant de David, votre espoir, votre attente…
   1003 Mais nous nous reverrons. Adieu. Je sors contente :
   1004 J’ai voulu voir ; j’ai vu. Je vous l’avais promis :
   1005 Je vous rends le dépôt que vous m’avez commis.
   1006 
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   1010 
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   1013 Avez-vous entendu cette superbe reine,
   1014 Seigneur ? J’entendais tout, et plaignais votre peine.
   1015 Ces lévites et moi, prêts à vous secourir,
   1016 Nous étions avec vous résolus de périr.
   1017 Que Dieu veille sur vous, enfant dont le courage
   1018 
   1019 Vient de rendre à son nom ce noble témoignage.
   1020 Je reconnais, Abner, ce service important :
   1021 Souvenez-vous de l’heure où Joad vous attend.
   1022 Et nous, dont cette femme impie et meurtrière
   1023 A souillé les regards et troublé la prière,
   1024 Rentrons ; et qu’un sang pur, par mes mains épanché,
   1025 Lave jusques au marbre où ses pas ont touché.
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   1029 
   1030 Tatatatatata tatatata tatie
   1031 Tatatatatata tatata tatatie
   1032 
   1033 
   1034 Jeunes filles, allez : qu’on dise à Josabeth
   1035 Que Mathan veut ici lui parler en secret.
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   1039 Mathan ! Ô Dieu du ciel, puisses-tu le confondre !
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   1043 Eh quoi ! tout se disperse, et fuit sans vous répondre !
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   1047 Approchons. Téméraire, où voulez-vous passer ?
   1048 
   1049 Au-delà de ce lieu gardez-vous d’avancer :
   1050 C’est des ministres saints la demeure sacrée ;
   1051 Les lois à tout profane en défendent l’entrée.
   1052 Qui cherchez-vous ? Mon père, en ce jour solennel,
   1053 De l’idolâtre impur fuit l’aspect criminel ;
   1054 Et devant le Seigneur maintenant prosternée,
   1055 Ma mère en ce devoir craint d’être détournée.
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   1059 Mon fils, nous attendrons ; cessez de vous troubler.
   1060 C’est votre illustre mère à qui je veux parler ;
   1061 Je viens ici chargé d’un ordre de la reine.
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   1069 Leurs enfants ont déjà leur audace hautaine.
   1070 Mais que veut Athalie en cette occasion ?
   1071 D’où naît dans ses conseils cette confusion ?
   1072 Par l’insolent Joad ce matin offensée,
   1073 Et d’un enfant fatal en songe menacée,
   1074 Elle allait immoler Joad à son courroux,
   1075 Et dans ce temple enfin placer Baal et vous.
   1076 Vous m’en aviez déjà confié votre joie ;
   1077 Et j’espérais ma part d’une si riche proie.
   1078 Qui fait changer ainsi ses vœux irrésolus ?
   1079 
   1080 
   1081 
   1082 Ami, depuis deux jours je ne la connais plus.
   1083 Ce n’est plus cette reine éclairée, intrépide,
   1084 Élevée au-dessus de son sexe timide,
   1085 Qui d’abord accablait ses ennemis surpris,
   1086 Et d’un instant perdu connaissait tout le prix :
   1087 La peur d’un vain remords trouble cette grande âme ;
   1088 Elle flotte, elle hésite ; en un mot, elle est femme.
   1089 J’avais tantôt rempli d’amertume et de fiel
   1090 Son cœur déjà saisi des menaces du ciel ;
   1091 Elle-même, à mes soins confiant sa vengeance,
   1092 M’avait dit d’assembler sa garde en diligence ;
   1093 Mais soit que cet enfant devant elle amené,
   1094 De ses parents, dit-on, rebut infortuné,
   1095 Eût d’un songe effrayant diminué l’alarme,
   1096 Soit qu’elle eût même en lui vu je ne sais quel charme,
   1097 J’ai trouvé son courroux chancelant, incertain,
   1098 Et déjà remettant sa vengeance à demain.
   1099 Tous ses projets semblaient l’un l’autre se détruire :
   1100 « Du sort de cet enfant je me suis fait instruire,
   1101 « Ai-je dit : on commence à vanter ses aïeux ;
   1102 « Joad de temps en temps le montre aux factieux,
   1103 « Le fait attendre aux Juifs comme un autre Moïse,
   1104 « Et d’oracles menteurs s’appuie et s’autorise. »
   1105 Ces mots ont fait monter la rougeur sur son front.
   1106 Jamais mensonge heureux n’eut un effet si prompt.
   1107 « Est-ce à moi de languir dans cette incertitude ?
   1108 « Sortons, a-t-elle dit, sortons d’inquiétude.
   1109 « Vous-même à Josabeth prononcez cet arrêt :
   1110 « Les feux vont s’allumer, et le fer est tout prêt ;
   1111 « Rien ne peut de leur temple empêcher le ravage,
   1112 « Si je n’ai de leur foi cet enfant pour otage. »
   1113 
   1114 
   1115 
   1116 Eh bien ! pour un enfant qu’ils ne connaissent pas,
   1117 Que le hasard peut-être a jeté dans leurs bras,
   1118 Voudront-ils que leur temple enseveli sous l’herbe…
   1119 
   1120 
   1121 
   1122 Ah ! de tous les mortels connais le plus superbe.
   1123 Plutôt que dans mes mains par Joad soit livré
   1124 Un enfant qu’à son Dieu Joad a consacré,
   1125 Tu lui verras subir la mort la plus terrible.
   1126 D’ailleurs pour cet enfant leur attache est visible.
   1127 Si j’ai bien de la reine entendu le récit,
   1128 Joad sur sa naissance en sait plus qu’il ne dit.
   1129 Quel qu’il soit, je prévois qu’il leur sera funeste ;
   1130 Ils le refuseront : je prends sur moi le reste ;
   1131 Et j’espère qu’enfin de ce temple odieux
   1132 Et la flamme et le fer vont délivrer mes yeux.
   1133 
   1134 
   1135 
   1136 Qui peut vous inspirer une haine si forte ?
   1137 Est-ce que de Baal le zèle vous transporte ?
   1138 Pour moi, vous le savez, descendu d’Ismaël,
   1139 Je ne sers ni Baal, ni le Dieu d’Israël.
   1140 
   1141 
   1142 
   1143 Ami, peux-tu penser que d’un zèle frivole
   1144 Je me laisse aveugler pour une vaine idole,
   1145 Pour un fragile bois, que, malgré mon secours,
   1146 Les vers sur son autel consument tous les jours ?
   1147 Né ministre du Dieu qu’en ce temple on adore,
   1148 Peut-être que Mathan le servirait encore,
   1149 Si l’amour des grandeurs, la soif de commander,
   1150 Avec son joug étroit pouvaient s’accommoder.
   1151 Qu’est-il besoin, Nabal, qu’à tes yeux je rappelle
   1152 De Joad et de moi la fameuse querelle,
   1153 Quand j’osai contre lui disputer l’encensoir,
   1154 Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir ?
   1155 Vaincu par lui, j’entrai dans une autre carrière,
   1156 Et mon âme à la cour s’attacha tout entière.
   1157 J’approchai par degrés de l’oreille des rois,
   1158 Et bientôt en oracle on érigea ma voix.
   1159 J’étudiai leur cœur, je flattai leurs caprices ;
   1160 Je leur semai de fleurs les bords des précipices ;
   1161 Près de leurs passions rien ne me fut sacré ;
   1162 De mesure et de poids je changeais à leur gré.
   1163 Autant que de Joad l’inflexible rudesse
   1164 De leur superbe oreille offensait la mollesse ;
   1165 Autant je les charmais par ma dextérité :
   1166 Dérobant à leurs yeux la triste vérité :
   1167 Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables,
   1168 Et prodigue surtout du sang des misérables.
   1169 Enfin, au dieu nouveau qu’elle avait introduit,
   1170 
   1171 Par les mains d’Athalie un temple fut construit.
   1172 Jérusalem pleura de se voir profanée ;
   1173 Des enfants de Lévi la troupe consternée
   1174 En poussa vers le ciel des hurlements affreux.
   1175 Moi seul, donnant l’exemple aux timides Hébreux,
   1176 Déserteur de leur loi, j’approuvai l’entreprise,
   1177 Et par là de Baal méritai la prêtrise ;
   1178 Par là je me rendis terrible à mon rival,
   1179 Je ceignis la tiare, et marchai son égal.
   1180 Toutefois, je l’avoue, en ce comble de gloire,
   1181 Du Dieu que j’ai quitté l’importune mémoire
   1182 Jette encore en mon âme un reste de terreur :
   1183 Et c’est ce qui redouble et nourrit ma fureur.
   1184 Heureux si, sur son temple achevant ma vengeance,
   1185 Je puis convaincre enfin sa haine d’impuissance,
   1186 Et parmi les débris, le ravage et les morts,
   1187 À force d’attentats perdre tous mes remords !
   1188 Mais voici Josabeth. Envoyé par la reine
   1189 Pour rétablir le calme et dissiper la haine,
   1190 Princesse, en qui le ciel mit un esprit si doux,
   1191 Ne vous étonnez pas si je m’adresse à vous.
   1192 Un bruit, que j’ai pourtant soupçonné de mensonge,
   1193 Appuyant les avis qu’elle a reçus en songe,
   1194 Sur Joad, accusé de dangereux complots,
   1195 Allait de sa colère attirer tous les flots.
   1196 Je ne veux point ici vous vanter mes services :
   1197 De Joad contre moi je sais les injustices ;
   1198 Mais il faut à l’offense opposer les bienfaits.
   1199 Enfin, je viens chargé de paroles de paix.
   1200 Vivez, solennisez vos fêtes sans ombrage.
   1201 De votre obéissance elle ne veut qu’un gage :
   1202 C’est, pour l’en détourner j’ai fait ce que j’ai pu,
   1203 Cet enfant sans parents, qu’elle dit qu’elle a vu.
   1204 
   1205 
   1206 
   1207 Éliacin ? J’en ai pour elle quelque honte :
   1208 D’un vain songe peut-être elle fait trop de compte.
   1209 Mais vous vous déclarez ses mortels ennemis,
   1210 Si cet enfant sur l’heure en mes mains n’est remis.
   1211 La reine impatiente attend votre réponse.
   1212 
   1213 
   1214 
   1215 Et voilà de sa part la paix qu’on nous annonce !
   1216 
   1217 
   1218 
   1219 Pourriez-vous un moment douter de l’accepter ?
   1220 D’un peu de complaisance est-ce trop l’acheter ?
   1221 
   1222 
   1223 
   1224 J’admirais si Mathan, dépouillant l’artifice,
   1225 Avait pu de son cœur surmonter l’injustice,
   1226 Et si de tant de maux le funeste inventeur
   1227 De quelque ombre de bien pouvait être l’auteur.
   1228 
   1229 
   1230 
   1231 De quoi vous plaignez-vous ? Vient-on avec furie
   1232 Arracher de vos bras votre fils Zacharie ?
   1233 Quel est cet autre enfant si cher à votre amour ?
   1234 Ce grand attachement me surprend à mon tour.
   1235 Est-ce un trésor pour vous si précieux, si rare ?
   1236 Est-ce un libérateur que le ciel vous prépare ?
   1237 Songez-y : vos refus pourraient me confirmer
   1238 Un bruit sourd que déjà l’on commence à semer.
   1239 
   1240 
   1241 
   1242 Quel bruit ? Que cet enfant vient d’illustre origine ;
   1243 Qu’à quelque grand projet votre époux le destine.
   1244 
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   1246 
   1247 Et Mathan, par ce bruit qui flatte sa fureur…
   1248 
   1249 
   1250 
   1251 Princesse, c’est à vous à me tirer d’erreur.
   1252 Je sais que, du mensonge implacable ennemie,
   1253 Josabeth livrerait même sa propre vie,
   1254 S’il fallait que sa vie à sa sincérité
   1255 Coûtât le moindre mot contre la vérité.
   1256 Du sort de cet enfant on n’a donc nulle trace ?
   1257 Une profonde nuit enveloppe sa race ?
   1258 Et vous-même ignorez de quels parents issu,
   1259 De quelles mains Joad en ses bras l’a reçu ?
   1260 Parlez, je vous écoute, et suis prêt à vous croire :
   1261 Au Dieu que vous servez, princesse, rendez gloire.
   1262 
   1263 
   1264 
   1265 Méchant, c’est bien à vous d’oser ainsi nommer
   1266 Un Dieu que votre bouche enseigne à blasphémer !
   1267 Sa vérité par vous peut-elle être attestée,
   1268 Vous, malheureux, assis dans la chaire empestée,
   1269 Où le mensonge règne et répand son poison ;
   1270 Vous, nourri dans la fourbe et dans la trahison ?
   1271 
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   1273 
   1274 
   1275 
   1276 
   1277 
   1278 Où suis-je ? de Baal ne vois-je pas le prêtre ?
   1279 Quoi ! fille de David, vous parlez à ce traître !
   1280 Vous souffrez qu’il vous parle ! et vous ne craignez pas
   1281 Que du fond de l’abîme entr’ouvert sous ses pas
   1282 Il ne sorte à l’instant des feux qui vous embrasent,
   1283 Ou qu’en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent ?
   1284 Que veut-il ? de quel front cet ennemi de Dieu
   1285 Vient-il infecter l’air qu’on respire en ce lieu ?
   1286 
   1287 
   1288 
   1289 On reconnaît Joad à cette violence.
   1290 Toutefois il devrait montrer plus de prudence,
   1291 Respecter une reine, et ne pas outrager
   1292 Celui que de son ordre elle a daigné charger.
   1293 
   1294 
   1295 
   1296 Eh bien ! que nous fait-elle annoncer de sinistre ?
   1297 Quel sera l’ordre affreux qu’apporte un tel ministre ?
   1298 
   1299 
   1300 
   1301 J’ai fait à Josabeth savoir sa volonté.
   1302 
   1303 
   1304 
   1305 Sors donc de devant moi, monstre d’impiété.
   1306 De toutes tes horreurs, va, comble la mesure.
   1307 Dieu s’apprête à te joindre à la race parjure,
   1308 Abiron et Dathan, Doëg, Architophel :
   1309 Les chiens, à qui son bras a livré Jézabel,
   1310 Attendant que sur toi sa fureur se déploie,
   1311 Déjà sont à ta porte, et demandent leur proie.
   1312 
   1313 
   1314 Avant la fin du jour… on verra qui de nous…
   1315 
   1316 Doit… Mais sortons, Nabal. Où vous égarez-vous ?
   1317 De vos sens étonnés quel désordre s’empare ?
   1318 Voilà votre chemin. L’orage se déclare :
   1319 Athalie en fureur demande Éliacin.
   1320 Déjà de sa naissance et de votre dessein
   1321 On commence, seigneur, à percer le mystère ;
   1322 Peu s’en faut que Mathan ne m’ait nommé son père.
   1323 
   1324 
   1325 
   1326 Au perfide Mathan qui l’aurait révélé ?
   1327 Votre trouble à Mathan n’a-t-il point trop parlé ?
   1328 
   1329 
   1330 
   1331 J’ai fait ce que j’ai pu pour m’en rendre maîtresse.
   1332 Cependant, croyez-moi, seigneur, le péril presse.
   1333 Réservons cet enfant pour un temps plus heureux.
   1334 Tandis que les méchants délibèrent entre eux,
   1335 Avant qu’on l’environne, avant qu’on nous l’arrache,
   1336 Une seconde fois souffrez que je le cache :
   1337 Les portes, les chemins, lui sont encore ouverts.
   1338 Faut-il le transporter aux plus affreux déserts ?
   1339 Je suis prête : je sais une secrète issue
   1340 Par où, sans qu’on le voie, et sans être aperçue,
   1341 De Cédron avec lui traversant le torrent,
   1342 J’irai dans le désert où jadis en pleurant,
   1343 Et cherchant comme nous son salut dans la fuite,
   1344 David d’un fils rebelle évita la poursuite.
   1345 Je craindrai moins pour lui les lions et les ours…
   1346 Mais pourquoi de Jéhu refuser le secours ?
   1347 Je vous ouvre peut-être un avis salutaire.
   1348 Faisons de ce trésor Jéhu dépositaire :
   1349 On peut dans ses États le conduire aujourd’hui,
   1350 Et le chemin est court qui mène jusqu’à lui.
   1351 Jéhu n’a point un cœur farouche, inexorable ;
   1352 De David à ses yeux le nom est favorable.
   1353 Hélas ! est-il un roi si dur et si cruel,
   1354 À moins qu’il n’eût pour mère une autre Jézabel
   1355 Qui d’un tel suppliant ne plaignît l’infortune ?
   1356 Sa cause à tous les rois n’est-elle pas commune ?
   1357 
   1358 
   1359 
   1360 Quels timides conseils m’osez-vous suggérer ?
   1361 En l’appui de Jéhu pourriez-vous espérer ?
   1362 
   1363 
   1364 
   1365 Dieu défend-il tout soin et toute prévoyance ?
   1366 Ne l’offense-t-on point par trop de confiance ?
   1367 À ses desseins sacrés employant les humains,
   1368 N’a-t-il pas de Jéhu lui-même armé les mains ?
   1369 
   1370 
   1371 
   1372 Jéhu, qu’avait choisi sa sagesse profonde,
   1373 Jéhu, sur qui je vois que votre espoir se fonde,
   1374 D’un oubli trop ingrat a payé ses bienfaits :
   1375 Jéhu laisse d’Achab l’affreuse fille en paix,
   1376 Suit des rois d’Israël les profanes exemples,
   1377 Du vil dieu de l’Égypte a conservé les temples ;
   1378 Jéhu, sur les hauts lieux enfin osant offrir
   1379 Un téméraire encens que Dieu ne peut souffrir,
   1380 N’a pour servir sa cause et venger ses injures
   1381 Ni le cœur assez droit, ni les mains assez pures.
   1382 Non, non ; c’est à Dieu seul qu’il nous faut attacher.
   1383 Montrons Éliacin ; et, loin de le cacher,
   1384 Que du bandeau royal sa tête soit ornée ;
   1385 Je veux même avancer l’heure déterminée,
   1386 Avant que de Mathan le complot soit formé.
   1387 
   1388 
   1389 
   1390 
   1391 
   1392 
   1393 
   1394 Eh bien, Azarias, le temple est-il fermé ?
   1395 
   1396 
   1397 
   1398 J’en ai fait devant moi fermer toutes les portes.
   1399 
   1400 
   1401 
   1402 N’y reste-t-il que vous et vos saintes cohortes ?
   1403 
   1404 
   1405 
   1406 De ses parvis sacrés j’ai deux fois fait le tour.
   1407 Tout a fui, tous se sont séparés sans retour,
   1408 Misérable troupeau qu’a dispersé la crainte ;
   1409 Et Dieu n’est plus servi que dans la tribu sainte.
   1410 
   1411 Depuis qu’à Pharaon ce peuple est échappé,
   1412 Une égale terreur ne l’avait point frappé.
   1413 
   1414 
   1415 
   1416 Peuple lâche, en effet, et né pour l’esclavage,
   1417 Hardi contre Dieu seul ! Poursuivons notre ouvrage.
   1418 Mais qui retient encor ces enfants parmi nous ?
   1419 
   1420 
   1421 
   1422 Eh ! pourrions-nous, seigneur, nous séparer de vous ?
   1423 Dans le temple de Dieu sommes-nous étrangères ?
   1424 Vous avez près de vous nos pères et nos frères.
   1425 
   1426 
   1427 
   1428 Hélas ! si, pour venger l’opprobre d’Israël,
   1429 Nos mains ne peuvent pas, comme autrefois Jahel,
   1430 Des ennemis de Dieu percer la tête impie,
   1431 Nous lui pouvons du moins immoler notre vie.
   1432 Quand vos bras combattront pour son temple attaqué,
   1433 Par nos larmes du moins il peut être invoqué.
   1434 
   1435 
   1436 
   1437 Voilà donc quels vengeurs s’arment pour ta querelle,
   1438 Des prêtres, des enfants, ô Sagesse éternelle !
   1439 Mais si tu les soutiens, qui peut les ébranler ?
   1440 Du tombeau, quand tu veux, tu sais nous rappeler ;
   1441 Tu frappes et guéris, tu perds et ressuscites.
   1442 Ils ne s’assurent point en leurs propres mérites,
   1443 Mais en ton nom sur eux invoqué tant de fois,
   1444 En tes serments jurés au plus saint de leurs rois ;
   1445 En ce temple où tu fais ta demeure sacrée,
   1446 Et qui doit du soleil égaler la durée.
   1447 Mais d’où vient que mon cœur frémit d’un saint effroi ?
   1448 Est-ce l’Esprit divin qui s’empare de moi ?
   1449 C’est lui-même ; il m’échauffe, il parle : mes yeux s’ouvrent,
   1450 Et les siècles obscurs devant moi se découvrent.
   1451 Lévites, de vos sons prêtez-moi les accords,
   1452 Et de ses mouvements secondez les transports.
   1453 
   1454 
   1455 
   1456 
   1457 D’un pas majestueux, à côté de ma mère,
   1458 Le jeune Éliacin s’avance avec mon frère.
   1459 Dans ces voiles, mes sœurs, que portent-ils tous deux ?
   1460 Quel est ce glaive enfin qui marche devant eux ?
   1461 
   1462 
   1463 
   1464 Mon fils, avec respect posez sur cette table
   1465 De notre sainte loi le livre redoutable.
   1466 Et vous aussi, posez, aimable Éliacin,
   1467 Cet auguste bandeau près du livre divin.
   1468 Lévite, il faut placer, Joad ainsi l’ordonne,
   1469 Le glaive de David auprès de sa couronne.
   1470 
   1471 
   1472 
   1473 Princesse, quel est donc ce spectacle nouveau ?
   1474 Pourquoi ce livre saint, ce glaive, ce bandeau ?
   1475 Depuis que le Seigneur m’a reçu dans son temple,
   1476 D’un semblable appareil je n’ai point vu d’exemple.
   1477 
   1478 
   1479 
   1480 Tous vos doutes, mon fils, bientôt s’éclairciront.
   1481 
   1482 
   1483 
   1484 Vous voulez essayer ce bandeau sur mon front ?
   1485 Ah ! princesse, gardez d’en profaner la gloire :
   1486 
   1487 Du roi qui l’a porté respectez la mémoire.
   1488 Un malheureux enfant aux ours abandonné…
   1489 
   1490 
   1491 
   1492 Laissez, mon fils : je fais ce qui m’est ordonné.
   1493 
   1494 
   1495 
   1496 Mais j’entends les sanglots sortir de votre bouche !
   1497 Princesse, vous pleurez ! Quelle pitié vous touche ?
   1498 Est-ce qu’en holocauste aujourd’hui présenté,
   1499 Je dois, comme autrefois la fille de Jephté,
   1500 Du Seigneur par ma mort apaiser la colère ?
   1501 Hélas ! un fils n’a rien qui ne soit à son père.
   1502 
   1503 
   1504 
   1505 Voici qui vous dira les volontés des cieux.
   1506 Ne craignez rien. Et nous, sortons tous de ces lieux.
   1507 
   1508 
   1509 
   1510 
   1511 
   1512 
   1513 
   1514 Mon père ! Eh bien, mon fils ? Qu’est-ce donc qu’on prépare ?
   1515 
   1516 
   1517 
   1518 Il est juste, mon fils, que je vous le déclare.
   1519 Il faut que vous soyez instruit, même avant tous,
   1520 Des grands desseins de Dieu sur son peuple et sur vous.
   1521 Armez-vous d’un courage et d’une foi nouvelle :
   1522 Il est temps de montrer cette ardeur et ce zèle
   1523 Qu’au fond de votre cœur mes soins ont cultivés,
   1524 Et de payer à Dieu ce que vous lui devez.
   1525 Sentez-vous cette noble et généreuse envie ?
   1526 
   1527 
   1528 
   1529 Je me sens prêt, s’il veut, de lui donner ma vie.
   1530 
   1531 
   1532 
   1533 On vous a lu souvent l’histoire de nos rois :
   1534 Vous souvient-il, mon fils, quelles étroites lois
   1535 Doit s’imposer un roi digne du diadème ?
   1536 
   1537 
   1538 
   1539 Un roi sage, ainsi Dieu l’a prononcé lui-même,
   1540 Sur la richesse et l’or ne met point son appui,
   1541 Craint le Seigneur son Dieu, sans cesse a devant lui
   1542 Ses préceptes, ses lois, ses jugements sévères,
   1543 Et d’injustes fardeaux n’accable point ses frères.
   1544 
   1545 
   1546 
   1547 Mais sur l’un de ces rois s’il fallait vous régler,
   1548 À qui choisiriez-vous, mon fils, de ressembler ?
   1549 
   1550 
   1551 
   1552 David, pour le Seigneur plein d’un amour fidèle,
   1553 Me paraît des grands rois le plus parfait modèle.
   1554 
   1555 
   1556 
   1557 Ainsi dans leurs excès vous n’imiteriez pas
   1558 L’infidèle Joram, l’impie Ochozias ?
   1559 
   1560 
   1561 
   1562 Ô mon père ! Achevez, dites : que vous en semble ?
   1563 
   1564 
   1565 
   1566 Puisse périr comme eux quiconque leur ressemble !
   1567 Mon père, en quel état vous vois-je devant moi !
   1568 
   1569 
   1570 
   1571 Je vous rends le respect que je dois à mon roi.
   1572 De votre aïeul David, Joas, rendez-vous digne.
   1573 
   1574 
   1575 
   1576 Joas ! Moi ? Vous saurez par quelle grâce insigne,
   1577 D’une mère en fureur Dieu trompant le dessein,
   1578 Quand déjà son poignard était dans votre sein,
   1579 Vous choisit, vous sauva du milieu du carnage.
   1580 Vous n’êtes pas encore échappé de sa rage :
   1581 Avec la même ardeur qu’elle voulut jadis
   1582 Perdre en vous le dernier des enfants de son fils,
   1583 À vous faire périr sa cruauté s’attache,
   1584 Et vous poursuit encor sous le nom qui vous cache.
   1585 Mais sous vos étendards j’ai déjà su ranger
   1586 Un peuple obéissant et prompt à vous venger.
   1587 Entrez, généreux chefs des familles sacrées,
   1588 Du ministère saint tour à tour honorées.
   1589 
   1590 
   1591 
   1592 
   1593 
   1594 
   1595 
   1596 Roi, voilà vos vengeurs contre vos ennemis.
   1597 Prêtres, voilà le roi que je vous ai promis.
   1598 
   1599 
   1600 
   1601 Quoi ! c’est Éliacin ? Quoi ! cet enfant aimable… 
   1602 
   1603 
   1604 Est des rois de Juda l’héritier véritable,
   1605 Dernier né des enfants du triste Ochozias,
   1606 Nourri, vous le savez, sous le nom de Joas.
   1607 De cette fleur si tendre et sitôt moissonnée,
   1608 Tout Juda, comme vous, plaignant la destinée,
   1609 Avec ses frères morts le crut enveloppé.
   1610 Du perfide couteau comme eux il fut frappé ;
   1611 Mais Dieu du coup mortel sut détourner l’atteinte,
   1612 Conserva dans son cœur la chaleur presque éteinte
   1613 Permit que des bourreaux trompant l’œil vigilant,
   1614 Josabeth dans son sein l’emportât tout sanglant,
   1615 Et n’ayant de son vol que moi seul pour complice,
   1616 Dans le temple cachât l’enfant et la nourrice.
   1617 
   1618 
   1619 
   1620 Hélas ! de tant d’amour et de tant de bienfaits,
   1621 Mon père, quel moyen de m’acquitter jamais ?
   1622 
   1623 
   1624 
   1625 Gardez pour d’autres temps cette reconnaissance.
   1626 Voilà donc votre roi, votre unique espérance.
   1627 J’ai pris soin jusqu’ici de vous le conserver :
   1628 Ministres du seigneur, c’est à vous d’achever.
   1629 Bientôt de Jézabel la fille meurtrière,
   1630 Instruite que Joas voit encor la lumière,
   1631 Dans l’horreur du tombeau viendra le replonger :
   1632 Déjà, sans le connaître, elle veut l’égorger.
   1633 Prêtres saints, c’est à vous de prévenir sa rage ;
   1634 Il faut finir des Juifs le honteux esclavage,
   1635 Venger vos princes morts, relever votre loi,
   1636 Et faire aux deux tribus reconnaître leur roi.
   1637 L’entreprise, sans doute, est grande et périlleuse :
   1638 J’attaque sur son trône une reine orgueilleuse,
   1639 Qui voit sous ses drapeaux marcher un camp nombreux
   1640 De hardis étrangers, d’infidèles Hébreux ;
   1641 Mais ma force est au Dieu dont l’intérêt me guide.
   1642 Songez qu’en cet enfant tout Israël réside.
   1643 Déjà ce Dieu vengeur commence à la troubler ;
   1644 Déjà, trompant ses soins, j’ai su vous rassembler.
   1645 Elle nous croit ici sans armes, sans défense.
   1646 Couronnons, proclamons Joas en diligence :
   1647 De là, du nouveau prince intrépides soldats,
   1648 Marchons, en invoquant l’arbitre des combats ;
   1649 Et réveillant la foi dans les cœurs endormie,
   1650 Jusque dans son palais cherchons notre ennemie.
   1651 Et quels cœurs si plongés dans un lâche sommeil,
   1652 Nous voyant avancer dans ce saint appareil,
   1653 Ne s’empresseront pas à suivre notre exemple ?
   1654 Un roi que Dieu lui-même a nourri dans son temple,
   1655 Le successeur d’Aaron de ses prêtres suivi,
   1656 Conduisant au combat les enfants de Lévi,
   1657 Et dans ces mêmes mains des peuples révérées
   1658 Les armes au Seigneur par David consacrées !
   1659 Dieu sur ses ennemis répandra sa terreur.
   1660 Dans l’infidèle sang baignez-vous sans horreur ;
   1661 Frappez et Tyriens, et même Israélites.
   1662 Ne descendez-vous pas de ces fameux lévites
   1663 Qui, lorsqu’au dieu du Nil le volage Israël
   1664 Rendit dans le désert un culte criminel,
   1665 De leurs plus chers parents saintement homicides,
   1666 Consacrèrent leurs mains dans le sang des perfides,
   1667 Et par ce noble exploit vous acquirent l’honneur
   1668 D’être seuls employés aux autels du Seigneur ?
   1669 Mais je vois que déjà vous brûlez de me suivre.
   1670 Jurez donc, avant tout, sur cet auguste livre,
   1671 À ce roi que le ciel vous redonne aujourd’hui,
   1672 De vivre, de combattre et de mourir pour lui.
   1673 
   1674 
   1675 
   1676 Oui, nous jurons ici pour nous, pour tous nos frères,
   1677 De rétablir Joas au trône de ses pères,
   1678 De ne poser le fer entre nos mains remis,
   1679 Qu’après l’avoir vengé de tous ses ennemis.
   1680 Si quelque transgresseur enfreint cette promesse,
   1681 Qu’il éprouve, grand Dieu, ta fureur vengeresse ;
   1682 Qu’avec lui ses enfants, de ton partage exclus,
   1683 Soient au rang de ces morts que tu ne connais plus !
   1684 
   1685 
   1686 
   1687 Et vous, à cette loi votre règle éternelle,
   1688 Roi, ne jurez-vous pas d’être toujours fidèle ?
   1689 
   1690 
   1691 
   1692 Pourrais-je à cette loi ne me pas conformer ?
   1693 
   1694 
   1695 
   1696 Ô mon fils, de ce nom j’ose encor vous nommer,
   1697 Souffrez cette tendresse, et pardonnez aux larmes
   1698 Que m’arrachent pour vous de trop justes alarmes.
   1699 Loin du trône nourri, de ce fatal honneur,
   1700 Hélas ! vous ignorez le charme empoisonneur ;
   1701 De l’absolu pouvoir vous ignorez l’ivresse,
   1702 Et des lâches flatteurs la voix enchanteresse.
   1703 Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois,
   1704 Maîtresses du vil peuple, obéissent aux rois ;
   1705 Qu’un roi n’a d’autre frein que sa volonté même ;
   1706 Qu’il doit immoler tout à sa grandeur suprême ;
   1707 Qu’aux larmes, au travail, le peuple est condamné,
   1708 Et d’un sceptre de fer veut être gouverné ;
   1709 Que, s’il n’est opprimé, tôt ou tard il opprime :
   1710 Ainsi de piége en piége, et d’abîme en abîme,
   1711 Corrompant de vos mœurs l’aimable pureté,
   1712 Ils vous feront enfin haïr la vérité,
   1713 Vous peindront la vertu sous une affreuse image.
   1714 Hélas ! ils ont des rois égaré le plus sage.
   1715 Promettez sur ce livre, et devant ces témoins,
   1716 Que Dieu fera toujours le premier de vos soins ;
   1717 Que, sévère aux méchants, et des bons le refuge,
   1718 Entre le pauvre et vous, vous prendrez Dieu pour juge ;
   1719 Vous souvenant, mon fils, que, caché sous ce lin,
   1720 Comme eux vous fûtes pauvre, et comme eux orphelin.
   1721 
   1722 
   1723 
   1724 Je promets d’observer ce que la loi m’ordonne.
   1725 Mon Dieu, punissez-moi si je vous abandonne.
   1726 
   1727 
   1728 
   1729 Venez : de l’huile sainte il faut vous consacrer ;
   1730 Paraissez, Josabeth : vous pouvez vous montrer.
   1731 
   1732 
   1733 
   1734 
   1735 
   1736 
   1737 
   1738 Ô roi, fils de David ! Ô mon unique mère !
   1739 Venez, cher Zacharie, embrasser votre frère.
   1740 
   1741 
   1742 
   1743 Aux pieds de votre roi, prosternez-vous, mon fils.
   1744 
   1745 
   1746 
   1747 Enfants, ainsi toujours puissiez-vous être unis !
   1748 
   1749 
   1750 
   1751 Vous savez donc quel sang vous a donné la vie ?
   1752 
   1753 
   1754 
   1755 Et je sais quelle main sans vous me l’eût ravie.
   1756 
   1757 
   1758 
   1759 De votre nom, Joas, je puis donc vous nommer.
   1760 
   1761 
   1762 
   1763 Joas ne cessera jamais de vous aimer.
   1764 
   1765 
   1766 
   1767 Quoi ! c’est là… C’est Joas. Écoutons ce lévite.
   1768 
   1769 
   1770 
   1771 
   1772 
   1773 
   1774 
   1775 J’ignore contre Dieu quel projet on médite ;
   1776 Mais l’airain menaçant frémit de toutes parts ;
   1777 On voit luire des feux parmi des étendards,
   1778 Et sans doute Athalie assemble son armée :
   1779 Déjà même au secours toute voie est fermée ;
   1780 Déjà le sacré mont où le temple est bâti
   1781 D’insolents Tyriens est partout investi ;
   1782 L’un d’eux, en blasphémant, vient de nous faire entendre
   1783 Qu’Abner est dans les fers, et ne peut nous défendre.
   1784 
   1785 
   1786 
   1787 Cher enfant, que le ciel en vain m’avait rendu,
   1788 Hélas ! pour vous sauver j’ai fait ce que j’ai pu :
   1789 Dieu ne se souvient plus de David votre père !
   1790 
   1791 
   1792 
   1793 Quoi ! vous ne craignez pas d’attirer sa colère
   1794 Sur vous et sur ce roi si cher à votre amour ?
   1795 Et quand Dieu, de vos bras l’arrachant sans retour,
   1796 Voudrait que de David la maison fût éteinte,
   1797 N’êtes-vous pas ici sur la montagne sainte
   1798 Où le père des Juifs sur son fils innocent
   1799 Leva sans murmurer un bras obéissant,
   1800 Et mit sur un bûcher ce fruit de sa vieillesse,
   1801 Laissant à Dieu le soin d’accomplir sa promesse ;
   1802 Et lui sacrifiant, avec ce fils aimé,
   1803 Tout l’espoir de sa race, en lui seul renfermé ?
   1804 Amis, partageons-nous : qu’Ismaël en sa garde
   1805 Prenne tout le côté que l’Orient regarde ;
   1806 Vous, le côté de l’Ourse ; et vous, de l’Occident ;
   1807 Vous, le Midi. Qu’aucun, par un zèle imprudent,
   1808 Découvrant mes desseins, soit prêtre, soit lévite,
   1809 Ne sorte avant le temps, et ne se précipite ;
   1810 Et que chacun enfin, d’un même esprit poussé,
   1811 Garde en mourant le poste où je l’aurai placé.
   1812 L’ennemi nous regarde, en son aveugle rage,
   1813 Comme de vils troupeaux réservés au carnage,
   1814 Et croit ne rencontrer que désordre et qu’effroi.
   1815 Qu’Azarias partout accompagne le roi.
   1816 Venez, cher rejeton d’une vaillante race,
   1817 
   1818 Remplir vos défenseurs d’une nouvelle audace ;
   1819 Venez du diadème à leurs yeux vous couvrir,
   1820 Et périssez du moins en roi, s’il faut périr.
   1821 Suivez-le, Josabeth. Vous, donnez-moi ces armes.
   1822 Enfants, offrez à Dieu vos innocentes larmes.
   1823 
   1824 
   1825 
   1826 
   1827 
   1828 
   1829 
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   1832 
   1833 
   1834 
   1835 
   1836 
   1837 
   1838 Tatatatatata tatatatatatous
   1839 Cher Zacharie, eh bien ! que nous apprenez-vous ?
   1840 
   1841 
   1842 
   1843 Redoublez au Seigneur votre ardente prière :
   1844 Peut-être nous touchons à notre heure dernière.
   1845 Pour l’horrible combat, ma sœur, l’ordre est donné.
   1846 
   1847 
   1848 
   1849 Que fait Joas ? Joas vient d’être couronné :
   1850 Le grand prêtre a sur lui répandu l’huile sainte.
   1851 Ô ciel ! dans tous les yeux quelle joie était peinte
   1852 À l’aspect de ce roi racheté du tombeau !
   1853 Ma sœur, on voit encor la marque du couteau ;
   1854 On voit paraître aussi sa fidèle nourrice,
   1855 Qui, cachée en un coin de ce vaste édifice,
   1856 Gardait ce cher dépôt, et n’avait de ses soins
   1857 Que les yeux de ma mère et que Dieu pour témoins.
   1858 Nos lévites pleuraient de joie et de tendresse,
   1859 Et mêlaient leurs sanglots à leurs cris d’allégresse.
   1860 Lui, parmi ces transports, affable et sans orgueil,
   1861 À l’un tendait la main, flattait l’autre de l’œil,
   1862 Jurait de se régler par leurs avis sincères,
   1863 Et les appelait tous ses pères ou ses frères.
   1864 
   1865 
   1866 
   1867 Ce secret au dehors est-il aussi semé ?
   1868 
   1869 
   1870 
   1871 Ce secret dans le temple est encor renfermé.
   1872 Des enfants de Lévi la troupe partagée
   1873 Dans un profond silence aux portes s’est rangée.
   1874 Tous doivent à la fois précipiter leurs pas,
   1875 Et crier pour signal : Vive le roi Joas !
   1876 Mais mon père défend que le roi se hasarde,
   1877 Et veut qu’Azarias demeure pour sa garde.
   1878 Cependant Athalie, un poignard à la main,
   1879 Rit des faibles remparts de nos portes d’airain.
   1880 Pour les rompre elle attend les fatales machines,
   1881 Et ne respire enfin que sang et que ruines.
   1882 Quelques prêtres, ma sœur, ont d’abord proposé
   1883 Qu’en un lieu souterrain, par nos pères creusé,
   1884 On renfermât du moins notre arche précieuse.
   1885 « Ô crainte, a dit mon père, indigne, injurieuse !
   1886 « L’arche qui fit tomber tant de superbes tours,
   1887 « Et força le Jourdain de rebrousser son cours,
   1888 « Des dieux des nations tant de fois triomphante,
   1889 « Fuirait donc à l’aspect d’une femme insolente ! »
   1890 Ma mère, auprès du roi, dans un trouble mortel,
   1891 L’œil tantôt sur ce prince et tantôt vers l’autel,
   1892 Muette, et succombant sous le poids des alarmes,
   1893 Aux yeux les plus cruels arracherait des larmes.
   1894 Le roi de temps en temps la presse entre ses bras,
   1895 La flatte… Chères sœurs, suivez toutes mes pas ;
   1896 Et s’il faut aujourd’hui que notre roi périsse,
   1897 Allons, qu’un même sort avec lui nous unisse.
   1898 
   1899 
   1900 
   1901 Quelle insolente main frappe à coups redoublés ?
   1902 Qui fait courir ainsi ces lévites troublés ?
   1903 Quelle précaution leur fait cacher leurs armes ?
   1904 Le temple est-il forcé ? Dissipez vos alarmes :
   1905 Dieu nous envoie Abner. En croirai-je mes yeux,
   1906 
   1907 Cher Abner ? Quel chemin a pu jusqu’en ces lieux
   1908 Vous conduire au travers d’un camp qui nous assiége ?
   1909 On disait que d’Achab la fille sacrilége
   1910 Avait, pour assurer ses projets inhumains,
   1911 Chargé d’indignes fers vos généreuses mains.
   1912 
   1913 
   1914 
   1915 Oui, seigneur, elle a craint mon zèle et mon courage ;
   1916 Mais c’est le moindre prix que me gardait sa rage.
   1917 Dans l’horreur d’un cachot, par son ordre enfermé,
   1918 J’attendais que, le temple en cendre consumé,
   1919 De tant de flots de sang non encore assouvie,
   1920 Elle vînt m’affranchir d’une importune vie,
   1921 Et retrancher des jours qu’aurait dû mille fois
   1922 Terminer la douleur de survivre à mes rois.
   1923 
   1924 
   1925 
   1926 Par quel miracle a-t-on obtenu votre grâce ?
   1927 
   1928 
   1929 
   1930 Dieu dans ce cœur cruel sait seul ce qui se passe.
   1931 Elle m’a fait venir ; et d’un air égaré :
   1932 « Tu vois de mes soldats tout ce temple entouré,
   1933 « Dit-elle ; un feu vengeur va le réduire en cendre,
   1934 « Et ton Dieu contre moi ne le saurait défendre.
   1935 « Ses prêtres toutefois, mais il faut se hâter,
   1936 « À deux conditions peuvent se racheter :
   1937 « Qu’avec Éliacin on mette en ma puissance
   1938 « Un trésor dont je sais qu’ils ont la connaissance,
   1939 « Par votre roi David autrefois amassé,
   1940 « Sous le sceau du secret au grand prêtre laissé.
   1941 « Va, dis-leur qu’à ce prix je leur permets de vivre. »
   1942 
   1943 
   1944 
   1945 Quel conseil, cher Abner, croyez-vous qu’on doit suivre ?
   1946 
   1947 
   1948 
   1949 Et tout l’or de David, s’il est vrai qu’en effet
   1950 Vous gardiez de David quelque trésor secret ;
   1951 Et tout ce que des mains de cette reine avare
   1952 Vous avez pu sauver et de riche et de rare,
   1953 Donnez-le. Voulez-vous que d’impurs assassins
   1954 Viennent briser l’autel, brûler les chérubins,
   1955 Et portant sur notre arche une main téméraire,
   1956 De votre propre sang souiller le sanctuaire ?
   1957 
   1958 
   1959 
   1960 Mais siérait-il, Abner, à des cœurs généreux
   1961 De livrer au supplice un enfant malheureux,
   1962 Un enfant que Dieu même à ma garde confie,
   1963 Et de nous racheter aux dépens de sa vie ?
   1964 
   1965 
   1966 
   1967 Hélas ! Dieu voit mon cœur. Plût à ce Dieu puissant
   1968 Qu’Athalie oubliât un enfant innocent,
   1969 Et que du sang d’Abner sa cruauté contente
   1970 Crût calmer par ma mort le ciel qui la tourmente !
   1971 Mais que peuvent pour lui vos inutiles soins ?
   1972 Quand vous périrez tous, en périra-t-il moins ?
   1973 Dieu vous ordonne-t-il de tenter l’impossible ?
   1974 Pour obéir aux lois d’un tyran inflexible,
   1975 Moïse, par sa mère au Nil abandonné,
   1976 Se vit, presque en naissant, à périr condamné ;
   1977 Mais Dieu le conservant contre toute espérance,
   1978 Fit par le tyran même élever son enfance.
   1979 Qui sait ce qu’il réserve à votre Éliacin ;
   1980 Et si, lui préparant un semblable destin,
   1981 Il n’a point de pitié déjà rendu capable
   1982 De nos malheureux rois l’homicide implacable ?
   1983 Du moins, et Josabeth comme moi l’a pu voir,
   1984 Tantôt à son aspect je l’ai vu s’émouvoir ;
   1985 J’ai vu de son courroux tomber la violence.
   1986 Princesse, en ce péril vous gardez le silence !
   1987 Eh quoi ! pour un enfant qui vous est étranger,
   1988 Souffrez-vous que sans fruit Joad laisse égorger
   1989 Vous, son fils, tout ce peuple, et que le feu dévore
   1990 Le seul lieu sur la terre où Dieu veut qu’on l’adore ?
   1991 Que feriez-vous de plus, si des rois vos aïeux
   1992 Ce jeune enfant était un reste précieux !
   1993 
   1994 
   1995 
   1996 Pour le sang de ses rois vous voyez sa tendresse :
   1997 Que ne lui parlez-vous ? Il n’est pas temps, princesse.
   1998 
   1999 
   2000 
   2001 Le temps est cher, seigneur, plus que vous ne pensez.
   2002 Tandis qu’à me répondre ici vous balancez,
   2003 Mathan, près d’Athalie, étincelant de rage,
   2004 Demande le signal, et presse le carnage.
   2005 Faut-il que je me mette à vos sacrés genoux ?
   2006 Au nom d’un lieu si saint qui n’est ouvert qu’à vous,
   2007 Lieu terrible où de Dieu la majesté repose,
   2008 Quelque dure que soit la loi qu’on vous impose,
   2009 De ce coup imprévu songeons à nous parer.
   2010 Donnez-moi seulement le temps de respirer :
   2011 Demain, dès cette nuit, je prendrai des mesures
   2012 Pour assurer le temple et venger ses injures.
   2013 Mais je vois que mes pleurs et que mes vains discours
   2014 Pour vous persuader sont un faible secours ;
   2015 Votre austère vertu n’en peut être frappée :
   2016 Eh bien ! trouvez-moi donc quelque arme, quelque épée ;
   2017 Et qu’aux portes du temple, où l’ennemi m’attend,
   2018 Abner puisse du moins mourir en combattant.
   2019 
   2020 
   2021 
   2022 Je me rends. Vous m’ouvrez un avis que j’embrasse :
   2023 De tant de maux, Abner, détournons la menace.
   2024 Il est vrai, de David un trésor est resté,
   2025 La garde en fut commise à ma fidélité ;
   2026 C’était des tristes Juifs l’espérance dernière,
   2027 Que mes soins vigilants cachaient à la lumière.
   2028 Mais puisqu’à votre reine il faut le découvrir,
   2029 Je vais la contenter, nos portes vont s’ouvrir.
   2030 De ses plus braves chefs qu’elle entre accompagnée ;
   2031 Mais de nos saints autels qu’elle tienne éloignée
   2032 
   2033 D’un ramas d’étrangers l’indiscrète fureur ;
   2034 Du pillage du temple épargnez-moi l’horreur.
   2035 Des prêtres, des enfants lui feraient-ils quelque ombre ?
   2036 De sa suite avec vous qu’elle règle le nombre.
   2037 Et quand à cet enfant si craint, si redouté,
   2038 De votre cœur, Abner, je connais l’équité ;
   2039 Je vous veux devant elle expliquer sa naissance ;
   2040 Vous verrez s’il le faut remettre en sa puissance ;
   2041 Et je vous ferai juge entre Athalie et lui.
   2042 
   2043 
   2044 
   2045 Ah ! je le prends déjà, seigneur, sous mon appui.
   2046 Ne craignez rien. Je cours vers celle qui m’envoie.
   2047 
   2048 
   2049 
   2050 
   2051 
   2052 
   2053 
   2054 Grand Dieu ! voici ton heure ; on t’amène ta proie !
   2055 Ismaël, écoutez. Puissant maître des cieux,
   2056 Remets-lui le bandeau dont tu couvris ses yeux
   2057 Lorsque, lui dérobant tout le fruit de son crime,
   2058 Tu cachas dans mon sein cette tendre victime !
   2059 
   2060 
   2061 
   2062 Allez, sage Ismaël, ne perdez point de temps ;
   2063 Suivez de point en point ces ordres importants ;
   2064 Surtout qu’à son entrée, et que sur son passage,
   2065 Tout d’un calme profond lui présente l’image.
   2066 Vous, enfants, préparez un trône pour Joas ;
   2067 Qu’il s’avance suivi de nos sacrés soldats.
   2068 Faites venir aussi sa fidèle nourrice,
   2069 Princesse, et de vos pleurs que la source tarisse.
   2070 Vous, dès que cette reine ivre d’un fol orgueil,
   2071 
   2072 De la porte du temple aura passé le seuil ;
   2073 Qu’elle ne pourra plus retourner en arrière,
   2074 Prenez soin qu’à l’instant la trompette guerrière,
   2075 Dans le camp ennemi jette un subit effroi ;
   2076 Appelez tout le peuple au secours de son roi ;
   2077 Et faites retentir jusques à son oreille
   2078 De Joas conservé l’étonnante merveille.
   2079 Il vient. Lévites saints, prêtres de notre Dieu,
   2080 Partout sans vous montrer environnez ce lieu ;
   2081 Et laissant à mes soins gouverner votre zèle,
   2082 Pour paraître attendez que ma voix vous appelle.
   2083 Roi, je crois qu’à vos vœux cet espoir est permis ;
   2084 
   2085 Venez voir à vos pieds tomber vos ennemis.
   2086 Celle dont la fureur poursuivit votre enfance
   2087 Vers ces lieux à grands pas pour vous perdre s’avance ;
   2088 Mais ne la craignez point ; songez qu’autour de vous
   2089 L’ange exterminateur est debout avec nous.
   2090 Montez sur votre trône, et… Mais la porte s’ouvre :
   2091 Permettez un moment que ce voile vous couvre.
   2092 Vous changez de couleur, princesse ! Ah ! sans pâlir,
   2093 Puis-je voir d’assassins le temple se remplir ?
   2094 Quoi ! ne voyez-vous pas quelle nombreuse escorte…
   2095 
   2096 
   2097 
   2098 Je vois que du saint temple on referme la porte :
   2099 Tout est en sûreté. Te voilà, séducteur,
   2100 De ligues, de complots pernicieux auteur,
   2101 Qui dans le trouble seul a mis tes espérances,
   2102 Éternel ennemi des suprêmes puissances !
   2103 En l’appui de ton Dieu tu t’étais reposé :
   2104 De ton espoir frivole es-tu désabusé ?
   2105 Il laisse en mon pouvoir et son temple et ta vie.
   2106 Je devrais sur l’autel où ta main sacrifie
   2107 Te… Mais du prix qu’on m’offre il faut me contenter.
   2108 Ce que tu m’as promis, songe à l’exécuter :
   2109 Cet enfant, ce trésor qu’il faut qu’on me remette,
   2110 Où sont-ils ? Sur-le-champ tu seras satisfaite :
   2111 Je te les vais montrer l’un et l’autre à la fois.
   2112 
   2113 Paraissez, cher enfant, digne sang de nos rois.
   2114 Connais-tu l’héritier du plus saint des monarques,
   2115 Reine ? de ton poignard connais du moins ces marques.
   2116 Voilà ton roi, ton fils, le fils d’Ochozias.
   2117 Peuples, et vous, Abner, reconnaissez Joas.
   2118 
   2119 
   2120 
   2121 Ciel ! Perfide ! Vois-tu cette Juive fidèle
   2122 Dont tu sais bien qu’alors il suçait la mamelle ?
   2123 Il fut par Josabeth à ta rage enlevé ;
   2124 Ce temple le reçut, et Dieu l’a conservé.
   2125 Des trésors de David voilà ce qui me reste.
   2126 
   2127 
   2128 
   2129 Ta fourbe à cet enfant, traître, sera funeste.
   2130 D’un fantôme odieux, soldats, délivrez-moi.
   2131 
   2132 
   2133 
   2134 Soldats du Dieu vivant, défendez votre roi.
   2135 
   2136 
   2137 
   2138 Où suis-je ? ô trahison ! ô reine infortunée !
   2139 D’armes et d’ennemis je suis environnée !
   2140 
   2141 
   2142 
   2143 Tes yeux cherchent en vain, tu ne peux échapper,
   2144 Et Dieu de toutes parts a su t’envelopper.
   2145 Ce Dieu que tu bravais en nos mains t’a livrée :
   2146 Rends-lui compte du sang dont tu t’es enivrée.
   2147 
   2148 
   2149 
   2150 Quoi ! la peur a glacé mes indignes soldats !
   2151 Lâche Abner, dans quel piége as-tu conduit mes pas !
   2152 
   2153 
   2154 
   2155 Reine, Dieu m’est témoin… Laisse là ton Dieu, traître,
   2156 Et venge-moi. Sur qui ? sur Joas ! sur mon maître !
   2157 
   2158 
   2159 
   2160 Lui, Joas ! lui ton roi ! Songez, méchants, songez
   2161 Que mes armes encor vous tiennent assiégés.
   2162 J’entends à haute voix tout mon camp qui m’appelle.
   2163 On vient à mon secours : tremblez, troupe rebelle !
   2164 
   2165 
   2166 
   2167 
   2168 
   2169 
   2170 
   2171 Seigneur, le temple est libre, et n’a plus d’ennemis :
   2172 L’étranger est en fuite, et le Juif est soumis.
   2173 Comme le vent dans l’air dissipe la fumée,
   2174 La voix du Tout-Puissant a chassé cette armée.
   2175 Nos lévites, du haut de nos sacrés parvis,
   2176 D’Ochozias au peuple ont annoncé le fils,
   2177 Ont conté son enfance au glaive dérobée,
   2178 Et la fille d’Achab dans le piége tombée.
   2179 Partout en même temps la trompette a sonné ;
   2180 Et ses sons et leurs cris dans son camp étonné
   2181 Ont répandu le trouble et la terreur subite
   2182 Dont Gédéon frappa le fier Madianite.
   2183 Les Tyriens, jetant armes et boucliers,
   2184 Ont par divers chemins disparu les premiers ;
   2185 Quelques Juifs éperdus ont aussi pris la fuite ;
   2186 Mais de Dieu sur Joas admirant la conduite,
   2187 Le reste à haute voix s’est pour lui déclaré.
   2188 Enfin, d’un même esprit tout le peuple inspiré,
   2189 Femmes, vieillards, enfants, s’embrassant avec joie,
   2190 Bénissent le Seigneur et celui qu’il envoie.
   2191 Tous chantent de David le fils ressuscité.
   2192 Baal est en horreur dans la sainte cité ;
   2193 De son temple profane on a brisé les portes ;
   2194 Mathan est égorgé. Dieu des Juifs, tu l’emportes !
   2195 Oui, c’est Joas ; je cherche en vain à me tromper ;
   2196 Je reconnais l’endroit où je le fis frapper ;
   2197 Je vois d’Ochozias et le port et le geste ;
   2198 Tout me retrace enfin un sang que je déteste.
   2199 David, David triomphe ; Achab seul est détruit.
   2200 Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit !
   2201 C’est toi qui me flattant d’une vengeance aisée,
   2202 M’as vingt fois en un jour à moi-même opposée :
   2203 Tantôt pour un enfant excitant mes remords,
   2204 Tantôt m’éblouissant de tes riches trésors,
   2205 Que j’ai craint de livrer aux flammes, au pillage.
   2206 Qu’il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage ;
   2207 Et que pour signaler son empire nouveau,
   2208 On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau !
   2209 Voici ce qu’en mourant lui souhaite sa mère :
   2210 Que dis-je, souhaiter ? je me flatte, j’espère
   2211 Qu’indocile à ton joug, fatigué de ta loi,
   2212 Fidèle au sang d’Achab, qu’il a reçu de moi,
   2213 Conforme à son aïeul, à son père semblable,
   2214 On verra de David l’héritier détestable
   2215 Abolir tes honneurs, profaner ton autel,
   2216 Et venger Athalie, Achab et Jézabel.
   2217 
   2218 
   2219 
   2220 Qu’à l’instant hors du temple elle soit emmenée,
   2221 Et que la sainteté n’en soit pas profanée.
   2222 Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris,
   2223 De leur sang par sa mort faire cesser les cris.
   2224 Si quelque audacieux embrasse sa querelle,
   2225 Qu’à la fureur du glaive on le livre avec elle.
   2226 
   2227 
   2228 
   2229 
   2230 
   2231 
   2232 
   2233 Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction,
   2234 Détournez loin de moi sa malédiction,
   2235 Et ne souffrez jamais qu’elle soit accomplie ;
   2236 Faites que Joas meure avant qu’il vous oublie.
   2237 
   2238 
   2239 
   2240 Appelez tout le peuple, et montrons-lui son roi ;
   2241 Qu’il lui vienne en ses mains renouveler sa foi.
   2242 Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnaissance,
   2243 De Jacob avec Dieu confirmer l’alliance,
   2244 Et saintement confus de nos égarements,
   2245 Nous rengager à lui par de nouveaux serments.
   2246 Abner, auprès du roi reprenez votre place.
   2247 
   2248 
   2249 
   2250 
   2251 
   2252 
   2253 
   2254 Eh bien ! de cette impie a-t-on puni l’audace ?
   2255 
   2256 
   2257 
   2258 Le fer a de sa vie expié les horreurs.
   2259 Jérusalem, longtemps en proie à ses fureurs,
   2260 De son joug odieux à la fin soulagée,
   2261 Avec joie en son sang la regarde plongée.
   2262 
   2263 
   2264 
   2265 Par cette fin terrible, et due à ses forfaits,
   2266 Apprenez, roi des Juifs, et n’oubliez jamais
   2267 Que les rois dans le ciel ont un juge sévère,
   2268 L’innocence un vengeur, et l’orphelin un père.