cyrano_full (129429B)
1 Holà ! Vos quinze sols ! J'entre gratis ! Pourquoi ? 2 Je suis chevau-léger de la maison du Roi ! 3 Vous ? Je ne paye pas ! Mais Je suis mousquetaire. 4 On ne commence qu'à deux heures. Le parterre 5 Est vide. Exerçons-nous au fleuret. Psit... Flanquin ! 6 Champagne ? Cartes. Dés. Jouons. Oui, mon coquin. 7 J'ai soustrait à mon maître un peu de luminaire. 8 C'est gentil de venir avant que l'on n'éclaire ! 9 Touche ! Trèfle ! Un baiser ! On voit ! Pas de danger ! 10 Lorsqu'on vient en avance, on est bien pour manger. 11 Plaçons-nous là, mon fils. Brelan d'as ! Un ivrogne 12 Doit boire son bourgogne À l'hôtel de Bourgogne ! 13 Ne se croirait-on pas en quelque mauvais lieu ? 14 Buveurs Bretteurs ! Joueurs ! Un baiser ! Jour de Dieu ! 15 -- Et penser que c'est dans une salle pareille 16 Qu'on joua du Rotrou, mon fils. Et du Corneille ! 17 Les pages, pas de farce ! Oh ! Monsieur ! Ce soupçon ! 18 As-tu de la ficelle ? Avec un hameçon. 19 On pourra de là-haut pêcher quelque perruque. 20 Or çà, jeunes escrocs, venez qu'on vous éduque : 21 Puis donc que vous volez pour la première fois 22 Hep ! Avez-vous des sarbacanes ? Et des pois ! 23 Que va-t-on nous jouer ? Clorise. De qui est-ce ? 24 De monsieur Balthazar Baro. C'est une pièce ! 25 La dentelle surtout des canons, coupez-la ! 26 Tenez, à la première du Cid, j'étais là ! 27 Les montres Vous verrez des acteurs très illustres 28 Les mouchoirs Montfleury Allumez donc les lustres ! 29 Bellerose, L'Epy, la Beaupré, Jodelet ! 30 Ah ! voici la distributrice ! Oranges, lait, 31 Eau de framboise, aigre de cèdre ! Place, brutes ! 32 Les marquis ! ... au parterre ? Oh ! pour quelques minutes. 33 Hé quoi ! Nous arrivons ainsi que les drapiers, 34 Sans déranger les gens ? sans marcher sur les pieds ? 35 Ah, fi ! fi ! fi ! Cuigy ! Brissaille ! Des fidèles ! 36 Mais oui, nous arrivons devant que les chandelles. 37 Ah, ne m'en parlez pas ! Je suis dans une humeur ! 38 Console-toi, marquis, car voici l'allumeur ! 39 Ah ! Lignière ! Pas encor gris ! Je vous présente ? 40 Baron de Neuvillette. Ah ! La tête est charmante. 41 Peuh ! Messieurs de Cuigy, de Brissaille Enchanté ! 42 Il est assez joli, mais n'est pas ajusté 43 Au dernier goût. Monsieur débarque de Touraine. 44 Oui, je suis à Paris depuis vingt jours à peine. 45 J'entre aux gardes demain, dans les Cadets. Voilà 46 La présidente Aubry ! Oranges, lait La... la 47 Du monde ! Eh, oui, beaucoup, Tout le bel air ! Mesdames 48 De Guéméné De Bois-Dauphin Que nous aimâmes 49 De Chavigny Qui de nos cœurs va se jouant ! 50 Tiens, monsieur de Corneille est arrivé de Rouen. 51 L'Académie est là ? Mais... j'en vois plus d'un membre ; 52 Voici Boudu, Boissat, et Cureau de la Chambre ; 53 Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud 54 Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c'est beau ! 55 Attention ! nos précieuses prennent place : 56 Barthénoïde, Urimédonte, Cassandace, 57 Félixérie Ah ! Dieu ! leurs surnoms sont exquis ! 58 Marquis, tu les sais tous ? Je les sais tous, marquis ! 59 Mon cher, je suis entré pour vous rendre service : 60 La dame ne vient pas. Je retourne à mon vice ! 61 Non ! ... Vous, qui chansonnez et la ville et la cour, 62 Restez : vous me direz pour qui je meurs d'amour. 63 Messieurs les violons ! Macarons, citronnée 64 J'ai peur qu'elle ne soit coquette et raffinée, 65 Je n'ose lui parler car je n'ai pas d'esprit. 66 Le langage aujourd'hui qu'on parle et qu'on écrit, 67 Me trouble. Je ne suis qu'un bon soldat timide. 68 -- Elle est toujours à droite, au fond : la loge vide. 69 Je pars. Oh ! non, restez ! Je ne peux. D'Assoucy 70 M'attend au cabaret. On meurt de soif, ici. 71 Orangeade ? Fi ! Lait ? Pouah ! Rivesalte ? Halte ! 72 Je reste encore un peu. -- Voyons ce rivesalte ? 73 Ah ! Ragueneau ! Le grand rôtisseur Ragueneau. 74 Monsieur, avez-vous vu monsieur de Cyrano ? 75 Le pâtissier des comédiens et des poètes ! 76 Trop d'honneur Taisez-vous, Mécène que vous êtes ! 77 Oui, ces messieurs chez moi se servent À crédit. 78 Poète de talent lui-même Ils me l'ont dit. 79 Fou de vers ! Il est vrai que pour une odelette 80 Vous donnez une tarte Oh ! une tartelette ! 81 Brave homme, il s'en excuse ! Et pour un triolet 82 Ne donnâtes-vous pas ? Des petits pains ! Au lait. 83 -- Et le théâtre, vous l'aimez ? Je l'idolâtre. 84 Vous payez en gâteaux vos billets de théâtre ! 85 Votre place, aujourd'hui, là, voyons, entre nous, 86 Vous a coûté combien ? Quatre flans. Quinze choux. 87 Monsieur de Cyrano n'est pas là ? Je m'étonne. 88 Pourquoi ? Montfleury joue ! En effet, cette tonne 89 Va nous jouer ce soir le rôle de Phédon. 90 Qu'importe à Cyrano ? Mais vous ignorez donc ? 91 Il fit à Montfleury, messieurs, qu'il prit en haine, 92 Défense, pour un mois, de reparaître en scène. 93 Eh bien ? Montfleury joue ! Il n'y peut rien. Oh ! oh ! 94 Moi, je suis venu voir ! Quel est ce Cyrano ? 95 C'est un garçon versé dans les colichemardes. 96 Noble ? Suffisamment. Il est cadet aux gardes. 97 Mais son ami Le Bret peut vous dire Le Bret ! 98 Vous cherchez Bergerac ? Oui, je suis inquiet ! 99 N'est-ce pas que cet homme est des moins ordinaires ? 100 Ah, c'est le plus exquis des êtres sublunaires ! 101 Rimeur ! Bretteur ! Physicien ! Musicien ! 102 Et quel aspect hétéroclite que le sien ! 103 Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne 104 Le solennel monsieur Philippe de Champaigne ; 105 Mais bizarre, excessif, extravagant, falot, 106 Il eût fourni, je pense, à feu Jacques Callot 107 Le plus fol spadassin à mettre entre ses masques : 108 Feutre à panache triple et pourpoint à six basques, 109 Cape que par derrière, avec pompe, l'estoc 110 Lève, comme une queue insolente de coq, 111 Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne 112 Fut et sera toujours l'alme Mère Gigogne, 113 Il promène, en sa fraise à la Pulcinella, 114 Un nez ! ... Ah ! messeigneurs, quel nez que ce nez-là ! 115 On ne peut voir passer un pareil nasigère 116 Sans s'écrier : "Oh ! non, vraiment, il exagère !" 117 Puis on sourit, on dit : "Il va l'enlever..." Mais 118 Monsieur de Bergerac ne l'enlève jamais. 119 Il le porte, -- et pourfend quiconque le remarque ! 120 Son glaive est la moitié des ciseaux de la Parque ! 121 Il ne viendra pas ! Si ! ... Je parie un poulet 122 À la Ragueneau ! Soit ! Ah, messieurs ! mais elle est 123 Épouvantablement ravissante ! Une pêche 124 Qui sourirait avec une fraise ! Et si fraîche 125 Qu'on pourrait, l'approchant, prendre un rhume de cœur ! 126 C'est elle ! Ah ! c'est elle ? Oui. Dites vite. J'ai peur. 127 Magdeleine Robin, dite Roxane. -- Fine. 128 Précieuse. Hélas ! Libre. Orpheline. Cousine 129 De Cyrano, -- dont on parlait Cet homme ? Hé ! hé ! 130 -- Comte de Guiche. Épris d'elle. Mais marié 131 À la nièce d'Armand de Richelieu. Désire 132 Faire épouser Roxane à certain triste sire, 133 Un monsieur de Valvert, vicomte ... et complaisant. 134 Elle n'y souscrit pas, mais de Guiche est puissant : 135 Il peut persécuter une simple bourgeoise. 136 D'ailleurs j'ai dévoilé sa manœuvre sournoise 137 Dans une chanson qui ... Ho ! il doit m'en vouloir ! 138 -- La fin était méchante... Écoutez Non. Bonsoir. 139 Vous allez ? Chez monsieur de Valvert ! Prenez garde : 140 C'est lui qui vous tuera ! Restez. On vous regarde. 141 C'est vrai ! C'est moi qui pars. J'ai soif ! Et l'on m'attend 142 -- Dans les tavernes ! Pas de Cyrano. Pourtant 143 Ah ! je veux espérer qu'il n'a pas vu l'affiche ! 144 Commencez ! Commencez ! Quelle cour, ce de Guiche ! 145 Fi ! ... Encore un Gascon ! Le Gascon souple et froid, 146 Celui qui réussit ! ... Saluons-le, crois-moi. 147 Les beaux rubans ! Quelle couleur, comte de Guiche ? 148 Baise-moi-ma-mignonne ou bien Ventre-de-biche ? 149 C'est couleur Espagnol malade. La couleur 150 Ne ment pas, car bientôt, grâce à votre valeur, 151 L'Espagnol ira mal, dans les Flandres ! Je monte 152 Sur scène. Venez-vous ? Viens, Valvert ! Le vicomte ! 153 Ah ! je vais lui jeter à la face mon Hein ? 154 Ay ! Je cherchais un gant ! Vous trouvez une main. 155 Lâchez-moi. Je vous livre un secret. Quel ? Lignière 156 Qui vous quitte Eh ! bien ? touche à son heure dernière. 157 Une chanson qu'il fit blessa quelqu'un de grand, 158 Et cent hommes -- j'en suis -- ce soir sont postés ! Cent ! 159 Par qui ? Discrétion Oh ! Professionnelle ! 160 Où seront-ils postés ? À la porte de Nesle. 161 Sur son chemin. Prévenez-le ! Mais où le voir ! 162 Allez courir tous les cabarets : le Pressoir 163 D'Or, la Pomme de Pin, la Ceinture qui craque, 164 Les Deux Torches, les Trois Entonnoirs, -- et dans chaque, 165 Laissez un petit mot d'écrit l'avertissant. 166 Oui, je cours ! Ah ! les gueux ! Contre un seul homme, cent ! 167 La quitter... elle ! Et lui ! ... -- Mais il faut que je sauve 168 Lignière ! Commencez. Ma perruque ! Il est chauve ! 169 Bravo, les pages ! ... Ha ! ha ! ha ! Petit gredin ! 170 Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! Ce silence soudain ? 171 Ah ? ...... La chose me vient d'être certifiée. 172 Chut ! -- Il paraît ? ... -- Non ! ... -- Si ! -- Dans la loge grillée. -- 173 Le Cardinal ! -- Le Cardinal ? -- Le Cardinal ! 174 Ah ! diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal ! 175 Mouchez cette chandelle ! Une chaise ! Silence ! 176 Montfleury entre en scène ? Oui, c'est lui qui commence. 177 Cyrano n'est pas là. J'ai perdu mon pari. 178 Tant mieux ! tant mieux ! Bravo, Montfleury ! Montfleury ! 179 Heureux qui loin des cours, dans un lieu solitaire, 180 Se prescrit à soi-même un exil volontaire, 181 Et qui, lorsque Zéphire a soufflé sur les bois 182 Coquin, ne t'ai-je pas interdit pour un mois ? 183 Hein ? -- Quoi ? -- Qu'est-ce ? C'est lui ! Cyrano ! Roi des pitres ! 184 Hors de scène a l'instant ! Oh ! Mais Tu récalcitres ? 185 Chut ! -- Assez ! -- Montfleury, jouez ! -- Ne craignez rien ! 186 Heureux qui loin des cours dans un lieu sol Eh bien ! 187 Faudra-t-il que je fasse, ô Monarque des drôles, 188 Une plantation de bois sur vos épaules ? 189 Heureux qui Sortez ! Oh ! Heureux qui loin des cours 190 Ah ! je vais me fâcher ! Venez à mon secours, 191 Messieurs ! Mais jouez donc ! Gros homme, si tu joues 192 Je vais être obligé de te fesser les joues ! 193 Assez ! Que les marquis se taisent sur leurs bancs, 194 Ou bien je fais tâter ma canne à leurs rubans ! 195 C'en est trop ! ... Montfleury Que Montfleury s'en aille, 196 Ou bien je l'essorille et le désentripaille ! 197 Mais Qu'il sorte ! Pourtant Ce n'est pas encor fait ? 198 Bon ! je vais sur la scène en guise de buffet, 199 Découper cette mortadelle d'Italie ! 200 En m'insultant, Monsieur, vous insultez Thalie ! 201 Si cette Muse, à qui, Monsieur, vous n'êtes rien, 202 Avait l'honneur de vous connaître, croyez bien 203 Qu'en vous voyant si gros et bête comme une urne, 204 Elle vous flanquerait quelque part son cothurne. 205 Montfleury ! Montfleury ! -- La pièce de Baro ! -- 206 Je vous en prie, ayez pitié de mon fourreau : 207 Si vous continuez, il va rendre sa lame ! 208 Hé ! là ! Sortez de scène ! Oh ! oh ! Quelqu'un réclame ? 209 Si j'entends une fois encor cette chanson, 210 Je vous assomme tous. Vous n'êtes pas Samson ! 211 Voulez-vous me prêter, Monsieur, votre mâchoire ? 212 C'est inouï ! C'est scandaleux ! C'est vexatoire ! 213 Ce qu'on s'amuse ! Kssi ! -- Montfleury ! -- Cyrano ! 214 Silence ! Hi han ! Bêê ! Ouah, ouah ! Cocorico ! 215 Je vous Miâou ! Je vous ordonne de vous taire ! 216 Et j'adresse un défi collectif au parterre ! 217 -- J'inscris les noms ! -- Approchez-vous, jeunes héros ! 218 Chacun son tour ! Je vais donner des numéros ! -- 219 Allons, quel est celui qui veut ouvrir la liste ? 220 Vous, Monsieur ? Non ! Vous ? Non ! Le premier duelliste, 221 Je l'expédie avec les honneurs qu'on lui doit ! 222 -- Que tous ceux qui veulent mourir lèvent le doigt. 223 La pudeur vous défend de voir ma lame nue ? 224 Pas un nom ? -- Pas un doigt ? -- C'est bien. Je continue. 225 Donc, je désire voir le théâtre guéri 226 De cette fluxion. Sinon le bistouri ! 227 Je Mes mains vont frapper trois claques, pleine lune ! 228 Vous vous éclipserez à la troisième. Ah ? Une ! 229 Je Restez ! Restera ... restera pas Je crois, 230 Messieurs Deux ! Je suis sûr qu'il vaudrait mieux que Trois ! 231 Hu ! ... hu ! ... Lâche ! ... Reviens ! Qu'il revienne, s'il l'ose ! 232 L'orateur de la troupe ! Ah ! ... Voilà Bellerose ! 233 Nobles seigneurs Non ! Non ! Jodelet ! Tas de veaux ! 234 Ah ! Ah ! Bravo ! très bien ! bravo ! Pas de bravos ! 235 Le gros tragédien dont vous aimez le ventre 236 S'est senti C'est un lâche ! Il dut sortir ! Qu'il rentre ! 237 Non ! Si ! Mais à la fin, monsieur, quelle raison 238 Avez-vous de haïr Montfleury ? Jeune oison, 239 J'ai deux raisons, dont chaque est suffisante seule. 240 Primo : c'est un acteur déplorable, qui gueule, 241 Et qui soulève avec des han ! de porteur d'eau, 242 Le vers qu'il faut laisser s'envoler ! -- Secundo : 243 Est mon secret Mais vous nous privez sans scrupule 244 De la Clorise ! Je m'entête Vieille mule ! 245 Les vers du vieux Baro valant moins que zéro, 246 J'interromps sans remords ! Ha ! -- Ho ! -- Notre Baro ! 247 Ma chère ! -- Peut-on dire ? ... Ah ! Dieu ! Belles personnes, 248 Rayonnez, fleurissez, soyez des échansonnes 249 De rêve, d'un sourire enchantez un trépas, 250 Inspirez-nous des vers... mais ne les jugez pas ! 251 Et l'argent qu'il va falloir rendre ! Bellerose, 252 Vous avez dit la seule intelligente chose ! 253 Au manteau de Thespis je ne fais pas de trous : 254 Attrapez cette bourse au vol, et taisez-vous ! 255 Ah ! ... Oh ! À ce prix-là, monsieur, je t'autorise 256 À venir chaque jour empêcher la Clorise ! 257 Hu ! ... Hu ! Dussions-nous même ensemble être hués ! 258 Il faut évacuer la salle ! Évacuez ! 259 C'est fou ! Le comédien Montfleury ! quel scandale ! 260 Mais il est protégé par le duc de Candale ! 261 Avez-vous un patron ? Non ! Vous n'avez pas ? Non ! 262 Quoi, pas un grand seigneur pour couvrir de son nom ? 263 Non, ai-je dit deux fois. Faut-il donc que je trisse ? 264 Non, pas de protecteur mais une protectrice ! 265 Mais vous allez quitter la ville ? C'est selon. 266 Mais le duc de Candale a le bras long ! Moins long 267 Que n'est le mien quand je lui mets cette rallonge ! 268 Mais vous ne songez pas à prétendre J'y songe. 269 Mais Tournez les talons, maintenant. Mais Tournez ! 270 -- Ou dites-moi pourquoi vous regardez mon nez. 271 Je Qu'a-t-il d'étonnant ? Votre Grâce se trompe 272 Est-il mol et ballant, monsieur, comme une trompe ? 273 Je n'ai pas Ou crochu comme un bec de hibou ? 274 Je Y distingue-t-on une verrue au bout ? 275 Mais Ou si quelque mouche, à pas lents, s'y promène ? 276 Qu'a-t-il d'hétéroclite ? Oh ! Est-ce un phénomène ? 277 Mais d'y porter les yeux j'avais su me garder ! 278 Et pourquoi, s'il vous plaît, ne pas le regarder ? 279 J'avais Il vous dégoûte alors ? Monsieur Malsaine 280 Vous semble sa couleur ? Monsieur ! Sa forme, obscène ? 281 Mais du tout ! Pourquoi donc prendre un air dénigrant ? 282 -- Peut-être que monsieur le trouve un peu trop grand ? 283 Je le trouve petit, tout petit, minuscule ! 284 Hein ? comment ? m'accuser d'un pareil ridicule ? 285 Petit, mon nez ? Holà ! Ciel ! Énorme, mon nez ! 286 -- Vil camus, sot camard, tête plate, apprenez 287 Que je m'enorgueillis d'un pareil appendice, 288 Attendu qu'un grand nez est proprement l'indice 289 D'un homme affable, bon, courtois, spirituel, 290 Libéral, courageux, tel que je suis, et tel 291 Qu'il vous est interdit à jamais de vous croire, 292 Déplorable maraud ! car la face sans gloire 293 Que va chercher ma main en haut de votre col, 294 Est aussi dénuée Aï ! De fierté, d'envol, 295 De lyrisme, de pittoresque, d'étincelle, 296 De somptuosité, de Nez enfin, que celle 297 Que va chercher ma botte au bas de votre dos ! 298 Au secours ! À la garde ! Avis donc aux badauds 299 Qui trouveraient plaisant mon milieu de visage, 300 Et si le plaisantin est noble, mon usage 301 Est de lui mettre, avant de le laisser s'enfuir, 302 Pas devant, et plus haut, du fer, et non du cuir ! 303 Mais à la fin il nous ennuie ! Il fanfaronne ! 304 Personne ne va donc lui répondre ? Personne ? 305 Attendez ! Je vais lui lancer un de ces traits ! 306 Vous... vous avez un nez... heu... un nez... très grand. Très ! 307 Ha ! C'est tout ? Mais Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme ! 308 On pouvait dire... Oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme 309 En variant le ton, -- par exemple, tenez : 310 Agressif : "Moi, monsieur, si j'avais un tel nez 311 Il faudrait sur-le-champ que je me l'amputasse !" 312 Amical : "Mais il doit tremper dans votre tasse ! 313 Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap !" 314 Descriptif : "C'est un roc ! ... c'est un pic ! ... c'est un cap ! 315 Que dis-je, c'est un cap ? ... C'est une péninsule !" 316 Curieux : "De quoi sert cette oblongue capsule ? 317 D'écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ?" 318 Gracieux : "Aimez-vous à ce point les oiseaux 319 Que paternellement vous vous préoccupâtes 320 De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ?" 321 Truculent : "Ça, monsieur, lorsque vous pétunez, 322 La vapeur du tabac vous sort-elle du nez 323 Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ?" 324 Prévenant : "Gardez-vous, votre tête entraînée 325 Par ce poids, de tomber en avant sur le sol !" 326 Tendre : "Faites-lui faire un petit parasol 327 De peur que sa couleur au soleil ne se fane !" 328 Pédant : "L'animal seul, monsieur, qu'Aristophane 329 Appelle Hippocampelephantocamélos 330 Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d'os !" 331 Cavalier : 'Quoi, l'ami, ce croc est à la mode ? 332 Pour pendre son chapeau, c'est vraiment très commode !' 333 Emphatique : "Aucun vent ne peut, nez magistral, 334 T'enrhumer tout entier, excepté le mistral !" 335 Dramatique : "C'est la Mer Rouge quand il saigne !" 336 Admiratif : "Pour un parfumeur, quelle enseigne !" 337 Lyrique : "Est-ce une conque, êtes-vous un triton ?" 338 Naïf : "Ce monument, quand le visite-t-on ?" 339 Respectueux : "Souffrez, monsieur, qu'on vous salue, 340 C'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur rue !" 341 Campagnard : "Hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain ! 342 C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain !" 343 Militaire : "Pointez contre cavalerie !" 344 Pratique : "Voulez-vous le mettre en loterie ? 345 Assurément, monsieur, ce sera le gros lot !" 346 Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot : 347 "Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître 348 A détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître !" 349 -- Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit 350 Si vous aviez un peu de lettres et d'esprit : 351 Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres, 352 Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres 353 Vous n'avez que les trois qui forment le mot : sot ! 354 Eussiez-vous eu, d'ailleurs, l'invention qu'il faut 355 Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries, 356 Me servir toutes ces folles plaisanteries, 357 Que vous n'en eussiez pas articulé le quart 358 De la moitié du commencement d'une, car 359 Je me les sers moi-même, avec assez de verve, 360 Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve. 361 Vicomte, laissez donc ! Ces grands airs arrogants ! 362 Un hobereau qui... qui... n'a même pas de gants ! 363 Et qui sort sans rubans, sans bouffettes, sans ganses ! 364 Moi, c'est moralement que j'ai mes élégances. 365 Je ne m'attife pas ainsi qu'un freluquet, 366 Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet ; 367 Je ne sortirais pas avec, par négligence, 368 Un affront pas très bien lavé, la conscience 369 Jaune encor de sommeil dans le coin de son œil, 370 Un honneur chiffonné, des scrupules en deuil. 371 Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise, 372 Empanaché d'indépendance et de franchise ; 373 Ce n'est pas une taille avantageuse, c'est 374 Mon âme que je cambre ainsi qu'en un corset, 375 Et tout couvert d'exploits qu'en rubans je m'attache, 376 Retroussant mon esprit ainsi qu'une moustache, 377 Je fais, en traversant les groupes et les ronds, 378 Sonner les vérités comme des éperons. 379 Mais, monsieur Je n'ai pas de gants ? ... la belle affaire ! 380 Il m'en restait un seul d'une très vieille paire ! 381 -- Lequel m'était d'ailleurs encor fort importun : 382 Je l'ai laissé dans la figure de quelqu'un. 383 Maraud, faquin, butor de pied plat ridicule ! 384 Ah ? ... Et moi, Cyrano-Savinien-Hercule 385 De Bergerac. Bouffon ! Ay ! Qu'est-ce encor qu'il dit ? 386 Il faut la remuer car elle s'engourdit 387 -- Ce que c'est que de la laisser inoccupée ! -- 388 Ay ! Qu'avez-vous ? J'ai des fourmis dans mon épée ! 389 Soit ! Je vais vous donner un petit coup charmant. 390 Poète ! Oui, monsieur, poète ! et tellement, 391 Qu'en ferraillant je vais -- hop ! -- à l'improvisade, 392 Vous composer une ballade. Une ballade ? 393 Vous ne vous doutez pas de ce que c'est, je crois ? 394 Mais La ballade, donc, se compose de trois 395 Couplets de huit vers Oh ! Et d'un envoi de quatre 396 Vous Je vais tout ensemble en faire une et me battre, 397 Et vous toucher, monsieur, au dernier vers. Non ! Non ? 398 Ballade du duel qu'en l'hôtel bourguignon 399 Monsieur de Bergerac eut avec un bélître ! 400 Qu'est-ce que c'est que ça, s'il vous plaît ? C'est le titre. 401 Place ! -- Très amusant ! -- Rangez-vous ! -- Pas de bruits ! 402 Attendez ! ... je choisis mes rimes... Là, j'y suis. 403 Ah ! Superbe ! Joli ! Pharamineux ! Nouveau ! 404 Insensé ! Compliments ! ... félicite ... bravo 405 C'est un héros ! Monsieur, voulez-vous me permettre ? 406 C'est tout à fait très bien, et je crois m'y connaître ; 407 J'ai du reste exprimé ma joie en trépignant ! 408 Comment s'appelle donc ce monsieur ? D'Artagnan. 409 Çà, causons ! Laisse un peu sortir cette cohue 410 Je peux rester ? Mais oui ! C'est Montfleury qu'on hue ! 411 Sic transit ! Balayez. Fermez. N'éteignez pas. 412 Nous allons revenir après notre repas, 413 Répéter pour demain une nouvelle farce. 414 Vous ne dînez donc pas ? Moi ? ... Non. Parce que ? Parce 415 Que je n'ai pas d'argent ! Comment ! le sac d'écus ? 416 Pension paternelle, en un jour, tu vécus ! 417 Pour vivre tout un mois, alors ? Rien ne me reste. 418 Jeter ce sac, quelle sottise ! Mais quel geste ! 419 Hum ! Monsieur... Vous savoir jeûner... le cœur me fend 420 J'ai là tout ce qu'il faut Prenez ! Ma chère enfant, 421 Encor que mon orgueil de Gascon m'interdise 422 D'accepter de vos doigts la moindre friandise, 423 J'ai trop peur qu'un refus ne vous soit un chagrin, 424 Et j'accepterai donc Oh ! peu de chose ! -- un grain 425 De ce raisin Un seul ! ... ce verre d'eau limpide ! 426 -- Et la moitié d'un macaron ! Mais c'est stupide ! 427 Oh ! quelque chose encor ! Oui. La main à baiser. 428 Merci, monsieur. Bonsoir. Je t'écoute causer. 429 Dîner ! Boisson ! Dessert ! Là, je me mets à table ! 430 -- Ah ! ... j'avais une faim, mon cher, épouvantable ! 431 -- Tu disais ? Que ces fats aux grands airs belliqueux 432 Te fausseront l'esprit si tu n'écoutes qu'eux ! 433 Va consulter des gens de bon sens, et t'informe 434 De l'effet qu'a produit ton algarade. Énorme. 435 Le Cardinal Il était là, le Cardinal ? 436 A dû trouver cela Mais très original. 437 Pourtant C'est un auteur. Il ne peut lui déplaire 438 Que l'on vienne troubler la pièce d'un confrère. 439 Tu te mets sur les bras, vraiment, trop d'ennemis ! 440 Combien puis-je, à peu près, ce soir, m'en être mis ? 441 Quarant'-huit. Sans compter les femmes. Voyons, compte ! 442 Montfleury, le bourgeois, de Guiche, le vicomte, 443 Baro, l'Académie Assez ! tu me ravis ! 444 Mais où te mènera la façon dont tu vis ? 445 Quel système est le tien ? J'errais dans un méandre ; 446 J'avais trop de partis, trop compliqués, à prendre ; 447 J'ai pris Lequel ? Mais le plus simple, de beaucoup. 448 J'ai décidé d'être admirable, en tout, pour tout ! 449 Soit ! -- Mais enfin, à moi, le motif de ta haine 450 Pour Montfleury, le vrai, dis-le-moi ! Ce Silène, 451 Si ventru que son doigt n'atteint pas son nombril, 452 Pour les femmes encor se croit un doux péril, 453 Et leur fait, cependant qu'en jouant il bredouille, 454 Des yeux de carpe avec ses gros yeux de grenouille ! 455 Et je le hais depuis qu'il se permit, un soir, 456 De poser son regard, sur celle... Oh !j'ai cru voir 457 Glisser sur une fleur une longue limace ! 458 Hein ? Comment ? Serait-il possible ? Que j'aimasse ? 459 J'aime. Et peut-on savoir ? tu ne m'as jamais dit ? 460 Qui j'aime ? ... Réfléchis, voyons. Il m'interdit 461 Le rêve d'être aimé même par une laide, 462 Ce nez qui d'un quart d'heure en tous lieux me précède ; 463 Alors, moi, j'aime qui ? ... Mais cela va de soi ! 464 J'aime -- mais c'est forcé ! -- la plus belle qui soit ! 465 La plus belle ? Tout simplement, qui soit au monde ! 466 La plus brillante, la plus fine, la plus blonde ! 467 Eh ! mon Dieu, quelle est donc cette femme ? Un danger 468 Mortel sans le vouloir, exquis sans y songer, 469 Un piège de nature, une rose muscade 470 Dans laquelle l'amour se tient en embuscade ! 471 Qui connaît son sourire a connu le parfait. 472 Elle fait de la grâce avec rien, elle fait 473 Tenir tout le divin dans un geste quelconque, 474 Et tu ne saurais pas, Vénus, monter en conque, 475 Ni toi, Diane, marcher dans les grands bois fleuris, 476 Comme elle monte en chaise et marche dans Paris ! 477 Sapristi ! je comprends. C'est clair ! C'est diaphane. 478 Magdeleine Robin, ta cousine ? Oui, -- Roxane. 479 Eh bien, mais c'est au mieux ! Tu l'aimes ? Dis-le-lui ! 480 Tu t'es couvert de gloire à ses yeux aujourd'hui ! 481 Regarde-moi, mon cher, et dis quelle espérance 482 Pourrait bien me laisser cette protubérance ! 483 Oh ! je ne me fais pas d'illusion ! -- Parbleu, 484 Oui, quelquefois, je m'attendris, dans le soir bleu ; 485 J'entre en quelque jardin où l'heure se parfume ; 486 Avec mon pauvre grand diable de nez je hume 487 L'avril, -- je suis des yeux, sous un rayon d'argent, 488 Au bras d'un cavalier, quelque femme, en songeant 489 Que pour marcher, à petits pas, dans de la lune, 490 Aussi moi j'aimerais au bras en avoir une, 491 Je m'exalte, j'oublie et j'aperçois soudain 492 L'ombre de mon profil sur le mur du jardin ! 493 Mon ami ! Mon ami, j'ai de mauvaises heures ! 494 De me sentir si laid, parfois, tout seul Tu pleures ? 495 Ah ! non, cela, jamais ! Non, ce serait trop laid, 496 Si le long de ce nez une larme coulait ! 497 Je ne laisserai pas, tant que j'en serai maître, 498 La divine beauté des larmes se commettre 499 Avec tant de laideur grossière ! ... Vois-tu bien, 500 Les larmes, il n'est rien de plus sublime, rien, 501 Et je ne voudrais pas qu'excitant la risée, 502 Une seule, par moi, fût ridiculisée ! 503 Va, ne t'attriste pas ! L'amour n'est que hasard ! 504 Non ! J'aime Cléopâtre : ai-je l'air d'un César ? 505 J'adore Bérénice : ai-je l'aspect d'un Tite ? 506 Mais ton courage ! ton esprit ! -- Cette petite 507 Qui t'offrait là, tantôt, ce modeste repas, 508 Ses yeux, tu l'as bien vu, ne te détestaient pas ! 509 C'est vrai ! Hé ! bien ! alors ? ... Mais, Roxane, elle-même, 510 Toute blême a suivi ton duel ! Toute blême ? 511 Son cœur et son esprit déjà sont étonnés ! 512 Ose, et lui parle, afin Qu'elle me rie au nez ? 513 Non ! -- C'est la seule chose au monde que je craigne ! 514 Monsieur, on vous demande Ah ! mon Dieu ! Sa duègne ! 515 De son vaillant cousin on désire savoir 516 Où l'on peut, en secret, le voir. Me voir ? Vous voir. 517 -- On a des choses à vous dire. Des ? Des choses ! 518 Ah, mon Dieu ! L'on ira, demain, aux primes roses 519 D'aurore, -- ouïr la messe à Saint-Roch. Ah ! mon Dieu ! 520 En sortant, -- où peut-on entrer, causer un peu ? 521 Où ? ... Je... mais... Ah ! mon Dieu ! Dites vite. Je cherche ! 522 Où ? Chez... chez... Ragueneau... le pâtissier Il perche ? 523 Dans la rue -- Ah ! mon Dieu, mon Dieu ! -- Saint-Honoré ! 524 On ira. Soyez-y. Sept heures. J'y serai. 525 Moi ! ... D'elle ! ... Un rendez-vous ! Eh bien ! tu n'es plus triste ? 526 Ah ! pour quoi que ce soit, elle sait que j'existe ! 527 Maintenant, tu vas être calme ? Maintenant 528 Mais je vais être frénétique et fulminant ! 529 Il me faut une armée entière a déconfire ! 530 J'ai dix cœurs ; j'ai vingt bras ; il ne peut me suffire 531 De pourfendre des nains Il me faut des géants ! 532 Hé ! psit ! là-bas ! Silence ! on répète céans ! 533 Nous partons ! Cyrano ! Qu'est-ce ? Une énorme grive 534 Qu'on t'apporte ! Lignière ! ... Hé, qu'est-ce qui t'arrive ? 535 Il te cherche ! Il ne peut rentrer chez lui ! Pourquoi ? 536 Ce billet m'avertit... cent hommes contre moi 537 À cause de... chanson... grand danger me menace 538 Porte de Nesle... Il faut, pour rentrer, que j'y passe 539 Permets-moi donc d'aller coucher sous... sous ton toit ! 540 Cent hommes, m'as-tu dit ? Tu coucheras chez toi ! 541 Mais Prends cette lanterne ! Et marche ! -- Je te jure 542 Que c'est moi qui ferai ce soir ta couverture ! 543 Vous, suivez à distance, et vous serez témoins ! 544 Mais cent hommes ! Ce soir, il ne m'en faut pas moins ! 545 Mais pourquoi protéger Voilà Le Bret qui grogne ! 546 Cet ivrogne banal ? Parce que cet ivrogne, 547 Ce tonneau de muscat, ce fût de rossoli, 548 Fit quelque chose un jour de tout à fait joli : 549 Au sortir d'une messe ayant, selon le rite, 550 Vu celle qu'il aimait prendre de l'eau bénite, 551 Lui que l'eau fait sauver, courut au bénitier, 552 Se pencha sur sa conque et le but tout entier ! 553 Tiens, c'est gentil, cela ! N'est-ce pas, la soubrette ? 554 Mais pourquoi sont-ils cent contre un pauvre poète ? 555 Marchons ! Et vous, messieurs, en me voyant charger, 556 Ne me secondez pas, quel que soit le danger ! 557 Oh ! mais, moi, je vais voir ! Venez ! Viens-tu, Cassandre ? 558 Venez tous, le Docteur, Isabelle, Léandre, 559 Tous ! Car vous allez joindre, essaim charmant et fol, 560 La farce italienne à ce drame espagnol, 561 Et, sur son ronflement tintant un bruit fantasque, 562 L'entourer de grelots comme un tambour de basque ! 563 Bravo ! -- Vite, une mante ! -- Un capuchon ! Allons ! 564 Vous nous jouerez un air, messieurs les violons ! 565 Bravo ! des officiers, des femmes en costume, 566 Et, vingt pas en avant Moi, tout seul, sous la plume 567 Que la gloire elle-même à ce feutre piqua, 568 Fier comme un Scipion triplement Nasica ! 569 -- C'est compris ? Défendu de me prêter main-forte ! -- 570 On y est ? ... Un, deux, trois ! Portier, ouvre la porte ! 571 Ah ! ... Paris fuit, nocturne et quasi nébuleux ; 572 Le clair de lune coule aux pentes des toits bleus ; 573 Un cadre se prépare, exquis, pour cette scène ; 574 Là-bas, sous des vapeurs en écharpe, la Seine, 575 Comme un mystérieux et magique miroir, 576 Tremble... Et vous allez voir ce que vous allez voir ! 577 À la porte de Nesle ! À la porte de Nesle ! 578 Ne demandiez-vous pas pourquoi, mademoiselle, 579 Contre ce seul rimeur cent hommes furent mis ? 580 C'est parce qu'on savait qu'il est de mes amis ! 581 Fruits en nougat ! Flan ! Paon ! Roinsoles ! Bœuf en daube ! 582 Sur les cuivres, déjà, glisse l'argent de l'aube ! 583 Étouffe en toi le dieu qui chante, Ragueneau ! 584 L'heure du luth viendra, -- c'est l'heure du fourneau ! 585 Vous, veuillez m'allonger cette sauce, elle est courte ! 586 De combien ? De trois pieds. Hein ? La tarte ! La tourte ! 587 Ma Muse, éloigne-toi, pour que tes yeux charmants 588 N'aillent pas se rougir au feu de ces sarments ! 589 Vous avez mal placé la fente de ces miches : 590 Au milieu la césure, -- entre les hémistiches ! 591 À ce palais de croûte, il faut, vous, mettre un toit 592 Et toi, sur cette broche interminable, toi, 593 Le modeste poulet et la dinde superbe, 594 Alterne-les, mon fils, comme le vieux Malherbe 595 Alternait les grands vers avec les plus petits, 596 Et fais tourner au feu des strophes de rôtis ! 597 Maître, en pensant à vous, dans le four, j'ai fait cuire 598 Ceci, qui vous plaira, je l'espère. Une lyre ! 599 En pâte de brioche. Avec des fruits confits ! 600 Et les cordes, voyez, en sucre je les fis. 601 Va boire à ma santé ! Chut ! ma femme ! Circule, 602 Et cache cet argent ! C'est beau ? C'est ridicule ! 603 Des sacs ? ... Bon. Merci. Ciel ! Mes livres vénérés ! 604 Les vers de mes amis ! déchirés ! démembrés ! 605 Pour en faire des sacs à mettre des croquantes 606 Ah ! vous renouvelez Orphée et les bacchantes ! 607 Et n'ai-je pas le droit d'utiliser vraiment 608 Ce que laissent ici, pour unique paiement, 609 Vos méchants écriveurs de lignes inégales ! 610 Fourmi ! ... n'insulte pas ces divines cigales ! 611 Avant de fréquenter ces gens-là, mon ami, 612 Vous ne m'appeliez pas bacchante, -- ni fourmi ! 613 Avec des vers, faire cela ! Pas autre chose. 614 Que faites-vous, alors, madame, avec la prose ? 615 Vous désirez, petits ? Trois pâtés. Là, bien roux 616 Et bien chauds. S'il vous plaît, enveloppez-les-nous ? 617 Hélas ! un de mes sacs ! Que je les enveloppe ? 618 Tel Ulysse, le jour qu'il quitta Pénélope 619 Pas celui-ci ! Le blond Phœbus... Pas celui-là ! 620 Eh bien ! qu'attendez-vous ? Voilà, voilà, voilà ! 621 Le sonnet à Philis ! ... mais c'est dur tout de même ! 622 C'est heureux qu'il se soit décidé ! Nicodème ! 623 Psit ! ... Petits ! ... Rendez-moi le sonnet à Philis, 624 Au lieu de trois pâtés je vous en donne six. 625 Philis ! ... Sur ce doux nom, une tache de beurre ! 626 Philis ! Quelle heure est-il ? Six heures. Dans une heure ! 627 Bravo ! J'ai vu Quoi donc ! Votre combat ! Lequel ? 628 Celui de l'hôtel de Bourgogne ! Ah ! ... Le duel ! 629 Oui, le duel en vers ! Il en a plein la bouche ! 630 Allons ! tant mieux ! À la fin de l'envoi, je touche ! 631 À la fin de l'envoi, je touche ! ... Que c'est beau ! 632 À la fin de l'envoi Quelle heure, Ragueneau ? 633 Six heures cinq ! ... je touche ! Oh ! faire une ballade ! 634 Qu'avez-vous à la main ? Rien. Une estafilade. 635 Courûtes-vous quelque péril ? Aucun péril. 636 Je crois que vous mentez ! Mon nez remuerait-il ? 637 Il faudrait que ce fût pour un mensonge énorme ! 638 J'attends ici quelqu'un. Si ce n'est pas sous l'orme, 639 Vous nous laisserez seuls. C'est que je ne peux pas ; 640 Mes rimeurs vont venir Pour leur premier repas. 641 Tu les éloigneras quand je te ferai signe 642 L'heure ? Six heures dix. Une plume ? De cygne. 643 Salut ! Qu'est-ce ? Un ami de ma femme. Un guerrier 644 Terrible, -- à ce qu'il dit ! Chut ! Écrire, -- plier, -- 645 Lui donner, -- me sauver Lâche ! ... Mais que je meure, 646 Si j'ose lui parler, lui dire un seul mot L'heure ? 647 Six et quart ! -- un seul mot de tous ceux que j'ai là ! 648 Tandis qu'en écrivant Eh bien ! écrivons-la, 649 Cette lettre d'amour qu'en moi-même j'ai faite 650 Et refaite cent fois, de sorte qu'elle est prête, 651 Et que mettant mon âme à côté du papier, 652 Je n'ai tout simplement qu'à la recopier. 653 Les voici vos crottés ! Confrère ! Cher confrère ! 654 Aigle des pâtissiers ! Ça sent bon dans votre aire, 655 O Phœbus-Rôtisseur ! Apollon maître-queux ! 656 Comme on est tout de suite à son aise avec eux ! 657 Nous fûmes retardés par la foule attroupée 658 À la porte de Nesle ! Ouverts à coups d'épée, 659 Huit malandrins sanglants illustraient les pavés ! 660 Huit ? ... Tiens, je croyais sept. Est-ce que vous savez 661 Le héros du combat ? Moi ? ... Non ! Et vous ? Peut-être ! 662 Je vous aime Un seul homme, assurait-on, sut mettre 663 Toute une bande en fuite ! Oh ! c'était curieux ! 664 Des piques, des bâtons jonchaient le sol ! vos yeux 665 On trouvait des chapeaux jusqu'au quai des Orfèvres ! 666 Sapristi ! ce dut être un féroce vos lèvres 667 Un terrible géant, l'auteur de ces exploits ! 668 Et je m'évanouis de peur quand je vous vois. 669 Qu'as-tu rimé de neuf, Ragueneau ? qui vous aime 670 Pas besoin de signer. Je la donne moi-même. 671 J'ai mis une recette en vers. Oyons ces vers ! 672 Cette brioche a mis son bonnet de travers. 673 Ce pain d'épice suit le rimeur famélique, 674 De ses yeux en amande aux sourcils d'angélique ! 675 Nous écoutons. Ce chou bave sa crème. Il rit. 676 Pour la première fois la Lyre me nourrit ! 677 Une recette en vers Tu déjeunes ? Tu dînes ! 678 Comment on fait les tartelettes amandines. 679 Exquis ! Délicieux ! Homph ! Bercés par ta voix, 680 Ne vois-tu pas comme ils s'empiffrent ? Je le vois 681 Sans regarder, de peur que cela ne les trouble ; 682 Et dire ainsi mes vers me donne un plaisir double, 683 Puisque je satisfais un doux faible que j'ai 684 Tout en laissant manger ceux qui n'ont pas mangé ! 685 Toi, tu me plais ! Hé là, Lise ? Ce capitaine 686 Vous assiège ? Oh ! mes yeux, d'une œillade hautaine, 687 Savent vaincre quiconque attaque mes vertus. 688 Euh ! pour des yeux vainqueurs, je les trouve battus. 689 Mais Ragueneau me plaît. C'est pourquoi, dame Lise, 690 Je défends que quelqu'un le ridicoculise. 691 Mais À bon entendeur Vraiment, vous m'étonnez ! 692 Répondez... sur son nez Sur son nez... sur son nez 693 Psit ! Nous serons bien mieux par là Psit ! psit ! Pour lire 694 Des vers Mais les gâteaux ! Emportons-les ! Je tire 695 Ma lettre si je sens seulement qu'il y a 696 Le moindre espoir ! Entrez ! Vous, deux mots, duègna ! 697 Quatre. Êtes-vous gourmande ? À m'en rendre malade. 698 Bon. Voici deux sonnets de monsieur Benserade 699 Heu ! que je vous remplis de darioles. Hou ! 700 Aimez-vous le gâteau qu'on nomme petit chou ? 701 Monsieur, j'en fais état, lorsqu'il est à la crème. 702 J'en plonge six pour vous dans le sein d'un poème 703 De Saint-Amant ! Et dans ces vers de Chapelain 704 Je dépose un fragment, moins lourd, de poupelin. 705 -- Ah ! Vous aimez les gâteaux frais ? J'en suis férue ! 706 Veuillez aller manger tous ceux-ci dans la rue. 707 Mais Et ne revenez qu'après avoir fini ! 708 Que l'instant entre tous les instants soit béni, 709 Où, cessant d'oublier qu'humblement je respire 710 Vous venez jusqu'ici pour me dire... me dire ? 711 Mais tout d'abord merci, car ce drôle, ce fat 712 Qu'au brave jeu d'épée, hier, vous avez fait mat, 713 C'est lui qu'un grand seigneur... épris de moi De Guiche ? 714 Cherchait à m'imposer... comme mari Postiche ? 715 Je me suis donc battu, madame, et c'est tant mieux, 716 Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux. 717 Puis... je voulais... Mais pour l'aveu que je viens faire, 718 Il faut que je revoie en vous le... presque frère, 719 Avec qui je jouais, dans le parc -- près du lac ! 720 Oui... vous veniez tous les étés à Bergerac ! 721 Les roseaux fournissaient le bois pour vos épées ? 722 Et les maïs, les cheveux blonds pour vos poupées ! 723 C'était le temps des jeux Des mûrons aigrelets 724 Le temps où vous faisiez tout ce que je voulais ! 725 Roxane, en jupons courts, s'appelait Madeleine 726 J'étais jolie, alors ? Vous n'étiez pas vilaine. 727 Parfois, la main en sang de quelque grimpement, 728 Vous accouriez ! -- Alors, jouant à la maman, 729 Je disais d'une voix qui tâchait d'être dure : 730 'Qu'est-ce que c'est encor que cette égratignure ?' 731 Oh ! C'est trop fort ! Et celle-ci ! Non ! Montrez-la ! 732 Hein ? à votre âge, encor ! -- Où t'es-tu fait cela ? 733 En jouant, du côté de la porte de Nesle. 734 Donnez ! Si gentiment ! Si gaiement maternelle ! 735 Et, dites-moi, -- pendant que j'ôte un peu le sang, -- 736 Ils étaient contre vous ? Oh ! pas tout à fait cent. 737 Racontez ! Non. Laissez. Mais vous, dites la chose 738 Que vous n'osiez tantôt me dire À présent, j'ose, 739 Car le passé m'encouragea de son parfum ! 740 Oui, j'ose maintenant. Voilà. J'aime quelqu'un. 741 Ah ! Qui ne le sait pas d'ailleurs. Ah ! Pas encore. 742 Ah ! Mais qui va bientôt le savoir, s'il l'ignore. 743 Ah ! Un pauvre garçon qui jusqu'ici m'aima 744 Timidement, de loin, sans oser le dire Ah ! 745 Laissez-moi votre main, voyons, elle a la fièvre. -- 746 Mais moi, j'ai vu trembler les aveux sur sa lèvre. 747 Ah ! Et figurez-vous, tenez, que, justement 748 Oui, mon cousin, il sert dans votre régiment ! 749 Ah ! Puisqu'il est cadet dans votre compagnie ! 750 Ah ! Il a sur son front de l'esprit, du génie, 751 Il est fier, noble, jeune, intrépide, beau Beau ! 752 Quoi ? Qu'avez-vous ? Moi, rien... C'est... c'est C'est ce bobo. 753 Enfin, je l'aime. Il faut d'ailleurs que je vous die 754 Que je ne l'ai jamais vu qu'à la Comédie 755 Vous ne vous êtes donc pas parlé ? Nos yeux seuls. 756 Mais comment savez-vous, alors ? Sous les tilleuls 757 De la place Royale, on cause... Des bavardes 758 M'ont renseignée Il est cadet ? Cadet aux gardes. 759 Son nom ? Baron Christian de Neuvillette. Hein ? 760 Il n'est pas aux cadets. Si, depuis ce matin : 761 Capitaine Carbon de Castel-Jaloux. Vite, 762 Vite, on lance son cœur ! ... Mais, ma pauvre petite 763 J'ai fini les gâteaux, monsieur de Bergerac ! 764 Eh bien ! lisez les vers imprimés sur le sac ! 765 Ma pauvre enfant, vous qui n'aimez que beau langage, 766 Bel esprit, -- si c'était un profane, un sauvage. 767 Non, il a les cheveux d'un héros de d'Urfé ! 768 S'il était aussi maldisant que bien coiffé ! 769 Non, tous les mots qu'il dit sont fins, je le devine ! 770 Oui, tous les mots sont fins quand la moustache est fine. 771 -- Mais si c'était un sot ! Eh bien ! j'en mourrais, là ! 772 Vous m'avez fait venir pour me dire cela ? 773 Je n'en sens pas très bien l'utilité, madame. 774 Ah, c'est que quelqu'un hier m'a mis la mort dans l'âme, 775 Et me disant que tous, vous êtes tous Gascons 776 Dans votre compagnie Et que nous provoquons 777 Tous les blancs-becs qui, par faveur, se font admettre 778 Parmi les purs Gascons que nous sommes, sans l'être ? 779 C'est ce qu'on vous a dit ? Et vous pensez si j'ai 780 Tremblé pour lui ! Non sans raison ! Mais j'ai songé 781 Lorsque invincible et grand, hier, vous nous apparûtes, 782 Châtiant ce coquin, tenant tête à ces brutes, -- 783 J'ai songé : s'il voulait, lui que tous ils craindront 784 C'est bien, je défendrai votre petit baron. 785 Oh ! n'est-ce pas que vous allez me le défendre ? 786 J'ai toujours eu pour vous une amitié si tendre. 787 Oui, oui. Vous serez son ami ? Je le serai. 788 Et jamais il n'aura de duel ? C'est juré. 789 Oh ! je vous aime bien. Il faut que je m'en aille. 790 Mais vous ne m'avez pas raconté la bataille 791 De cette nuit. Vraiment ce dut être inouï ! 792 -- Dites-lui qu'il m'écrive. Oh ! je vous aime ! Oui, oui. 793 Cent hommes contre vous ? Allons, adieu. -- Nous sommes 794 De grands amis ! Oui, oui. Qu'il m'écrive ! -- Cent hommes ! -- 795 Vous me direz plus tard. Maintenant, je ne puis. 796 Cent hommes ! Quel courage ! Oh ! j'ai fait mieux depuis. 797 Peut-on rentrer ? Oui Le voilà ! Mon capitaine ! 798 Notre héros ! Nous savons tout ! Une trentaine 799 De mes cadets sont là ! Mais Viens ! on veut te voir ! 800 Non ! Il boivent en face, à la Croix du Trahoir. 801 Je Le héros refuse. Il est d'humeur bourrue ! 802 Ah ! Sandious ! Les voici qui traversent la rue ! 803 Mille dious ! -- Capdedious ! -- Mordious ! -- Pocapdedious ! 804 Messieurs, vous êtes donc tous de Gascogne ! Tous ! 805 Bravo ! Baron ! Vivat ! Baron ! Que je t'embrasse ! 806 Baron ! Embrassons-le ! Baron ! ... baron ! ... de grâce 807 Vous êtes tous barons, messieurs ? Tous ! Le sont-ils ? 808 On ferait une tour rien qu'avec nos tortils ! 809 On te cherche ! Une foule en délire conduite 810 Par ceux qui cette nuit marchèrent à ta suite 811 Tu ne leur as pas dit où je me trouve ? Si ! 812 Monsieur, tout le Marais se fait porter ici ! 813 Et Roxane ? Tais-toi ! Cyrano ! Ma boutique 814 Est envahie ! On casse tout ! C'est magnifique ! 815 Mon ami... mon ami Je n'avais pas hier 816 Tant d'amis ! Le succès ! Si tu savais, mon cher 817 Si tu ? ... Tu ? ... Qu'est-ce donc qu'ensemble nous gardâmes ? 818 Je veux vous présenter, Monsieur, à quelques dames 819 Qui là, dans mon carrosse Et vous d'abord, à moi, 820 Qui vous présentera ? Mais qu'as-tu donc ? Tais-toi ! 821 Puis-je avoir des détails sur ? Non. C'est Théophraste, 822 Renaudot ! l'inventeur de la gazette. Baste ! 823 Cette feuille où l'on fait tant de choses tenir ! 824 On dit que cette idée a beaucoup d'avenir ! 825 Monsieur Encor ! Je veux faire un pentacrostiche 826 Sur votre nom Monsieur Assez ! Monsieur de Guiche ! 827 Vient de la part du maréchal de Gassion ! 828 Qui tient à vous mander son admiration 829 Pour le nouvel exploit dont le bruit vient de courre. 830 Bravo ! Le maréchal s'y connaît en bravoure. 831 Il n'aurait jamais cru le fait si ces messieurs 832 N'avaient pu lui jurer l'avoir vu. De nos yeux ! 833 Mais Tais-toi ! Tu parais souffrir ! Devant ce monde ? 834 Moi souffrir ? ... Tu vas voir ! Votre carrière abonde 835 De beaux exploits, déjà. -- Vous servez chez ces fous 836 De Gascons, n'est-ce pas ? Aux cadets, oui. Chez nous ! 837 Ah ! ah ! ... Tous ces messieurs à la mine hautaine, 838 Ce sont donc les fameux ? Cyrano ! Capitaine ? 839 Puisque ma compagnie est, je crois, au complet, 840 Veuillez la présenter au comte, s'il vous plaît. 841 Un poète est un luxe, aujourd'hui, qu'on se donne. 842 -- Voulez-vous être à moi ? Non, Monsieur, à personne. 843 Votre verve amusa mon oncle Richelieu, 844 Hier. Je veux vous servir auprès de lui. Grand Dieu ! 845 Vous avez bien rimé cinq actes, j'imagine ? 846 Tu vas faire jouer, mon cher, ton Agrippine ! 847 Portez-les-lui. Vraiment ? Il est des plus experts. 848 Il vous corrigera seulement quelques vers 849 Impossible, Monsieur ; mon sang se coagule 850 En pensant qu'on y peut changer une virgule. 851 Mais quand un vers lui plaît, en revanche, mon cher, 852 Il le paye très cher. Il le paye moins cher 853 Que moi, lorsque j'ai fait un vers, et que je l'aime, 854 Je me le paye, en me le chantant à moi-même ! 855 Vous êtes fier. Vraiment, vous l'avez remarqué ? 856 Regarde, Cyrano ! ce matin, sur le quai 857 Le bizarre gibier à plumes que nous prîmes ! 858 Les feutres des fuyards ! Des dépouilles opimes ! 859 Ah ! Ah ! Ah ! Celui qui posta ces gueux, ma foi, 860 Doit rager aujourd'hui. Sait-on qui c'est ? C'est moi. 861 Je les avais chargés de châtier, -- besogne 862 Qu'on ne fait pas soi-même, -- un rimailleur ivrogne. 863 Que faut-il qu'on en fasse ? Ils sont gras... Un salmis ? 864 Monsieur, si vous voulez les rendre à vos amis ? 865 Ma chaise et mes porteurs, tout de suite : je monte. 866 Vous, Monsieur ! Les porteurs de monseigneur le comte 867 De Guiche ! Avez-vous lu Don Quichot ? Je l'ai lu. 868 Et me découvre au nom de cet hurluberlu. 869 Veuillez donc méditer alors Voici la chaise. 870 Sur le chapitre des moulins ! Chapitre treize. 871 Car, lorsqu'on les attaque, il arrive souvent 872 J'attaque donc des gens qui tournent à tout vent ? 873 Qu'un moulinet de leurs grands bras chargés de toiles 874 Vous lance dans la boue ! Ou bien dans les étoiles ! 875 Messieurs... Messieurs... Messieurs Ah ! dans quels jolis draps. 876 Oh ! toi ! tu vas grogner ! Enfin, tu conviendras 877 Qu'assassiner toujours la chance passagère, 878 Devient exagéré. Hé bien oui, j'exagère ! 879 Ah ! Mais pour le principe, et pour l'exemple aussi, 880 Je trouve qu'il est bon d'exagérer ainsi. 881 Si tu laissais un peu ton âme mousquetaire, 882 La fortune et la gloire Et que faudrait-il faire ? 883 Chercher un protecteur puissant, prendre un patron, 884 Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc 885 Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce, 886 Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ? 887 Non, merci. Dédier, comme tous il le font, 888 Des vers aux financiers ? se changer en bouffon 889 Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre, 890 Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ? 891 Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ? 892 Avoir un ventre usé par la marche ? une peau 893 Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ? 894 Exécuter des tours de souplesse dorsale ? 895 Non, merci. D'une main flatter la chèvre au cou 896 Cependant que, de l'autre, on arrose le chou, 897 Et, donneur de séné par désir de rhubarbe, 898 Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ? 899 Non, merci ! Se pousser de giron en giron, 900 Devenir un petit grand homme dans un rond, 901 Et naviguer, avec des madrigaux pour rames, 902 Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ? 903 Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy 904 Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci ! 905 S'aller faire nommer pape par les conciles 906 Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ? 907 Non, merci ! Travailler à se construire un nom 908 Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non, 909 Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ? 910 Être terrorisé par de vagues gazettes, 911 Et se dire sans cesse : "Oh, pourvu que je sois 912 Dans les petits papiers du Mercure François ?" 913 Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême, 914 Aimer mieux faire une visite qu'un poème, 915 Rédiger des placets, se faire présenter ? 916 Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter, 917 Rêver, rire, passer, être seul, être libre, 918 Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre, 919 Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers, 920 Pour un oui, pour un non, se battre, -- ou faire un vers ! 921 Travailler sans souci de gloire ou de fortune, 922 À tel voyage, auquel on pense, dans la lune ! 923 N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît, 924 Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit, 925 Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles, 926 Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! 927 Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard, 928 Ne pas être obligé d'en rien rendre à César, 929 Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite, 930 Bref, dédaignant d'être le lierre parasite, 931 Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul, 932 Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! 933 Tout seul, soit ! Mais non pas contre tous ! Comment diable 934 As-tu donc contracté la manie effroyable 935 De te faire toujours, partout, des ennemis ? 936 À force de vous voir vous faire des amis, 937 Et rire à ces amis dont vous avez des foules, 938 D'une bouche empruntée au derrière des poules ! 939 J'aime raréfier sur mes pas les saluts, 940 Et m'écrie avec joie : un ennemi de plus ! 941 Quelle aberration ! Eh bien, oui, c'est mon vice. 942 Déplaire est mon plaisir. J'aime qu'on me haïsse. 943 Mon cher, si tu savais comme l'on marche mieux 944 Sous la pistolétade excitante des yeux ! 945 Comme, sur les pourpoints, font d'amusantes taches 946 Le fiel des envieux et la bave des lâches ! 947 -- Vous, la molle amitié dont vous vous entourez, 948 Ressemble à ces grands cols d'Italie, ajourés 949 Et flottants, dans lesquels votre cou s'effémine : 950 On y est plus à l'aise... et de moins haute mine, 951 Car le front n'ayant pas de maintien ni de loi, 952 S'abandonne à pencher dans tous les sens. Mais moi, 953 La Haine, chaque jour, me tuyaute et m'apprête 954 La fraise dont l'empois force à lever la tête ; 955 Chaque ennemi de plus est un nouveau godron 956 Qui m'ajoute une gêne, et m'ajoute un rayon : 957 Car, pareille en tous points à la fraise espagnole, 958 La Haine est un carcan, mais c'est une auréole ! 959 Fais tout haut l'orgueilleux et l'amer, mais, tout bas 960 Dis-moi tout simplement qu'elle ne t'aime pas ! 961 Tais-toi ! Hé ! Cyrano ! Le récit ? Tout à l'heure ! 962 Le récit du combat ! Ce sera la meilleure 963 Leçon pour ce timide apprentif ! Apprentif ? 964 Oui, septentrional maladif ! Maladif ? 965 Monsieur de Neuvillette, apprenez quelque chose : 966 C'est qu'il est un objet, chez nous, dont on ne cause 967 Pas plus que de cordon dans l'hôtel d'un pendu ! 968 Qu'est-ce ? Regardez-moi ! M'avez-vous entendu ? 969 Ah ! c'est le Chut ! ... jamais ce mot ne se profère ! 970 Ou c'est à lui, là-bas, que l'on aurait affaire ! 971 Deux nasillards par lui furent exterminés 972 Parce qu'il lui déplut qu'ils parlassent du nez ! 973 On ne peut faire, sans défuncter avant l'âge, 974 La moindre allusion au fatal cartilage ! 975 Un mot suffit ! Que dis-je, un mot ? Un geste, un seul ! 976 Et tirer son mouchoir, c'est tirer son linceul ! 977 Capitaine ! Monsieur ? Que fait-on quand on trouve 978 Des Méridionaux trop vantards ? On leur prouve 979 Qu'on peut être du Nord, et courageux. Merci. 980 Maintenant, ton récit ! Son récit ! Mon récit ? 981 Eh bien ! donc je marchais tout seul, à leur rencontre. 982 La lune, dans le ciel, luisait comme une montre, 983 Quand soudain, je ne sais quel soigneux horloger 984 S'étant mis à passer un coton nuager 985 Sur le boîtier d'argent de cette montre ronde, 986 Il se fit une nuit la plus noire du monde, 987 Et les quais n'étant pas du tout illuminés, 988 Mordious ! on n'y voyait pas plus loin Que son nez. 989 Qu'est-ce que c'est que cet homme-là ? C'est un homme 990 Arrivé ce matin. Ce matin ? Il se nomme 991 Le baron de Neuvil Ah ! C'est bien Je Très bien 992 Je disais donc Mordious ! que l'on n'y voyait rien. 993 Et je marchais, songeant que pour un gueux fort mince 994 J'allais mécontenter quelque grand, quelque prince, 995 Qui m'aurait sûrement Dans le nez ! Une dent, -- 996 Qui m'aurait une dent... et qu'en somme, imprudent, 997 J'allais fourrer Le nez Le doigt... entre l'écorce 998 Et l'arbre, car ce grand pouvait être de force 999 À me faire donner Sur le nez Sur les doigts. 1000 -- Mais j'ajoutai : Marche, Gascon, fais ce que dois ! 1001 Va, Cyrano ! Et ce disant, je me hasarde, 1002 Quand, dans l'ombre, quelqu'un me porte Une nasarde. 1003 Je la pare, et soudain me trouve Nez à nez 1004 Ventre-Saint-Gris ! avec cent braillards avinés 1005 Qui puaient À plein nez L'oignon et la litharge ! 1006 Je bondis, front baissé Nez au vent ! et je charge ! 1007 J'en estomaque deux ! J'en empale un tout vif ! 1008 Quelqu'un m'ajuste : Paf ! et je riposte Pif ! 1009 Tonnerre ! Sortez tous ! C'est le réveil du tigre ! 1010 Tous ! Et laissez-moi seul avec cet homme ! Bigre ! 1011 On va le retrouver en hachis ! En hachis ? 1012 Dans un de vos pâtés ! Je sens que je blanchis, 1013 Et que je m'amollis comme une serviette ! 1014 Sortons ! Il n'en va pas laisser une miette ! 1015 Ce qui va se passer ici, j'en meurs d'effroi ! 1016 Quelque chose d'épouvantable ! Embrasse-moi ! 1017 Monsieur Brave. Ah ça ! mais ! Très brave. Je préfère. 1018 Me direz-vous ? Embrasse-moi. Je suis son frère. 1019 De qui ? Mais d'elle ! Hein ? Mais de Roxane ! Ciel ! 1020 Vous, son frère ? Ou tout comme : un cousin fraternel. 1021 Elle vous a ? Tout dit ! M'aime-t-elle ? Peut-être ! 1022 Comme je suis heureux, Monsieur, de vous connaître ! 1023 Voilà ce qui s'appelle un sentiment soudain. 1024 Pardonnez-moi C'est vrai qu'il est beau, le gredin ! 1025 Si vous saviez, Monsieur, comme je vous admire ! 1026 Mais tous ces nez que vous m'avez Je les retire ! 1027 Roxane attend ce soir une lettre Hélas ! Quoi ? 1028 C'est me perdre que de cesser de rester coi ! 1029 Comment ? Las ! je suis sot à m'en tuer de honte ! 1030 Mais non, tu ne l'es pas, puisque tu t'en rends compte. 1031 D'ailleurs, tu ne m'as pas attaqué comme un sot. 1032 Bah ! on trouve des mots quand on monte à l'assaut ! 1033 Oui, j'ai certain esprit facile et militaire, 1034 Mais je ne sais, devant les femmes, que me taire. 1035 Oh ! leurs yeux, quand je passe, ont pour moi des bontés 1036 Leurs cœurs n'en ont-ils plus quand vous vous arrêtez ? 1037 Non ! car je suis de ceux, -- je le sais... et je tremble ! -- 1038 Qui ne savent parler d'amour. Tiens ! ... Il me semble 1039 Que si l'on eût pris soin de me mieux modeler, 1040 J'aurais été de ceux qui savent en parler. 1041 Oh ! pouvoir exprimer les choses avec grâce ! 1042 Être un joli petit mousquetaire qui passe ! 1043 Roxane est précieuse et sûrement je vais 1044 Désillusionner Roxane ! Si j'avais 1045 Pour exprimer mon âme un pareil interprète ! 1046 Il me faudrait de l'éloquence ! Je t'en prête ! 1047 Toi, du charme physique et vainqueur, prête-m'en : 1048 Et faisons à nous deux un héros de roman ! 1049 Quoi ? Te sens-tu de force à répéter les choses 1050 Que chaque jour je t'apprendrai ? Tu me proposes ? 1051 Roxane n'aura pas de désillusions ! 1052 Dis, veux-tu qu'à nous deux nous la séduisions ? 1053 Veux-tu sentir passer, de mon pourpoint de buffle 1054 Dans ton pourpoint brodé, l'âme que je t'insuffle ! 1055 Mais, Cyrano ! Christian, veux-tu ? Tu me fais peur ! 1056 Puisque tu crains, tout seul, de refroidir son cœur, 1057 Veux-tu que nous fassions -- et bientôt tu l'embrases ! -- 1058 Collaborer un peu tes lèvres et mes phrases ? 1059 Tes yeux brillent ! Veux-tu ? Quoi ! cela te ferait 1060 Tant de plaisir ? Cela Cela m'amuserait ! 1061 C'est une expérience à tenter un poète. 1062 Veux-tu me compléter et que je te complète ? 1063 Tu marcheras, j'irai dans l'ombre à ton côté : 1064 Je serai ton esprit, tu seras ma beauté. 1065 Mais la lettre qu'il faut, au plus tôt, lui remettre ! 1066 Je ne pourrai jamais Tiens, la voilà, ta lettre ! 1067 Comment ? Hormis l'adresse, il n'y manque plus rien. 1068 Je Tu peux l'envoyer. Sois tranquille. Elle est bien. 1069 Vous aviez ? Nous avons toujours, nous, dans nos poches, 1070 Des épîtres à des Chloris... de nos caboches, 1071 Car nous sommes ceux-là qui pour amante n'ont 1072 Que du rêve soufflé dans la bulle d'un nom ! 1073 Prends, et tu changeras en vérités ces feintes ; 1074 Je lançais au hasard ces aveux et ces plaintes : 1075 Tu verras se poser tous ces oiseaux errants. 1076 Tu verras que je fus dans cette lettre -- prends ! -- 1077 D'autant plus éloquent que j'étais moins sincère ! 1078 -- Prends donc, et finissons ! N'est-il pas nécessaire 1079 De changer quelques mots ? Écrite en divaguant, 1080 Ira-t-elle à Roxane ? Elle ira comme un gant ! 1081 Mais La crédulité de l'amour-propre est telle, 1082 Que Roxane croira que c'est écrit pour elle ! 1083 Ah ! mon ami ! Plus rien... Un silence de mort 1084 Je n'ose regarder Hein ? Ah ! ... Oh ! C'est trop fort ! 1085 Ouais ? Notre démon est doux comme un apôtre ! 1086 Quand sur une narine on le frappe, -- il tend l'autre ! 1087 On peut donc lui parler de son nez, maintenant ? 1088 -- Eh ! Lise ! Tu vas voir ! Oh ! ... oh ! ... c'est surprenant ! 1089 Quelle odeur ! Mais monsieur doit l'avoir reniflée ? 1090 Qu'est-ce que cela sent ici ? La giroflée ! 1091 Et puis, elle est partie avec un mousquetaire ! 1092 Seul, ruiné, je me pends. J'avais quitté la terre. 1093 Monsieur de Bergerac entre, et, me dépendant, 1094 Me vient à sa cousine offrir comme intendant. 1095 Mais comment expliquer cette ruine où vous êtes ? 1096 Lise aimait les guerriers, et j'aimais les poètes ! 1097 Mars mangeait les gâteaux qui laissait Apollon : 1098 -- Alors, vous comprenez, cela ne fut pas long ! 1099 Roxane, êtes-vous prête ? ... On nous attend ! Je passe 1100 Une mante ! C'est là qu'on nous attend, en face. 1101 Chez Clomire. Elle tient bureau, dans son réduit. 1102 On y lit un discours sur le Tendre, aujourd'hui. 1103 Sur le Tendre ? Mais oui ! Roxane, il faut descendre, 1104 Ou nous allons manquer le discours sur le Tendre ! 1105 Je viens ! La ! la ! la ! la ! On nous joue un morceau ? 1106 Je vous dis que la croche est triple, triple sot ! 1107 Vous savez donc, Monsieur, si les croches sont triples ? 1108 Je suis musicien, comme tous les disciples 1109 De Gassendi ! La ! la ! Je peux continuer ! 1110 La ! la ! la ! la ! C'est vous ? Moi qui viens saluer 1111 Vos lys, et présenter mes respects à vos roses ! 1112 Je descends ! Qu'est-ce donc que ces deux virtuoses ? 1113 C'est un pari que j'ai gagné sur d'Assoucy. 1114 Nous discutions un point de grammaire. -- Non ! -- Si ! -- 1115 Quand soudain me montrant ces deux grands escogriffes 1116 Habiles à gratter les cordes de leurs griffes, 1117 Et dont il fait toujours son escorte, il me dit : 1118 "Je te parie un jour de musique !" Il perdit. 1119 Jusqu'à ce que Phœbus recommence son orbe, 1120 J'ai donc sur mes talons ces joueurs de théorbe, 1121 De tout ce que je fais harmonieux témoins ! 1122 Ce fut d'abord charmant, et ce l'est déjà moins. 1123 Hep ! ... Allez de ma part jouer une pavane 1124 À Montfleury ! Je viens demander à Roxane 1125 Ainsi que chaque soir Jouez longtemps, -- et faux ! 1126 Si l'ami de son âme est toujours sans défauts ? 1127 Ah ! qu'il est beau, qu'il a d'esprit, et que je l'aime ! 1128 Christian a tant d'esprit ? Mon cher, plus que vous-même ! 1129 J'y consens. Il ne peut exister à mon goût 1130 Plus fin diseur de ces jolis riens qui sont tout. 1131 Parfois il est distrait, ses Muses sont absentes ; 1132 Puis, tout à coup, il dit des choses ravissantes ! 1133 Non ? C'est trop fort ! Voilà comme les hommes sont : 1134 Il n'aura pas d'esprit puisqu'il est beau garçon ! 1135 Il sait parler du cœur d'une façon experte ? 1136 Mais il n'en parle pas, Monsieur, il en disserte ! 1137 Il écrit ? Mieux encor ! Écoutez donc un peu : 1138 Plus tu me prends de cœur, plus j'en ai ! Hé ! bien ? Peuh ! 1139 Et ceci : Pour souffrir, puisqu'il m'en faut un autre, 1140 Si vous gardez mon cœur, envoyez-moi le vôtre ! 1141 Tantôt il en a trop et tantôt pas assez. 1142 Qu'est-ce au juste qu'il veut, de cœur ? Vous m'agacez ! 1143 C'est la jalousi' Hein ! d'auteur qui vous dévore ! 1144 -- Et ceci, n'est-il pas du dernier tendre encore ? 1145 Croyez que devers vous mon cœur ne fait qu'un cri, 1146 Et que si les baisers s'envoyaient par écrit, 1147 Madame, vous liriez ma lettre avec les lèvres ! 1148 Ha ! ha ! ces lignes-là sont... hé ! hé ! mais bien mièvres ! 1149 Et ceci Vous savez donc ses lettres par cœur ? 1150 Toutes ! Il n'y a pas à dire : c'est flatteur ! 1151 C'est un maître ! Oh ! ... un maître ! Un maître ! Soit ! ... un maître ! 1152 Monsieur de Guiche ! Entrez ! ... car il vaut mieux, peut-être, 1153 Qu'il ne vous trouve pas ici ; cela pourrait 1154 Le mettre sur la piste Oui, de mon cher secret ! 1155 Il m'aime, il est puissant, il ne faut pas qu'il sache ! 1156 Il peut dans mes amours donner un coup de hache ! 1157 Bien ! bien ! bien ! Je sortais. Je viens prendre congé. 1158 Vous partez ? Pour la guerre. Ah ! Ce soir même. Ah ! J'ai 1159 Des ordres. On assiège Arras. Ah... on assiège ? 1160 Oui... Mon départ a l'air de vous laisser de neige. 1161 Oh ! Moi, je suis navré. Vous reverrai-je ? ... Quand ? 1162 -- Vous savez que je suis nommé mestre de camp ? 1163 Bravo. Du régiment des gardes. Ah ? des gardes ? 1164 Où sert votre cousin, l'homme aux phrases vantardes. 1165 Je saurai me venger de lui, là-bas. Comment ! 1166 Les gardes vont là-bas ? Tiens ! c'est mon régiment ! 1167 Christian ! Qu'avez-vous ? Ce... départ... me désespère ! 1168 Quand on tient à quelqu'un, le savoir à la guerre ! 1169 Pour la première fois me dire un mot si doux, 1170 Le jour de mon départ ! Alors, -- vous allez vous 1171 Venger de mon cousin ? On est pour lui ? Non, -- contre ! 1172 Vous le voyez ? Très peu. Partout on le rencontre 1173 Avec un des cadets ce Neu... villen... viller 1174 Un grand ? Blond. Roux. Beau ! Peuh ! Mais bête. Il en a l'air ! 1175 Votre vengeance envers Cyrano ? -- c'est peut-être 1176 De l'exposer au feu, qu'il adore ? ... Elle est piètre ! 1177 Je sais bien, moi, ce qui lui serait sanglant ! C'est ? 1178 Mais, si le régiment, en partant, le laissait 1179 Avec ses chers cadets, pendant toute la guerre, 1180 À Paris, bras croisés ! ... C'est la seule manière, 1181 Un homme comme lui, de le faire enrager : 1182 Vous voulez le punir ? privez-le de danger. 1183 Une femme ! une femme ! il n'y a qu'une femme 1184 Pour inventer ce tour ! Il se rongera l'âme, 1185 Et ses amis les poings, de n'être pas au feu : 1186 Et vous serez vengé ! Vous m'aimez donc un peu ? 1187 Je veux voir dans ce fait d'épouser ma rancune 1188 Une preuve d'amour, Roxane ! C'en est une. 1189 J'ai les ordres sur moi qui vont être transmis 1190 À chaque compagnie, a l'instant mêm', hormis 1191 Celui-ci ! C'est celui des cadets. Je le garde. 1192 Ah ! ah ! ah ! Cyrano ! ... Son humeur bataillarde ! 1193 -- Vous jouez donc des tours aux gens, vous ? Quelquefois. 1194 Vous m'affolez ! Ce soir -- écoutez -- oui, je dois 1195 Être parti. Mais fuir quand je vous sens émue ! 1196 Écoutez. Il y a, près d'ici, dans la rue 1197 D'Orléans, un couvent fondé par le syndic 1198 Des capucins, le Père Athanase. Un laïc 1199 N'y peut entrer. Mais les bons Pères, je m'en charge ! 1200 Il peuvent me cacher dans leur manche : elle est large. 1201 -- Ce sont les capucins qui servent Richelieu 1202 Chez lui ; redoutant l'oncle, ils craignent le neveu. 1203 -- On me croira parti. Je viendrai sous le masque. 1204 Laissez-moi retarder d'un jour, chère fantasque ! 1205 Mais si cela s'apprend, votre gloire Bah ! Mais 1206 Le siège, Arras Tant pis ! Permettez ! Non ! Permets ! 1207 Je dois vous le défendre ! Ah ! Partez ! Christian reste. 1208 Je vous veux héroïque, -- Antoine ! Mot céleste ! 1209 Vous aimez donc celui ? Pour lequel j'ai frémi. 1210 Ah ! je pars ! Êtes-vous contente ? Oui, mon ami ! 1211 Oui, mon ami ! Taisons ce que je viens de faire : 1212 Cyrano m'en voudrait de lui voler sa guerre ! 1213 Cousin ! Nous allons chez Clomire. Alcandre y doit 1214 Parler, et Lysimon ! Oui ! mais mon petit doigt 1215 Dit qu'on va les manquer ! Ne manquez pas ces singes. 1216 Oh, voyez ! le heurtoir est entouré de linges ! 1217 On vous a bâillonné pour que votre métal 1218 Ne troublât pas les beaux discours, -- petit brutal ! 1219 Entrons ! Si Christian vient, comme je le présume, 1220 Qu'il m'attende ! Ah ! Sur quoi, selon votre coutume, 1221 Comptez-vous aujourd'hui l'interroger ! Sur Sur ? 1222 Mais vous serez muet, là-dessus ! Comme un mur. 1223 Sur rien ! ... Je vais lui dire : Allez ! Partez sans bride ! 1224 Improvisez. Parlez d'amour. Soyez splendide ! 1225 Bon. Chut ! Chut ! Pas un mot ! En vous remerciant. 1226 Il se préparerait ! Diable, non ! Chut ! Christian ! 1227 Je sais tout ce qu'il faut. Prépare ta mémoire. 1228 Voici l'occasion de se couvrir de gloire. 1229 Ne perdons pas de temps. Ne prends pas l'air grognon. 1230 Vite, rentrons chez toi, je vais t'apprendre Non ! 1231 Hein ? Non ! J'attends Roxane ici. De quel vertige 1232 Es-tu frappé ? Viens vite apprendre Non, te dis-je ! 1233 Je suis las d'emprunter mes lettres, mes discours, 1234 Et de jouer ce rôle, et de trembler toujours ! 1235 C'était bon au début ! Mais je sens qu'elle m'aime ! 1236 Merci. Je n'ai plus peur. Je vais parler moi-même. 1237 Ouais ! Et qui te dit que je ne saurais pas ? 1238 Je ne suis pas si bête à la fin ! Tu verras ! 1239 Mais, mon cher, tes leçons m'ont été profitables. 1240 Je saurai parler seul ! Et, de par tous les diables, 1241 Je saurai bien toujours la prendre dans mes bras ! 1242 -- C'est elle ! Cyrano, non, ne me quitte pas ! 1243 Parlez tout seul, Monsieur. Barthénoïde ! -- Alcandre ! 1244 -- Grémione ! On a manqué le discours sur le Tendre ! 1245 Urimédonte ! ... Adieu ! C'est vous ! Le soir descend. 1246 Attendez. Ils sont loin. L'air est doux. Nul passant. 1247 Asseyons-nous. Parlez. J'écoute. Je vous aime. 1248 Oui, parlez-moi d'amour. Je t'aime. C'est le thème. 1249 Brodez, brodez. Je vous Brodez ! Je t'aime tant. 1250 Sans doute ! Et puis ? Et puis... je serais si content 1251 Si vous m'aimiez ! -- Dis-moi, Roxane, que tu m'aimes ! 1252 Vous m'offrez du brouet quand j'espérais des crèmes ! 1253 Dites un peu comment vous m'aimez ? Mais... beaucoup. 1254 Oh ! ... Délabyrinthez vos sentiments ! Ton cou ! 1255 Je voudrais l'embrasser ! Christian ! Je t'aime ! Encore ! 1256 Non ! je ne t'aime pas ! C'est heureux ! Je t'adore ! 1257 Oh ! Oui... je deviens sot ! Et cela me déplaît ! 1258 Comme il me déplairait que vous devinssiez laid. 1259 Mais Allez rassembler votre éloquence en fuite ! 1260 Je Vous m'aimez, je sais. Adieu. Pas tout de suite ! 1261 Je vous dirai Que vous m'adorez... oui, je sais. 1262 Non ! Non ! Allez-vous-en ! Mais je C'est un succès. 1263 Au secours ! Non monsieur. Je meurs si je ne rentre 1264 En grâce, à l'instant même Et comment puis-je, diantre ! 1265 Vous faire à l'instant même, apprendre ? Oh ! là, tiens, vois ! 1266 Sa fenêtre ! Je vais mourir ! Baissez la voix ! 1267 Mourir ! La nuit est noire Eh ! bien ? C'est réparable. 1268 Vous ne méritez pas... Mets-toi là, misérable ! 1269 Là, devant le balcon ! Je me mettrai dessous 1270 Et je te soufflerai tes mots. Mais Taisez-vous ! 1271 Hep ! Chut ! Nous venons de donner la sérénade 1272 À Montfleury ! Allez-vous mettre en embuscade 1273 L'un à ce coin de rue, et l'autre à celui-ci ; 1274 Et si quelque passant gênant vient par ici, 1275 Jouez un air ! Quel air, monsieur le gassendiste ? 1276 Joyeux pour une femme, et pour un homme, triste ! 1277 Appelle-la ! Roxane ! Attends ! Quelques cailloux. 1278 Qui donc m'appelle ? Moi. Qui, moi ? Christian. C'est vous ? 1279 Je voudrais vous parler. Bien. Bien. Presque à voix basse. 1280 Non ! Vous parlez trop mal. Allez-vous-en ! De grâce ! 1281 Non ! Vous ne m'aimez plus ! M'accuser, -- justes dieux ! -- 1282 De n'aimer plus... quand... j'aime plus ! Tiens ! mais c'est mieux ! 1283 L'amour grandit bercé dans mon âme inquiète 1284 Que ce... cruel marmot prit pour... barcelonnette ! 1285 C'est mieux ! -- Mais, puisqu'il est cruel, vous fûtes sot 1286 De ne pas, cet amour, l'étouffer au berceau ! 1287 Aussi l'ai-je tenté, mais... tentative nulle : 1288 Ce nouveau-né, Madame, est un petit Hercule. 1289 C'est mieux ! De sorte qu'il... strangula comme rien 1290 Les deux serpents... Orgueil et... Doute. Ah ! c'est très bien. 1291 -- Mais pourquoi parlez-vous de façon peu hâtive ? 1292 Auriez-vous donc la goutte à l'imaginative ? 1293 Chut ! Cela devient trop difficile ! Aujourd'hui 1294 Vos mots sont hésitants. Pourquoi ? C'est qu'il fait nuit, 1295 Dans cette ombre, à tâtons, ils cherchent votre oreille. 1296 Les miens n'éprouvent pas difficulté pareille. 1297 Ils trouvent tout de suite ? Oh ! cela va de soi, 1298 Puisque c'est dans mon cœur, eux, que je les reçois ; 1299 Or, moi, j'ai le cœur grand, vous, l'oreille petite. 1300 D'ailleurs vos mots à vous, descendent : ils vont vite. 1301 Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps ! 1302 Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants. 1303 De cette gymnastique, ils ont pris l'habitude ! 1304 Je vous parle, en effet, d'une vraie altitude ! 1305 Certe, et vous me tueriez si de cette hauteur 1306 Vous me laissiez tomber un mot dur sur le cœur ! 1307 Je descends. Non ! Grimpez sur le banc, alors, vite ! 1308 Non ! Comment... non ? Laissez un peu que l'on profite 1309 De cette occasion qui s'offre... de pouvoir 1310 Se parler doucement, sans se voir. Sans se voir ? 1311 Mais oui, c'est adorable. On se devine à peine. 1312 Vous voyez la noirceur d'un long manteau qui traîne, 1313 J'aperçois la blancheur d'une robe d'été : 1314 Moi je ne suis qu'une ombre, et vous qu'une clarté ! 1315 Vous ignorez pour moi ce que sont ces minutes ! 1316 Si quelquefois je fus éloquent Vous le fûtes ! 1317 Mon langage jamais jusqu'ici n'est sorti 1318 De mon vrai cœur Pourquoi ? Parce que... jusqu'ici 1319 Je parlais à travers Quoi ? le vertige où tremble 1320 Quiconque est sous vos yeux ! ... Mais, ce soir, il me semble 1321 Que je vais vous parler pour la première fois ! 1322 C'est vrai que vous avez une tout autre voix. 1323 Oui, tout autre, car dans la nuit qui me protège 1324 J'ose être enfin moi-même, et j'ose Où en étais-je ? 1325 Je ne sais... tout ceci, -- pardonnez mon émoi, -- 1326 C'est si délicieux, c'est si nouveau pour moi ! 1327 Si nouveau ? Si nouveau... mais oui... d'être sincère : 1328 La peur d'être raillé, toujours au cœur me serre 1329 Raillé de quoi ? Mais de... d'un élan ! ... Oui, mon cœur 1330 Toujours, de mon esprit s'habille, par pudeur : 1331 Je pars pour décrocher l'étoile, et je m'arrête 1332 Par peur du ridicule, à cueillir la fleurette ! 1333 La fleurette a du bon. Ce soir, dédaignons-la ! 1334 Vous ne m'aviez jamais parlé comme cela ! 1335 Ah ! si loin des carquois, des torches et des flèches, 1336 On se sauvait un peu vers des choses... plus fraîches ! 1337 Au lieu de boire goutte à goutte, en un mignon 1338 Dé à coudre d'or fin, l'eau fade du Lignon, 1339 Si l'on tentait de voir comment l'âme s'abreuve 1340 En buvant largement à même le grand fleuve ! 1341 Mais l'esprit ? J'en ai fait pour vous faire rester 1342 D'abord, mais maintenant ce serait insulter 1343 Cette nuit, ces parfums, cette heure, la Nature, 1344 Que de parler comme un billet doux de Voiture ! 1345 -- Laissons, d'un seul regard de ses astres, le ciel 1346 Nous désarmer de tout notre artificiel : 1347 Je crains tant que parmi notre alchimie exquise 1348 Le vrai du sentiment ne se volatilise, 1349 Que l'âme ne se vide à ces passe-temps vains, 1350 Et que le fin du fin ne soit la fin des fins ! 1351 Mais l'esprit ? Je le hais dans l'amour ! C'est un crime 1352 Lorsqu'on aime de trop prolonger cette escrime ! 1353 Le moment vient d'ailleurs inévitablement, 1354 -- Et je plains ceux pour qui ne vient pas ce moment ! -- 1355 Où nous sentons qu'en nous une amour noble existe 1356 Que chaque joli mot que nous disons rend triste ! 1357 Eh bien ! si ce moment est venu pour nous deux, 1358 Quels mots me direz-vous ? Tous ceux, tous ceux, tous ceux 1359 Qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe, 1360 Sans les mettre en bouquet : je vous aime, j'étouffe, 1361 Je t'aime, je suis fou, je n'en peux plus, c'est trop ; 1362 Ton nom est dans mon cœur comme dans un grelot, 1363 Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne, 1364 Tout le temps, le grelot s'agite, et le nom sonne ! 1365 De toi, je me souviens de tout, j'ai tout aimé : 1366 Je sais que l'an dernier, un jour, le douze mai, 1367 Pour sortir le matin tu changeas de coiffure ! 1368 J'ai tellement pris pour clarté ta chevelure 1369 Que, comme lorsqu'on a trop fixé le soleil, 1370 On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil, 1371 Sur tout, quand j'ai quitté les feux dont tu m'inondes, 1372 Mon regard ébloui pose des taches blondes ! 1373 Oui, c'est bien de l'amour Certes, ce sentiment 1374 Qui m'envahit, terrible et jaloux, c'est vraiment 1375 De l'amour, il en a toute la fureur triste ! 1376 De l'amour, -- et pourtant il n'est pas égoïste ! 1377 Ah ! que pour ton bonheur je donnerais le mien, 1378 Quand même tu devrais n'en savoir jamais rien, 1379 S'il se pouvait, parfois, que de loin, j'entendisse 1380 Rire un peu le bonheur né de mon sacrifice ! 1381 -- Chaque regard de toi suscite une vertu 1382 Nouvelle, une vaillance en moi ! Commences-tu 1383 À comprendre, à présent ? voyons, te rends-tu compte ? 1384 Sens-tu mon âme, un peu, dans cette ombre, qui monte ? 1385 Oh ! mais vraiment, ce soir, c'est trop beau, c'est trop doux ! 1386 Je vous dis tout cela, vous m'écoutez, moi, vous ! 1387 C'est trop ! Dans mon espoir même le moins modeste, 1388 Je n'ai jamais espéré tant ! Il ne me reste 1389 Qu'à mourir maintenant ! C'est à cause des mots 1390 Que je dis qu'elle tremble entre les bleus rameaux ! 1391 Car vous tremblez, comme une feuille entre les feuilles ! 1392 Car tu trembles ! car j'ai senti, que tu le veuilles 1393 Ou non, le tremblement adoré de ta main 1394 Descendre tout le long des branches du jasmin ! 1395 Oui, je tremble, et je pleure, et je t'aime, et suis tienne ! 1396 Et tu m'as enivrée ! Alors, que la mort vienne ! 1397 Cette ivresse, c'est moi, moi, qui l'ai su causer ! 1398 Je ne demande plus qu'une chose Un baiser ! 1399 Hein ? Oh ! Vous demandez ? Oui... je Tu vas trop vite. 1400 Puisqu'elle est si troublée, il faut que j'en profite ! 1401 Oui, je... j'ai demandé, c'est vrai... mais justes cieux ! 1402 Je comprends que je fus bien trop audacieux. 1403 Vous n'insistez pas plus que cela ? Si ! j'insiste 1404 Sans insister ! ... Oui, oui ! votre pudeur s'attriste ! 1405 Eh bien ! mais, ce baiser... ne me l'accordez pas ! 1406 Pourquoi ? Tais-toi, Christian ! Que dites-vous tout bas ? 1407 Mais d'être allé trop loin, moi-même je me gronde ; 1408 Je me disais : tais toi, Christian ! Une seconde ! 1409 On vient ! Air triste ? Air gai ? ... Quel est donc leur dessein ? 1410 Est-ce un homme ? Une femme ? -- Ah ! c'est un capucin ! 1411 Quel est ce jeu renouvelé de Diogène ? 1412 Je cherche la maison de madame Il nous gêne ! 1413 Magdeleine Robin Que veut-il ? Par ici ! 1414 Tout droit, -- toujours tout droit Je vais pour vous ! -- Merci 1415 Dire mon chapelet jusqu'au grain majuscule. 1416 Bonne chance ! Mes vœux suivent votre cuculle ! 1417 Obtiens-moi ce baiser ! Non ! Tôt ou tard ! C'est vrai ! 1418 Il viendra, ce moment de vertige enivré 1419 Où vos bouches iront l'une vers l'autre, à cause 1420 De ta moustache blonde et de sa lèvre rose ! 1421 J'aime mieux que ce soit à cause de C'est vous ? 1422 Nous parlions de... de... d'un Baiser ! Le mot est doux. 1423 Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l'ose ; 1424 S'il la brûle déjà, que sera-ce la chose ? 1425 Ne vous en faites pas un épouvantement : 1426 N'avez-vous pas tantôt, presque insensiblement, 1427 Quitté le badinage et glissé sans alarmes 1428 Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes ! 1429 Glissez encore un peu d'insensible façon : 1430 Des larmes au baiser il n'y a qu'un frisson ! 1431 Taisez-vous ! Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce ? 1432 Un serment fait d'un peu plus près, une promesse 1433 Plus précise, un aveu qui veut se confirmer, 1434 Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer ; 1435 C'est un secret qui prend la bouche pour oreille, 1436 Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille, 1437 Une communion ayant un goût de fleur, 1438 Une façon d'un peu se respirer le cœur, 1439 Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme ! 1440 Taisez-vous ! Un baiser, c'est si noble, Madame, 1441 Que la reine de France, au plus heureux des lords, 1442 En a laissé prendre un, la reine même ! Alors ! 1443 J'eus comme Buckingham des souffrances muettes, 1444 J'adore comme lui la reine que vous êtes, 1445 Comme lui je suis triste et fidèle Et tu es 1446 Beau comme lui ! C'est vrai, je suis beau, j'oubliais ! 1447 Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille 1448 Monte ! Ce goût de cœur Monte ! Ce bruit d'abeille 1449 Monte ! Mais il me semble, à présent, que c'est mal ! 1450 Cet instant d'infini ! Monte donc, animal ! 1451 Ah, Roxane ! Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre ! 1452 -- Baiser, festin d'amour dont je suis le Lazare ! 1453 Il me vient dans cette ombre une miette de toi, -- 1454 Mais oui, je sens un peu mon cœur qui te reçoit, 1455 Puisque sur cette lèvre où Roxane se leurre 1456 Elle baise les mots que j'ai dits tout à l'heure ! 1457 Un air triste, un air gai : le capucin ! Holà ! 1458 Qu'est ce ? Moi. Je passais... Christian est encor là ? 1459 Tiens Cyrano ! Bonjour, cousin ! Bonjour, cousine ! 1460 Je descends ! Oh ! encor ! C'est ici, -- je m'obstine -- 1461 Magdeleine Robin ! Vous aviez dit : Ro-lin. 1462 Non : Bin. B, i, n, bin ! Qu'est-ce ? Une lettre. Hein ? 1463 Oh ! il ne peut s'agir que d'une sainte chose ! 1464 C'est un digne seigneur qui C'est De Guiche ! Il ose ? 1465 Oh ! mais il ne va pas m'importuner toujours ! 1466 Je t'aime, et si Mademoiselle, Les tambours 1467 Battent ; mon régiment boucle sa soubreveste ; 1468 Il part ; moi, l'on me croit déjà parti : je reste. 1469 Je vous désobéis. Je suis dans ce couvent. 1470 Je vais venir, et vous le mande auparavant 1471 Par un religieux simple comme une chèvre 1472 Qui ne peut rien comprendre à ceci. Votre lèvre 1473 M'a trop souri tantôt : j'ai voulu la revoir. 1474 Éloignez un chacun, et daignez recevoir 1475 L'audacieux déjà pardonné, je l'espère, 1476 Qui signe votre très... et cætera Mon Père, 1477 Voici ce que me dit cette lettre. Écoutez : 1478 Mademoiselle, Il faut souscrire aux volontés 1479 Du cardinal, si dur que cela vous puisse être. 1480 C'est la raison pourquoi j'ai fait choix, pour remettre 1481 Ces lignes en vos mains charmantes, d'un très saint, 1482 D'un très intelligent et discret capucin ; 1483 Nous voulons qu'il vous donne, et dans votre demeure, 1484 La bénédiction nuptiale sur l'heure. 1485 Christian doit en secret devenir votre époux ; 1486 Je vous l'envoie. Il vous déplaît. Résignez-vous. 1487 Songez bien que le ciel bénira votre zèle, 1488 Et tenez pour tout assuré, Mademoiselle, 1489 Le respect de celui qui fut et qui sera 1490 Toujours votre très humble et très... et cætera. 1491 Digne seigneur ! ... Je l'avais dit. J'étais sans crainte ! 1492 Il ne pouvait s'agir que d'une chose sainte ! 1493 N'est-ce pas que je lis très bien les lettres ? Hum ! 1494 Ah ! ... c'est affreux ! C'est vous ? C'est moi ! Mais Post-scriptum : 1495 Donnez pour le couvent cent vingt pistoles. Digne, 1496 Digne seigneur ! Résignez-vous ? Je me résigne ! 1497 Vous, retenez ici De Guiche ! Il va venir ! 1498 Qu'il n'entre pas tant que Compris ! Pour les bénir 1499 Il vous faut ? Un quart d'heure. Allez ! moi, je demeure ! 1500 Viens ! Comment faire perdre à De Guiche un quart d'heure. 1501 Là ! ... Grimpons ! ... J'ai mon plan ! Ho ! c'est un homm' ! Ho ! ho ! 1502 Cette fois, c'en est un ! Non, ce n'est pas trop haut ! 1503 Je vais légèrement troubler cette atmosphère ! 1504 Qu'est-ce que ce maudit capucin peut bien faire ? 1505 Diable ! Et ma voix ? ... S'il la reconnaissait ? Cric ! Crac ! 1506 Cyrano, reprenez l'accent de Bergerac ! 1507 Oui, c'est là. J'y vois mal. Ce masque m'importune ! 1508 Hein ? quoi ? D'où tombe donc cet homme ? De la lune ! 1509 De la ? Quelle heure est-il ? N'a-t-il plus sa raison ? 1510 Quelle heure ? Quel pays ? Quel jour ? Quelle saison ? 1511 Mais Je suis étourdi ! Monsieur Comme une bombe 1512 Je tombe de la lune ! Ah ça ! Monsieur ! J'en tombe ! 1513 Soit ! soit ! vous en tombez ! ... c'est peut-être un dément ! 1514 Et je n'en tombe pas métaphoriquement ! 1515 Mais Il y a cent ans, ou bien une minute, 1516 -- J'ignore tout à fait ce que dura ma chute ! -- 1517 J'étais dans cette boule à couleur de safran ! 1518 Oui. Laissez-moi passer ! Où suis-je ? soyez franc ! 1519 Ne me déguisez rien ! En quel lieu, dans quel site, 1520 Viens-je de choir, Monsieur, comme un aérolithe ? 1521 Morbleu ! Tout en cheyant je n'ai pu faire choix 1522 De mon point d'arrivée, -- et j'ignore où je chois ! 1523 Est-ce dans une lune ou bien dans une terre, 1524 Que vient de m'entraîner le poids de mon postère ? 1525 Mais je vous dis, Monsieur Ha ! grand Dieu ! ... je crois voir 1526 Qu'on a dans ce pays le visage tout noir ! 1527 Comment ? Suis-je en Alger ? Êtes-vous indigène ? 1528 Ce masque ! Je suis donc dans Venise, ou dans Gêne ? 1529 Une dame m'attend ! Je suis donc à Paris. 1530 Le drôle est assez drôle ! Ah ! vous riez ? Je ris, 1531 Mais veux passer ! C'est à Paris que je retombe ! 1532 J'arrive -- excusez-moi ! -- par la dernière trombe. 1533 Je suis un peu couvert d'éther. J'ai voyagé ! 1534 J'ai les yeux tout remplis de poudre d'astres. J'ai 1535 Aux éperons, encor, quelques poils de planète ! 1536 Tenez, sur mon pourpoint, un cheveu de comète ! 1537 Monsieur ! Dans mon mollet je rapporte une dent 1538 De la Grande Ourse, -- et comme, en frôlant le Trident, 1539 Je voulais éviter une de ses trois lances, 1540 Je suis allé tomber assis dans les Balances, -- 1541 Dont l'aiguille, à présent, là-haut, marque mon poids ! 1542 Si vous serriez mon nez, Monsieur, entre vos doigts, 1543 Il jaillirait du lait ! Hein ? du lait ? De la Voie 1544 Lactée ! Oh ! Par l'enfer ! C'est le ciel qui m'envoie ! 1545 Non ! croiriez-vous, je viens de le voir en tombant, 1546 Que Sirius, la nuit, s'affuble d'un turban ? 1547 L'autre Ourse est trop petite encor pour qu'elle morde ! 1548 J'ai traversé la Lyre en cassant une corde ! 1549 Mais je compte en un livre écrire tout ceci, 1550 Et les étoiles d'or qu'en mon manteau roussi 1551 Je viens de rapporter à mes périls et risques, 1552 Quand on l'imprimera, serviront d'astérisques ! 1553 À la parfin, je veux Vous, je vous vois venir ! 1554 Monsieur ! Vous voudriez de ma bouche tenir 1555 Comment la lune est faite, et si quelqu'un habite 1556 Dans la rotondité de cette cucurbite ? 1557 Mais non ! Je veux Savoir comment j'y suis monté. 1558 Ce fut par un moyen que j'avais inventé. 1559 C'est un fou ! Je n'ai pas refait l'aigle stupide 1560 De Regiomontanus, ni le pigeon timide 1561 D'Archytas ! C'est un fou, -- mais c'est un fou savant. 1562 Non, je n'imitai rien de ce qu'on fit avant ! 1563 J'inventai six moyens de violer l'azur vierge ! 1564 Six ? Je pouvais, mettant mon corps nu comme un cierge, 1565 La caparaçonner de fioles de cristal 1566 Toutes pleines des pleurs d'un ciel matutinal, 1567 Et ma personne, alors, au soleil exposée, 1568 L'astre l'aurait humée en humant la rosée ! 1569 Tiens ! Oui, cela fait un ! Et je pouvais encor 1570 Faire engouffrer du vent, pour prendre mon essor, 1571 En raréfiant l'air dans un coffre de cèdre 1572 Par des miroirs ardents, mis en icosaèdre ! 1573 Deux ! Ou bien, machiniste autant qu'artificier, 1574 Sur une sauterelle aux détentes d'acier, 1575 Me faire, par des feux successifs de salpêtre, 1576 Lancer dans les prés bleus où les astres vont paître ! 1577 Trois ! Puisque la fumée a tendance à monter, 1578 En souffler dans un globe assez pour m'emporter ! 1579 Quatre ! Puisque Phœbé, quand son arc est le moindre, 1580 Aime sucer, ô bœufs, votre moelle... m'en oindre ! 1581 Cinq ! Enfin, me plaçant sur un plateau de fer, 1582 Prendre un morceau d'aimant et le lancer en l'air ! 1583 Ça, c'est un bon moyen : le fer se précipite, 1584 Aussitôt que l'aimant s'envole, à sa poursuite ; 1585 On relance l'aimant bien vite, et cadédis ! 1586 On peut monter ainsi indéfiniment. Six ! 1587 -- Mais voilà six moyens excellents ! ... Quel système 1588 Choisîtes-vous des six, Monsieur ? Un septième ! 1589 Par exemple ! Et lequel ? Je vous le donne en cent ! 1590 C'est que ce mâtin-là devient intéressant ! 1591 Houüh ! houüh ! Eh bien ! Vous devinez ? Non ! La marée ! 1592 À l'heure où l'onde par la lune est attirée, 1593 Je me mis sur la sable -- après un bain de mer -- 1594 Et la tête partant la première, mon cher, 1595 -- Car les cheveux, surtout, gardent l'eau dans leur frange ! -- 1596 Je m'enlevai dans l'air, droit, tout droit, comme un ange. 1597 Je montais, je montais doucement, sans efforts, 1598 Quand je sentis un choc ! ... Alors Alors ? Alors 1599 Le quart d'heure est passé, Monsieur, je vous délivre : 1600 Le mariage est fait. Çà, voyons, je suis ivre ! 1601 Cette voix ? Et ce nez -- Cyrano ? Cyrano. 1602 -- Ils viennent à l'instant d'échanger leur anneau. 1603 Qui cela ? Ciel ! Vous ? Lui ? Vous êtes des plus fines ! 1604 Mes compliments, Monsieur l'inventeur des machines : 1605 Votre récit eût fait s'arrêter au portail 1606 Du paradis, un saint ! Notez-en le détail, 1607 Car vraiment cela peut resservir dans un livre ! 1608 Monsieur, c'est un conseil que je m'engage à suivre. 1609 Un beau couple, mon fils, réuni là par vous ! 1610 Oui. Veuillez dire adieu, Madame, à votre époux. 1611 Comment ? Le régiment déjà se met en route. 1612 Joignez-le ! Pour aller à la guerre ? Sans doute ! 1613 Mais, Monsieur, les cadets n'y vont pas ! Ils iront. 1614 Voici l'ordre. Courez le porter, vous, baron. 1615 Christian ! La nuit de noce est encore lointaine ! 1616 Dire qu'il croit me faire énormément de peine ! 1617 Oh ! tes lèvres encor ! Allons, voyons, assez ! 1618 C'est dur de la quitter... Tu ne sais pas Je sais. 1619 Le régiment qui part ! Oh ! ... je vous le confie ! 1620 Promettez-moi que rien ne va mettre sa vie 1621 En danger ! J'essaierai... mais ne peux cependant 1622 Promettre Promettez qu'il sera très prudent ! 1623 Oui, je tâcherai, mais Qu'à ce siège terrible 1624 Il n'aura jamais froid ! Je ferai mon possible. 1625 Mais Qu'il sera fidèle ! Eh oui ! sans doute, mais 1626 Qu'il m'écrira souvent ! Ça, -- je vous le promets ! 1627 C'est affreux ! Oui. Plus rien. Mordious ! Jure en sourdine ! 1628 Tu vas les réveiller. Chut ! Dormez ! Qui dort dîne ! 1629 Quand on a l'insomnie on trouve que c'est peu ! 1630 Quelle famine ! Ah ! maugrébis des coups de feu ! 1631 Ils vont me réveiller mes enfants ! Dormez ! Diantre ! 1632 Encore ? Ce n'est rien ! C'est Cyrano qui rentre ! 1633 Ventrebieu ! qui va là ? Bergerac ! Ventrebieu ! 1634 Qui va là ? Bergerac, imbécile ! Ah ! grand Dieu ! 1635 Chut ! Blessé ? Tu sais bien qu'ils ont pris l'habitude 1636 De me manquer tous les matins ! C'est un peu rude, 1637 Pour porter une lettre, à chaque jour levant, 1638 De risquer ! J'ai promis qu'il écrirait souvent ! 1639 Il dort. Il est pâli. Si la pauvre petite 1640 Savait qu'il meurt de faim... Mais toujours beau ! Va vite 1641 Dormir ! Ne grogne pas, Le Bret ! ... Sache ceci : 1642 Pour traverser les rangs espagnols, j'ai choisi 1643 Un endroit où je sais, chaque nuit, qu'ils sont ivres. 1644 Tu devrais bien un jour nous rapporter des vivres. 1645 Il faut être léger pour passer ! -- Mais je sais 1646 Qu'il y aura ce soir du nouveau. Les Français 1647 Mangeront ou mourront, -- si j'ai bien vu Raconte ! 1648 Non. Je ne suis pas sûr... vous verrez ! Quelle honte, 1649 Lorsqu'on est assiégeant, d'être affamé ! Hélas ! 1650 Rien de plus compliqué que ce siège d'Arras : 1651 Nous assiégeons Arras, -- nous-mêmes, pris au piège, 1652 Le cardinal infant d'Espagne nous assiège 1653 Quelqu'un devrait venir l'assiéger à son tour. 1654 Je ne ris pas. Oh ! oh ! Penser que chaque jour 1655 Vous risquez une vie, ingrat, comme la vôtre, 1656 Pour porter Où vas-tu ? J'en vais écrire une autre. 1657 La diane ! ... Hélas ! Sommeil succulent, tu prends fin ! 1658 Je sais trop quel sera leur premier cri ! J'ai faim ! 1659 Je meurs ! Oh ! Levez-vous ! Plus un pas ! Plus un geste ! 1660 Ma langue est jaune : l'air du temps est indigeste ! 1661 Mon tortil de baron pour un peu de Chester ! 1662 Moi, si l'on ne veut pas fournir à mon gaster 1663 De quoi m'élaborer une pinte de chyle, 1664 Je me retire sous ma tente -- comme Achille ! 1665 Oui, du pain ! Cyrano ! Nous mourons ! Au secours ! 1666 Toi qui sais si gaiement leur répliquer toujours, 1667 Viens les ragaillardir ! Qu'est-ce que tu grignotes ! 1668 De l'étoupe à canon que dans les bourguignotes 1669 On fait frire en la graisse à graisser les moyeux, 1670 Les environs d'Arras sont très peu giboyeux ! 1671 Moi, je viens de chasser ! J'ai pêché, dans la Scarpe ! 1672 Quoi ! -- Que rapportez-vous ? -- Un faisan ? -- Une carpe ? -- 1673 Vite, vite, montrez ! Un goujon ! Un moineau ! 1674 Assez ! -- Révoltons-nous ! Au secours, Cyrano ! 1675 Hein ? Pourquoi t'en vas-tu, toi, de ce pas qui traîne ? 1676 J'ai quelque chose, dans les talons, qui me gêne ! 1677 Et quoi donc ? L'estomac ! Moi de même, pardi ! 1678 Cela doit te gêner ? Non, cela me grandit. 1679 J'ai les dents longues ! Tu n'en mordras que plus large. 1680 Mon ventre sonne creux ! Nous y battrons la charge. 1681 Dans les oreilles, moi, j'ai des bourdonnements. 1682 Non, non ; ventre affamé, pas d'oreilles : tu mens ! 1683 Oh ! manger quelque chose, -- à l'huile ! Ta salade. 1684 Qu'est-ce qu'on pourrait bien dévorer ? L'Iliade. 1685 Le ministre, à Paris, fait ses quatre repas ! 1686 Il devrait t'envoyer du perdreau ? Pourquoi pas ? 1687 Et du vin ! Richelieu, du Bourgogne, if you please? 1688 Par quelque capucin ! L'éminence qui grise ? 1689 J'ai des faims d'ogre ! Eh ! bien ! ... tu croques le marmot ! 1690 Toujours le mot, la pointe ! Oui, la pointe, le mot ! 1691 Et je voudrais mourir, un soir, sous un ciel rose, 1692 En faisant un bon mot, pour une belle cause ! 1693 -- Oh ! frappé par la seule arme noble qui soit, 1694 Et par un ennemi qu'on sait digne de soi, 1695 Sur un gazon de gloire et loin d'un lit de fièvres, 1696 Tomber la pointe au cœur en même temps qu'aux lèvres ! 1697 J'ai faim ! Ah çà ! mais vous ne pensez qu'à manger ? 1698 -- Approche, Bertrandou le fifre, ancien berger ; 1699 Du double étui de cuir tire l'un de tes fifres, 1700 Souffle, et joue à ce tas de goinfres et de piffres 1701 Ces vieux airs du pays, au doux rythme obsesseur, 1702 Dont chaque note est comme une petite sœur, 1703 Dans lesquels restent pris des sons de voix aimées, 1704 Ces airs dont la lenteur est celle des fumées 1705 Que le hameau natal exhale de ses toits, 1706 Ces airs dont la musique a l'air d'être en patois ! 1707 Que la flûte, aujourd'hui, guerrière qui s'afflige, 1708 Se souvienne un moment, pendant que sur sa tige 1709 Tes doigts semblent danser un menuet d'oiseau, 1710 Qu'avant d'être d'ébène, elle fut de roseau ; 1711 Que sa chanson l'étonne, et qu'elle y reconnaisse 1712 L'âme de sa rustique et paisible jeunesse ! 1713 Écoutez, les Gascons... Ce n'est plus, sous ses doigts, 1714 Le fifre aigu des camps, c'est la flûte des bois ! 1715 Ce n'est plus le sifflet du combat, sous ses lèvres, 1716 C'est le lent galoubet de nos meneurs de chèvres ! 1717 Écoutez... C'est le val, la lande, la forêt, 1718 Le petit pâtre brun sous son rouge béret, 1719 C'est la verte douceur des soirs sur la Dordogne, 1720 Écoutez, les Gascons : c'est toute la Gascogne ! 1721 Mais tu les fais pleurer ! De nostalgie ! ... Un mal 1722 Plus noble que la faim ! ... pas physique : moral ! 1723 J'aime que leur souffrance ait changé de viscère, 1724 Et que ce soit leur cœur, maintenant, qui se serre ! 1725 Tu vas les affaiblir en les attendrissant ! 1726 Laisse donc ! Les héros qu'ils portent dans leur sang 1727 Sont vite réveillés ! Il suffit Hein ? ... Quoi ? ... Qu'est-ce ? 1728 Tu vois, il a suffi d'un roulement de caisse ! 1729 Adieu, rêves, regrets, vieille province, amour 1730 Ce qui du fifre vient s'en va par le tambour ! 1731 Ah ! Ah ! Voici monsieur de Guiche. Hou Murmure 1732 Flatteur ! Il nous ennuie ! Avec, sur son armure, 1733 Son grand col de dentelle, il vient faire le fier ! 1734 Comme si l'on portait du linge sur du fer ! 1735 C'est bon lorsque à son cou l'on a quelque furoncle ! 1736 Encore un courtisan ! Le neveu de son oncle ! 1737 C'est un Gascon pourtant ! Un faux ! ... Méfiez-vous ! 1738 Parce que, les Gascons... ils doivent être fous : 1739 Rien de plus dangereux qu'un Gascon raisonnable. 1740 Il est pâle ! Il a faim... autant qu'un pauvre diable ! 1741 Mais comme sa cuirasse a des clous de vermeil, 1742 Sa crampe d'estomac étincelle au soleil ! 1743 N'ayons pas l'air non plus de souffrir ! Vous, vos cartes, 1744 Vos pipes et vos dés Et moi, je lis Descartes. 1745 Ah ! -- Bonjour ! Il est vert. Il n'a plus que les yeux. 1746 Voici donc les mauvaises têtes ? ... Oui, messieurs, 1747 Il me revient de tous côtés qu'on me brocarde 1748 Chez vous, que les cadets, noblesse montagnarde, 1749 Hobereaux béarnais, barons périgourdins, 1750 N'ont pour leur colonel pas assez de dédains, 1751 M'appellent intrigant, courtisan, -- qu'il les gêne 1752 De voir sur ma cuirasse un col en point de Gêne, -- 1753 Et qu'ils ne cessent pas de s'indigner entre eux 1754 Qu'on puisse être Gascon et ne pas être gueux ! 1755 Vous ferai-je punir par votre capitaine ? 1756 Non. D'ailleurs, je suis libre et n'inflige de peine 1757 Ah ? J'ai payé ma compagnie, elle est à moi. 1758 Je n'obéis qu'aux ordres de guerre. Ah ? ... Ma foi ! 1759 Cela suffit. Je peux mépriser vos bravades. 1760 On connaît ma façon d'aller aux mousquetades ; 1761 Hier, à Bapaume, on vit la furie avec quoi 1762 J'ai fait lâcher le pied au comte de Bucquoi ; 1763 Ramenant sur ses gens les miens en avalanche, 1764 J'ai chargé par trois fois ! Et votre écharpe blanche ? 1765 Vous savez ce détail ? ... En effet, il advint, 1766 Durant que je faisais ma caracole afin 1767 De rassembler mes gens la troisième charge, 1768 Qu'un remous de fuyards m'entraîna sur la marge 1769 Des ennemis ; j'étais en danger qu'on me prît 1770 Et qu'on m'arquebusât, quand j'eus le bon esprit 1771 De dénouer et de laisser couler à terre 1772 L'écharpe qui disait mon grade militaire ; 1773 En sorte que je pus, sans attirer les yeux, 1774 Quitter les Espagnols, et revenant sur eux, 1775 Suivi de tous les miens réconfortés, les battre ! 1776 -- Eh bien ! que dites-vous de ce trait ? Qu'Henri quatre 1777 N'eût jamais consenti, le nombre l'accablant, 1778 À se diminuer de son panache blanc. 1779 L'adresse a réussi, cependant ! C'est possible. 1780 Mais on n'abdique pas l'honneur d'être une cible. 1781 Si j'eusse été présent quand l'écharpe coula 1782 -- Nos courages, monsieur, diffèrent en cela -- 1783 Je l'aurais ramassée et me la serais mise. 1784 Oui, vantardise, encor, de gascon ! Vantardise ? 1785 Prêtez-la-moi. Je m'offre à monter, dès ce soir, 1786 À l'assaut, le premier, avec elle en sautoir. 1787 Offre encor de gascon ! Vous savez que l'écharpe 1788 Resta chez l'ennemi, sur les bords de la Scarpe, 1789 En un lieu que depuis la mitraille cribla, -- 1790 Où nul ne peut aller la chercher ! La voilà. 1791 Merci. Je vais, avec ce bout d'étoffe claire, 1792 Pouvoir faire un signal, -- que j'hésitais à faire. 1793 Hein ! Cet homme, là-bas qui se sauve en courant ! 1794 C'est un faux espion espagnol. Il nous rend 1795 De grands services. Les renseignements qu'il porte 1796 Aux ennemis sont ceux que je lui donne, en sorte 1797 Que l'on peut influer sur leurs décisions. 1798 C'est un gredin ! C'est très commode. Nous disions ? 1799 -- Ah ! J'allais vous apprendre un fait. Cette nuit même, 1800 Pour nous ravitailler tentant un coup suprême, 1801 Le maréchal s'en fut vers Dourlens, sans tambours ; 1802 Les vivandiers du Roi sont là ; par les labours 1803 Il les joindra ; mais pour revenir sans encombre, 1804 Il a pris avec lui des troupes en tel nombre 1805 Que l'on aurait beau jeu, certe, en nous attaquant : 1806 La moitié de l'armée est absente du camp ! 1807 Oui, si les Espagnols savaient, ce serait grave. 1808 Mais ils ne savent pas ce départ ? Ils le savent. 1809 Ils vont nous attaquer. Ah ! Mon faux espion 1810 M'est venu prévenir de leur agression. 1811 Il ajouta : "J'en peux déterminer la place ; 1812 Sur quel point voulez-vous que l'attaque se fasse ? 1813 Je dirai que de tous c'est le moins défendu, 1814 Et l'effort portera sur lui." -- J'ai répondu : 1815 "C'est bon. Sortez du camp. Suivez des yeux la ligne : 1816 Ce sera sur le point d'où je vous ferai signe." 1817 Messieurs, préparez-vous ! C'est dans une heure. Ah ! ... bien ! 1818 Il faut gagner du temps. Le maréchal revient. 1819 Et pour gagner du temps ? Vous aurez l'obligeance 1820 De vous faire tuer. Ah ! voilà la vengeance ? 1821 Je ne prétendrai pas que si je vous aimais 1822 Je vous eusse choisis vous et les vôtres, mais, 1823 Comme à votre bravoure on n'en compare aucune, 1824 C'est mon Roi que je sers en servant ma rancune. 1825 Souffrez que je vous sois, monsieur, reconnaissant. 1826 Je sais que vous aimez vous battre un contre cent. 1827 Vous ne vous plaindrez pas de manquer de besogne. 1828 Eh bien donc ! nous allons au blason de Gascogne, 1829 Qui porte six chevrons, messieurs, d'azur et d'or, 1830 Joindre un chevron de sang qui lui manquait encor ! 1831 Christian ? Roxane ! Hélas ! Au moins, je voudrais mettre 1832 Tout l'adieu de mon cœur dans une belle lettre ! 1833 Je me doutais que ce serait pour aujourd'hui. 1834 Et j'ai fait tes adieux. Montre ! Tu veux ? Mais oui ! 1835 Tiens ! Quoi ? Ce petit rond ? Un rond ? C'est une larme ! 1836 Oui... Poète, on se prend à son jeu, c'est le charme ! 1837 Tu comprends... ce billet, -- c'était très émouvant : 1838 Je me suis fait pleurer moi-même en l'écrivant. 1839 Pleurer ? Oui... parce que... mourir n'est pas terrible. 1840 Mais... ne plus la revoir jamais... voilà l'horrible ! 1841 Car enfin je ne la nous ne la tu ne la 1842 Donne-moi ce billet ! Ventrebieu, qui va là ? 1843 Qu'est-ce ? Un carrosse ! Quoi ! Dans le camp ? -- Il y entre ! 1844 -- Il a l'air de venir de chez l'ennemi ! -- Diantre ! 1845 Tirez ! -- Non ! Le cocher a crié ! -- Crié quoi ? -- 1846 Il a crié : Service du Roi ! Hein ? Du Roi ! 1847 Chapeau bas, tous ! Du Roi ! -- Rangez-vous, vile tourbe, 1848 Pour qu'il puisse décrire avec pompe sa courbe ! 1849 Battez aux champs ! Baissez le marchepied ! Bonjour ! 1850 Service du Roi ! Vous ? Mais du seul roi, l'Amour ! 1851 Ah ! grand Dieu ! Vous ! Pourquoi ? C'était trop long, ce siège ! 1852 Pourquoi ? Je te dirai ! Dieu ! La regarderai-je ? 1853 Vous ne pouvez rester ici ! Mais si ! mais si ! 1854 Voulez-vous m'avancer un tambour ? Là, merci ! 1855 On a tiré sur mon carrosse ! Une patrouille ! 1856 -- Il a l'air d'être fait avec une citrouille, 1857 N'est-ce pas ? comme dans le conte, et les laquais 1858 Avec des rats. Bonjour ! Vous n'avez pas l'air gais ! 1859 -- Savez-vous que c'est loin, Arras ? Cousin, charmée ! 1860 Ah çà ! comment ? Comment j'ai retrouvé l'armée ? 1861 Oh ! mon Dieu, mon ami, mais c'est tout simple : j'ai 1862 Marché tant que j'ai vu le pays ravagé. 1863 Ah ! ces horreurs, il a fallu que je les visse 1864 Pour y croire ! Messieurs, si c'est là le service 1865 De votre Roi, le mien vaut mieux ! Voyons, c'est fou ! 1866 Par où diable avez-vous bien pu passer ? Par où ? 1867 Par chez les Espagnols. Ah ! qu'elles sont malignes ! 1868 Comment avez-vous fait pour traverser leurs lignes ? 1869 Cela dut être très difficile ! Pas trop. 1870 J'ai simplement passé dans mon carrosse, au trot. 1871 Si quelque hidalgo montrait sa mine altière, 1872 Je mettais mon plus beau sourire à la portière, 1873 Et ces messieurs étant, n'en déplaise aux Français, 1874 Les plus galantes gens du monde, -- je passais ! 1875 Oui, c'est un passe-port, certes, que ce sourire ! 1876 Mais on a fréquemment dû vous sommer de dire 1877 Où vous alliez ainsi, madame ? Fréquemment. 1878 Alors je répondais : "Je vais voir mon amant." 1879 -- Aussitôt l'Espagnol à l'air le plus féroce 1880 Refermait gravement la porte du carrosse, 1881 D'un geste de la main à faire envie au Roi 1882 Relevait les mousquets déjà braqués sur moi, 1883 Et superbe de grâce, à la fois, et de morgue, 1884 L'ergot tendu sous la dentelle en tuyau d'orgue, 1885 Le feutre au vent pour que la plume palpitât, 1886 S'inclinait en disant : "Passez, señorita !" 1887 Mais, Roxane J'ai dit : mon amant, oui... pardonne ! 1888 Tu comprends, si j'avais dit : mon mari, personne 1889 Ne m'eût laissé passer ! Mais Qu'avez-vous ? Il faut 1890 Vous en aller d'ici ! Moi ? Bien vite ! Au plus tôt ! 1891 Oui ! Mais comment ? C'est que Dans trois quarts d'heure ou quatre 1892 Il vaut mieux Vous pourriez Je reste. On va se battre. 1893 Oh ! non ! C'est mon mari ! Qu'on me tue avec toi ! 1894 Mais quels yeux vous avez ! Je te dirai pourquoi ! 1895 C'est un poste terribl' ! Hein ! terrible ? Et la preuve 1896 C'est qu'il nous l'a donné ! Ah ! vous me vouliez veuve ? 1897 Oh ! je vous jure ! Non ! Je suis folle à présent ! 1898 Et je ne m'en vais plus ! -- D'ailleurs, c'est amusant. 1899 Eh quoi ! la précieuse était une héroïne ? 1900 Monsieur de Bergerac, je suis votre cousine. 1901 Nous vous défendrons bien ! Je le crois, mes amis ! 1902 Tout le camp sent l'iris ! Et j'ai justement mis 1903 Un chapeau qui fera très bien dans la bataille ! 1904 Mais peut-être est-il temps que le comte s'en aille : 1905 On pourrait commencer. Ah ! c'en est trop ! Je vais 1906 Inspecter mes canons, et reviens... Vous avez 1907 Le temps encor : changez d'avis ! Jamais ! Roxane ! 1908 Non ! Elle reste ! Un peigne ! -- Un savon ! -- Ma basane 1909 Est trouée : une aiguille ! -- Un ruban ! -- Ton miroir ! -- 1910 Mes manchettes ! -- Ton fer à moustache ! -- Un rasoir ! 1911 Non ! rien ne me fera bouger de cette place ! 1912 Peut-être siérait-il que je vous présentasse, 1913 Puisqu'il en est ainsi, quelques de ces messieurs 1914 Qui vont avoir l'honneur de mourir sous vos yeux. 1915 Baron de Peyrescous de Colignac ! Madame 1916 Baron de Casterac de Cahuzac. -- Vidame 1917 De Malgouyre Estressac Lésbas d'Escarabiot. -- 1918 Chevalier d'Antignac-Juzet. -- Baron Hillot 1919 De Blagnac-Saléchan de Castel Crabioules 1920 Mais combien avez-vous de noms, chacun ? Des foules ! 1921 Ouvrez la main qui tient votre mouchoir. Pourquoi ? 1922 Ma compagnie était sans drapeau ! Mais ma foi, 1923 C'est le plus beau du camp qui flottera sur elle ! 1924 Il est un peu petit. Mais il est en dentelle ! 1925 Je mourrais sans regret ayant vu ce minois, 1926 Si j'avais seulement dans le ventre une noix ! 1927 Fi ! parler de manger lorsqu'une exquise femme ! 1928 Mais l'air du camp est vif et, moi-même, m'affame : 1929 Pâtés, chaud-froids, vins fins : -- mon menu, le voilà ! 1930 -- Voulez-vous m'apporter tout cela ! Tout cela ! 1931 Où le prendrions-nous, grand Dieu ? Dans mon carrosse. 1932 Hein ? Mais il faut qu'on serve et découpe, et désosse ! 1933 Regardez mon cocher d'un peu plus près, messieurs, 1934 Et vous reconnaîtrez un homme précieux : 1935 Chaque sauce sera, si l'on veut, réchauffée ! 1936 C'est Ragueneau ! Oh ! Oh ! Pauvre gens ! Bonne fée ! 1937 Messieurs ! Bravo ! Bravo ! Les Espagnols n'ont pas, 1938 Quand passaient tant d'appas, vu passer le repas ! 1939 Hum ! hum ! Christian ! Distraits par la galanterie 1940 Ils n'ont pas vu la galantine ! Je t'en prie, 1941 Un seul mot ! Et Vénus sut occuper leur œil 1942 Pour que Diane en secret, pût passer son chevreuil ! 1943 Je voudrais te parler ! Posez cela par terre ! 1944 Vous, rendez-vous utile ? Un paon truffé ! Tonnerre ! 1945 Nous n'aurons pas couru notre dernier hasard 1946 Sans faire un gueuleton pardon ! un balthazar ! 1947 Les coussins sont remplis d'ortolans ! Ah ! Viédaze ! 1948 Des flacons de rubis ! -- Des flacons de topaze ! 1949 Défaites cette nappe ! ... Eh ! hop ! Soyez léger ! 1950 Chaque lanterne est un petit garde-manger ! 1951 Il faut que je te parle avant que tu lui parles ! 1952 Le manche de mon fouet est un saucisson d'Arles ! 1953 Puisqu'on nous fait tuer, morbleu ! nous nous moquons 1954 Du reste de l'armée ! -- Oui ! tout pour les Gascons ! 1955 Et si De Guiche vient, personne ne l'invite ! 1956 Là, vous avez le temps. -- Ne manger pas si vite ! -- 1957 Buvez un peu. -- Pourquoi pleurez-vous ? C'est trop bon ! 1958 Chut ! -- Rouge ou blanc ? -- Du pain pour monsieur de Carbon ! 1959 -- Un couteau ! -- Votre assiette ! -- Un peu de croûte ? -- Encore ? 1960 Je vous sers ! -- Du bourgogne ? -- Une aile ? Je l'adore ! 1961 Vous ? Rien. Si ! ce biscuit, dans du muscat... deux doigts ! 1962 Oh ! dites-moi pourquoi vous vîntes ? Je me dois 1963 À ces malheureux... Chut ! Tout à l'heure ! De Guiche ! 1964 Vite, cachez flacon, plat, terrine, bourriche ! 1965 Hop ! -- N'ayons l'air de rien ! Toi, remonte d'un bond 1966 Sur ton siège ! -- Tout est caché ? Cela sent bon. 1967 To lo lo ! Qu'avez-vous, vous ? ... Vous êtes tout rouge ! 1968 Moi ? ... Mais rien. C'est le sang. On va se battre : il bouge ! 1969 Poum ... poum ... poum Qu'est cela ? Rien ! C'est une chanson ! 1970 Une petite Vous êtes gai, mon garçon ! 1971 L'approche du danger ! Capitaine ! je Peste ! 1972 Vous avez bonne mine aussi ! Oh ! Il me reste 1973 Un canon que j'ai fait porter là, dans ce coin, 1974 Et vos hommes pourront s'en servir au besoin. 1975 Charmante attention ! Douce sollicitude ! 1976 Ah ça ! mais ils sont fous ! -- N'ayant pas l'habitude 1977 Du canon, prenez garde au recul. Ah ! pffitt ! Mais ! 1978 Le canon des Gascons ne recule jamais ! 1979 Vous êtes gris ! ... De quoi ? De l'odeur de la poudre ! 1980 Vite, à quoi daignez-vous, madame, vous résoudre ? 1981 Je reste ! Fuyez ! Non ! Puisqu'il en est ainsi, 1982 Qu'on me donne un mousquet ! Comment ? Je reste aussi. 1983 Enfin, Monsieur ! voilà de la bravoure pure ! 1984 Seriez-vous un Gascon malgré votre guipure ? 1985 Quoi ! Je ne quitte pas une femme en danger. 1986 Dis donc ! Je crois qu'on peut lui donner à manger ! 1987 Des vivres ! Il en sort de sous toutes les vestes ! 1988 Est-ce que vous croyez que je mange vos restes ? 1989 Vous faites des progrès ! Je vais me battre à jeun ! 1990 À jeung ! Il vient d'avoir l'accent ! Moi ? C'en est un ! 1991 J'ai rangé mes piquiers, leur troupe est résolue ! 1992 Acceptez-vous ma main pour passer leur revue ? 1993 Parle vite ! Vivat ! Quel était ce secret ? 1994 Dans le cas où Roxane Eh bien ? Te parlerait 1995 Des lettres ? Oui, je sais ! Ne fais pas la sottise 1996 De t'étonner De quoi ? Il faut que je te dise ! 1997 Oh ! mon Dieu, c'est tout simple, et j'y pense aujourd'hui 1998 En la voyant. Tu lui Parle vite ! Tu lui 1999 As écrit plus souvent que tu ne crois. Hein ? Dame ! 2000 Je m'en étais chargé : j'interprétais ta flamme ! 2001 J'écrivais quelquefois sans te dire : j'écris ! 2002 Ah ? C'est tout simple ! Mais comment t'y es-tu pris, 2003 Depuis qu'on est bloqué pour ? Oh ! ... avant l'aurore 2004 Je pouvais traverser Ah ! c'est tout simple encore ? 2005 Et qu'ai-je écrit de fois par semaine ? ... Deux ? -- Trois ? -- 2006 Quatre ? -- Plus. Tous les jours ? Oui, tous les jours. -- Deux fois. 2007 Et cela t'enivrait, et l'ivresse était telle 2008 Que tu bravais la mort Tais-toi ! Pas devant elle ! 2009 Et maintenant, Christian ! Et maintenant, dis-moi 2010 Pourquoi, par ces chemins effroyables, pourquoi 2011 À travers tous ces rangs de soudards et de reîtres, 2012 Tu m'a rejoint ici ? C'est à cause des lettres ! 2013 Tu dis ? Tant pis pour vous si je cours ces dangers ! 2014 Ce sont vos lettres qui m'ont grisée ! Ah ! songez 2015 Combien depuis un mois vous m'en avez écrites, 2016 Et plus belles toujours ! Quoi ! pour quelques petites 2017 Lettres d'amour Tais-toi ! Tu ne peux pas savoir ! 2018 Mon Dieu, je t'adorais, c'est vrai, depuis qu'un soir, 2019 D'une voix que je t'ignorais, sous ma fenêtre, 2020 Ton âme commença de se faire connaître 2021 Eh bien ! tes lettres, c'est, vois-tu, depuis un mois, 2022 Comme si tout le temps je l'entendais, ta voix 2023 De ce soir-là, si tendre, et qui vous enveloppe ! 2024 Tant pis pour toi, j'accours. La sage Pénélope 2025 Ne fût pas demeurée à broder sous son toit, 2026 Si le seigneur Ulysse eût écrit comme toi, 2027 Mais pour le joindre, elle eût, aussi folle qu'Hélène, 2028 Envoyé promener ses pelotons de laine ! 2029 Mais Je lisais, je relisais, je défaillais, 2030 J'étais à toi. Chacun de ces petits feuillets 2031 Était comme un pétale envolé de ton âme. 2032 On sent à chaque mot de ces lettres de flamme 2033 L'amour puissant, sincère Ah ! sincère et puissant ? 2034 Cela se sent, Roxane ? Oh ! si cela se sent ! 2035 Et vous venez ? Je viens (ô mon Christian, mon maître ! 2036 Vous me relèveriez si je voulais me mettre 2037 À vos genoux, c'est donc mon âme que j'y mets, 2038 Et vous ne pourrez plus la relever jamais !) 2039 Je viens te demander pardon (et c'est bien l'heure 2040 De demander pardon, puisqu'il se peut qu'on meure !) 2041 De t'avoir fait d'abord, dans ma frivolité, 2042 L'insulte de t'aimer pour ta seule beauté ! 2043 Ah ! Roxane ! Et plus tard, mon ami, moins frivole, 2044 -- Oiseau qui saute avant tout à fait qu'il s'envole, -- 2045 Ta beauté m'arrêtant, ton âme m'entraînant, 2046 Je t'aimais pour les deux ensemble ! Et maintenant ? 2047 Eh bien ! toi-même enfin l'emporte sur toi-même, 2048 Et ce n'est plus que pour ton âme que je t'aime ! 2049 Ah ! Roxane ! Sois donc heureux. Car n'être aimé 2050 Que pour ce dont on est un instant costumé, 2051 Doit mettre un cœur avide et noble à la torture ; 2052 Mais ta chère pensée efface ta figure, 2053 Et la beauté par quoi tout d'abord tu me plus, 2054 Maintenant j'y vois mieux... et je ne la vois plus ! 2055 Oh ! Tu doutes encor d'une telle victoire ? 2056 Roxane ! Je comprends, tu ne peux pas y croire, 2057 À cet amour ? Je ne veux pas de cet amour ! 2058 Moi, je veux être aimé plus simplement pour Pour 2059 Ce qu'en vous elles ont aimé jusqu'à cette heure ? 2060 Laissez-vous donc aimer d'une façon meilleure ! 2061 Non ! c'était mieux avant ! Ah ! tu n'y entends rien ! 2062 C'est maintenant que j'aime mieux, que j'aime bien ! 2063 C'est ce qui te fait toi, tu m'entends, que j'adore ! 2064 Et moins brillant Tais-toi ! Je t'aimerais encore ! 2065 Si toute ta beauté tout d'un coup s'envolait 2066 Oh ! ne dis pas cela ! Si, je le dis ! Quoi ? laid ? 2067 Laid ! je le jure ! Dieu ! Et ta joie est profonde ? 2068 Oui Qu'as-tu ? Rien. Deux mots à dire : une seconde 2069 Mais ? À ces pauvres gens mon amour t'enleva : 2070 Va leur sourire un peu puisqu'ils vont mourir... va ! 2071 Cher Christian ! Cyrano ? Qu'est-ce ? Te voilà blême ! 2072 Elle ne m'aime plus ! Comment ? C'est toi qu'elle aime ! 2073 Non ! Elle n'aime plus que mon âme ! Non ! Si ! 2074 C'est donc bien toi qu'elle aime, -- et tu l'aimes aussi ! 2075 Moi ? Je le sais. C'est vrai. Comme un fou. Davantage. 2076 Dis-le-lui ! Non ! Pourquoi ? Regarde mon visage ! 2077 Elle m'aimerait laid ! Elle te l'a dit ! Là ! 2078 Ah ! je suis bien content qu'elle t'ait dit cela ! 2079 Mais va, va, ne crois pas cette chose insensée ! 2080 -- Mon Dieu, je suis content qu'elle ait eu la pensée 2081 De la dire, -- mais va, ne la prends pas au mot, 2082 Va, ne deviens pas laid : elle m'en voudrait trop ! 2083 C'est ce que je veux voir ! Non, non ! Qu'elle choisisse ! 2084 Tu vas lui dire tout ! Non, non ! Pas ce supplice. 2085 Je tuerais ton bonheur parce que je suis beau ? 2086 C'est trop injuste ! Et moi, je mettrais au tombeau 2087 Le tien parce que, grâce au hasard qui fait naître, 2088 J'ai le don d'exprimer... ce que tu sens peut-être ? 2089 Dis-lui tout ! Il s'obstine à me tenter, c'est mal ! 2090 Je suis las de porter en moi-même un rival ! 2091 Christian ! Notre union -- sans témoins -- clandestine, 2092 -- Peut se rompre, -- si nous survivons ! Il s'obstine ! 2093 Oui, je veux être aimé moi-même, ou pas du tout ! 2094 -- Je vais voir ce qu'on fait, tiens ! Je vais jusqu'au bout 2095 Du poste ; je reviens : parle, et qu'elle préfère 2096 L'un de nous deux ! Ce sera toi ! Mais... je l'espère ! 2097 Roxane ! Non ! Non ! Quoi ? Cyrano vous dira 2098 Une chose importante Importante ? Il s'en va ! 2099 Rien ! ... Il attache, -- oh ! Dieu ! vous devez le connaître ! -- 2100 De l'importance à rien ! Il a douté peut-être 2101 De ce que j'ai dit là ? ... J'ai vu qu'il a douté ! 2102 Mais avez-vous bien dit, d'ailleurs, la vérité ? 2103 Oui, oui, je l'aimerais même Le mot vous gêne 2104 Devant moi ? Mais Il ne me fera pas de peine ! 2105 -- Même laid ? Même laid ! Ah ! tiens, on a tiré ! 2106 Affreux ? Affreux ! Défiguré ! Défiguré ! 2107 Grotesque ? Rien ne peut me le rendre grotesque ! 2108 Vous l'aimeriez encore ? Et davantage presque ! 2109 Mon Dieu, c'est vrai, peut-être, et le bonheur est là ! 2110 Je... Roxane... écoutez ! Cyrano ! Hein ? Chut ! Ah ! 2111 Qu'avez vous ? C'est fini. Quoi ? Qu'est-ce encore ? On tire ? 2112 C'est fini, jamais plus je ne pourrai le dire ! 2113 Que se passe-t-il ? Rien ! Ces hommes ? Laissez-les ! 2114 Mais qu'alliez-vous me dire avant ? Ce que j'allais 2115 Vous dire ? ... rien, oh ! rien, je le jure, madame ! 2116 Je jure que l'esprit de Christian, que son âme 2117 Étaient sont les plus grands Étaient ? Ah ! C'est fini ! 2118 Christian ! Le premier coup de feu de l'ennemi ! 2119 C'est l'attaque ! Aux mousquets ! Christian ! Qu'on se dépêche ! 2120 Christian ! Alignez-vous ! Christian ! Mesurez... mèche ! 2121 Roxane ! J'ai tout dit. C'est toi qu'elle aime encor ! 2122 Quoi, mon amour ? Baguette haute ! Il n'est pas mort ? 2123 Ouvrez la charge avec les dents ! Je sens sa joue 2124 Devenir froide, là, contre la mienne ! En joue ! 2125 Une lettre sur lui ! Pour moi ! Ma lettre ! Feu ! 2126 Mais, Roxane, on se bat ! Restez encore un peu. 2127 Il est mort. Vous étiez le seul à le connaître. 2128 -- N'est-ce pas que c'était un être exquis, un être 2129 Merveilleux ? Oui, Roxane. Un poète inouï. 2130 Adorable ? Oui, Roxane. Un esprit sublime ? Oui, 2131 Roxane ! Un cœur profond, inconnu du profane, 2132 Une âme magnifique et charmante ? Oui, Roxane ! 2133 Il est mort ! Et je n'ai qu'à mourir aujourd'hui, 2134 Puisque, sans le savoir, elle me pleure en lui ! 2135 C'est le signal promis ! Des fanfares de cuivres ! 2136 Les Français vont rentrer au camp avec des vivres ! 2137 Tenez encore un peu ! Sur sa lettre, du sang, 2138 Des pleurs ! Rendez-vous ! Non ! Le péril va croissant ! 2139 Emportez-la ! Je vais charger ! Son sang ! ses larmes ! 2140 Elle s'évanouit ! Tenez bon ! Bas les armes ! 2141 Non ! Vous avez prouvé, Monsieur, votre valeur : 2142 Fuyez en la sauvant ! Soit ! Mais on est vainqueur 2143 Si vous gagnez du temps ! C'est bon ! Adieu, Roxane ! 2144 Nous plions ! J'ai reçu deux coups de pertuisane ! 2145 Hardi ! Reculès pas, drollos ! N'ayez pas peur ! 2146 J'ai deux morts à venger : Christian et mon bonheur ! 2147 Flotte, petit drapeau de dentelle à son chiffre ! 2148 Toumbé dèssus ! Escrasas lous ! Un air de fifre ! 2149 Ils montent le talus ! On va les saluer ! 2150 Feu ! Feu ! Quels sont ces gens qui se font tous tuer ? 2151 Sœur Claire a regardé deux fois comment allait 2152 Sa cornette, devant la glace. C'est très laid. 2153 Mais sœur Marthe a repris un pruneau de la tarte, 2154 Ce matin : je l'ai vu. C'est très vilain, sœur Marthe. 2155 Un tout petit regard ! Un tout petit pruneau ! 2156 Je le dirai, ce soir, à monsieur Cyrano. 2157 Non, il va se moquer ! Il dira que les nonnes 2158 Sont très coquettes ! Très gourmandes ! Et très bonnes. 2159 N'est-ce pas, Mère Marguerite de Jésus, 2160 Qu'il vient, le samedi, depuis dix ans ! Et plus ! 2161 Depuis que sa cousine à nos béguins de toile 2162 Mêla le deuil mondain de sa coiffe de voile, 2163 Qui chez nous vint s'abattre, il y a quatorze ans, 2164 Comme un grand oiseau noir parmi les oiseaux blancs ! 2165 Lui seul, depuis qu'elle a pris chambre dans ce cloître, 2166 Sait distraire un chagrin qui ne veut pas décroître. 2167 Il est si drôle ! -- C'est amusant quand il vient ! 2168 -- Il nous taquine ! -- Il est gentil ! -- Nous l'aimons bien ! 2169 -- Nous fabriquons pour lui des pâtes d'angélique ! 2170 Mais enfin, ce n'est pas un très bon catholique ! 2171 Nous le convertirons. Oui ! oui ! Je vous défends 2172 De l'entreprendre encor sur ce point, mes enfants. 2173 Ne le tourmentez pas : il viendrait moins peut-être ! 2174 Mais... Dieu ! Rassurez-vous : Dieu doit bien le connaître. 2175 Mais chaque samedi, quand il vient d'un air fier, 2176 Il me dit en entrant : 'Ma sœur, j'ai fait gras, hier !' 2177 Ah ! il vous dit cela ? ... Eh bien ! la fois dernière 2178 Il n'avait pas mangé depuis deux jours ! Ma Mère ! 2179 Il est pauvre. Qui vous l'a dit ? Monsieur Le Bret. 2180 On ne le secourt pas ? Non, il se fâcherait. 2181 -- Allons, il faut rentrer... Madame Madeleine, 2182 Avec un visiteur, dans le parc se promène. 2183 C'est le duc-maréchal de Grammont ? Oui, je crois. 2184 Il n'était plus venu la voir depuis des mois ! 2185 Il est très pris ! -- La cour ! -- Les camps ! Les soins du monde ! 2186 Et vous demeurerez ici, vainement blonde, 2187 Toujours en deuil ? Toujours. Aussi fidèle ? Aussi. 2188 Vous m'avez pardonné ? Puisque je suis ici. 2189 Vraiment c'était un être ? Il fallait le connaître ! 2190 Ah ! Il fallait ? ... Je l'ai trop peu connu, peut-être ! 2191 Et son dernier billet, sur votre cœur, toujours ? 2192 Comme un doux scapulaire, il pend à ce velours. 2193 Même mort, vous l'aimez ? Quelquefois il me semble 2194 Qu'il n'est mort qu'à demi, que nos cœurs sont ensemble, 2195 Et que son amour flotte, autour de moi, vivant ! 2196 Est-ce que Cyrano vient vous voir ? Oui, souvent. 2197 -- Ce vieil ami, pour moi, remplace les gazettes. 2198 Il vient ; c'est régulier ; sous cet arbre où vous êtes 2199 On place son fauteuil, s'il fait beau ; je l'attends 2200 En brodant ; l'heure sonne ; au dernier coup, j'entends 2201 -- Car je ne tourne plus même le front ! -- sa canne 2202 Descendre le perron ; il s'assied ; il ricane 2203 De ma tapisserie éternelle ; il me fait 2204 La chronique de la semaine, et Tiens, Le Bret ! 2205 Comment va notre ami ? Mal. Oh ! Il exagère ! 2206 Tout ce que j'ai prédit : l'abandon, la misère ! 2207 Ses épîtres lui font des ennemis nouveaux ! 2208 Il attaque les faux nobles, les faux dévots, 2209 Les faux braves, les plagiaires, -- tout le monde. 2210 Mais son épée inspire une terreur profonde. 2211 On ne viendra jamais à bout de lui. Qui sait ? 2212 Ce que je crains, ce n'est pas les attaques, c'est 2213 La solitude, la famine, c'est Décembre 2214 Entrant à pas de loup dans son obscure chambre : 2215 Voilà les spadassins qui plutôt le tueront ! 2216 -- Il serre chaque jour, d'un cran, son ceinturon. 2217 Son pauvre nez a pris des tons de vieil ivoire. 2218 Il n'a plus qu'un petit habit de serge noire. 2219 Ah ! celui-là n'est pas parvenu ! -- C'est égal, 2220 Ne le plaignez pas trop. Monsieur le maréchal ! 2221 Ne le plaignez pas trop : il a vécu sans pactes, 2222 Libre dans sa pensée autant que dans ses actes. 2223 Monsieur le duc ! Je sais, oui : j'ai tout ; il n'a rien 2224 Mais je lui serrerais bien volontiers la main. 2225 Adieu. Je vous conduis. Oui, parfois, je l'envie. 2226 -- Voyez-vous, lorsqu'on a trop réussi sa vie, 2227 On sent, -- n'ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal ! -- 2228 Mille petits dégoûts de soi, dont le total 2229 Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ; 2230 Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure, 2231 Pendant que des grandeurs on monte les degrés, 2232 Un bruit d'illusions sèches et de regrets, 2233 Comme, quand vous montez lentement vers ces portes, 2234 Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes. 2235 Vous voilà bien rêveur ? Eh ! oui ! Monsieur Le Bret ! 2236 Vous permettez ? Un mot. C'est vrai : nul n'oserait 2237 Attaquer votre ami ; mais beaucoup l'ont en haine ; 2238 Et quelqu'un me disait, hier, au jeu, chez la Reine : 2239 "Ce Cyrano pourrait mourir d'un accident." 2240 Ah ? Oui. Qu'il sorte peu. Qu'il soit prudent. Prudent ! 2241 Il va venir. Je vais l'avertir. Oui, mais ! Qu'est-ce ? 2242 Ragueneau vient vous voir, Madame. Qu'on le laisse 2243 Entrer. Il vient crier misère. Étant un jour 2244 Parti pour être auteur, il devint tour à tour 2245 Chantre Étuviste Acteur Bedeau Perruquier Maître 2246 De théorbe Aujourd'hui que pourrait-il bien être ? 2247 Ah ! Madame ! Monsieur ! Racontez vos malheurs 2248 À Le Bret. Je reviens. Mais, Madame D'ailleurs, 2249 Puisque vous êtes là, j'aime mieux qu'elle ignore ! 2250 -- J'allais voir votre ami tantôt. J'étais encore 2251 À vingt pas de chez lui... quand je le vois de loin, 2252 Qui sort. Je veux le joindre. Il va tourner le coin 2253 De la rue... et je cours... lorsque d'une fenêtre 2254 Sous laquelle il passait -- est-ce un hasard ? ... peut-être ! -- 2255 Un laquais laisse choir une pièce de bois. 2256 Les lâches ! ... Cyrano ! J'arrive et je le vois 2257 C'est affreux ! Notre ami, Monsieur, notre poète, 2258 Je le vois, là, par terre, un grand trou dans la tête ! 2259 Il est mort ? Non ! mais... Dieu ! je l'ai porté chez lui. 2260 Dans sa chambre... Ah ! sa chambre ! il faut voir ce réduit ! 2261 Il souffre ? Non, Monsieur, il est sans connaissance, 2262 Un médecin ? Il en vint un par complaisance, 2263 Mon pauvre Cyrano ! -- Ne disons pas cela 2264 Tout d'un coup à Roxane ! -- Et ce docteur ? Il a 2265 Parlé, -- je ne sais plus, -- de fièvre, de méninges ! 2266 Ah ! si vous le voyiez -- la tête dans des linges ! 2267 Courons vite ! -- Il n'y a personne à son chevet ! -- 2268 C'est qu'il pourrait mourir, Monsieur, s'il se levait ! 2269 Passons par là ! Viens, c'est plus court ! Par la chapelle ! 2270 Monsieur Le Bret ! Le Bret s'en va quand on l'appelle ? 2271 C'est quelque histoire encor de ce bon Ragueneau ! 2272 Ah ! que ce dernier jour de septembre est donc beau ! 2273 Ma tristesse sourit. Elle qu'Avril offusque, 2274 Se laisse décider par l'automne, moins brusque. 2275 Ah ! voici le fauteuil classique où vient s'asseoir 2276 Mon vieil ami ! Mais c'est le meilleur du parloir ! 2277 Merci, ma sœur. Il va venir. Là... l'heure sonne. 2278 -- Mes écheveaux ! -- L'heure a sonné ? Ceci m'étonne ! 2279 Serait-il en retard pour la première fois ? 2280 La sœur tourière doit -- mon dé ? ... là, je le vois ! -- 2281 L'exhorter à la pénitence. Elle l'exhorte ! 2282 -- Il ne peut plus tarder. -- Tiens ! une feuille morte ! -- 2283 D'ailleurs, rien ne pourrait. -- Mes ciseaux ? ... dans mon sac ! -- 2284 L'empêcher de venir ! Monsieur de Bergerac. 2285 Qu'est-ce que je disais ? Ah ! ces teintes fanées 2286 Comment les rassortir ? Depuis quatorze années, 2287 Pour la première fois, en retard ! Oui, c'est fou ! 2288 J'enrage. Je fus mis en retard, vertuchou ! 2289 Par ? Par une visite assez inopportune. 2290 Ah ! oui ! quelque fâcheux ? Cousine, c'était une 2291 Fâcheuse. Vous l'avez renvoyée ? Oui, j'ai dit : 2292 Excusez-moi, mais c'est aujourd'hui samedi, 2293 Jour où je dois me rendre en certaine demeure ; 2294 Rien ne m'y fait manquer : repassez dans une heure ! 2295 Eh bien ! cette personne attendra pour vous voir : 2296 Je ne vous laisse pas partir avant ce soir. 2297 Peut-être un peu plus tôt faudra-t-il que je parte. 2298 Vous ne taquinez pas sœur Marthe ? Si ! Sœur Marthe ! 2299 Approchez ! Ha ! ha ! ha ! Beaux yeux toujours baissés ! 2300 Mais Oh ! Chut ! Ce n'est rien ! -- Hier, j'ai fait gras. Je sais. 2301 C'est pour cela qu'il est si pâle ! Au réfectoire 2302 Vous viendrez tout à l'heure, et je vous ferai boire 2303 Un grand bol de bouillon... Vous viendrez ? Oui, oui, oui. 2304 Ah ! vous êtes un peu raisonnable, aujourd'hui ! 2305 Elle essaye de vous convertir ? Je m'en garde ! 2306 Tiens, c'est vrai ! Vous toujours si saintement bavarde, 2307 Vous ne me prêchez pas ? c'est étonnant, ceci ! 2308 Sabre de bois ! Je veux vous étonner aussi ! 2309 Tenez, je vous permets Ah ! la chose est nouvelle ? 2310 De... de prier pour moi, ce soir, à la chapelle. 2311 Oh ! oh ! Sœur Marthe est dans la stupéfaction ! 2312 Je n'ai pas attendu votre permission. 2313 Du diable si je peux jamais, tapisserie, 2314 Voir ta fin ! J'attendais cette plaisanterie. 2315 Les feuilles ! Elles sont d'un blond vénitien. 2316 Regardez-les tomber. Comme elles tombent bien ! 2317 Dans ce trajet si court de la branche à la terre, 2318 Comme elles savent mettre une beauté dernière, 2319 Et malgré leur terreur de pourrir sur le sol, 2320 Veulent que cette chute ait la grâce d'un vol ! 2321 Mélancolique, vous ? Mais pas du tout, Roxane ! 2322 Allons, laissez tomber les feuilles de platane 2323 Et racontez un peu ce qu'il y a de neuf. 2324 Ma gazette ? Voici ! Ah ! Samedi, dix-neuf : 2325 Ayant mangé huit fois du raisiné de Cette, 2326 Le Roi fut pris de fièvre ; à deux coups de lancette 2327 Son mal fut condamné pour lèse-majesté, 2328 Et cet auguste pouls n'a plus fébricité ! 2329 Au grand bal, chez la reine, on a brûlé, dimanche, 2330 Sept cent soixante-trois flambeaux de cire blanche ; 2331 Nos troupes ont battu, dit-on, Jean l'Autrichien ; 2332 On a pendu quatre sorciers ; le petit chien 2333 De madame d'Athis a dû prendre un clystère 2334 Monsieur de Bergerac, voulez-vous bien vous taire ! 2335 Lundi... rien. Lygdamire a changé d'amant. Oh ! 2336 Mardi, toute la cour est à Fontainebleau. 2337 Mercredi, la Montglat dit au comte de Fiesque : 2338 Non ! Jeudi : Mancini, Reine de France, -- ou presque ! 2339 Le vingt-cinq, la Montglat à de Fiesque dit : Oui ; 2340 Et samedi, vingt-six Il est évanoui ? 2341 Cyrano ! Qu'est-ce ? ... Quoi ? Non ! non ! je vous assure, 2342 Ce n'est rien ! Laissez-moi ! Pourtant C'est ma blessure 2343 D'Arras... qui... quelquefois... vous savez Pauvre ami ! 2344 Mais ce n'est rien. Cela va finir. C'est fini. 2345 Chacun de nous a sa blessure : j'ai la mienne. 2346 Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne, 2347 Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant 2348 Où l'on peut voir encor des larmes et du sang ! 2349 Sa lettre ! ... N'aviez-vous pas dit qu'un jour, peut-être, 2350 Vous me la feriez lire ? Ah ! vous voulez ? ... Sa lettre ? 2351 Oui ... Je veux ... Aujourd'hui Tenez ! Je peux ouvrir ? 2352 Ouvrez... lisez ! Roxane, adieu, je vais mourir ! 2353 Tout haut ? C'est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée ! 2354 J'ai l'âme lourde encor d'amour inexprimée, 2355 Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés, 2356 Mes regards dont c'était Comment vous la lisez, 2357 Sa lettre ! dont c'était les frémissantes fêtes, 2358 Ne baiseront au vol les gestes que vous faites ; 2359 J'en revois un petit qui vous est familier 2360 Pour toucher votre front, et je voudrais crier 2361 Comme vous la lisez, -- cette lettre ! Et je crie : 2362 Adieu ! Vous la lisez Ma chère, ma chérie, 2363 Mon trésor D'une voix Mon amour ! D'une voix 2364 Mais... que je n'entends pas pour la première fois ! 2365 Mon cœur ne vous quitta jamais une seconde, 2366 Et je suis et serai jusque dans l'autre monde 2367 Celui qui vous aima sans mesure, celui 2368 Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit. 2369 Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle 2370 D'être le vieil ami qui vient pour être drôle ! 2371 Roxane ! C'était vous ! Non, non, Roxane, non ! 2372 J'aurais dû deviner quand il disait mon nom ! 2373 Non, ce n'était pas moi ! C'était vous ! Je vous jure 2374 J'aperçois toute la généreuse imposture : 2375 Les lettres, c'était vous Non ! Les mots chers et fous, 2376 C'était vous Non ! La voix dans la nuit, c'était vous ! 2377 Je vous jure que non ! L'âme, c'était la vôtre ! 2378 Je ne vous aimais pas. Vous m'aimiez ! C'était l'autre ! 2379 Vous m'aimiez ! Non ! Déjà vous le dites plus bas ! 2380 Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas ! 2381 Ah ! que de choses qui sont mortes... qui sont nées ! 2382 -- Pourquoi vous être tu pendant quatorze années, 2383 Puisque sur cette lettre où, lui, n'était pour rien, 2384 Ces pleurs étaient de vous ? Ce sang était le sien. 2385 Alors pourquoi laisser ce sublime silence 2386 Se briser aujourd'hui ? Pourquoi ? Quelle imprudence ! 2387 Ah ! j'en étais bien sûr ! il est là ! Tiens, parbleu ! 2388 Il s'est tué, Madame, en se levant ! Grand Dieu ! 2389 Mais tout à l'heure alors... cette faiblesse ? ... cette ? 2390 C'est vrai ! je n'avais pas terminé ma gazette : 2391 Et samedi, vingt-six, une heure avant dîné, 2392 Monsieur de Bergerac est mort assassiné. 2393 Que dit-il ? -- Cyrano ! -- Sa tête enveloppée ! 2394 Ah, que vous a-t-on fait ? Pourquoi ? "D'un coup d'épée, 2395 Frappé par un héros, tomber la pointe au cœur !" 2396 -- Oui, je disais cela ! ... Le destin est railleur ! 2397 Et voilà que je suis tué dans une embûche, 2398 Par derrière, par un laquais, d'un coup de bûche ! 2399 C'est très bien. J'aurai tout manqué, même ma mort. 2400 Ah, Monsieur ! Ragueneau, ne pleure pas si fort ! 2401 Qu'est-ce que tu deviens, maintenant, mon confrère ? 2402 Je suis moucheur de... de... chandelles, chez Molière. 2403 Molière ! Mais je veux le quitter, dès demain : 2404 Oui, je suis indigné ! ... Hier, on jouait Scapin, 2405 Et j'ai vu qu'il vous a pris une scène ! Entière ! 2406 Oui, Monsieur, le fameux : "Que Diable allait-il faire ? " 2407 Molière te l'a pris ! Chut ! chut ! Il a bien fait ! 2408 La scène, n'est-ce pas, produit beaucoup d'effet ? 2409 Ah ! Monsieur, on riait ! on riait ! Oui, ma vie 2410 Ce fut d'être celui qui souffle -- et qu'on oublie ! 2411 Vous souvient-il du soir où Christian vous parla 2412 Sous le balcon ? Eh bien ! toute ma vie est là : 2413 Pendant que je restais en bas, dans l'ombre noire, 2414 D'autres montaient cueillir le baiser de la gloire ! 2415 C'est justice, et j'approuve au seuil de mon tombeau : 2416 Molière a du génie et Christian était beau ! 2417 Qu'elles aillent prier puisque leur cloche sonne ! 2418 Ma sœur ! ma sœur ! Non ! non ! n'allez chercher personne : 2419 Quand vous reviendriez, je ne serais plus là. 2420 Il me manquait un peu d'harmonie... en voilà. 2421 Je vous aime, vivez ! Non ! car c'est dans le conte 2422 Que lorsqu'on dit : Je t'aime ! au prince plein de honte, 2423 Il sent sa laideur fondre à ces mots de soleil 2424 Mais tu t'apercevrais que je reste pareil. 2425 J'ai fait votre malheur ! moi ! moi ! Vous ? ... au contraire ! 2426 J'ignorais la douceur féminine. Ma mère 2427 Ne m'a pas trouvé beau. Je n'ai pas eu de sœur. 2428 Plus tard, j'ai redouté l'amante à l'œil moqueur. 2429 Je vous dois d'avoir eu, tout au moins, une amie. 2430 Grâce à vous une robe a passé dans ma vie. 2431 Ton autre amie est là, qui vient te voir ! Je vois. 2432 Je n'aimais qu'un seul être et je le perds deux fois ! 2433 Le Bret, je vais monter dans la lune opaline, 2434 Sans qu'il faille inventer, aujourd'hui, de machine 2435 Que dites-vous ? Mais oui, c'est là, je vous le dis, 2436 Que l'on va m'envoyer faire mon paradis 2437 Plus d'une âme que j'aime y doit être exilée, 2438 Et je retrouverai Socrate et Galilée ! 2439 Non, non ! C'est trop stupide à la fin, et c'est trop 2440 Injuste ! Un tel poète ! Un cœur si grand, si haut ! 2441 Mourir ainsi ! ... Mourir ! Voilà Le Bret qui grogne ! 2442 Mon cher ami Ce sont les cadets de Gascogne 2443 -- La masse élémentaire... Eh oui ! ... voilà le hic 2444 Sa science... dans son délire ! Copernic 2445 A dit Oh ! Mais aussi que diable allait-il faire, 2446 Mais que diable allait-il faire en cette galère ? 2447 Mais je m'en vais, pardon, je ne peux faire attendre : 2448 Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre ! 2449 Je ne veux pas que vous pleuriez moins ce charmant, 2450 Ce bon, ce beau Christian ; mais je veux seulement 2451 Que lorsque le grand froid aura pris mes vertèbres, 2452 Vous donniez un sens double à ces voiles funèbres, 2453 Et que son deuil sur vous devienne un peu mon deuil. 2454 Je vous jure ! Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil ! 2455 -- Ne me soutenez pas ! -- Personne ! Rien que l'arbre ! 2456 Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre, 2457 -- Ganté de plomb ! Oh ! mais ! ... puisqu'elle est en chemin, 2458 Je l'attendrai debout, et l'épée à la main ! 2459 Cyrano ! Cyrano ! Je crois qu'elle regarde 2460 Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde 2461 Que dites-vous ? ... C'est inutile ? ... Je le sais ! 2462 Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès ! 2463 Non ! non ! c'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! 2464 -- Qu'est-ce que c'est que tous ceux-là ? -- Vous êtes mille ? 2465 Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis ! 2466 Le Mensonge ? Tiens, tiens ! -- Ha ! ha ! les Compromis ! 2467 Les Préjugés, les Lâchetés ! Que je pactise ? 2468 Jamais, jamais ! -- Ah ! te voilà, toi, la Sottise ! 2469 -- Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ; 2470 N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats ! 2471 Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose ! 2472 Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose 2473 Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu, 2474 Mon salut balaiera largement le seuil bleu, 2475 Quelque chose que sans un pli, sans une tache, 2476 J'emporte malgré vous, et c'est C'est ? Mon panache.