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Author: Antoine Amarilli <a3nm@a3nm.net>
Date:   Sat, 26 Jul 2014 16:26:25 +0200

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diff --git a/test/andromaque b/test/andromaque @@ -0,0 +1,2033 @@ +Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle, +Ma fortune va prendre une face nouvelle ; +Et déjà son courroux semble s’être adouci +Depuis qu’elle a pris soin de nous rejoindre ici. +Qui l’eût dit, qu’un rivage à mes vœux si funeste +Présenterait d’abord Pylade aux yeux d’Oreste ? +Qu’après plus de six mois que je t’avais perdu, +À la cour de Pyrrhus tu me serais rendu ? + + +J’en rends grâces au ciel qui, m’arrêtant sans cesse, +Semblait m’avoir fermé le chemin de la Grèce, +Depuis le jour fatal que la fureur des eaux +Presque aux yeux de l’Épire écarta nos vaisseaux. +Combien, dans cet exil, ai-je souffert d’alarmes ! +Combien à vos malheurs ai-je donné de larmes, +Craignant toujours pour vous quelque nouveau danger +Que ma triste amitié ne pouvait partager ! +Surtout je redoutais cette mélancolie +Où j’ai vu si longtemps votre âme ensevelie. +Je craignais que le ciel, par un cruel secours, +Ne vous offrît la mort que vous cherchiez toujours. +Mais je vous vois, Seigneur ; et si j’ose le dire, +Un destin plus heureux vous conduit en Épire : +Le pompeux appareil qui suit ici vos pas +N’est point d’un malheureux qui cherche le trépas. + + +Hélas ! qui peut savoir le destin qui m’amène ? +L’amour me fait ici chercher une inhumaine. +Mais qui sait ce qu’il doit ordonner de mon sort, +Et si je viens chercher ou la vie ou la mort ? + + +Quoi ? votre âme à l’amour en esclave asservie +Se repose sur lui du soin de votre vie ? +Par quel charme, oubliant tant de tourments soufferts, +Pouvez-vous consentir à rentrer dans ses fers ? +Pensez-vous qu’Hermione, à Sparte inexorable, +Vous prépare en Épire un sort plus favorable ? +Honteux d’avoir poussé tant de vœux superflus, +Vous l’abhorriez ; enfin vous ne m’en parliez plus. +Vous me trompiez, Seigneur. Je me trompais moi-même ! +Ami, n’accable point un malheureux qui t’aime. +T’ai-je jamais caché mon cœur et mes désirs ? +Tu vis naître ma flamme et mes premiers soupirs. +Enfin, quand Ménélas disposa de sa fille +En faveur de Pyrrhus, vengeur de sa famille, +Tu vis mon désespoir ; et tu m’as vu depuis +Traîner de mers en mers ma chaîne et mes ennuis. +Je te vis à regret, en cet état funeste, +Prêt à suivre partout le déplorable Oreste, +Toujours de ma fureur interrompre le cours, +Et de moi-même enfin me sauver tous les jours. +Mais quand je me souvins que parmi tant d’alarmes +Hermione à Pyrrhus prodiguait tous ses charmes, +Tu sais de quel courroux mon cœur alors épris +Voulut en l’oubliant punir tous ses mépris. +Je fis croire et je crus ma victoire certaine ; +Je pris tous mes transports pour des transports de haine. +Détestant ses rigueurs, rabaissant ses attraits, +Je défiais ses yeux de me troubler jamais. +Voilà comme je crus étouffer ma tendresse. +En ce calme trompeur j’arrivai dans la Grèce, +Et je trouvai d’abord ses princes rassemblés, +Qu’un péril assez grand semblait avoir troublés. +J’y courus. Je pensai que la guerre et la gloire +De soins plus importants rempliraient ma mémoire ; +Que mes sens reprenant leur première vigueur, +L’amour achèverait de sortir de mon cœur. +Mais admire avec moi le sort dont la poursuite +Me fit courir alors au piège que j’évite. +J’entends de tous côtés qu’on menace Pyrrhus ; +Toute la Grèce éclate en murmures confus ; +On se plaint qu’oubliant son sang et sa promesse +Il élève en sa cour l’ennemi de la Grèce, +Astyanax, d’Hector jeune et malheureux fils, +Reste de tant de rois sous Troie ensevelis. +J’apprends que pour ravir son enfance au supplice +Andromaque trompa l’ingénieux Ulysse, +Tandis qu’un autre enfant, arraché de ses bras, +Sous le nom de son fils fut conduit au trépas. +On dit que peu sensible aux charmes d’Hermione +Mon rival porte ailleurs son cœur et sa couronne. +Ménélas, sans le croire, en paraît affligé, +Et se plaint d’un hymen si longtemps négligé. +Parmi les déplaisirs où son âme se noie, +Il s’élève en la mienne une secrète joie : +Je triomphe ; et pourtant je me flatte d’abord +Que la seule vengeance excite ce transport. +Mais l’ingrate en mon cœur reprit bientôt sa place : +De mes feux mal éteints je reconnus la trace ; +Je sentis que ma haine allait finir son cours, +Ou plutôt je sentis que je l’aimais toujours. +Ainsi de tous les Grecs je brigue le suffrage. +On m’envoie à Pyrrhus ; j’entreprends ce voyage, +Je viens voir si l’on peut arracher de ses bras +Cet enfant dont la vie alarme tant d’États. +Heureux si je pouvais, dans l’ardeur qui me presse, +Au lieu d’Astyanax, lui ravir ma princesse ! +Car enfin n’attends pas que mes feux redoublés +Des périls les plus grands puissent être troublés. +Puisque après tant d’efforts ma résistance est vaine, +Je me livre en aveugle au destin qui m’entraîne. +J’aime : je viens chercher Hermione en ces lieux, +La fléchir, l’enlever, ou mourir à ses yeux. +Toi qui connais Pyrrhus, que penses-tu qu’il fasse ? +Dans sa cour, dans son cœur, dis-moi ce qui se passe. +Mon Hermione encor le tient-elle asservi ? +Me rendra-t-il, Pylade, un bien qu’il m’a ravi ? + + +Je vous abuserais si j’osais vous promettre +Qu’entre vos mains, Seigneur, il voulût la remettre. +Non que de sa conquête il paraisse flatté ; +Pour la veuve d’Hector ses feux ont éclaté ; +Il l’aime. Mais enfin cette veuve inhumaine +N’a payé jusqu’ici son amour que de haine ; +Et chaque jour encore on lui voit tout tenter +Pour fléchir sa captive, ou pour l’épouvanter. +De son fils qu’il lui cache il menace la tête, +Et fait couler des pleurs qu’aussitôt il arrête. +Hermione elle-même a vu plus de cent fois +Cet amant irrité revenir sous ses lois, +Et de ses vœux troublés lui rapportant l’hommage, +Soupirer à ses pieds moins d’amour que de rage. +Ainsi n’attendez pas que l’on puisse aujourd’hui +Vous répondre d’un cœur si peu maître de lui : +Il peut, Seigneur, il peut, dans ce désordre extrême, +Épouser ce qu’il hait, et punir ce qu’il aime. + + +Mais dis-moi de quel oeil Hermione peut voir +Son hymen différé, ses charmes sans pouvoir. + + +Hermione, Seigneur, au moins en apparence, +Semble de son amant dédaigner l’inconstance, +Et croit que trop heureux de fléchir sa rigueur +Il la viendra presser de reprendre son cœur. +Mais je l’ai vue enfin me confier ses larmes ; +Elle pleure en secret le mépris de ses charmes. +Toujours prête à partir, et demeurant toujours, +Quelquefois elle appelle Oreste à son secours. + + +Ah ! si je le croyais, j’irais bientôt, Pylade, +Me jeter... Achevez, Seigneur, votre ambassade. +Vous attendez le roi : parlez, et lui montrez +Contre le fils d’Hector tous les Grecs conjurés. +Loin de leur accorder ce fils de sa maîtresse, +Leur haine ne fera qu’irriter sa tendresse. +Plus on les veut brouiller, plus on va les unir. +Pressez, demandez tout, pour ne rien obtenir. +Il vient. Eh bien ! va donc disposer la cruelle +À revoir un amant qui ne vient que pour elle. + + + +Avant que tous les Grecs vous parlent par ma voix, +Souffrez que j’ose ici me flatter de leur choix, +Et qu’à vos yeux, Seigneur, je montre quelque joie +De voir le fils d’Achille et le vainqueur de Troie. +Oui, comme ses exploits nous admirons vos coups : +Hector tomba sous lui, Troie expira sous vous ; +Et vous avez montré, par une heureuse audace, +Que le fils seul d’Achille a pu remplir sa place. +Mais, ce qu’il n’eût point fait, la Grèce avec douleur +Vous voit du sang troyen relever le malheur, +Et vous laissant toucher d’une pitié funeste, +D’une guerre si longue entretenir le reste. +Ne vous souvient-il plus, Seigneur, quel fut Hector ? +Nos peuples affaiblis s’en souviennent encor. +Son nom seul fait frémir nos veuves et nos filles, +Et dans toute la Grèce il n’est point de familles +Qui ne demandent compte à ce malheureux fils +D’un père ou d’un époux qu’Hector leur a ravis. +Et qui sait ce qu’un jour ce fils peut entreprendre ? +Peut-être dans nos ports nous le verrons descendre, +Tel qu’on a vu son père embraser nos vaisseaux, +Et, la flamme à la main, les suivre sur les eaux. +Oserai-je, Seigneur, dire ce que je pense ? +Vous-même de vos soins craignez la récompense, +Et que dans votre sein ce serpent élevé +Ne vous punisse un jour de l’avoir conservé. +Enfin de tous les Grecs satisfaites l’envie, +Assurez leur vengeance, assurez votre vie ; +Perdez un ennemi d’autant plus dangereux +Qu’il s’essaiera sur vous à combattre contre eux. + + +La Grèce en ma faveur est trop inquiétée. +De soins plus importants je l’ai crue agitée, +Seigneur, et sur le nom de son ambassadeur, +J’avais dans ses projets conçu plus de grandeur. +Qui croirait en effet qu’une telle entreprise +Du fils d’Agamemnon méritât l’entremise ; +Qu’un peuple tout entier, tant de fois triomphant, +N’eût daigné conspirer que la mort d’un enfant ? +Mais à qui prétend-on que je le sacrifie ? +La Grèce a-t-elle encor quelque droit sur sa vie ? +Et seul de tous les Grecs ne m’est-il pas permis +D’ordonner d’un captif que le sort m’a soumis ? +Oui, Seigneur, lorsqu’au pied des murs fumants de Troie +Les vainqueurs tout sanglants partagèrent leur proie, +Le sort, dont les arrêts furent alors suivis, +Fit tomber en mes mains Andromaque et son fils. +Hécube près d’Ulysse acheva sa misère ; +Cassandre dans Argos a suivi votre père ; +Sur eux, sur leurs captifs, ai-je étendu mes droits ? +Ai-je enfin disposé du fruit de leurs exploits ? +On craint qu’avec Hector Troie un jour ne renaisse ; +Son fils peut me ravir le jour que je lui laisse : +Seigneur, tant de prudence entraîne trop de soin ; +Je ne sais point prévoir les malheurs de si loin. +Je songe quelle était autrefois cette ville +Si superbe en remparts, en héros si fertile, +Maîtresse de l’Asie ; et je regarde enfin +Quel fut le sort de Troie, et quel est son destin. +Je ne vois que des tours que la cendre a couvertes, +Un fleuve teint de sang, des campagnes désertes, +Un enfant dans les fers ; et je ne puis songer +Que Troie en cet état aspire à se venger. +Ah ! si du fils d’Hector la perte était jurée, +Pourquoi d’un an entier l’avons-nous différée ? +Dans le sein de Priam n’a-t-on pu l’immoler ? +Sous tant de morts, sous Troie, il fallait l’accabler. +Tout était juste alors : la vieillesse et l’enfance +En vain sur leur faiblesse appuyaient leur défense ; +La victoire et la nuit, plus cruelles que nous, +Nous excitaient au meurtre, et confondaient nos coups. +Mon courroux aux vaincus ne fut que trop sévère. +Mais que ma cruauté survive à ma colère ? +Que malgré la pitié dont je me sens saisir, +Dans le sang d’un enfant je me baigne à loisir ? +Non, Seigneur : que les Grecs cherchent quelque autre proie ; +Qu’ils poursuivent ailleurs ce qui reste de Troie : +De mes inimitiés le cours est achevé ; +L’Épire sauvera ce que Troie a sauvé. + + +Seigneur, vous savez trop avec quel artifice +Un faux Astyanax fut offert au supplice +Où le seul fils d’Hector devait être conduit. +Ce n’est pas les Troyens, c’est Hector qu’on poursuit. +Oui, les Grecs sur le fils persécutent le père ; +Il a par trop de sang acheté leur colère, +Ce n’est que dans le sien qu’elle peut expirer, +Et jusque dans l’Épire il les peut attirer. +Prévenez-les. Non, non. J’y consens avec joie ! +Qu’ils cherchent dans l’Épire une seconde Troie ; +Qu’ils confondent leur haine, et ne distinguent plus +Le sang qui les fit vaincre et celui des vaincus. +Aussi bien ce n’est pas la première injustice +Dont la Grèce d’Achille a payé le service. +Hector en profita, Seigneur ; et quelque jour +Son fils en pourrait bien profiter à son tour. + + +Ainsi la Grèce en vous trouve un enfant rebelle ? + + +Et je n’ai donc vaincu que pour dépendre d’elle ? + + +Hermione, Seigneur, arrêtera vos coups : +Ses yeux s’opposeront entre son père et vous. + + +Hermione, Seigneur, peut m’être toujours chère, +Je puis l’aimer, sans être esclave de son père ; +Et je saurai peut-être accorder quelque jour +Les soins de ma grandeur et ceux de mon amour. +Vous pouvez cependant voir la fille d’Hélène : +Du sang qui vous unit je sais l’étroite chaîne. +Après cela, Seigneur, je ne vous retiens plus, +Et vous pourrez aux Grecs annoncer mon refus. + + + +Ainsi vous l’envoyez aux pieds de sa maîtresse ? + + +On dit qu’il a longtemps brûlé pour la princesse. + + +Mais si ce feu, Seigneur, vient à se rallumer ? +S’il lui rendait son cœur, s’il s’en faisait aimer ? + + +Ah ! qu’ils s’aiment, Phœnix ! J’y consens. Qu’elle parte. +Que charmés l’un de l’autre ils retournent à Sparte ! +Tous nos ports sont ouverts et pour elle et pour lui. +Qu’elle m’épargnerait de contrainte et d’ennui ! + + +Seigneur... Une autre fois je t’ouvrirai mon âme : +Andromaque paraît. Me cherchiez-vous, Madame ? +Un espoir si charmant me serait-il permis ? + + +Je passais jusqu’aux lieux où l’on garde mon fils. +Puisqu’une fois le jour vous souffrez que je voie +Le seul bien qui me reste et d’Hector et de Troie, +J’allais, Seigneur, pleurer un moment avec lui : +Je ne l’ai point encore embrassé d’aujourd’hui. + + +Ah, Madame ! les Grecs, si j’en crois leurs alarmes, +Vous donneront bientôt d’autres sujets de larmes. + + +Et quelle est cette peur dont leur cœur est frappé, +Seigneur ? Quelque Troyen vous est-il échappé ? + + +Leur haine pour Hector n’est pas encore éteinte. +Ils redoutent son fils. Digne objet de leur crainte ! +Un enfant malheureux qui ne sait pas encor +Que Pyrrhus est son maître, et qu’il est fils d’Hector. + + +Tel qu’il est, tous les Grecs demandent qu’il périsse. +Le fils d’Agamemnon vient hâter son supplice. + + +Et vous prononcerez un arrêt si cruel ? +Est-ce mon intérêt qui le rend criminel ? +Hélas ! on ne craint point qu’il venge un jour son père ; +On craint qu’il n’essuyât les larmes de sa mère. +Il m’aurait tenu lieu d’un père et d’un époux ; +Mais il me faut tout perdre, et toujours par vos coups. + + +Madame, mes refus ont prévenu vos larmes. +Tous les Grecs m’ont déjà menacé de leurs armes, +Mais dussent-ils encore, en repassant les eaux, +Demander votre fils avec mille vaisseaux, +Coûtât-il tout le sang qu’Hélène a fait répandre, +Dussé-je après dix ans voir mon palais en cendre, +Je ne balance point, je vole à son secours. +Je défendrai sa vie aux dépens de mes jours. +Mais parmi ces périls où je cours pour vous plaire, +Me refuserez-vous un regard moins sévère ? +Haï de tous les Grecs, pressé de tous côtés, +Me faudra-t-il combattre encor vos cruautés ? +Je vous offre mon bras. Puis-je espérer encore +Que vous accepterez un cœur qui vous adore ? +En combattant pour vous, me sera-t-il permis +De ne vous point compter parmi mes ennemis ? + + +Seigneur, que faites-vous, et que dira la Grèce ? +Faut-il qu’un si grand cœur montre tant de faiblesse ? +Voulez-vous qu’un dessein si beau, si généreux, +Passe pour le transport d’un esprit amoureux ? +Captive, toujours triste, importune à moi-même, +Pouvez-vous souhaiter qu’Andromaque vous aime ? +Quels charmes ont pour vous des yeux infortunés +Qu’à des pleurs éternels vous avez condamnés ? +Non, non ; d’un ennemi respecter la misère, +Sauver des malheureux, rendre un fils à sa mère, +De cent peuples pour lui combattre la rigueur, +Sans me faire payer son salut de mon cœur, +Malgré moi, s’il le faut, lui donner un asile : +Seigneur, voilà des soins dignes du fils d’Achille. + + +Hé quoi ! votre courroux n’a-t-il pas eu son cours ? +Peut-on haïr sans cesse ? et punit-on toujours ? +J’ai fait des malheureux, sans doute ; et la Phrygie +Cent fois de votre sang a vu ma main rougie ; +Mais que vos yeux sur moi se sont bien exercés ! +Qu’ils m’ont vendu bien cher les pleurs qu’ils ont versés ! +De combien de remords m’ont-ils rendu la proie ! +Je souffre tous les maux que j’ai faits devant Troie. +Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé, +Brûlé de plus de feux que je n’en allumai, +Tant de soins, tant de pleurs, tant d’ardeurs inquiètes... +Hélas ! fus-je jamais si cruel que vous l’êtes ? +Mais enfin, tour à tour, c’est assez nous punir : +Nos ennemis communs devraient nous réunir. +Madame, dites-moi seulement que j’espère, +Je vous rends votre fils, et je lui sers de père ; +Je l’instruirai moi-même à venger les Troyens ; +J’irai punir les Grecs de vos maux et des miens. +Animé d’un regard, je puis tout entreprendre : +Votre Ilion encor peut sortir de sa cendre ; +Je puis, en moins de temps que les Grecs ne l’ont pris, +Dans ses murs relevés couronner votre fils. + + +Seigneur, tant de grandeurs ne nous touchent plus guère. +Je les lui promettais tant qu’a vécu son père. +Non, vous n’espérez plus de nous revoir encor, +Sacrés murs que n’a pu conserver mon Hector ! +À de moindres faveurs des malheureux prétendent, +Seigneur : c’est un exil que mes pleurs vous demandent. +Souffrez que, loin des Grecs, et même loin de vous, +J’aille cacher mon fils, et pleurer mon époux. +Votre amour contre nous allume trop de haine. +Retournez, retournez à la fille d’Hélène. + + +Et le puis-je, Madame ? Ah ! que vous me gênez ! +Comment lui rendre un cœur que vous me retenez ? +Je sais que de mes vœux on lui promit l’empire ; +Je sais que pour régner elle vint dans l’Épire ; +Le sort vous y voulut l’une et l’autre amener : +Vous, pour porter des fers, elle, pour en donner. +Cependant ai-je pris quelque soin de lui plaire ? +Et ne dirait-on pas, en voyant au contraire +Vos charmes tout-puissants, et les siens dédaignés, +Qu’elle est ici captive et que vous y régnez ? +Ah ! qu’un seul des soupirs que mon cœur vous envoie, +S’il s’échappait vers elle y porterait de joie. + + +Et pourquoi vos soupirs seraient-ils repoussés ? +Aurait-elle oublié vos services passés ? +Troie, Hector, contre vous, révoltent-ils son âme ? +Aux cendres d’un époux doit-elle enfin sa flamme ? +Et quel époux encore ! Ah ! souvenir cruel ! +Sa mort seule a rendu votre père immortel ; +Il doit au sang d’Hector tout l’éclat de ses armes, +Et vous n’êtes tous deux connus que par mes larmes. + + +Eh bien, Madame, eh bien ! il faut vous obéir : +Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr. +Oui, mes vœux ont trop loin poussé leur violence +Pour ne plus s’arrêter que dans l’indifférence ; +Songez-y bien : il faut désormais que mon cœur, +S’il n’aime avec transport, haïsse avec fureur. +Je n’épargnerai rien dans ma juste colère : +Le fils me répondra des mépris de la mère ; +La Grèce le demande, et je ne prétends pas +Mettre toujours ma gloire à sauver des ingrats. + + +Hélas ! il mourra donc. Il n’a pour sa défense +Que les pleurs de sa mère et que son innocence. +Et peut-être après tout, en l’état où je suis, +Sa mort avancera la fin de mes ennuis. +Je prolongeais pour lui ma vie et ma misère ; +Mais enfin sur ses pas j’irai revoir son père. +Ainsi, tous trois, Seigneur, par vos soins réunis, +Nous vous... Allez, Madame, allez voir votre fils. +Peut-être, en le voyant, votre amour plus timide +Ne prendra pas toujours sa colère pour guide. +Pour savoir nos destins j’irai vous retrouver. +Madame, en l’embrassant, songez à le sauver. + + + +Je fais ce que tu veux ; je consens qu’il me voie. +Je lui veux bien encore accorder cette joie. +Pylade va bientôt conduire ici ses pas ; +Mais si je m’en croyais, je ne le verrais pas. + + +Et qu’est-ce que sa vue a pour vous de funeste ? +Madame, n’est-ce pas toujours le même Oreste +Dont vous avez cent fois souhaité le retour, +Et dont vous regrettiez la constance et l’amour ? + + +C’est cet amour payé de trop d’ingratitude +Qui me rend en ces lieux sa présence si rude. +Quelle honte pour moi, quel triomphe pour lui, +De voir mon infortune égaler son ennui ! +Est-ce là, dira-t-il, cette fière Hermione ? +Elle me dédaignait ; un autre l’abandonne. +L’ingrate, qui mettait son cœur à si haut prix, +Apprend donc à son tour à souffrir des mépris ? +Ah dieux ! Ah ! dissipez ces indignes alarmes : +Il a trop bien senti le pouvoir de vos charmes. +Vous croyez qu’un amant vienne vous insulter ? +Il vous rapporte un cœur qu’il n’a pu vous ôter. +Mais vous ne dites point ce que vous mande un père ? + + +Dans ses retardements si Pyrrhus persévère, +À la mort du Troyen s’il ne veut consentir, +Mon père avec les Grecs m’ordonne de partir. + + +Eh bien, Madame, eh bien ! écoutez donc Oreste. +Pyrrhus a commencé, faites au moins le reste. +Pour bien faire il faudrait que vous le prévinssiez. +Ne m’avez-vous pas dit que vous le haïssiez ? + + +Si je le hais, Cléone ! Il y va de ma gloire, +Après tant de bontés dont il perd la mémoire ; +Lui qui me fut si cher, et qui m’a pu trahir, +Ah ! je l’ai trop aimé pour ne le point haïr ! + + +Fuyez-le donc, Madame ; et puisqu’on vous adore... + + +Ah ! laisse à ma fureur le temps de croître encore. +Contre mon ennemi laisse-moi m’assurer. +Cléone, avec horreur je m’en veux séparer. +Il n’y travaillera que trop bien, l’infidèle ! + + +Quoi ? vous en attendez quelque injure nouvelle ? +Aimer une captive, et l’aimer à vos yeux, +Tout cela n’a donc pu vous le rendre odieux ? +Après ce qu’il a fait, que saurait-il donc faire ? +Il vous aurait déplu, s’il pouvait vous déplaire. + + +Pourquoi veux-tu, cruelle, irriter mes ennuis ? +Je crains de me connaître en l’état où je suis. +De tout ce que tu vois tâche de ne rien croire ; +Crois que je n’aime plus, vante-moi ma victoire ; +Crois que dans son dépit mon cœur est endurci, +Hélas ! et, s’il se peut, fais-le moi croire aussi. +Tu veux que je le fuie ? Eh bien ! rien ne m’arrête : +Allons ; n’envions plus son indigne conquête : +Que sur lui sa captive étende son pouvoir. +Fuyons... Mais si l’ingrat rentrait dans son devoir ! +Si la foi dans son cœur retrouvait quelque place ; +S’il venait à mes pieds me demander sa grâce ; +Si sous mes lois, Amour, tu pouvais l’engager ! +S’il voulait... Mais l’ingrat ne veut que m’outrager. +Demeurons toutefois pour troubler leur fortune, +Prenons quelque plaisir à leur être importune ; +Ou, le forçant de rompre un nœud si solennel, +Aux yeux de tous les Grecs rendons-le criminel. +J’ai déjà sur le fils attiré leur colère ; +Je veux qu’on vienne encor lui demander la mère. +Rendons-lui les tourments qu’elle m’a fait souffrir : +Qu’elle le perde, ou bien qu’il la fasse périr. + + +Vous pensez que des yeux toujours ouverts aux larmes +Se plaisent à troubler le pouvoir de vos charmes, +Et qu’un cœur accablé de tant de déplaisirs +De son persécuteur ait brigué les soupirs ? +Voyez si sa douleur en paraît soulagée. +Pourquoi donc les chagrins où son âme est plongée ? +Contre un amant qui plaît pourquoi tant de fierté ? + + +Hélas ! pour mon malheur, je l’ai trop écouté. +Je n’ai point du silence affecté le mystère : +Je croyais sans péril pouvoir être sincère, +Et sans armer mes yeux d’un moment de rigueur, +Je n’ai pour lui parler consulté que mon cœur. +Et qui ne se serait comme moi déclarée +Sur la foi d’une amour si saintement jurée ? +Me voyait-il de l’oeil qu’il me voit aujourd’hui ? +Tu t’en souviens encor, tout conspirait pour lui : +Ma famille vengée, et les Grecs dans la joie, +Nos vaisseaux tout chargés des dépouilles de Troie, +Les exploits de son père effacés par les siens, +Ses feux que je croyais plus ardents que les miens, +Mon cœur, toi-même enfin de sa gloire éblouie, +Avant qu’il me trahît, vous m’avez tous trahie. +Mais c’en est trop, Cléone, et quel que soit Pyrrhus, +Hermione est sensible, Oreste a des vertus ; +Il sait aimer du moins, et même sans qu’on l’aime, +Et peut-être il saura se faire aimer lui-même. +Allons : Qu’il vienne enfin. Madame, le voici. + + +Ah ! je ne croyais pas qu’il fût si près d’ici. + + + +Le croirai-je, Seigneur, qu’un reste de tendresse +Vous fasse ici chercher une triste princesse ? +Ou ne dois-je imputer qu’à votre seul devoir +L’heureux empressement qui vous porte à me voir ? + + +Tel est de mon amour l’aveuglement funeste, +Vous le savez, Madame, et le destin d’Oreste +Est de venir sans cesse adorer vos attraits, +Et de jurer toujours qu’il n’y viendra jamais. +Je sais que vos regards vont rouvrir mes blessures, +Que tous mes pas vers vous sont autant de parjures : +Je le sais, j’en rougis ; mais j’atteste les dieux, +Témoins de la fureur de mes derniers adieux, +Que j’ai couru partout où ma perte certaine +Dégageait mes serments et finissait ma peine. +J’ai mendié la mort chez des peuples cruels +Qui n’apaisaient leurs dieux que du sang des mortels : +Ils m’ont fermé leur temple ; et ces peuples barbares +De mon sang prodigué sont devenus avares. +Enfin je viens à vous, et je me vois réduit +À chercher dans vos yeux une mort qui me fuit, +Mon désespoir n’attend que leur indifférence : +Ils n’ont qu’à m’interdire un reste d’espérance, +Ils n’ont, pour avancer cette mort où je cours, +Qu’à me dire une fois ce qu’ils m’ont dit toujours. +Voilà, depuis un an, le seul soin qui m’anime. +Madame, c’est à vous de prendre une victime +Que les Scythes auraient dérobée à vos coups +Si j’en avais trouvé d’aussi cruels que vous. + + +Quittez, Seigneur, quittez ce funeste langage. +À des soins plus pressants la Grèce vous engage. +Que parlez-vous du Scythe et de mes cruautés ? +Songez à tous ces rois que vous représentez. +Faut-il que d’un transport leur vengeance dépende ? +Est-ce le sang d’Oreste enfin qu’on vous demande ? +Dégagez-vous des soins dont vous êtes chargé. + + +Les refus de Pyrrhus m’ont assez dégagé, +Madame : il me renvoie ; et quelque autre puissance +Lui fait du fils d’Hector embrasser la défense. + + +L’infidèle ! Ainsi donc, tout prêt à le quitter, +Sur mon propre destin je viens vous consulter. +Déjà même je crois entendre la réponse +Qu’en secret contre moi votre haine prononce. + + +Hé quoi ? toujours injuste en vos tristes discours, +De mon inimitié vous plaindrez-vous toujours ? +Quelle est cette rigueur tant de fois alléguée ? +J’ai passé dans l’Épire où j’étais reléguée : +Mon père l’ordonnait ; mais qui sait si depuis +Je n’ai point en secret partagé vos ennuis ? +Pensez-vous avoir seul éprouvé des alarmes ; +Que l’Épire jamais n’ait vu couler mes larmes ? +Enfin, qui vous a dit que malgré mon devoir +Je n’ai pas quelquefois souhaité de vous voir ? + + +Souhaité de me voir ! Ah ! divine Princesse... +Mais, de grâce, est-ce à moi que ce discours s’adresse ? +Ouvrez vos yeux : songez qu’Oreste est devant vous, +Oreste, si longtemps l’objet de leur courroux. + + +Oui, c’est vous dont l’amour, naissant avec leurs charmes, +Leur apprit le premier le pouvoir de leurs armes ; +Vous que mille vertus me forçaient d’estimer ; +Vous que j’ai plaint, enfin que je voudrais aimer. + + +Je vous entends. Tel est mon partage funeste : +Le cœur est pour Pyrrhus, et les vœux pour Oreste. + + +Ah ! ne souhaitez pas le destin de Pyrrhus : +Je vous haïrais trop. Vous m’en aimeriez plus. +Ah ! que vous me verriez d’un regard bien contraire ! +Vous me voulez aimer, et je ne puis vous plaire ; +Et l’amour seul alors se faisant obéir, +Vous m’aimeriez, Madame, en me voulant haïr. +Ô dieux ! tant de respects, une amitié si tendre... +Que de raisons pour moi, si vous pouviez m’entendre ! +Vous seule pour Pyrrhus disputez aujourd’hui, +Peut-être malgré vous, sans doute malgré lui : +Car enfin il vous hait ; son âme ailleurs éprise +N’a plus... Qui vous l’a dit, Seigneur, qu’il me méprise ? +Ses regards, ses discours vous l’ont-ils donc appris ? +Jugez-vous que ma vue inspire des mépris, +Qu’elle allume en un cœur des feux si peu durables ? +Peut-être d’autres yeux me sont plus favorables. + + +Poursuivez : il est beau de m’insulter ainsi. +Cruelle, c’est donc moi qui vous méprise ici ? +Vos yeux n’ont pas assez éprouvé ma constance ? +Je suis donc un témoin de leur peu de puissance ? +Je les ai méprisés ? Ah ! qu’ils voudraient bien voir +Mon rival comme moi mépriser leur pouvoir ! + + +Que m’importe, Seigneur, sa haine ou sa tendresse ? +Allez contre un rebelle armer toute la Grèce ; +Rapportez-lui le prix de sa rébellion ; +Qu’on fasse de l’Épire un second Ilion. +Allez. Après cela direz-vous que je l’aime ? + + +Madame, faites plus, et venez-y vous-même. +Voulez-vous demeurer pour otage en ces lieux, +Venez dans tous les cœurs faire parler vos yeux. +Faisons de notre haine une commune attaque. + + +Mais, Seigneur, cependant, s’il épouse Andromaque ? + + +Hé, Madame ! Songez quelle honte pour nous, +Si d’une Phrygienne il devenait l’époux ! + + +Et vous le haïssez ! Avouez-le, Madame, +L’amour n’est pas un feu qu’on renferme en une âme ; +Tout nous trahit, la voix, le silence, les yeux, +Et les feux mal couverts n’en éclatent que mieux. + + +Seigneur, je le vois bien, votre âme prévenue +Répand sur mes discours le venin qui la tue, +Toujours dans mes raisons cherche quelque détour, +Et croit qu’en moi la haine est un effort d’amour. +Il faut donc m’expliquer ; vous agirez ensuite. +Vous savez qu’en ces lieux mon devoir m’a conduite ; +Mon devoir m’y retient ; et je n’en puis partir +Que mon père ou Pyrrhus ne m’en fassent sortir. +De la part de mon père allez lui faire entendre +Que l’ennemi des Grecs ne peut être son gendre. +Du Troyen ou de moi faites-le décider : +Qu’il songe qui des deux il veut rendre ou garder ; +Enfin qu’il me renvoie, ou bien qu’il vous le livre. +Adieu. S’il y consent, je suis prête à vous suivre. + + +Oui, oui, vous me suivrez, n’en doutez nullement ; +Je vous réponds déjà de son consentement. +Je ne crains pas enfin que Pyrrhus la retienne : +Il n’a devant les yeux que sa chère Troyenne ; +Tout autre objet le blesse ; et peut-être aujourd’hui +Il n’attend qu’un prétexte à l’éloigner de lui. +Nous n’avons qu’à parler : c’en est fait. Quelle joie +D’enlever à l’Épire une si belle proie ! +Sauve tout ce qui reste et de Troie et d’Hector, +Garde son fils, sa veuve, et mille autres encor, +Épire : c’est assez qu’Hermione rendue +Perde à jamais tes bords et ton prince de vue. +Mais un heureux destin le conduit en ces lieux. +Parlons. À tant d’attraits, Amour, ferme ses yeux ! + + + +Je vous cherchais, Seigneur. Un peu de violence +M’a fait de vos raisons combattre la puissance, +Je l’avoue ; et depuis que je vous ai quitté, +J’en ai senti la force et connu l’équité. +J’ai songé, comme vous, qu’à la Grèce, à mon père, +À moi-même, en un mot, je devenais contraire ; +Que je relevais Troie, et rendais imparfait +Tout ce qu’a fait Achille, et tout ce que j’ai fait. +Je ne condamne plus un courroux légitime, +Et l’on vous va, Seigneur, livrer votre victime. + + +Seigneur, par ce conseil prudent et rigoureux, +C’est acheter la paix du sang d’un malheureux. + + +Oui ; mais je veux, Seigneur, l’assurer davantage : +D’une éternelle paix Hermione est le gage ; +Je l’épouse. Il semblait qu’un spectacle si doux +N’attendît en ces lieux qu’un témoin tel que vous : +Vous y représentez tous les Grecs et son père, +Puisqu’en vous Ménélas voit revivre son frère. +Voyez-la donc. Allez. Dites-lui que demain +J’attends avec la paix son cœur de votre main. + + +Ah dieux ! Eh bien, Phœnix, l’amour est-il le maître ? +Tes yeux refusent-ils encor de me connaître ? + + +Ah ! je vous reconnais ; et ce juste courroux, +Ainsi qu’à tous les Grecs, Seigneur, vous rend à vous. +Ce n’est plus le jouet d’une flamme servile : +C’est Pyrrhus, c’est le fils et le rival d’Achille, +Que la gloire à la fin ramène sous ses lois, +Qui triomphe de Troie une seconde fois. + + +Dis plutôt qu’aujourd’hui commence ma victoire, +D’aujourd’hui seulement je jouis de ma gloire ; +Et mon cœur, aussi fier que tu l’as vu soumis, +Croit avoir en l’amour vaincu mille ennemis. +Considère, Phœnix, les troubles que j’évite, +Quelle foule de maux l’amour traîne à sa suite, +Que d’amis, de devoirs, j’allais sacrifier, +Quels périls... Un regard m’eût tout fait oublier. +Tous les Grecs conjurés fondaient sur un rebelle ; +Je trouvais du plaisir à me perdre pour elle. + + +Oui, je bénis, Seigneur, l’heureuse cruauté +Qui vous rend... Tu l’as vu, comme elle m’a traité. +Je pensais, en voyant sa tendresse alarmée, +Que son fils me la dût renvoyer désarmée. +J’allais voir le succès de ses embrassements : +Je n’ai trouvé que pleurs mêlés d’emportements. +Sa misère l’aigrit ; et toujours plus farouche, +Cent fois le nom d’Hector est sorti de sa bouche. +Vainement à son fils j’assurais mon secours : +« C’est Hector, disait-elle, en l’embrassant toujours ; +Voilà ses yeux, sa bouche, et déjà son audace ; +C’est lui-même ; c’est toi, cher époux, que j’embrasse. » +Et quelle est sa pensée ? attend-elle en ce jour +Que je lui laisse un fils pour nourrir son amour ? + + +Sans doute, c’est le prix que vous gardait l’ingrate. +Mais laissez-la, Seigneur. Je vois ce qui la flatte : +Sa beauté la rassure, et malgré mon courroux, +L’orgueilleuse m’attend encore à ses genoux. +Je la verrais aux miens, Phœnix, d’un oeil tranquille. +Elle est veuve d’Hector, et je suis fils d’Achille : +Trop de haine sépare Andromaque et Pyrrhus. + + +Commencez donc, Seigneur, à ne m’en parler plus. +Allez voir Hermione ; et content de lui plaire, +Oubliez à ses pieds jusqu’à votre colère. +Vous-même à cet hymen venez la disposer. +Est-ce sur un rival qu’il s’en faut reposer ? +Il ne l’aime que trop. Crois-tu, si je l’épouse, +Qu’Andromaque en son cœur n’en sera pas jalouse ? + + +Quoi ? toujours Andromaque occupe votre esprit ! +Que vous importe, ô dieux ! sa joie ou son dépit ? +Quel charme, malgré vous, vers elle vous attire ? + + +Non, je n’ai pas bien dit tout ce qu’il lui faut dire : +Ma colère à ses yeux n’a paru qu’à demi ; +Elle ignore à quel point je suis son ennemi. +Retournons-y. Je veux la braver à sa vue, +Et donner à ma haine une libre étendue. +Viens voir tous ses attraits, Phœnix, humiliés. +Allons. Allez, Seigneur, vous jeter à ses pieds ; +Allez, en lui jurant que votre âme l’adore, +À de nouveaux mépris l’encourager encore. + + +Je le vois bien, tu crois que prêt à l’excuser +Mon cœur court après elle et cherche à s’apaiser. + + +Vous aimez : c’est assez. Moi, l’aimer ? une ingrate +Qui me hait d’autant plus que mon amour la flatte ? +Sans parents, sans amis, sans espoir que sur moi ; +Je puis perdre son fils, peut-être je le doi ; +Étrangère... que dis-je ? esclave dans l’Épire, +Je lui donne son fils, mon âme, mon empire, +Et je ne puis gagner dans son perfide cœur +D’autre rang que celui de son persécuteur ! +Non, non, je l’ai juré, ma vengeance est certaine : +Il faut bien une fois justifier sa haine, +J’abandonne son fils. Que de pleurs vont couler ! +De quel nom sa douleur me va-t-elle appeler ! +Quel spectacle pour elle aujourd’hui se dispose ! +Elle en mourra, Phœnix, et j’en serai la cause. +C’est lui mettre moi-même un poignard dans le sein. + + +Et pourquoi donc en faire éclater le dessein ? +Que ne consultiez-vous tantôt votre faiblesse ? + + +Je t’entends. Mais excuse un reste de tendresse. +Crains-tu pour ma colère un si faible combat ? +D’un amour qui s’éteint c’est le dernier éclat. +Allons. À tes conseils, Phœnix, je m’abandonne. +Faut-il livrer son fils ? faut-il voir Hermione ? + +Oui, voyez-la, Seigneur et par des vœux soumis, +Protestez-lui... Faisons tout ce que j’ai promis. + + +Modérez donc, Seigneur, cette fureur extrême. +Je ne vous connais plus ; vous n’êtes plus vous-même. +Souffrez... Non, tes conseils ne sont plus de saison, +Pylade ; je suis las d’écouter la raison. +C’est traîner trop longtemps ma vie et mon supplice : +Il faut que je l’enlève, ou bien que je périsse. +Le dessein en est pris, je le veux achever. +Oui, je le veux. Eh bien ! il la faut enlever, +J’y consens. Mais songez cependant où vous êtes. +Que croira-t-on de vous, à voir ce que vous faites ? +Dissimulez : calmez ce transport inquiet ; +Commandez à vos yeux de garder le secret. +Ces gardes, cette cour, l’air qui vous environne, +Tout dépend de Pyrrhus, et surtout Hermione. +À ses regards surtout cachez votre courroux. +Ô dieux ! en cet état pourquoi la cherchiez-vous ? + + +Que sais-je ? De moi-même étais-je alors le maître ? +La fureur m’emportait, et je venais peut-être +Menacer à la fois l’ingrate et son amant. + + +Et quel était le fruit de cet emportement ? + + +Et quelle âme, dis-moi, ne serait éperdue +Du coup dont ma raison vient d’être confondue ? +Il épouse, dit-il, Hermione demain ; +Il veut, pour m’honorer, la tenir de ma main. +Ah ! plutôt cette main dans le sang du barbare... + + +Vous l’accusez, Seigneur, de ce destin bizarre ; +Cependant, tourmenté de ses propres desseins, +Il est peut-être à plaindre autant que je vous plains. + + +Non, non, je le connais, mon désespoir le flatte ; +Sans moi, sans mon amour, il dédaignait l’ingrate ; +Ses charmes jusque-là n’avaient pu le toucher : +Le cruel ne la prend que pour me l’arracher. +Ah dieux ! c’en était fait : Hermione gagnée +Pour jamais de sa vue allait être éloignée, +Son cœur, entre l’amour et le dépit confus, +Pour se donner à moi n’attendait qu’un refus, +Ses yeux s’ouvraient, Pylade, elle écoutait Oreste, +Lui parlait, le plaignait... Un mot eût fait le reste. + + +Vous le croyez ! Hé quoi ? ce courroux enflammé +Contre un ingrat... Jamais il ne fut plus aimé. +Pensez-vous, quand Pyrrhus vous l’aurait accordée, +Qu’un prétexte tout prêt ne l’eût pas retardée ? +M’en croirez-vous ? Lassé de ses trompeurs attraits, +Au lieu de l’enlever, fuyez-la pour jamais. +Quoi ? votre amour se veut charger d’une furie +Qui vous détestera, qui toute votre vie, +Regrettant un hymen tout prêt à s’achever, +Voudra... C’est pour cela que je veux l’enlever. +Tout lui rirait, Pylade ; et moi, pour mon partage, +Je n’emporterais donc qu’une inutile rage ? +J’irais loin d’elle encor tâcher de l’oublier ? +Non, non, à mes tourments, je veux l’associer. +C’est trop gémir tout seul. Je suis las qu’on me plaigne. +Je prétends qu’à mon tour l’inhumaine me craigne, +Et que ses yeux cruels, à pleurer condamnés, +Me rendent tous les noms que je leur ai donnés. + + +Voilà donc le succès qu’aura votre ambassade : +Oreste ravisseur ! Et qu’importe, Pylade ? +Quand nos États vengés jouiront de mes soins, +L’ingrate de mes pleurs jouira-t-elle moins ? +Et que me servira que la Grèce m’admire, +Tandis que je serai la fable de l’Épire ? +Que veux-tu ? Mais, s’il faut ne te rien déguiser, +Mon innocence enfin commence à me peser. +Je ne sais de tout temps quelle injuste puissance +Laisse le crime en paix, et poursuit l’innocence. +De quelque part sur moi que je tourne les yeux, +Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux. +Méritons leur courroux, justifions leur haine, +Et que le fruit du crime en précède la peine +Mais toi, par quelle erreur veux-tu toujours sur toi +Détourner un courroux qui ne cherche que moi ? +Assez et trop longtemps mon amitié t’accable : +Évite un malheureux, abandonne un coupable. +Cher Pylade, crois-moi, ta pitié te séduit. +Laisse-moi des périls dont j’attends tout le fruit. +Porte aux Grecs cet enfant que Pyrrhus m’abandonne. +Va-t’en. Allons, Seigneur, enlevons Hermione. +Au travers des périls un grand cœur se fait jour. +Que ne peut l’amitié conduite par l’amour ? +Allons de tous vos Grecs encourager le zèle. +Nos vaisseaux sont tout prêts, et le vent nous appelle. +Je sais de ce palais tous les détours obscurs ; +Vous voyez que la mer en vient battre les murs, +Et cette nuit, sans peine, une secrète voie +Jusqu’en votre vaisseau conduira votre proie. + + +J’abuse, cher ami, de ton trop d’amitié +Mais pardonne à des maux dont toi seul as pitié ; +Excuse un malheureux qui perd tout ce qu’il aime, +Que tout le monde hait, et qui se hait lui-même. +Que ne puis-je à mon tour dans un sort plus heureux... + + +Dissimulez, Seigneur ; c’est tout ce que je veux. +Gardez qu’avant le coup votre dessein n’éclate : +Oubliez jusque-là qu’Hermione est ingrate ; +Oubliez votre amour. Elle vient, je la voi. + + +Va-t’en. Réponds-moi d’elle, et je réponds de moi. + + + + +Eh bien ! mes soins vous ont rendu votre conquête. +J’ai vu Pyrrhus, Madame, et votre hymen s’apprête. + + +On le dit ; et de plus on vient de m’assurer +Que vous ne me cherchiez que pour m’y préparer. + + +Et votre âme à ses vœux ne sera pas rebelle ? + + +Qui l’eût cru que Pyrrhus ne fût pas infidèle ? +Que sa flamme attendrait si tard pour éclater ? +Qu’il reviendrait à moi, quand je l’allais quitter ? +Je veux croire avec vous qu’il redoute la Grèce, +Qu’il suit son intérêt plutôt que sa tendresse, +Que mes yeux sur votre âme étaient plus absolus. + + +Non, Madame : il vous aime, et je n’en doute plus. +Vos yeux ne font-ils pas tout ce qu’ils veulent faire ? +Et vous ne vouliez pas sans doute lui déplaire. + + +Mais que puis-je, Seigneur ? On a promis ma foi. +Lui ravirai-je un bien qu’il ne tient pas de moi ? +L’amour ne règle pas le sort d’une princesse : +La gloire d’obéir est tout ce qu’on nous laisse. +Cependant je partais, et vous avez pu voir +Combien je relâchais pour vous de mon devoir. + + +Ah ! que vous saviez bien, cruelle... Mais, Madame, +Chacun peut à son choix disposer de son âme. +La vôtre était à vous. J’espérais ; mais enfin +Vous l’avez pu donner sans me faire un larcin. +Je vous accuse aussi bien moins que la fortune. +Et pourquoi vous lasser d’une plainte importune ? +Tel est votre devoir, je l’avoue ; et le mien +Est de vous épargner un si triste entretien. + + + + +Attendais-tu, Cléone, un courroux si modeste ? + + +La douleur qui se tait n’en est que plus funeste. +Je le plains d’autant plus qu’auteur de son ennui, +Le coup qui l’a perdu n’est parti que de lui. +Comptez depuis quel temps votre hymen se prépare ; +Il a parlé, Madame, et Pyrrhus se déclare. + + +Tu crois que Pyrrhus craint ? Et que craint-il encor ? +Des peuples qui dix ans ont fui devant Hector, +Qui cent fois, effrayés de l’absence d’Achille, +Dans leurs vaisseaux brûlants ont cherché leur asile, +Et qu’on verrait encor, sans l’appui de son fils, +Redemander Hélène aux Troyens impunis ? +Non, Cléone, il n’est point ennemi de lui-même ; +Il veut tout ce qu’il fait, et s’il m’épouse, il m’aime. +Mais qu’Oreste à son gré m’impute ses douleurs : +N’avons-nous d’entretien que celui de ses pleurs ? +Pyrrhus revient à nous ! Eh bien ! chère Cléone, +Conçois-tu les transports de l’heureuse Hermione ? +Sais-tu quel est Pyrrhus ? T’es-tu fait raconter +Le nombre des exploits... mais qui les peut compter ? +Intrépide, et partout suivi de la victoire, +Charmant, fidèle enfin : rien ne manque à sa gloire. +Songe... Dissimulez. Votre rivale en pleurs +Vient à vos pieds, sans doute, apporter ses douleurs. + + +Dieux ! ne puis-je à ma joie abandonner mon âme ? +Sortons : que lui dirais-je ? Où fuyez-vous, Madame ? +N’est-ce pas à vos yeux un spectacle assez doux +Que la veuve d’Hector pleurante à vos genoux ? +Je ne viens point ici, par de jalouses larmes, +Vous envier un cœur qui se rend à vos charmes. +Par une main cruelle, hélas ! j’ai vu percer +Le seul où mes regards prétendaient s’adresser. +Ma flamme par Hector fut jadis allumée ; +Avec lui dans la tombe elle s’est enfermée. +Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour, +Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour ; +Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite, +En quel trouble mortel son intérêt nous jette, +Lorsque de tant de biens qui pouvaient nous flatter, +C’est le seul qui nous reste, et qu’on veut nous l’ôter. +Hélas ! lorsque, lassés de dix ans de misère, +Les Troyens en courroux menaçaient votre mère, +J’ai su de mon Hector lui procurer l’appui. +Vous pouvez sur Pyrrhus ce que j’ai pu sur lui. +Que craint-on d’un enfant qui survit à sa perte ? +Laissez-moi le cacher en quelque île déserte ; +Sur les soins de sa mère on peut s’en assurer, +Et mon fils avec moi n’apprendra qu’à pleurer. + + +Je conçois vos douleurs. Mais un devoir austère, +Quand mon père a parlé, m’ordonne de me taire. +C’est lui qui de Pyrrhus fait agir le courroux. +S’il faut fléchir Pyrrhus, qui le peut mieux que vous ? +Vos yeux assez longtemps ont régné sur son âme ; +Faites-le prononcer : j’y souscrirai. Madame. + + + + +Quel mépris la cruelle attache à ses refus ! + + +Je croirais ses conseils, et je verrais Pyrrhus. +Un regard confondrait Hermione et la Grèce... +Mais lui-même il vous cherche. Où donc est la princesse ? +Ne m’avais-tu pas dit qu’elle était en ces lieux ? + + +Je le croyais. Tu vois le pouvoir de mes yeux ! + + +Que dit-elle, Phœnix ? Hélas ! tout m’abandonne. + + +Allons, Seigneur, marchons sur les pas d’Hermione. + + +Qu’attendez-vous ? Rompez ce silence obstiné. + + +Il a promis mon fils. Il ne l’a pas donné. + + +Non, non, j’ai beau pleurer, sa mort est résolue. + + +Daigne-t-elle sur nous tourner au moins la vue ? +Quel orgueil ! Je ne fais que l’irriter encor. +Sortons. Allons aux Grecs livrer le fils d’Hector. + + +Ah ! Seigneur, arrêtez ! Que prétendez-vous faire ? +Si vous livrez le fils, livrez-leur donc la mère ! +Vos serments m’ont tantôt juré tant d’amitié ! +Dieux ! ne pourrai-je au moins toucher votre pitié ? +Sans espoir de pardon m’avez-vous condamnée ? + + +Phœnix vous le dira, ma parole est donnée. + + +Vous qui braviez pour moi tant de périls divers ! + + +J’étais aveugle alors ; mes yeux se sont ouverts. +Sa grâce à vos désirs pouvait être accordée ; +Mais vous ne l’avez pas seulement demandée : +C’en est fait. Ah ! Seigneur ! vous entendiez assez +Des soupirs qui craignaient de se voir repoussés. +Pardonnez à l’éclat d’une illustre fortune +Ce reste de fierté qui craint d’être importune. +Vous ne l’ignorez pas : Andromaque, sans vous, +N’aurait jamais d’un maître embrassé les genoux. + + +Non, vous me haïssez ; et dans le fond de l’âme +Vous craignez de devoir quelque chose à ma flamme. +Ce fils même, ce fils, l’objet de tant de soins, +Si je l’avais sauvé, vous l’en aimeriez moins. +La haine, le mépris, contre moi tout s’assemble ; +Vous me haïssez plus que tous les Grecs ensemble. +Jouissez à loisir d’un si noble courroux. +Allons, Phœnix. Allons rejoindre mon époux. + + +Madame... Et que veux-tu que je lui dise encore ? +Auteur de tous mes maux, crois-tu qu’il les ignore ? +Seigneur, voyez l’état où vous me réduisez. +J’ai vu mon père mort et nos murs embrasés ; +J’ai vu trancher les jours de ma famille entière, +Et mon époux sanglant traîné sur la poussière, +Son fils seul avec moi, réservé pour les fers. +Mais que ne peut un fils ? Je respire, je sers. +J’ai fait plus : je me suis quelquefois consolée +Qu’ici, plutôt qu’ailleurs, le sort m’eût exilée ; +Qu’heureux dans son malheur, le fils de tant de rois, +Puisqu’il devait servir, fût tombé sous vos lois. +J’ai cru que sa prison deviendrait son asile. +Jadis Priam soumis fut respecté d’Achille : +J’attendais de son fils encor plus de bonté. +Pardonne, cher Hector, à ma crédulité ! +Je n’ai pu soupçonner ton ennemi d’un crime ; +Malgré lui-même enfin je l’ai cru magnanime. +Ah ! s’il l’était assez pour nous laisser du moins +Au tombeau qu’à ta cendre ont élevé mes soins, +Et que finissant là sa haine et nos misères, +Il ne séparât point des dépouilles si chères ! +Va m’attendre, Phœnix. Madame, demeurez. +On peut vous rendre encor ce fils que vous pleurez. +Oui, je sens à regret qu’en excitant vos larmes +Je ne fais contre moi que vous donner des armes. +Je croyais apporter plus de haine en ces lieux. +Mais, Madame, du moins tournez vers moi les yeux : +Voyez si mes regards sont d’un juge sévère, +S’ils sont d’un ennemi qui cherche à vous déplaire. +Pourquoi me forcez-vous vous-même à vous trahir ? +Au nom de votre fils, cessons de nous haïr. +À le sauver enfin c’est moi qui vous convie. +Faut-il que mes soupirs vous demandent sa vie ? +Faut-il qu’en sa faveur j’embrasse vos genoux ? +Pour la dernière fois, sauvez-le, sauvez-vous. +Je sais de quels serments je romps pour vous les chaînes, +Combien je vais sur moi faire éclater de haines. +Je renvoie Hermione, et je mets sur son front, +Au lieu de ma couronne, un éternel affront. +Je vous conduis au temple où son hymen s’apprête, +Je vous ceins du bandeau préparé pour sa tête. +Mais ce n’est plus, Madame, une offre à dédaigner : +Je vous le dis, il faut ou périr ou régner. +Mon cœur, désespéré d’un an d’ingratitude, +Ne peut plus de son sort souffrir l’incertitude. +C’est craindre, menacer et gémir trop longtemps. +Je meurs si je vous perds, mais je meurs si j’attends. +Songez-y : je vous laisse, et je viendrai vous prendre +Pour vous mener au temple où ce fils doit m’attendre. +Et là vous me verrez, soumis ou furieux, +Vous couronner, Madame, ou le perdre à vos yeux. +Je vous l’avais prédit, qu’en dépit de la Grèce, +De votre sort encor vous seriez la maîtresse. + + +Hélas ! de quel effet tes discours sont suivis ! +Il ne me restait plus qu’à condamner mon fils. + + +Madame, à votre époux c’est être assez fidèle : +Trop de vertu pourrait vous rendre criminelle ; +Lui-même il porterait votre âme à la douceur. + + +Quoi ? je lui donnerais Pyrrhus pour successeur ! + + +Ainsi le veut son fils, que les Grecs vous ravissent. +Pensez-vous qu’après tout ses mânes en rougissent ? +Qu’il méprisât, Madame, un roi victorieux +Qui vous fait remonter au rang de vos aïeux, +Qui foule aux pieds pour vous vos vainqueurs en colère, +Qui ne se souvient plus qu’Achille était son père, +Qui dément ses exploits et les rend superflus ? + + +Dois-je les oublier, s’il ne s’en souvient plus ? +Dois-je oublier Hector privé de funérailles, +Et traîné sans honneur autour de nos murailles ? +Dois-je oublier son père à mes pieds renversé, +Ensanglantant l’autel qu’il tenait embrassé ? +Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle +Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle ; +Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelants, +Entrant à la lueur de nos palais brûlants, +Sur tous mes frères morts se faisant un passage, +Et de sang tout couvert échauffant le carnage ; +Songe aux cris des vainqueurs, songe aux cris des mourants, +Dans la flamme étouffés, sous le fer expirants ; +Peins-toi dans ces horreurs Andromaque éperdue : +Voilà comme Pyrrhus vint s’offrir à ma vue ; +Voilà par quels exploits il sut se couronner ; +Enfin voilà l’époux que tu me veux donner. +Non, je ne serai point complice de ses crimes ; +Qu’il nous prenne, s’il veut, pour dernières victimes. +Tous mes ressentiments lui seraient asservis. + + +Eh bien, allons donc voir expirer votre fils : +On n’attend plus que vous... Vous frémissez, Madame ? + + +Ah ! de quel souvenir viens-tu frapper mon âme ! +Quoi ? Céphise, j’irai voir expirer encor +Ce fils, ma seule joie, et l’image d’Hector ? +Ce fils, que de sa flamme il me laissa pour gage ? +Hélas ! je m’en souviens, le jour que son courage +Lui fit chercher Achille, ou plutôt le trépas, +Il demanda son fils, et le prit dans ses bras : +« Chère épouse, dit-il en essuyant mes larmes, +J’ignore quel succès le sort garde à mes armes ; +Je te laisse mon fils pour gage de ma foi : +S’il me perd, je prétends qu’il me retrouve en toi. +Si d’un heureux hymen la mémoire t’est chère, +Montre au fils à quel point tu chérissais le père ». +Et je puis voir répandre un sang si précieux ? +Et je laisse avec lui périr tous ses aïeux ? +Roi barbare, faut-il que mon crime l’entraîne ? +Si je te hais, est-il coupable de ma haine ? +T’a-t-il de tous les siens reproché le trépas ? +S’est-il plaint à tes yeux des maux qu’il ne sent pas ? +Mais cependant, mon fils, tu meurs si je n’arrête +Le fer que le cruel tient levé sur ta tête. +Je l’en puis détourner, et je t’y vais offrir ?... +Non, tu ne mourras point, je ne le puis souffrir. +Allons trouver Pyrrhus. Mais non, chère Céphise, +Va le trouver pour moi. Que faut-il que je dise ? + + +Dis-lui que de mon fils l’amour est assez fort... +Crois-tu que dans son cœur il ait juré sa mort ? +L’amour peut-il si loin pousser sa barbarie ? + + +Madame, il va bientôt revenir en furie. + + +Eh bien ! va l’assurer... De quoi ? de votre foi ? + + +Hélas ! pour la promettre est-elle encore à moi ? +Ô cendres d’un époux ! ô Troyens ! ô mon père ! +Ô mon fils, que tes jours coûtent cher à ta mère ! +Allons. Où donc, Madame ? et que résolvez-vous ? + + +Allons sur son tombeau consulter mon époux. + + + +Ah ! je n’en doute point : c’est votre époux, Madame, +C’est Hector qui produit ce miracle en votre âme. +Il veut que Troie encor se puisse relever +Avec cet heureux fils qu’il vous fait conserver. +Pyrrhus vous l’a promis. Vous venez de l’entendre, +Madame : il n’attendait qu’un mot pour vous le rendre. +Croyez-en ses transports : père, sceptre, alliés, +Content de votre cœur, il met tout à vos pieds. +Sur lui, sur tout son peuple il vous rend souveraine. +Est-ce là ce vainqueur digne de tant de haine ? +Déjà contre les Grecs plein d’un noble courroux, +Le soin de votre fils le touche autant que vous +Il prévient leur fureur, il lui laisse sa garde ; +Pour ne pas l’exposer, lui-même il se hasarde. +Mais tout s’apprête au temple, et vous avez promis... + + +Oui, je m’y trouverai. Mais allons voir mon fils. + + +Madame, qui vous presse ? Il suffit que sa vue +Désormais à vos yeux ne soit plus défendue. +Vous lui pourrez bientôt prodiguer vos bontés, +Et vos embrassements ne seront plus comptés. +Quel plaisir d’élever un enfant qu’on voit craître, +Non plus comme un esclave élevé pour son maître, +Mais pour voir avec lui renaître tant de rois ! + + +Céphise, allons le voir pour la dernière fois. + + +Que dites-vous ? Ô dieux ! Ô ma chère Céphise, +Ce n’est point avec toi que mon cœur se déguise. +Ta foi, dans mon malheur, s’est montrée à mes yeux ; +Mais j’ai cru qu’à mon tour tu me connaissais mieux. +Quoi donc ? as-tu pensé qu’Andromaque infidèle +Pût trahir un époux qui croit revivre en elle, +Et que de tant de morts réveillant la douleur, +Le soin de mon repos me fît troubler le leur ? +Est-ce là cette ardeur tant promise à sa cendre ? +Mais son fils périssait ; il l’a fallu défendre. +Pyrrhus en m’épousant s’en déclare l’appui ; +Il suffit : je veux bien m’en reposer sur lui. +Je sais quel est Pyrrhus : violent, mais sincère, +Céphise, il fera plus qu’il n’a promis de faire. +Sur le courroux des Grecs je m’en repose encor : +Leur haine va donner un père au fils d’Hector, +Je vais donc, puisqu’il faut que je me sacrifie, +Assurer à Pyrrhus le reste de ma vie ; +Je vais, en recevant sa foi sur les autels, +L’engager à mon fils par des nœuds immortels. +Mais aussitôt ma main, à moi seule funeste, +D’une infidèle vie abrégera le reste, +Et sauvant ma vertu, rendra ce que je doi +À Pyrrhus, à mon fils, à mon époux, à moi. +Voilà de mon amour l’innocent stratagème, +Voilà ce qu’un époux m’a commandé lui-même ; +J’irai seule rejoindre Hector et mes aïeux. +Céphise, c’est à toi de me fermer les yeux. + + +Ah ! ne prétendez pas que je puisse survivre... + + +Non, non, je te défends, Céphise de me suivre. +Je confie à tes soins mon unique trésor. +Si tu vivais pour moi, vis pour le fils d’Hector. +De l’espoir des Troyens seule dépositaire, +Songe à combien de rois tu deviens nécessaire. +Veille auprès de Pyrrhus ; fais-lui garder sa foi : +S’il le faut, je consens qu’on lui parle de moi ; +Fais-lui valoir l’hymen où je me suis rangée, +Dis-lui qu’avant ma mort je lui fus engagée, +Que ses ressentiments doivent être effacés, +Qu’en lui laissant mon fils, c’est l’estimer assez. +Fais connaître à mon fils les héros de sa race, +Autant que tu pourras, conduis-le sur leur trace : +Dis-lui par quels exploits leurs noms ont éclaté, +Plutôt ce qu’ils ont fait que ce qu’ils ont été ; +Parle-lui tous les jours des vertus de son père ; +Et quelquefois aussi parle-lui de sa mère. +Mais qu’il ne songe plus, Céphise, à nous venger : +Nous lui laissons un maître, il le doit ménager. +Qu’il ait de ses aïeux un souvenir modeste : +Il est du sang d’Hector, mais il en est le reste ; +Et pour ce reste enfin j’ai moi-même, en un jour, +Sacrifié mon sang, ma haine, et mon amour. + + +Hélas ! Ne me suis point, si ton cœur en alarmes +Prévoit qu’il ne pourra commander à tes larmes. +On vient. Cache tes pleurs, Céphise, et souviens-toi +Que le sort d’Andromaque est commis à ta foi. +C’est Hermione. Allons, fuyons sa violence. + + + + +Non, je ne puis assez admirer ce silence. +Vous vous taisez, Madame, et ce cruel mépris +N’a pas du moindre trouble agité vos esprits ! +Vous soutenez en paix une si rude attaque, +Vous qu’on voyait frémir au seul nom d’Andromaque ! +Vous qui sans désespoir ne pouviez endurer +Que Pyrrhus d’un regard la voulût honorer ! +Il l’épouse, il lui donne, avec son diadème, +La foi que vous venez de recevoir vous-même, +Et votre bouche encor, muette à tant d’ennui, +N’a pas daigné s’ouvrir pour se plaindre de lui ? +Ah ! que je crains, Madame, un calme si funeste, +Et qu’il vaudrait bien mieux... Fais-tu venir Oreste ? +Il vient, Madame, il vient, et vous pouvez juger +Que bientôt à vos pieds il allait se ranger ; +Prêt à servir toujours sans espoir de salaire, +Vos yeux ne sont que trop assurés de lui plaire. +Mais il entre. Ah ! Madame ! est-il vrai qu’une fois +Oreste en vous cherchant obéisse à vos lois ? +Ne m’a-t-on point flatté d’une fausse espérance ? +Avez-vous en effet souhaité ma présence ? +Croirai-je que vos yeux, à la fin désarmés, +Veulent... Je veux savoir, Seigneur, si vous m’aimez. + + +Si je vous aime ? ô dieux ! Mes serments, mes parjures, +Ma fuite, mon retour, mes respects, mes injures, +Mon désespoir, mes yeux de pleurs toujours noyés, +Quels témoins croirez-vous, si vous ne les croyez ? + + +Vengez-moi, je crois tout. Eh bien ! allons, Madame : +Mettons encore un coup toute la Grèce en flamme ; +Prenons, en signalant mon bras et votre nom, +Vous, la place d’Hélène, et moi, d’Agamemnon. +De Troie en ce pays réveillons les misères, +Et qu’on parle de nous ainsi que de nos pères. +Partons, je suis tout prêt. Non, Seigneur, demeurons : +Je ne veux pas si loin porter de tels affronts. +Quoi ! de mes ennemis couronnant l’insolence, +J’irais attendre ailleurs une lente vengeance ? +Et je m’en remettrais au destin des combats, +Qui peut-être à la fin ne me vengerait pas ? +Je veux qu’à mon départ toute l’Épire pleure. +Mais si vous me vengez, vengez-moi dans une heure. +Tous vos retardements sont pour moi des refus. +Courez au temple. Il faut immoler... Qui ? Pyrrhus. +Pyrrhus, Madame ! Eh quoi ! votre haine chancelle ? +Ah ! courez, et craignez que je ne vous rappelle. +N’alléguez point des droits que je veux oublier ; +Et ce n’est pas à vous à le justifier. + + +Moi, je l’excuserais ? Ah ! vos bontés, Madame, +Ont gravé trop avant ses crimes dans mon âme. +Vengeons-nous, j’y consens, mais par d’autres chemins : +Soyons ses ennemis, et non ses assassins ; +Faisons de sa ruine une juste conquête. +Quoi ! pour réponse aux Grecs porterai-je sa tête ? +Et n’ai-je pris sur moi le soin de tout l’État, +Que pour m’en acquitter par un assassinat ? +Souffrez, au nom des dieux, que la Grèce s’explique, +Et qu’il meure chargé de la haine publique. +Souvenez-vous qu’il règne, et qu’un front couronné... + + +Ne vous suffit-il pas que je l’ai condamné ? +Ne vous suffit-il pas que ma gloire offensée +Demande une victime à moi seule adressée ; +Qu’Hermione est le prix d’un tyran opprimé ; +Que je le hais ; enfin, Seigneur, que je l’aimai ? +Je ne m’en cache point : l’ingrat m’avait su plaire, +Soit qu’ainsi l’ordonnât mon amour ou mon père, +N’importe ; mais enfin réglez-vous là-dessus. +Malgré mes vœux, Seigneur, honteusement déçus, +Malgré la juste horreur que son crime me donne, +Tant qu’il vivra, craignez que je ne lui pardonne. +Doutez jusqu’à sa mort d’un courroux incertain : +S’il ne meurt aujourd’hui, je puis l’aimer demain. + + +Eh bien ! Il faut le perdre, et prévenir sa grâce ; +Il faut... Mais cependant que faut-il que je fasse ? +Comment puis-je si tôt servir votre courroux ? +Quel chemin jusqu’à lui peut conduire mes coups ? +À peine suis-je encore arrivé dans l’Épire, +Vous voulez par mes mains renverser un empire ; +Vous voulez qu’un roi meure, et pour son châtiment +Vous ne donnez qu’un jour, qu’une heure, qu’un moment ! +Aux yeux de tout son peuple, il faut que je l’opprime ! +Laissez-moi vers l’autel conduire ma victime, +Je ne m’en défends plus ; et je ne veux qu’aller +Reconnaître la place où je dois l’immoler. +Cette nuit je vous sers, cette nuit je l’attaque. + + +Mais cependant, ce jour, il épouse Andromaque ! +Dans le temple déjà le trône est élevé, +Ma honte est confirmée, et son crime achevé. +Enfin qu’attendez-vous ? Il vous offre sa tête : +Sans gardes, sans défense, il marche à cette fête ; +Autour du fils d’Hector il les fait tous ranger ; +Il s’abandonne au bras qui me voudra venger. +Voulez-vous malgré lui prendre soin de sa vie ? +Armez, avec vos Grecs, tous ceux qui m’ont suivie ; +Soulevez vos amis, tous les miens sont à vous : +Il me trahit, vous trompe, et nous méprise tous. +Mais quoi ? déjà leur haine est égale à la mienne : +Elle épargne à regret l’époux d’une Troyenne. +Parlez : mon ennemi ne vous peut échapper, +Ou plutôt il ne faut que les laisser frapper. +Conduisez ou suivez une fureur si belle ; +Revenez tout couvert du sang de l’infidèle ; +Allez : en cet état soyez sûr de mon cœur. + + +Mais, Madame, songez... Ah ! c’en est trop, Seigneur. +Tant de raisonnements offensent ma colère. +J’ai voulu vous donner les moyens de me plaire, +Rendre Oreste content ; mais enfin je vois bien +Qu’il veut toujours se plaindre, et ne mériter rien. +Partez : allez ailleurs vanter votre constance, +Et me laissez ici le soin de ma vengeance. +De mes lâches bontés mon courage est confus, +Et c’est trop en un jour essuyer de refus. +Je m’en vais seule au temple où leur hymen s’apprête, +Où vous n’osez aller mériter ma conquête. +Là, de mon ennemi je saurai m’approcher, +Je percerai le cœur que je n’ai pu toucher, +Et mes sanglantes mains, sur moi-même tournées, +Aussitôt, malgré lui, joindront nos destinées ; +Et tout ingrat qu’il est, il me sera plus doux +De mourir avec lui que de vivre avec vous. + + +Non, je vous priverai de ce plaisir funeste, +Madame : il ne mourra que de la main d’Oreste. +Vos ennemis par moi vont vous être immolés, +Et vous reconnaîtrez mes soins, si vous voulez. + + +Allez. De votre sort laissez-moi la conduite, +Et que tous vos vaisseaux soient prêts pour notre fuite. + + + + +Vous vous perdez, Madame, et vous devez songer... + + +Que je me perde ou non, je songe à me venger. +Je ne sais même encor, quoi qu’il m’ait pu promettre, +Sur d’autres que sur moi si je dois m’en remettre : +Pyrrhus n’est pas coupable à ses yeux comme aux miens, +Et je tiendrais mes coups bien plus sûrs que les siens. +Quel plaisir de venger moi-même mon injure, +De retirer mon bras teint du sang du parjure, +Et pour rendre sa peine et mes plaisirs plus grands, +De cacher ma rivale à ses regards mourants ! +Ah ! si du moins Oreste, en punissant son crime, +Lui laissait le regret de mourir ma victime ! +Va le trouver : dis-lui qu’il apprenne à l’ingrat +Qu’on l’immole à ma haine, et non pas à l’État. +Chère Cléone, cours : ma vengeance est perdue +S’il ignore en mourant que c’est moi qui le tue. + + +Je vous obéirai ! Mais qu’est-ce que je voi ? +Ô dieux ! qui l’aurait cru, Madame ? C’est le roi ! + + +Ah ! cours après Oreste ; et dis-lui, ma Cléone, +Qu’il n’entreprenne rien sans revoir Hermione ! + + +Vous ne m’attendiez pas, Madame, et je vois bien +Que mon abord ici trouble votre entretien. +Je ne viens point, armé d’un indigne artifice, +D’un voile d’équité couvrir mon injustice : +Il suffit que mon cœur me condamne tout bas, +Et je soutiendrais mal ce que je ne crois pas. +J’épouse une Troyenne. Oui, Madame, et j’avoue +Que je vous ai promis la foi que je lui voue. +Un autre vous dirait que dans les champs troyens +Nos deux pères sans nous formèrent ces liens, +Et que sans consulter ni mon choix ni le vôtre, +Nous fûmes sans amour engagés l’un à l’autre ; +Mais c’est assez pour moi que je me sois soumis. +Par mes ambassadeurs mon cœur vous fut promis ; +Loin de les révoquer, je voulus y souscrire : +Je vous vis avec eux arriver en Épire, +Et quoique d’un autre oeil l’éclat victorieux +Eût déjà prévenu le pouvoir de vos yeux, +Je ne m’arrêtai point à cette ardeur nouvelle ; +Je voulus m’obstiner à vous être fidèle : +Je vous reçus en reine, et jusques à ce jour +J’ai cru que mes serments me tiendraient lieu d’amour. +Mais cet amour l’emporte, et par un coup funeste, +Andromaque m’arrache un cœur qu’elle déteste. +L’un par l’autre entraînés, nous courons à l’autel +Nous jurer malgré nous un amour immortel. +Après cela, Madame, éclatez contre un traître, +Qui l’est avec douleur, et qui pourtant veut l’être. +Pour moi, loin de contraindre un si juste courroux, +Il me soulagera peut-être autant que vous. +Donnez-moi tous les noms destinés aux parjures : +Je crains votre silence, et non pas vos injures ; +Et mon cœur, soulevant mille secrets témoins, +M’en dira d’autant plus que vous m’en direz moins. + + +Seigneur, dans cet aveu dépouillé d’artifice, +J’aime à voir que du moins vous vous rendiez justice, +Et que voulant bien rompre un nœud si solennel, +Vous vous abandonniez au crime en criminel. +Est-il juste, après tout, qu’un conquérant s’abaisse +Sous la servile loi de garder sa promesse ? +Non, non, la perfidie a de quoi vous tenter ; +Et vous ne me cherchez que pour vous en vanter. +Quoi ? sans que ni serment ni devoir vous retienne, +Rechercher une Grecque, amant d’une Troyenne ? +Me quitter, me reprendre, et retourner encor +De la fille d’Hélène à la veuve d’Hector, +Couronner tour à tour l’esclave et la princesse, +Immoler Troie aux Grecs, au fils d’Hector la Grèce ? +Tout cela part d’un cœur toujours maître de soi, +D’un héros qui n’est point esclave de sa foi. +Pour plaire à votre épouse, il vous faudrait peut-être +Prodiguer les doux noms de parjure et de traître. +Vous veniez de mon front observer la pâleur, +Pour aller dans ses bras rire de ma douleur. +Pleurante après son char vous voulez qu’on me voie ; +Mais, Seigneur, en un jour ce serait trop de joie ; +Et sans chercher ailleurs des titres empruntés, +Ne vous suffit-il pas de ceux que vous portez ? +Du vieux père d’Hector la valeur abattue +Aux pieds de sa famille expirante à sa vue, +Tandis que dans son sein votre bras enfoncé +Cherche un reste de sang que l’âge avait glacé ; +Dans des ruisseaux de sang Troie ardente plongée ; +De votre propre main Polyxène égorgée +Aux yeux de tous les Grecs indignés contre vous : +Que peut-on refuser à ces généreux coups ! + + +Madame, je sais trop à quels excès de rage +La vengeance d’Hélène emporta mon courage. +Je puis me plaindre à vous du sang que j’ai versé ; +Mais enfin je consens d’oublier le passé. +Je rends grâces au ciel que votre indifférence +De mes heureux soupirs m’apprenne l’innocence. +Mon cœur, je le vois bien, trop prompt à se gêner, +Devait mieux vous connaître et mieux s’examiner. +Mes remords vous faisaient une injure mortelle. +Il faut se croire aimé pour se croire infidèle. +Vous ne prétendiez point m’arrêter dans vos fers : +Je crains de vous trahir, peut-être je vous sers. +Nos cœurs n’étaient point faits dépendants l’un de l’autre ; +Je suivais mon devoir, et vous cédiez au vôtre ; +Rien ne vous engageait à m’aimer en effet. + + +Je ne t’ai point aimé, cruel ? Qu’ai-je donc fait ? +J’ai dédaigné pour toi les vœux de tous nos princes ; +Je t’ai cherché moi-même au fond de tes provinces ; +J’y suis encor, malgré tes infidélités, +Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontés. +Je leur ai commandé de cacher mon injure ; +J’attendais en secret le retour d’un parjure ; +J’ai cru que tôt ou tard, à ton devoir rendu, +Tu me rapporterais un cœur qui m’était dû. +Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle ? +Et même en ce moment où ta bouche cruelle +Vient si tranquillement m’annoncer le trépas, +Ingrat, je doute encor si je ne t’aime pas. +Mais, Seigneur, s’il le faut, si le ciel en colère +Réserve à d’autres yeux la gloire de vous plaire, +Achevez votre hymen, j’y consens ; mais du moins +Ne forcez pas mes yeux d’en être les témoins. +Pour la dernière fois je vous parle peut-être. +Différez-le d’un jour, demain, vous serez maître... +Vous ne répondez point ? Perfide, je le voi : +Tu comptes les moments que tu perds avec moi ! +Ton cœur, impatient de revoir ta Troyenne, +Ne souffre qu’à regret qu’un autre t’entretienne. +Tu lui parles du cœur, tu la cherches des yeux. +Je ne te retiens plus, sauve-toi de ces lieux, +Va lui jurer la foi que tu m’avais jurée, +Va profaner des dieux la majesté sacrée. +Ces dieux, ces justes dieux n’auront pas oublié +Que les mêmes serments avec moi t’ont lié. +Porte au pied des autels ce cœur qui m’abandonne, +Va, cours ; mais crains encor d’y trouver Hermione. + + + +Seigneur, vous entendez. Gardez de négliger +Une amante en fureur qui cherche à se venger. +Elle n’est en ces lieux que trop bien appuyée : +La querelle des Grecs à la sienne est liée ; +Oreste l’aime encore, et peut-être à ce prix... + + +Andromaque m’attend. Phœnix, garde son fils. + + + +Où suis-je ? Qu’ai-je fait ? Que dois-je faire encore ? +Quel transport me saisit ? Quel chagrin me dévore ? +Errante et sans dessein je cours dans ce palais. +Ah ! ne puis-je savoir si j’aime ou si je hais ? +Le cruel ! de quel oeil il m’a congédiée ! +Sans pitié, sans douleur au moins étudiée ! +L’ai-je vu se troubler et me plaindre un moment ? +En ai-je pu tirer un seul gémissement ? +Muet à mes soupirs, tranquille à mes alarmes, +Semblait-il seulement qu’il eût part à mes larmes ? +Et je le plains encore ! Et pour comble d’ennui, +Mon cœur, mon lâche cœur s’intéresse pour lui ! +Je tremble au seul penser du coup qui le menace ! +Et prête à me venger, je lui fais déjà grâce ! +Non, ne révoquons point l’arrêt de mon courroux : +Qu’il périsse ! aussi bien il ne vit plus pour nous. +Le perfide triomphe et se rit de ma rage : +Il pense voir en pleurs dissiper cet orage ; +Il croit que toujours faible et d’un cœur incertain, +Je parerai d’un bras les coups de l’autre main. +Il juge encor de moi par mes bontés passées. +Mais plutôt le perfide a bien d’autres pensées : +Triomphant dans le temple, il ne s’informe pas +Si l’on souhaite ailleurs sa vie ou son trépas. +Il me laisse, l’ingrat, cet embarras funeste. +Non, non, encore un coup, laissons agir Oreste. +Qu’il meure, puisque enfin il a dû le prévoir, +Et puisqu’il m’a forcée enfin à le vouloir... +À le vouloir ? Hé quoi ? c’est donc moi qui l’ordonne ? +Sa mort sera l’effet de l’amour d’Hermione ? +Ce prince, dont mon cœur se faisait autrefois +Avec tant de plaisir redire les exploits, +À qui même en secret je m’étais destinée +Avant qu’on eût conclu ce fatal hyménée, +Je n’ai donc traversé tant de mers, tant d’États, +Que pour venir si loin préparer son trépas ? +L’assassiner ? le perdre ? Ah ! devant qu’il expire... + + + + +Ah ! qu’ai-je fait, Cléone ? et que viens-tu me dire ? +Que fait Pyrrhus ? Il est au comble de ses vœux, +Le plus fier des mortels, et le plus amoureux. +Je l’ai vu vers le temple, où son hymen s’apprête, +Mener en conquérant sa nouvelle conquête, +Et d’un oeil où brillaient sa joie et son espoir, +S’enivrer en marchant du plaisir de la voir. +Andromaque, au travers de mille cris de joie, +Porte jusqu’aux autels le souvenir de Troie. +Incapable toujours d’aimer et de haïr, +Sans joie et sans murmure elle semble obéir. + + +Et l’ingrat ? jusqu’au bout il a poussé l’outrage ? +Mais as-tu bien, Cléone, observé son visage ? +Goûte-t-il des plaisirs tranquilles et parfaits ? +N’a-t-il point détourné ses yeux vers le palais ? +Dis-moi, ne t’es-tu point présentée à sa vue ? +L’ingrat a-t-il rougi lorsqu’il t’a reconnue ? +Son trouble avouait-il son infidélité ? +A-t-il jusqu’à la fin soutenu sa fierté ? + + +Madame, il ne voit rien. Son salut et sa gloire +Semblent être avec vous sortis de sa mémoire. +Sans songer qui le suit, ennemis ou sujets, +Il poursuit seulement ses amoureux projets. +Autour du fils d’Hector il a rangé sa garde, +Et croit que c’est lui seul que le péril regarde. +Phœnix même en répond, qui l’a conduit exprès +Dans un fort éloigné du temple et du palais. +Voilà dans ses transports le seul soin qui lui reste. + + +Le perfide ! Il mourra. Mais que t’a dit Oreste ? + + +Oreste avec ses Grecs dans le temple est entré. + + +Hé bien ! à me venger n’est-il pas préparé ? + + +Je ne sais. Tu ne sais ? Quoi donc ? Oreste encore, +Oreste me trahit ? Oreste vous adore. +Mais de mille remords son esprit combattu +Croit tantôt son amour et tantôt sa vertu. +Il respecte en Pyrrhus l’honneur du diadème ; +Il respecte en Pyrrhus Achille et Pyrrhus même ; +Il craint la Grèce, il craint l’univers en courroux, +Mais il se craint, dit-il, soi-même plus que tous. +Il voudrait en vainqueur vous apporter sa tête ; +Le seul nom d’assassin l’épouvante et l’arrête. +Enfin il est entré, sans savoir dans son cœur +S’il en devait sortir coupable ou spectateur. + + +Non, non, il les verra triompher sans obstacle ; +Il se gardera bien de troubler ce spectacle. +Je sais de quels remords son courage est atteint : +Le lâche craint la mort, et c’est tout ce qu’il craint. +Quoi ? sans qu’elle employât une seule prière, +Ma mère en sa faveur arma la Grèce entière ? +Ses yeux pour leur querelle, en dix ans de combats, +Virent périr vingt rois qu’ils ne connaissaient pas ? +Et moi, je ne prétends que la mort d’un parjure, +Et je charge un amant du soin de mon injure, +Il peut me conquérir à ce prix, sans danger, +Je me livre moi-même et ne puis me venger ! +Allons : c’est à moi seule à me rendre justice. +Que de cris de douleur le temple retentisse ; +De leur hymen fatal troublons l’événement, +Et qu’ils ne soient unis, s’il se peut, qu’un moment. +Je ne choisirai point dans ce désordre extrême : +Tout me sera Pyrrhus, fût-ce Oreste lui-même. +Je mourrai ; mais au moins ma mort me vengera, +Je ne mourrai pas seule, et quelqu’un me suivra. + + + + + +Madame, c’en est fait, et vous êtes servie : +Pyrrhus rend à l’autel son infidèle vie. + + +Il est mort ? Il expire ; et nos Grecs irrités +Ont lavé dans son sang ses infidélités. +Je vous l’avais promis ; et quoique mon courage +Se fît de ce complot une funeste image, +J’ai couru vers le temple, où nos Grecs dispersés +Se sont jusqu’à l’autel dans la foule glissés. +Pyrrhus m’a reconnu, mais sans changer de face : +Il semblait que ma vue excitât son audace, +Que tous les Grecs, bravés en leur ambassadeur, +Dussent de son hymen relever la splendeur. +Enfin, avec transport prenant son diadème, +Sur le front d’Andromaque il l’a posé lui-même : +« Je vous donne, a-t-il dit, ma couronne et ma foi ! +Andromaque, régnez sur l’Épire et sur moi, +Je voue à votre fils une amitié de père ; +J’en atteste les dieux, je le jure à sa mère : +Pour tous mes ennemis je déclare les siens, +Et je le reconnais pour le roi des Troyens. » +À ces mots, qui du peuple attiraient le suffrage, +Nos Grecs n’ont répondu que par un cri de rage ; +L’infidèle s’est vu partout envelopper, +Et je n’ai pu trouver de place pour frapper. +Chacun se disputait la gloire de l’abattre, +Je l’ai vu dans leurs mains quelque temps se débattre, +Tout sanglant à leurs coups vouloir se dérober, +Mais enfin à l’autel il est allé tomber. +Du peuple épouvanté j’ai traversé la presse +Pour venir de ces lieux enlever ma princesse, +Et regagner le port, où bientôt nos amis +Viendront couverts du sang que je vous ai promis. + + +Qu’ont-ils fait ! Pardonnez à leur impatience : +Ils ont, je le vois bien, trahi votre vengeance. +Vous vouliez que ma main portât les premiers coups, +Qu’il sentît en mourant qu’il expirait pour vous ; +Mais c’est moi dont l’ardeur leur a servi d’exemple : +Je les ai pour vous seule entraînés dans le temple, +Madame, et vous pouvez justement vous flatter +D’une mort que leurs bras n’ont fait qu’exécuter. +Vous seule avez poussé les coups... Tais-toi, perfide, +Et n’impute qu’à toi ton lâche parricide. +Va faire chez tes Grecs admirer ta fureur, +Va ; je la désavoue, et tu me fais horreur. +Barbare, qu’as-tu fait ? Avec quelle furie +As-tu tranché le cours d’une si belle vie ? +Avez-vous pu, cruels, l’immoler aujourd’hui, +Sans que tout votre sang se soulevât pour lui ? +Mais parle : de son sort qui t’a rendu l’arbitre ? +Pourquoi l’assassiner ? Qu’a-t-il fait ? À quel titre ? +Qui te l’a dit ? Ô dieux ! Quoi ? ne m’avez-vous pas +Vous-même, ici, tantôt, ordonné son trépas ? + + +Ah ! fallait-il en croire une amante insensée ? +Ne devais-tu pas lire au fond de ma pensée ? +Et ne voyais-tu pas, dans mes emportements, +Que mon cœur démentait ma bouche à tous moments ? +Quand je l’aurais voulu, fallait-il y souscrire ? +N’as-tu pas dû cent fois te le faire redire ? +Toi-même avant le coup me venir consulter, +Y revenir encore, ou plutôt m’éviter ? +Que ne me laissais-tu le soin de ma vengeance ? +Qui t’amène en des lieux où l’on fuit ta présence ? +Voilà de ton amour le détestable fruit : +Tu l’apportais, cruel, le malheur qui te suit. +C’est toi dont l’ambassade, à tous les deux fatale, +L’a fait pour son malheur pencher vers ma rivale. +Nous le verrions encor nous partager ses soins ; +Il ’aimerait peut-être, il le feindrait du moins. +Adieu. Tu peux partir. Je demeure en Épire : +Je renonce à la Grèce, à Sparte, à son empire, +À toute ma famille ; et c’est assez pour moi, +Traître, qu’elle ait produit un monstre comme toi. + + + + +Que vois-je ? Est-ce Hermione ? Et que viens-je d’entendre ? +Pour qui coule le sang que je viens de répandre ? +Je suis, si je l’en crois, un traître, un assassin. +Est-ce Pyrrhus qui meurt ? et suis-je Oreste enfin ? +Quoi ? j’étouffe en mon cœur la raison qui m’éclaire, +J’assassine à regret un roi que je révère, +Je viole en un jour les droits des souverains, +Ceux des ambassadeurs, et tous ceux des humains, +Ceux même des autels où ma fureur l’assiège : +Je deviens parricide, assassin, sacrilège. +Pour qui ? pour une ingrate à qui je le promets, +Qui même, s’il ne meurt, ne me verra jamais, +Dont j’épouse la rage ! Et quand je l’ai servie, +Elle me redemande et son sang et sa vie ! +Elle l’aime ! et je suis un monstre furieux ! +Je la vois pour jamais s’éloigner de mes yeux ! +Et l’ingrate en fuyant me laisse pour salaire +Tous les noms odieux que j’ai pris pour lui plaire ! + + + + + +Il faut partir, Seigneur. Sortons de ce palais, +Ou bien résolvons-nous de n’en sortir jamais. +Nos Grecs pour un moment en défendent la porte ; +Tout le peuple assemblé nous poursuit à main-forte ; +Aux ordres d’Andromaque ici tout est soumis, +Ils la traitent en reine, et nous comme ennemis. +Andromaque elle-même, à Pyrrhus si rebelle, +Lui rend tous les devoirs d’une veuve fidèle, +Commande qu’on le venge, et peut-être sur nous +Veut venger Troie encore et son premier époux. +Allons, n’attendons pas que l’on nous environne : +Nos Grecs nous rejoindront ; et tandis qu’Hermione +Tient encore le peuple autour d’elle arrêté, +Voilà notre chemin, sortons en sûreté. + + +Non, non, c’est Hermione, amis, que je veux suivre. +À son dernier arrêt je ne puis plus survivre. +Partez : j’ai fait le crime, et je vais l’expier. + + +Hermione, Seigneur ? Il la faut oublier. +Quoi ! toujours l’instrument et l’objet de sa rage, +Cherchez-vous chez les morts quelque nouvel outrage ? +Et parce qu’elle meurt faut-il que vous mouriez ? + + +Elle meurt ? Dieux ! qu’entends-je ? Eh quoi ? vous l’ignoriez ? +En rentrant dans ces lieux nous l’avons rencontrée +Qui courait vers le temple, inquiète, égarée. +Elle a trouvé Pyrrhus porté sur des soldats +Que son sang excitait à venger son trépas. +Sans doute à cet objet sa rage s’est émue. +Mais du haut de la porte enfin nous l’avons vue +Un poignard à la main sur Pyrrhus se courber, +Lever les yeux au ciel, se frapper et tomber. + + +Grâce aux dieux ! Mon malheur passe mon espérance ! +Oui, je te loue, ô ciel, de ta persévérance ! +Appliqué sans relâche au soin de me punir, +Au comble des douleurs tu m’as fait parvenir. +Ta haine a pris plaisir à former ma misère ; +J’étais né pour servir d’exemple à ta colère, +Pour être du malheur un modèle accompli. +Hé bien ! je meurs content, et mon sort est rempli. +Où sont ces deux amants ? Pour couronner ma joie, +Dans leur sang, dans le mien, il faut que je me noie ; +L’un et l’autre en mourant je les veux regarder : +Réunissons trois cœurs qui n’ont pu s’accorder... +Mais quelle épaisse nuit tout à coup m’environne ? +De quel côté sortir ? D’où vient que je frissonne ? +Quelle horreur me saisit ! Grâce au ciel j’entrevoi... +Dieux ! quels ruisseaux de sang coulent autour de moi ! + + +Ah ! Seigneur ! Quoi ? Pyrrhus, je te rencontre encore ? +Trouverai-je partout un rival que j’abhorre ? +Percé de tant de coups, comment t’es-tu sauvé ? +Tiens, tiens, voilà le coup que je t’ai réservé. +Mais que vois-je ? À mes yeux Hermione l’embrasse ! +Elle vient l’arracher au coup qui le menace ? +Dieux ! quels affreux regards elle jette sur moi ! +Quels démons, quels serpents traîne-t-elle après soi ? +Eh bien ! filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ? +Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? +À qui destinez-vous l’appareil qui vous suit ? +Venez-vous m’enlever dans l’éternelle nuit ? +Venez, à vos fureurs Oreste s’abandonne. +Mais non, retirez-vous, laissez faire Hermione : +L’ingrate mieux que vous saura me déchirer ; +Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer. + + +Il perd le sentiment. Amis, le temps nous presse. +Ménageons les moments que ce transport nous laisse. +Sauvons-le. Nos efforts deviendraient impuissants +S’il reprenait ici sa rage avec ses sens. diff --git a/test/mithridate b/test/mithridate @@ -0,0 +1,1698 @@ +On nous faisait, Arbate, un fidèle rapport: +Rome en effet triomphe, et Mithridate est mort. +Les Romains, vers l'Euphrate, ont attaqué mon père, +Et trompé dans la nuit sa prudence ordinaire. +Après un long combat, tout son camp dispersé +Dans la foule des morts en fuyant l'a laissé, +Et j'ai su qu'un soldat dans les mains de Pompée +Avec son diadème a remis son épée. +Ainsi ce roi qui seul a durant quarante ans +Lassé tout ce que Rome eut de chefs importants, +Et qui dans l'Orient balançant la fortune, +Vengeait de tous les rois la querelle commune, +Meurt, et laisse après lui, pour venger son trépas, +Deux fils infortunés qui ne s'accordent pas. +Vous, Seigneur! Quoi? l'ardeur de régner en sa place +Rend déjà Xipharès ennemi de Pharnace? +Non, je ne prétends point, cher Arbate, à ce prix +D'un malheureux Empire acheter le débris. +Je sais en lui des ans respecter l'avantage; +Et content des États marqués pour mon partage, +Je verrai sans regret tomber entre ses mains +Tout ce que lui promet l'amitié des Romains. +L'amitié des Romains? Le fils de Mithridate, +Seigneur! Est-il bien vrai? N'en doute point, Arbate. +Pharnace, dès longtemps tout Romain dans le coeur, +Attend tout maintenant de Rome et du vainqueur. +Et moi, plus que jamais à mon père fidèle, +Je conserve aux Romains une haine immortelle. +Cependant et ma haine et ses prétentions +Sont les moindres sujets de nos divisions. +Et quel autre intérêt contre lui vous anime? +Je m'en vais t'étonner. Cette belle Monime, +Qui du Roi notre père attira tous les voeux, +Dont Pharnace, après lui, se déclare amoureux... +Hé bien, Seigneur? Je l'aime, et ne veux plus m'en taire +Puisque enfin pour rival je n'ai plus que mon frère. +Tu ne t'attendais pas sans doute à ce discours; +Mais ce n'est point, Arbate, un secret de deux jours. +Cet amour s'est longtemps accru dans le silence. +Que n'en puis-je à tes yeux marquer la violence, +Et mes premiers soupirs, et mes derniers ennuis? +Mais en l'état funeste où nous sommes réduits, +Ce n'est guère le temps d'occuper ma mémoire +À rappeler le cours d'une amoureuse histoire. +Qu'il te suffise donc, pour me justifier, +Que je vis, que j'aimai la Reine le premier; +Que mon père ignorait jusqu'au nom de Monime, +Quand je conçus pour elle un amour légitime. +Il la vit. Mais au lieu d'offrir à ses beautés +Un hymen, et des voeux dignes d'être écoutés, +Il crut que sans prétendre une plus haute gloire, +Elle lui céderait une indigne victoire. +Tu sais par quels efforts il tenta sa vertu, +Et que lassé d'avoir vainement combattu, +Absent, mais toujours plein de son amour extrême, +Il lui fit par tes mains porter son diadème. +Juge de mes douleurs, quand des bruits trop certains +M'annoncèrent du Roi l'amour et les desseins, +Quand je sus qu'à son lit Monime réservée +Avait pris avec toi le chemin de Nymphée. +Hélas! ce fut encor dans ce temps odieux +Qu'aux offres des Romains ma mère ouvrit les yeux; +Ou pour venger sa foi par cet hymen trompée, +Ou ménageant pour moi la faveur de Pompée, +Elle trahit mon père, et rendit aux Romains +La place et les trésors confiés en ses mains. +Que devins-je au récit du crime de ma mère! +Je ne regardai plus mon rival dans mon père; +J'oubliai mon amour par le sien traversé: +Je n'eus devant les yeux que mon père offensé. +J'attaquai les Romains; et ma mère éperdue +Me vit, en reprenant cette place rendue, +À mille coups mortels contre eux me dévouer, +Et chercher en mourant à la désavouer. +L'Euxin, depuis ce temps, fut libre, et l'est encore; +Et des rives de Pont aux rives du Bosphore, +Tout reconnut mon père, et ses heureux vaisseaux +N'eurent plus d'ennemis que les vents et les eaux. +Je voulais faire plus. Je prétendais, Arbate, +Moi-même à son secours m'avancer vers l'Euphrate. +Je fus soudain frappé du bruit de son trépas. +Au milieu de mes pleurs, je ne le cèle pas, +Monime, qu'en tes mains mon père avait laissée, +Avec tous ses attraits revint en ma pensée. +Que dis-je? en ce malheur je tremblai pour ses jours; +Je redoutai du Roi les cruelles amours. +Tu sais combien de fois ses jalouses tendresses +Ont pris soin d'assurer la mort de ses maîtresses. +Je volai vers Nymphée; et mes tristes regards +Rencontrèrent Pharnace au pied de ses remparts. +J'en conçus, je l'avoue, un présage funeste. +Tu nous reçus tous deux, et tu sais tout le reste. +Pharnace, en ses desseins toujours impétueux, +Ne dissimula point ses voeux présomptueux. - +De mon père à la Reine il conta la disgrâce, +L'assura de sa mort, et s'offrit en sa place. +Comme il le dit, Arbate, il veut l'exécuter. +Mais enfin, à mon tour, je prétends éclater. +Autant que mon amour respecta la puissance +D'un père à qui je fus dévoué dès l'enfance, +Autant ce même amour, maintenant révolté, +De ce nouveau rival brave l'autorité. +Ou Monime, à ma flamme elle-même contraire, +Condamnera l'aveu que je prétends lui faire; +Ou bien, quelques malheurs qu'il en puisse avenir, +Ce n'est que par ma mort qu'on la peut obtenir. +Voilà tous les secrets que je voulais t'apprendre. +C'est à toi de choisir quel parti tu dois prendre, +Qui des deux te paraît plus digne de ta foi, +L'esclave des Romains, ou le fils de ton roi. +Fier de leur amitié, Pharnace croit peut-être +Commander dans Nymphée, et me parler en maître. +Mais ici mon pouvoir ne connaît point le sien: +Le Pont est son partage, et Colchos est le mien; +Et l'on sait toujours que la Colchide et ses princes +Ont compté ce Bosphore au rang de leurs provinces. +Commandez-moi, Seigneur. Si j'ai quelque pouvoir, +Mon choix est déjà fait, je ferai mon devoir. +Avec le même zèle, avec la même audace +Que je servais le père et gardais cette place, +Et contre votre frère, et même contre vous, +Après la mort du Roi je vous sers contre tous. +Sans vous, ne sais-je pas que ma mort assurée +De Pharnace en ces lieux allait suivre l'entrée? +Sais-je pas que mon sang, par ses mains répandu, +Eût souillé ce rempart contre lui défendu? +Assurez-vous du coeur et du choix de la Reine. +Du reste, ou mon crédit n'est plus qu'une ombre vaine, +Ou Pharnace, laissant le Bosphore en vos mains, +Ira jouir ailleurs des bontés des Romains. +Que ne devrai-je point à cette ardeur extrême! +Mais on vient. Cours, ami: c'est Monime elle-même. +Seigneur, je viens à vous. Car enfin aujourd'hui, +Si vous m'abandonnez, quel sera mon appui? +Sans parents, sans amis, désolée et craintive, +Reine longtemps de nom, mais en effet captive, +Et veuve maintenant sans avoir eu d'époux, +Seigneur, de mes malheurs ce sont là les plus doux. +Je tremble à vous nommer l'ennemi qui m'opprime. +J'espère toutefois qu'un coeur si magnanime +Ne sacrifîra point les pleurs des malheureux +Aux intérêts du sang qui vous unit tous deux. +Vous devez à ces mots reconnaître Pharnace. +C'est lui, Seigneur, c'est lui dont la coupable audace +Veut, la force à la main, m'attacher à son sort +Par un hymen pour moi plus cruel que la mort. +Sous quel astre ennemi faut-il que je sois née? +Au joug d'un autre hymen sans amour destinée, +À peine je suis libre et goûte quelque paix, +Qu'il faut que je me livre à tout ce que je hais. +Peut-être je devrais, plus humble en ma misère, +Me souvenir du moins que je parle à son frère. +Mais, soit raison, destin, soit que ma haine en lui +Confonde les Romains dont il cherche l'appui, +Jamais hymen formé sous le plus noir auspice +De l'hymen que je crains n'égala le supplice. +Et si Monime en pleurs ne vous peut émouvoir, +Si je n'ai plus pour moi que mon seul désespoir, +Au pied du même autel où je suis attendue, +Seigneur, vous me verrez, à moi-même rendue, +Percer ce triste coeur qu'on veut tyranniser, +Et dont jamais encor je n'ai pu disposer. +Madame, assurez-vous de mon obéissance; +Vous avez dans ces lieux une entière puissance. +Pharnace ira, s'il veut, se faire craindre ailleurs. +Mais vous ne savez pas encor tous vos malheurs. +Hé! quel nouveau malheur peut affliger Monime, +Seigneur? Si vous aimer c'est faire un si grand crime, +Pharnace n'en est pas seul coupable aujourd'hui; +Et je suis mille fois plus criminel que lui. +Vous! Mettez ce malheur au rang des plus funestes; +Attestez, s'il le faut, les puissances célestes +Contre un sang malheureux, né pour vous tourmenter, +Père, enfants, animés à vous persécuter. +Mais avec quelque ennui que vous puissiez apprendre +Cet amour criminel qui vient de vous surprendre, +Jamais tous vos malheurs ne sauraient approcher +Des maux que j'ai soufferts en le voulant cacher. +Ne croyez point pourtant que semblable à Pharnace, +Je vous serve aujourd'hui pour me mettre en sa place. +Vous voulez être à vous, j'en ai donné ma foi, +Et vous ne dépendrez ni de lui ni de moi. +Mais quand je vous aurai pleinement satisfaite, +En quels lieux avez-vous choisi votre retraite? +Sera-ce loin, Madame, ou près de mes États? +Me sera-t-il permis d'y conduire vos pas? +Verrez-vous d'un même oeil le crime et l'innocence? +En fuyant mon rival fuirez-vous ma présence? +Pour prix d'avoir si bien secondé vos souhaits, +Faudra-t-il me résoudre à ne vous voir jamais? +Ah! que m'apprenez-vous? Hé quoi? belle Monime, +Si le temps peut donner quelque droit légitime, +Faut-il vous dire ici que le premier de tous +Je vous vis, je formai le dessein d'être à vous, +Quand vos charmes naissants, inconnus à mon père, +N'avaient encor paru qu'aux yeux de votre mère? +Ah! si par mon devoir forcé de vous quitter, +Tout mon amour alors ne put pas éclater, +Ne vous souvient-il plus, sans compter tout le reste, +Combien je me plaignis de ce devoir funeste? +Ne vous souvient-il plus, en quittant vos beaux yeux, +Quelle vive douleur attendrit mes adieux? +Je m'en souviens tout seul. Avouez-le, Madame, +Je vous rappelle un songe effacé de votre âme. +Tandis que loin de vous, sans espoir de retour, +Je nourrissais encor un malheureux amour, +Contente, et résolue à l'hymen de mon père, +Tous les malheurs du fils ne vous affligeaient guère. +Hélas! Avez-vous plaint un moment mes ennuis? +Prince... n'abusez point de l'état où je suis. +En abuser, ô ciel! Quand je cours vous défendre, +Sans vous demander rien, sans oser rien prétendre; +Que vous dirai-je enfin? lorsque je vous promets +De vous mettre en état de ne me voir jamais. +C'est me promettre plus que vous ne sauriez faire. +Quoi? malgré mes serments, vous croyez le contraire? +Vous croyez qu'abusant de mon autorité, +Je prétends attenter à votre liberté! +On vient, Madame, on vient... Expliquez-vous, de grâce. +Un mot. Défendez-moi des fureurs de Pharnace. +Pour me faire, Seigneur, consentir à vous voir, +Vous n'aurez pas besoin d'un injuste pouvoir. +Ah! Madame... Seigneur, vous voyez votre frère. +Jusques à quand, Madame, attendrez-vous mon père? +Des témoins de sa mort viennent à tous moments +Condamner votre doute et vos retardements. +Venez, fuyez l'aspect de ce climat sauvage, +Qui ne parle à vos yeux que d'un triste esclavage. +Un peuple obéissant vous attend à genoux +Sous un ciel plus heureux et plus digne de vous. +Le Pont vous reconnaît dès longtemps pour sa reine; +Vous en portez encor la marque souveraine; +Et ce bandeau royal fut mis sur votre front +Comme un gage assuré de l'empire de Pont. +Maître de cet État que mon père me laisse, +Madame, c'est à moi d'accomplir sa promesse. +Mais il faut, croyez-moi, sans attendre plus tard, +Ainsi que notre hymen presser notre départ. +Nos intérêts communs et mon coeur le demandent. +Prêts à vous recevoir, mes vaisseaux vous attendent. +Et du pied de l'autel vous y pouvez monter, +Souveraine des mers qui vous doivent porter. +Seigneur, tant de bontés ont lieu de me confondre. +Mais puisque le temps presse, et qu'il faut vous répondre, +Puis-je, laissant la feinte et les déguisements, +Vous découvrir ici mes secrets sentiments? +Vous pouvez tout. Je crois que je vous suis connue. +Éphèse est mon pays; mais je suis descendue +D'aïeux, ou rois, Seigneur, ou héros, qu'autrefois +Leur vertu, chez les Grecs, mit au-dessus des rois. +Mithridate me vit. Éphèse, et l'Ionie, +À son heureux empire était alors unie. +Il daigna m'envoyer ce gage de sa foi. +Ce fut pour ma famille une suprême loi: +Il fallut obéir. Esclave couronnée, +Je partis pour l'hymen où j'étais destinée. +Le Roi, qui m'attendait au sein de ses États, +Vit emporter ailleurs ses desseins et ses pas, +Et tandis que la guerre occupait son courage, +M'envoya dans ces lieux éloignés de l'orage. +J'y vins: j'y suis encor. Mais cependant, Seigneur, +Mon père paya cher ce dangereux honneur, +Et les Romains vainqueurs, pour première victime, +Prirent Philopoemen, le père de Monime. +Sous ce titre funeste il se vit immoler; +Et c'est de quoi, Seigneur, j'ai voulu vous parler. +Quelque juste fureur dont je sois animée, +Je ne puis point à Rome opposer une armée; +Inutile témoin de tous ses attentats, +Je n'ai pour me venger ni sceptre ni soldats; +Enfin, je n'ai qu'un coeur. Tout ce que je puis faire, +C'est de garder la foi que je dois à mon père, +De ne point dans son sang aller tremper mes mains +En épousant en vous l'allié des Romains. +Que parlez-vous de Rome et de son alliance? +Pourquoi tout ce discours et cette défiance? +Qui vous dit qu'avec eux je prétends m'allier? +Mais vous-même, Seigneur, pouvez-vous le nier? +Comment m'offririez-vous l'entrée et la couronne +D'un pays que partout leur armée environne, +Si le traité secret qui vous lie aux Romains +Ne vous en assurait l'empire et les chemins? +De mes intentions je pourrais vous instruire, +Et je sais les raisons que j'aurais à vous dire, +Si laissant en effet les vains déguisements, +Vous m'aviez expliqué vos secrets sentiments. +Mais enfin je commence, après tant de traverses, +Madame, à rassembler vos excuses diverses; +Je crois voir l'intérêt que vous voulez celer, +Et qu'un autre qu'un père ici vous fait parler. +Quel que soit l'intérêt qui fait parler la Reine, +La réponse, Seigneur, doit-elle être incertaine? +Et contre les Romains votre ressentiment +Doit-il pour éclater balancer un moment? +Quoi! nous aurons d'un père entendu la disgrâce, +Et lents à le venger, prompts à remplir sa place, +Nous mettrons notre honneur et son sang en oubli? +Il est mort: savons-nous s'il est enseveli? +Qui sait si dans le temps que votre âme empressée +Forme d'un doux hymen l'agréable pensée, +Ce roi, que l'Orient tout plein de ses exploits +Peut nommer justement le dernier de ses rois, +Dans ses propres États privé de sépulture, +Ou couché sans honneur dans une foule obscure, +N'accuse point le ciel qui le laisse outrager, +Et des indignes fils qui n'osent le venger? +Ah! ne languissons plus dans un coin du Bosphore. +Si dans tout l'univers quelque roi libre encore, +Parthe, Scythe ou Sarmate, aime sa liberté, +Voilà nos alliés: marchons de ce côté, +Vivons ou périssons dignes de Mithridate, +Et songeons bien plutôt, quelque amour qui nous flatte, +À défendre du joug et nous et nos États, +Qu'à contraindre des coeurs qui ne se donnent pas. +Il sait vos sentiments. Me trompais-je, Madame? +Voilà cet intérêt si puissant sur votre âme, +Ce père, ces Romains que vous me reprochez. +J'ignore de son coeur les sentiments cachés; +Mais je m'y soumettrais sans vouloir rien prétendre, +Si, comme vous, Seigneur, je croyais les entendre. +Vous feriez bien; et moi, je fais ce que je doi: +Votre exemple n'est pas une règle pour moi. +Toutefois en ces lieux je ne connais personne +Qui ne doive imiter l'exemple que je donne. +Vous pourriez à Colchos vous expliquer ainsi. +Je le puis à Colchos, et je le puis ici. +Ici? Vous y pourriez rencontrer votre perte... +Princes, toute h mer est de vaisseaux couverte, +Et bientôt, démentant le faux bruit de sa mort, +Mithridate lui-même arrive dans le port. +Mithridate! Mon père! Ah! que viens-je d'entendre? +Quelques vaisseaux légers sont venus nous l'apprendre: +C'est lui-même; et déjà, pressé de son devoir, +Arbate loin du bord l'est allé recevoir. +Qu'avons-nous fait! Adieu, Prince. Quelle nouvelle! +Mithridate revient? Ah! fortune cruelle! +Ma vie et mon amour tous deux courent hasard, +Les Romains que j'attends arriveront trop tard. +Comment faire? J'entends que votre coeur soupire, +Et j'ai conçu l'adieu qu'elle vient de vous dire, +Prince; mais ce discours demande un autre temps: +Nous avons aujourd'hui des soins plus importants. +Mithridate revient, peut-être inexorable. +Plus il est malheureux, plus il est redoutable. +Le péril est pressant plus que vous ne pensez. +Nous sommes criminels, et vous le connaissez. +Rarement l'amitié désarme sa colère; +Ses propres fils n'ont point de juge plus sévère; +Et nous l'avons vu même à ses cruels soupçons +Sacrifier deux fils pour de moindres raisons. +Craignons pour vous, pour moi, pour la Reine elle-même: +Je la plains, d'autant plus que Mithridate l'aime. +Amant avec transport, mais jaloux sans retour, +Sa haine va toujours plus loin que son amour. +Ne vous assurez point sur l'amour qu'il vous porte: +Sa jalouse fureur n'en sera que plus forte. +Songez-y. Vous avez la faveur des soldats, +Et j'aurai des secours que je n'explique pas. +M'en croirez-vous? Courons assurer notre grâce: +Rendons-nous, vous et moi, maîtres de cette place, +Et faisons qu'à ses fils il ne puisse dicter +Que les conditions qu'ils voudront accepter. +Je sais quel est mon crime, et je connais mon père; +Et j'ai par-dessus vous le crime de ma mère; +Mais quelque amour encor qui me pût éblouir, +Quand mon père paraît, je ne sais qu'obéir. +Soyons-nous donc au moins fidèles l'un à l'autre. +Vous savez mon secret, j'ai pénétré le vôtre +Le Roi, toujours fertile en dangereux détours, +S'armera contre nous de nos moindres discours. +Vous savez sa coutume, et sous quelles tendresses +Sa haine sait cacher ses trompeuses adresses. +Allons. Puisqu'il le faut, je marche sur vos pas. +Mais en obéissant ne nous trahissons pas. +Quoi? vous êtes ici quand Mithridate arrive, +Quand, pour le recevoir, chacun court sur la rive? +Que faites-vous, Madame? et quel ressouvenir +Tout à coup vous arrête, et vous fait revenir? +N'offenserez-vous point un roi qui vous adore, +Qui presque votre époux... Il ne l'est pas encore, +Phoedime; et jusque-là je crois que mon devoir +Est de l'attendre ici, sans l'aller recevoir. +Mais ce n'est point, Madame, un amant ordinaire. +Songez qu'à ce grand roi promise par un père, +Vous avez de ses feux un gage solennel, +Qu'il peut, quand il voudra, confirmer à l'autel. +Croyez-moi, montrez-vous, venez à sa rencontre. +Regarde en quel état tu veux que je me montre. +Vois ce visage en pleurs; et loin de le chercher, +Dis-moi plutôt, dis-moi que je m'aille cacher. +Que dites-vous? Ô Dieux! Ah! retour qui me tue! +Malheureuse! Comment paraîtrai-je à sa vue, +Son diadème au front, et dans le fond du coeur, +Phoedime... Tu m'entends, et tu vois ma rougeur. +Ainsi vous retombez dans les mêmes alarmes +Qui vous ont dans la Grèce arraché tant de larmes? +Et toujours Xipharès revient vous traverser? +Mon malheur est plus grand que tu ne peux penser. +Xipharès ne s'offrait alors à ma mémoire +Que tout plein de vertus, que tout brillant de gloire; +Et je ne savais pas que pour moi plein de feux, +Xipharès des mortels est le plus amoureux. +Il vous aime, Madame! Et ce héros aimable... +Est aussi malheureux que je suis misérable. +Il m'adore, Phoedime; et les mêmes douleurs +Qui m'affligeaient ici le tourmentaient ailleurs. +Sait-il en sa faveur jusqu'où va votre estime? +Sait-il que vous l'aimez? Il l'ignore, Phoedime. +Les Dieux m'ont secourue; et mon coeur affermi +N'a rien dit, ou du moins n'a parlé qu'à demi. +Hélas! si tu savais, pour garder le silence, +Combien ce triste coeur s'est fait de violence! +Quels assauts, quels combats j'ai tantôt soutenus! +Phoedime, si je puis je ne le verrai plus. +Malgré tous les efforts que je pourrais me faire, +Je verrais ses douleurs, je ne pourrais me taire. +Il viendra, malgré moi, m'arracher cet aveu. +Mais n'importe, s'il m'aime il en jouira peu; +Je lui vendrai si cher ce bonheur qu'il ignore, +Qu'il vaudrait mieux pour lui qu'il l'ignorât encore. +On vient. Que faites-vous, Madame? Je ne puis. +Je ne paraîtrai point dans le trouble où je suis. +Princes, quelques raisons que vous me puissiez dire, +Votre devoir ici n'a point dû vous conduire, +Ni vous faire quitter, en de si grands besoins, +Vous le Pont, vous Colchos, confiés à vos soins. +Mais vous avez pour juge un père qui vous aime. +Vous avez cru des bruits que j'ai semés moi-même; +Je vous crois innocents, puisque vous le voulez, +Et je rends grâce au ciel qui nous a rassemblés. +Tout vaincu que je suis, et voisin du naufrage, +Je médite un dessein digne de mon courage. +Vous en serez tantôt instruits plus amplement. +Allez, et laissez-moi reposer un moment. +Enfin, après un an, tu me revois, Arbate, +Non plus comme autrefois cet heureux Mithridate +Qui de Rome toujours balançant le destin, +Tenait entre elle et moi l'univers incertain. +Je suis vaincu. Pompée a saisi l'avantage +D'une nuit qui laissait peu de place au courage. +Mes soldats presque nus, dans l'ombre intimidés, +Les rangs de toutes parts mal pris et mal gardés, +Le désordre partout redoublant les alarmes, +Nous-mêmes contre nous tournant nos propres armes, +Les cris que les rochers renvoyaient plus affreux, +Enfin toute l'horreur d'un combat ténébreux: +Que pouvait la valeur dans ce trouble funeste? +Les uns sont morts, la fuite a sauvé tout le reste; +Et je ne dois la vie, en ce commun effroi, +Qu'au bruit de mon trépas que je laisse après moi. +Quelque temps inconnu, j'ai traversé le Phase; +Et de là, pénétrant jusqu'au pied du Caucase, +Bientôt dans des vaisseaux sur l'Euxin préparés, +J'ai rejoint de mon camp les restes séparés. +Voilà par quels malheurs poussé dans le Bosphore, +J'y trouve des malheurs qui m'attendaient encore. +Toujours du même amour tu me vois enflammé: +Ce coeur nourri de sang, et de guerre affamé, +Malgré le faix des ans et du sort qui m'opprime, +Traîne partout l'amour qui l'attache à Monime, +Et n'a point d'ennemis qui lui soient odieux +Plus que deux fils ingrats que je trouve en ces lieux. +Deux fils, Seigneur? Écoute. À travers ma colère, +Je veux bien distinguer Xipharès de son frère. +Je sais que de tout temps à mes ordres soumis, +Il hait autant que moi nos communs ennemis; +Et j'ai vu sa valeur, à me plaire attachée, +Justifier pour lui ma tendresse cachée. +Je sais même, je sais avec quel désespoir +À tout autre intérêt préférant son devoir, +Il courut démentir une mère infidèle, +Et tira de son crime une gloire nouvelle; +Et je ne puis encor ni n'oserais penser +Que ce fils si fidèle ait voulu m'offenser. +Mais tous deux en ces lieux que pouvaient-ils attendre? +L'un et l'autre à la Reine ont-ils osé prétendre? +Avec qui semble-t-elle en secret s'accorder? +Moi-même de quel oeil dois-je ici l'aborder? +Parle. Quelque désir qui m'entraîne auprès d'elle, +Il me faut de leurs coeurs rendre un compte fidèle. +Qu'est-ce qui s'est passé? Qu'as-tu vu? Que sais-tu? +Depuis quel temps, pourquoi, comment t'es-tu rendu? +Seigneur, depuis huit jours l'impatient Pharnace +Aborda le premier au pied de cette place, +Et de votre trépas autorisant le bruit +Dans ces murs aussitôt voulut être introduit. +Je ne m'arrêtai point à ce bruit téméraire; +Et je n'écoutais rien, si le prince son frère, +Bien moins par ses discours, Seigneur, que par ses pleurs, +Ne m'eût en arrivant confirmé vos malheurs. +Enfin que firent-ils? Pharnace entrait à peine +Qu'il courut de ses feux entretenir la Reine, +Et s'offrir d'assurer par un hymen prochain +Le bandeau qu'elle avait reçu de votre main. +Traître! sans lui donner le loisir de répandre +Les pleurs que son amour aurait dus à ma cendre! +Et son frère? Son frère, au moins jusqu'à ce jour, +Seigneur, dans ses desseins n'a point marque d'amour, +Et toujours avec vous son coeur d'intelligence +N'a semblé respirer que guerre et que vengeance. +Mais encor quel dessein le conduisait ici? +Seigneur, vous en serez tôt ou tard éclairci. +Parle, je te l'ordonne, et je veux tout apprendre. +Seigneur, jusqu'à ce jour, ce que j'ai pu comprendre, +Ce prince a cru pouvoir, après votre trépas, +Compter cette province au rang de ses États: +Et sans connaître ici de lois que son courage, +Il venait par la force appuyer son partage. +Ah! c'est le moindre prix qu'il se doit proposer, +Si le ciel de mon sort me laisse disposer. +Oui, je respire, Arbate, et ma joie est extrême. +Je tremblais, je l'avoue, et pour un fils que j'aime, +Et pour moi, qui craignais de perdre un tel appui, +Et d'avoir à combattre un rival tel que lui. +Que Pharnace m'offense, il offre à ma colère +Un rival dès longtemps soigneux de me déplaire, +Qui toujours des Romains admirateur secret, +Ne s'est jamais contre eux déclaré qu'à regret. +Et s'il faut que pour lui Monime prévenue +Ait pu porter ailleurs une amour qui m'est due, +Malheur au criminel qui vient me la ravir, +Et qui m'ose offenser et n'ose me servir! +L'aime-t-elle? Seigneur, je vois venir la Reine. +Dieux, qui voyez ici mon amour et ma haine, +Épargnez mes malheurs, et daignez empêcher +Que je ne trouve encor ceux que je vais chercher. +Arbate, c'est assez: qu'on me laisse avec elle. +Madame, enfin le ciel près de vous me rappelle, +Et secondant du moins mes plus tendres souhaits, +Vous rend à mon amour plus belle que jamais. +Je ne m'attendais pas que de notre hyménée +Je dusse voir si tard arriver la journée, +Ni qu'en vous retrouvant, mon funeste retour +Fît voir mon infortune, et non pas mon amour. +C'est pourtant cet amour, qui de tant de retraites +Ne me laisse choisir que les lieux où vous êtes; +Et les plus grands malheurs pourront me sembler doux, +Si ma présence ici n'en est point un pour vous. +C'est vous en dire assez, si vous voulez m'entendre. +Vous devez à ce jour dès longtemps vous attendre, +Et vous portez, Madame, un gage de ma foi +Qui vous dit tous les jours que vous êtes à moi. +Allons donc assurer cette foi mutuelle. +Ma gloire loin d'ici vous et moi nous appelle, +Et sans perdre un moment pour ce noble dessein, +Aujourd'hui votre époux, il faut partir demain. +Seigneur, vous pouvez tout. Ceux par qui je respire +Vous ont cédé sur moi leur souverain empire; +Et quand vous userez de ce droit tout-puissant, +Je ne vous répondrai qu'en vous obéissant. +Ainsi, prête à subir un joug qui vous opprime, +Vous n'allez à l'autel que comme une victime; +Et moi, tyran d'un coeur qui se refuse au mien, +Même en vous possédant je ne vous devrai rien. +Ah! Madame, est-ce là de quoi me satisfaire? +Faut-il que désormais, renonçant à vous plaire, +Je ne prétende plus qu'à vous tyranniser? +Mes malheurs, en un mot, me font-ils mépriser? +Ah! pour tenter encor de nouvelles conquêtes, +Quand je ne verrais pas des routes toutes prêtes, +Quand le sort ennemi m'aurait jeté plus bas, +Vaincu, persécuté, sans secours, sans États, +Errant de mers en mers, et moins roi que pirate, +Conservant pour tous biens le nom de Mithridate, +Apprenez que suivi d'un nom si glorieux, +Partout de l'univers j'attacherais les yeux, +Et qu'il n'est point de rois, s'ils sont dignes de l'être, +Qui, sur le trône assis, n'enviassent peut-être +Au-dessus de leur gloire un naufrage élevé, +Que Rome et quarante ans ont à peine achevé. +Vous-même, d'un autre oeil me verriez-vous, Madame, +Si ces Grecs vos aïeux revivaient dans votre âme? +Et puisqu'il faut enfin que je sois votre époux, +N'était-il pas plus noble, et plus digne de vous, +De joindre à ce devoir votre propre suffrage, +D'opposer votre estime au destin qui m'outrage, +Et de me rassurer, en flattant ma douleur, +Contre la défiance attachée au malheur? +Hé quoi? n'avez-vous rien, Madame, à me répondre? +Tout mon empressement ne sert qu'à vous confondre. +Vous demeurez muette; et loin de me parler, +Je vois, malgré vos soins, vos pleurs prêts à couler. +Moi, Seigneur? Je n'ai point de larmes à répandre. +J'obéis. N'est-ce pas assez me faire entendre? +Et ne suffit-il pas... Non, ce n'est pas assez. +Je vous entends ici mieux que vous ne pensez. +Je vois qu'on m'a dit vrai. Ma juste jalousie +Par vos propres discours est trop bien éclaircie. +Je vois qu'un fils perfide, épris de vos beautés, +Vous a parlé d'amour, et que vous l'écoutez. +Je vous jette pour lui dans des craintes nouvelles. +Mais il jouira peu de vos pleurs infidèles, +Madame, et désormais tout est sourd à mes lois, +Ou bien vous l'avez vu pour la dernière fois. +Appelez Xipharès. Ah! que voulez-vous faire? +Xipharès... Xipharès n'a point trahi son père. +Vous vous pressez en vain de le désavouer, +Et ma tendre amitié ne peut que s'en louer. +Ma honte en serait moindre, ainsi que votre crime, +Si ce fils en effet digne de votre estime +À quelque amour encore avait pu vous forcer. +Mais qu'un traître, qui n'est hardi qu'à m'offenser, +De qui nulle vertu n'accompagne l'audace, +Que Pharnace, en un mot, ait pu prendre ma place? +Qu'il soit aimé, Madame, et que je sois haï? +Venez, mon fils, venez, votre père est trahi. +Un fils audacieux insulte à ma ruine, +Traverse mes desseins, m'outrage, m'assassine, +Aime la Reine enfin, lui plaît, et me ravit +Un coeur que son devoir à moi seul asservit. +Heureux pourtant, heureux que dans cette disgrâce +Je ne puisse accuser que la main de Pharnace; +Qu'une mère infidèle, un frère audacieux +Vous présentent en vain leur exemple odieux! +Oui, mon fils, c'est vous seul sur qui je me repose, +Vous seul qu'aux grands desseins que mon coeur se propose +J'ai choisi dès longtemps pour digne compagnon, +L'héritier de mon sceptre, et surtout de mon nom. +Pharnace, en ce moment, et ma flamme offensée +Ne peuvent pas tout seuls occuper ma pensée. +D'un voyage important les soins et les apprêts, +Mes vaisseaux qu'à partir il faut tenir tout prêts, +Mes soldats dont je veux tenter la complaisance, +Dans ce même moment demandent ma présence. +Vous cependant ici veillez pour mon repos. +D'un rival insolent arrêtez les complots. +Ne quittez point la Reine, et s'il se peut, vous-même +Rendez-la moins contraire aux voeux d'un roi qui l'aime. +Détournez-la mon fils, d'un choix injurieux. +Juge sans intérêt, vous la convaincrez mieux. +En un mot, c'est assez éprouver ma faiblesse: +Qu'elle ne pousse point cette même tendresse, +Que sais-je? à des fureurs dont mon coeur outragé +Ne se repentirait qu'après s'être vengé. +Que dirai-je, Madame? Et comment dois-je entendre +Cet ordre, ce discours que je ne puis comprendre? +Serait-il vrai, grands Dieux! que trop aimé de vous, +Pharnace eût en effet mérité ce courroux? +Pharnace aurait-il part à ce désordre extrême? +Pharnace? ô ciel! Pharnace? Ah! qu'entends-je moi-même? +Ce n'est donc pas assez que ce funeste jour +À tout ce que j'aimais m'arrache sans retour, +Et que, de mon devoir esclave infortunée, +À d'éternels ennuis je me voie enchaînée? +Il faut qu'on joigne encor l'outrage à mes douleurs. +À l'amour de Pharnace on impute mes pleurs. +Malgré toute ma haine, on veut qu'il m'ait su plaire. +Je le pardonne au Roi, qu'aveugle sa colère, +Et qui de mes secrets ne peut être éclairci. +Mais vous, Seigneur, mais vous, me traitez-vous ainsi? +Ah! Madame, excusez un amant qui s'égare, +Qui lui-même, lié par un devoir barbare, +Se voit prêt de tout perdre, et n'ose se venger. +Mais des fureurs du Roi que puis-je enfin juger? +Il se plaint qu'à ses voeux un autre amour s'oppose. +Quel heureux criminel en peut être la cause? +Qui? Parlez. Vous cherchez, Prince, à vous tourmenter. +Plaignez votre malheur sans vouloir l'augmenter. +Je sais trop quel tourment je m'apprête moi-même. +C'est peu de voir un père épouser ce que j'aime: +Voir encore un rival honoré de vos pleurs, +Sans doute c'est pour moi le comble des malheurs; +Mais dans mon désespoir je cherche à les accroître. +Madame, par pitié, faites-le-moi connoître. +Quel est-il, cet amant? Qui dois-je soupçonner? +Avez-vous tant de peine à vous l'imaginer? +Tantôt, quand je fuyais une injuste contrainte, +À qui contre Pharnace ai-je adressé ma plainte? +Sous quel appui tantôt mon coeur s'est-il jeté? +Quel amour ai-je enfin sans colère écouté? +Ô ciel! Quoi? je serais ce bienheureux coupable +Que vous avez pu voir d'un regard favorable? +Vos pleurs pour Xipharès auraient daigné couler? +Oui, Prince, il n'est plus temps de le dissimuler. +Ma douleur pour se taire a trop de violence. +Un rigoureux devoir me condamne au silence; +Mais il faut bien enfin, malgré ses dures lois, +Parler pour la première et la dernière fois. +Vous m'aimez dès longtemps. Une égale tendresse +Pour vous depuis longtemps m'afflige et m'intéresse, +Songez depuis quel jour ces funestes appas +Firent naître un amour qu'ils ne méritaient pas; +Rappelez un espoir qui ne vous dura guère, +Le trouble où vous jeta l'amour de votre père, +Le tourment de me perdre et de le voir heureux, +Les rigueurs d'un devoir contraire à tous vos voeux: +Vous n'en sauriez, Seigneur, retracer la mémoire, +Ni conter vos malheurs, sans conter mon histoire, +Et lorsque ce matin j'en écoutais le cours, +Mon coeur vous répondait tous vos mêmes discours. +Inutile, ou plutôt funeste sympathie! +Trop parfaite union par le sort démentie! +Ah! par quel soin cruel le ciel avait-il joint +Deux coeurs que l'un pour l'autre il ne destinait point? +Car quel que soit vers vous le penchant qui m'attire, +Je vous le dis, Seigneur, pour ne plus vous le dire, +Ma gloire me rappelle et m'entraîne à l'autel +Où je vais vous jurer un silence éternel. +J'entends, vous gémissez. Mais telle est ma misère. +Je ne suis point à vous, je suis à votre père. +Dans ce dessein, vous-même, il faut me soutenir, +Et de mon faible coeur m'aider à vous bannir. +J'attends du moins, j'attends de votre complaisance +Que désormais partout vous fuirez ma présence. +J'en viens de dire assez pour vous persuader +Que j'ai trop de raisons de vous le commander. +Mais après ce moment, si ce coeur magnanime +D'un véritable amour a brûlé pour Monime, +Je ne reconnais plus la foi de vos discours +Qu'au soin que vous prendrez de m'éviter toujours. +Quelle marque, grands Dieux, d'un amour déplorable! +Combien en un moment heureux et misérable! +De quel comble de gloire et de félicités, +Dans quel abîme affreux vous me précipitez! +Quoi! j'aurai pu toucher un coeur comme le vôtre? +Vous aurez pu m'aimer? et cependant un autre +Possédera ce coeur dont j'attirais les voeux? +Père injuste, cruel, mais d'ailleurs malheureux! +Vous voulez que je fuie et que je vous évite? +Et cependant le Roi m'attache à votre suite. +Que dira-t-il? N'importe, il me faut obéir. +Inventez des raisons qui puissent l'éblouir. +D'un héros tel que vous c'est là l'effort suprême: +Cherchez, Prince, cherchez, pour vous trahir vous-même, +Tout ce que, pour jouir de leurs contentements, +L'amour fait inventer aux vulgaires amants. +Enfin je me connais, il y va de ma vie. +De mes faibles efforts ma vertu se défie. +Je sais qu'en vous voyant, un tendre souvenir +Peut m'arracher du coeur quelque indigne soupir; +Que je verrai mon âme, en secret déchirée, +Revoler vers le bien dont elle est séparée. +Mais je sais bien aussi que s'il dépend de vous +De me faire chérir un souvenir si doux, +Vous n'empêcherez pas que ma gloire offensée +N'en punisse aussitôt la coupable pensée; +Que ma main dans mon coeur ne vous aille chercher, +Pour y laver ma honte, et vous en arracher. +Que dis-je? En ce moment, le dernier qui nous reste, +Je me sens arrêter par un plaisir funeste. +Plus je vous parle, et plus, trop faible que je suis, +Je cherche à prolonger le péril que je fuis. +Il faut pourtant, il faut se faire violence, +Et sans perdre en adieux un reste de constance, +Je fuis. Souvenez-vous, Prince, de m'éviter, +Et méritez les pleurs que vous m'allez coûter. +Ah! Madame... Elle fuit, et ne veut plus m'entendre. +Malheureux Xipharès, quel parti dois-tu prendre? +On t'aime, on te bannit; toi-même tu vois bien +Que ton propre devoir s'accorde avec le sien. +Cours par un prompt trépas abréger ton supplice. +Toutefois attendons que son sort s'éclaircisse, +Et s'il faut qu'un rival la ravisse à ma foi, +Du moins, en expirant, ne la cédons qu'au Roi. +Approchez, mes enfants. Enfin l'heure est venue +Qu'il faut que mon secret éclate à votre vue. +À mes nobles projets je vois tout conspirer; +Il ne me reste plus qu'à vous les déclarer. +Je fuis, ainsi le veut la fortune ennemie. +Mais vous savez trop bien l'histoire de ma vie +Pour croire que longtemps soigneux de me cacher, +J'attende en ces déserts qu'on me vienne chercher. +La guerre a ses faveurs, ainsi que ses disgrâces. +Déjà plus d'une fois, retournant sur mes traces, +Tandis que l'ennemi, par ma fuite trompé, +Tenait après son char un vain peuple occupé, +Et gravant en airain ses frêles avantages, +De mes États conquis enchaînait les images, +Le Bosphore m'a vu, par de nouveaux apprêts, +Ramener la terreur du fond de ses marais, +Et chassant les Romains de l'Asie étonnée, +Renverser en un jour l'ouvrage d'une année. +D'autres temps, d'autres soins. L'Orient accablé +Ne peut plus soutenir leur effort redoublé. +Il voit plus que jamais ses campagnes couvertes +De Romains que la guerre enrichit de nos pertes. +Des biens des nations ravisseurs altérés, +Le bruit de nos trésors les a tous attirés: +Ils y courent en foule, et jaloux l'un de l'autre +Désertent leur pays pour inonder le nôtre. +Moi seul je leur résiste. Ou lassés, ou soumis, +Ma funeste amitié pèse à tous mes amis: +Chacun à ce fardeau veut dérober sa tête. +Le grand nom de Pompée assure sa conquête. +C'est l'effroi de l'Asie. Et loin de l'y chercher, +C'est à Rome, mes fils, que je prétends marcher. +Ce dessein vous surprend; et vous croyez peut-être +Que le seul désespoir aujourd'hui le fait naître. +J'excuse votre erreur; et pour être approuvés, +De semblables projets veulent être achevés. +Ne vous figurez point que de cette contrée +Par d'éternels remparts Rome soit séparée +Je sais tous les chemins par où je dois passer; +Et si la mort bientôt ne me vient traverser, +Sans reculer plus loin l'effet de ma parole, +Je vous rends dans trois mois au pied du Capitole. +Doutez-vous que l'Euxin ne me porte en deux jours +Aux lieux où le Danube y vient finir son cours? +Que du Scythe avec moi l'alliance jurée +De l'Europe en ces lieux ne me livre l'entrée? +Recueilli dans leurs ports, accru de leurs soldats, +Nous verrons notre camp grossir à chaque pas. +Daces, Pannoniens, la fière Germanie, +Tous n'attendent qu'un chef contre la tyrannie. +Vous avez vu l'Espagne, et surtout les Gaulois, +Contre ces mêmes murs qu'ils ont pris autrefois +Exciter ma vengeance, et jusque dans la Grèce +Par des ambassadeurs accuser ma paresse. +Ils savent que sur eux prêt à se déborder, +Ce torrent, s'il m'entraîne, ira tout inonder; +Et vous les verrez tous, prévenant son ravage, +Guider dans l'Italie et suivre mon passage. +C'est là qu'en arrivant, plus qu'en tout le chemin, +Vous trouverez partout l'horreur du nom romain, +Et la triste Italie encor toute fumante +Des feux qu'a rallumés sa liberté mourante. +Non, Princes, ce n'est point au bout de l'univers +Que Rome fait sentir tout le poids de ses fers; +Et de près inspirant les haines les plus fortes, +Tes plus grands ennemis, Rome, sont à tes portes. +Ah! s'ils ont pu choisir pour leur libérateur +Spartacus, un esclave, un vil gladiateur, +S'ils suivent au combat des brigands qui les vengent, +De quelle noble ardeur pensez-vous qu'ils se rangent +Sous les drapeaux d'un roi longtemps victorieux, +Qui voit jusqu'à Cyrus remonter ses aïeux? +Que dis-je? En quel état croyez-vous la surprendre? +Vide de légions qui la puissent défendre, +Tandis que tout s'occupe à me persécuter, +Leurs femmes, leurs enfants pourront-ils m'arrêter? +Marchons, et dans son sein rejetons cette guerre +Que sa fureur envoie aux deux bouts de la terre. +Attaquons dans leurs murs ces conquérants si fiers; +Qu'ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers. +Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme, +Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome. +Noyons-la dans son sang justement répandu. +Brûlons ce Capitole où j'étais attendu. +Détruisons ses honneurs, et faisons disparaître +La honte de cent rois, et la mienne peut-être; +Et la flamme à la main effaçons tous ces noms +Que Rome y consacrait à d'éternels affronts. +Voilà l'ambition dont mon âme est saisie. +Ne croyez point pourtant qu'éloigné de l'Asie, +J'en laisse les Romains tranquilles possesseurs. +Je sais où je lui dois trouver des défenseurs. +Je veux que d'ennemis partout enveloppée, +Rome rappelle en vain le secours de Pompée. +Le Parthe, des Romains comme moi la terreur, +Consent de succéder à ma juste fureur. +Prêt d'unir avec moi sa haine et sa famille, +Il me demande un fils pour époux à sa fille. +Cet honneur vous regarde, et j'ai fait choix de vous, +Pharnace. Allez, soyez ce bienheureux époux. +Demain, sans différer, je prétends que l'Aurore +Découvre mes vaisseaux déjà loin du Bosphore. +Vous que rien n'y retient, partez dès ce moment, +Et méritez mon choix par votre empressement. +Achevez cet hymen; et repassant l'Euphrate, +Faites voir à l'Asie un autre Mithridate. +Que nos tyrans communs en pâlissent d'effroi, +Et que le bruit à Rome en vienne jusqu'à moi. +Seigneur, je ne vous puis déguiser ma surprise. +J'écoute avec transport cette grande entreprise; +Je l'admire. Et jamais un plus hardi dessein +Ne mit à des vaincus les armes à la main. +Surtout j'admire en vous ce coeur infatigable +Qui semble s'affermir sous le faix qui l'accable. +Mais si j'ose parler avec sincérité, +En êtes-vous réduit à cette extrémité? +Pourquoi tenter si loin des courses inutiles +Quand vos États encor vous offrent tant d'asiles, +Et vouloir affronter des travaux infinis, +Dignes plutôt d'un chef de malheureux bannis +Que d'un roi qui naguère, avec quelque apparence, +De l'aurore au couchant portait son espérance, +Fondait sur trente États son trône florissant, +Dont le débris est même un Empire puissant? +Vous seul, Seigneur, vous seul, après quarante années, +Pouvez encor lutter contre les destinées +Implacable ennemi de Rome et du repos, +Comptez-vous vos soldats pour autant de héros? +Pensez-vous que ces coeurs, tremblants de leur défaite, +Fatigués d'une longue et pénible retraite, +Cherchent avidement sous un ciel étranger +La mort et le travail, pire que le danger? +Vaincus plus d'une fois aux yeux de la patrie, +Soutiendront-ils ailleurs un vainqueur en furie? +Sera-t-il moins terrible, et le vaincront-ils mieux +Dans le sein de sa Ville, à l'aspect de ses Dieux? +Le Parthe vous recherche et vous demande un gendre. +Mais ce Parthe, Seigneur, ardent à nous défendre +Lorsque tout l'univers semblait nous protéger, +D'un gendre sans appui voudra-t-il se charger? +M'en irai-je moi seul, rebut de la fortune, +Essuyer l'inconstance au Parthe si commune, +Et peut-être, pour fruit d'un téméraire amour, +Exposer votre nom au mépris de sa cour? +Du moins, s'il faut céder, si contre notre usage +Il faut d'un suppliant emprunter le visage, +Sans m'envoyer du Parthe embrasser les genoux, +Sans vous-même implorer des rois moindres que vous, +Ne pourrions-nous pas prendre une plus sûre voie? +Jetons-nous dans les bras qu'on nous tend avec joie. +Rome en votre faveur facile à s'apaiser... +Rome, mon frère, ô ciel! Qu'osez-vous proposer? +Vous voulez que le Roi s'abaisse et s'humilie? +Qu'il démente en un jour tout le cours de sa vie? +Qu'il se fie aux Romains, et subisse des lois +Dont il a quarante ans défendu tous les rois? +Continuez, Seigneur. Tout vaincu que vous êtes, +La guerre, les périls sont vos seules retraites. +Rome poursuit en vous un ennemi fatal, +Plus conjuré contre elle et plus craint qu'Annibal. +Tout couvert de son sang, quoi que vous puissiez faire, +N'en attendez jamais qu'une paix sanguinaire, +Telle qu'en un seul jour un ordre de vos mains +La donna dans l'Asie à cent mille Romains. +Toutefois épargnez votre tête sacrée. +Vous-même n'allez point, de contrée en contrée, +Montrer aux nations Mithridate détruit, +Et de votre grand nom diminuer le bruit. +Votre vengeance est juste, il la faut entreprendre: +Brûlez le Capitole, et mettez Rome en cendre. +Mais c'est assez pour vous d'en ouvrir les chemins: +Faites porter ce feu par de plus jeunes mains; +Et tandis que l'Asie occupera Pharnace, +De cette autre entreprise honorez mon audace. +Commandez. Laissez-nous, de votre nom suivis, +Justifier partout que nous sommes vos fils. +Embrasez par nos mains le couchant et l'aurore; +Remplissez l'univers, sans sortir du Bosphore; +Que les Romains, pressés de l'un à l'autre bout, +Doutent où vous serez, et vous trouvent partout. +Dès ce même moment ordonnez que je parte. +Ici tout vous retient. Et moi, tout m'en écarte. +Et si ce grand dessein surpasse ma valeur, +Du moins ce désespoir convient à mon malheur. +Trop heureux d'avancer la fin de ma misère, +J'irai... j'effacerai le crime de ma mère, +Seigneur. Vous m'en voyez rougir à vos genoux; +J'ai honte de me voir si peu digne de vous; +Tout mon sang doit laver une tache si noire. +Mais je cherche un trépas utile à votre gloire, +Et Rome, unique objet d'un désespoir si beau, +Du fils de Mithridate est le digne tombeau. +Mon fils, ne parlons plus d'une mère infidèle. +Votre père est content, il connaît votre zèle, +Et ne vous verra point affronter de danger +Qu'avec vous son amour ne veuille partager. +Vous me suivrez, je veux que rien ne nous sépare. +Et vous, à m'obéir, Prince, qu'on se prépare. +Les vaisseaux sont tout prêts. J'ai moi-même ordonné +La suite et l'appareil qui vous est destiné. +Arbate, à cet hymen chargé de vous conduire, +De votre obéissance aura soin de m'instruire. +Allez; et soutenant l'honneur de vos aïeux, +Dans cet embrassement recevez mes adieux. +Seigneur... Ma volonté, Prince, vous doit suffire. +Obéissez. C'est trop vous le faire redire. +Seigneur, si pour vous plaire il ne faut que périr, +Plus ardent qu'aucun autre on m'y verra courir. +Combattant à vos yeux, permettez que je meure. +Je vous ai commandé de partir tout à l'heure. +Mais après ce moment... Prince, vous m'entendez, +Et vous êtes perdu si vous me répondez. +Dussiez-vous présenter mille morts à ma vue, +Je ne saurais chercher une fille inconnue. +Ma vie est en vos mains. Ah! c'est où je t'attends. +Tu ne saurais partir, perfide, et je t'entends. +Je sais pourquoi tu fuis l'hymen où je t'envoie: +Il te fâche en ces lieux d'abandonner ta proie; +Monime te retient. Ton amour criminel +Prétendait l'arracher à l'hymen paternel. +Ni l'ardeur dont tu sais que je l'ai recherchée, +Ni déjà sur son front ma couronne attachée, +Ni cet asile même où je la fais garder, +Ni mon juste courroux n'ont pu t'intimider. +Traître, pour les Romains tes lâches complaisances +N'étaient pas à mes yeux d'assez noires offenses. +Il te manquait encor ces perfides amours +Pour être le supplice et l'horreur de mes jours. +Loin de t'en repentir, je vois sur ton visage +Que ta confusion ne part que de ta rage. +Il te tarde déjà qu'échappé de mes mains +Tu ne coures me perdre, et me vendre aux Romains. +Mais avant que partir, je me ferai justice: +Je te l'ai dit. Holà! gardes. Qu'on le saisisse. +Oui, lui-même, Pharnace. Allez, et de ce pas +Qu'enfermé dans la tour on ne le quitte pas. +Hé bien! sans me parer d'une innocence vaine, +Il est vrai, mon amour mérite votre haine. +J'aime: l'on vous a fait un fidèle récit. +Mais Xipharès, Seigneur, ne vous a pas tout dit. +C'est le moindre secret qu'il pouvait vous apprendre; +Et ce fils si fidèle a dû vous faire entendre +Que des mêmes ardeurs dès longtemps enflammé, +Il aime aussi la Reine, et même en est aimé. +Seigneur, le croirez-vous qu'un dessein si coupable... +Mon fils, je sais de quoi votre frère est capable. +Me préserve le ciel de soupçonner jamais +Que d'un prix si cruel vous payez mes bienfaits; +Qu'un fils, qui fut toujours le bonheur de ma vie, +Ait pu percer ce coeur qu'un père lui confie! +Je ne le croirai point. Allez. Loin d'y songer, +Je ne vais désormais penser qu'à nous venger. +Je ne le croirai point? Vain espoir qui me flatte! +Tu ne le crois que trop, malheureux Mithridate. +Xipharès mon rival? et d'accord avec lui +La Reine aurait osé me tromper aujourd'hui? +Quoi! de quelque côté que je tourne la vue, +La foi de tous les coeurs est pour moi disparue? +Tout m'abandonne ailleurs? Tout me trahit ici? +Pharnace, amis, maîtresse. Et toi, mon fils, aussi? +Toi de qui la vertu consolant ma disgrâce... +Mais ne connais-je pas le perfide Pharnace? +Quelle faiblesse à moi d'en croire un furieux +Qu'arme contre son frère un courroux envieux, +Ou dont le désespoir me troublant par des fables +Grossit, pour se sauver, le nombre des coupables! +Non, ne l'en croyons point. Et sans trop nous presser, +Voyons, examinons. Mais par où commencer? +Qui m'en éclaircira? Quels témoins? Quel indice? +Le ciel en ce moment m'inspire un artifice. +Qu'on appelle la Reine. Oui, sans aller plus loin, +Je veux l'ouïr. Mon choix s'arrête à ce témoin. +L'amour avidement croit tout ce qui le flatte. +Qui peut de son vainqueur mieux parler que l'ingrate? +Voyons qui son amour accusera des deux. +S'il n'est digne de moi, le piège est digne d'eux. +Trompons qui nous trahit. Et pour connaître un traître, +Il n'est point de moyens... Mais je la vois paraître: +Feignons; et de son coeur, d'un vain espoir flatté, +Par un mensonge adroit tirons la vérité. +Enfin j'ouvre les yeux, et je me fais justice. +C'est faire à vos beautés un triste sacrifice, +Que de vous présenter, Madame, avec ma foi, +Tout l'âge et le malheur que je traîne avec moi. +Jusqu'ici la fortune et la victoire mêmes +Cachaient mes cheveux blancs sous trente diadèmes. +Mais ce temps-là n'est plus. Je régnais, et je fuis. +Mes ans se sont accrus; mes honneurs sont détruits; +Et mon front, dépouillé d'un si noble avantage, +Du temps, qui l'a flétri, laisse voir tout l'outrage. +D'ailleurs mille desseins partagent mes esprits: +D'un camp prêt à partir vous entendez les cris; +Sortant de mes vaisseaux, il faut que j'y remonte. +Quel temps pour un hymen qu'une fuite si prompte, +Madame! Et de quel front vous unir à mon sort, +Quand je ne cherche plus que la guerre et la mort? +Cessez pourtant, cessez de prétendre à Pharnace. +Quand je me fais justice, il faut qu'on se la fasse. +Je ne souffrirai point que ce fils odieux, +Que je viens pour jamais de bannir de mes yeux, +Possédant une amour qui me fut déniée, +Vous fasse des Romains devenir l'alliée. +Mon trône vous est dû. Loin de m'en repentir, +Je vous y place même, avant que de partir, +Pourvu que vous vouliez qu'une main qui m'est chère, +Un fils, le digne objet de l'amour de son père, +Xipharès. en un mot, devenant votre époux, +Me venge de Pharnace, et m'acquitte envers vous. +Xipharès! Lui, Seigneur? Oui, lui-même, Madame. +D'où peut naître à ce nom le trouble de votre âme? +Contre un si juste choix qui peut vous révolter? +Est-ce quelque mépris qu'on ne puisse dompter? +Je le répète encor: c'est un autre moi-même, +Un fils victorieux, qui me chérit, que j'aime, +L'ennemi des Romains, l'héritier et l'appui +D'un Empire et d'un nom qui va renaître en lui; +Et quoi que votre amour ait osé se promettre, +Ce n'est qu'entre ses mains que je puis vous remettre. +Que dites-vous? Ô ciel! Pourriez-vous approuver... +Pourquoi, Seigneur, pourquoi voulez-vous m'éprouver? +Cessez de tourmenter une âme infortunée. +Je sais que c'est à vous que je fus destinée; +Je sais qu'en ce moment, pour ce noeud solennel, +La victime, Seigneur, nous attend à l'autel. +Venez. Je le vois bien: quelque effort que je fasse, +Madame, vous voulez vous garder à Pharnace. +Je reconnais toujours vos injustes mépris, +Ils ont même passé sur mon malheureux fils. +Je le méprise! Hé bien! n'en parlons plus, Madame. +Continuez: brûlez d'une honteuse flamme. +Tandis qu'avec mon fils je vais, loin de vos yeux, +Chercher au bout du monde un trépas glorieux, +Vous cependant ici servez avec son frère, +Et vendez aux Romains le sang de votre père. +Venez. Je ne saurais mieux punir vos dédains, +Qu'en vous mettant moi-même en ses serviles mains; +Et sans plus me charger du soin de votre gloire, +Je veux laisser de vous jusqu'à votre mémoire. +Allons, Madame, allons. Je m'en vais vous unir. +Plutôt de mille morts dussiez-vous me punir! +Vous résistez en vain, et j'entends votre fuite. +En quelle extrémité, Seigneur, suis-je réduite? +Mais enfin je vous crois, et je ne puis penser +Qu'à feindre si longtemps vous puissiez vous forcer. +Les Dieux me sont témoins qu'à vous plaire bornée, +Mon âme à tout son sort s'était abandonnée. +Mais si quelque faiblesse avait pu m'alarmer, +Si de tous ses efforts mon coeur a dû s'armer, +Ne croyez point, Seigneur, qu'auteur de mes alarmes, +Pharnace m'ait jamais coûté les moindres larmes. +Ce fils victorieux que vous favorisez, +Cette vivante image en qui vous vous plaisez, +Cet ennemi de Rome, et cet autre vous-même, +Enfin ce Xipharès que vous voulez que j'aime... +Vous l'aimez? Si le sort ne m'eût donnée à vous, +Mon bonheur dépendait de l'avoir pour époux. +Avant que votre amour m'eût envoyé ce gage, +Nous nous aimions... Seigneur, vous changez de visage. +Non, Madame. Il suffit. Je vais vous l'envoyer. +Allez. Le temps est cher. Il le faut employer. +Je vois qu'à m'obéir vous êtes disposée. +Je suis content. Ô ciel! Me serais-je abusée? +Ils s'aiment. C'est ainsi qu'on se jouait de nous. +Ah! fils ingrat. Tu vas me répondre pour tous. +Tu périras. Je sais combien ta renommée +Et tes fausses vertus ont séduit mon armée +Perfide, je te veux porter des coups certains: +Il faut, pour te mieux perdre, écarter les mutins, +Et faisant à mes yeux partir les plus rebelles, +Ne garder près de moi que des troupes fidèles. +Allons. Mais sans montrer un visage offensé, +Dissimulons encor, comme j'ai commencé. +Phoedime, au nom des Dieux, fais ce que je désire: +Va voir ce qui se passe, et reviens me le dire. +Je ne sais; mais mon coeur ne se peut rassurer. +Mille soupçons affreux viennent me déchirer. +Que tarde Xipharès? et d'où vient qu'il diffère +À seconder des voeux qu'autorise son père? +Son père, en me quittant, me l'allait envoyer. +Mais il feignait peut-être: il fallait tout nier. +Le Roi feignait? Et moi, découvrant ma pensée... +Ô Dieux, en ce péril m'auriez-vous délaissée? +Et se pourrait-il bien qu'à son ressentiment +Mon amour indiscret eût livré mon amant? +Quoi, Prince! quand, tout plein de ton amour extrême, +Pour savoir mon secret tu me pressais toi-même, +Mes refus trop cruels vingt fois te l'ont caché, +Je t'ai même puni de l'avoir arraché; +Et quand de toi peut-être un père se défie, +Que dis-je? quand peut-être il y va de ta vie, +Je parle; et trop facile à me laisser tromper, +Je lui marque le coeur où sa main doit frapper. +Ah! traitez-le, Madame, avec plus de justice: +Un grand roi descend-il jusqu'à cet artifice? +À prendre ce détour qui l'aurait pu forcer? +Sans murmure, à l'autel vous l'alliez devancer. +Voulait-il perdre un fils qu'il aime avec tendresse? +Jusqu'ici les effets secondent sa promesse: +Madame, il vous disait qu'un important dessein, +Malgré lui, le forçait à vous quitter demain; +Ce seul dessein l'occupe; et hâtant son voyage, +Lui-même ordonne tout, présent sur le rivage. +Ses vaisseaux en tous lieux se chargent de soldats, +Et partout Xipharès accompagne ses pas. +D'un rival en fureur est-ce là la conduite? +Et voit-on ses discours démentis par la suite? +Pharnace cependant, par son ordre arrêté, +Trouve en lui d'un rival toute la dureté. +Phoedime, à Xipharès fera-t-il plus de grâce? +C'est l'ami des Romains qu'il punit en Pharnace. +L'amour a peu de part à ses justes soupçons. +Autant que je le puis, je cède à tes raisons. +Elles calment un peu l'ennui qui me dévore. +Mais pourtant Xipharès ne paraît point encore. +Vaine erreur des amants qui, pleins de leurs désirs, +Voudraient que tout cédât au soin de leurs plaisirs! +Qui prêts à s'irriter contre le moindre obstacle... +Ma Phoedime, et qui peut concevoir ce miracle? +Après deux ans d'ennuis, dont tu sais tout le poids, +Quoi! je puis respirer pour la première fois? +Quoi! cher Prince, avec toi je me verrais unie? +Et loin que ma tendresse eût exposé ta vie, +Tu verrais ton devoir, je verrais ma vertu +Approuver un amour si longtemps combattu? +Je pourrais tous les jours t'assurer que je t'aime? +Que ne viens-tu... Seigneur, je parlais de vous-même. +Mon âme souhaitait de vous voir en ce lieu, +Pour vous... C'est maintenant qu'il faut vous dire adieu. +Adieu! Vous? Oui, Madame, et pour toute ma vie. +Qu'entends-je? On me disait... Hélas! ils m'ont trahie. +Madame, je ne sais quel ennemi couvert, +Révélant nos secrets, vous trahit et me perd. +Mais le Roi, qui tantôt n'en croyait point Pharnace, +Maintenant dans nos coeurs sait tout ce qui se passe. +Il feint, il me caresse, et cache son dessein; +Mais moi, qui dès l'enfance élevé dans son sein, +De tous ses mouvements ai trop d'intelligence, +J'ai lu dans ses regards sa prochaine vengeance. +Il presse, il fait partir tous ceux dont mon malheur +Pourrait à la révolte exciter la douleur. +De ses fausses bontés j'ai connu la contrainte. +Un mot même d'Arbate a confirmé ma crainte. +Il a su m'aborder; et les larmes aux yeux: +On sait tout, m'a-t-il dit: sauvez-vous de ces lieux. +Ce mot m'a fait frémir du péril de ma Reine, +Et ce cher intérêt est le seul qui m'amène. +Je vous crains pour vous-même, et je viens à genoux +Vous prier, ma Princesse, et vous fléchir pour vous. +Vous dépendez ici d'une main violente, +Que le sang le plus cher rarement épouvante; +Et je n'ose vous dire à quelle cruauté +Mithridate jaloux s'est souvent emporté. +Peut-être c'est moi seul que sa fureur menace. +Peut-être, en me perdant, il veut vous faire grâce. +Daignez, au nom des Dieux, daignez en profiter. +Par de nouveaux refus n'allez point l'irriter. +Moins vous l'aimez, et plus tâchez de lui complaire. +Feignez. Efforcez-vous. Songez qu'il est mon père. +Vivez, et permettez que dans tous mes malheurs +Je puisse à votre amour ne coûter que des pleurs. +Ah! je vous ai perdu! Généreuse Monime, +Ne vous imputez point le malheur qui m'opprime. +Votre seule bonté n'est point ce qui me nuit: +Je suis un malheureux que le destin poursuit; +C'est lui qui m'a ravi l'amitié de mon père, +Qui le fit mon rival, qui révolta ma mère, +Et vient de susciter, dans ce moment affreux, +Un secret ennemi pour nous trahir tous deux. +Hé quoi? cet ennemi, vous l'ignorez encore? +Pour surcroît de douleur, Madame, je l'ignore. +Heureux si je pouvais, avant que m'immoler, +Percer le traître coeur qui m'a pu déceler! +Hé bien! Seigneur, il faut vous le faire connaître. +Ne cherchez point ailleurs cet ennemi, ce traître: +Frappez. Aucun respect ne vous doit retenir. +J'ai tout fait; et c'est moi que vous devez punir. +Vous! Ah! si vous saviez, Prince, avec quelle adresse +Le cruel est venu surprendre ma tendresse! +Quelle amitié sincère il affectait pour vous, +Content, s'il vous voyait devenir mon époux! +Qui n'aurait cru... Mais non, mon amour plus timide +Devait moins vous livrer à sa bonté perfide. +Les Dieux qui m'inspiraient, et que j'ai mal suivis, +M'ont fait taire trois fois par de secrets avis. +J'ai dû continuer. J'ai dû dans tout le reste... +Que sais-je enfin? j'ai dû vous être moins funeste; +J'ai dû craindre du Roi les dons empoisonnés, +Et je m'en punirai si vous me pardonnez. +Quoi! Madame, c'est vous, c'est l'amour qui m'expose? +Mon malheur est parti d'une si belle cause? +Trop d'amour a trahi nos secrets amoureux? +Et vous vous excusez de m'avoir fait heureux? +Que voudrais-je de plus? Glorieux et fidèle, +Je meurs. Un autre sort au trône vous appelle. +Consentez-y, Madame; et sans plus résister, +Achevez un hymen qui vous y fait monter. +Quoi? vous me demandez que j'épouse un barbare +Dont l'odieux amour pour jamais nous sépare? +Songez que ce matin, soumise à ses souhaits, +Vous deviez l'épouser et ne me voir jamais. +Et connaissais-je alors toute sa barbarie? +Ne voudriez-vous point qu'approuvant sa furie, +Après vous avoir vu tout percé de ses coups, +Je suivisse à l'autel un tyrannique époux, +Et que dans une main de votre sang fumante +J'allasse mettre, hélas! la main de votre amante? +Allez, de ses fureurs songez à vous garder, +Sans perdre ici le temps à me persuader: +Le ciel m'inspirera quel parti je dois prendre. +Que serait-ce, grands Dieux! s'il venait vous surprendre? +Que dis-je? On vient. Allez. Courez. Vivez enfin, +Et du moins attendez quel sera mon destin. +Madame, à quels périls il exposait sa vie! +C'est le Roi. Cours l'aider à cacher sa sortie. +Va, ne le quitte point; et qu'il se garde bien +D'ordonner de son sort, sans être instruit du mien. +Allons, Madame, allons. Une raison secrète +Me fait quitter ces lieux et hâter ma retraite. +Tandis que mes soldats, prêts à suivre leur roi, +Rentrent dans mes vaisseaux pour partir avec moi +Venez, et qu'à l'autel ma promesse accomplie +Par des noeuds éternels l'un à l'autre nous lie. +Nous, Seigneur? Quoi Madame! osez-vous balancer? +Et ne m'avez-vous pas défendu d'y penser? +J'eus mes raisons alors. Oublions-les, Madame. +Ne songez maintenant qu'à répondre à ma flamme. +Songez que votre coeur est un bien qui m'est dû. +Hé! pourquoi donc, Seigneur, me l'avez-vous rendu? +Quoi! pour un fils ingrat toujours préoccupée, +Vous croiriez... Quoi Seigneur! vous m'auriez donc trompée? +Perfide! Il vous sied bien de tenir ce discours, +Vous, qui gardant au coeur d'infidèles amours, +Quand je vous élevais au comble de la gloire, +M'avez des trahisons préparé la plus noire. +Ne vous souvient-il plus, coeur ingrat et sans foi, +Plus que tous les Romains conjurés contre moi, +De quel rang glorieux j'ai bien voulu descendre, +Pour vous porter au trône où vous n'osiez prétendre? +Ne me regardez point vaincu, persécuté: +Revoyez-moi vainqueur, et partout redouté. +Songez de quelle ardeur dans Éphèse adorée, +Aux filles de cent rois je vous ai préférée, +Et négligeant pour vous tant d'heureux alliés, +Quelle foule d'États je mettais à vos pieds. +Ah! si d'un autre amour le penchant invincible +Dès lors à mes bontés vous rendait insensible, +Pourquoi chercher si loin un odieux époux? +Avant que de partir, pourquoi vous taisiez-vous? +Attendiez-vous, pour faire un aveu si funeste, +Que le sort ennemi m'eût ravi tout le reste, +Et que, de toutes parts me voyant accabler, +J'eusse en vous le seul bien qui me pût consoler? +Cependant, quand je veux oublier cet outrage, +Et cacher à mon coeur cette funeste image, +Vous osez à mes yeux rappeler le passé, +Vous m'accusez encor, quand je suis offensé. +Je vois que pour un traître un fol espoir vous flatte. +À quelle épreuve, ô Ciel, réduis-tu Mithridate! +Par quel charme secret laissé-je retenir +Ce courroux si sévère et si prompt à punir? +Profitez du moment que mon amour vous donne: +Pour la dernière fois, venez, je vous l'ordonne: +N'attirez point sur vous des périls superflus, +Pour un fils insolent que vous ne verrez plus. +Sans vous parer pour lui d'une foi qui m'est due, +Perdez-en la mémoire aussi bien que la vue; +Et désormais sensible à ma seule bonté, +Méritez le pardon qui vous est présenté. +Je n'ai point oublié quelle reconnaissance, +Seigneur, m'a dû ranger sous votre obéissance. +Quelque rang où jadis soient montés mes aïeux, +Leur gloire de si loin n'éblouit point mes yeux. +Je songe avec respect de combien je suis née +Au-dessous des grandeurs d'un si noble hyménée; +Et malgré mon penchant et mes premiers desseins +Pour un fils, après vous le plus grand des humains, +Du jour que sur mon front on mit ce diadème, +Je renonçai, Seigneur, à ce prince, à moi-même. +Tous deux d'intelligence à nous sacrifier, +Loin de moi, par mon ordre, il courait m'oublier. +Dans l'ombre du secret ce feu s'allait éteindre; +Et même de mon sort je ne pouvais me plaindre, +Puisque enfin, aux dépens de mes voeux les plus doux, +Je faisais le bonheur d'un héros tel que vous. +Vous seul, Seigneur, vous seul, vous m'avez arrachée +À cette obéissance où j'étais attachée; +Et ce fatal amour dont j'avais triomphé, +Ce feu que dans l'oubli je croyais étouffé, +Dont la cause à jamais s'éloignait de ma vue, +Vos détours l'ont surpris, et m'en ont convaincue. +Je vous l'ai confessé, je le dois soutenir. +En vain vous en pourriez perdre le souvenir, +Et cet aveu honteux, où vous m'avez forcée, +Demeurera toujours présent à ma pensée. +Toujours je vous croirais incertain de ma foi; +Et le tombeau, Seigneur, est moins triste pour moi +Que le lit d'un époux qui m'a fait cet outrage, +Qui s'est acquis sur moi ce cruel avantage, +Et qui, me préparant un éternel ennui, +M'a fait rougir d'un feu qui n'était pas pour lui. +C'est donc votre réponse? Et sans plus me complaire, +Vous refusez l'honneur que je voulais vous faire? +Pensez-y bien. J'attends pour me déterminer. +Non, Seigneur, vainement vous croyez m'étonner. +Je vous connais: je sais tout ce que je m'apprête, +Et je vois quels malheurs j'assemble sur ma tête. +Mais le dessein est pris. Rien ne peut m'ébranler. +Jugez-en, puisque ainsi je vous ose parler, +Et m'emporte au-delà de cette modestie +Dont jusqu'à ce moment je n'étais point sortie. +Vous vous êtes servi de ma funeste main +Pour mettre à votre fils un poignard dans le sein +De ses feux innocents j'ai trahi le mystère; +Et quand il n'en perdrait que l'amour de son père, +Il en mourra, Seigneur. Ma foi ni mon amour +Ne seront point le prix d'un si cruel détour. +Après cela, jugez. Perdez une rebelle; +Armez-vous du pouvoir qu'on vous donna sur elle: +J'attendrai mon arrêt, vous pouvez commander. +Tout ce qu'en vous quittant j'ose vous demander, +Croyez (à la vertu je dois cette justice) +Que je vous trahis seule, et n'ai point de complice, +Et que d'un plein succès vos voeux seraient suivis +Si j'en croyais, Seigneur, les voeux de votre fils. +Elle me quitte! Et moi, dans un lâche silence, +Je semble de sa fuite approuver l'insolence? +Peu s'en faut que mon coeur, penchant de son côté, +Ne me condamne encor de trop de cruauté! +Qui suis-je? Est-ce Monime? Et suis-je Mithridate? +Non, non, plus de pardon, plus d'amour pour l'ingrate. +Ma colère revient, et je me reconnois. +Immolons, en partant, trois ingrats à la fois. +Je vais à Rome, et c'est par de tels sacrifices +Qu'il faut à ma fureur rendre les Dieux propices. +Je le dois, je le puis; ils n'ont plus de support: +Les plus séditieux sont déjà loin du bord. +Sans distinguer entre eux qui je hais ou qui j'aime, +Allons, et commençons par Xipharès lui-même. +Mais quelle est ma fureur? et qu'est-ce que je dis? +Tu vas sacrifier, qui? malheureux! Ton fils! +Un fils que Rome craint? qui peut venger son père? +Pourquoi répandre un sang qui m'est si nécessaire? +Ah! dans l'état funeste où ma chute m'a mis, +Est-ce que mon malheur m'a laissé trop d'amis? +Songeons plutôt, songeons à gagner sa tendresse: +J'ai besoin d'un vengeur, et non d'une maîtresse. +Quoi! ne vaut-il pas mieux, puisqu'il faut m'en priver, +La céder à ce fils que je veux conserver? +Cédons-la. Vains efforts, qui ne font que m'instruire +Des faiblesses d'un coeur qui cherche à se séduire! +Je brûle, je l'adore; et loin de la bannir... +Ah! c'est un crime encor dont je la veux punir. +Quelle pitié retient mes sentiments timides? +N'en ai-je pas déjà puni de moins perfides? +Ô Monime! ô mon fils! inutile courroux! +Et vous, heureux Romains, quel triomphe pour vous, +Si vous saviez ma honte, et qu'un avis fidèle +De mes lâches combats vous portât la nouvelle! +Quoi! des plus chères mains craignant les trahisons, +J'ai pris soin de m'armer contre tous les poisons; +J'ai su, par une longue et pénible industrie, +Des plus mortels venins prévenir la furie. +Ah! qu'il eût mieux valu, plus sage et plus heureux, +Et repoussant les traits d'un amour dangereux, +Ne pas laisser remplir d'ardeurs empoisonnées +Un coeur déjà glacé par le froid des années! +De ce trouble fatal par où dois-je sortir? +Seigneur, tous vos soldats refusent de partir. +Pharnace les retient, Pharnace leur révèle +Que vous cherchez à Rome une guerre nouvelle. +Pharnace? Il a séduit ses gardes les premiers, +Et le seul nom de Rome étonne les plus fiers. +De mille affreux périls ils se forment l'image, +Les uns avec transport embrassent le rivage, +Les autres qui partaient s'élancent dans les flots, +Ou présentent leurs dards aux yeux des matelots. +Le désordre est partout; et loin de nous entendre, +Ils demandent la paix, et parlent de se rendre. +Pharnace est à leur tête; et flattant leurs souhaits, +De la part des Romains il leur promet la paix. +Ah le traître! Courez. Qu'on appelle son frère; +Qu'il me suive, qu'il vienne au secours de son père. +J'ignore son dessein. Mais un soudain transport +L'a déjà fait descendre et courir vers le port. +Et l'on dit que, suivi d'un gros d'amis fidèles, +On l'a vu se mêler au milieu des rebelles. +C'est tout ce que j'en sais. Ah! qu'est-ce que j'entends? +Perfides, ma vengeance a tardé trop longtemps. +Mais je ne vous crains point. Malgré leur insolence, +Les mutins n'oseraient soutenir ma présence. +Je ne veux que les voir, je ne veux qu'à leurs yeux +Immoler de ma main deux fils audacieux. +Seigneur, tout est perdu. Les rebelles, Pharnace, +Les Romains sont en foule autour de cette place. +Les Romains! De Romains le rivage est chargé, +Et bientôt dans ces murs vous êtes assiégé. +Ciel! Courons. Écoutez... Du malheur qui me presse +Tu ne jouiras pas, infidèle princesse. +Madame, où courez-vous? Quels aveugles transports +Vous font tenter sur vous de criminels efforts? +Hé quoi! vous avez pu, trop cruelle à vous-même, +Faire un affreux lien d'un sacré diadème? +Ah! ne voyez-vous pas que les Dieux, plus humains, +Ont eux-mêmes rompu ce bandeau dans vos mains? +Hé! par quelle fureur obstinée à me suivre, +Toi-même, malgré moi, veux-tu me faire vivre? +Xipharès ne vit plus. Le Roi désespéré +Lui-même n'attend plus qu'un trépas assuré. +Quel fruit te promets-tu de ta coupable audace? +Perfide, prétends-tu me livrer à Pharnace? +Ah! du moins attendez qu'un fidèle rapport +De son malheureux frère ait confirmé la mort. +Dans la confusion que nous venons d'entendre, +Les yeux peuvent-ils pas aisément se méprendre? +D'abord, vous le savez, un bruit injurieux +Le rangeait du parti d'un camp séditieux; +Maintenant on vous dit que ces mêmes rebelles +Ont tourné contre lui leurs armes criminelles. +Jugez de l'un par l'autre. Et daignez écouter... +Xipharès ne vit plus, il n'en faut point douter. +L'événement n'a point démenti mon attente. +Quand je n'en aurais pas la nouvelle sanglante, +Il est mort, et j'en ai pour garants trop certains +Son courage et son nom trop suspects aux Romains. +Ah! que d'un si beau sang dès longtemps altérée +Rome tient maintenant sa victoire assurée! +Quel ennemi son bras leur allait opposer! +Mais sur qui, malheureuse, oses-tu t'excuser? +Quoi? tu ne veux pas voir que c'est toi qui l'opprimes, +Et dans tous ses malheurs reconnaître tes crimes? +De combien d'assassins l'avais-je enveloppé! +Comment à tant de coups serait-il échappé? +Il évitait en vain les Romains et son frère: +Ne le livrais-je pas aux fureurs de son père? +C'est moi qui les rendant l'un de l'autre jaloux, +Vins allumer le feu qui les embrase tous, +Tison de la discorde, et fatale furie, +Que le démon de Rome a formée et nourrie. +Et je vis? Et j'attends que de leur sang baigné, +Pharnace des Romains revienne accompagné! +Qu'il étale à mes yeux sa parricide joie! +La mort au désespoir ouvre plus d'une voie. +Oui, cruelles, en vain vos injustes secours +Me ferment du tombeau les chemins les plus courts, +Je trouverai la mort jusque dans vos bras même. +Et toi, fatal tissu, malheureux diadème, +Instrument et témoin de toutes mes douleurs, +Bandeau que mille fois j'ai trempé de mes pleurs, +Au moins, en terminant ma vie et mon supplice, +Ne pouvais-tu me rendre un funeste service? +À mes tristes regards, va, cesse de t'offrir: +D'autres armes sans toi sauront me secourir; +Et périsse le jour et la main meurtrière +Qui jadis sur mon front t'attacha la première. +On vient, Madame, on vient; et j'espère qu'Arcas +Pour bannir vos frayeurs porte vers vous ses pas. +En est-ce fait, Arcas? et le cruel Pharnace +Ne me demandez rien de tout ce qui se passe, +Madame: on m'a chargé d'un plus funeste emploi, +Et ce poison vous dit la volonté du Roi. +Malheureuse princesse! Ah! quel comble de joie! +Donnez. Dites, Arcas, au Roi qui me l'envoie, +Que de tous les présents que m'a faits sa bonté, +Je reçois le plus cher et le plus souhaité. +À la fin je respire; et le ciel me délivre +Des secours importuns qui me forçaient de vivre +Maîtresse de moi-même, il veut bien qu'une fois +Je puisse de mon sort disposer à mon choix. +Hélas! Retiens tes cris, et par d'indignes larmes +De cet heureux moment ne trouble point les charmes. +Si tu m'aimais, Phoedime, il fallait me pleurer +Quand d'un titre funeste on me vint honorer, +Et lorsque m'arrachant du doux sein de la Grèce, +Dans ce climat barbare on traîna ta maîtresse. +Retourne maintenant chez ces peuples heureux; +Et si mon nom encor s'est conservé chez eux, +Dis-leur ce que tu vois, et de toute ma gloire, +Phoedime, conte-leur la malheureuse histoire. +Et toi, qui de ce coeur, dont tu fus adoré, +Par un jaloux destin fus toujours séparé, +Héros, avec qui même en terminant ma vie, +Je n'ose en un tombeau demander d'être unie, +Reçois ce sacrifice, et puisse en ce moment +Ce poison expier le sang de mon amant! +Arrêtez! arrêtez! Que faites-vous, Arbate? +Arrêtez! J'accomplis l'ordre de Mithridate. +Ah! laissez-moi.. Cessez, vous dis-je, et laissez-moi, +Madame, exécuter les volontés du Roi. +Vivez. Et vous, Arcas, du succès de mon zèle +Courez à Mithridate apprendre la nouvelle. +Ah! trop cruel Arbate, à quoi m'exposez-vous? +Est-ce qu'on croit encor mon supplice trop doux? +Et le Roi m'enviant une mort si soudaine, +Veut-il plus d'un trépas pour contenter sa haine? +Vous l'allez voir paraître, et j'ose m'assurer +Que vous-même avec moi vous allez le pleurer. +Quoi! le Roi... Le Roi touche à son heure dernière, +Madame, et ne voit plus qu'un reste de lumière. +Je l'ai laissé sanglant, porté par des soldats, +Et Xipharès en pleurs accompagne leurs pas. +Xipharès? Ah! grands Dieux! Je doute si je veille, +Et n'ose qu'en tremblant en croire mon oreille. +Xipharès vit encor? Xipharès, que mes pleurs... +Il vit chargé de gloire, accablé de douleurs. +De sa mort en ces lieux la nouvelle semée +Ne vous a pas vous seule et sans cause alarmée. +Les Romains, qui partout l'appuyaient par des cris, +Ont par ce bruit fatal glacé tous les esprits. +Le Roi, trompé lui-même, en a versé des larmes; +Et désormais certain du malheur de ses armes, +Par un rebelle fils de toutes parts pressé, +Sans espoir de secours tout prêt d'être forcé, +Et voyant pour surcroît de douleur et de haine, +Parmi ses étendards porter l'aigle romaine, +Il n'a plus aspiré qu'à s'ouvrir des chemins +Pour éviter l'affront de tomber dans leurs mains. +D'abord il a tenté les atteintes mortelles +Des poisons que lui-même a cru les plus fidèles. +Il les a trouvés tous sans force et sans vertu. +Vain secours, a-t-il dit, que j'ai trop combattu! +Contre tous les poisons soigneux de me défendre, +J'ai perdu tout le fruit que j'en pouvais attendre. +Essayons maintenant des secours plus certains, +Et cherchons un trépas plus funeste aux Romains. +Il parle: et défiant leurs nombreuses cohortes, +Du palais, à ces mots, il fait ouvrir les portes. +À l'aspect de ce front dont la noble fureur +Tant de fois dans leurs rangs répandit la terreur, +Vous les eussiez vus tous, retournant en arrière, +Laisser entre eux et nous une large carrière; +Et déjà quelques-uns couraient épouvantés +Jusque dans les vaisseaux qui les ont apportés. +Mais, le dirai-je? ô ciel! rassurés par Pharnace, +Et la honte en leurs coeurs réveillant leur audace, +Ils reprennent courage, ils attaquent le Roi, +Qu'un reste de soldats défendait avec moi. +Qui pourrait exprimer par quels faits incroyables, +Quels coups, accompagnés de regards effroyables, +Son bras, se signalant pour la dernière fois, +A de ce grand héros terminé les exploits? +Enfin las, et couvert de sang et de poussière, +Il s'était fait de morts une noble barrière. +Un autre bataillon s'est avancé vers nous; +Les Romains, pour le joindre, ont suspendu leurs coups. +Ils voulaient tous ensemble accabler Mithridate. +Mais lui: C'en est assez, m'a-t-il dit, cher Arbate; +Le sang et la fureur m'emportent trop avant. +Ne livrons pas surtout Mithridate vivant. +Aussitôt dans son sein il plonge son épée. +Mais la mort fuit encor sa grande âme trompée. +Ce héros dans mes bras est tombé tout sanglant, +Faible, et qui s'irritait contre un trépas si lent; +Et se plaignant à moi de ce reste de vie, +Il soulevait encor sa main appesantie, +Et marquant à mon bras la place de son coeur, +Semblait d'un coup plus sûr implorer la faveur. +Tandis que possédé de ma douleur extrême, +Je songe bien plutôt à me percer moi-même, +De grands cris ont soudain attiré mes regards. +J'ai vu, qui l'aurait cru? j'ai vu de toutes parts +Vaincus et renversés les Romains et Pharnace, +Fuyant vers leurs vaisseaux, abandonner la place; +Et le vainqueur vers nous s'avançant de plus près, +À mes yeux éperdus a montré Xipharès. +Juste ciel! Xipharès, toujours resté fidèle, +Et qu'au fort du combat une troupe rebelle +Par ordre de son frère avait enveloppé, +Mais qui d'entre leurs bras à la fin échappé, +Forçant les plus mutins, et regagnant le reste, +Heureux et plein de joie en ce moment funeste, +À travers mille morts, ardent, victorieux, +S'était fait vers son père un chemin glorieux. +Jugez de quelle horreur cette joie est suivie. +Son bras aux pieds du Roi l'allait jeter sans vie; +Mais on court, on s'oppose à son emportement. +Le Roi m'a regardé dans ce triste moment, +Et m'a dit d'une voix qu'il poussait avec peine: +S'il en est temps encor, cours, et sauve la Reine. +Ces mots m'ont fait trembler pour vous, pour Xipharès: +J'ai craint, j'ai soupçonné quelques ordres secrets +Tout lassé que j'étais, ma frayeur et mon zèle +M'ont donné pour courir une force nouvelle; +Et malgré nos malheurs, je me tiens trop heureux +D'avoir paré le coup qui vous perdait tous deux. +Ah! que de tant d'horreurs justement étonnée, +Je plains de ce grand roi la triste destinée! +Hélas! Et plût aux Dieux qu'à son sort inhumain +Moi-même j'eusse pu ne point prêter la main, +Et que simple témoin du malheur qui l'accable, +Je le pusse pleurer sans en être coupable! +Il vient. Quel nouveau trouble excite en mes esprits +Le sang du père, ô ciel, et les larmes du fils! +Ah! que vois-je, Seigneur, et quel sort est le vôtre! +Cessez et retenez vos larmes l'un et l'autre. +Mon sort de sa tendresse et de votre amitié +Veut d'autres sentiments que ceux de la pitié; +Et ma gloire, plutôt digne d'être admirée, +Ne doit point par des pleurs être déshonorée. +J'ai vengé l'univers autant que je l'ai pu: +La mort dans ce projet m'a seule interrompu. +Ennemi des Romains et de la tyrannie, +Je n'ai point de leur joug subi l'ignominie; +Et j'ose me flatter qu'entre les noms fameux +Qu'une pareille haine a signalés contre eux, +Nul ne leur a plus fait acheter la victoire, +Ni de jours malheureux plus rempli leur histoire. +Le ciel n'a pas voulu qu'achevant mon dessein, +Rome en cendre me vît expirer dans son sein. +Mais au moins quelque joie en mourant me console: +J'expire environné d'ennemis que j'immole; +Dans leur sang odieux j'ai pu tremper mes mains, +Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains. +À mon fils Xipharès je dois cette fortune: +Il épargne à ma mort leur présence importune. +Que ne puis-je payer ce service important +De tout ce que mon trône eut de plus éclatant! +Mais vous me tenez lieu d'Empire, de couronne; +Vous seule me restez; souffrez que je vous donne, +Madame; et tous ces voeux que j'exigeais de vous, +Mon coeur pour Xipharès vous les demande tous. +Vivez, Seigneur, vivez, pour le bonheur du monde, +Et pour sa liberté qui sur vous seul se fonde; +Vivez, pour triompher d'un ennemi vaincu, +Pour venger... C'en est fait, Madame, et j'ai vécu. +Mon fils, songez à vous. Gardez-vous de prétendre +Que de tant d'ennemis vous puissiez vous défendre +Bientôt tous les Romains, de leur honte irrités, +Viendront ici sur vous fondre de tous côtés +Ne perdez point le temps que vous laisse leur fuite +À rendre à mon tombeau des soins dont je vous quitte. +Tant de Romains sans vie, en cent lieux dispersés, +Suffisent à ma cendre et l'honorent assez. +Cachez-leur pour un temps vos noms et votre vie. +Allez, réservez-vous... Moi, Seigneur, que je fuie! +Que Pharnace impuni, les Romains triomphants +N'éprouvent pas bientôt... Non, je vous le défends. +Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse. +Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice. +Mais je sens affaiblir ma force et mes esprits. +Je sens que je me meurs. Approchez-vous, mon fils. +Dans cet embrassement dont la douceur me flatte, +Venez, et recevez l'âme de Mithridate. +Il expire. Ah! Madame, unissons nos douleurs, +Et par tout l'univers cherchons-lui des vengeurs.