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corneille_galerie_du_palais (89007B)


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      7 Enfin je ne le puis : que veux-tu que j’y fasse ?
      8 Pour tout autre sujet mon maître n’est que glace ;
      9 Elle est trop dans son cœur ; on ne l’en peut chasser,
     10 Et c’est folie à nous que de plus y penser.
     11 J’ai beau devant les yeux lui remettre Hippolyte,
     12 Parler de ses attraits, élever son mérite,
     13 Sa grâce, son esprit, sa naissance, son bien ;
     14 Je n’avance non plus qu’à ne lui dire rien :
     15 L’amour, dont malgré moi son âme est possédée,
     16 Fait qu’il en voit autant, ou plus, en Célidée.
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     21 Ne quittons pas pourtant ; à la longue on fait tout.
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     23 La gloire suit la peine : espérons jusqu’au bout.
     24 Je veux que Célidée ait charmé son courage,
     25 L’amour le plus parfait n’est pas un mariage ;
     26 Fort souvent moins que rien cause un grand changement,
     27 Et les occasions naissent en un moment.
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     32 Je les prendrai toujours quand je les verrai naître.
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     37 Hippolyte, en ce cas, saura le reconnaître.
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     42 Tout ce que j’en prétends, c’est un entier secret.
     43 Adieu : je vais trouver Célidée à regret.
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     48 De la part de ton maître ? Oui. Si j’ai bonne vue,
     49 La voilà que son père amène vers la rue.
     50 Tirons-nous à quartier ; nous jouerons mieux nos jeux,
     51 S’ils n’aperçoivent point que nous parlions nous deux.
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     58 Ne pense plus, ma fille, à me cacher ta flamme ;
     59 N’en conçois point de honte, et n’en crains point de blâme :
     60 Le sujet qui l’allume a des perfections
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     62 Dignes de posséder tes inclinations ;
     63 Et pour mieux te montrer le fond de mon courage,
     64 J’aime autant son esprit que tu fais son visage.
     65 Confesse donc, ma fille, et crois qu’un si beau feu
     66 Veut être mieux traité que par un désaveu.
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     71 Monsieur, il est tout vrai, son ardeur légitime
     72 A tant gagné sur moi que j’en fais de l’estime ;
     73 J’honore son mérite, et n’ai pu m’empêcher
     74 De prendre du plaisir à m’en voir rechercher ;
     75 J’aime son entretien, je chéris sa présence :
     76 Mais cela n’est enfin qu’un peu de complaisance,
     77 Qu’un mouvement léger qui passe en moins d’un jour.
     78 Vos seuls commandements produiront mon amour ;
     79 Et votre volonté, de la mienne suivie…
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     84 Favorisant ses vœux, seconde ton envie.
     85 Aime, aime ton Lysandre ; et puisque je consens
     86 Et que je t’autorise à ces feux innocents,
     87 Donne-lui hardiment une entière assurance
     88 Qu’un mariage heureux suivra son espérance ;
     89 Engage-lui ta foi. Mais j’aperçois venir
     90 Quelqu’un qui de sa part te vient entretenir.
     91 Ma fille, adieu : les yeux d’un homme de mon âge
     92 Peut-être empêcheraient la moitié du message.
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     97 Il ne vient rien de lui qu’il faille vous celer.
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    102 Mais tu seras sans moi plus libre à lui parler ;
    103 Et ta civilité, sans doute un peu forcée,
    104 Me fait un compliment qui trahit ta pensée.
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    111 Que fait ton maître, Aronte ? Il m’envoie aujourd’hui
    112 Voir ce que sa maîtresse a résolu de lui,
    113 Et comment vous voulez qu’il passe la journée.
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    118 Je serai chez Daphnis toute l’après-dînée ;
    119 Et s’il m’aime, je crois que nous l’y pourrons voir.
    120 Autrement… Ne pensez qu’à l’y bien recevoir.
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    125 S’il y manque, il verra sa paresse punie.
    126 Nous y devons dîner fort bonne compagnie ;
    127 J’y mène, du quartier, Hippolyte et Chloris.
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    132 Après elles et vous il n’est rien dans Paris ;
    133 Et je n’en sache point, pour belles qu’on les nomme,
    134 Qui puissent attirer les yeux d’un honnête homme.
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    139 Je ne suis pas d’humeur bien propre à t’écouter,
    140 Et ne prends pas plaisir à m’entendre flatter.
    141 Sans que ton bel esprit tâche plus d’y paraître,
    142 Mêle-toi de porter ma réponse à ton maître.
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    145 Quelle superbe humeur ! quel arrogant maintien !
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    147 Si mon maître me croit, vous ne tenez plus rien ;
    148 Il changera d’objet, ou j’y perdrai ma peine :
    149 Aussi bien son amour ne vous rend que trop vaine.
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    157 Vous avez fort la presse à ce livre nouveau ;
    158 C’est pour vous faire riche. On le trouve si beau,
    159 Que c’est pour mon profit le meilleur qui se voie.
    160 Mais vous, que vous vendez de ces toiles de soie !
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    165 De vrai, bien que d’abord on en vendît fort peu,
    166 À présent Dieu nous aime, on y court comme au feu ;
    167 Je n’en saurais fournir autant qu’on m’en demande :
    168 Elle sied mieux aussi que celle de Hollande,
    169 Découvre moins le fard dont un visage est peint,
    170 Et donne, ce me semble, un plus grand lustre au teint.
    171 Je perds bien à gagner, de ce que ma boutique,
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    173 Pour être trop étroite, empêche ma pratique ;
    174 À peine y puis-je avoir deux chalands à la fois :
    175 Je veux changer de place avant qu’il soit un mois ;
    176 J’aime mieux en payer le double et davantage,
    177 Et voir ma marchandise en un bel étalage.
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    182 Vous avez bien raison ; mais, à ce que j’entends…
    183 Monsieur, vous plaît-il voir quelques livres du temps ?
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    190 Montrez-m’en quelques-uns. Voici ceux de la mode. 
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    194 Otez-moi cet auteur, son nom seul m’incommode :
    195 C’est un impertinent, ou je n’y connais rien.
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    200 Ses œuvres toutefois se vendent assez bien.
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    205 Quantité d’ignorants ne songent qu’à la rime.
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    210 Monsieur, en voici deux dont on fait grande estime ;
    211 Considérez ce trait, on le trouve divin.
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    216 Il n’est que mal traduit du cavalier Marin ;
    217 Sa veine, au demeurant, me semble assez hardie.
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    223 Ce fut son coup d’essai que cette comédie.
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    228 Cela n’est pas tant mal pour un commencement ;
    229 La plupart de ses vers coulent fort doucement :
    230 Qu’il a de mignardise à décrire un visage !
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    237 Madame, montrez-nous quelques collets d’ouvrage.
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    242 Je vous en vais montrer de toutes les façons.
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    245 Ce visage vaut mieux que toutes vos chansons.
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    248 Voilà du point d’esprit, de Gênes, et d’Espagne.
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    253 Ceci n’est guère bon qu’à des gens de campagne.
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    259 Voyez bien ; s’il en est deux pareils dans Paris…
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    264 Ne les vantez point tant, et dites-nous le prix.
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    269 Quand vous aurez choisi. Que t’en semble, Florice ?
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    274 Ceux-là sont assez beaux, mais de mauvais service ;
    275 En moins de trois savons on ne les connaît plus.
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    280 Celui-ci, qu’en dis-tu ? L’ouvrage en est confus,
    281 Bien que l’invention de près soit assez belle.
    282 Voici bien votre fait, n’était que la dentelle
    283 Est fort mal assortie avec le passement ;
    284 Cet autre n’a de beau que le couronnement.
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    289 Si vous pouviez avoir deux jours de patience,
    290 Il m’en vient, mais qui sont dans la même excellence.
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    295 Il vaudrait mieux attendre. Eh bien, nous attendrons ;
    296 Dites-nous au plus tard quel jour nous reviendrons.
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    301 Mercredi j’en attends de certaines nouvelles.
    302 Cependant vous faut-il quelques autres dentelles ?
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    307 J’en ai ce qu’il m’en faut pour ma provision.
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    311 J’en vais subtilement prendre l’occasion.
    312 La connais-tu, voisine ? Oui, quelque peu de vue :
    313 Quant au reste, elle m’est tout à fait inconnue.
    314 Ce cavalier sans doute y trouve plus d’appas
    315 Que dans tous vos auteurs ? Je n’y manquerai pas. 
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    319 Si tu ne me vois là, je serai dans la salle.
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    321 Je connais celui-ci ; sa veine est fort égale ;
    322 Il ne fait point de vers qu’on ne trouve charmants.
    323 Mais on ne parle plus qu’on fasse de romans ;
    324 J’ai vu que notre peuple en était idolâtre.
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    329 La mode est à présent des pièces de théâtre.
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    334 De vrai, chacun s’en pique ; et tel y met la main,
    335 Qui n’eut jamais l’esprit d’ajuster un quatrain.
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    342 Je te prends sur le livre. Eh bien, qu’en veux-tu dire ?
    343 Tant d’excellents esprits, qui se mêlent d’écrire,
    344 Valent bien qu’on leur donne une heure de loisir.
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    349 Y trouves-tu toujours une heure de plaisir ?
    350 Beaucoup font bien des vers, et peu la comédie.
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    355 Ton goût, je m’en assure, est pour la Normandie.
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    360 Sans rien spécifier, peu méritent de voir ;
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    362 Souvent leur entreprise excède leur pouvoir :
    363 Et tel parle d’amour sans aucune pratique.
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    368 On n’y sait guère alors que la vieille rubrique :
    369 Faute de le connaître, on l’habille en fureur
    370 Et loin d’en faire envie, on nous en fait horreur.
    371 Lui seul de ses effets a droit de nous instruire ;
    372 Notre plume à lui seul doit se laisser conduire :
    373 Pour en bien discourir, il faut l’avoir bien fait ;
    374 Un bon poète ne vient que d’un amant parfait.
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    379 Il n’en faut point douter, l’amour a des tendresses
    380 Que nous n’apprenons point qu’auprès de nos maîtresses.
    381 Tant de sorte d’appas, de doux saisissements,
    382 D’agréables langueurs et de ravissements,
    383 Jusques où d’un bel oeil peut s’étendre l’empire,
    384 Et mille autres secrets que l’on ne saurait dire
    385 (Quoi que tous nos rimeurs en mettent par écrit),
    386 Ne se surent jamais par un effort d’esprit ;
    387 Et je n’ai jamais vu de cervelles bien faites
    388 Qui traitassent l’amour à la façon des poètes :
    389 C’est tout un autre jeu. Le style d’un sonnet
    390 Est fort extravagant dedans un cabinet ;
    391 Il y faut bien louer la beauté qu’on adore,
    392 Sans mépriser Vénus, sans médire de Flore,
    393 Sans que l’éclat des lis, des roses, d’un beau jour,
    394 Ait rien à démêler avecque notre amour.
    395 O pauvre comédie, objet de tant de veines,
    396 Si tu n’es qu’un portrait des actions humaines,
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    398 On te tire souvent sur un original
    399 À qui, pour dire vrai, tu ressembles fort mal !
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    404 Laissons la muse en paix, de grâce à la pareille.
    405 Chacun fait ce qu’il peut, et ce n’est pas merveille
    406 Si, comme avec bon droit on perd bien un procès,
    407 Souvent un bon ouvrage a de faibles succès.
    408 Le jugement de l’homme, ou plutôt son caprice,
    409 Pour quantité d’esprits n’a que de l’injustice :
    410 J’en admire beaucoup dont on fait peu d’état ;
    411 Leurs fautes, tout au pis, ne sont pas coups d’Etat,
    412 La plus grande est toujours de peu de conséquence.
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    417 Vous plairait-il de voir des pièces d’éloquence ?
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    420 J’en lus hier la moitié ; mais son vol est si haut,
    421 Que presque à tous moments je me trouve en défaut.
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    426 Voici quelques auteurs dont j’aime l’industrie.
    427 Mettez ces trois à part, mon maître, je vous prie ;
    428 Tantôt un de mes gens vous les viendra payer.
    429 Le reste du matin où veux-tu l’employer ?
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    434 Voyez deçà, messieurs ; vous plaît-il rien du nôtre ?
    435 Voyez, je vous ferai meilleur marché qu’un autre,
    436 Des gants, des baudriers, des rubans, des castors.
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    443 Je ne saurais encor te suivre si tu sors :
    444 Faisons un tour de salle, attendant mon Cléante.
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    449 Qui te retient ici ? L’histoire en est plaisante :
    450 Tantôt, comme j’étais sur le livre occupé,
    451 Tout proche on est venu choisir du point coupé.
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    456 Qui ? C’est la question ; mais s’il faut s’en remettre
    457 À ce qu’à mes regards sa coiffe a pu permettre,
    458 Je n’ai rien vu d’égal : mon Cléante la suit,
    459 Et ne reviendra point qu’il n’en soit bien instruit,
    460 Qu’il n’en sache le nom, le rang et la demeure.
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    465 Ami, le cœur t’en dit. Nullement, ou je meure ;
    466 Voyant je ne sais quoi de rare en sa beauté,
    467 J’ai voulu contenter ma curiosité.
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    473 Ta curiosité deviendra bientôt flamme ;
    474 C’est par là que l’amour se glisse dans une âme.
    475 À la première vue, un objet qui nous plaît
    476 N’inspire qu’un désir de savoir quel il est ;
    477 On en veut aussitôt apprendre davantage,
    478 Voir si son entretien répond à son visage,
    479 S’il est civil ou rude, importun ou charmeur,
    480 Eprouver son esprit, connaître son humeur :
    481 De là cet examen se tourne en complaisance ;
    482 On cherche si souvent le bien de sa présence,
    483 Qu’on en fait habitude, et qu’au point d’en sortir
    484 Quelque regret commence à se faire sentir :
    485 On revient tout rêveur ; et notre âme blessée,
    486 Sans prendre garde à rien, cajole sa pensée.
    487 Ayant rêvé le jour, la nuit à tous propos
    488 On sent je ne sais quoi qui trouble le repos ;
    489 Un sommeil inquiet, sur de confus nuages,
    490 Elève incessamment de flatteuses images,
    491 Et sur leur vain rapport fait naître des souhaits
    492 Que le réveil admire et ne dédit jamais ;
    493 Tout le cœur court en hâte après de si doux guides ;
    494 Et le moindre larcin que font ses vœux timides
    495 Arrête le larron, et le met dans les fers.
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    500 Ainsi tu fus épris de celle que tu sers ?
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    506 C’est un autre discours ; à présent je ne touche
    507 Qu’aux ruses de l’amour contre un esprit farouche,
    508 Qu’il faut apprivoiser presque insensiblement,
    509 Et contre ses froideurs combattre finement.
    510 Des naturels plus doux… Eh bien, elle s’appelle ? 
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    512 Ne m’informez de rien qui touche cette belle.
    513 Trois filous rencontrés vers le milieu du pont,
    514 Chacun l’épée au poing, m’ont voulu faire affront,
    515 Et sans quelques amis qui m’ont tiré de peine,
    516 Contr’eux ma résistance eût peut-être été vaine ;
    517 Ils ont tourné le dos, me voyant secouru,
    518 Mais ce que je suivais tandis est disparu.
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    522 
    523 Les traîtres ! trois contre un ! t’attaquer ! te surprendre !
    524 Quels insolents vers moi s’osent ainsi méprendre ?
    525 
    526 
    527 
    528 
    529 Je ne connais qu’un d’eux, et c’est là le retour
    530 De quelques tours de main qu’il reçut l’autre jour,
    531 
    532 Lorsque, m’ayant tenu quelques propos d’ivrogne,
    533 Nous eûmes prise ensemble à l’hôtel de Bourgogne.
    534 
    535 
    536 
    537 
    538 Qu’on le trouve où qu’il soit ; qu’une grêle de bois
    539 Assemble sur lui seul le châtiment des trois ;
    540 Et que sous l’étrivière il puisse tôt connaître,
    541 Quand on se prend aux miens, qu’on s’attaque à leur maître !
    542 
    543 
    544 
    545 
    546 J’aime à te voir ainsi décharger ton courroux :
    547 Mais voudrais-tu parler franchement entre nous ?
    548 
    549 
    550 
    551 
    552 Quoi ! tu doutes encor de ma juste colère ?
    553 
    554 
    555 
    556 
    557 En ce qui le regarde, elle n’est que légère :
    558 En vain pour son sujet tu fais l’intéressé ;
    559 Il a paré des coups dont ton cœur est blessé :
    560 Cet accident fâcheux te vole une maîtresse ;
    561 Confesse ingénument, c’est là ce qui te presse.
    562 
    563 
    564 
    565 
    566 Pourquoi te confesser ce que tu vois assez ?
    567 Au point de se former, mes desseins renversés,
    568 Et mon désir trompé, poussent dans ces contraintes,
    569 Sous de faux mouvements, de véritables plaintes.
    570 
    571 
    572 
    573 
    574 Ce désir, à vrai dire, est un amour naissant
    575 Qui ne sait où se prendre, et demeure impuissant ;
    576 Il s’égare et se perd dans cette incertitude ;
    577 Et renaissant toujours de ton inquiétude,
    578 
    579 Il te montre un objet d’autant plus souhaité,
    580 Que plus sa connaissance a de difficulté.
    581 C’est par là que ton feu davantage s’allume :
    582 Moins on l’a pu connaître, et plus on en présume ;
    583 Notre ardeur curieuse en augmente le prix.
    584 
    585 
    586 
    587 
    588 Que tu sais cher ami, lire dans les esprits !
    589 Et que, pour bien juger d’une secrète flamme,
    590 Tu pénètres avant dans les ressorts d’une âme !
    591 
    592 
    593 
    594 
    595 Ce n’est pas encor tout, je veux te secourir.
    596 
    597 
    598 
    599 
    600 Oh, que je ne suis pas en état de guérir !
    601 L’amour use sur moi de trop de tyrannie.
    602 
    603 
    604 
    605 
    606 Souffre que je te mène en une compagnie
    607 Où l’objet de mes vœux m’a donné rendez-vous ;
    608 Les divertissements t’y sembleront si doux,
    609 Ton âme en un moment en sera si charmée
    610 Que, tous ses déplaisirs dissipés en fumée,
    611 On gagnera sur toi fort aisément ce point
    612 D’oublier un objet que tu ne connais point.
    613 Mais garde-toi surtout d’une jeune voisine
    614 Que ma maîtresse y mène ; elle est et belle et fine,
    615 Et sait si dextrement ménager ses attraits,
    616 Qu’il n’est pas bien aisé d’en éviter les traits.
    617 
    618 
    619 
    620 
    621 Au hasard, fais de moi tout ce que bon te semble.
    622 
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    625 
    626 Donc, en attendant l’heure, allons dîner ensemble.
    627 
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    631 
    632 
    633 Tu me railles toujours. S’il ne vous veut du bien,
    634 Dites assurément que je n’y connais rien.
    635 Je le considérais tantôt chez ce libraire ;
    636 Ses regards de sur vous ne pouvaient se distraire,
    637 Et son maintien était dans une émotion
    638 Qui m’instruisait assez de son affection.
    639 Il voulait vous parler, et n’osait l’entreprendre.
    640 
    641 
    642 
    643 
    644 Toi, ne me parle point, ou parle de Lysandre :
    645 C’est le seul dont la vue excite mon ardeur.
    646 
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    650 Et le seul qui pour vous n’a que de la froideur.
    651 Célidée est son âme, et tout autre visage
    652 N’a point d’assez beaux traits pour toucher son courage ;
    653 Son brasier est trop grand, rien ne peut l’amortir :
    654 En vain son écuyer tâche à l’en divertir,
    655 En vain, jusques aux cieux portant votre louange,
    656 Il tâche à lui jeter quelque amorce du change,
    657 Et lui dit jusque-là que dans votre entretien
    658 Vous témoignez souvent de lui vouloir du bien ;
    659 Tout cela n’est qu’autant de paroles perdues.
    660 
    661 
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    663 
    664 Faute d’être sans doute assez bien entendues.
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    666 
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    668 
    669 Ne le présumez pas, il faut avoir recours
    670 
    671 À de plus hauts secrets qu’à ces faibles discours.
    672 Je fus fine autrefois, et depuis mon veuvage
    673 Ma ruse chaque jour s’est accrue avec l’âge :
    674 Je me connais en monde, et sais mille ressorts
    675 Pour débaucher une âme et brouiller des accords.
    676 
    677 
    678 
    679 
    680 Dis promptement, de grâce. À présent l’heure presse,
    681 Et je ne vous saurais donner qu’un mot d’adresse.
    682 Cette voisine et vous… Mais déjà la voici.
    683 
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    687 
    688 
    689 À force de tarder, tu m’as mise en souci :
    690 Il est temps, et Daphnis par un page me mande
    691 Que pour faire servir on n’attend que ma bande ;
    692 Le carrosse est tout prêt : allons, veux-tu venir ?
    693 
    694 
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    696 
    697 Lysandre après dîner t’y vient entretenir ?
    698 
    699 
    700 
    701 
    702 S’il osait y manquer, je te donne promesse
    703 Qu’il pourrait bien ailleurs chercher une maîtresse.
    704 
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    711 Ne me contez point tant que mon visage est beau :
    712 Ces discours n’ont pour moi rien du tout de nouveau ;
    713 Je le sais bien sans vous, et j’ai cet avantage,
    714 Quelques perfections qui soient sur mon visage,
    715 Que je suis la première à m’en apercevoir :
    716 Pour me les bien apprendre, il ne faut qu’un miroir ;
    717 J’y vois en un moment tout ce que vous me dites.
    718 
    719 
    720 
    721 
    722 Mais vous n’y voyez pas tous vos rares mérites :
    723 Cet esprit tout divin et ce doux entretien
    724 Ont des charmes puissants dont il ne montre rien.
    725 
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    729 Vous les montrez assez par cette après-dînée
    730 Qu’à causer avec moi vous vous êtes donnée ;
    731 Si mon discours n’avait quelque charme caché,
    732 Il ne vous tiendrait pas si longtemps attaché.
    733 Je vous juge plus sage, et plus aimer votre aise,
    734 Que d’y tarder ainsi sans que rien vous y plaise ;
    735 Et si je présumais qu’il vous plût sans raison,
    736 
    737 Je me ferais moi-même un peu de trahison ;
    738 Et par ce trait badin qui sentirait l’enfance,
    739 Votre beau jugement recevrait trop d’offense.
    740 Je suis un peu timide, et dût-on me jouer,
    741 Je n’ose démentir ceux qui m’osent louer.
    742 
    743 
    744 
    745 
    746 Aussi vous n’avez pas le moindre lieu de craindre
    747 Qu’on puisse, en vous louant ni vous flatter ni feindre ;
    748 On voit un tel éclat en vos brillants appas,
    749 Qu’on ne peut l’exprimer, ni ne l’adorer pas.
    750 
    751 
    752 
    753 
    754 Ni ne l’adorer pas ! Par là vous voulez dire…
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    758 
    759 Que mon cœur désormais vit dessous votre empire,
    760 Et que tous mes desseins de vivre en liberté
    761 N’ont rien eu d’assez fort contre votre beauté.
    762 
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    766 Quoi ? mes perfections vous donnent dans la vue ?
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    770 
    771 Les rares qualités dont vous êtes pourvue
    772 Vous ôtent tout sujet de vous en étonner.
    773 
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    776 
    777 Cessez aussi, monsieur, de vous l’imaginer.
    778 Si vous brûlez pour moi, ce ne sont pas merveilles ;
    779 J’ai de pareils discours chaque jour aux oreilles,
    780 Et tous les gens d’esprit en font autant que vous.
    781 
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    784 
    785 En amour toutefois je les surpasse tous.
    786 Je n’ai point consulté pour vous donner mon âme ;
    787 
    788 Votre premier aspect sut allumer ma flamme,
    789 Et je sentis mon cœur, par un secret pouvoir,
    790 Aussi prompt à brûler que mes yeux à vous voir.
    791 
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    794 
    795 Avoir connu d’abord combien je suis aimable,
    796 Encor qu’à votre avis il soit inexprimable,
    797 Ce grand et prompt effet m’assure puissamment
    798 De la vivacité de votre jugement.
    799 Pour moi, que la nature a faite un peu grossière,
    800 Mon esprit, qui n’a pas cette vive lumière,
    801 Conduit trop pesamment toutes ses fonctions
    802 Pour m’avertir sitôt de vos perfections.
    803 Je vois bien que vos feux méritent récompense :
    804 Mais de les seconder ce défaut me dispense.
    805 
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    807 
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    809 Railleuse ! Excusez-moi, je parle tout de bon. 
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    813 Le temps de cet orgueil me fera la raison ;
    814 Et nous verrons un jour, à force de services,
    815 Adoucir vos rigueurs et finir mes supplices.
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    822 
    823 Peut-être l’avenir… Tout beau, coureur, tout beau !
    824 
    825 On n’est pas quitte ainsi pour un coup de chapeau :
    826 Vous aimez l’entretien de votre fantaisie ;
    827 Mais pour un cavalier c’est peu de courtoisie,
    828 Et cela messied fort à des hommes de cour,
    829 De n’accompagner pas leur salut d’un bonjour.
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    833 
    834 Puisque auprès d’un sujet capable de nous plaire
    835 La présence d’un tiers n’est jamais nécessaire,
    836 De peur qu’il en reçût quelque importunité,
    837 J’ai mieux aimé manquer à la civilité.
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    840 
    841 
    842 Voilà parer mon coup d’un galant artifice,
    843 Comme si je pouvais… Que me veux-tu, Florice ?
    844 Dis-lui que je m’en vais. Messieurs, pardonnez-moi,
    845 On me vient d’apporter une fâcheuse loi ;
    846 Incivile à mon tour, il faut que je vous quitte.
    847 Une mère m’appelle. Adieu, belle Hippolyte,
    848 Adieu : souvenez-vous… Mais vous, n’y songez plus.
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    855 Quoi ! Dorimant, ce mot t’a rendu tout confus !
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    860 Ce mot à mes désirs laisse peu d’espérance.
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    865 Tu ne la vois encor qu’avec indifférence ?
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    870 Comme toi Célidée. Elle eut donc chez Daphnis,
    871 Hier dans son entretien des charmes infinis ?
    872 Je te l’avais bien dit que ton âme à sa vue
    873 Demeurerait, ou prise, ou puissamment émue ;
    874 Mais tu n’as pas sitôt oublié la beauté
    875 Qui fit naître au Palais ta curiosité ?
    876 Du moins ces deux objets balancent ton courage ?
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    879 
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    881 Sais-tu bien que c’est là justement mon visage,
    882 Celui que j’avais vu le matin au Palais ?
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    887 À ce compte… J’en tiens, ou l’on n’en tint jamais.
    888 
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    891 
    892 C’est consentir bientôt à perdre ta franchise.
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    898 C’est rendre un prompt hommage aux yeux qui me l’ont prise.
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    903 Puisque tu les connais, je ne plains plus ton mal.
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    908 Leur coup, pour les connaître, en est-il moins fatal ?
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    913 Non, mais du moins ton cœur n’est plus à la torture
    914 De voir tes vœux forcés d’aller à l’aventure ;
    915 Et cette belle humeur de l’objet qui t’a pris…
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    920 Sous un accueil riant cache un subtil mépris.
    921 Ah, que tu ne sais pas de quel air on me traite !
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    926 Je t’en avais jugé l’âme fort satisfaite :
    927 Et cette gaie humeur, qui brillait dans ses yeux,
    928 M’en promettait pour toi quelque chose de mieux.
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    933 Cette belle, de vrai, quoique toute de glace,
    934 Mêle dans ses froideurs je ne sais quelle grâce,
    935 Par où tout de nouveau je me laisse gagner,
    936 Et consens, peu s’en faut, à m’en voir dédaigner.
    937 Loin de s’en affaiblir, mon amour s’en augmente ;
    938 Je demeure charmé de ce qui me tourmente.
    939 Je pourrais de toute autre être le possesseur,
    940 Que sa possession aurait moins de douceur.
    941 Je ne suis plus à moi quand je vois Hippolyte
    942 
    943 Rejeter ma louange et vanter son mérite,
    944 Négliger mon amour ensemble et l’approuver,
    945 Me remplir tout d’un temps d’espoir et m’en priver,
    946 Me refuser son cœur en acceptant mon âme,
    947 Faire état de mon choix en méprisant ma flamme.
    948 Hélas ! en voilà trop : le moindre de ces traits
    949 A pour me retenir de trop puissants attraits ;
    950 Trop heureux d’avoir vu sa froideur enjouée
    951 Ne se point offenser d’une ardeur avouée !
    952 
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    956 Son adieu toutefois te défend d’y songer,
    957 Et ce commandement t’en devrait dégager.
    958 
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    960 
    961 
    962 Qu’un plus capricieux d’un tel adieu s’offense ;
    963 Il me donne un conseil plutôt qu’une défense,
    964 Et par ce mot d’avis, son cœur sans amitié
    965 Du temps que j’y perdrai montre quelque pitié.
    966 
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    968 
    969 
    970 Soit défense ou conseil, de rien ne désespère ;
    971 Je te réponds déjà de l’esprit de sa mère.
    972 Pleirante son voisin lui parlera pour toi ;
    973 Il peut beaucoup sur elle, et fera tout pour moi.
    974 Tu sais qu’il m’a donné sa fille pour maîtresse.
    975 Tâche à vaincre Hippolyte avec un peu d’adresse,
    976 Et n’appréhende pas qu’il en faille beaucoup :
    977 
    978 Tu verras sa froideur se perdre tout d’un coup.
    979 Elle ne se contraint à cette indifférence
    980 Que pour rendre une entière et pleine déférence,
    981 Et cherche, en déguisant son propre sentiment,
    982 La gloire de n’aimer que par commandement.
    983 
    984 
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    986 
    987 Tu me flattes, ami, d’une attente frivole.
    988 
    989 
    990 
    991 
    992 L’effet suivra de près. Mon cœur, sur ta parole,
    993 Ne se résout qu’à peine à vivre plus content.
    994 
    995 
    996 
    997 
    998 Il se peut assurer du bonheur qu’il prétend ;
    999 J’y donnerai bon ordre. Adieu : le temps me presse,
   1000 Et je viens de sortir d’auprès de ma maîtresse ;
   1001 Quelques commissions dont elle m’a chargé
   1002 M’obligent maintenant à prendre ce congé.
   1003 
   1004 
   1005 
   1006 
   1007 Dieux ! qu’il est malaisé qu’une âme bien atteinte
   1008 
   1009 Conçoive de l’espoir qu’avec un peu de crainte !
   1010 Je dois toute croyance à la foi d’un ami,
   1011 Et n’ose cependant m’y fier qu’à demi.
   1012 Hippolyte, d’un mot, chasserait ce caprice.
   1013 Est-elle encore en haut ? Encore. Adieu, Florice.
   1014 Nous la verrons demain. Il vient de s’en aller.
   1015 Sortez. Mais fallait-il ainsi me rappeler,
   1016 Me supposer ainsi des ordres d’une mère ?
   1017 Sans mentir, contre toi j’en suis toute en colère :
   1018 À peine ai-je attiré Lysandre en nos discours,
   1019 Que tu viens par plaisir en arrêter le cours.
   1020 
   1021 
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   1023 
   1024 Eh bien ! prenez-vous-en à mon impatience
   1025 De vous communiquer un trait de ma science :
   1026 Cet avis important tombé dans mon esprit
   1027 Méritait qu’aussitôt Hippolyte l’apprît ;
   1028 Je vais sans perdre temps y disposer Aronte.
   1029 
   1030 
   1031 
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   1033 
   1034 J’ai la mine après tout d’y trouver mal mon conte.
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   1036 
   1037 
   1038 
   1039 Je sais ce que je fais, et ne perds point mes pas ;
   1040 Mais de votre côté ne vous épargnez pas ;
   1041 Mettez tout votre esprit à bien mener la ruse.
   1042 
   1043 
   1044 
   1045 
   1046 Il ne faut point par là te préparer d’excuse.
   1047 Va, suivant le succès, je veux à l’avenir
   1048 Du mal que tu m’as fait perdre le souvenir.
   1049 
   1050 Célidée, es-tu là ? Que me veut Hippolyte ? 
   1051 
   1052 
   1053 
   1054 Délasser mon esprit une heure en ta visite.
   1055 Que j’ai depuis un jour un importun amant !
   1056 Et que, pour mon malheur, je plais à Dorimant !
   1057 
   1058 
   1059 
   1060 
   1061 Ma sœur, que me dis-tu ? Dorimant t’importune !
   1062 Quoi ! j’enviais déjà ton heureuse fortune,
   1063 
   1064 Et déjà dans l’esprit je sentais quelque ennui
   1065 D’avoir connu Lysandre auparavant que lui.
   1066 
   1067 
   1068 
   1069 
   1070 Ah ! ne me raille point. Lysandre, qui t’engage,
   1071 Est le plus accompli des hommes de son âge.
   1072 
   1073 
   1074 
   1075 
   1076 Je te jure, à mes yeux l’autre l’est bien autant.
   1077 Mon cœur a de la peine à demeurer constant ;
   1078 Et pour te découvrir jusqu’au fond de mon âme,
   1079 Ce n’est plus que ma foi qui conserve ma flamme :
   1080 Lysandre me déplaît de me vouloir du bien.
   1081 Plût aux dieux que son change autorisât le mien,
   1082 Ou qu’il usât vers moi de tant de négligence,
   1083 Que ma légèreté se pût nommer vengeance !
   1084 Si j’avais un prétexte à me mécontenter,
   1085 Tu me verrais bientôt résoudre à le quitter.
   1086 
   1087 
   1088 
   1089 
   1090 Simple, présumes-tu qu’il devienne volage
   1091 Tant qu’il verra l’amour régner sur ton visage ?
   1092 Ta flamme trop visible entretient ses ferveurs,
   1093 Et ses feux dureront autant que tes faveurs.
   1094 
   1095 
   1096 
   1097 
   1098 Il semble, à t’écouter, que rien ne le retienne
   1099 Que parce que sa flamme a l’aveu de la mienne.
   1100 
   1101 
   1102 
   1103 
   1104 Que sais-je ? Il n’a jamais éprouvé tes rigueurs ;
   1105 L’amour en même temps sut embraser vos cœurs ;
   1106 Et même j’ose dire, après beaucoup de monde,
   1107 Que sa flamme vers toi ne fut que la seconde.
   1108 
   1109 Il se vit accepter avant que de s’offrir ;
   1110 Il ne vit rien à craindre, il n’eut rien à souffrir ;
   1111 Il vit sa récompense acquise avant la peine,
   1112 Et devant le combat sa victoire certaine.
   1113 Un homme est bien cruel quand il ne donne pas
   1114 Un cœur qu’on lui demande avecque tant d’appas.
   1115 Qu’à ce prix la constance est une chose aisée,
   1116 Et qu’autrefois par là je me vis abusée !
   1117 Alcidor, que mes yeux avaient si fort épris,
   1118 Courut au changement dès le premier mépris.
   1119 La force de l’amour paraît dans la souffrance.
   1120 Je le tiens fort douteux, s’il a tant d’assurance.
   1121 Qu’on en voit s’affaiblir pour un peu de longueur !
   1122 Et qu’on en voit céder à la moindre rigueur !
   1123 
   1124 
   1125 
   1126 
   1127 Je connais mon Lysandre, et sa flamme est trop forte
   1128 Pour tomber en soupçon qu’il m’aime de la sorte.
   1129 Toutefois un dédain éprouvera ses feux.
   1130 Ainsi, quoi qu’il en soit, j’aurai ce que je veux ;
   1131 Il me rendra constante, ou me fera volage :
   1132 S’il m’aime, il me retient ; s’il change, il me dégage.
   1133 Suivant ce qu’il aura d’amour ou de froideur,
   1134 Je suivrai ma nouvelle ou ma première ardeur.
   1135 
   1136 
   1137 
   1138 
   1139 En vain tu t’y résous : ton âme un peu contrainte,
   1140 Au travers de tes yeux lui trahira ta feinte.
   1141 L’un d’eux dédira l’autre, et toujours un souris
   1142 Lui fera voir assez combien tu le chéris.
   1143 
   1144 
   1145 
   1146 
   1147 Ce n’est qu’un faux soupçon qui te le persuade ;
   1148 
   1149 J’armerai de rigueurs jusqu’à la moindre oeillade,
   1150 Et réglerai si bien toutes mes actions,
   1151 Qu’il ne pourra juger de mes intentions.
   1152 Pour le moins aussitôt que par cette conduite
   1153 Tu seras de son cœur suffisamment instruite,
   1154 S’il demeure constant, l’amour et la pitié,
   1155 Avant que dire adieu, renoueront l’amitié.
   1156 
   1157 
   1158 
   1159 
   1160 Il va bientôt venir. Va-t’en, et sois certaine
   1161 De ne voir d’aujourd’hui Lysandre hors de peine.
   1162 
   1163 
   1164 
   1165 
   1166 Et demain ? Je t’irai conter ses mouvements
   1167 Et touchant l’avenir prendre tes sentiments.
   1168 O dieux ! si je pouvais changer sans infamie !
   1169 
   1170 
   1171 
   1172 
   1173 Adieu. N’épargne en rien ta plus fidèle amie.
   1174 
   1175 
   1176 
   1177 
   1178 
   1179 
   1180 Quel étrange combat ! Je meurs de le quitter,
   1181 Et mon reste d’amour ne le peut maltraiter.
   1182 Mon âme veut et n’ose, et bien que refroidie,
   1183 N’aura trait de mépris si je ne l’étudie.
   1184 
   1185 Tout ce que mon Lysandre a de perfections
   1186 Se vient offrir en foule à mes affections.
   1187 Je vois mieux ce qu’il vaut lorsque je l’abandonne,
   1188 Et déjà la grandeur de ma perte m’étonne.
   1189 Pour régler sur ce point mon esprit balancé,
   1190 J’attends ses mouvements sur mon dédain forcé ;
   1191 Ma feinte éprouvera si son amour est vraie.
   1192 Hélas ! ses yeux me font une nouvelle plaie.
   1193 Prépare-toi, mon cœur, et laisse à mes discours
   1194 Assez de liberté pour trahir mes amours.
   1195 
   1196 
   1197 
   1198 
   1199 
   1200 
   1201 Quoi ? j’aurai donc de vous encore une visite !
   1202 Vraiment pour aujourd’hui je m’en estimais quitte.
   1203 
   1204 
   1205 
   1206 
   1207 Une par jour suffit, si tu veux endurer
   1208 Qu’autant comme le jour je la fasse durer.
   1209 
   1210 
   1211 
   1212 
   1213 Pour douce que nous soit l’ardeur qui nous consume,
   1214 Tant d’importunité n’est point sans amertume.
   1215 
   1216 
   1217 
   1218 
   1219 Au lieu de me donner ces appréhensions,
   1220 Apprends ce que j’ai fait sur tes commissions.
   1221 
   1222 
   1223 
   1224 
   1225 Je ne vous en chargeai qu’afin de me défaire
   1226 D’un entretien chargeant, et qui m’allait déplaire.
   1227 
   1228 
   1229 
   1230 
   1231 
   1232 Depuis quand donnez-vous ces qualités aux miens ?
   1233 
   1234 
   1235 
   1236 
   1237 Depuis que mon esprit n’est plus dans vos liens.
   1238 
   1239 
   1240 
   1241 
   1242 Est-ce donc par gageure, ou par galanterie ?
   1243 
   1244 
   1245 
   1246 
   1247 Ne vous flattez point tant que ce soit raillerie.
   1248 Ce que j’ai dans l’esprit je ne le puis celer,
   1249 Et ne suis pas d’humeur à rien dissimuler.
   1250 
   1251 
   1252 
   1253 
   1254 Quoi ! que vous ai-je fait ? d’où provient ma disgrâce ?
   1255 Quel sujet avez-vous d’être pour moi de glace ?
   1256 Ai-je manqué de soins ? ai-je manqué de feux ?
   1257 Vous ai-je dérobé le moindre de mes vœux ?
   1258 Ai-je trop peu cherché l’heur de votre présence ?
   1259 Ai-je eu pour d’autres yeux la moindre complaisance ?
   1260 
   1261 
   1262 
   1263 
   1264 Tout cela n’est qu’autant de propos superflus.
   1265 Je voulus vous aimer, et je ne le veux plus ;
   1266 Mon feu fut sans raison, ma glace l’est de même ;
   1267 Si l’un eut quelque excès, je rendrai l’autre extrême.
   1268 
   1269 
   1270 
   1271 
   1272 Par cette extrémité vous avancez ma mort.
   1273 
   1274 
   1275 
   1276 
   1277 Il m’importe fort peu quel sera votre sort.
   1278 
   1279 
   1280 
   1281 
   1282 Quelle nouvelle amour, ou plutôt quel caprice
   1283 
   1284 Vous porte à me traiter avec cette injustice,
   1285 Vous de qui le serment m’a reçu pour époux ?
   1286 
   1287 
   1288 
   1289 
   1290 J’en perds le souvenir aussi bien que de vous.
   1291 
   1292 
   1293 
   1294 
   1295 Évitez-en la honte et fuyez-en le blâme.
   1296 
   1297 
   1298 
   1299 
   1300 Je les veux accepter pour peines de ma flamme.
   1301 
   1302 
   1303 
   1304 
   1305 Un reproche éternel suit ce tour inconstant.
   1306 
   1307 
   1308 
   1309 
   1310 Si vous me voulez plaire, il en faut faire autant.
   1311 
   1312 
   1313 
   1314 
   1315 Est-ce là donc le prix de vous avoir servie ?
   1316 Ah ! cessez vos mépris, ou me privez de vie.
   1317 
   1318 
   1319 
   1320 
   1321 Eh bien ! soit, un adieu les va faire cesser :
   1322 Aussi bien ce discours ne fait que me lasser.
   1323 
   1324 
   1325 
   1326 
   1327 Ah ! redouble plutôt ce dédain qui me tue,
   1328 Et laisse-moi le bien d’expirer à ta vue ;
   1329 Que j’adore tes yeux, tout cruels qu’ils me sont ;
   1330 Qu’ils reçoivent mes vœux pour le mal qu’ils me font.
   1331 Invente à me gêner quelque rigueur nouvelle ;
   1332 Traite, si tu le veux, mon âme en criminelle :
   1333 Dis que je suis ingrat, appelle-moi léger ;
   1334 Impute à mes amours la honte de changer ;
   1335 Dedans mon désespoir fais éclater ta joie ;
   1336 Et tout me sera doux, pourvu que je te voie.
   1337 
   1338 Tu verras tes mépris n’ébranler point ma foi,
   1339 Et mes derniers soupirs ne voler qu’après toi.
   1340 Ne crains point de ma part de reproche ou d’injure,
   1341 Je ne t’appellerai ni lâche, ni parjure.
   1342 Mon feu supprimera ces titres odieux ;
   1343 Mes douleurs céderont au pouvoir de tes yeux ;
   1344 Et mon fidèle amour, malgré leur vie atteinte,
   1345 Pour t’adorer encore étouffera ma plainte.
   1346 
   1347 
   1348 
   1349 
   1350 Adieu. Quelques encens que tu veuilles m’offrir,
   1351 Je ne me saurais plus résoudre à les souffrir.
   1352 
   1353 
   1354 
   1355 
   1356 
   1357 
   1358 Célidée ! Ah, tu fuis ! tu fuis donc, et tu n’oses
   1359 Faire tes yeux témoins d’un trépas que tu causes !
   1360 Ton esprit, insensible à mes feux innocents,
   1361 Craint de ne l’être pas aux douleurs que je sens :
   1362 Tu crains que la pitié qui se glisse en ton âme
   1363 N’y rejette un rayon de ta première flamme,
   1364 Et qu’elle ne t’arrache un soudain repentir,
   1365 
   1366 Malgré tout cet orgueil qui n’y peut consentir.
   1367 Tu vois qu’un désespoir dessus mon front exprime
   1368 En mille traits de feu mon ardeur et ton crime ;
   1369 Mon visage t’accuse, et tu vois dans mes yeux
   1370 Un portrait que mon cœur conserve beaucoup mieux.
   1371 Tous mes soins, tu le sais, furent pour Célidée :
   1372 La nuit ne m’a jamais retracé d’autre idée,
   1373 Et tout ce que Paris a d’objets ravissants
   1374 N’a jamais ébranlé le moindre de mes sens.
   1375 Ton exemple à changer en vain me sollicite ;
   1376 Dans ta volage humeur j’adore ton mérite ;
   1377 Et mon amour, plus fort que mes ressentiments,
   1378 Conserve sa vigueur au milieu des tourments,
   1379 Reviens, mon cher souci, puisqu’après tes défenses
   1380 Mes plus vives ardeurs sont pour toi des offenses.
   1381 Vois comme je persiste à te désobéir,
   1382 Et par là, si tu peux, prends droit de me haïr.
   1383 Fol, je présume ainsi rappeler l’inhumaine,
   1384 Qui ne veut pas avoir de raisons à sa haine ?
   1385 Puisqu’elle a sur mon cœur un pouvoir absolu,
   1386 Il lui suffit de dire : "Ainsi je l’ai voulu."
   1387 Cruelle, tu le veux ! C’est donc ainsi qu’on traite
   1388 Les sincères ardeurs d’une amour si parfaite ?
   1389 Tu me veux donc trahir ? Tu le veux, et ta foi
   1390 N’est qu’un gage frivole à qui vit sous ta loi ?
   1391 Mais je veux l’endurer sans bruit, sans résistance ;
   1392 Tu verras ma langueur, et non mon inconstance ;
   1393 Et de peur de t’ôter un captif par ma mort,
   1394 J’attendrai ce bonheur de mon funeste sort.
   1395 Jusque-là mes douleurs, publiant ta victoire,
   1396 Sur mon front pâlissant élèveront ta gloire,
   1397 
   1398 Et sauront en tous lieux hautement témoigner
   1399 Que, sans me refroidir, tu m’as pu dédaigner.
   1400 
   1401 
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   1403 
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   1408 Tu me donnes, Aronte, un étrange remède.
   1409 
   1410 
   1411 
   1412 
   1413 Souverain toutefois au mal qui vous possède,
   1414 Croyez-moi, j’en ai vu des succès merveilleux
   1415 À remettre au devoir ces esprits orgueilleux :
   1416 Quand on leur sait donner un peu de jalousie,
   1417 Ils ont bientôt quitté ces traits de fantaisie ;
   1418 Car enfin tout l’éclat de ces emportements
   1419 Ne peut avoir pour but de perdre leurs amants.
   1420 
   1421 
   1422 
   1423 
   1424 Que voudrait donc par là mon ingrate maîtresse ?
   1425 
   1426 
   1427 
   1428 
   1429 Elle vous joue un tour de la plus haute adresse.
   1430 Avez-vous bien pris garde au temps de ses mépris ?
   1431 Tant qu’elle vous a cru légèrement épris,
   1432 Que votre chaîne encor n’était pas assez forte,
   1433 Vous a-t-elle jamais gouverné de la sorte ?
   1434 Vous ignoriez alors l’usage des soupirs ;
   1435 Ce n’étaient que douceurs, ce n’étaient que plaisirs :
   1436 Son esprit avisé voulait par cette ruse
   1437 
   1438 Établir un pouvoir dont maintenant elle use.
   1439 Remarquez-en l’adresse ; elle fait vanité
   1440 De voir dans ses dédains votre fidélité.
   1441 Votre humeur endurante à ces rigueurs l’invite.
   1442 On voit par là vos feux, par vos feux son mérite ;
   1443 Et cette fermeté de vos affections
   1444 Montre un effet puissant de ses perfections.
   1445 Osez-vous espérer qu’elle soit plus humaine,
   1446 Puisque sa gloire augmente, augmentant votre peine ?
   1447 Rabattez cet orgueil, faites-lui soupçonner
   1448 Que vous vous en piquez jusqu’à l’abandonner.
   1449 La crainte d’en voir naître une si juste suite
   1450 À vivre comme il faut l’aura bientôt réduite ;
   1451 Elle en fuira la honte, et ne souffrira pas
   1452 Que ce change s’impute à son manque d’appas.
   1453 Il est de son honneur d’empêcher qu’on présume
   1454 Qu’on éteigne aisément les flammes qu’elle allume.
   1455 Feignez d’aimer quelque autre, et vous verrez alors
   1456 Combien à vous reprendre elle fera d’efforts.
   1457 
   1458 
   1459 
   1460 
   1461 Mais peux-tu me juger capable d’une feinte ?
   1462 
   1463 
   1464 
   1465 
   1466 Pouvez-vous trouver rude un moment de contrainte ?
   1467 
   1468 
   1469 
   1470 
   1471 Je trouve ses mépris plus doux à supporter.
   1472 
   1473 
   1474 
   1475 
   1476 
   1477 Pour les faire finir, il faut les imiter.
   1478 
   1479 
   1480 
   1481 
   1482 Faut-il être inconstant pour la rendre fidèle ?
   1483 
   1484 
   1485 
   1486 
   1487 Il faut souffrir toujours, ou déguiser comme elle.
   1488 
   1489 
   1490 
   1491 
   1492 Que de raisons, Aronte, à combattre mon cœur,
   1493 Qui ne peut adorer que son premier vainqueur !
   1494 Du moins auparavant que l’effet en éclate,
   1495 Fais un effort pour moi, va trouver mon ingrate :
   1496 Mets-lui devant les yeux mes services passés,
   1497 Mes feux si bien reçus, si mal récompensés,
   1498 L’excès de mes tourments et de ses injustices ;
   1499 Emploie à la gagner tes meilleurs artifices.
   1500 Que n’obtiendras-tu point par ta dextérité,
   1501 Puisque tu viens à bout de ma fidélité ?
   1502 
   1503 
   1504 
   1505 
   1506 Mais, mon possible fait, si cela ne succède ?
   1507 
   1508 
   1509 
   1510 
   1511 Je feindrai dès demain qu’Aminte me possède.
   1512 
   1513 
   1514 
   1515 
   1516 Aminte ! Ah ! commencez la feinte dès demain ;
   1517 Mais n’allez point courir au faubourg Saint-Germain.
   1518 Et quand penseriez-vous que cette âme cruelle
   1519 Dans le fond du Marais en reçût la nouvelle ?
   1520 Vous seriez tout un siècle à lui vouloir du bien,
   1521 Sans que votre arrogante en apprît jamais rien.
   1522 Puisque vous voulez feindre, il faut feindre à sa vue,
   1523 Qu’aussitôt votre feinte en puisse être aperçue,
   1524 
   1525 Qu’elle blesse les yeux de son esprit jaloux,
   1526 Et porte jusqu’au cœur d’inévitables coups.
   1527 Ce sera faire au vôtre un peu de violence ;
   1528 Mais tout le fruit consiste à feindre en sa présence.
   1529 
   1530 
   1531 
   1532 
   1533 Hippolyte, en ce cas, serait fort à propos ;
   1534 Mais je crains qu’un ami n'en perdît le repos.
   1535 Dorimant, dont ses yeux ont charmé le courage,
   1536 Autant que Célidée en aurait de l’ombrage.
   1537 
   1538 
   1539 
   1540 
   1541 Vous verrez si soudain rallumer son amour,
   1542 Que la feinte n’est pas pour durer plus d’un jour ;
   1543 Et vous aurez après un sujet de risée
   1544 Des soupçons mal fondés de son âme abusée.
   1545 
   1546 
   1547 
   1548 
   1549 Va trouver Célidée, et puis nous résoudrons,
   1550 En ces extrémités, quel avis nous prendrons.
   1551 
   1552 
   1553 
   1554 
   1555 Sans que pour l’apaiser je me rompe la tête,
   1556 Mon message est tout fait et sa réponse prête.
   1557 Bien loin que mon discours pût la persuader,
   1558 Elle n’aura jamais voulu me regarder.
   1559 
   1560 Une prompte retraite au seul nom de Lysandre,
   1561 C’est par où ses dédains se seront fait entendre.
   1562 Mes amours du passé ne m’ont que trop appris
   1563 Avec quelles couleurs il faut peindre un mépris.
   1564 À peine faisait-on semblant de me connaître,
   1565 De sorte… Aronte, eh bien, qu’as-tu fait vers ton maître ?
   1566 Le verrons-nous bientôt ? N’en sois plus en souci ;
   1567 Dans une heure au plus tard je te le rends ici.
   1568 
   1569 
   1570 
   1571 
   1572 Prêt à lui témoigner… Tout prêt. Adieu. Je tremble
   1573 Que de chez Célidée on ne nous voie ensemble.
   1574 
   1575 
   1576 
   1577 
   1578 
   1579 
   1580 D’où vient que mon abord l’oblige à te quitter ?
   1581 
   1582 
   1583 
   1584 
   1585 Tant s’en faut qu’il vous fuie, il vient de me conter…
   1586 Toutefois je ne sais si je vous le dois dire.
   1587 
   1588 
   1589 
   1590 
   1591 Que tu te plais, Florice, à me mettre en martyre !
   1592 
   1593 
   1594 
   1595 
   1596 Il faut vous préparer à des ravissements…
   1597 
   1598 
   1599 
   1600 
   1601 
   1602 Ta longueur m’y prépare avec bien des tourments.
   1603 Dépêche ; ces discours font mourir Hippolyte.
   1604 
   1605 
   1606 
   1607 
   1608 Mourez donc promptement, que je vous ressuscite.
   1609 
   1610 
   1611 
   1612 
   1613 L’insupportable femme ! Enfin diras-tu rien ?
   1614 
   1615 
   1616 
   1617 
   1618 L’impatiente fille ! Enfin tout ira bien.
   1619 
   1620 
   1621 
   1622 
   1623 Enfin tout ira bien ? Ne saurai-je autre chose ?
   1624 
   1625 
   1626 
   1627 
   1628 Il faut que votre esprit là-dessus se repose.
   1629 Vous ne pouviez tantôt souffrir de longs propos,
   1630 Et pour vous obliger, j’ai tout dit en trois mots ;
   1631 Mais ce que maintenant vous n’en pouvez apprendre,
   1632 Vous l’apprendrez bientôt plus au long de Lysandre.
   1633 
   1634 
   1635 
   1636 
   1637 Tu ne flattes mon cœur que d’un espoir confus.
   1638 
   1639 
   1640 
   1641 
   1642 Parlez à votre amie, et ne vous fâchez plus.
   1643 
   1644 
   1645 
   1646 
   1647 
   1648 
   1649 Mon abord importun rompt votre conférence :
   1650 Tu m’en voudras du mal. Du mal ? et l’apparence ?
   1651 
   1652 Je ne sais pas aimer de si mauvaise foi ;
   1653 Et tout à l’heure encor je lui parlais de toi.
   1654 
   1655 
   1656 
   1657 
   1658 Je me retire donc, afin que sans contrainte…
   1659 
   1660 
   1661 
   1662 
   1663 Quitte cette grimace, et mets à part la feinte.
   1664 Tu fais la réservée en ces occasions,
   1665 Mais tu meurs de savoir ce que nous en disions.
   1666 
   1667 
   1668 
   1669 
   1670 Tu meurs de le conter plus que moi de l’apprendre,
   1671 Et tu prendrais pour crime un refus de l’entendre.
   1672 Puis donc que tu le veux, ma curiosité…
   1673 
   1674 
   1675 
   1676 
   1677 Vraiment, tu me confonds de ta civilité.
   1678 
   1679 
   1680 
   1681 
   1682 Voilà de tes détours, et comme tu diffères
   1683 À me dire en quel point vous teniez mes affaires.
   1684 
   1685 
   1686 
   1687 
   1688 Nous parlions du dessein d’éprouver ton amant.
   1689 Tu l’as vu réussir à ton contentement ?
   1690 
   1691 
   1692 
   1693 
   1694 Je viens te voir exprès pour t’en dire l’issue :
   1695 Que je m’en suis trouvée heureusement déçue !
   1696 Je présumais beaucoup de ses affections,
   1697 
   1698 Mais je n’attendais pas tant de submissions.
   1699 Jamais le désespoir qui saisit son courage
   1700 N’en put tirer un mot à mon désavantage ;
   1701 Il tenait mes dédains encor trop précieux,
   1702 Et ses reproches même étaient officieux.
   1703 Aussi ce grand amour a rallumé ma flamme :
   1704 Le change n’a plus rien qui chatouille mon âme ;
   1705 Il n’a plus de douceur pour mon esprit flottant,
   1706 Aussi ferme à présent qu’il le croit inconstant.
   1707 
   1708 
   1709 
   1710 
   1711 Quoi que vous ayez vu de sa persévérance,
   1712 N’en prenez pas encore une entière assurance.
   1713 L’espoir de vous fléchir a pu le premier jour
   1714 Jeter sur son dépit ces beaux dehors d’amour ;
   1715 Mais vous verrez bientôt que pour qui le méprise
   1716 Toute légèreté lui semblera permise.
   1717 J’ai vu des amoureux de toutes les façons.
   1718 
   1719 
   1720 
   1721 
   1722 Cette bizarre humeur n’est jamais sans soupçons.
   1723 L’avantage qu’elle a d’un peu d’expérience
   1724 Tient éternellement son âme en défiance ;
   1725 Mais ce qu’elle te dit ne vaut pas l’écouter.
   1726 
   1727 
   1728 
   1729 
   1730 Et je ne suis pas fille à m’en épouvanter.
   1731 Je veux que ma rigueur à tes yeux continue,
   1732 Et lors sa fermeté te sera mieux connue ;
   1733 Tu ne verras des traits que d’un amour si fort,
   1734 Que Florice elle-même avouera qu’elle a tort.
   1735 
   1736 
   1737 
   1738 
   1739 Ce sera trop longtemps lui paraître cruelle.
   1740 
   1741 
   1742 
   1743 
   1744 
   1745 Tu connaîtras par là combien il m’est fidèle.
   1746 Le ciel à ce dessein nous l’envoie à propos.
   1747 
   1748 
   1749 
   1750 
   1751 Et quand te résous-tu de le mettre en repos ?
   1752 
   1753 
   1754 
   1755 
   1756 Trouve bon, je te prie, après un peu de feinte,
   1757 Que mes feux violents s’expliquent sans contrainte ;
   1758 Et pour le rappeler des portes du trépas,
   1759 Si j’en dis un peu trop, ne t’en offense pas.
   1760 
   1761 
   1762 
   1763 
   1764 
   1765 
   1766 Merveille des beautés, seul objet qui m’engage…
   1767 
   1768 
   1769 
   1770 
   1771 N’oublierez-vous jamais cet importun langage ?
   1772 Vous obstiner encore à me persécuter,
   1773 C’est prendre du plaisir à vous voir maltraiter.
   1774 Perdez mon souvenir avec votre espérance,
   1775 Et ne m’accablez plus de cette déférence.
   1776 Il faut, pour m’arrêter, des entretiens meilleurs.
   1777 
   1778 
   1779 
   1780 
   1781 Quoi ! vous prenez pour vous ce que j’adresse ailleurs ?
   1782 Adore qui voudra votre rare mérite,
   1783 Un change heureux me donne à la belle Hippolyte :
   1784 Mon sort en cela seul a voulu me trahir,
   1785 Qu’en ce change mon cœur semble vous obéir,
   1786 Et que mon feu passé vous va rendre si vaine
   1787 
   1788 Que vous imputerez ma flamme à votre haine,
   1789 À votre orgueil nouveau mes nouveaux sentiments,
   1790 L’effet de ma raison à vos commandements.
   1791 
   1792 
   1793 
   1794 
   1795 Tant s’en faut que je prenne une si triste gloire,
   1796 Je chasse mes dédains même de ma mémoire,
   1797 Et dans leur souvenir rien ne me semble doux,
   1798 Puisqu’en le conservant je penserais à vous.
   1799 
   1800 
   1801 
   1802 Beauté de qui les yeux, nouveaux rois de mon âme,
   1803 Me font être léger sans en craindre le blâme…
   1804 
   1805 
   1806 
   1807 
   1808 Ne vous emportez point à ces propos perdus,
   1809 Et cessez de m’offrir des vœux qui lui sont dus ;
   1810 Je pense mieux valoir que le refus d’une autre.
   1811 Si vous voulez venger son mépris par le vôtre,
   1812 Ne venez point du moins m’enrichir de son bien.
   1813 Elle vous traite mal, mais elle n’aime rien.
   1814 Vous, faites-en autant, sans chercher de retraite
   1815 Aux importunités dont elle s’est défaite.
   1816 
   1817 
   1818 
   1819 
   1820 Que son exemple encor réglât mes actions !
   1821 Cela fut bon du temps de mes affections ;
   1822 À présent que mon cœur adore une autre reine,
   1823 À présent qu’Hippolyte en est la souveraine…
   1824 
   1825 
   1826 
   1827 
   1828 C’est elle seulement que vous voulez flatter.
   1829 
   1830 
   1831 
   1832 
   1833 C’est elle seulement que je dois imiter.
   1834 
   1835 
   1836 
   1837 
   1838 
   1839 Savez-vous donc à quoi la raison vous oblige ?
   1840 C’est à me négliger, comme je vous néglige.
   1841 
   1842 
   1843 
   1844 
   1845 Je ne puis imiter ce mépris de mes feux,
   1846 À moins qu’à votre tour vous m’offriez des vœux :
   1847 Donnez-m’en les moyens, vous en verrez l’issue.
   1848 
   1849 
   1850 
   1851 
   1852 J’appréhenderais fort d’être trop bien reçue,
   1853 Et qu’au lieu du plaisir de me voir imiter
   1854 Je n’eusse que l’honneur de me faire écouter,
   1855 Pour n’avoir que la honte après de me dédire.
   1856 
   1857 
   1858 
   1859 
   1860 Souffrez donc que mon cœur sans exemple soupire,
   1861 Qu’il aime sans exemple, et que mes passions
   1862 S’égalent seulement à vos perfections.
   1863 Je vaincrai vos rigueurs par mon humble service,
   1864 Et ma fidélité… Viens avec moi, Florice :
   1865 J’ai des nippes en haut que je veux te montrer.
   1866 
   1867 
   1868 
   1869 
   1870 
   1871 
   1872 Quoi ? sans la retenir, vous la laissez rentrer ?
   1873 Allez, Lysandre, allez ; c’est assez de contraintes ;
   1874 
   1875 J’ai pitié du tourment que vous donnent ces feintes.
   1876 Suivez ce bel objet dont les charmes puissants
   1877 Sont et seront toujours absolus sur vos sens.
   1878 Quoi qu’après ses dédains un peu d’orgueil publie,
   1879 Son mérite est trop grand pour souffrir qu’on l’oublie ;
   1880 Elle a des qualités, et de corps, et d’esprit,
   1881 Dont pas un cœur donné jamais ne se reprit.
   1882 
   1883 
   1884 
   1885 
   1886 Mon change fera voir l’avantage des vôtres,
   1887 Qu’en la comparaison des unes et des autres
   1888 Les siennes désormais n’ont qu’un éclat terni,
   1889 Que son mérite est grand, et le vôtre infini.
   1890 
   1891 
   1892 
   1893 
   1894 Que j’emporte sur elle aucune préférence !
   1895 Vous tenez des discours qui sont hors d’apparence ;
   1896 Elle me passe en tout ; et dans ce changement,
   1897 Chacun vous blâmerait de peu de jugement.
   1898 
   1899 
   1900 
   1901 
   1902 M’en blâmer en ce cas, c’est en manquer soi-même,
   1903 Et choquer la raison, qui veut que je vous aime.
   1904 Nous sommes hors du temps de cette vieille erreur
   1905 Qui faisait de l’amour une aveugle fureur,
   1906 Et l’ayant aveuglé, lui donnait pour conduite
   1907 Le mouvement d’une âme et surprise et séduite.
   1908 Ceux qui l’ont peint sans yeux ne le connaissaient pas ;
   1909 C’est par les yeux qu’il entre, et nous dit vos appas ;
   1910 
   1911 Lors notre esprit en juge ; et suivant le mérite,
   1912 Il fait croître une ardeur que cette vue excite.
   1913 Si la mienne pour vous se relâche un moment,
   1914 C’est lors que je croirai manquer de jugement ;
   1915 Et la même raison qui vous rend admirable
   1916 Doit rendre comme vous ma flamme incomparable.
   1917 
   1918 
   1919 
   1920 
   1921 Epargnez avec moi ces propos affétés.
   1922 Encore hier Célidée avait ces qualités ;
   1923 Encore hier en mérite elle était sans pareille.
   1924 Si je suis aujourd’hui cette unique merveille,
   1925 Demain quelque autre objet, dont vous suivrez la loi,
   1926 Gagnera votre cœur et ce titre sur moi.
   1927 Un esprit inconstant a toujours cette adresse.
   1928 
   1929 
   1930 
   1931 
   1932 
   1933 
   1934 Monsieur, j’aime ma fille avec trop de tendresse
   1935 Pour la vouloir contraindre en ses affections.
   1936 
   1937 
   1938 
   1939 
   1940 Madame, vous saurez ses inclinations ;
   1941 Elle voudra vous plaire, et je l’en vois sourire.
   1942 Allons, mon cavalier, j’ai deux mots à vous dire.
   1943 
   1944 
   1945 
   1946 
   1947 
   1948 Vous en aurez réponse avant qu’il soit trois jours.
   1949 
   1950 
   1951 
   1952 
   1953 
   1954 
   1955 Devinerais-tu bien quels étaient nos discours ?
   1956 
   1957 
   1958 
   1959 
   1960 Il vous parlait d’amour peut-être ? Oui : que t’en semble ?
   1961 
   1962 
   1963 
   1964 
   1965 D’âge presque pareils, vous seriez bien ensemble.
   1966 
   1967 
   1968 
   1969 
   1970 Tu me donnes vraiment un gracieux détour ;
   1971 C’était pour ton sujet qu’il me parlait d’amour.
   1972 
   1973 
   1974 
   1975 
   1976 Pour moi ? Ces jours passés, un poète qui m’adore,
   1977 Du moins à ce qu’il dit, m’égalait à l’Aurore ;
   1978 Je me raillais alors de sa comparaison.
   1979 Mais, si cela se fait, il avait bien raison.
   1980 
   1981 
   1982 
   1983 
   1984 Avec tout ce babil, tu n’es qu’une étourdie.
   1985 Le bonhomme est bien loin de cette maladie ;
   1986 Il veut te marier, mais c’est à Dorimant :
   1987 Vois si tu te résous d’accepter cet amant.
   1988 
   1989 
   1990 
   1991 
   1992 Dessus tous mes désirs vous êtes absolue,
   1993 Et si vous le voulez, m’y voilà résolue.
   1994 
   1995 Dorimant vaut beaucoup, je vous le dis sans fard ;
   1996 Mais remarquez un peu le trait de ce vieillard :
   1997 Lysandre si longtemps a brûlé pour sa fille,
   1998 Qu’il en faisait déjà l’appui de sa famille ;
   1999 À présent que ses feux ne sont plus que pour moi,
   2000 Il voudrait bien qu’un autre eût engagé ma foi,
   2001 Afin que sans espoir dans cette amour nouvelle,
   2002 Un nouveau changement le ramenât vers elle.
   2003 N’avez-vous point pris garde, en vous disant adieu,
   2004 Qu’il a presque arraché Lysandre de ce lieu ?
   2005 
   2006 
   2007 
   2008 
   2009 Simple ! ce qu’il en fait, ce n’est qu’à sa prière.
   2010 Et Lysandre tient même à faveur singulière…
   2011 
   2012 
   2013 
   2014 
   2015 Je sais que Dorimant est un de ses amis ;
   2016 Mais vous voyez d’ailleurs que le ciel a permis
   2017 Que pour mieux vous montrer que tout n’est qu’artifice,
   2018 Lysandre me faisait ses offres de service.
   2019 
   2020 
   2021 
   2022 
   2023 Aucun des deux n’est homme à se jouer de nous.
   2024 Quelque secret mystère est caché là-dessous.
   2025 Allons, pour en tirer la vérité plus claire,
   2026 Seules dedans ma chambre examiner l’affaire ;
   2027 Ici quelque importun pourrait nous aborder.
   2028 
   2029 
   2030 
   2031 
   2032 
   2033 J’aurai bien de la peine à la persuader :
   2034 Ah, Florice ! en quel point laisses-tu Célidée ?
   2035 
   2036 
   2037 
   2038 
   2039 De honte et de dépit tout à fait possédée.
   2040 
   2041 
   2042 
   2043 
   2044 Que t’a-t-elle montré ? Cent choses à la fois,
   2045 Selon que le hasard les mettait sous ses doigts :
   2046 Ce n’était qu’un prétexte à faire sa retraite.
   2047 
   2048 
   2049 
   2050 
   2051 Elle t’a témoigné d’être fort satisfaite ?
   2052 
   2053 
   2054 
   2055 
   2056 Sans que je vous amuse en discours superflus,
   2057 Son visage suffit pour juger du surplus.
   2058 Ses pleurs ne se sauraient empêcher de descendre ;
   2059 Et j’en aurais pitié si je n’aimais Lysandre.
   2060 
   2061 
   2062 
   2063 Mais j’aperçois celui qui le porte en ses yeux.
   2064 Courage donc, mon cœur ; espérons un peu mieux.
   2065 Je sens bien que déjà devers lui tu t’envoles ;
   2066 Mais pour t’accompagner je n’ai point de paroles :
   2067 Ma honte et ma douleur, surmontant mes désirs,
   2068 N’en laissent le passage ouvert qu’à mes soupirs.
   2069 
   2070 
   2071 
   2072 
   2073 
   2074 
   2075 Dans ce profond penser, pâle, triste, abattue,
   2076 Ou quelque grand malheur de Lysandre vous tue,
   2077 Ou bientôt vos douleurs l’accableront d’ennuis.
   2078 
   2079 
   2080 
   2081 
   2082 Il est cause en effet de l’état où je suis,
   2083 Non pas en la façon qu’un ami s’imagine,
   2084 Mais… Vous n’achevez point, faut-il que je devine ? 
   2085 
   2086 
   2087 
   2088 Permettez que je cède à la confusion,
   2089 Qui m’étouffe la voix en cette occasion.
   2090 J’ai d’incroyables traits de Lysandre à vous dire :
   2091 
   2092 Mais ce reste du jour souffrez que je respire,
   2093 Et m’obligez demain que je vous puisse voir.
   2094 
   2095 
   2096 
   2097 
   2098 De sorte qu’à présent on n’en peut rien savoir ?
   2099 Dieux ! elle se dérobe, et me laisse en un doute…
   2100 Poursuivons toutefois notre première route ;
   2101 Peut-être ces beaux yeux, dont l’éclat me surprit,
   2102 De ce fâcheux soupçon purgeront mon esprit.
   2103 Frappe. Que vous plaît-il ? Peut-on voir Hippolyte ?
   2104 
   2105 
   2106 
   2107 
   2108 Elle vient de sortir pour faire une visite.
   2109 
   2110 
   2111 
   2112 
   2113 Ainsi, tout aujourd’hui mes pas ont été vains.
   2114 Florice, à ce défaut, fais-lui mes baisemains.
   2115 
   2116 
   2117 Ce sont des compliments qu’il fait mauvais lui faire.
   2118 Depuis que ce Lysandre a tâché de lui plaire,
   2119 Elle ne veut plus être au logis que pour lui,
   2120 Et tous autres devoirs lui donnent de l’ennui.
   2121 
   2122 
   2123 
   2124 
   2125 
   2126 À cet excès d’amour qu’il me faisait paraître,
   2127 Je me croyais déjà maîtresse de ton maître ;
   2128 Tu m’as fait grand dépit de me désabuser.
   2129 Qu’il a l’esprit adroit quand il veut déguiser !
   2130 Et que pour mettre en jour ces compliments frivoles,
   2131 Il sait bien ajuster ses yeux à ses paroles !
   2132 Mais je me promets tant de ta dextérité,
   2133 Qu’il tournera bientôt la feinte en vérité.
   2134 
   2135 
   2136 
   2137 
   2138 Je n’ose l’espérer : sa passion trop forte
   2139 Déjà vers son objet malgré moi le remporte ;
   2140 Et comme s’il avait reconnu son erreur,
   2141 Vos yeux lui sont à charge, et sa feinte en horreur :
   2142 Même il m’a commandé d’aller vers sa cruelle
   2143 Lui jurer que son cœur n’a brûlé que pour elle,
   2144 Attaquer son orgueil par des submissions…
   2145 
   2146 
   2147 
   2148 
   2149 J’entends assez le but de tes commissions.
   2150 Tu vas tâcher pour lui d’amollir son courage ?
   2151 
   2152 
   2153 
   2154 
   2155 J’emploie auprès de vous le temps de ce message,
   2156 
   2157 Et la ferai parler tantôt à mon retour
   2158 D’une façon mal propre à donner de l’amour ;
   2159 Mais après mon rapport, si son ardeur extrême
   2160 Le résout à porter son message lui-même,
   2161 Je ne réponds de rien. L’amour qu’ils ont tous deux
   2162 Vaincra notre artifice, et parlera pour eux.
   2163 
   2164 
   2165 
   2166 
   2167 Sa maîtresse éblouie ignore encor ma flamme,
   2168 Et laisse à mes conseils tout pouvoir sur son âme.
   2169 Ainsi tout est à nous, s’il ne faut qu’empêcher
   2170 Qu’un si fidèle amant n’en puisse rapprocher.
   2171 
   2172 
   2173 
   2174 
   2175 Qui pourrait toutefois en détourner Lysandre,
   2176 Ce serait le plus sûr. N’oses-tu l’entreprendre ?
   2177 
   2178 
   2179 
   2180 
   2181 Donnez-moi les moyens de le rendre jaloux,
   2182 Et vous verrez après frapper d’étranges coups.
   2183 
   2184 
   2185 
   2186 
   2187 L’autre jour Dorimant toucha fort ma rivale,
   2188 Jusque-là qu’entre eux deux son âme était égale ;
   2189 Mais Lysandre depuis, endurant sa rigueur,
   2190 Lui montra tant d’amour qu’il regagna son cœur.
   2191 
   2192 
   2193 
   2194 
   2195 Donc à voir Célidée et Dorimant ensemble,
   2196 Quelque dieu qui vous aime aujourd’hui les assemble.
   2197 
   2198 
   2199 
   2200 
   2201 Fais-les voir à ton maître, et ne perds point ce temps,
   2202 Puisque de là dépend le bonheur que j’attends.
   2203 
   2204 
   2205 
   2206 
   2207 
   2208 
   2209 Aronte, un mot. Tu fuis ? Crains-tu que je te voie ?
   2210 
   2211 
   2212 
   2213 
   2214 Non ; mais pressé d’aller où mon maître m’envoie,
   2215 J’avais doublé le pas sans vous apercevoir.
   2216 
   2217 
   2218 
   2219 
   2220 D’où viens-tu ? D’un logis vers la Croix-du-Tiroir.
   2221 
   2222 
   2223 
   2224 
   2225 C’est donc en ce Marais que finit ton voyage ?
   2226 
   2227 
   2228 
   2229 
   2230 Non ; je cours au Palais faire encore un message.
   2231 
   2232 
   2233 
   2234 
   2235 Et c’en est le chemin de passer par ici ?
   2236 
   2237 
   2238 
   2239 
   2240 Souffrez que j’aille ôter mon maître de souci ;
   2241 Il meurt d’impatience à force de m’attendre.
   2242 
   2243 
   2244 
   2245 
   2246 Et touchant mes amours ne peux-tu rien m’apprendre ?
   2247 As-tu vu depuis peu l’objet que je chéris ?
   2248 
   2249 
   2250 
   2251 
   2252 Oui, tantôt en passant j’ai rencontré Cloris.
   2253 
   2254 Tu cherches des détours : je parle d’Hippolyte.
   2255 
   2256 
   2257 
   2258 
   2259 Et c’est là seulement le discours qu’il évite.
   2260 Tu t’enferres, Aronte ; et, pris au dépourvu,
   2261 En vain tu veux cacher ce que nous avons vu.
   2262 Va, ne sois point honteux des crimes de ton maître :
   2263 Pourquoi désavouer ce qu’il fait trop paraître ?
   2264 Il la sert à mes yeux, cet infidèle amant,
   2265 Et te vient d’envoyer lui faire un compliment.
   2266 
   2267 
   2268 
   2269 
   2270 
   2271 
   2272 Après cette retraite et ce morne silence,
   2273 Pouvez-vous bien encor demeurer en balance ?
   2274 
   2275 
   2276 
   2277 
   2278 Je n’en ai que trop vu, mes yeux m’en ont trop dit :
   2279 Aronte, en me parlant, était tout interdit,
   2280 Et sa confusion portait sur son visage
   2281 Assez et trop de jour pour lire son message.
   2282 Traître, traître Lysandre, est-ce là donc le fruit
   2283 Qu’en faveur de mes feux ton amitié produit ?
   2284 
   2285 
   2286 
   2287 
   2288 Connaissez tout à fait l’humeur de l’infidèle,
   2289 Votre amour seulement la lui fait trouver belle :
   2290 Cet objet, tout aimable et tout parfait qu’il est,
   2291 N’a des charmes pour lui que depuis qu’il vous plaît ;
   2292 Et votre affection, de la sienne suivie,
   2293 
   2294 Montre que c’est par là qu’il en a pris envie,
   2295 Qu’il veut moins l’acquérir que vous le dérober.
   2296 
   2297 
   2298 
   2299 
   2300 Voici, dans ce larcin, qui le fait succomber.
   2301 En ce dessein commun de servir Hippolyte,
   2302 Il faut voir seul à seul qui des deux la mérite :
   2303 Son sang me répondra de son manque de foi,
   2304 Et me fera raison et pour vous et pour moi.
   2305 Notre vieille union ne fait qu’aigrir mon âme,
   2306 Et mon amitié meurt voyant naître sa flamme.
   2307 
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   2309 
   2310 
   2311 Vouloir quelque mesure entre un perfide et vous,
   2312 Est-ce faire justice à ce juste courroux ?
   2313 Pouvez-vous présumer, après sa tromperie,
   2314 Qu’il ait dans les combats moins de supercherie ?
   2315 Certes pour le punir c’est trop vous négliger,
   2316 Et chercher à vous perdre au lieu de vous venger.
   2317 
   2318 
   2319 
   2320 
   2321 Pourriez-vous approuver que je prisse avantage
   2322 Pour immoler ce traître à mon peu de courage ?
   2323 J’achèterais trop cher la mort du suborneur,
   2324 Si pour avoir sa vie il m’en coûtait l’honneur,
   2325 Et montrerais une âme, et trop basse et trop noire,
   2326 De ménager mon sang aux dépens de ma gloire.
   2327 
   2328 
   2329 
   2330 
   2331 
   2332 Sans les voir l’un ni l’autre en péril exposés,
   2333 Il est pour vous venger des moyens plus aisés.
   2334 Pour peu que vous fussiez de mon intelligence,
   2335 Vous auriez bientôt pris une juste vengeance ;
   2336 Et vous pourriez sans bruit ôter à l’inconstant…
   2337 
   2338 
   2339 
   2340 
   2341 Quoi ? ce qu’il m’a volé ? Non, mais du moins autant. 
   2342 
   2343 
   2344 
   2345 La faiblesse du sexe en ce point vous conseille ;
   2346 Il se croit trop vengé, quand il rend la pareille :
   2347 Mais suivre le chemin que vous voulez tenir,
   2348 C’est imiter son crime au lieu de le punir ;
   2349 Au lieu de lui ravir une belle maîtresse,
   2350 C’est prendre, à son refus, une beauté qu’il laisse.
   2351 C’est lui faire plaisir, au lieu de l’affliger,
   2352 C’est souffrir un affront, et non pas se venger.
   2353 J’en perds ici le temps. Adieu : je me retire ;
   2354 Mais, avant qu’il soit peu, si vous entendez dire
   2355 Qu’un coup fatal et juste ait puni l’imposteur,
   2356 Vous pourrez aisément en deviner l’auteur.
   2357 
   2358 
   2359 
   2360 
   2361 De grâce, encore un mot. Hélas ! il m’abandonne
   2362 Aux cuisants déplaisirs que ma douleur me donne.
   2363 
   2364 Rentre, pauvre abusée, et dedans tes malheurs,
   2365 Si tu ne les retiens, cache du moins tes pleurs !
   2366 
   2367 
   2368 
   2369 
   2370 
   2371 
   2372 Eh bien, qu’en dites-vous ? et que vous semble d’elle ?
   2373 
   2374 
   2375 
   2376 
   2377 Hélas ! pour mon malheur, tu n’es que trop fidèle,
   2378 N’exerce plus tes soins à me faire endurer ;
   2379 Ma plus douce fortune est de tout ignorer :
   2380 Je serais trop heureux sans le rapport d’Aronte.
   2381 
   2382 
   2383 
   2384 
   2385 Encor pour Dorimant, il en a quelque honte ;
   2386 Vous voyant, il a fui. Mais mon ingrate alors,
   2387 Pour empêcher sa fuite a fait tous ses efforts,
   2388 Aronte, et tu prenais ses dédains pour des feintes !
   2389 Tu croyais que son cœur n’eût point d’autres atteintes,
   2390 Que son esprit entier se conservait à moi,
   2391 Et parmi ses rigueurs n’oubliait point sa foi.
   2392 
   2393 
   2394 
   2395 
   2396 À vous dire le vrai, j’en suis trompé moi-même.
   2397 Après deux ans passés dans un amour extrême,
   2398 Que sans occasion elle vînt à changer !
   2399 Je me fusse tenu coupable d’y songer ;
   2400 Mais puisque sans raison la volage vous change,
   2401 Faites qu’avec raison un changement vous venge.
   2402 
   2403 Pour punir comme il faut son infidélité,
   2404 Vous n’avez qu’à tourner la feinte en vérité.
   2405 
   2406 
   2407 
   2408 
   2409 Misérable ! est-ce ainsi qu’il faut qu’on me soulage ?
   2410 Ai-je trop peu souffert sous cette humeur volage ?
   2411 Et veux-tu désormais que par un second choix
   2412 Je m’engage à souffrir encore une autre fois ?
   2413 Qui t’a dit qu’Hippolyte à cette amour nouvelle
   2414 Se rendrait plus sensible, ou serait plus fidèle ?
   2415 
   2416 
   2417 
   2418 
   2419 Vous en devez, monsieur, présumer beaucoup mieux.
   2420 
   2421 
   2422 
   2423 
   2424 Conseiller importun, ôte-toi de mes yeux.
   2425 
   2426 
   2427 
   2428 
   2429 Son âme… Ote-toi, dis-je ; et dérobe ta tête
   2430 Aux violents effets que ma colère apprête :
   2431 Ma bouillante fureur ne cherche qu’un objet ;
   2432 Va, tu l’attirerais sur un sang trop abjet.
   2433 
   2434 
   2435 
   2436 
   2437 
   2438 
   2439 Il faut à mon courroux de plus nobles victimes ;
   2440 Il faut qu’un même coup me venge de deux crimes ;
   2441 Qu’après les trahisons de ce couple indiscret,
   2442 L’un meure de ma main, et l’autre de regret.
   2443 
   2444 Oui, la mort de l’amant punira la maîtresse ;
   2445 Et mes plaisirs alors naîtront de sa tristesse.
   2446 Mon cœur, à qui mes yeux apprendront ses tourments,
   2447 Permettra le retour à mes contentements ;
   2448 Ce visage si beau, si bien pourvu de charmes,
   2449 N’en aura plus pour moi, s’il n’est couvert de larmes.
   2450 Ses douleurs seulement ont droit de me guérir ;
   2451 Pour me résoudre à vivre il faut la voir mourir.
   2452 Frénétiques transports, avec quelle insolence
   2453 Portez-vous mon esprit à tant de violence ?
   2454 Allez, vous avez pris trop d’empire sur moi ;
   2455 Dois-je être sans raison, parce qu’ils sont sans foi ?
   2456 Dorimant, Célidée, ami, chère maîtresse,
   2457 Suivrais-je contre vous la fureur qui me presse ?
   2458 Quoi ? vous ayant aimés, pourrais-je vous haïr ?
   2459 Mais vous pourrais-je aimer, quand vous m’osez trahir ?
   2460 Qu’un rigoureux combat déchire mon courage !
   2461 
   2462 Ma jalousie augmente, et redouble ma rage ;
   2463 Mais quelques fiers projets qu’elle jette en mon cœur,
   2464 L’amour… Ah ! ce mot seul me range à la douceur.
   2465 Celle que nous aimons jamais ne nous offense ;
   2466 Un mouvement secret prend toujours sa défense :
   2467 L’amant souffre tout d’elle ; et dans son changement,
   2468 Quelque irrité qu’il soit, il est toujours amant.
   2469 Toutefois, si l’amour contre elle m’intimide,
   2470 Revenez, mes fureurs, pour punir le perfide ;
   2471 Arrachez-lui mon bien ; une telle beauté
   2472 N’est pas le juste prix d’une déloyauté.
   2473 Souffrirais-je, à mes yeux, que par ses artifices
   2474 Il recueillît les fruits dus à mes longs services ?
   2475 S’il vous faut épargner le sujet de mes feux,
   2476 Que ce traître du moins réponde pour tous deux.
   2477 Vous me devez son sang pour expier son crime :
   2478 Contre sa lâcheté tout vous est légitime ;
   2479 Et quelques châtiments… Mais, dieux ! que vois-je ici ?
   2480 
   2481 
   2482 
   2483 
   2484 
   2485 
   2486 Vous avez dans l’esprit quelque pesant souci ;
   2487 Ce visage enflammé, ces yeux pleins de colère,
   2488 
   2489 En font voir au-dehors une marque trop claire.
   2490 Je prends assez de part en tous vos intérêts
   2491 Pour vouloir en aveugle y mêler mes regrets.
   2492 Mais si vous me disiez ce qui cause vos peines…
   2493 
   2494 
   2495 
   2496 
   2497 Ah ! ne m’imposez point de si cruelles gênes ;
   2498 C’est irriter mes maux que de me secourir ;
   2499 La mort, la seule mort a droit de me guérir.
   2500 
   2501 
   2502 
   2503 
   2504 Si vous vous obstinez à m’en taire la cause,
   2505 Tout mon pouvoir sur vous n’est que fort peu de chose.
   2506 
   2507 
   2508 
   2509 
   2510 Vous l’avez souverain, hormis en ce seul point.
   2511 
   2512 
   2513 
   2514 
   2515 Laissez-le-moi partout, ou ne m’en laissez point.
   2516 C’est n’aimer qu’à demi qu’aimer avec réserve ;
   2517 Et ce n’est pas ainsi que je veux qu’on me serve.
   2518 Il faut m’apprendre tout, et lorsque je vous voi,
   2519 Etre de belle humeur, ou n’être plus à moi.
   2520 
   2521 
   2522 
   2523 
   2524 Ne perdez point d’efforts à vaincre mon silence :
   2525 Vous useriez sur moi de trop de violence.
   2526 
   2527 Adieu : je vous ennuie, et les grands déplaisirs
   2528 Veulent en liberté s’exhaler en soupirs.
   2529 
   2530 
   2531 
   2532 
   2533 
   2534 
   2535 C’est donc là tout l’état que tu fais d’Hippolyte ?
   2536 Après des vœux offerts, c’est ainsi qu’on me quitte ?
   2537 Qu’Aronte jugeait bien que ses feintes amours,
   2538 Avant qu’il fût longtemps, interrompraient leur cours !
   2539 Dans ce peu de succès des ruses de Florice,
   2540 J’ai manqué de bonheur, mais non pas de malice ;
   2541 Et si j’en puis jamais trouver l’occasion,
   2542 J’y mettrai bien encor de la division.
   2543 Si notre pauvre amant est plein de jalousie,
   2544 Ma rivale, qui sort, n’en est pas moins saisie.
   2545 
   2546 
   2547 
   2548 
   2549 
   2550 
   2551 N’ai-je pas tantôt vu mon perfide avec vous ?
   2552 Il a bientôt quitté des entretiens si doux.
   2553 
   2554 
   2555 
   2556 
   2557 Qu’y ferait-il, ma sœur ? Ta fidèle Hippolyte
   2558 Traite cet inconstant ainsi qu’il le mérite.
   2559 
   2560 Il a beau m’en conter de toutes les façons,
   2561 Je le renvoie ailleurs pratiquer ses leçons.
   2562 
   2563 
   2564 
   2565 
   2566 Le parjure à présent est fort sur ta louange ?
   2567 
   2568 
   2569 
   2570 
   2571 Il ne tient pas à lui que je ne sois un ange ;
   2572 Et quand il vient ensuite à parler de ses feux,
   2573 Aucune passion jamais n’approcha d’eux.
   2574 Par tous ces vains discours il croit fort qu’il m’oblige,
   2575 Mais non la moitié tant qu’alors qu’il te néglige :
   2576 C’est par là qu’il me pense acquérir puissamment ;
   2577 Et moi, qui t’ai toujours chérie uniquement,
   2578 Je te laisse à juger alors si je l’endure.
   2579 
   2580 
   2581 
   2582 
   2583 C’est trop prendre, ma sœur, de part en mon injure ;
   2584 Laisse-le mépriser celle dont les mépris
   2585 Sont cause maintenant que d’autres yeux l’ont pris.
   2586 Si Lysandre te plaît, possède le volage,
   2587 Mais ne me traite point avec désavantage ;
   2588 Et si tu te résous d’accepter mon amant,
   2589 Relâche-moi du moins le cœur de Dorimant.
   2590 
   2591 
   2592 
   2593 
   2594 Pourvu que leur pouvoir se range sous le nôtre,
   2595 Je te donne le choix et de l’un et de l’autre ;
   2596 Ou, si l’un ne suffit à ton jeune désir,
   2597 Défais-moi de tous deux, tu me feras plaisir.
   2598 J’estimai fort Lysandre avant que le connaître ;
   2599 Mais depuis cet amour que mes yeux ont fait naître,
   2600 Je te répute heureuse après l’avoir perdu.
   2601 Que son humeur est vaine ! et qu’il fait l’entendu !
   2602 
   2603 Que son discours est fade avec ses flatteries !
   2604 Qu’on est importuné de ses afféteries !
   2605 Vraiment, si tout le monde était fait comme lui,
   2606 Je crois qu’avant deux jours je sécherais d’ennui.
   2607 
   2608 
   2609 
   2610 
   2611 Qu’en cela du destin l’ordonnance fatale
   2612 A pris pour nos malheurs une route inégale !
   2613 L’un et l’autre me fuit, et je brûle pour eux,
   2614 L’un et l’autre t’adore, et tu les fuis tous deux.
   2615 
   2616 
   2617 
   2618 
   2619 Si nous changions de sort, que nous serions contentes !
   2620 
   2621 
   2622 
   2623 
   2624 Outre, hélas ! que le ciel s’oppose à nos attentes,
   2625 Lysandre n’a plus rien à rengager ma foi.
   2626 
   2627 
   2628 
   2629 
   2630 Mais l’autre, tu voudrais… Ne rompez pas pour moi ;
   2631 Craignez-vous qu’un ami sache de vos nouvelles ?
   2632 
   2633 
   2634 
   2635 
   2636 Nous causions de mouchoirs, de rabats, de dentelles,
   2637 De ménages de fille. Et parmi ces discours,
   2638 
   2639 Vous confériez ensemble un peu de vos amours :
   2640 Eh bien, ce serviteur, l’aura-t-on agréable ?
   2641 
   2642 
   2643 
   2644 
   2645 Vous m’attaquez toujours par quelque trait semblable.
   2646 Des hommes comme vous ne sont que des conteurs.
   2647 Vraiment c’est bien à moi d’avoir des serviteurs !
   2648 
   2649 
   2650 
   2651 
   2652 Parlons, parlons français. Enfin, pour cette affaire,
   2653 Nous en remettrons-nous à l’avis d’une mère ?
   2654 
   2655 
   2656 
   2657 
   2658 J’obéirai toujours à son commandement.
   2659 Mais, de grâce, monsieur, parlez plus clairement :
   2660 Je ne puis deviner ce que vous voulez dire.
   2661 
   2662 
   2663 
   2664 
   2665 Un certain cavalier pour vos beaux yeux soupire…
   2666 
   2667 
   2668 
   2669 
   2670 Vous en voulez par là… Ce n’est point fiction
   2671 Que ce que je vous dis de son affection.
   2672 Votre mère sut hier à quel point il vous aime,
   2673 Et veut que ce soit vous qui vous donniez vous-même.
   2674 
   2675 
   2676 
   2677 
   2678 Et c’est ce que ma mère, afin de m’expliquer,
   2679 Ne m’a point fait l’honneur de me communiquer ;
   2680 Mais, pour l’amour de vous, je vais le savoir d’elle.
   2681 
   2682 
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   2684 
   2685 
   2686 
   2687 Ta compagne est du moins aussi fine que belle.
   2688 
   2689 
   2690 
   2691 
   2692 Elle a bien su, de vrai, se défaire de vous.
   2693 
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   2696 
   2697 Et fort habilement se parer de mes coups.
   2698 
   2699 
   2700 
   2701 
   2702 Peut-être innocemment, faute d’y rien comprendre.
   2703 
   2704 
   2705 
   2706 
   2707 Mais faute, bien plutôt, d’y vouloir rien entendre.
   2708 Je suis des plus trompés si Dorimant lui plaît.
   2709 
   2710 
   2711 
   2712 
   2713 Y prenez-vous, monsieur, pour lui quelque intérêt ?
   2714 
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   2716 
   2717 
   2718 Lysandre m’a prié d’en porter la parole.
   2719 
   2720 
   2721 
   2722 
   2723 Lysandre ! Oui, ton Lysandre. Et lui-même cajole… 
   2724 
   2725 
   2726 Quoi ? que cajole-t-il ? Hippolyte, à mes yeux. 
   2727 
   2728 
   2729 
   2730 Folle, il n’aima jamais que toi dessous les cieux ;
   2731 Et nous sommes tout prêts de choisir la journée
   2732 
   2733 Qui bientôt de vous deux termine l’hyménée.
   2734 Il se plaint toutefois un peu de ta froideur ;
   2735 Mais, pour l’amour de moi, montre-lui plus d’ardeur ;
   2736 Parle : ma volonté sera-t-elle obéie ?
   2737 
   2738 
   2739 
   2740 
   2741 Hélas ! qu’on vous abuse après m’avoir trahie !
   2742 Il vous fait, cet ingrat, parler pour Dorimant,
   2743 Tandis qu’au même objet il s’offre pour amant,
   2744 Et traverse par là tout ce qu’à sa prière
   2745 Votre vaine entremise avance vers la mère.
   2746 Cela, qu’est-ce, monsieur, que se jouer de vous ?
   2747 
   2748 
   2749 
   2750 
   2751 Qu’il est peu de raison dans ces esprits jaloux !
   2752 Eh quoi ! pour un ami s’il rend une visite,
   2753 Faut-il s’imaginer qu’il cajole Hippolyte ?
   2754 
   2755 
   2756 
   2757 
   2758 Je sais ce que j’ai vu. Je sais ce qu’il m’a dit,
   2759 Et ne veux plus du tout souffrir de contredit.
   2760 Mon choix de votre hymen en sa faveur dispose.
   2761 
   2762 
   2763 
   2764 
   2765 Commandez-moi plutôt, monsieur, toute autre chose.
   2766 
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   2768 
   2769 
   2770 Quelle bizarre humeur ! quelle inégalité
   2771 De rejeter un bien qu’on a tant souhaité !
   2772 La belle, voyez-vous ! qu’on perde ces caprices ;
   2773 Il faut pour m’éblouir de meilleurs artifices.
   2774 Quelque nouveau venu vous donne dans les yeux,
   2775 Quelque jeune étourdi qui vous flatte un peu mieux :
   2776 Et parce qu’il vous fait quelque feinte caresse,
   2777 
   2778 Il faut que nous manquions, vous et moi, de promesse ?
   2779 Quittez, pour votre bien, ces fantasques refus.
   2780 
   2781 
   2782 
   2783 
   2784 Monsieur… Quittez-les, dis-je, et ne contestez plus…
   2785 
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   2787 
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   2789 
   2790 
   2791 Fâcheux commandement d’un incrédule père !
   2792 Qu’il me fut doux jadis, et qu’il me désespère !
   2793 J’avais, auparavant qu’on m’eût manqué de foi,
   2794 Le devoir et l’amour tout d’un parti chez moi,
   2795 Et ma flamme, d’accord avecque sa puissance,
   2796 Unissait mes désirs à mon obéissance ;
   2797 Mais, hélas, que depuis cette infidélité
   2798 Je trouve d’injustice en son autorité !
   2799 Mon esprit s’en révolte, et ma flamme bannie
   2800 Fait qu’un pouvoir si saint m’est une tyrannie.
   2801 Dures extrémités où mon sort est réduit !
   2802 On donne mes faveurs à celui qui les fuit ;
   2803 Nous avons l’un pour l’autre une pareille haine,
   2804 Et l’on m’attache à lui d’une éternelle chaîne.
   2805 Mais s’il ne m’aimait plus, parlerait-il d’amour
   2806 À celui dont je tiens la lumière du jour ?
   2807 Mais s’il m’aimait encor, verrait-il Hippolyte ?
   2808 Mon cœur en même temps se retient et s’excite.
   2809 Je ne sais quoi me flatte, et je sens déjà bien
   2810 Que mon feu ne dépend que de croire le sien.
   2811 Tout beau, ma passion, c’est déjà trop paraître ;
   2812 Attends, attends du moins la sienne pour renaître.
   2813 À quelle folle erreur me laissé-je emporter !
   2814 Il fait tout à dessein de me persécuter.
   2815 
   2816 L’ingrat cherche ma peine, et veut par sa malice
   2817 Que l’ordre qu’on me donne augmente mon supplice.
   2818 Rentrons, que son objet présenté par hasard
   2819 De mon cœur ébranlé ne reprenne une part :
   2820 C’est bien assez qu’un père à souffrir me destine,
   2821 Sans que mes yeux encore aident à ma ruine.
   2822 
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   2826 
   2827 J’enverrai tout à bas, puis après on verra.
   2828 Ardez, vraiment c’est-mon, on vous l’endurera !
   2829 Vous êtes un bel homme, et je dois fort vous craindre !
   2830 
   2831 
   2832 
   2833 
   2834 Tout est sur mon tapis, qu’avez-vous à vous plaindre ?
   2835 
   2836 
   2837 
   2838 
   2839 Aussi votre tapis est tout sur mon battant ;
   2840 Je ne m’étonne plus de quoi je gagne tant.
   2841 
   2842 
   2843 
   2844 
   2845 Là, là, criez bien haut, faites bien l’étourdie,
   2846 Et puis on vous jouera dedans la comédie.
   2847 
   2848 
   2849 
   2850 
   2851 Je voudrais l’avoir vu que quelqu’un s’y fût mis !
   2852 Pour en avoir raisons nous manquerions d’amis ?
   2853 On joue ainsi le monde ? Après tout ce langage,
   2854 Ne me repoussez pas mes boîtes davantage.
   2855 Votre caquet m’enlève à tous coups mes chalands ;
   2856 Vous vendez dix rabats contre moi deux galands.
   2857 Pour conserver la paix, depuis six mois j’endure
   2858 Sans vous en dire mot, sans le moindre murmure ;
   2859 Et vous me harcelez et sans cause et sans fin.
   2860 Qu’une femme hargneuse est un mauvais voisin !
   2861 Nous n’apaiserons point cette humeur qui vous pique
   2862 Que par un entre-deux mis à votre boutique ;
   2863 Alors, n’ayant plus rien ensemble à démêler,
   2864 Vous n’aurez plus aussi sur quoi me quereller.
   2865 
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   2869 Justement. De tout loin je vous ai reconnue.
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   2873 
   2874 Vous vous doutez donc bien pourquoi je suis venue ?
   2875 Les avez-vous reçus, ces points-coupés nouveaux ?
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   2879 
   2880 Ils viennent d’arriver. Voyons donc les plus beaux.
   2881 
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   2883 
   2884 Ne vous vendrai-je rien, monsieur ? des bas de soie,
   2885 Des gants en broderie, ou quelque petite oie ?
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   2887 
   2888 Ces livres que mon maître avait fait mettre à part,
   2889 Les avez-vous encor ? Ah ! que vous venez tard !
   2890 Encore un peu, ma foi, je m’en allais les vendre.
   2891 Trois jours sans revenir ! je m’ennuyais d’attendre.
   2892 
   2893 
   2894 
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   2896 Je l’avais oublié. Le prix ? Chacun le sait ;
   2897 Autant de quarts d’écu, c’est un marché tout fait.
   2898 
   2899 
   2900 
   2901 Eh bien, qu’en dites-vous ? J’en suis toute ravie,
   2902 Et n’ai rien encor vu de pareil en ma vie.
   2903 Vous aurez notre argent, si l’on croit mon rapport.
   2904 Que celui-ci me semble et délicat et fort !
   2905 Que cet autre me plaît ! que j’en aime l’ouvrage !
   2906 Montrez-m’en cependant quelqu’un à mon usage.
   2907 
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   2910 
   2911 Voici de quoi vous faire un assez beau collet.
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   2914 
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   2916 Je pense, en vérité, qu’il ne serait pas laid ;
   2917 Que me coûtera-t-il ? Allez, faites-moi vendre,
   2918 Et pour l’amour de vous, je n’en voudrai rien prendre,
   2919 Mais avisez alors à me récompenser.
   2920 
   2921 
   2922 
   2923 
   2924 L’offre n’est pas mauvaise, et vaut bien y penser.
   2925 Vous me verrez demain avecque ma maîtresse.
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   2930 
   2931 
   2932 Aronte, eh bien ! quels fruits produira notre adresse ?
   2933 
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   2937 De fort mauvais pour moi. Mon maître, au désespoir,
   2938 Fuit les yeux d’Hippolyte, et ne veut plus me voir.
   2939 
   2940 
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   2942 
   2943 Nous sommes donc ainsi bien loin de notre conte ?
   2944 
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   2946 
   2947 
   2948 Oui, mais tout le malheur en tombe sur Aronte.
   2949 
   2950 
   2951 
   2952 
   2953 Ne te débauche point, je veux faire ta paix.
   2954 
   2955 
   2956 
   2957 
   2958 Son courroux est trop grand pour s’apaiser jamais.
   2959 
   2960 
   2961 
   2962 
   2963 S’il vient encor chez nous, ou chez sa Célidée,
   2964 Je te rends aussitôt l’affaire accommodée.
   2965 
   2966 
   2967 
   2968 
   2969 
   2970 Si tu fais ce coup-là, que ton pouvoir est grand !
   2971 Viens, je te veux donner tout à l’heure un galand.
   2972 
   2973 
   2974 
   2975 
   2976 Voyez, monsieur ; j’en ai des plus beaux de la terre :
   2977 En voilà de Paris, d’Avignon, d’Angleterre.
   2978 Tous vos rubans n’ont point d’assez vives couleurs.
   2979 Allons, Florice, allons, il en faut voir ailleurs.
   2980 
   2981 
   2982 
   2983 
   2984 Ainsi, faute d’avoir de bonne marchandise,
   2985 Des hommes comme vous perdent leur chalandise.
   2986 
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   2988 
   2989 
   2990 Vous ne la perdez pas, vous, mais Dieu sait comment ;
   2991 Du moins, si je vends peu, je vends loyalement,
   2992 Et je n’attire point avec une promesse
   2993 De suivante qui m’aide à tromper sa maîtresse.
   2994 
   2995 
   2996 
   2997 
   2998 Quand il faut dire tout, on s’entre-connaît bien ;
   2999 Chacun sait son métier, et… Mais je ne dis rien.
   3000 
   3001 
   3002 
   3003 
   3004 Vous ferez un grand coup si vous pouvez vous taire.
   3005 
   3006 
   3007 
   3008 
   3009 Je ne réplique point à des gens en colère.
   3010 
   3011 
   3012 
   3013 
   3014 
   3015 
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   3017 
   3018 Indiscrète vengeance, imprudentes chaleurs,
   3019 Dont l’impuissance ajoute un comble à mes malheurs,
   3020 Ne me conseillez plus la mort de ce faussaire.
   3021 J’aime encor Célidée, et n’ose lui déplaire :
   3022 Priver de la clarté ce qu’elle aime le mieux,
   3023 Ce n’est pas le moyen d’agréer à ses yeux.
   3024 L’amour, en la perdant, me retient en balance ;
   3025 Il produit ma fureur et rompt sa violence,
   3026 Et me laissant trahi, confus et méprisé,
   3027 Ne veut que triompher de mon cœur divisé.
   3028 Amour, cruel auteur de ma longue misère,
   3029 Ou permets à la fin d’agir à ma colère,
   3030 Ou, sans m’embarrasser d’inutiles transports,
   3031 Auprès de ce bel oeil fais tes derniers efforts ;
   3032 Viens, accompagne-moi chez ma belle inhumaine,
   3033 Et comme de mon cœur, triomphe de sa haine !
   3034 Contre toi ma vengeance a mis les armes bas,
   3035 Contre ses cruautés rends les mêmes combats ;
   3036 Exerce ta puissance à fléchir la farouche ;
   3037 Montre-toi dans mes yeux, et parle par ma bouche :
   3038 Si tu te sens trop faible, appelle à ton secours
   3039 Le souvenir de mille et de mille heureux jours
   3040 Où ses désirs, d’accord avec mon espérance,
   3041 
   3042 Ne laissaient à nos vœux aucune différence.
   3043 Je pense avoir encor ce qui la sut charmer,
   3044 Les mêmes qualités qu’elle voulut aimer.
   3045 Peut-être mes douleurs ont changé mon visage ;
   3046 Mais, en revanche aussi, je l’aime davantage.
   3047 Mon respect s’est accru pour un objet si cher ;
   3048 Je ne me venge point, de peur de la fâcher.
   3049 Un infidèle ami tient son âme captive,
   3050 Je le sais, je le vois et je souffre qu’il vive.
   3051 Je tarde trop ; allons, ou vaincre ses refus,
   3052 Ou me venger sur moi de ne lui plaire plus,
   3053 Et tirons de son cœur, malgré sa flamme éteinte,
   3054 La pitié par ma mort, ou l’amour par ma plainte :
   3055 Ses rigueurs par ce fer me perceront le sein.
   3056 
   3057 
   3058 
   3059 
   3060 
   3061 
   3062 Eh quoi ! pour m’avoir vu, vous changez de dessein ?
   3063 Ne craignez point pour moi d’entrer chez Hippolyte ;
   3064 Vous ne m’apprendrez rien en lui faisant visite ;
   3065 Mes yeux, mes propres yeux n’ont que trop découvert
   3066 Comme un ami si rare auprès d’elle me sert.
   3067 
   3068 
   3069 
   3070 
   3071 Parlez plus franchement : ma rencontre importune
   3072 Auprès d’un autre objet trouble votre fortune ;
   3073 
   3074 Et vous montrez assez, par ces faibles détours,
   3075 Qu’un témoin comme moi déplaît à vos amours ;
   3076 Vous voulez seul à seul cajoler Célidée ;
   3077 La querelle entre nous sera bientôt vidée :
   3078 Ma mort vous donnera chez elle un libre accès.
   3079 Ou ma juste vengeance un funeste succès.
   3080 
   3081 
   3082 
   3083 
   3084 Qu’est-ce-ci, déloyal ? quelle fourbe est la vôtre ?
   3085 Vous m’en disputez une, afin d’acquérir l’autre !
   3086 Après ce que chacun a vu de votre feu,
   3087 C’est une lâcheté d’en faire un désaveu.
   3088 
   3089 
   3090 
   3091 
   3092 Je ne me connais point à combattre d’injures.
   3093 
   3094 
   3095 
   3096 
   3097 Aussi veux-je punir autrement tes parjures :
   3098 Le ciel, le juste ciel, ennemi des ingrats,
   3099 Qui pour ton châtiment a destiné mon bras,
   3100 T’apprendra qu’à moi seul Hippolyte est gardée.
   3101 
   3102 
   3103 
   3104 
   3105 Garde ton Hippolyte. Et toi, ta Célidée. 
   3106 
   3107 
   3108 
   3109 Voilà faire le fin, de crainte d’un combat.
   3110 
   3111 
   3112 
   3113 
   3114 Tu m’imputes la crainte, et ton cœur s’en abat !
   3115 
   3116 
   3117 
   3118 
   3119 Laissons à part les noms ; disputons la maîtresse,
   3120 Et pour qui que ce soit, montre ici ton adresse.
   3121 
   3122 
   3123 
   3124 
   3125 C’est comme je l’entends. Ô dieux ! ils sont aux coups !
   3126 Ah ! perfide ! sur moi détourne ton courroux ;
   3127 La mort de Dorimant me serait trop funeste.
   3128 
   3129 
   3130 
   3131 
   3132 Lysandre, une autre fois nous viderons le reste.
   3133 
   3134 
   3135 
   3136 Arrête, cher ingrat ! Tu recules, voleur ! 
   3137 
   3138 
   3139 
   3140 Je fuis cette importune, et non pas ta valeur.
   3141 
   3142 
   3143 
   3144 
   3145 
   3146 
   3147 Ne suivez pas du moins ce perfide à ma vue :
   3148 Avez-vous résolu que sa fuite me tue,
   3149 Et qu’ayant su braver son plus vaillant effort,
   3150 Par sa retraite infâme il me donne la mort ?
   3151 Pour en frapper le coup, vous n’avez qu’à le suivre.
   3152 
   3153 
   3154 
   3155 
   3156 Je tiens des gens sans foi si peu dignes de vivre,
   3157 Qu’on ne verra jamais que je recule un pas
   3158 De crainte de causer un si juste trépas.
   3159 
   3160 
   3161 
   3162 
   3163 
   3164 Eh bien, voyez-le donc ; ma lame toute prête
   3165 N’attendait que vos yeux pour immoler ma tête.
   3166 Vous lirez dans mon sang, à vos pieds répandu,
   3167 Ce que valait l’amant que vous aurez perdu ;
   3168 Et sans vous reprocher un si cruel outrage,
   3169 Ma main de vos rigueurs achèvera l’ouvrage.
   3170 Trop heureux mille fois si je plais en mourant
   3171 À celle à qui j’ai pu déplaire en l’adorant,
   3172 Et si ma prompte mort, secondant son envie,
   3173 L’assure du pouvoir qu’elle avait sur ma vie !
   3174 
   3175 
   3176 
   3177 
   3178 Moi, du pouvoir sur vous ! vos yeux se sont mépris ;
   3179 Et quelque illusion qui trouble vos esprits
   3180 Vous fait imaginer d’être auprès d’Hippolyte.
   3181 Allez, volage, allez où l’amour vous invite ;
   3182 Dans ses doux entretiens recherchez vos plaisirs,
   3183 Et ne m’empêchez plus de suivre mes désirs.
   3184 
   3185 
   3186 
   3187 
   3188 Ce n’est pas sans raison que ma feinte passée
   3189 A jeté cette erreur dedans votre pensée.
   3190 Il est vrai, devant vous forçant mes sentiments,
   3191 J’ai présenté des vœux, j’ai fait des compliments ;
   3192 Mais c’étaient compliments qui partaient d’une souche ;
   3193 Mon cœur, que vous teniez, désavouait ma bouche.
   3194 Pleirante, qui rompit ces ennuyeux discours,
   3195 Sait bien que mon amour n’en changea point de cours ;
   3196 Contre votre froideur une modeste plainte
   3197 Fut tout notre entretien au sortir de la feinte ;
   3198 Et je le priai lors… D’user de son pouvoir ?
   3199 Ce n’était pas par là qu’il me fallait avoir.
   3200 Les mauvais traitements ne font qu’aigrir les âmes.
   3201 
   3202 
   3203 
   3204 
   3205 Confus, désespéré du mépris de mes flammes,
   3206 Sans conseil, sans raison, pareil aux matelots
   3207 Qu’un naufrage abandonne à la merci des flots,
   3208 Je me suis pris à tout, ne sachant où me prendre.
   3209 Ma douleur par mes cris d’abord s’est fait entendre ;
   3210 J’ai cru que vous seriez d’un naturel plus doux,
   3211 Pourvu que votre esprit devînt un peu jaloux ;
   3212 J’ai fait agir pour moi l’autorité d’un père,
   3213 J’ai fait venir aux mains celui qu’on me préfère ;
   3214 Et puisque ces efforts n’ont réussi qu’en vain,
   3215 J’aurai de vous ma grâce, ou la mort de ma main.
   3216 Choisissez, l’une ou l’autre achèvera mes peines ;
   3217 Mon sang brûle déjà de sortir de mes veines :
   3218 Il faut, pour l’arrêter, me rendre votre amour ;
   3219 Je n’ai plus rien sans lui qui me retienne au jour.
   3220 
   3221 
   3222 
   3223 
   3224 Volage, fallait-il, pour un peu de rudesse,
   3225 Vous porter si soudain à changer de maîtresse ?
   3226 Que je vous croyais bien d’un jugement plus meur !
   3227 Ne pouviez-vous souffrir de ma mauvaise humeur ?
   3228 Ne pouviez-vous juger que c’était une feinte
   3229 À dessein d’éprouver quelle était votre atteinte ?
   3230 Les dieux m’en soient témoins, et ce nouveau sujet
   3231 Que vos feux inconstants ont choisi pour objet,
   3232 
   3233 Si jamais j’eus pour vous de dédain véritable,
   3234 Avant que votre amour parût si peu durable !
   3235 Qu’Hippolyte vous die avec quels sentiments
   3236 Je lui fus raconter vos premiers mouvements,
   3237 Avec quelles douceurs je m’étais préparée
   3238 À redonner la joie à votre âme éplorée !
   3239 Dieux ! que je fus surprise, et mes sens éperdus,
   3240 Quand je vis vos devoirs à sa beauté rendus !
   3241 Votre légèreté fut soudain imitée :
   3242 Non pas que Dorimant m’en eût sollicitée ;
   3243 Au contraire, il me fuit, et l’ingrat ne veut pas
   3244 Que sa franchise cède au peu que j’ai d’appas ;
   3245 Mais, hélas ! plus il fuit, plus son portrait s’efface.
   3246 Je vous sens, malgré moi, reprendre votre place.
   3247 L’aveu de votre erreur désarme mon courroux ;
   3248 Ne redoutez plus rien, l’amour combat pour vous.
   3249 Si nous avons failli de feindre l’un et l’autre,
   3250 Pardonnez à ma feinte, et j’oublierai la vôtre.
   3251 Moi-même je l’avoue à ma confusion,
   3252 Mon imprudence a fait notre division.
   3253 Tu ne méritais pas de si rudes alarmes :
   3254 Accepte un repentir accompagné de larmes ;
   3255 Et souffre que le tien nous fasse tour à tour
   3256 Par ce petit divorce augmenter notre amour.
   3257 
   3258 
   3259 
   3260 
   3261 Que vous me surprenez ! O ciel ! est-il possible
   3262 Que je vous trouve encore à mes désirs sensible ?
   3263 Que j’aime ces dédains qui finissent ainsi !
   3264 
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   3266 
   3267 
   3268 Et pour l’amour de toi, que je les aime aussi !
   3269 
   3270 
   3271 
   3272 
   3273 
   3274 Que ce soit toutefois sans qu’il vous prenne envie
   3275 De les plus essayer au péril de ma vie.
   3276 
   3277 
   3278 
   3279 
   3280 J’aime trop désormais ton repos et le mien ;
   3281 Tous mes soins n’iront plus qu’à notre commun bien.
   3282 Voudrais-je, après ma faute, une plus douce amende
   3283 Que l’effet d’un hymen qu’un père me commande ?
   3284 Je t’accusais en vain d’une infidélité :
   3285 Il agissait pour toi de pleine autorité,
   3286 Me traitait de parjure et de fille rebelle ;
   3287 Mais allons lui porter cette heureuse nouvelle ;
   3288 Ce que pour mes froideurs il témoigne d’horreur
   3289 Mérite bien qu’en hâte on le tire d’erreur.
   3290 
   3291 
   3292 
   3293 
   3294 Vous craignez qu’à vos yeux cette belle Hippolyte
   3295 N’ait encor de ma bouche un hommage hypocrite ?
   3296 
   3297 
   3298 
   3299 
   3300 Non, je fuis Dorimant qu’ensemble j’aperçoi ;
   3301 Je ne veux plus le voir, puisque je suis à toi.
   3302 
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   3306 
   3307 
   3308 Autant que mon esprit adore vos mérites,
   3309 Autant veux-je de mal à vos longues visites.
   3310 
   3311 
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   3313 
   3314 
   3315 Que vous ont-elles fait pour vous mettre en courroux ?
   3316 
   3317 
   3318 
   3319 
   3320 Elles m’ôtent le bien de vous trouver chez vous.
   3321 J’y fais à tous moments une course inutile ;
   3322 J’apprends cent fois le jour que vous êtes en ville ;
   3323 En voici presque trois que je n’ai pu vous voir,
   3324 Pour rendre à vos beautés ce que je sais devoir ;
   3325 Et n’était qu’aujourd’hui cette heureuse rencontre,
   3326 Sur le point de rentrer, par hasard me les montre,
   3327 Je crois que ce jour même aurait encor passé
   3328 Sans moyen de m’en plaindre aux yeux qui m’ont blessé.
   3329 
   3330 
   3331 
   3332 
   3333 Ma libre et gaie humeur hait le ton de la plainte ;
   3334 Je n’en puis écouter qu’avec de la contrainte.
   3335 Si vous prenez plaisir dedans mon entretien,
   3336 Pour le faire durer ne vous plaignez de rien.
   3337 
   3338 
   3339 
   3340 
   3341 Vous me pouvez ôter tout sujet de me plaindre.
   3342 
   3343 
   3344 
   3345 
   3346 Et vous pouvez aussi vous empêcher d’en feindre.
   3347 
   3348 
   3349 
   3350 
   3351 Est-ce en feindre un sujet qu’accuser vos rigueurs ?
   3352 
   3353 
   3354 
   3355 
   3356 Pour vous en plaindre à faux, vous feignez des langueurs.
   3357 
   3358 
   3359 
   3360 
   3361 Verrais-je sans languir ma flamme qu’on néglige ?
   3362 
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   3364 
   3365 
   3366 Éteignez cette flamme où rien ne vous oblige.
   3367 
   3368 
   3369 
   3370 Vos charmes trop puissants me forcent à ces feux.
   3371 
   3372 
   3373 
   3374 
   3375 Oui, mais rien ne vous force à vous approcher d’eux.
   3376 
   3377 
   3378 
   3379 
   3380 Ma présence vous fâche et vous est odieuse.
   3381 
   3382 
   3383 
   3384 
   3385 Non ; mais tout ce discours la peut rendre ennuyeuse.
   3386 
   3387 
   3388 
   3389 
   3390 Je vois bien ce que c’est ; je lis dans votre cœur :
   3391 Il a reçu les traits d’un plus heureux vainqueur ;
   3392 Un autre, regardé d’un oeil plus favorable,
   3393 À mes submissions vous fait inexorable ;
   3394 C’est pour lui seulement que vous voulez brûler.
   3395 
   3396 
   3397 
   3398 
   3399 Il est vrai ; je ne puis vous le dissimuler :
   3400 Il faut que je vous traite avec toute franchise.
   3401 Alors que je vous pris, un autre m’avait prise,
   3402 Un autre captivait mes inclinations.
   3403 Vous devez présumer de vos perfections
   3404 Que si vous attaquiez un cœur qui fût à prendre,
   3405 Il serait malaisé qu’il s’en pût bien défendre.
   3406 Vous auriez eu le mien, s’il n’eût été donné ;
   3407 Mais puisque les destins ainsi l’ont ordonné,
   3408 Tant que ma passion aura quelque espérance,
   3409 N’attendez rien de moi que de l’indifférence.
   3410 
   3411 
   3412 
   3413 
   3414 Vous ne m’apprenez point le nom de cet amant :
   3415 Sans doute que Lysandre est cet objet charmant
   3416 Dont les discours flatteurs vous ont préoccupée.
   3417 
   3418 
   3419 
   3420 
   3421 
   3422 Cela ne se dit point à des hommes d’épée :
   3423 Vous exposer aux coups d’un duel hasardeux,
   3424 Ce serait le moyen de vous perdre tous deux.
   3425 Je vous veux, si je puis, conserver l’un et l’autre ;
   3426 Je chéris sa personne, et hais si peu la vôtre,
   3427 Qu’ayant perdu l’espoir de le voir mon époux,
   3428 Si ma mère y consent, Hippolyte est à vous.
   3429 Mais aussi jusque-là plaignez votre infortune.
   3430 
   3431 
   3432 
   3433 
   3434 Permettez pour ce nom que je vous importune ;
   3435 Ne me refusez plus de me le déclarer :
   3436 Que je sache en quel temps j’aurai droit d’espérer,
   3437 Un mot me suffira pour me tirer de peine ;
   3438 Et lors j’étoufferai si bien toute ma haine,
   3439 Que vous me trouverez vous-même trop remis.
   3440 
   3441 
   3442 
   3443 
   3444 
   3445 
   3446 Souffrez, mon cavalier, que je vous rende amis.
   3447 Vous ne lui voulez pas quereller Célidée ?
   3448 
   3449 
   3450 
   3451 
   3452 L’affaire, à cela près, peut être décidée.
   3453 Voici le seul objet de nos affections,
   3454 Et l’unique motif de nos dissensions.
   3455 
   3456 
   3457 
   3458 
   3459 
   3460 Dissipe, cher ami, cette jalouse atteinte ;
   3461 C’est l’objet de tes feux, et celui de ma feinte.
   3462 Mon cœur fut toujours ferme, et moi je me dédis
   3463 Des vœux que de ma bouche elle reçut jadis.
   3464 Piqué d’un faux dédain, j’avais pris fantaisie
   3465 De mettre Célidée en quelque jalousie ;
   3466 Mais, au lieu d’un esprit, j’en ai fait deux jaloux.
   3467 
   3468 
   3469 
   3470 
   3471 Vous pouvez désormais achever entre vous :
   3472 Je vais dans ce logis dire un mot à madame.
   3473 
   3474 
   3475 
   3476 
   3477 
   3478 
   3479 Ainsi, loin de m’aider, tu traversais ma flamme !
   3480 
   3481 
   3482 
   3483 
   3484 Les efforts que Pleirante à ma prière a faits
   3485 T’auraient acquis déjà le but de tes souhaits ;
   3486 Mais tu dois accuser les glaces d’Hippolyte,
   3487 Si ton bonheur n’est pas égal à ton mérite.
   3488 
   3489 
   3490 
   3491 
   3492 Qu’aurai-je cependant pour satisfaction
   3493 D’avoir servi d’objet à votre fiction ?
   3494 Dans votre différend je suis la plus blessée,
   3495 Et me trouve, à l’accord, entièrement laissée.
   3496 
   3497 
   3498 
   3499 
   3500 
   3501 N’y songe plus, de grâce, et pour l’amour de moi,
   3502 Trouve bon qu’il ait feint de vivre sous ta loi.
   3503 Veux-tu le quereller lorsque je lui pardonne ?
   3504 Le droit de l’amitié tout autrement ordonne.
   3505 Tout prêts d’être assemblés d’un lien conjugal,
   3506 Tu ne peux le haïr sans me vouloir du mal.
   3507 J’ai feint par ton conseil ; lui, par celui d’un autre ;
   3508 Et bien qu’amour jamais ne fût égal au nôtre,
   3509 Je m’étonne comment cette confusion
   3510 Laisse finir si tôt notre division.
   3511 
   3512 
   3513 
   3514 
   3515 De sorte qu’à présent le ciel y remédie ?
   3516 
   3517 
   3518 
   3519 
   3520 Tu vois ; mais après tout, s’il faut que je le die,
   3521 Ton conseil est fort bon, mais un peu dangereux.
   3522 
   3523 
   3524 
   3525 
   3526 Excuse, chère amie, un esprit amoureux.
   3527 Lysandre me plaisait, et tout mon artifice
   3528 N’allait qu’à détourner son cœur de ton service.
   3529 J’ai fait ce que j’ai pu pour brouiller vos esprits ;
   3530 J’ai, pour me l’attirer, pratiqué tes mépris ;
   3531 Mais puisqu’ainsi le ciel rejoint votre hyménée…
   3532 
   3533 
   3534 
   3535 
   3536 Votre rigueur vers moi doit être terminée.
   3537 Sans chercher de raisons pour vous persuader,
   3538 Votre amour hors d’espoir fait qu’il me faut céder ;
   3539 Vous savez trop à quoi la parole vous lie.
   3540 
   3541 
   3542 
   3543 
   3544 À vous dire le vrai, j’ai fait une folie :
   3545 
   3546 Je les croyais encor loin de se réunir,
   3547 Et moi, par conséquent, loin de vous la tenir.
   3548 
   3549 
   3550 
   3551 
   3552 Auriez-vous pour la rompre une âme assez légère ?
   3553 
   3554 
   3555 
   3556 
   3557 Puisque je l’ai promis, vous pouvez voir ma mère.
   3558 
   3559 
   3560 
   3561 
   3562 Si tu juges Pleirante à cela suffisant,
   3563 Je crois qu’eux deux ensemble en parlent à présent.
   3564 
   3565 
   3566 
   3567 
   3568 Après cette faveur qu’on me vient de promettre,
   3569 Je crois que mes devoirs ne se peuvent remettre :
   3570 J’espère tout de lui ; mais, pour un bien si doux
   3571 Je ne saurais… Arrête ; ils s’avancent vers nous.
   3572 
   3573 
   3574 
   3575 
   3576 Madame, un pauvre amant, captif de cette belle,
   3577 Implore le pouvoir que vous avez sur elle ;
   3578 Tenant ses volontés, vous gouvernez mon sort.
   3579 J’attends de votre bouche ou la vie ou la mort.
   3580 
   3581 
   3582 Un homme tel que vous, et de votre naissance,
   3583 Ne peut avoir besoin d’implorer ma puissance.
   3584 
   3585 Si vous avez gagné ses inclinations,
   3586 Soyez sûr du succès de vos affections ;
   3587 Mais je ne suis pas femme à forcer son courage ;
   3588 Je sais ce que la force est en un mariage.
   3589 Il me souvient encor de tous mes déplaisirs
   3590 Lorsqu’un premier hymen contraignit mes désirs ;
   3591 Et, sage à mes dépens, je veux bien qu’Hippolyte
   3592 Prenne ou laisse, à son choix, un homme de mérite.
   3593 Ainsi présumez tout de mon consentement,
   3594 Mais ne prétendez rien de mon commandement.
   3595 
   3596 
   3597 Après un tel aveu serez-vous inhumaine ?
   3598 
   3599 
   3600 Madame, un mot de vous me mettrait hors de peine.
   3601 Ce que vous remettez à mon choix d’accorder,
   3602 Vous feriez beaucoup mieux de me le commander.
   3603 
   3604 
   3605 Elle vous montre assez où son désir se porte.
   3606 
   3607 
   3608 
   3609 
   3610 Puisqu’elle s’y résout, le reste ne m’importe.
   3611 
   3612 
   3613 
   3614 
   3615 Ce favorable mot me rend le plus heureux
   3616 De tout ce que jamais on a vu d’amoureux.
   3617 
   3618 
   3619 
   3620 
   3621 J’en sens croître la joie au milieu de mon âme,
   3622 Comme si de nouveau l’on acceptait ma flamme.
   3623 
   3624 
   3625 Ferez-vous donc enfin quelque chose pour moi ?
   3626 
   3627 
   3628 
   3629 
   3630 
   3631 Tout, hormis ce seul point, de lui manquer de foi.
   3632 
   3633 
   3634 
   3635 
   3636 Pardonnez donc à ceux qui, gagnés par Florice,
   3637 Lorsque je vous aimais, m’ont fait quelque service.
   3638 
   3639 
   3640 
   3641 
   3642 Je vous entends assez ; soit. Aronte impuni
   3643 Pour ses mauvais conseils ne sera point banni ;
   3644 Tu le souffriras bien, puisqu’elle m’en supplie.
   3645 
   3646 
   3647 
   3648 
   3649 Il n’est rien que pour elle et pour toi je n’oublie.
   3650 
   3651 
   3652 
   3653 
   3654 Attendant que demain ces deux couples d’amants
   3655 Soient mis au plus haut point de leurs contentements,
   3656 Allons chez moi, madame, achever la journée.
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   3661 Mon cœur est tout ravi de ce double hyménée.
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   3666 Mais afin que la joie en soit égale à tous,
   3667 Faites encor celui de monsieur et de vous.
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   3672 Outre l’âge en tous deux un peu trop refroidie,
   3673 Cela sentirait trop sa fin de comédie.