ircyrano

reenact cyrano de bergerac on an IRC server
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Author: Antoine Amarilli <a3nm@a3nm.net>
Date:   Sat, 15 Dec 2012 19:15:54 +0100

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Diffstat:
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diff --git a/script b/script @@ -0,0 +1,6213 @@ +<MASTER> Acte I. +<MASTER> Une Représentation à l'Hôtel de Bourgogne. +<MASTER> La salle de l'Hôtel de Bourgogne, en 1640. Sorte de hangar de jeu de +<MASTER> paume aménagé et embelli pour des représentations. +<MASTER> La salle est un carré long; on la voit en biais, de sorte qu'un de ses +<MASTER> côtés forme le fond qui part du premier plan, à droite, et va au dernier +<MASTER> plan, à gauche, faire angle avec la scène, qu'on aperçoit en pan coupé. +<MASTER> Cette scène est encombrée, des deux côtés, le long des coulisses, par +<MASTER> des banquettes. Le rideau est formé par deux tapisseries qui peuvent +<MASTER> s'écarter. Au-dessus du manteau d'Arlequin, les armes royales. On +<MASTER> descend de l'estrade dans la salle par de larges marches. De chaque côté +<MASTER> de ces marches, la place des violons. Rampe de chandelles. +<MASTER> Deux rangs superposés de galeries latérales : le rang supérieur est +<MASTER> divisé en loges. Pas de sièges au parterre, qui est la scène même du +<MASTER> théâtre; au fond de ce parterre, c'est-à-dire à droite, premier plan, +<MASTER> quelques bancs formant gradins et, sous un escalier qui monte vers des +<MASTER> places supérieures, et dont on ne voit que le départ, une sorte de +<MASTER> buffet orné de petits lustres, de vases fleuris, de verres de cristal, +<MASTER> d'assiettes de gâteaux, de flacons, etc. +<MASTER> Au fond, au milieu, sous la galerie de loges, l'entrée du théâtre. +<MASTER> Grande porte qui s'entre-bâille pour laisser passer les spectateurs. Sur +<MASTER> les battants de cette porte, ainsi que dans plusieurs coins et au-dessus +<MASTER> du buffet, des affiches rouges sur lesquelles on lit : La Clorise. +<MASTER> Au lever du rideau, la salle est dans une demi-obscurité, vide encore. +<MASTER> Les lustres sont baissés au milieu du parterre, attendant d'être +<MASTER> allumés. +<MASTER> Scène 1.I. +<MASTER> Le public, qui arrive peu à peu. Cavaliers, bourgeois, laquais, pages, +<MASTER> tire-laine, le portier, etc., puis les marquis, Cuigy, Brissaille, la +<MASTER> distributrice, les violons, etc. +<salle> /join +<portier> /join +<MASTER> On entend derrière la porte un tumulte de voix, puis un cavalier +<MASTER> entre brusquement. +<cavalier1> /join +<portier> /me le poursuivant +<portier> Holà ! Vos quinze sols ! ... +<cavalier1> ... J'entre gratis ! ... +<portier> ... Pourquoi ? +<cavalier1> Je suis chevau-léger de la maison du Roi ! +<cavalier2> /join +<portier> /me à un autre cavalier qui vient d'entrer +<portier> Vous ? ... +<cavalier2> ... Je ne paye pas ! ... +<portier> ... Mais ... +<cavalier2> ... Je suis mousquetaire. +<laquais2> /join +<cavalier1> /me au deuxième +<cavalier1> On ne commence qu'à deux heures. Le parterre +<cavalier1> Est vide. Exerçons-nous au fleuret. ... +<MASTER> Ils font des armes avec des fleurets qu'ils ont apportés. +<laquais1> /join +<laquais1> /me entrant +<laquais1> ... Psit... Flanquin  ! +<laquais2> /me déjà arrivé +<laquais2> Champagne ? ... +<laquais1> /me lui montrant des jeux qu'il sort de son pourpoint +<laquais1> ... Cartes. Dés. ... +<laquais1> /me s'assied par terre +<laquais1> ... Jouons. ... +<laquais2> /me même jeu +<laquais2> ... Oui, mon coquin. +<garde> /join +<laquais1> /me tirant de sa poche un bout de chandelle qu'il allume +<laquais1> /me et colle par terre +<laquais1> J'ai soustrait à mon maître un peu de luminaire. +<bouquetiere> /join +<garde> /me à une bouquetière qui s'avance +<garde> C'est gentil de venir avant que l'on n'éclaire ! +<garde> /me lui prend la taille. +<cavalier2> /me recevant un coup de fleuret +<cavalier2> Touche ! ... +<laquais2> ... Trèfle ! ... +<garde> /me poursuivant la fille +<garde> ... Un baiser ! ... +<bouquetiere> /me se dégageant +<bouquetiere> ... On voit ! ... +<garde> /me l'entraînant dans les coins sombres +<garde> ... Pas de danger ! +<homme> /join +<homme> /me s'asseyant par terre avec d'autres porteurs de provisions +<homme> /me de bouche +<homme> Lorsqu'on vient en avance, on est bien pour manger. +<bourgeois> /join +<fils> /join +<bourgeois> /me conduisant son fils +<bourgeois> Plaçons-nous là, mon fils. ... +<laquais1> ... Brelan d'as ! ... +<homme> /me tirant une bouteille de sous son manteau et s'asseyant aussi +<homme> ... Un ivrogne +<homme> Doit boire son bourgogne ... +<homme> /me boit +<homme> ... À l'hôtel de Bourgogne ! +<bourgeois> /me à son fils +<bourgeois> Ne se croirait-on pas en quelque mauvais lieu ? +<bourgeois> /me montre l'ivrogne du bout de sa canne +<bourgeois> Buveurs ... +<MASTER> En rompant, un des cavaliers le bouscule +<bourgeois> ... Bretteurs ! ... +<bourgeois> /me tombe au milieu des joueurs +<bourgeois> ... Joueurs ! ... +<garde> /me derrière lui, lutinant toujours la femme +<garde> ... Un baiser ! ... +<bourgeois> /me éloignant vivement son fils +<bourgeois> ... Jour de Dieu ! +<bourgeois> --Et penser que c'est dans une salle pareille +<bourgeois> Qu'on joua du Rotrou, mon fils. ... +<fils> ... Et du Corneille ! +<pages> /join +<page1> /join +<page2> /join +<page3> /join +<pages> /me se tenant par la main, entre en farandole et chante +<pages> /me tra la la la la la la la la la la lère +<portier> /me sévèrement aux pages +<portier> Les pages, pas de farce ! ... +<page1> /me avec une dignité blessée +<page1> ... Oh ! Monsieur ! Ce soupçon ! +<page1> /me vivement au deuxième, dès que le portier a tourné le dos +<page1> As-tu de la ficelle ? ... +<page2> ... Avec un hameçon. +<page1> On pourra de là-haut pêcher quelque perruque. +<tirelaine> /join +<tirelaine> /me groupant autour de lui plusieurs hommes de mauvaise mine +<tirelaine> Or çà, jeunes escrocs, venez qu'on vous éduque : +<tirelaine> Puis donc que vous volez pour la première fois +<page2> /me criant à d'autres pages déjà placés aux galeries supérieures +<page2> Hep ! Avez-vous des sarbacanes ? ... +<page3> /me d'en haut +<page3> ... Et des pois ! +<page3> /me souffle et les crible de pois. +<spectateur1> /join +<fils> /me à son père +<fils> Que va-t-on nous jouer ? ... +<bourgeois> ... Clorise. ... +<fils> ... De qui est-ce ? +<bourgeois2> /join +<bourgeois> De monsieur Balthazar Baro. C'est une pièce ! +<bourgeois> /me remonte au bras de son fils. +<spectateur2> /join +<tirelaine> /me à ses acolytes +<tirelaine> La dentelle surtout des canons, coupez-la ! +<spectateur1> /me à un autre, lui montrant une encoignure élevée +<spectateur1> Tenez, à la première du Cid, j'étais là ! +<tirelaine> /me faisant avec ses doigts le geste de subtiliser +<tirelaine> Les montres ... +<bourgeois> /me redescendant, à son fils +<bourgeois> ... Vous verrez des acteurs très illustres +<tirelaine> /me faisant le geste de tirer par petites secousses furtives +<tirelaine> Les mouchoirs ... +<bourgeois3> /join +<bourgeois> ... Montfleury ... +<spectateur2> /me criant de la galerie supérieure +<spectateur2> ... Allumez donc les lustres ! +<bourgeois> Bellerose, L'Epy, la Beaupré, Jodelet ! +<page1> /me au parterre +<page1> Ah ! voici la distributrice ! ... +<distributrice> /join +<distributrice> /me paraissant derrière le buffet +<distributrice> ... Oranges, lait, +<distributrice> Eau de framboise, aigre de cèdre ! ... +<MASTER> Brouhaha à la porte. +<fausset> /join +<fausset> /me d'une voix de fausset +<fausset> ... Place, brutes ! +<laquais1> /me s'étonnant +<laquais1> Les marquis ! ... au parterre ? ... +<laquais2> ... Oh ! pour quelques minutes. +<MASTER> Entre une bande de petits marquis. +<marquis1> /join +<marquis2> /join +<marquis1b> /join +<marquis2b> /join +<marquis1c> /join +<marquis2c> /join +<marquis1e> /join +<marquis1> /me voyant la salle à moitié vide +<marquis1> Hé quoi ! Nous arrivons ainsi que les drapiers, +<marquis1> Sans déranger les gens ? sans marcher sur les pieds ? +<cuigy> /join +<brissaille> /join +<bourgeois4> /join +<bourgeois5> /join +<marquis1> Ah, fi ! fi ! fi ! ... +<marquis1> /me se trouve devant d'autres gentilshommes entrés peu avant +<marquis1> ... Cuigy ! Brissaille ! ... +<MASTER> Grandes embrassades. +<cuigy> ... Des fidèles ! +<cuigy> Mais oui, nous arrivons devant que les chandelles +<dame> /join +<femme1> /join +<femme2> /join +<femmes> /join +<seigneur> /join +<marquis1> Ah, ne m'en parlez pas ! Je suis dans une humeur +<vieuxbourgeois> /join +<marquis2> Console-toi, marquis, car voici l'allumeur ! +<salle> /me saluant l'entrée de l'allumeur +<salle> Ah ! ... +<ligniere> /join +<christian> /join +<MASTER> On se groupe autour des lustres qu'il allume. Quelques personnes ont +<MASTER> pris place aux galeries. Lignière entre au parterre, donnant le bras à +<MASTER> Christian de Neuvillette. Lignière, un peu débraillé, figure d'ivrogne +<MASTER> distingué. Christian, vêtu élégamment, mais d'une façon un peu +<MASTER> démodée, paraît préoccupé et regarde les loges. + +<MASTER> Scène 1.II. +<MASTER> Les mêmes, Christian, Lignière, puis Ragueneau et Le Bret. +<violons> /join +<chefviolons> /join +<cuigy> ... Lignière ! ... +<brissaille> /me riant +<jeunehomme> /join +<brissaille> ... Pas encor gris ! ... +<ligniere> /me bas à Christian +<ligniere> ... Je vous présente ? +<voix1> /join +<MASTER> Signe d'assentiment de Christian +<ligniere> Baron de Neuvillette. ... +<MASTER> Saluts. +<salle> /me acclamant l'ascension du premier lustre allumé +<salle> ... Ah ! ... +<lemousquetaire> /join +<cuigy> /me à Brissaille, en regardant Christian +<cuigy> ... La tête est charmante. +<marquis1> /me qui a entendu +<marquis1> Peuh ! ... +<ligniere> /me présentant à Christian +<ligniere> ... Messieurs de Cuigy, de Brissaille ... +<christian> /me s'inclinant +<christian> ... Enchanté ! +<marquis1> /me au deuxième +<marquis1> Il est assez joli, mais n'est pas ajusté +<marquis1> Au dernier goût. ... +<ligniere> /me à Cuigy +<ligniere> ... Monsieur débarque de Touraine. +<christian> Oui, je suis à Paris depuis vingt jours à peine. +<christian> J'entre aux gardes demain, dans les Cadets. ... +<marquis1> /me regardant les personnes qui entrent dans les loges +<marquis1> ... Voilà +<voix2> /join +<marquis1> La présidente Aubry ! ... +<distributrice> ... Oranges, lait ... +<violons> /me s'accordant +<violons> ... La... la +<cuigy> /me à Christian, lui désignant la salle qui se garnit +<cuigy> Du monde ! ... +<christian> ... Eh, oui, beaucoup, ... +<marquis1> ... Tout le bel air ! ... +<voix3> /join +<voix4> /join +<MASTER> Ils nomment les femmes à mesure qu'elles entrent, très parées, dans +<MASTER> les loges. Envois de saluts, réponses de sourires. +<marquis1> ... Mesdames +<marquis1> De Guéméné ... +<cuigy> ... De Bois-Dauphin ... +<marquis1> ... Que nous aimâmes +<brissaille> De Chavigny ... +<marquis2> ... Qui de nos cœurs va se jouant ! +<ligniere> Tiens, monsieur de Corneille est arrivé de Rouen. +<fils> /me à son père +<fils> L'Académie est là ? ... +<bourgeois> ... Mais... j'en vois plus d'un membre; +<bourgeois> Voici Boudu, Boissat, et Cureau de la Chambre; +<bourgeois> Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud +<bourgeois> Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c'est beau ! +<marquis1> Attention ! nos précieuses prennent place : +<precieuses> /join +<voix5> /join +<marquis1> Barthénoïde, Urimédonte, Cassandace, +<marquis1> Félixérie ... +<marquis2> /me se pâmant +<marquis2> ... Ah ! Dieu ! leurs surnoms sont exquis ! +<marquis2> Marquis, tu les sais tous ? ... +<marquis1> ... Je les sais tous, marquis ! +<ligniere> /me prenant Christian à part +<ligniere> Mon cher, je suis entré pour vous rendre service : +<ligniere> La dame ne vient pas. Je retourne à mon vice ! +<christian> /me suppliant +<christian> Non ! ... Vous, qui chansonnez et la ville et la cour, +<christian> Restez : vous me direz pour qui je meurs d'amour. +<chefviolons> /me frappant sur son pupitre, avec son archet +<chefviolons> Messieurs les violons ! ... +<chefviolons> /me lève son archet. +<distributrice> ... Macarons, citronnée +<MASTER> Les violons commencent à jouer. +<christian> J'ai peur qu'elle ne soit coquette et raffinée, +<christian> Je n'ose lui parler car je n'ai pas d'esprit. +<christian> Le langage aujourd'hui qu'on parle et qu'on écrit, +<christian> Me trouble. Je ne suis qu'un bon soldat timide. +<christian> --Elle est toujours à droite, au fond : la loge vide. +<ligniere> /me faisant mine de sortir +<ligniere> Je pars. ... +<christian> /me le retenant encore +<christian> ... Oh ! non, restez ! ... +<ligniere> ... Je ne peux. D'Assoucy +<ligniere> M'attend au cabaret. On meurt de soif, ici. +<distributrice> /me passant devant lui avec un plateau +<distributrice> Orangeade ? ... +<ligniere> ... Fi ! ... +<distributrice> ... Lait ? ... +<ligniere> ... Pouah ! ... +<distributrice> ... Rivesalte ? ... +<ligniere> ... Halte ! +<ligniere> /me à Christian +<ligniere> Je reste encore un peu.--Voyons ce rivesalte ? +<ligniere> /me s'assied près du buffet. La distributrice lui verse du rivesalte. +<ragueneau> /join +<salle> /me à l'entrée d'un petit homme grassouillet et réjoui +<salle> Ah ! Ragueneau ! ... +<ligniere> /me à Christian +<ligniere> ... Le grand rôtisseur Ragueneau. +<ragueneau> /me costume de pâtissier endimanché, s'avançant vivement vers +<ragueneau> /me Lignière +<ragueneau> Monsieur, avez-vous vu monsieur de Cyrano ? +<ligniere> /me présentant Ragueneau à Christian +<ligniere> Le pâtissier des comédiens et des poètes ! +<ragueneau> /me se confondant +<ragueneau> Trop d'honneur ... +<ligniere> ... Taisez-vous, Mécène que vous êtes ! +<ragueneau> Oui, ces messieurs chez moi se servent ... +<ligniere> ... À crédit. +<ligniere> Poète de talent lui-même ... +<ragueneau> ... Ils me l'ont dit. +<ligniere> Fou de vers ! ... +<ragueneau> ... Il est vrai que pour une odelette +<ligniere> Vous donnez une tarte ... +<ragueneau> ... Oh ! une tartelette ! +<ligniere> Brave homme, il s'en excuse ! Et pour un triolet +<ligniere> Ne donnâtes-vous pas ? ... +<ragueneau> ... Des petits pains ! ... +<ligniere> /me sévèrement +<ligniere> ... Au lait. +<ligniere> --Et le théâtre, vous l'aimez ? ... +<ragueneau> ... Je l'idolâtre. +<ligniere> Vous payez en gâteaux vos billets de théâtre ! +<ligniere> Votre place, aujourd'hui, là, voyons, entre nous, +<ligniere> Vous a coûté combien ? ... +<ragueneau> ... Quatre flans. Quinze choux. +<ragueneau> /me regarde de tous côtés +<ragueneau> Monsieur de Cyrano n'est pas là ? Je m'étonne. +<ligniere> Pourquoi ? ... +<ragueneau> ... Montfleury joue ! ... +<ligniere> ... En effet, cette tonne +<ligniere> Va nous jouer ce soir le rôle de Phédon. +<ligniere> Qu'importe à Cyrano ? ... +<ragueneau> ... Mais vous ignorez donc ? +<ragueneau> Il fit à Montfleury, messieurs, qu'il prit en haine, +<ragueneau> Défense, pour un mois, de reparaître en scène. +<ligniere> /me qui en est à son quatrième petit verre +<lebret> /join +<ligniere> Eh bien ? ... +<ragueneau> ... Montfleury joue ! ... +<cuigy> /me qui s'est rapproché de son groupe +<cuigy> ... Il n'y peut rien. ... +<ragueneau> ... Oh ! oh ! +<ragueneau> Moi, je suis venu voir ! ... +<marquis1> ... Quel est ce Cyrano ? +<cuigy> C'est un garçon versé dan les colichemardes. +<marquis2> Noble ? ... +<cuigy> ... Suffisamment. Il est cadet aux gardes. +<cuigy> /me montrant un gentilhomme qui va et vient dans la salle comme s'il +<cuigy> /me cherchait quelqu'un +<cuigy> Mais son ami Le Bret peut vous dire ... +<cuigy> /me appelle +<cuigy> ... Le Bret ! +<MASTER> Le Bret descend vers eux +<cuigy> Vous cherchez Bergerac ? ... +<lebret> ... Oui, je suis inquiet ! +<cuigy> N'est-ce pas que cet homme est des moins ordinaires ? +<lebret> /me avec tendresse +<lebret> Ah, c'est le plus exquis des êtres sublunaires ! +<ragueneau> Rimeur ! ... +<cuigy> ... Bretteur ! ... +<brissaille> ... Physicien ! ... +<lebret> ... Musicien ! +<ligniere> Et quel aspect hétéroclite que le sien ! +<ragueneau> Certes, je ne crois pas que jamais nous le peigne +<ragueneau> Le solennel monsieur Philippe de Champaigne; +<ragueneau> Mais bizarre, excessif, extravagant, falot, +<ragueneau> Il eût fourni, je pense, à feu Jacques Callot +<ragueneau> Le plus fol spadassin à mettre entre ses masques : +<ragueneau> Feutre à panache triple et pourpoint à six basques, +<ragueneau> Cape que par derrière, avec pompe, l'estoc +<ragueneau> Lève, comme une queue insolente de coq, +<ragueneau> Plus fier que tous les Artabans dont la Gascogne +<ragueneau> Fut et sera toujours l'alme Mère Gigogne, +<ragueneau> Il promène, en sa fraise à la Pulcinella, +<ragueneau> Un nez ! ... Ah ! messeigneurs, quel nez que ce nez-là ! +<ragueneau> On ne peut voir passer un pareil nasigère +<ragueneau> Sans s'écrier : "Oh ! non, vraiment, il exagère !" +<ragueneau> Puis on sourit, on dit : "Il va l'enlever..." Mais +<ragueneau> Monsieur de Bergerac ne l'enlève jamais. +<lebret> /me hochant la tête +<lebret> Il le porte,--et pourfend quiconque le remarque ! +<ragueneau> /me fièrement +<ragueneau> Son glaive est la moitié des ciseaux de la Parque ! +<marquis1> /me haussant les épaules +<marquis1> Il ne viendra pas ! ... +<ragueneau> ... Si ! ... Je parie un poulet +<ragueneau> À la Ragueneau ! ... +<marquis1> /me riant +<marquis1> ... Soit ! ... +<MASTER> Rumeurs d'admiration dan la salle. Roxane vient de paraître dans sa +<MASTER> loge. Elle s'assied sur le devant, sa duègne prend place au fond. +<MASTER> Christian, occupé à payer la distributrice, ne regarde pas. +<marquis2> /me avec des petit cris +<marquis2> ... Ah, messieurs ! mais elle est +<marquis2> Épouvantablement ravissante ! ... +<marquis1> ... Une pêche +<marquis1> Qui sourirait avec une fraise ! ... +<marquis2> ... Et si fraîche +<marquis2> Qu'on pourrait, l'approchant, prendre un rhume de cœur ! +<christian> /me lève la tête, aperçoit Roxane, et saisit vivement Lignière +<christian> /me par le bras +<christian> C'est elle ! ... +<ligniere> /me regardant +<ligniere> ... Ah ! c'est elle ? ... +<christian> ... Oui. Dites vite. J'ai peur. +<ligniere> /me dégustant son rivesalte à petits coups +<ligniere> Magdeleine Robin, dite Roxane.--Fine. +<ligniere> Précieuse. ... +<christian> ... Hélas ! ... +<ligniere> ... Libre. Orpheline. Cousine +<ligniere> De Cyrano,--dont on parlait ... +<MASTER> À ce moment, un seigneur très élégant, le cordon bleu en sautoir, +<MASTER> entre dans la loge et, debout, cause un instant avec Roxane. +<christian> /me tressaillant +<christian> ... Cet homme ? ... +<ligniere> /me qui commence à être gris, clignant de l'œil +<ligniere> ... Hé ! hé ! +<ligniere> --Comte de Guiche. Épris d'elle. Mais marié +<ligniere> À la nièce d'Armand de Richelieu. Désire +<ligniere> Faire épouser Roxane à certain triste sire, +<ligniere> Un monsieur de Valvert, vicomte ... et complaisant. +<ligniere> Elle n'y souscrit pas, mais de Guiche est puissant : +<ligniere> Il peut persécuter une simple bourgeoise. +<ligniere> D'ailleurs j'ai dévoilé sa manœuvre sournoise +<ligniere> Dans une chanson qui ... Ho ! il doit m'en vouloir ! +<ligniere> --La fin était méchante Écoutez ... +<ligniere> /me se lève en titubant, le verre haut, prêt a chanter. +<christian> ... Non. Bonsoir. +<ligniere> Vous allez ? ... +<christian> ... Chez monsieur de Valvert ! ... +<ligniere> ... Prenez garde : +<ligniere> C'est lui qui vous tuera ! ... +<ligniere> /me lui désignant du coin de l'œil Roxane +<ligniere> ... Restez. On vous regarde. +<christian> C'est vrai ! ... +<christian> /me reste en contemplation. Le groupe de tire-laine, à partir de ce +<christian> /me moment, le voyant la tête en l'air et bouche bée, se rapproche de +<christian> /me lui. +<ligniere> ... C'est moi qui pars. J'ai soif ! Et l'on m'attend +<ligniere> --Dans les tavernes ! ... +<ligniere> /me sort, zigzaguant. +<ligniere> /part +<lebret> /me qui a fait le tour de la salle, revenant vers Ragueneau, d'une +<lebret> /me voix rassurée +<lebret> ... Pas de Cyrano. ... +<ragueneau> /me incrédule +<ragueneau> ... Pourtant +<facheux> /join +<lebret> Ah ! je veux espérer qu'il n'a pas vu l'affiche ! +<salle> Commencez ! Commencez ! ... + +<MASTER> Scène 1.III. +<MASTER> Les mêmes, moins Lignière; De Guiche, Valvert, puis Montfleury. +<deguiche> /join +<valvert> /join +<voix> /join +<marquis1> /me voyant de Guiche, qui descend de la loge de Roxane, traverse +<marquis1> /me le parterre, entouré de seigneurs obséquieux, parmi lesquels le vicomte +<marquis1> /me de Valvert +<marquis1> ... Quelle cour, ce de Guiche ! +<marquis2> Fi ! ... Encore un Gascon ! ... +<marquis1> ... Le Gascon souple et froid, +<marquis1> Celui qui réussit ! ... Saluons-le, crois-moi. +<MASTER> Ils vont vers de Guiche. +<marquis2b> Les beaux rubans ! Quelle couleur, comte de Guiche ? +<marquis2b> Baise-moi-ma-mignonne ou bien Ventre-de-biche ? +<deguiche> C'est couleur Espagnol malade. ... +<marquis1b> ... La couleur +<marquis1b> Ne ment pas, car bientôt, grâce à votre valeur, +<marquis1b> L'Espagnol ira mal, dans les Flandres ! ... +<deguiche> ... Je monte +<deguiche> Sur scène. Venez-vous ? ... +<deguiche> /me se dirige, suivi de tous les marquis et gentilshommes, vers le théâtre. +<deguiche> /me se retourne et appelle +<deguiche> ... Viens, Valvert ! ... +<christian> /me qui les écoute et les observe, tressaille en entendant ce nom +<christian> ... Le vicomte ! +<christian> Ah ! je vais lui jeter à la face mon ... +<christian> /me met la main dans sa poche, et y rencontre celle d'un tire-laine en train de le dévaliser. +<christian> /me se retourne +<christian> ... Hein ? +<tirelaine> Ay ! ... +<christian> /me sans le lâcher +<christian> ... Je cherchais un gant ! ... +<tirelaine> /me avec un sourire piteux +<tirelaine> ... Vous trouvez une main. +<tirelaine> /me changeant de ton, bas et vite +<tirelaine> Lâchez-moi. Je vous livre un secret. ... +<christian> /me le tenant toujours +<christian> ... Quel ? ... +<tirelaine> ... Lignière +<tirelaine> Qui vous quitte ... +<christian> /me de même +<christian> ... Eh ! bien ? ... +<tirelaine> ... touche à son heure dernière. +<tirelaine> Une chanson qu'il fit blessa quelqu'un de grand, +<tirelaine> Et cent hommes--j'en suis--ce soir sont postés ! ... +<christian> ... Cent ! +<christian> Par qui ? ... +<tirelaine> ... Discrétion ... +<christian> /me haussant les épaules +<christian> ... Oh ! ... +<tirelaine> /me avec beaucoup de dignité +<tirelaine> ... Professionnelle ! +<christian> Où seront-ils postés ? ... +<tirelaine> ... À la porte de Nesle. +<tirelaine> Sur son chemin. Prévenez-le ! ... +<christian> /me qui lui lâche enfin le poignet +<christian> ... Mais où le voir ! +<tirelaine> Allez courir tous les cabarets : le Pressoir +<tirelaine> D'Or, la Pomme de Pin, la Ceinture qui craque, +<tirelaine> Les Deux Torches, les Trois Entonnoirs,--et dans chaque, +<tirelaine> Laissez un petit mot d'écrit l'avertissant. +<christian> Oui, je cours ! Ah ! les gueux ! Contre un seul homme, cent ! +<tirelaine> /part +<christian> /me regardant Roxane avec amour +<christian> La quitter... elle ! ... +<christian> /me avec fureur, Valvert +<christian> ... Et lui ! ... --Mais il faut que je sauve +<christian> Lignière ! ... +<christian> /me sort en courant. +<christian> /part +<MASTER> De Guiche, le vicomte, les marquis, tous les gentilshommes ont +<MASTER> disparu derrière le rideau pour prendre place sur les banquettes +<MASTER> de la scène. Le parterre est complètement rempli. Plus une place vide aux galeries et aux loges. +<parterre> /join +<loges> /join +<salle> ... Commencez. ... +<bourgeois2> /me dont la perruque s'envole au bout d'une ficelle, pêchée +<bourgeois2> /me par un page de la galerie supérieure +<bourgeois2> ... Ma perruque ! ... +<salle> /me cris de joie +<salle> ... Il est chauve ! +<salle> Bravo, les pages ! ... Ha ! ha ! ha ! ... +<bourgeois2> /me furieux, montrant le poing +<bourgeois2> ... Petit gredin ! +<salle> /me rires et cris qui commencent très fort et vont décroissant +<salle> Ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ha ! ... +<MASTER> Silence complet. +<lebret> /me étonné +<lebret> ... Ce silence soudain ? +<MASTER> Un spectateur lui parle bas +<lebret> Ah ? ... +<spectateur1> ... La chose me vient d'être certifiée. +<salle> /me murmures qui courent +<salle> Chut !--Il paraît ? ... --Non ! ... --Si !--Dans la loge grillée.-- +<salle> Le Cardinal !--Le Cardinal ?--Le Cardinal ! +<page2> Ah ! diable, on ne va pas pouvoir se tenir mal ! +<MASTER> On frappe sur la scène. Tout le monde s'immobilise. Attente. +<marquis1c> /me dans le silence, derrière le rideau +<marquis1c> Mouchez cette chandelle ! ... +<marquis2c> /me passant la tête par la fente du rideau +<marquis2c> ... Une chaise ! ... +<MASTER> Une chaise est passée, de main en main, au-dessus des têtes. Le +<MASTER> marquis la prend et disparaît, non sans avoir envoyé quelques baisers +<MASTER> aux loges. +<spectateur2> ... Silence ! +<MASTER> On refrappe les trois coups. Le rideau s'ouvre. Tableau. Les marquis +<MASTER> assis sur les côtés, dans des poses insolentes. Toile de fond +<MASTER> représentant un décor bleuâtre de pastorale. Quatre petits lustres de +<MASTER> cristal éclairent la scène. Les violons jouent doucement. +<lebret> /me à Ragueneau, bas +<lebret> Montfleury entre en scène ? ... +<ragueneau> /me bas aussi +<ragueneau> ... Oui, c'est lui qui commence. +<lebret> Cyrano n'est pas là. ... +<ragueneau> ... J'ai perdu mon pari. +<lebret> Tant mieux ! tant mieux ! ... +<MASTER> On entend un air de musette, et Montfleury paraît en scène, énorme, +<MASTER> dans un costume de berger de pastorale, un chapeau garni de roses +<MASTER> penché sur l'oreille, et soufflant dans une cornemuse enrubannée. +<montfleury> /join +<parterre> /me applaudissant +<parterre> ... Bravo, Montfleury ! Montfleury ! +<montfleury> /me après avoir salué, jouant le rôle de Phédon +<montfleury> Heureux qui loin des cours, dans un lieu solitaire, +<montfleury> Se prescrit à soi-même un exil volontaire, +<montfleury> Et qui, lorsque Zéphire a soufflé sur les bois +<voix> /me au milieu du parterre +<voix> Coquin, ne t'ai-je pas interdit pour un mois ? +<MASTER> Stupeur. Tout le monde se retourne. Murmures. +<salle> Hein ?--Quoi ?--Qu'est-ce ? ... +<MASTER> On se lève dans les loges, pour voir. +<cuigy> ... C'est lui ! ... +<lebret> /me terrifié +<lebret> ... Cyrano ! ... +<voix> ... Roi des pitres ! +<voix> Hors de scène a l'instant ! ... +<salle> /me indignée +<salle> ... Oh ! ... +<montfleury> ... Mais ... +<voix> ... Tu récalcitres ? +<salle> /me du parterre, des loges +<salle> Chut !--Assez !--Montfleury, jouez !--Ne craignez rien ! +<montfleury> /me d'une voix mal assurée +<montfleury> Heureux qui loin des cours dans un lieu sol ... +<voix> /me plus menaçante +<voix> ... Eh bien ! +<voix> Faudra-t-il que je fasse, ô Monarque des drôles, +<voix> Une plantation de bois sur vos épaules ? +<MASTER> Une canne au bout d'un bras jaillit au-dessus des têtes. +<montfleury> /me d'une voix de plus en plus faible +<montfleury> Heureux qui ... +<MASTER> La canne s'agite. +<voix> ... Sortez ! ... +<parterre> ... Oh ! ... +<montfleury> /me s'étranglant +<montfleury> ... Heureux qui loin des cours +<voix> /nick cyrano +<cyrano> /me surgissant du parterre, debout sur une chaise, les bras croisés, +<cyrano> /me son feutre en bataille, la moustache hérissée, le nez terrible +<cyrano> Ah ! je vais me fâcher ! ... +<MASTER> Sensation à sa vue. + +<MASTER> Scène 1.IV. +<MASTER> Les mêmes, Cyrano, puis Bellerose, Jodelet. +<montfleury> /me aux marquis +<montfleury> ... Venez à mon secours, +<montfleury> Messieurs ! ... +<marquis2> /me nonchalamment +<marquis2> ... Mais jouez donc ! ... +<cyrano> ... Gros homme, si tu joues +<cyrano> Je vais être obligé de te fesser les joues ! +<marquis2> Assez ! ... +<cyrano> ... Que les marquis se taisent sur leurs bancs, +<cyrano> Ou bien je fais tâter ma canne à leurs rubans ! +<marquis1> /me debout +<marquis1> C'en est trop ! ... Montfleury ... +<cyrano> ... Que Montfleury s'en aille, +<cyrano> Ou bien je l'essorille et le désentripaille ! +<voix1> Mais ... +<cyrano> ... Qu'il sorte ! ... +<voix2> ... Pourtant ... +<cyrano> ... Ce n'est pas encor fait ? +<cyrano> /me avec le geste de retrousser ses manches +<cyrano> Bon ! je vais sur la scène en guise de buffet, +<cyrano> Découper cette mortadelle d'Italie ! +<montfleury> /me rassemblant toute sa dignité +<montfleury> En m'insultant, Monsieur, vous insultez Thalie ! +<cyrano> /me très poli +<cyrano> Si cette Muse, à qui, Monsieur, vous n'êtes rien, +<cyrano> Avait l'honneur de vous connaître, croyez bien +<cyrano> Qu'en vous voyant si gros et bête comme une urne, +<cyrano> Elle vous flanquerait quelque part son cothurne. +<parterre> Montfleury ! Montfleury !--La pièce de Baro !-- +<cyrano> /me à ceux qui crient autour de lui +<cyrano> Je vous en prie, ayez pitié de mon fourreau : +<cyrano> Si vous continuez, il va rendre sa lame ! +<MASTER> Le cercle s'élargit. +<salle> /me reculant +<salle> Hé ! là ! ... +<cyrano> /me à Montfleury +<cyrano> ... Sortez de scène ! ... +<salle> /me se rapprochant et grondant +<salle> ... Oh ! oh ! ... +<cyrano> /me se retournant vivement +<cyrano> ... Quelqu'un réclame ? +<MASTER> Nouveau recul. +<voix3> /me chantant au fond +<voix3> Monsieur de Cyrano +<voix3> Vraiment nous tyrannise, +<voix3> Malgré ce tyranneau +<voix3> On jouera la Clorise. +<salle> /me chantant +<salle> /me La Clorise, la Clorise ! +<cyrano> Si j'entends une fois encor cette chanson, +<cyrano> Je vous assomme tous. ... +<bourgeois3> ... Vous n'êtes pas Samson ! +<cyrano> Voulez-vous me prêter, Monsieur, votre mâchoire ? +<dame> /me dans les loges +<dame> C'est inouï ! ... +<seigneur> ... C'est scandaleux ! ... +<bourgeois4> ... C'est vexatoire ! +<page1> Ce qu'on s'amuse ! ... +<parterre> ... Kssi !--Montfleury !--Cyrano ! +<cyrano> Silence ! ... +<parterre> /me en délire +<parterre> ... Hi han ! Bêê ! Ouah, ouah ! Cocorico ! +<cyrano> Je vous ... +<page2> ... Miâou ! ... +<cyrano> ... Je vous ordonne de vous taire ! +<cyrano> Et j'adresse un défi collectif au parterre ! +<cyrano> --J'inscris les noms !--Approchez-vous, jeunes héros ! +<cyrano> Chacun son tour ! Je vais donner des numéros !-- +<cyrano> Allons, quel est celui qui veut ouvrir la liste ? +<cyrano> Vous, Monsieur ? Non ! Vous ? Non ! Le premier duelliste, +<cyrano> Je l'expédie avec les honneurs qu'on lui doit ! +<cyrano> --Que tous ceux qui veulent mourir lèvent le doigt. +<MASTER> Silence +<cyrano> La pudeur vous défend de voir ma lame nue ? +<cyrano> Pas un nom ?--Pas un doigt ?--C'est bien. Je continue. +<cyrano> /me se retournant vers la scène où Montfleury attend avec angoisse +<cyrano> Donc, je désire voir le théâtre guéri +<cyrano> De cette fluxion. Sinon ... +<cyrano> /me la main à son épée +<cyrano> ... le bistouri ! +<montfleury> Je ... +<cyrano> /me descend de sa chaise, s'assied au milieu du rond qui s'est +<cyrano> /me formé, s'installe comme chez lui +<cyrano> ... Mes mains vont frapper trois claques, pleine lune ! +<cyrano> Vous vous éclipserez à la troisième. ... +<parterre> /me amusé +<parterre> ... Ah ? ... +<cyrano> /me frappant dans ses mains +<cyrano> ... Une ! +<montfleury> Je ... +<voix4> /me des loges +<voix4> ... Restez ! ... +<parterre> ... Restera ... restera pas ... +<montfleury> ... Je crois, +<montfleury> Messieurs ... +<cyrano> ... Deux ! ... +<montfleury> ... Je suis sûr qu'il vaudrait mieux que ... +<cyrano> ... Trois ! +<MASTER> Montfleury disparaît comme dans une trappe. Tempête de rires, de +<MASTER> sifflets et de huées. +<montfleury> /part +<salle> Hu ! ... hu ! ... Lâche ! ... Reviens ! ... +<cyrano> /me épanoui, se renverse sur sa chaise, et croise ses jambes +<cyrano> ... Qu'il revienne, s'il l'ose ! +<bourgeois5> L'orateur de la troupe ! ... +<bellerose> /join +<bellerose> /me s'avance et salue. +<loges> ... Ah ! ... Voilà Bellerose ! +<bellerose> /me avec élégance +<bellerose> Nobles seigneurs ... +<parterre> ... Non ! Non ! Jodelet ! ... +<jodelet> /join +<jodelet> /me s'avance, et, nasillard +<jodelet> ... Tas de veaux ! +<parterre> Ah ! Ah ! Bravo ! très bien ! bravo ! ... +<jodelet> ... Pas de bravos ! +<jodelet> Le gros tragédien dont vous aimez le ventre +<jodelet> S'est senti ... +<parterre> ... C'est un lâche ! ... +<jodelet> ... Il dut sortir ! ... +<parterre> ... Qu'il rentre ! +<parterre> /me les uns +<parterre> Non ! ... +<parterre> /me les autres +<parterre> ... Si ! ... +<jeunehomme> /me à Cyrano +<jeunehomme> ... Mais à la fin, monsieur, quelle raison +<jeunehomme> Avez-vous de haïr Montfleury ? ... +<cyrano> /me gracieux, toujours assis +<cyrano> ... Jeune oison, +<cyrano> J'ai deux raisons, dont chaque est suffisante seule. +<cyrano> Primo : c'est un acteur déplorable, qui gueule, +<cyrano> Et qui soulève avec des han ! de porteur d'eau, +<cyrano> Le vers qu'il faut laisser s'envoler !--Secundo : +<cyrano> Est mon secret ... +<vieuxbourgeois> /me derrière lui +<vieuxbourgeois> ... Mais vous nous privez sans scrupule +<vieuxbourgeois> De la Clorise ! Je m'entête ... +<cyrano> /me tournant sa chaise vers le bourgeois, respectueusement +<cyrano> ... Vieille mule ! +<cyrano> Les vers du vieux Baro valant moins que zéro, +<cyrano> J'interromps sans remords ! ... +<precieuses> /me dans les loges +<precieuses> ... Ha !--Ho !--Notre Baro ! +<precieuses> Ma chère !--Peut-on dire ? ... Ah ! Dieu ! ... +<cyrano> /me tournant sa chaise vers les loges, galant +<cyrano> ... Belles personnes, +<cyrano> Rayonnez, fleurissez, soyez des échansonnes +<cyrano> De rêve, d'un sourire enchantez un trépas, +<cyrano> Inspirez-nous des vers... mais ne les jugez pas ! +<bellerose> Et l'argent qu'il va falloir rendre ! ... +<cyrano> /me tournant sa chaise vers la scène +<cyrano> ... Bellerose, +<cyrano> Vous avez dit la seule intelligente chose ! +<cyrano> Au manteau de Thespis je ne fais pas de trous : +<cyrano> /me se lève, et lançant un sac sur la scène +<cyrano> Attrapez cette bourse au vol, et taisez-vous ! +<salle> /me éblouie +<salle> Ah ! ... Oh ! ... +<jodelet> /me ramassant prestement la bourse et la soupesant +<jodelet> ... À ce prix-là, monsieur, je t'autorise +<jodelet> À venir chaque jour empêcher la Clorise ! +<salle> Hu ! ... Hu ! ... +<jodelet> ... Dussions-nous même ensemble être hués ! +<bellerose> Il faut évacuer la salle ! ... +<jodelet> ... Évacuez ! +<MASTER> On commence à sortir, pendant que Cyrano regarde d'un air satisfait. +<MASTER> Mais la foule s'arrête bientôt en entendant la scène suivante, et la +<MASTER> sortie cesse. Les femmes qui, dans les loges, étaient déjà debout, +<MASTER> leur manteau remis, s'arrêtent pour écouter, et finissent par se +<MASTER> rasseoir. +<lebret> /me à Cyrano +<lebret> C'est fou ! ... +<facheux> /me qui s'est approché de Cyrano +<facheux> ... Le comédien Montfleury ! quel scandale ! +<facheux> Mais il est protégé par le duc de Candale ! +<facheux> Avez-vous un patron ? ... +<cyrano> ... Non ! ... +<facheux> ... Vous n'avez pas ? ... +<cyrano> ... Non ! +<facheux> Quoi, pas un grand seigneur pour couvrir de son nom ? +<cyrano> /me agacé +<cyrano> Non, ai-je dit deux fois. Faut-il donc que je trisse ? +<cyrano> Non, pas de protecteur ... +<cyrano> /me la main à son épée +<cyrano> ... mais une protectrice ! +<facheux> Mais vous allez quitter la ville ? ... +<cyrano> ... C'est selon. +<facheux> Mais le duc de Candale a le bras long ! ... +<cyrano> ... Moins long +<cyrano> Que n'est le mien ... +<cyrano> /me montrant son épée +<cyrano> ... quand je lui mets cette rallonge ! +<facheux> Mais vous ne songez pas à prétendre ... +<cyrano> ... J'y songe. +<facheux> Mais ... +<cyrano> ... Tournez les talons, maintenant. ... +<facheux> ... Mais ... +<cyrano> ... Tournez ! +<cyrano> --Ou dites-moi pourquoi vous regardez mon nez. +<facheux> /me ahuri +<facheux> Je ... +<cyrano> /me marchant sur lui +<cyrano> ... Qu'a-t-il d'étonnant ? ... +<facheux> /me reculant +<facheux> ... Votre Grâce se trompe +<cyrano> Est-il mol et ballant, monsieur, comme une trompe ? +<facheux> /me même jeu +<facheux> Je n'ai pas ... +<cyrano> ... Ou crochu comme un bec de hibou ? +<facheux> Je ... +<cyrano> ... Y distingue-t-on une verrue au bout ? +<facheux> Mais ... +<cyrano> ... Ou si quelque mouche, à pas lents, s'y promène ? +<cyrano> Qu'a-t-il d'hétéroclite ? ... +<facheux> ... Oh ! ... +<cyrano> ... Est-ce un phénomène ? +<facheux> Mais d'y porter les yeux j'avais su me garder ! +<cyrano> Et pourquoi, s'il vous plaît, ne pas le regarder ? +<facheux> J'avais ... +<cyrano> ... Il vous dégoûte alors ? ... +<facheux> ... Monsieur ... +<cyrano> ... Malsaine +<cyrano> Vous semble sa couleur ? ... +<facheux> ... Monsieur ! ... +<cyrano> ... Sa forme, obscène ? +<facheux> Mais du tout ! ... +<cyrano> ... Pourquoi donc prendre un air dénigrant ? +<cyrano> --Peut-être que monsieur le trouve un peu trop grand ? +<facheux> /me balbutiant +<facheux> Je le trouve petit, tout petit, minuscule ! +<cyrano> Hein ? comment ? m'accuser d'un pareil ridicule ? +<cyrano> Petit, mon nez ? Holà ! ... +<facheux> ... Ciel ! ... +<cyrano> ... Énorme, mon nez ! +<cyrano> --Vil camus, sot camard, tête plate, apprenez +<cyrano> Que je m'enorgueillis d'un pareil appendice, +<cyrano> Attendu qu'un grand nez est proprement l'indice +<cyrano> D'un homme affable, bon, courtois, spirituel, +<cyrano> Libéral, courageux, tel que je suis, et tel +<cyrano> Qu'il vous est interdit à jamais de vous croire, +<cyrano> Déplorable maraud ! car la face sans gloire +<cyrano> Que va chercher ma main en haut de votre col, +<cyrano> Est aussi dénuée ... +<cyrano> /me le soufflette. +<facheux> ... Aï ! ... +<cyrano> ... De fierté, d'envol, +<cyrano> De lyrisme, de pittoresque, d'étincelle, +<cyrano> De somptuosité, de Nez enfin, que celle +<cyrano> /me le retourne par les épaules, joignant le geste à la parole +<cyrano> Que va chercher ma botte au bas de votre dos ! +<facheux> /me se sauvant +<facheux> Au secours ! À la garde ! ... +<facheux> /part +<cyrano> ... Avis donc aux badauds +<cyrano> Qui trouveraient plaisant mon milieu de visage, +<cyrano> Et si le plaisantin est noble, mon usage +<cyrano> Est de lui mettre, avant de le laisser s'enfuir, +<cyrano> Pas devant, et plus haut, du fer, et non du cuir ! +<deguiche> /me qui est descendu de la scène, avec les marquis +<deguiche> Mais à la fin il nous ennuie ! ... +<valvert> /me haussant les épaules +<valvert> ... Il fanfaronne ! +<deguiche> Personne ne va donc lui répondre ? ... +<valvert> ... Personne ? +<valvert> Attendez ! Je vais lui lancer un de ces traits ! +<valvert> /me s'avance vers Cyrano qui l'observe, et se campant devant lui d'un +<valvert> /me air fat +<valvert> Vous... vous avez un nez... heu... un nez... très grand. ... +<cyrano> /me gravement +<cyrano> ... Très ! +<valvert> /me riant +<valvert> Ha ! ... +<cyrano> /me imperturbable +<cyrano> ... C'est tout ? ... +<valvert> ... Mais ... +<cyrano> ... Ah ! non ! c'est un peu court, jeune homme ! +<cyrano> On pouvait dire... Oh ! Dieu ! ... bien des choses en somme +<cyrano> En variant le ton,--par exemple, tenez : +<cyrano> Agressif : "Moi, monsieur, si j'avais un tel nez +<cyrano> Il faudrait sur-le-champ que je me l'amputasse !" +<cyrano> Amical : "Mais il doit tremper dans votre tasse ! +<cyrano> Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap !" +<cyrano> Descriptif : "C'est un roc ! ... c'est un pic ! ... c'est un cap ! +<cyrano> Que dis-je, c'est un cap ? ... C'est une péninsule !" +<cyrano> Curieux : "De quoi sert cette oblongue capsule ? +<cyrano> D'écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ?" +<cyrano> Gracieux : "Aimez-vous à ce point les oiseaux +<cyrano> Que paternellement vous vous préoccupâtes +<cyrano> De tendre ce perchoir à leur petites pattes ?" +<cyrano> Truculent : "Ça, monsieur, lorsque vous pétunez, +<cyrano> La vapeur du tabac vous sort-elle du nez +<cyrano> Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée ?" +<cyrano> Prévenant : "Gardez-vous, votre tête entraînée +<cyrano> Par ce poids, de tomber en avant sur le sol !" +<cyrano> Tendre : "Faites-lui faire un petit parasol +<cyrano> De peur que sa couleur au soleil ne se fane !" +<cyrano> Pédant : "L'animal seul, monsieur, qu'Aristophane +<cyrano> Appelle Hippocampelephantocamélos +<cyrano> Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d'os !" +<cyrano> Cavalier : 'Quoi, l'ami, ce croc est à la mode ? +<cyrano> Pour pendre son chapeau, c'est vraiment très commode !' +<cyrano> Emphatique : "Aucun vent ne peut, nez magistral, +<cyrano> T'enrhumer tout entier, excepté le mistral !" +<cyrano> Dramatique : "C'est la Mer Rouge quand il saigne !" +<cyrano> Admiratif : "Pour un parfumeur, quelle enseigne !" +<cyrano> Lyrique : "Est-ce une conque, êtes-vous un triton ?" +<cyrano> Naïf : "Ce monument, quand le visite-t-on ?" +<cyrano> Respectueux : "Souffrez, monsieur, qu'on vous salue, +<cyrano> C'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur rue !" +<cyrano> Campagnard : "Hé, ardé ! C'est-y un nez ? Nanain ! +<cyrano> C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain !" +<cyrano> Militaire : "Pointez contre cavalerie !" +<cyrano> Pratique : "Voulez-vous le mettre en loterie ? +<cyrano> Assurément, monsieur, ce sera le gros lot !" +<cyrano> Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot : +<cyrano> "Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître +<cyrano> A détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître !" +<cyrano> --Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit +<cyrano> Si vous aviez un peu de lettres et d'esprit : +<cyrano> Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres, +<cyrano> Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres +<cyrano> Vous n'avez que les trois qui forment le mot : sot ! +<cyrano> Eussiez-vous eu, d'ailleurs, l'invention qu'il faut +<cyrano> Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries, +<cyrano> Me servir toutes ces folles plaisanteries, +<cyrano> Que vous n'en eussiez pas articulé le quart +<cyrano> De la moitié du commencement d'une, car +<cyrano> Je me les sers moi-même, avec assez de verve, +<cyrano> Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve. +<deguiche> /me voulant emmener le vicomte pétrifié +<deguiche> Vicomte, laissez donc ! ... +<valvert> /me suffoqué +<valvert> ... Ces grands airs arrogants ! +<valvert> Un hobereau qui... qui... n'a même pas de gants ! +<valvert> Et qui sort sans rubans, sans bouffettes, sans ganses ! +<cyrano> Moi, c'est moralement que j'ai mes élégances. +<cyrano> Je ne m'attife pas ainsi qu'un freluquet, +<cyrano> Mais je suis plus soigné si je suis moins coquet; +<cyrano> Je ne sortirais pas avec, par négligence, +<cyrano> Un affront pas très bien lavé, la conscience +<cyrano> Jaune encor de sommeil dans le coin de son œil, +<cyrano> Un honneur chiffonné, des scrupules en deuil. +<cyrano> Mais je marche sans rien sur moi qui ne reluise, +<cyrano> Empanaché d'indépendance et de franchise; +<cyrano> Ce n'est pas une taille avantageuse, c'est +<cyrano> Mon âme que je cambre ainsi qu'en un corset, +<cyrano> Et tout couvert d'exploits qu'en rubans je m'attache, +<cyrano> Retroussant mon esprit ainsi qu'une moustache, +<cyrano> Je fais, en traversant les groupes et les ronds, +<cyrano> Sonner les vérités comme des éperons. +<valvert> Mais, monsieur ... +<cyrano> ... Je n'ai pas de gants ? ... la belle affaire ! +<cyrano> Il m'en restait un seul d'une très vieille paire ! +<cyrano> --Lequel m'était d'ailleurs encor fort importun : +<cyrano> Je l'ai laissé dans la figure de quelqu'un. +<valvert> Maraud, faquin, butor de pied plat ridicule ! +<cyrano> /me ôtant son chapeau et saluant comme si le vicomte venait de se +<cyrano> /me présenter +<cyrano> Ah ? ... Et moi, Cyrano-Savinien-Hercule +<cyrano> De Bergerac. ... +<MASTER> Rires. +<valvert> /me exaspéré +<valvert> ... Bouffon ! ... +<cyrano> /me poussant un cri comme lorsqu'on est saisi d'une crampe +<cyrano> ... Ay ! ... +<valvert> /me qui remontait, se retournant +<valvert> ... Qu'est-ce encor qu'il dit ? +<cyrano> /me avec des grimaces de douleur +<cyrano> Il faut la remuer car elle s'engourdit +<cyrano> --Ce que c'est que de la laisser inoccupée !-- +<cyrano> Ay ! ... +<valvert> ... Qu'avez-vous ? ... +<cyrano> ... J'ai des fourmis dans mon épée ! +<valvert> /me tirant la sienne +<valvert> Soit ! ... +<cyrano> ... Je vais vous donner un petit coup charmant. +<valvert> /me méprisant +<valvert> Poète ! ... +<cyrano> ... Oui, monsieur, poète ! et tellement, +<cyrano> Qu'en ferraillant je vais--hop !--à l'improvisade, +<cyrano> Vous composer une ballade. ... +<valvert> ... Une ballade ? +<cyrano> Vous ne vous doutez pas de ce que c'est, je crois ? +<cyrano> +<valvert> Mais ... +<cyrano> /me récitant comme une leçon +<cyrano> ... La ballade, donc, se compose de trois +<cyrano> Couplets de huit vers ... +<valvert> /me piétinant +<valvert> ... Oh ! ... +<cyrano> /me continuant +<cyrano> ... Et d'un envoi de quatre +<valvert> Vous ... +<cyrano> ... Je vais tout ensemble en faire une et me battre, +<cyrano> Et vous toucher, monsieur, au dernier vers. ... +<valvert> ... Non ! +<cyrano> Non ? ... +<cyrano> /me déclamant +<cyrano> ... Ballade du duel qu'en l'hôtel bourguignon +<cyrano> Monsieur de Bergerac eut avec un bélître ! +<valvert> Qu'est-ce que c'est que ça, s'il vous plaît ? ... +<cyrano> ... C'est le titre. +<salle> /me surexcitée au plus haut point +<salle> Place !--Très amusant !--Rangez-vous !--Pas de bruits ! +<MASTER> Tableau. Cercle de curieux au parterre, les marquis et les officiers +<MASTER> mêlés aux bourgeois et aux gens du peuple; les pages grimpés sur des +<MASTER> épaules pour mieux voir. Toutes les femmes debout dans les loges. A +<MASTER> droite, De Guiche et ses gentilshommes. À gauche, Le Bret, Ragueneau, +<MASTER> Cuigy, etc. +<cyrano> /me fermant une seconde les yeux +<cyrano> Attendez ! ... je choisis mes rimes... Là, j'y suis. +<cyrano> /me fait ce qu'il dit, à mesure +<cyrano> Je jette avec grâce mon feutre, +<cyrano> Je fais lentement l'abandon +<cyrano> Du grand manteau qui me calfeutre, +<cyrano> Et je tire mon espadon; +<cyrano> Élégant comme Céladon, +<cyrano> Agile comme Scaramouche, +<cyrano> Je vous préviens, cher Mirmydon, +<cyrano> Qu'à la fin de l'envoi je touche ! +<MASTER> Premiers engagements de fer +<cyrano> Vous auriez bien dû rester neutre; +<cyrano> Où vais-je vous larder, dindon ? +<cyrano> Dans le flanc, sous votre maheutre ? +<cyrano> Au cœur, sous votre bleu cordon ? +<cyrano> --Les coquilles tintent, ding-don ! +<cyrano> Ma pointe voltige : une mouche ! +<cyrano> Décidément... c'est au bedon, +<cyrano> Qu'à la fin de l'envoi, je touche. +<cyrano> Il me manque une rime en eutre +<cyrano> Vous rompez, plus blanc qu'amidon ? +<cyrano> C'est pour me fournir le mot pleutre ! +<cyrano> --Tac ! je pare la pointe dont +<cyrano> Vous espériez me faire don;-- +<cyrano> J'ouvre la ligne,--je la bouche +<cyrano> Tiens bien ta broche, Laridon ! +<cyrano> À la fin de l'envoi, je touche. +<cyrano> /me annonce solennellement +<cyrano> Envoi +<cyrano> Prince, demande à Dieu pardon ! +<cyrano> Je quarte du pied, j'escarmouche, +<cyrano> Je coupe, je feinte ... +<cyrano> /me se fendant +<cyrano> ... Hé ! là, donc ! +<valvert> /me chancelle +<cyrano> /me salue +<cyrano> À la fin de l'envoi, je touche ! +<MASTER> Acclamations. Applaudissements dans les loges. Des fleurs et des +<MASTER> mouchoirs tombent. Les officiers entourent et félicitent Cyrano. +<MASTER> Ragueneau danse d'enthousiasme. Le Bret est heureux et navré. Les amis +<MASTER> du vicomte le soutiennent et l'emmènent. +<valvert> /part +<salle> /me en un long cri +<salle> Ah ! ... +<cavalier1> ... Superbe ! ... +<femme1> ... Joli ! ... +<ragueneau> ... Pharamineux ! ... +<marquis1e> ... Nouveau ! +<lebret> Insensé ! ... +<salle> /me se bouscule autour de Cyrano. On entend: +<salle> ... Compliments ! ... félicite ... bravo +<femme2> C'est un héros ! ... +<lemousquetaire> /me s'avançant vivement vers Cyrano, la main tendue +<lemousquetaire> ... Monsieur, voulez-vous me permettre ? +<lemousquetaire> C'est tout à fait très bien, et je crois m'y connaître; +<lemousquetaire> J'ai du reste exprimé ma joie en trépignant ! +<lemousquetaire> /me s'éloigne. +<lemousquetaire> /part +<cyrano> /me à Cuigy +<cyrano> Comment s'appelle donc ce monsieur ? ... +<cuigy> ... D'Artagnan. +<lebret> /me à Cyrano, lui prenant le bras +<lebret> Çà, causons ! ... +<cyrano> ... Laisse un peu sortir cette cohue +<cavalier1> /part +<cavalier2> /part +<laquais1> /part +<laquais2> /part +<garde> /part +<bouquetiere> /part +<homme> /part +<bourgeois> /part +<fils> /part +<pages> /part +<page1> /part +<page2> /part +<page3> /part +<parterre> /part +<cyrano> /me à Bellerose +<cyrano> Je peux rester ? ... +<bellerose> /me respectueusement +<bellerose> ... Mais oui ! ... +<ragueneau> /part +<deguiche> /part +<bourgeois2> /part +<bourgeois3> /part +<bourgeois4> /part +<bourgeois5> /part +<loges> /part +<dame> /part +<femme1> /part +<seigneur> /part +<jeunehomme> /part +<vieuxbourgeois> /part +<precieuses> /part +<femme2> /part +<marquis1e> /part +<MASTER> On entend des cris au dehors. +<jodelet> /me qui a regardé +<jodelet> ... C'est Montfleury qu'on hue ! +<marquis1b> /part +<marquis2b> /part +<marquis1c> /part +<bellerose> /me solennellement +<bellerose> Sic transit ! ... +<marquis2c> /part +<cuigy> /part +<brissaille> /part +<voix1> /part +<voix2> /part +<bellerose> /me changeant de ton, au portier et au moucheur de chandelles +<bellerose> ... Balayez. Fermez. N'éteignez pas. +<bellerose> Nous allons revenir après notre repas, +<bellerose> Répéter pour demain une nouvelle farce. +<spectateur1> /part +<spectateur2> /part +<fausset> /part +<marquis1> /part +<marquis2> /part +<voix3> /part +<voix4> /part +<MASTER> Jodelet et Bellerose sortent, après de grands saluts à Cyrano. +<bellerose> /part +<jodelet> /part +<portier> /me à Cyrano +<portier> Vous ne dînez donc pas ? ... +<cyrano> ... Moi ? ... Non. ... +<MASTER> Le portier se retire. +<portier> /part +<lebret> /me à Cyrano +<lebret> ... Parce que ? ... +<cyrano> /me fièrement +<cyrano> ... Parce +<cyrano> /me changeant de ton, en voyant que le portier est loin +<cyrano> Que je n'ai pas d'argent ! ... +<lebret> /me faisant le geste de lancer un sac +<lebret> ... Comment ! le sac d'écus ? +<cyrano> Pension paternelle, en un jour, tu vécus ! +<lebret> Pour vivre tout un mois, alors ? ... +<cyrano> ... Rien ne me reste. +<lebret> Jeter ce sac, quelle sottise ! ... +<cyrano> ... Mais quel geste ! +<distributrice> /me toussant derrière son petit comptoir +<distributrice> Hum ! ... +<MASTER> Cyrano et Le Bret se retournent. +<distributrice> /me s'avance intimidée +<distributrice> ... Monsieur... Vous savoir jeûner... le cœur me fend +<distributrice> /me montrant le buffet +<distributrice> J'ai là tout ce qu'il faut ... +<distributrice> /me avec élan +<distributrice> ... Prenez ! ... +<cyrano> /me se découvrant +<cyrano> ... Ma chère enfant, +<cyrano> Encor que mon orgueil de Gascon m'interdise +<cyrano> D'accepter de vos doigts la moindre friandise, +<cyrano> J'ai trop peur qu'un refus ne vous soit un chagrin, +<cyrano> Et j'accepterai donc ... +<cyrano> /me va au buffet et choisit +<cyrano> ... Oh ! peu de chose !--un grain +<cyrano> De ce raisin ... +<distributrice> /me veut lui donner la grappe +<cyrano> /me cueille un grain +<cyrano> ... Un seul ! ... ce verre d'eau ... +<distributrice> /me veut y verser du vin, +<cyrano> /me l'arrête +<cyrano> ... limpide ! +<cyrano> --Et la moitié d'un macaron ! ... +<cyrano> /me rend l'autre moitié. +<lebret> ... Mais c'est stupide ! +<distributrice> Oh ! quelque chose encor ! ... +<cyrano> ... Oui. La main à baiser. +<cyrano> /me baise, comme la main d'une princesse, la main qu'elle lui tend. +<distributrice> Merci, monsieur. ... +<distributrice> /me révérence +<distributrice> ... Bonsoir. ... +<distributrice> /me sort. +<distributrice> /part + +<MASTER> Scène 1.V. +<MASTER> Cyrano, Le Bret, puis le portier. +<cyrano> /me à Le Bret +<cyrano> ... Je t'écoute causer. +<cyrano> /me s'installe devant le buffet et rangeant devant lui le macaron ... +<cyrano> Dîner ! ... +<cyrano> /me ... le verre d'eau ... +<cyrano> ... Boisson ! ... +<cyrano> /me ... le grain de raisin +<cyrano> ... Dessert ! ... +<cyrano> /me s'assied +<cyrano> ... Là, je me mets à table ! +<cyrano> --Ah ! ... j'avais une faim, mon cher, épouvantable ! +<cyrano> /me mangeant +<cyrano> --Tu disais ? ... +<lebret> ... Que ces fats aux grands airs belliqueux +<lebret> Te fausseront l'esprit si tu n'écoutes qu'eux ! +<lebret> Va consulter des gens de bon sens, et t'informe +<lebret> De l'effet qu'a produit ton algarade. ... +<cyrano> /me achevant son macaron +<cyrano> ... Énorme. +<lebret> Le Cardinal ... +<cyrano> /me s'épanouissant +<cyrano> ... Il était là, le Cardinal ? +<lebret> A dû trouver cela ... +<cyrano> ... Mais très original. +<lebret> Pourtant ... +<cyrano> ... C'est un auteur. Il ne peut lui déplaire +<cyrano> Que l'on vienne troubler la pièce d'un confrère. +<lebret> Tu te mets sur les bras, vraiment, trop d'ennemis ! +<cyrano> /me attaquant son grain de raisin +<cyrano> Combien puis-je, à peu près, ce soir, m'en être mis ? +<lebret> Quarant'-huit. Sans compter les femmes. ... +<cyrano> ... Voyons, compte ! +<lebret> Montfleury, le bourgeois, de Guiche, le vicomte, +<lebret> Baro, l'Académie ... +<cyrano> ... Assez ! tu me ravis ! +<lebret> Mais où te mènera la façon dont tu vis ? +<lebret> Quel système est le tien ? ... +<cyrano> ... J'errais dans un méandre; +<cyrano> J'avais trop de partis, trop compliqués, à prendre; +<cyrano> J'ai pris ... +<lebret> ... Lequel ? ... +<cyrano> ... Mais le plus simple, de beaucoup. +<cyrano> J'ai décidé d'être admirable, en tout, pour tout ! +<lebret> /me haussant les épaules +<lebret> Soit !--Mais enfin, à moi, le motif de ta haine +<lebret> Pour Montfleury, le vrai, dis-le-moi ! ... +<cyrano> /me se levant +<cyrano> ... Ce Silène, +<cyrano> Si ventru que son doigt n'atteint pas son nombril, +<cyrano> Pour les femmes encor se croit un doux péril, +<cyrano> Et leur fait, cependant qu'en jouant il bredouille, +<cyrano> Des yeux de carpe avec ses gros yeux de grenouille ! +<cyrano> Et je le hais depuis qu'il se permit, un soir, +<cyrano> De poser son regard, sur celle... Oh !j'ai cru voir +<cyrano> Glisser sur une fleur une longue limace ! +<lebret> /me stupéfait +<lebret> Hein ? Comment ? Serait-il possible ? ... +<cyrano> /me avec un rire amer +<cyrano> ... Que j'aimasse ? +<cyrano> /me changeant de ton et gravement +<cyrano> J'aime. ... +<lebret> ... Et peut-on savoir ? tu ne m'as jamais dit ? +<cyrano> Qui j'aime ? ... Réfléchis, voyons. Il m'interdit +<cyrano> Le rêve d'être aimé même par une laide, +<cyrano> Ce nez qui d'un quart d'heure en tous lieux me précède; +<cyrano> Alors, moi, j'aime qui ? ... Mais cela va de soi ! +<cyrano> J'aime--mais c'est forcé !--la plus belle qui soit ! +<lebret> La plus belle ? ... +<cyrano> ... Tout simplement, qui soit au monde ! +<cyrano> La plus brillante, la plus fine, ... +<cyrano> /me avec accablement +<cyrano> ... la plus blonde ! +<lebret> Eh ! mon Dieu, quelle est donc cette femme ? ... +<cyrano> ... Un danger +<cyrano> Mortel sans le vouloir, exquis sans y songer, +<cyrano> Un piège de nature, une rose muscade +<cyrano> Dans laquelle l'amour se tient en embuscade ! +<cyrano> Qui connaît son sourire a connu le parfait. +<cyrano> Elle fait de la grâce avec rien, elle fait +<cyrano> Tenir tout le divin dans un geste quelconque, +<cyrano> Et tu ne saurais pas, Vénus, monter en conque, +<cyrano> Ni toi, Diane, marcher dans les grands bois fleuris, +<cyrano> Comme elle monte en chaise et marche dans Paris ! +<lebret> Sapristi ! je comprends. C'est clair ! ... +<cyrano> ... C'est diaphane. +<lebret> Magdeleine Robin, ta cousine ? ... +<cyrano> ... Oui,--Roxane. +<lebret> Eh bien, mais c'est au mieux ! Tu l'aimes ? Dis-le-lui ! +<lebret> Tu t'es couvert de gloire à ses yeux aujourd'hui ! +<cyrano> Regarde-moi, mon cher, et dis quelle espérance +<cyrano> Pourrait bien me laisser cette protubérance ! +<cyrano> Oh ! je ne me fais pas d'illusion !--Parbleu, +<cyrano> Oui, quelquefois, je m'attendris, dans le soir bleu; +<cyrano> J'entre en quelque jardin où l'heure se parfume; +<cyrano> Avec mon pauvre grand diable de nez je hume +<cyrano> L'avril,--je suis des yeux, sous un rayon d'argent, +<cyrano> Au bras d'un cavalier, quelque femme, en songeant +<cyrano> Que pour marcher, à petits pas, dans de la lune, +<cyrano> Aussi moi j'aimerais au bras en avoir une, +<cyrano> Je m'exalte, j'oublie et j'aperçois soudain +<cyrano> L'ombre de mon profil sur le mur du jardin ! +<lebret> /me ému +<lebret> Mon ami ! ... +<cyrano> ... Mon ami, j'ai de mauvaises heures ! +<cyrano> De me sentir si laid, parfois, tout seul ... +<lebret> /me vivement, lui prenant la main +<lebret> ... Tu pleures ? +<cyrano> Ah ! non, cela, jamais ! Non, ce serait trop laid, +<cyrano> Si le long de ce nez une larme coulait ! +<cyrano> Je ne laisserai pas, tant que j'en serai maître, +<cyrano> La divine beauté des larmes se commettre +<cyrano> Avec tant de laideur grossière ! ... Vois-tu bien, +<cyrano> Les larmes, il n'est rien de plus sublime, rien, +<cyrano> Et je ne voudrais pas qu'excitant la risée, +<cyrano> Une seule, par moi, fût ridiculisée ! +<lebret> Va, ne t'attriste pas ! L'amour n'est que hasard ! +<cyrano> /me secouant la tête +<cyrano> Non ! J'aime Cléopâtre : ai-je l'air d'un César ? +<cyrano> J'adore Bérénice : ai-je l'aspect d'un Tite ? +<lebret> Mais ton courage ! ton esprit !--Cette petite +<lebret> Qui t'offrait là, tantôt, ce modeste repas, +<lebret> Ses yeux, tu l'as bien vu, ne te détestaient pas ! +<cyrano> /me saisi +<cyrano> C'est vrai ! ... +<lebret> ... Hé ! bien ! alors ? ... Mais, Roxane, elle-même, +<lebret> Toute blême a suivi ton duel ! ... +<cyrano> ... Toute blême ? +<lebret> Son cœur et son esprit déjà sont étonnés ! +<lebret> Ose, et lui parle, afin ... +<cyrano> ... Qu'elle me rie au nez ? +<cyrano> Non !--C'est la seule chose au monde que je craigne ! +<portier> /join +<portier> /me introduisant quelqu'un à Cyrano +<portier> Monsieur, on vous demande ... +<cyrano> /me voyant la duègne +<cyrano> ... Ah ! mon Dieu ! Sa duègne ! +<portier> /part +<MASTER> Scène 1.VI. +<MASTER> Cyrano, Le Bret, la duègne. +<duegne> /join +<duegne> /me avec un grand salut +<duegne> De son vaillant cousin on désire savoir +<duegne> Où l'on peut, en secret, le voir. ... +<cyrano> /me bouleversé +<cyrano> ... Me voir ? ... +<duegne> /me avec une révérence +<duegne> ... Vous voir. +<duegne> --On a des choses à vous dire. ... +<cyrano> ... Des ? ... +<duegne> /me nouvelle révérence +<duegne> ... Des choses ! +<cyrano> /me chancelant +<cyrano> Ah, mon Dieu ! ... +<duegne> ... L'on ira, demain, aux primes roses +<duegne> D'aurore,--ouïr la messe à Saint-Roch. ... +<cyrano> /me se soutenant sur Le Bret +<cyrano> ... Ah ! mon Dieu ! +<duegne> En sortant,--où peut-on entrer, causer un peu ? +<cyrano> /me affolé +<cyrano> Où ? ... Je... mais... Ah ! mon Dieu ! ... +<duegne> ... Dites vite. ... +<cyrano> ... Je cherche ! +<duegne> Où ? ... +<cyrano> ... Chez... chez... Ragueneau... le pâtissier ... +<duegne> ... Il perche ? +<cyrano> Dans la rue--Ah ! mon Dieu, mon Dieu !--Saint-Honoré ! +<duegne> /me remontant +<duegne> On ira. Soyez-y. Sept heures. ... +<cyrano> ... J'y serai. +<MASTER> La duègne sort. +<duegne> /part + +<MASTER> Scène 1.VII. +<MASTER> Cyrano, Le Bret, puis les comédiens, les comédiennes, Cuigy, Brissaille, +<MASTER> Lignière, le portier, les violons.) +<cyrano> /me tombant dans les bras de Le Bret +<cyrano> Moi ! ... D'elle ! ... Un rendez-vous ! ... +<lebret> ... Eh bien ! tu n'es plus triste ? +<cyrano> Ah ! pour quoi que ce soit, elle sait que j'existe ! +<lebret> Maintenant, tu vas être calme ? ... +<cyrano> /me hors de lui +<cyrano> ... Maintenant +<cyrano> Mais je vais être frénétique et fulminant ! +<cyrano> Il me faut une armée entière a déconfire ! +<cyrano> J'ai dix cœurs; j'ai vingt bras; il ne peut me suffire +<cyrano> De pourfendre des nains ... +<cyrano> /me crie à tue-tête +<cyrano> ... Il me faut des géants ! +<MASTER> Depuis un moment, sur la scène, au fond, des ombres de comédiens et +<MASTER> de comédiennes s'agitent, chuchotent : on commence à répéter. Les +<MASTER> violons ont repris leur place. +<voix5> /me de la scène +<voix5> Hé ! psit ! là-bas ! Silence ! on répète céans ! +<cyrano> /me riant +<cyrano> Nous partons ! ... +<cyrano> /me remonte. +<voix5> /part +<MASTER> par la grande porte du fond; entrent Cuigy, Brissaille, +<MASTER> plusieurs officiers, qui soutiennent Lignière complètement ivre. +<cuigy> /join +<brissaille> /join +<ligniere> /join +<cuigy> ... Cyrano ! ... +<cyrano> ... Qu'est-ce ? ... +<cuigy> ... Une énorme grive +<cuigy> Qu'on t'apporte ! ... +<cyrano> /me le reconnaissant +<cyrano> ... Lignière ! ... Hé, qu'est-ce qui t'arrive ? +<cuigy> Il te cherche ! ... +<brissaille> ... Il ne peut rentrer chez lui ! ... +<cyrano> ... Pourquoi ? +<ligniere> /me d'une voix pâteuse, lui montrant un billet tout chiffonné +<ligniere> Ce billet m'avertit... cent hommes contre moi +<ligniere> À cause de... chanson... grand danger me menace +<ligniere> Porte de Nesle... Il faut, pour rentrer, que j'y passe +<ligniere> Permets-moi donc d'aller coucher sous... sous ton toit ! +<cyrano> Cent hommes, m'as-tu dit ? Tu coucheras chez toi ! +<ligniere> /me épouvanté +<ligniere> Mais ... +<cyrano> /me d'une voix terrible, lui montrant la lanterne allumée que le +<cyrano> /me portier balance en écoutant curieusement cette scène +<cyrano> ... Prends cette lanterne ! ... +<ligniere> /me saisit précipitamment la lanterne +<cyrano> ... Et marche !--Je te jure +<cyrano> Que c'est moi qui ferai ce soir ta couverture ! +<cyrano> /me aux officiers +<cyrano> Vous, suivez à distance, et vous serez témoins ! +<cuigy> Mais cent hommes ! ... +<cyrano> ... Ce soir, il ne m'en faut pas moins ! +<MASTER> Les comédiens et les comédiennes, descendus de scène, se sont +<MASTER> rapprochés dans leurs divers costumes. +<comedienne1> /join +<comedienne2> /join +<comedienne3> /join +<jodelet> /join +<lebret> Mais pourquoi protéger ... +<cyrano> ... Voilà Le Bret qui grogne ! +<lebret> Cet ivrogne banal ? ... +<cyrano> /me frappant sur l'épaule de Lignière +<cyrano> ... Parce que cet ivrogne, +<cyrano> Ce tonneau de muscat, ce fût de rossoli, +<cyrano> Fit quelque chose un jour de tout à fait joli : +<cyrano> Au sortir d'une messe ayant, selon le rite, +<cyrano> Vu celle qu'il aimait prendre de l'eau bénite, +<cyrano> Lui que l'eau fait sauver, courut au bénitier, +<cyrano> Se pencha sur sa conque et le but tout entier ! +<comedienne1> /me en costume de soubrette +<comedienne1> Tiens, c'est gentil, cela ! ... +<cyrano> ... N'est-ce pas, la soubrette ? +<comedienne1> /me aux autres +<comedienne1> Mais pourquoi sont-ils cent contre un pauvre poète ? +<cyrano> Marchons ! ... +<cyrano> /me aux officiers +<cyrano> ... Et vous, messieurs, en me voyant charger, +<cyrano> Ne me secondez pas, quel que soit le danger ! +<comedienne2> /me sautant de la scène +<comedienne2> Oh ! mais, moi, je vais voir ! ... +<cyrano> ... Venez ! ... +<comedienne3> /me sautant aussi, à un vieux comédien +<comedienne3> ... Viens-tu, Cassandre ? +<cyrano> Venez tous, le Docteur, Isabelle, Léandre, +<cyrano> Tous ! Car vous allez joindre, essaim charmant et fol, +<cyrano> La farce italienne à ce drame espagnol, +<cyrano> Et, sur son ronflement tintant un bruit fantasque, +<cyrano> L'entourer de grelots comme un tambour de basque ! +<femmes> /me sautant de joie +<femmes> Bravo !--Vite, une mante !--Un capuchon ! ... +<jodelet> ... Allons ! +<cyrano> /me aux violons +<cyrano> Vous nous jouerez un air, messieurs les violons ! +<MASTER> Les violons se joignent au cortège qui se forme. On s'empare des +<MASTER> chandelles allumées de la rampe et on se les distribue. Cela devient +<MASTER> une retraite aux flambeaux +<cyrano> Bravo ! des officiers, des femmes en costume, +<cyrano> Et, vingt pas en avant ... +<cyrano> /me se place comme il dit +<cyrano> ... Moi, tout seul, sous la plume +<cyrano> Que la gloire elle-même à ce feutre piqua, +<cyrano> Fier comme un Scipion triplement Nasica ! +<cyrano> --C'est compris ? Défendu de me prêter main-forte !-- +<cyrano> On y est ? ... Un, deux, trois ! Portier, ouvre la porte ! +<MASTER> Le portier ouvre à deux battants. Un coin du vieux Paris pittoresque +<MASTER> et lunaire paraît +<cyrano> Ah ! ... Paris fuit, nocturne et quasi nébuleux; +<cyrano> Le clair de lune coule aux pentes des toits bleus; +<cyrano> Un cadre se prépare, exquis, pour cette scène; +<cyrano> Là-bas, sous des vapeurs en écharpe, la Seine, +<cyrano> Comme un mystérieux et magique miroir, +<cyrano> Tremble... Et vous allez voir ce que vous allez voir ! +<salle> À la porte de Nesle ! ... +<cyrano> /me debout sur le seuil +<cyrano> ... À la porte de Nesle ! +<cyrano> /me se retournant avant de sortir, à la soubrette +<cyrano> Ne demandiez-vous pas pourquoi, mademoiselle, +<cyrano> Contre ce seul rimeur cent hommes furent mis ? +<cyrano> /me tire l'épée et, tranquillement +<cyrano> C'est parce qu'on savait qu'il est de mes amis ! +<cyrano> /me sort. +<cyrano> /part +<MASTER> Le cortège,--Lignière zigzaguant en tête,--puis les +<MASTER> comédiennes aux bras des officiers,--puis les comédiens gambadant,--se +<MASTER> met en marche dans la nuit au son des violons, et à la lueur falote +<MASTER> des chandelles. +<ligniere> /part +<lebret> /part +<comedienne1> /part +<cuigy> /part +<brissaille> /part +<comedienne2> /part +<comedienne3> /part +<jodelet> /part +<femmes> /part +<salle> /part +<violons> /part +<chefviolons> /part +<MASTER> Rideau. + + +<MASTER> Acte II. +<MASTER> La Rôtisserie Des Poètes. +<MASTER> La boutique de Ragueneau, rôtisseur-pâtissier, vaste ouvroir au coin +<MASTER> de la rue Saint-Honoré et de la rue de l'Arbre-Sec qu'on aperçoit +<MASTER> largement au fond, par le vitrage de la porte, grises dans les +<MASTER> premières lueurs de l'aube. +<MASTER> À gauche, premier plan, comptoir surmonté d'un dais en fer forgé, +<MASTER> auquel sont accrochés des oies, des canards, des paons blancs. Dans de +<MASTER> grands vases de faïence de hauts bouquets de fleurs naïves, +<MASTER> principalement des tournesols jaunes. Du même côté, second plan, +<MASTER> immense cheminée devant laquelle, entre de monstrueux chenets, dont +<MASTER> chacun supporte une petite marmite, les rôtis pleurent dans les +<MASTER> lèchefrites. +<MASTER> À droite, premier plan avec porte. Deuxième plan, un escalier montant +<MASTER> à une petite salle en soupente, dont on aperçoit l'intérieur par des +<MASTER> volets ouverts; une table y est dressée, un menu lustre flamand y +<MASTER> luit : c'est un réduit où l'on va manger et boire. Une galerie de bois, +<MASTER> faisant suite à l'escalier, semble mener à d'autres petites salles +<MASTER> analogues. +<MASTER> Au milieu de la rôtisserie, un cercle en fer que l'on peut faire +<MASTER> descendre avec une corde, et auquel de grosses pièces sont accrochées, +<MASTER> fait un lustre de gibier. +<MASTER> Les fours, dans l'ombre, sous l'escalier, rougeoient. Des cuivres +<MASTER> étincellent. Des broches tournent. Des pièces montées pyramident, des +<MASTER> jambons pendent. C'est le coup de feu matinal. Bousculade de marmitons +<MASTER> effarés, d'énormes cuisiniers et de minuscules gâte-sauces. +<MASTER> Foisonnement de bonnets à plume de poulet ou à aile de pintade. On +<MASTER> apporte, sur des plaques de tôle et des clayons d'osier, des +<MASTER> quinconces de brioches, des villages de petits-fours. +<MASTER> Des tables sont couvertes de gâteaux et de plats. D'autres, entourées +<MASTER> de chaises, attendent les mangeurs et les buveurs. Une plus petite, +<MASTER> dans un coin, disparaît sous les papiers. Ragueneau y est assis au +<MASTER> lever du rideau; il écrit. +<MASTER> Scène 2.I. +<MASTER> Ragueneau, pâtissiers, puis Lise; Ragueneau, à la petite table, +<MASTER> écrivant d'un air inspiré, et comptant sur ses doigts. +<ragueneau> /join +<cuisinier> /join +<patissier1> /join +<patissier1> /me apportant une pièce montée +<patissier1> Fruits en nougat ! ... +<patissier2> /join +<patissier2> /me apportant un plat +<patissier2> ... Flan ! ... +<patissier3> /join +<patissier3> /me apportant un rôti paré de plumes +<patissier3> ... Paon ! ... +<patissier4> /join +<patissier4> /me apportant une plaque de gâteaux +<patissier4> ... Roinsoles ! ... +<patissier5> /join +<patissier5> /me apportant une sorte de terrine +<patissier5> ... Bœuf en daube ! +<ragueneau> /me cessant d'écrire et levant la tête +<ragueneau> Sur les cuivres, déjà, glisse l'argent de l'aube ! +<ragueneau> Étouffe en toi le dieu qui chante, Ragueneau ! +<ragueneau> L'heure du luth viendra,--c'est l'heure du fourneau ! +<ragueneau> /me se lève. À un cuisinier +<ragueneau> Vous, veuillez m'allonger cette sauce, elle est courte ! +<cuisinier> De combien ? ... +<ragueneau> ... De trois pieds. ... +<ragueneau> /me passe. +<cuisinier> ... Hein ? ... +<patissier1> ... La tarte ! ... +<patissier2> ... La tourte ! +<ragueneau> /me devant la cheminée +<ragueneau> Ma Muse, éloigne-toi, pour que tes yeux charmants +<ragueneau> N'aillent pas se rougir au feu de ces sarments ! +<ragueneau> /me à un pâtissier, lui montrant des pains +<ragueneau> Vous avez mal placé la fente de ces miches : +<ragueneau> Au milieu la césure,--entre les hémistiches ! +<ragueneau> /me à un autre, lui montrant un pâté inachevé +<ragueneau> À ce palais de croûte, il faut, vous, mettre un toit +<ragueneau> /me à un jeune apprenti, qui, assis par terre, embroche des volailles +<ragueneau> Et toi, sur cette broche interminable, toi, +<ragueneau> Le modeste poulet et la dinde superbe, +<ragueneau> Alterne-les, mon fils, comme le vieux Malherbe +<ragueneau> Alternait les grands vers avec les plus petits, +<ragueneau> Et fais tourner au feu des strophes de rôtis ! +<patissier1> /part +<patissier2> /part +<patissier3> /part +<patissier4> /part +<patissier5> /part +<cuisinier> /part +<apprenti> /join +<apprenti> /me s'avançant avec un plateau recouvert d'une assiette +<apprenti> Maître, en pensant à vous, dans le four, j'ai fait cuire +<apprenti> Ceci, qui vous plaira, je l'espère. ... +<apprenti> /me découvre le plateau, on voit une grande lyre de pâtisserie. +<ragueneau> /me ébloui +<ragueneau> ... Une lyre ! +<apprenti> En pâte de brioche. ... +<ragueneau> /me ému +<ragueneau> ... Avec des fruits confits ! +<apprenti> Et les cordes, voyez, en sucre je les fis. +<ragueneau> /me lui donnant de l'argent +<ragueneau> Va boire à ma santé ! ... +<lise> /join +<ragueneau> /me apercevant Lise qui entre +<ragueneau> ... Chut ! ma femme ! Circule, +<ragueneau> Et cache cet argent ! ... +<apprenti> /part +<ragueneau> /me à Lise, lui montrant la lyre d'un air gêné +<ragueneau> ... C'est beau ? ... +<lise> ... C'est ridicule ! +<lise> /me pose sur le comptoir une pile de sacs en papier. +<ragueneau> Des sacs ? ... Bon. Merci. ... +<ragueneau> /me les regarde +<ragueneau> ... Ciel ! Mes livres vénérés ! +<ragueneau> Les vers de mes amis ! déchirés ! démembrés ! +<ragueneau> Pour en faire des sacs à mettre des croquantes +<ragueneau> Ah ! vous renouvelez Orphée et les bacchantes ! +<lise> /me sèchement +<lise> Et n'ai-je pas le droit d'utiliser vraiment +<lise> Ce que laissent ici, pour unique paiement, +<lise> Vos méchants écriveurs de lignes inégales ! +<ragueneau> Fourmi ! ... n'insulte pas ces divines cigales ! +<lise> Avant de fréquenter ces gens-là, mon ami, +<lise> Vous ne m'appeliez pas bacchante,--ni fourmi ! +<ragueneau> Avec des vers, faire cela ! ... +<lise> ... Pas autre chose. +<ragueneau> Que faites-vous, alors, madame, avec la prose ? + +<MASTER> Scène 2.II. +<MASTER> Les mêmes, deux enfants, qui viennent d'entrer dans la pâtisserie. +<enfant1> /join +<enfant2> /join +<ragueneau> Vous désirez, petits ? ... +<enfant1> ... Trois pâtés. ... +<ragueneau> /me les servant +<ragueneau> ... Là, bien roux +<ragueneau> Et bien chauds. ... +<enfant2> ... S'il vous plaît, enveloppez-les-nous ? +<ragueneau> /me saisi, à part +<ragueneau> Hélas ! un de mes sacs ! ... +<ragueneau> /me aux enfants +<ragueneau> ... Que je les enveloppe ? +<ragueneau> /me prend un sac et au moment d'y mettre les pâtés, il lit +<ragueneau> Tel Ulysse, le jour qu'il quitta Pénélope +<ragueneau> Pas celui-ci ! ... +<ragueneau> /me le met de côté et en prend un autre. Au moment d'y mettre les +<ragueneau> /me pâtés, il lit +<ragueneau> ... Le blond Phœbus... Pas celui-là ! +<ragueneau> /me même jeu. +<lise> /me impatientée +<lise> Eh bien ! qu'attendez-vous ? ... +<ragueneau> ... Voilà, voilà, voilà ! +<ragueneau> /me en prend un troisième et se résigne +<ragueneau> Le sonnet à Philis ! ... mais c'est dur tout de même ! +<lise> C'est heureux qu'il se soit décidé ! ... +<lise> /me haussant les épaules +<lise> ... Nicodème ! +<lise> /me monte sur une chaise et se met à ranger des plats sur une crédence. +<ragueneau> /me profitant de ce qu'elle tourne le dos, rappelle les enfants +<ragueneau> /me déjà à la porte +<ragueneau> Psit ! ... Petits ! ... Rendez-moi le sonnet à Philis, +<ragueneau> Au lieu de trois pâtés je vous en donne six. +<MASTER> Les enfants lui rendent le sac, prennent vivement les gâteaux et +<MASTER> sortent. +<enfant1> /part +<enfant2> /part +<MASTER> Ragueneau, défripant le papier, se met à lire en déclamant +<ragueneau> Philis ! ... Sur ce doux nom, une tache de beurre ! +<ragueneau> Philis ! ... +<cyrano> /join +<cyrano> /me entre brusquement. + +<MASTER> Scène 2.III. +<MASTER> Ragueneau, Lise, Cyrano, puis le mousquetaire. +<cyrano> ... Quelle heure est-il ? ... +<ragueneau> /me le saluant avec empressement +<ragueneau> ... Six heures. ... +<cyrano> /me avec émotion +<cyrano> ... Dans une heure ! +<cyrano> /me va et vient dans la boutique. +<ragueneau> /me le suivant +<ragueneau> Bravo ! J'ai vu ... +<cyrano> ... Quoi donc ! ... +<ragueneau> ... Votre combat ! ... +<cyrano> ... Lequel ? +<ragueneau> Celui de l'hôtel de Bourgogne ! ... +<cyrano> /me avec dédain +<cyrano> ... Ah ! ... Le duel ! +<ragueneau> /me admiratif +<ragueneau> Oui, le duel en vers ! ... +<lise> ... Il en a plein la bouche ! +<cyrano> Allons ! tant mieux ! ... +<ragueneau> /me se fendant avec une broche qu'il a saisi +<ragueneau> ... À la fin de l'envoi, je touche ! +<ragueneau> À la fin de l'envoi, je touche ! ... Que c'est beau ! +<ragueneau> /me avec un enthousiasme croissant +<ragueneau> À la fin de l'envoi ... +<cyrano> ... Quelle heure, Ragueneau ? +<ragueneau> /me restant fendu pour regarder l'horloge +<ragueneau> Six heures cinq ! ... je touche ! ... +<ragueneau> /me se relève +<ragueneau> ... Oh ! faire une ballade ! +<lise> /me à Cyrano, qui en passant devant son comptoir lui a serré +<lise> /me distraitement la main +<lise> Qu'avez-vous à la main ? ... +<cyrano> ... Rien. Une estafilade. +<ragueneau> Courûtes-vous quelque péril ? ... +<cyrano> ... Aucun péril. +<lise> /me le menaçant du doigt +<lise> Je crois que vous mentez ! ... +<cyrano> ... Mon nez remuerait-il ? +<cyrano> Il faudrait que ce fût pour un mensonge énorme ! +<cyrano> /me changeant de ton +<cyrano> J'attends ici quelqu'un. Si ce n'est pas sous l'orme, +<cyrano> Vous nous laisserez seuls. ... +<ragueneau> ... C'est que je ne peux pas; +<ragueneau> Mes rimeurs vont venir ... +<lise> /me ironique +<lise> ... Pour leur premier repas. +<cyrano> Tu les éloigneras quand je te ferai signe +<cyrano> L'heure ? ... +<ragueneau> ... Six heures dix. ... +<cyrano> /me s'asseyant nerveusement à la table de Ragueneau et prenant du +<cyrano> /me papier +<cyrano> ... Une plume ? ... +<ragueneau> /me lui offrant celle qu'il a à son oreille +<ragueneau> ... De cygne. +<mousquetaire> /join +<mousquetaire> /me superbement moustachu, entre et d'une voix de stentor +<mousquetaire> Salut ! ... +<lise> /me remonte vivement vers lui. +<cyrano> /me se retournant +<cyrano> ... Qu'est-ce ? ... +<ragueneau> ... Un ami de ma femme. Un guerrier +<ragueneau> Terrible,--à ce qu'il dit ! ... +<cyrano> /me reprenant la plume et éloignant du geste Ragueneau +<cyrano> ... Chut ! ... +<cyrano> ... Écrire,--plier,-- +<cyrano> /me à lui-même +<cyrano> Lui donner,--me sauver ... +<cyrano> /me jetant la plume +<cyrano> ... Lâche ! ... Mais que je meure, +<cyrano> Si j'ose lui parler, lui dire un seul mot ... +<cyrano> /me à Ragueneau +<cyrano> ... L'heure ? +<ragueneau> Six et quart ! ... +<cyrano> /me frappant sa poitrine +<cyrano> ... --un seul mot de tous ceux que j'ai là ! +<cyrano> Tandis qu'en écrivant ... +<cyrano> /me reprend la plume +<cyrano> ... Eh bien ! écrivons-la, +<cyrano> Cette lettre d'amour qu'en moi-même j'ai faite +<cyrano> Et refaite cent fois, de sorte qu'elle est prête, +<cyrano> Et que mettant mon âme à côté du papier, +<cyrano> Je n'ai tout simplement qu'à la recopier. +<cyrano> /me écrit. +<MASTER> Derrière le vitrage de la porte on voit s'agiter des +<MASTER> silhouettes maigres et hésitantes. + +<MASTER> Scène 2.IV. +<MASTER> Ragueneau, Lise, le mousquetaire, Cyrano, à la petite table, écrivant, +<MASTER> les poètes, vêtus de noir, les bas tombants, couverts de boue. +<lise> /me entrant, à Ragueneau +<lise> Les voici vos crottés ! ... +<poetes> /join +<poete1> /join +<poete1> /me entrant, à Ragueneau +<poete1> ... Confrère ! ... +<poete2> /join +<poete2> /me de même, lui secouant les mains +<poete2> ... Cher confrère ! +<poete3> /join +<poete3> Aigle des pâtissiers ! ... +<poete3> /me renifle +<poete3> ... Ça sent bon dans votre aire, +<poete4> /join +<poete4> O Phœbus-Rôtisseur ! ... +<poete5> /join +<poete5> ... Apollon maître-queux ! +<ragueneau> /me entouré, embrassé, secoué +<ragueneau> Comme on est tout de suite à son aise avec eux ! +<poete1> Nous fûmes retardés par la foule attroupée +<poete1> À la porte de Nesle ! ... +<poete2> ... Ouverts à coups d'épée, +<poete2> Huit malandrins sanglants illustraient les pavés ! +<cyrano> /me levant une seconde la tête +<cyrano> Huit ? ... Tiens, je croyais sept. ... +<cyrano> /me reprend sa lettre. +<ragueneau> /me à Cyrano +<ragueneau> ... Est-ce que vous savez +<ragueneau> Le héros du combat ? ... +<cyrano> /me négligemment +<cyrano> ... Moi ? ... Non ! ... +<lise> /me au mousquetaire +<lise> ... Et vous ? ... +<mousquetaire> /me se frisant la moustache +<mousquetaire> ... Peut-être ! +<cyrano> /me écrivant, à part,--on l'entend murmurer de temps en temps +<cyrano> Je vous aime ... +<poete1> ... Un seul homme, assurait-on, sut mettre +<poete1> Toute une bande en fuite ! ... +<poete2> ... Oh ! c'était curieux ! +<poete2> Des piques, des bâtons jonchaient le sol ! ... +<cyrano> /me écrivant +<cyrano> ... vos yeux +<poete3> On trouvait des chapeaux jusqu'au quai des Orfèvres ! +<poete1> Sapristi ! ce dut être un féroce ... +<cyrano> /me même jeu +<cyrano> ... vos lèvres +<poete1> Un terrible géant, l'auteur de ces exploits ! +<cyrano> /me même jeu +<cyrano> Et je m'évanouis de peur quand je vous vois. +<poete2> /me happant un gâteau +<poete2> Qu'as-tu rimé de neuf, Ragueneau ? ... +<cyrano> /me même jeu +<cyrano> ... qui vous aime +<cyrano> /me s'arrête au moment de signer, et se lève, mettant sa lettre dans +<cyrano> /me son pourpoint +<cyrano> Pas besoin de signer. Je la donne moi-même. +<ragueneau> /me au deuxième poète +<ragueneau> J'ai mis une recette en vers. ... +<poete3> /me s'installant près d'un plateau de choux à la crème +<poete3> ... Oyons ces vers ! +<poete4> /me regardant une brioche qu'il a prise +<poete4> Cette brioche a mis son bonnet de travers. +<poete4> /me la décoiffe d'un coup de dent. +<poete1> Ce pain d'épice suit le rimeur famélique, +<poete1> De ses yeux en amande aux sourcils d'angélique ! +<poete1> /me happe le morceau de pain d'épice. +<poete2> Nous écoutons. ... +<poete3> /me serrant légèrement un chou entre ses doigts +<poete3> ... Ce chou bave sa crème. Il rit. +<poete2> /me mordant à même la grande lyre de pâtisserie +<poete2> Pour la première fois la Lyre me nourrit ! +<ragueneau> /me qui s'est préparé à réciter, qui a toussé, assuré son bonnet, +<ragueneau> /me pris une pose +<ragueneau> Une recette en vers ... +<poete2> /me au premier, lui donnant un coup de coude +<poete2> ... Tu déjeunes ? ... +<poete1> /me au deuxième +<poete1> ... Tu dînes ! +<ragueneau> Comment on fait les tartelettes amandines. +<ragueneau> Battez, pour qu'ils soient mousseux, +<ragueneau> Quelques œufs; +<ragueneau> Incorporez à leur mousse +<ragueneau> Un jus de cédrat choisi; +<ragueneau> Versez-y +<ragueneau> Un bon lait d'amande douce; +<ragueneau> Mettez de la pâte à flan +<ragueneau> Dans le flanc +<ragueneau> De moules à tartelette; +<ragueneau> D'un doigt preste, abricotez +<ragueneau> Les côtés; +<ragueneau> Versez goutte à gouttelette +<ragueneau> Votre mousse en ces puits, puis +<ragueneau> Que ces puits +<ragueneau> Passent au four, et, blondines, +<ragueneau> Sortant en gais troupelets, +<ragueneau> Ce sont les +<ragueneau> Tartelettes amandines ! +<poetes> /me la bouche pleine +<poetes> Exquis ! Délicieux ! ... +<poete1> /me s'étouffant +<poete1> ... Homph ! ... +<MASTER> Ils remontent vers le fond, en mangeant. +<cyrano> /me qui a observé s'avance vers Ragueneau +<cyrano> ... Bercés par ta voix, +<cyrano> Ne vois-tu pas comme ils s'empiffrent ? ... +<ragueneau> /me plus bas, avec un sourire +<ragueneau> ... Je le vois +<ragueneau> Sans regarder, de peur que cela ne les trouble; +<ragueneau> Et dire ainsi mes vers me donne un plaisir double, +<ragueneau> Puisque je satisfais un doux faible que j'ai +<ragueneau> Tout en laissant manger ceux qui n'ont pas mangé ! +<cyrano> /me lui frappant sur l'épaule +<cyrano> Toi, tu me plais ! ... +<ragueneau> /me va rejoindre ses amis +<cyrano> /me le suit des yeux, puis, un peu brusquement +<cyrano> ... Hé là, Lise ? ... +<lise> /me en conversation tendre avec le mousquetaire, tressaille et +<lise> /me descend vers Cyrano +<cyrano> ... Ce capitaine +<cyrano> Vous assiège ? ... +<lise> /me offensée +<lise> ... Oh ! mes yeux, d'une œillade hautaine, +<lise> Savent vaincre quiconque attaque mes vertus. +<cyrano> Euh ! pour des yeux vainqueurs, je les trouve battus. +<lise> /me suffoquée +<lise> Mais ... +<cyrano> /me nettement +<cyrano> ... Ragueneau me plaît. C'est pourquoi, dame Lise, +<cyrano> Je défends que quelqu'un le ridicoculise. +<lise> Mais ... +<cyrano> /me qui a élevé la voix assez pour être entendu du galant +<cyrano> ... À bon entendeur ... +<cyrano> /me salue le mousquetaire, et va se mettre en observation, à la porte +<cyrano> /me du fond, après avoir regardé l'horloge. +<lise> /me au mousquetaire qui a simplement rendu son salut à Cyrano +<lise> ... Vraiment, vous m'étonnez ! +<lise> Répondez... sur son nez ... +<mousquetaire> ... Sur son nez... sur son nez +<mousquetaire> /me s'éloigne vivement +<mousquetaire> /part +<lise> /me le suit. +<lise> /part +<cyrano> /me de la porte du fond, faisant signe à Ragueneau d'emmener les +<cyrano> /me poètes +<cyrano> Psit ! ... +<ragueneau> /me montrant aux poètes la porte de droite +<ragueneau> ... Nous serons bien mieux par là ... +<cyrano> /me s'impatientant +<cyrano> ... Psit ! psit ! ... +<ragueneau> /me les entraînant +<ragueneau> ... Pour lire +<ragueneau> Des vers ... +<poete1> /me désespéré, la bouche pleine +<poete1> ... Mais les gâteaux ! ... +<poete2> ... Emportons-les ! ... +<poete1> /part +<poete2> /part +<poete3> /part +<poete4> /part +<poete5> /part +<poetes> /part +<ragueneau> /part +<MASTER> Ils sortent tous derrière Ragueneau, processionnellement, et après +<MASTER> avoir fait une rafle de plateaux. + +<MASTER> Scène 2.V. +<MASTER> Cyrano, Roxane, la duègne. +<cyrano> ... Je tire +<cyrano> Ma lettre si je sens seulement qu'il y a +<cyrano> Le moindre espoir ! ... +<MASTER> Roxane, masquée, suivie de la duègne, paraît derrière le vitrage. +<cyrano> /me ouvre vivement la porte +<cyrano> ... Entrez ! ... +<duegne> /join +<roxane> /join +<cyrano> /me marchant sur la duègne +<cyrano> ... Vous, deux mots, duègna ! +<duegne> Quatre. ... +<cyrano> ... Êtes-vous gourmande ? ... +<duegne> ... À m'en rendre malade. +<cyrano> /me prenant vivement des sacs de papier sur le comptoir +<cyrano> Bon. Voici deux sonnets de monsieur Benserade +<duegne> /me piteuse +<duegne> Heu ! ... +<cyrano> ... que je vous remplis de darioles. ... +<duegne> /me changeant de figure +<duegne> ... Hou ! +<cyrano> Aimez-vous le gâteau qu'on nomme petit chou ? +<duegne> /me avec dignité +<duegne> Monsieur, j'en fais état, lorsqu'il est à la crème. +<cyrano> J'en plonge six pour vous dans le sein d'un poème +<cyrano> De Saint-Amant ! Et dans ces vers de Chapelain +<cyrano> Je dépose un fragment, moins lourd, de poupelin. +<cyrano> --Ah ! Vous aimez les gâteaux frais ? ... +<duegne> ... J'en suis férue ! +<cyrano> /me lui chargeant les bras de sacs remplis +<cyrano> Veuillez aller manger tous ceux-ci dans la rue. +<duegne> Mais ... +<cyrano> /me la poussant dehors +<cyrano> ... Et ne revenez qu'après avoir fini ! +<cyrano> /me referme la porte, redescend vers Roxane, et s'arrête, découvert, +<cyrano> /me à une distance respectueuse. +<MASTER> Scène 2.VI. +<MASTER> Cyrano, Roxane, la duègne, un instant. +<cyrano> Que l'instant entre tous les instants soit béni, +<cyrano> Où, cessant d'oublier qu'humblement je respire +<cyrano> Vous venez jusqu'ici pour me dire... me dire ? +<roxane> /me qui s'est démasquée +<roxane> Mais tout d'abord merci, car ce drôle, ce fat +<roxane> Qu'au brave jeu d'épée, hier, vous avez fait mat, +<roxane> C'est lui qu'un grand seigneur... épris de moi ... +<cyrano> ... De Guiche ? +<roxane> /me baissant les yeux +<roxane> Cherchait à m'imposer... comme mari ... +<cyrano> ... Postiche ? +<cyrano> /me saluant +<cyrano> Je me suis donc battu, madame, et c'est tant mieux, +<cyrano> Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux. +<roxane> Puis... je voulais... Mais pour l'aveu que je viens faire, +<roxane> Il faut que je revoie en vous le... presque frère, +<roxane> Avec qui je jouais, dans le parc--près du lac ! +<cyrano> Oui... vous veniez tous les étés à Bergerac ! +<roxane> Les roseaux fournissaient le bois pour vos épées ? +<cyrano> Et les maïs, les cheveux blonds pour vos poupées ! +<roxane> C'était le temps des jeux ... +<cyrano> ... Des mûrons aigrelets +<roxane> Le temps où vous faisiez tout ce que je voulais ! +<cyrano> Roxane, en jupons courts, s'appelait Madeleine +<roxane> J'étais jolie, alors ? ... +<cyrano> ... Vous n'étiez pas vilaine. +<roxane> Parfois, la main en sang de quelque grimpement, +<roxane> Vous accouriez !--Alors, jouant à la maman, +<roxane> Je disais d'une voix qui tâchait d'être dure : +<roxane> /me lui prend la main +<roxane> 'Qu'est-ce que c'est encor que cette égratignure ?' +<roxane> /me s'arrête stupéfaite +<roxane> Oh ! C'est trop fort ! Et celle-ci ! ... +<cyrano> /me veut retirer sa main +<roxane> ... Non ! Montrez-la ! +<roxane> Hein ? à votre âge, encor !--Où t'es-tu fait cela ? +<cyrano> En jouant, du côté de la porte de Nesle. +<roxane> /me s'asseyant à une table, et trempant son mouchoir dans un verre +<roxane> /me d'eau +<roxane> Donnez ! ... +<cyrano> /me s'asseyant aussi +<cyrano> ... Si gentiment ! Si gaiement maternelle ! +<roxane> Et, dites-moi,--pendant que j'ôte un peu le sang,-- +<roxane> Ils étaient contre vous ? ... +<cyrano> ... Oh ! pas tout à fait cent. +<roxane> Racontez ! ... +<cyrano> ... Non. Laissez. Mais vous, dites la chose +<cyrano> Que vous n'osiez tantôt me dire ... +<roxane> /me sans quitter sa main +<roxane> ... À présent, j'ose, +<roxane> Car le passé m'encouragea de son parfum ! +<roxane> Oui, j'ose maintenant. Voilà. J'aime quelqu'un. +<cyrano> Ah ! ... +<roxane> ... Qui ne le sait pas d'ailleurs. ... +<cyrano> ... Ah ! ... +<roxane> ... Pas encore. +<cyrano> Ah ! ... +<roxane> ... Mais qui va bientôt le savoir, s'il l'ignore. +<cyrano> Ah ! ... +<roxane> ... Un pauvre garçon qui jusqu'ici m'aima +<roxane> Timidement, de loin, sans oser le dire ... +<cyrano> ... Ah ! +<roxane> Laissez-moi votre main, voyons, elle a la fièvre.-- +<roxane> Mais moi, j'ai vu trembler les aveux sur sa lèvre. +<cyrano> Ah ! ... +<roxane> /me achevant de lui faire un petit bandage avec son mouchoir +<roxane> ... Et figurez-vous, tenez, que, justement +<roxane> Oui, mon cousin, il sert dans votre régiment ! +<cyrano> Ah ! ... +<roxane> /me riant +<roxane> ... Puisqu'il est cadet dans votre compagnie ! +<cyrano> Ah ! ... +<roxane> ... Il a sur son front de l'esprit, du génie, +<roxane> Il est fier, noble, jeune, intrépide, beau ... +<cyrano> /me se levant tout pâle +<cyrano> ... Beau ! +<roxane> Quoi ? Qu'avez-vous ? ... +<cyrano> ... Moi, rien... C'est... c'est ... +<cyrano> /me montre sa main, avec un sourire +<cyrano> ... C'est ce bobo. +<roxane> Enfin, je l'aime. Il faut d'ailleurs que je vous die +<roxane> Que je ne l'ai jamais vu qu'à la Comédie +<cyrano> Vous ne vous êtes donc pas parlé ? ... +<roxane> ... Nos yeux seuls. +<cyrano> Mais comment savez-vous, alors ? ... +<roxane> ... Sous les tilleuls +<roxane> De la place Royale, on cause... Des bavardes +<roxane> M'ont renseignée ... +<cyrano> ... Il est cadet ? ... +<roxane> ... Cadet aux gardes. +<cyrano> Son nom ? ... +<roxane> ... Baron Christian de Neuvillette. ... +<cyrano> ... Hein ? +<cyrano> Il n'est pas aux cadets. ... +<roxane> ... Si, depuis ce matin : +<roxane> Capitaine Carbon de Castel-Jaloux. ... +<cyrano> ... Vite, +<cyrano> Vite, on lance son cœur ! ... Mais, ma pauvre petite +<duegne> /me ouvrant la porte du fond +<duegne> J'ai fini les gâteaux, monsieur de Bergerac ! +<cyrano> Eh bien ! lisez les vers imprimés sur le sac ! +<duegne> /me disparaît +<duegne> /part +<cyrano> Ma pauvre enfant, vous qui n'aimez que beau langage, +<cyrano> Bel esprit,--si c'était un profane, un sauvage. +<roxane> Non, il a les cheveux d'un héros de d'Urfé ! +<cyrano> S'il était aussi maldisant que bien coiffé ! +<roxane> Non, tous les mots qu'il dit sont fins, je le devine ! +<cyrano> Oui, tous les mots sont fins quand la moustache est fine. +<cyrano> --Mais si c'était un sot ! ... +<roxane> /me frappant du pied +<roxane> ... Eh bien ! j'en mourrais, là ! +<cyrano> /me après un temps +<cyrano> Vous m'avez fait venir pour me dire cela ? +<cyrano> Je n'en sens pas très bien l'utilité, madame. +<roxane> Ah, c'est que quelqu'un hier m'a mis la mort dans l'âme, +<roxane> Et me disant que tous, vous êtes tous Gascons +<roxane> Dans votre compagnie ... +<cyrano> ... Et que nous provoquons +<cyrano> Tous les blancs-becs qui, par faveur, se font admettre +<cyrano> Parmi les purs Gascons que nous sommes, sans l'être ? +<cyrano> C'est ce qu'on vous a dit ? ... +<roxane> ... Et vous pensez si j'ai +<roxane> Tremblé pour lui ! ... +<cyrano> /me entre ses dents +<cyrano> ... Non sans raison ! ... +<roxane> ... Mais j'ai songé +<roxane> Lorsque invincible et grand, hier, vous nous apparûtes, +<roxane> Châtiant ce coquin, tenant tête à ces brutes,-- +<roxane> J'ai songé : s'il voulait, lui que tous ils craindront +<cyrano> C'est bien, je défendrai votre petit baron. +<roxane> Oh ! n'est-ce pas que vous allez me le défendre ? +<roxane> J'ai toujours eu pour vous une amitié si tendre. +<cyrano> Oui, oui. ... +<roxane> ... Vous serez son ami ? ... +<cyrano> ... Je le serai. +<roxane> Et jamais il n'aura de duel ? ... +<cyrano> ... C'est juré. +<roxane> Oh ! je vous aime bien. Il faut que je m'en aille. +<roxane> /me remet vivement son masque, une dentelle sur son front, et, distraitement +<roxane> Mais vous ne m'avez pas raconté la bataille +<roxane> De cette nuit. Vraiment ce dut être inouï ! +<roxane> --Dites-lui qu'il m'écrive. ... +<roxane> /me lui envoie un petit baiser de la main +<roxane> ... Oh ! je vous aime ! ... +<cyrano> ... Oui, oui. +<roxane> Cent hommes contre vous ? Allons, adieu.--Nous sommes +<roxane> De grands amis ! ... +<cyrano> ... Oui, oui. ... +<roxane> ... Qu'il m'écrive !--Cent hommes !-- +<roxane> Vous me direz plus tard. Maintenant, je ne puis. +<roxane> Cent hommes ! Quel courage ! ... +<cyrano> /me la saluant +<cyrano> ... Oh ! j'ai fait mieux depuis. +<roxane> /me sort. +<roxane> /part +<cyrano> /me reste immobile, les yeux à terre. +<MASTER> Un silence. La porte de droite s'ouvre. Ragueneau passe sa tête. +<MASTER> Scène 2.VII. +<MASTER> Cyrano, Ragueneau, les poètes, Carbon de Castel-Jaloux, les cadets, la +<MASTER> foule, etc., puis De Guiche. +<ragueneau> /join +<ragueneau> Peut-on rentrer ? ... +<cyrano> /me sans bouger +<cyrano> ... Oui ... +<ragueneau> /me fait signe et ses amis rentrent. +<MASTER> En même temps, à la porte +<MASTER> du fond paraît Carbon de Castel-Jaloux, costume de capitaine aux +<MASTER> gardes, qui fait de grands gestes en apercevant Cyrano. +<carbon> /join +<carbon> ... Le voilà ! ... +<cyrano> /me levant la tête +<cyrano> ... Mon capitaine ! +<carbon> /me exultant +<carbon> Notre héros ! Nous savons tout ! Une trentaine +<carbon> De mes cadets sont là ! ... +<cyrano> /me reculant +<cyrano> ... Mais ... +<carbon> /me voulant l'entraîner +<carbon> ... Viens ! on veut te voir ! +<cyrano> Non ! ... +<carbon> ... Il boivent en face, à la Croix du Trahoir. +<cyrano> Je ... +<carbon> /me remontant à la porte, et criant à la cantonade, d'une voix de +<carbon> /me tonnerre +<carbon> ... Le héros refuse. Il est d'humeur bourrue ! +<voix> /join +<voix> /me au dehors +<voix> Ah ! Sandious ! ... +<voix> /part +<MASTER> Tumulte au dehors, bruit d'épées et de bottes qui se rapprochent. +<carbon> /me se frottant les mains +<carbon> ... Les voici qui traversent la rue ! +<cadets> /join +<cadet1> /join +<cadet2> /join +<cadet3> /join +<cadet4> /join +<cadet5> /join +<cadet6> /join +<cadet7> /join +<cadet8> /join +<cadets> /me entrant dans la rôtisserie +<cadets> Mille dious !--Capdedious !--Mordious !--Pocapdedious ! +<ragueneau> /me reculant épouvanté +<ragueneau> Messieurs, vous êtes donc tous de Gascogne ! ... +<cadets> ... Tous ! +<cadet1> /me à Cyrano +<cadet1> Bravo ! ... +<cyrano> ... Baron ! ... +<cadet2> /me lui secouant les mains +<cadet2> ... Vivat ! ... +<cyrano> ... Baron ! ... +<cadet3> ... Que je t'embrasse ! +<cyrano> Baron ! ... +<cadets> ... Embrassons-le ! ... +<cyrano> /me ne sachant auquel répondre +<cyrano> ... Baron ! ... baron ! ... de grâce +<ragueneau> Vous êtes tous barons, messieurs ? ... +<cadets> ... Tous ? ... +<ragueneau> ... Le sont-ils ? +<cadet1> On ferait une tour rien qu'avec nos tortils ! +<lebret> /join +<lebret> /me entrant, et courant à Cyrano +<lebret> On te cherche ! Une foule en délire conduite +<lebret> Par ceux qui cette nuit marchèrent à ta suite +<cyrano> /me épouvanté +<cyrano> Tu ne leur as pas dit où je me trouve ? ... +<lebret> /me se frottant les mains +<lebret> ... Si ! +<unbourgeois> /join +<unbourgeois> /me entrant suivi d'un groupe +<unbourgeois> Monsieur, tout le Marais se fait porter ici ! +<MASTER> Au dehors la rue s'est remplie de monde. Des chaises à porteurs, des +<MASTER> carrosses s'arrêtent. +<foule> /join +<lebret> /me bas, souriant, à Cyrano +<lebret> Et Roxane ? ... +<cyrano> /me vivement +<cyrano> ... Tais-toi ! ... +<foule> /me criant dehors +<foule> ... Cyrano ! ... +<MASTER> Une cohue se précipite dans la pâtisserie. Bousculade. Acclamations. +<ragueneau> /me debout sur une table +<ragueneau> ... Ma boutique +<ragueneau> Est envahie ! On casse tout ! C'est magnifique ! +<foule> /me autour de Cyrano +<foule> Mon ami... mon ami ... +<cyrano> ... Je n'avais pas hier +<cyrano> Tant d'amis ! ... +<lebret> /me ravi +<lebret> ... Le succès ! ... +<petitmarquis> /join +<petitmarquis> /me accourant, les mains tendues +<petitmarquis> ... Si tu savais, mon cher +<cyrano> Si tu ? ... Tu ? ... Qu'est-ce donc qu'ensemble nous gardâmes ? +<petitmarquis> /part +<petitmarquis2> /join +<petitmarquis2> Je veux vous présenter, Monsieur, à quelques dames +<petitmarquis2> Qui là, dans mon carrosse ... +<cyrano> /me froidement +<cyrano> ... Et vous d'abord, à moi, +<cyrano> Qui vous présentera ? ... +<petitmarquis2> /part +<lebret> /me stupéfait +<lebret> ... Mais qu'as-tu donc ? ... +<cyrano> ... Tais-toi ! +<renaudot> /join +<renaudot> /me avec une écritoire +<renaudot> Puis-je avoir des détails sur ? ... +<cyrano> ... Non. ... +<lebret> /me lui poussant le coude +<lebret> ... C'est Théophraste, +<lebret> Renaudot ! l'inventeur de la gazette. ... +<cyrano> ... Baste ! +<lebret> Cette feuille où l'on fait tant de choses tenir ! +<lebret> On dit que cette idée a beaucoup d'avenir ! +<renaudot> /part +<poete1> /join +<poete1> /me s'avançant +<poete1> Monsieur ... +<cyrano> ... Encor ! ... +<poete1> ... Je veux faire un pentacrostiche +<poete1> Sur votre nom ... +<quelquun> /join +<quelquun> /me s'avançant encore +<quelquun> ... Monsieur ... +<cyrano> ... Assez ! ... +<MASTER> Mouvement. On se range. De Guiche paraît, escorté d'officiers. Cuigy, +<MASTER> Brissaille, les officiers qui sont partis avec Cyrano à la fin du +<MASTER> premier acte. Cuigy vient vivement à Cyrano. +<deguiche> /join +<cuigy> /join +<brissaille> /join +<cuigy> /me à Cyrano +<cuigy> ... Monsieur de Guiche ! +<MASTER> Murmure. Tout le monde se range +<cuigy> Vient de la part du maréchal de Gassion ! +<deguiche> /me saluant Cyrano +<deguiche> Qui tient à vous mander son admiration +<deguiche> Pour le nouvel exploit dont le bruit vient de courre. +<foule> Bravo ! ... +<cyrano> /me s'inclinant +<cyrano> ... Le maréchal s'y connaît en bravoure. +<deguiche> Il n'aurait jamais cru le fait si ces messieurs +<deguiche> N'avaient pu lui jurer l'avoir vu. ... +<cuigy> ... De nos yeux ! +<lebret> /me bas à Cyrano, qui a l'air absent +<lebret> Mais ... +<cyrano> ... Tais-toi ! ... +<lebret> ... Tu parais souffrir ! ... +<cyrano> /me tressaillant et se redressant vivement +<cyrano> ... Devant ce monde ? +<MASTER> Sa moustache se hérisse; il poitrine +<cyrano> Moi souffrir ? ... Tu vas voir ! ... +<deguiche> /me auquel Cuigy a parlé à l'oreille +<deguiche> ... Votre carrière abonde +<deguiche> De beaux exploits, déjà.--Vous servez chez ces fous +<deguiche> De Gascons, n'est-ce pas ? ... +<cyrano> ... Aux cadets, oui. ... +<cadet4> /me d'une voix terrible +<cadet4> ... Chez nous ! +<deguiche> /me regardant les Gascons, rangés derrière Cyrano +<deguiche> Ah ! ah ! ... Tous ces messieurs à la mine hautaine, +<deguiche> Ce sont donc les fameux ? ... +<carbon> ... Cyrano ! ... +<cyrano> ... Capitaine ? +<carbon> Puisque ma compagnie est, je crois, au complet, +<carbon> Veuillez la présenter au comte, s'il vous plaît. +<cyrano> /me faisant deux pas vers De Guiche et montrant les cadets +<cyrano> Ce sont les cadets de Gascogne +<cyrano> De Carbon de Castel-Jaloux ! +<cyrano> Bretteurs et menteurs sans vergogne, +<cyrano> Ce sont les cadets de Gascogne ! +<cyrano> Parlant blason, lambel, bastogne, +<cyrano> Tous plus nobles que des filous, +<cyrano> Ce sont les cadets de Gascogne +<cyrano> De Carbon de Castel-Jaloux : +<cyrano> Œil d'aigle, jambe de cigogne, +<cyrano> Moustache de chat, dents de loups, +<cyrano> Fendant la canaille qui grogne, +<cyrano> Œil d'aigle, jambe de cigogne, +<cyrano> Ils vont,--coiffés d'un vieux vigogne +<cyrano> Dont la plume cache les trous !-- +<cyrano> Œil d'aigle, jambe de cigogne, +<cyrano> Moustache de chat, dents de loups ! +<cyrano> Perce-Bedaine et Casse-Trogne +<cyrano> Sont leurs sobriquets les plus doux; +<cyrano> De gloire, leur âme est ivrogne ! +<cyrano> Perce-Bedaine et Casse-Trogne, +<cyrano> Dans tous les endroits où l'on cogne +<cyrano> Ils se donnent des rendez-vous +<cyrano> Perce-Bedaine et Casse-Trogne +<cyrano> Sont leurs sobriquets les plus doux ! +<cyrano> Voici les cadets de Gascogne +<cyrano> Qui font cocus tous les jaloux ! +<cyrano> O femme, adorable carogne, +<cyrano> Voici les cadets de Gascogne ! +<cyrano> Que le vieil époux se renfrogne : +<cyrano> Sonnez, clairons ! chantez, coucous ! +<cyrano> Voici les cadets de Gascogne +<cyrano> Qui font cocus tous les jaloux ! +<deguiche> /me nonchalamment assis dans un fauteuil que Ragueneau a vite +<deguiche> /me apporté +<deguiche> Un poète est un luxe, aujourd'hui, qu'on se donne. +<deguiche> --Voulez-vous être à moi ? ... +<cyrano> ... Non, Monsieur, à personne. +<deguiche> Votre verve amusa mon oncle Richelieu, +<deguiche> Hier. Je veux vous servir auprès de lui. ... +<lebret> /me ébloui +<lebret> ... Grand Dieu ! +<deguiche> Vous avez bien rimé cinq actes, j'imagine ? +<lebret> /me à l'oreille de Cyrano +<lebret> Tu vas faire jouer, mon cher, ton Agrippine ! +<deguiche> Portez-les-lui. ... +<cyrano> /me tenté et un peu charmé +<cyrano> ... Vraiment ... +<deguiche> ... Il est des plus experts. +<deguiche> Il vous corrigera seulement quelques vers +<cyrano> /me dont le visage s'est immédiatement rembruni +<cyrano> Impossible, Monsieur; mon sang se coagule +<cyrano> En pensant qu'on y peut changer une virgule. +<deguiche> Mais quand un vers lui plaît, en revanche, mon cher, +<deguiche> Il le paye très cher. ... +<cyrano> ... Il le paye moins cher +<cyrano> Que moi, lorsque j'ai fait un vers, et que je l'aime, +<cyrano> Je me le paye, en me le chantant à moi-même ! +<deguiche> Vous êtes fier. ... +<cyrano> ... Vraiment, vous l'avez remarqué ? +<cadet5> /me entrant avec, enfilés à son épée, des chapeaux aux plumets +<cadet5> /me miteux, aux coiffes trouées, défoncées +<cadet5> Regarde, Cyrano ! ce matin, sur le quai +<cadet5> Le bizarre gibier à plumes que nous prîmes ! +<cadet5> Les feutres des fuyards ! ... +<carbon> ... Des dépouilles opimes ! +<cadets> /me riant +<cadets> Ah ! Ah ! Ah ! ... +<cuigy> ... Celui qui posta ces gueux, ma foi, +<cuigy> Doit rager aujourd'hui. ... +<brissaille> ... Sait-on qui c'est ? ... +<deguiche> ... C'est moi. +<MASTER> Les rires s'arrêtent +<deguiche> Je les avais chargés de châtier,--besogne +<deguiche> Qu'on ne fait pas soi-même,--un rimailleur ivrogne. +<MASTER> Silence gêné. +<cadet5> /me à mi-voix, à Cyrano, lui montrant les feutres +<cadet5> Que faut-il qu'on en fasse ? Ils sont gras... Un salmis ? +<cyrano> /me prenant l'épée où ils sont enfilés, et les faisant, dans un +<cyrano> /me salut, tous glisser aux pieds de De Guiche +<cyrano> Monsieur, si vous voulez les rendre à vos amis ? +<deguiche> /me se levant et d'une voix brève +<deguiche> Ma chaise et mes porteurs, tout de suite : je monte. +<deguiche> /me à Cyrano, violemment +<deguiche> Vous, Monsieur ! ... +<voix> /join +<voix> /me dans la rue, criant +<voix> ... Les porteurs de monseigneur le comte +<voix> De Guiche ! ... +<voix> /part +<deguiche> /me qui s'est dominé, avec un sourire +<deguiche> ... Avez-vous lu Don Quichot ? ... +<cyrano> ... Je l'ai lu. +<cyrano> Et me découvre au nom de cet hurluberlu. +<deguiche> Veuillez donc méditer alors ... +<porteur> /join +<porteur> /me paraissant au fond +<porteur> ... Voici la chaise. +<deguiche> Sur le chapitre des moulins ! ... +<cyrano> /me saluant +<cyrano> ... Chapitre treize. +<deguiche> Car, lorsqu'on les attaque, il arrive souvent +<cyrano> J'attaque donc des gens qui tournent à tout vent ? +<deguiche> Qu'un moulinet de leurs grands bras chargés de toiles +<deguiche> Vous lance dans la boue ! ... +<cyrano> ... Ou bien dans les étoiles ! +<MASTER> De Guiche sort. On le voit remonter en chaise. Les seigneurs +<MASTER> s'éloignent en chuchotant. Le Bret les réaccompagne. La foule sort. +<porteur> /part +<deguiche> /part +<lebret> /part +<cuigy> /part +<foule> /part +<quelquun> /part +<unbourgeois> /part +<brissaille> /part +<poete1> /part + +<MASTER> Scène 2.VIII. +<MASTER> Cyrano, Le Bret, les cadets, qui se sont attablés à droite et à gauche +<MASTER> et auxquels on sert à boire et à manger. +<cyrano> /me saluant d'un air goguenard ceux qui sortent sans oser le saluer +<cyrano> Messieurs... Messieurs... Messieurs ... +<lebret> /join +<lebret> /me désolé, redescendant, les bras au ciel +<lebret> ... Ah ! dans quels jolis draps. +<cyrano> Oh ! toi ! tu vas grogner ! ... +<lebret> ... Enfin, tu conviendras +<lebret> Qu'assassiner toujours la chance passagère, +<lebret> Devient exagéré. ... +<cyrano> ... Hé bien oui, j'exagère ! +<lebret> /me triomphant +<lebret> Ah ! ... +<cyrano> ... Mais pour le principe, et pour l'exemple aussi, +<cyrano> Je trouve qu'il est bon d'exagérer ainsi. +<lebret> Si tu laissais un peu ton âme mousquetaire, +<lebret> La fortune et la gloire ... +<cyrano> ... Et que faudrait-il faire ? +<cyrano> Chercher un protecteur puissant, prendre un patron, +<cyrano> Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc +<cyrano> Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce, +<cyrano> Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ? +<cyrano> Non, merci. Dédier, comme tous il le font, +<cyrano> Des vers aux financiers ? se changer en bouffon +<cyrano> Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre, +<cyrano> Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ? +<cyrano> Non, merci. Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ? +<cyrano> Avoir un ventre usé par la marche ? une peau +<cyrano> Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ? +<cyrano> Exécuter des tours de souplesse dorsale ? +<cyrano> Non, merci. D'une main flatter la chèvre au cou +<cyrano> Cependant que, de l'autre, on arrose le chou, +<cyrano> Et, donneur de séné par désir de rhubarbe, +<cyrano> Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ? +<cyrano> Non, merci ! Se pousser de giron en giron, +<cyrano> Devenir un petit grand homme dans un rond, +<cyrano> Et naviguer, avec des madrigaux pour rames, +<cyrano> Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ? +<cyrano> Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy +<cyrano> Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci ! +<cyrano> S'aller faire nommer pape par les conciles +<cyrano> Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ? +<cyrano> Non, merci ! Travailler à se construire un nom +<cyrano> Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non, +<cyrano> Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ? +<cyrano> Être terrorisé par de vagues gazettes, +<cyrano> Et se dire sans cesse : "Oh, pourvu que je sois +<cyrano> Dans les petits papiers du Mercure François ?" +<cyrano> Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême, +<cyrano> Aimer mieux faire une visite qu'un poème, +<cyrano> Rédiger des placets, se faire présenter ? +<cyrano> Non, merci ! non, merci ! non, merci ! Mais... chanter, +<cyrano> Rêver, rire, passer, être seul, être libre, +<cyrano> Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre, +<cyrano> Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers, +<cyrano> Pour un oui, pour un non, se battre,--ou faire un vers ! +<cyrano> Travailler sans souci de gloire ou de fortune, +<cyrano> À tel voyage, auquel on pense, dans la lune ! +<cyrano> N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît, +<cyrano> Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit, +<cyrano> Soit satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles, +<cyrano> Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles ! +<cyrano> Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard, +<cyrano> Ne pas être obligé d'en rien rendre à César, +<cyrano> Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite, +<cyrano> Bref, dédaignant d'être le lierre parasite, +<cyrano> Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul, +<cyrano> Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! +<lebret> Tout seul, soit ! Mais non pas contre tous ! Comment diable +<lebret> As-tu donc contracté la manie effroyable +<lebret> De te faire toujours, partout, des ennemis ? +<cyrano> À force de vous voir vous faire des amis, +<cyrano> Et rire à ces amis dont vous avez des foules, +<cyrano> D'une bouche empruntée au derrière des poules ! +<cyrano> J'aime raréfier sur mes pas les saluts, +<cyrano> Et m'écrie avec joie : un ennemi de plus ! +<lebret> Quelle aberration ! ... +<cyrano> ... Eh bien, oui, c'est mon vice. +<cyrano> Déplaire est mon plaisir. J'aime qu'on me haïsse. +<cyrano> Mon cher, si tu savais comme l'on marche mieux +<cyrano> Sous la pistolétade excitante des yeux ! +<cyrano> Comme, sur les pourpoints, font d'amusantes taches +<cyrano> Le fiel des envieux et la bave des lâches ! +<cyrano> --Vous, la molle amitié dont vous vous entourez, +<cyrano> Ressemble à ces grands cols d'Italie, ajourés +<cyrano> Et flottants, dans lesquels votre cou s'effémine : +<cyrano> On y est plus à l'aise... et de moins haute mine, +<cyrano> Car le front n'ayant pas de maintien ni de loi, +<cyrano> S'abandonne à pencher dans tous les sens. Mais moi, +<cyrano> La Haine, chaque jour, me tuyaute et m'apprête +<cyrano> La fraise dont l'empois force à lever la tête; +<cyrano> Chaque ennemi de plus est un nouveau godron +<cyrano> Qui m'ajoute une gêne, et m'ajoute un rayon : +<cyrano> Car, pareille en tous points à la fraise espagnole, +<cyrano> La Haine est un carcan, mais c'est une auréole ! +<lebret> /me après un silence, passant son bras sous le sien +<lebret> Fais tout haut l'orgueilleux et l'amer, mais, tout bas +<lebret> Dis-moi tout simplement qu'elle ne t'aime pas ! +<lebret> /part +<cyrano> /me vivement +<cyrano> Tais-toi ! ... +<christian> /join +<MASTER> Depuis un moment, Christian est entré, s'est mêlé aux cadets; ceux-ci +<MASTER> ne lui adressent pas la parole; il a fini par s'asseoir seul à une +<MASTER> petite table, où Lise le sert. + +<MASTER> Scène 2.IX. +<MASTER> Cyrano, Le Bret, les cadets, Christian de Neuvillette. +<cadet6> /me assis à une table du fond, le verre en main +<cadet6> ... Hé ! Cyrano ! ... +<cyrano> /me se retourne +<cadet6> ... Le récit ? ... +<cyrano> ... Tout à l'heure ! +<cyrano> /me remonte au bras de Le Bret. Ils causent bas. +<cadet6> /me se levant, et descendant +<cadet6> Le récit du combat ! Ce sera la meilleure +<cadet6> Leçon ... +<cadet6> /me s'arrête devant la table où est Christian +<cadet6> ... pour ce timide apprentif ! ... +<christian> /me levant la tête +<christian> ... Apprentif ? +<cadet7> Oui, septentrional maladif ! ... +<christian> ... Maladif ? +<cadet6> /me goguenard +<cadet6> Monsieur de Neuvillette, apprenez quelque chose : +<cadet6> C'est qu'il est un objet, chez nous, dont on ne cause +<cadet6> Pas plus que de cordon dans l'hôtel d'un pendu ! +<christian> Qu'est-ce ? ... +<cadet7> /me d'une voix terrible +<cadet7> ... Regardez-moi ! ... +<cadet7> /me pose trois fois, mystérieusement, son doigt sur son nez +<cadet7> ... M'avez-vous entendu ? +<christian> Ah ! c'est le ... +<cadet8> ... Chut ! ... jamais ce mot ne se profère ! +<cadet8> /me montre Cyrano qui cause au fond avec Le Bret. +<cadet8> Ou c'est à lui, là-bas, que l'on aurait affaire ! +<cadet8> /me qui, pendant qu'il était tourné vers les premiers, est venu +<cadet8> /me sans bruit s'asseoir sur la table, dans son dos +<cadet8> Deux nasillards par lui furent exterminés +<cadet8> Parce qu'il lui déplut qu'ils parlassent du nez ! +<cadet8> /me d'une voix caverneuse,--surgissant de sous la table où il +<cadet8> /me s'est glissé à quatre pattes +<cadet8> On ne peut faire, sans défuncter avant l'âge, +<cadet8> La moindre allusion au fatal cartilage ! +<cadet8> /me lui posant la main sur l'épaule +<cadet8> Un mot suffit ! Que dis-je, un mot ? Un geste, un seul ! +<cadet8> Et tirer son mouchoir, c'est tirer son linceul ! +<MASTER> Silence. Tous autour de lui, les bras croisés, le regardent. Il se +<MASTER> lève et va à Carbon de Castel-Jaloux qui, causant avec un officier, a +<MASTER> l'air de ne rien voir. +<christian> Capitaine ! ... +<carbon> /me se retournant et le toisant +<carbon> ... Monsieur ? ... +<christian> ... Que fait-on quand on trouve +<christian> Des Méridionaux trop vantards ? ... +<carbon> ... On leur prouve +<carbon> Qu'on peut être du Nord, et courageux. ... +<carbon> /me lui tourne le dos. +<christian> ... Merci. +<cadet6> /me à Cyrano +<cadet6> Maintenant, ton récit ! ... +<cadets> ... Son récit ! ... +<cyrano> /me redescendant vers eux +<cyrano> ... Mon récit ? +<MASTER> Tous rapprochent leurs escabeaux, se groupent autour de lui, tendent +<MASTER> le col. Christian s'est mis à cheval sur une chaise +<cyrano> Eh bien ! donc je marchais tout seul, à leur rencontre. +<cyrano> La lune, dans le ciel, luisait comme une montre, +<cyrano> Quand soudain, je ne sais quel soigneux horloger +<cyrano> S'étant mis à passer un coton nuager +<cyrano> Sur le boîtier d'argent de cette montre ronde, +<cyrano> Il se fit une nuit la plus noire du monde, +<cyrano> Et les quais n'étant pas du tout illuminés, +<cyrano> Mordious ! on n'y voyait pas plus loin ... +<christian> ... Que son nez. +<MASTER> Silence. Tous le monde se lève lentement. On regarde Cyrano avec +<MASTER> terreur. Celui-ci s'est interrompu, stupéfait. Attente. +<cyrano> Qu'est-ce que c'est que cet homme-là ? ... +<cadet8> /me à mi-voix +<cadet8> ... C'est un homme +<cadet8> Arrivé ce matin. ... +<cyrano> /me faisant un pas vers Christian +<cyrano> ... Ce matin ? ... +<carbon> /me à mi-voix +<carbon> ... Il se nomme +<carbon> Le baron de Neuvil ... +<cyrano> /me vivement, s'arrêtant +<cyrano> ... Ah ! C'est bien ... +<cyrano> /me pâlit, rougit, a encore un mouvement pour se jeter sur Christian +<cyrano> ... Je ... +<MASTER> Puis, il se domine, et dit d'une voix sourde +<cyrano> ... Très bien +<cyrano> /me reprend +<cyrano> Je disais donc ... +<cyrano> /me avec un éclat de rage dans la voix +<cyrano> ... Mordious ! ... +<cyrano> /me continue d'un ton naturel +<cyrano> ... que l'on n'y voyait rien. +<MASTER> Stupeur. On se rassied en se regardant +<cyrano> Et je marchais, songeant que pour un gueux fort mince +<cyrano> J'allais mécontenter quelque grand, quelque prince, +<cyrano> Qui m'aurait sûrement ... +<christian> ... Dans le nez ! ... +<MASTER> Tout le monde se lève. +<christian> /me se balance sur sa chaise. +<cyrano> /me d'une voix étranglée +<cyrano> ... Une dent,-- +<cyrano> Qui m'aurait une dent... et qu'en somme, imprudent, +<cyrano> J'allais fourrer ... +<christian> ... Le nez ... +<cyrano> ... Le doigt... entre l'écorce +<cyrano> Et l'arbre, car ce grand pouvait être de force +<cyrano> À me faire donner ... +<christian> ... Sur le nez ... +<cyrano> /me essuyant la sueur à son front +<cyrano> ... Sur les doigts. +<cyrano> --Mais j'ajoutai : Marche, Gascon, fais ce que dois ! +<cyrano> Va, Cyrano ! Et ce disant, je me hasarde, +<cyrano> Quand, dans l'ombre, quelqu'un me porte ... +<christian> ... Une nasarde. +<cyrano> Je la pare, et soudain me trouve ... +<christian> ... Nez à nez +<cyrano> /me bondissant vers lui +<cyrano> Ventre-Saint-Gris ! ... +<MASTER> Tous les Gascons se précipitent pour voir, arrivé sur Christian, +<MASTER> il se maîtrise et continue +<cyrano> ... avec cent braillards avinés +<cyrano> Qui puaient ... +<christian> ... À plein nez ... +<cyrano> /me blême et souriant +<cyrano> ... L'oignon et la litharge ! +<cyrano> Je bondis, front baissé ... +<christian> ... Nez au vent ! ... +<cyrano> ... et je charge ! +<cyrano> J'en estomaque deux ! J'en empale un tout vif ! +<cyrano> Quelqu'un m'ajuste : Paf ! et je riposte ... +<christian> ... Pif ! +<cyrano> /me éclatant +<cyrano> Tonnerre ! Sortez tous ! ... +<MASTER> Tous les cadets se précipitent vers les portes. +<cadet7> /part +<cadet8> ... C'est le réveil du tigre ! +<cadet8> /part +<cyrano> Tous ! Et laissez-moi seul avec cet homme ! ... +<cadet1> ... Bigre ! +<cadet1> On va le retrouver en hachis ! ... +<cadet1> /part +<ragueneau> ... En hachis ? +<cadet2> Dans un de vos pâtés ! ... +<cadet2> /part +<ragueneau> ... Je sens que je blanchis, +<ragueneau> Et que je m'amollis comme une serviette ! +<ragueneau> /part +<carbon> Sortons ! ... +<carbon> /part +<cadet3> ... Il n'en va pas laisser une miette ! +<cadet4> /part +<cadet3> Ce qui va se passer ici, j'en meurs d'effroi ! +<cadet5> /part +<cadet3> /me refermant la porte de droite +<cadet6> /part +<cadet3> Quelque chose d'épouvantable ! ... +<cadet3> /part +<cadets> /part +<MASTER> Ils sont tous sortis,--soit par le fond, soit par les +<MASTER> côtés,--quelques-uns ont disparu par l'escalier. Cyrano et Christian +<MASTER> restent face à face, et se regardent un moment. +<MASTER> Scène 2.X. +<MASTER> Cyrano, Christian. +<cyrano> ... Embrasse-moi ! +<christian> Monsieur ... +<cyrano> ... Brave. ... +<christian> ... Ah ça ! mais ! ... +<cyrano> ... Très brave. Je préfère. +<christian> Me direz-vous ? ... +<cyrano> ... Embrasse-moi. Je suis son frère. +<christian> De qui ? ... +<cyrano> ... Mais d'elle ! ... +<christian> ... Hein ? ... +<cyrano> ... Mais de Roxane ! ... +<christian> /me courant à lui +<christian> ... Ciel ! +<christian> Vous, son frère ? ... +<cyrano> ... Ou tout comme : un cousin fraternel. +<christian> Elle vous a ? ... +<cyrano> ... Tout dit ! ... +<christian> ... M'aime-t-elle ? ... +<cyrano> ... Peut-être ! +<christian> /me lui prenant les mains +<christian> Comme je suis heureux, Monsieur, de vous connaître ! +<cyrano> Voilà ce qui s'appelle un sentiment soudain. +<christian> Pardonnez-moi ... +<cyrano> /me le regardant, et lui mettant la main sur l'épaule +<cyrano> ... C'est vrai qu'il est beau, le gredin ! +<christian> Si vous saviez, Monsieur, comme je vous admire ! +<cyrano> Mais tous ces nez que vous m'avez ... +<christian> ... Je les retire ! +<cyrano> Roxane attend ce soir une lettre ... +<christian> ... Hélas ! ... +<cyrano> ... Quoi ? +<christian> C'est me perdre que de cesser de rester coi ! +<cyrano> Comment ? ... +<christian> ... Las ! je suis sot à m'en tuer de honte ! +<cyrano> Mais non, tu ne l'es pas, puisque tu t'en rends compte. +<cyrano> D'ailleurs, tu ne m'as pas attaqué comme un sot. +<christian> Bah ! on trouve des mots quand on monte à l'assaut ! +<christian> Oui, j'ai certain esprit facile et militaire, +<christian> Mais je ne sais, devant les femmes, que me taire. +<christian> Oh ! leurs yeux, quand je passe, ont pour moi des bontés +<cyrano> Leurs cœurs n'en ont-ils plus quand vous vous arrêtez ? +<christian> Non ! car je suis de ceux,--je le sais... et je tremble !-- +<christian> Qui ne savent parler d'amour. ... +<cyrano> ... Tiens ! ... Il me semble +<cyrano> Que si l'on eût pris soin de me mieux modeler, +<cyrano> J'aurais été de ceux qui savent en parler. +<christian> Oh ! pouvoir exprimer les choses avec grâce ! +<cyrano> Être un joli petit mousquetaire qui passe ! +<christian> Roxane est précieuse et sûrement je vais +<christian> Désillusionner Roxane ! ... +<cyrano> /me regardant Christian +<cyrano> ... Si j'avais +<cyrano> Pour exprime mon âme un pareil interprète ! +<christian> /me avec désespoir +<christian> Il me faudrait de l'éloquence ! ... +<cyrano> /me brusquement +<cyrano> ... Je t'en prête ! +<cyrano> Toi, du charme physique et vainqueur, prête-m'en : +<cyrano> Et faisons à nous deux un héros de roman ! +<christian> Quoi ? ... +<cyrano> ... Te sens-tu de force à répéter les choses +<cyrano> Que chaque jour je t'apprendrai ? ... +<christian> ... Tu me proposes ? +<cyrano> Roxane n'aura pas de désillusions ! +<cyrano> Dis, veux-tu qu'à nous deux nous la séduisions ? +<cyrano> Veux-tu sentir passer, de mon pourpoint de buffle +<cyrano> Dans ton pourpoint brodé, l'âme que je t'insuffle ! +<christian> Mais, Cyrano ! ... +<cyrano> ... Christian, veux-tu ? ... +<christian> ... Tu me fais peur ! +<cyrano> Puisque tu crains, tout seul, de refroidir son cœur, +<cyrano> Veux-tu que nous fassions--et bientôt tu l'embrases !-- +<cyrano> Collaborer un peu tes lèvres et mes phrases ? +<christian> Tes yeux brillent ! ... +<cyrano> ... Veux-tu ? ... +<christian> ... Quoi ! cela te ferait +<christian> Tant de plaisir ? ... +<cyrano> /me avec enivrement +<cyrano> ... Cela ... +<cyrano> /me se reprenant, et en artiste +<cyrano> ... Cela m'amuserait ! +<cyrano> C'est une expérience à tenter un poète. +<cyrano> Veux-tu me compléter et que je te complète ? +<cyrano> Tu marcheras, j'irai dans l'ombre à ton côté : +<cyrano> Je serai ton esprit, tu seras ma beauté. +<christian> Mais la lettre qu'il faut, au plus tôt, lui remettre ! +<christian> Je ne pourrai jamais ... +<cyrano> /me sortant de son pourpoint la lettre qu'il a écrite +<cyrano> ... Tiens, la voilà, ta lettre ! +<christian> Comment ? ... +<cyrano> ... Hormis l'adresse, il n'y manque plus rien. +<christian> Je ... +<cyrano> ... Tu peux l'envoyer. Sois tranquille. Elle est bien. +<christian> Vous aviez ? ... +<cyrano> ... Nous avons toujours, nous, dans nos poches, +<cyrano> Des épîtres à des Chloris... de nos caboches, +<cyrano> Car nous sommes ceux-là qui pour amante n'ont +<cyrano> Que du rêve soufflé dans la bulle d'un nom ! +<cyrano> Prends, et tu changeras en vérités ces feintes; +<cyrano> Je lançais au hasard ces aveux et ces plaintes : +<cyrano> Tu verras se poser tous ces oiseaux errants. +<cyrano> Tu verras que je fus dans cette lettre--prends !-- +<cyrano> D'autant plus éloquent que j'étais moins sincère ! +<cyrano> --Prends donc, et finissons ! ... +<christian> ... N'est-il pas nécessaire +<christian> De changer quelques mots ? Écrite en divaguant, +<christian> Ira-t-elle à Roxane ? ... +<cyrano> ... Elle ira comme un gant ! +<christian> Mais ... +<cyrano> ... La crédulité de l'amour-propre est telle, +<cyrano> Que Roxane croira que c'est écrit pour elle ! +<christian> Ah ! mon ami ! ... +<christian> /me se jette dans les bras de Cyrano. Ils restent embrassés. +<MASTER> Scène 2.XI. +<MASTER> Cyrano, Christian, les Gascons, le mousquetaire, Lise. +<cadet2> /join +<cadet2> /me entr'ouvrant la porte +<cadet2> ... Plus rien... Un silence de mort +<cadet2> Je n'ose regarder ... +<cadet2> /me passe la tête +<cadet2> ... Hein ? ... +<cadets> /join +<cadets> /me entrant et voyant Cyrano et Christian qui s'embrassent +<cadets> ... Ah ! ... Oh ! ... +<cadet3> /join +<cadet3> ... C'est trop fort ! +<MASTER> Consternation. +<mousquetaire> /join +<mousquetaire> /me goguenard +<mousquetaire> Ouais ? ... +<carbon> /join +<carbon> ... Notre démon est doux comme un apôtre ! +<carbon> Quand sur une narine on le frappe,--il tend l'autre ! +<mousquetaire> On peut donc lui parler de son nez, maintenant ? +<mousquetaire> /me appelant Lise, d'un air triomphant +<mousquetaire> --Eh ! Lise ! Tu vas voir ! ... +<mousquetaire> /me humant l'air avec affectation +<mousquetaire> ... Oh ! ... oh ! ... c'est surprenant ! +<mousquetaire> Quelle odeur ! ... +<mousquetaire> /me allant à Cyrano, dont il regarde le nez avec impertinence +<mousquetaire> ... Mais monsieur doit l'avoir reniflée ? +<mousquetaire> Qu'est-ce que cela sent ici ? ... +<cyrano> /me le souffletant +<cyrano> ... La giroflée ! +<MASTER> Joie. Les cadets ont retrouvé Cyrano : ils font des culbutes. +<cadet2> /part +<cadet3> /part +<cadets> /part +<carbon> /part +<mousquetaire> /part +<cyrano> /part +<christian> /part +<MASTER> Rideau. + + +<MASTER> Acte III. +<MASTER> Le Baiser de Roxane. +<MASTER> Une petite place dans l'ancien Marais. Vieille maisons. Perspectives +<MASTER> de ruelles. À droite, la maison de Roxane et le mur de son jardin que +<MASTER> débordent de larges feuillages. Au-dessus de la porte, fenêtre et +<MASTER> balcon. Un banc devant le seuil. +<MASTER> Du lierre grimpe au mur, du jasmin enguirlande le balcon, frissonne et +<MASTER> retombe. +<MASTER> Par le banc et les pierres en saillie du mur, on peut facilement grimper +<MASTER> au balcon. +<MASTER> En face, une ancienne maison de même style, brique et pierre, avec une +<MASTER> porte d'entrée. Le heurtoir de cette porte est emmailloté de linge comme +<MASTER> un pouce malade. +<MASTER> Au lever du rideau, la duègne est assise sur le banc. La fenêtre est +<MASTER> grande ouverte sur le balcon de Roxane. +<MASTER> Près de la duègne se tient debout Ragueneau, vêtu d'une sorte de livrée : +<MASTER> il termine un récit, en s'essuyant les yeux. +<MASTER> Scène 3.I. +<MASTER> Ragueneau, la duègne, puis Roxane, Cyrano, et deux pages. +<ragueneau> /join +<duegne> /join +<ragueneau> Et puis, elle est partie avec un mousquetaire ! +<ragueneau> Seul, ruiné, je me pends. J'avais quitté la terre. +<ragueneau> Monsieur de Bergerac entre, et, me dépendant, +<ragueneau> Me vient à sa cousine offrir comme intendant. +<duegne> Mais comment expliquer cette ruine où vous êtes ? +<ragueneau> Lise aimait les guerriers, et j'aimais les poètes ! +<ragueneau> Mars mangeait les gâteaux qui laissait Apollon : +<ragueneau> --Alors, vous comprenez, cela ne fut pas long ! +<duegne> /me se levant et appelant vers la fenêtre ouverte +<duegne> Roxane, êtes-vous prête ? ... On nous attend ! ... +<roxane> /join +<roxane> /me par la fenêtre +<roxane> ... Je passe +<roxane> Une mante ! ... +<duegne> /me à Ragueneau, lui montrant la porte d'en face +<duegne> ... C'est là qu'on nous attend, en face. +<duegne> Chez Clomire. Elle tient bureau, dans son réduit. +<duegne> On y lit un discours sur le Tendre, aujourd'hui. +<ragueneau> Sur le Tendre ? ... +<duegne> /me minaudant +<duegne> ... Mais oui ! ... +<duegne> /me criant vers la fenêtre +<duegne> ... Roxane, il faut descendre, +<duegne> Ou nous allons manquer le discours sur le Tendre ! +<roxane> Je viens ! ... +<MASTER> On entend un bruit d'instruments à cordes qui se rapproche. +<MASTER> chantant dans la coulisse +<cyrano> /join +<cyrano> ... La ! la ! la ! la ! ... +<duegne> /me surprise +<duegne> ... On nous joue un morceau ? +<cyrano> /me suivi de deux pages porteurs de théorbes +<page1> /join +<page2> /join +<cyrano> Je vous dis que la croche est triple, triple sot ! +<page1> /me ironique +<page1> Vous savez donc, Monsieur, si les croches sont triples ? +<cyrano> Je suis musicien, comme tous les disciples +<cyrano> De Gassendi ! ... +<page1> /me jouant et chantant +<page1> ... La ! la ! ... +<cyrano> /me lui arrachant le théorbe et continuant la phrase musicale +<cyrano> ... Je peux continuer ! +<cyrano> La ! la ! la ! la ! ... +<roxane> /me paraissant sur le balcon +<roxane> ... C'est vous ? ... +<cyrano> /me chantant sur l'air qu'il continue +<cyrano> ... Moi qui viens saluer +<cyrano> Vos lys, et présenter mes respects à vos roses ! +<roxane> Je descends ! ... +<roxane> /me quitte le balcon. +<roxane> /part +<duegne> /me montrant les pages +<duegne> ... Qu'est-ce donc que ces deux virtuoses ? +<cyrano> C'est un pari que j'ai gagné sur d'Assoucy. +<cyrano> Nous discutions un point de grammaire.--Non !--Si !-- +<cyrano> Quand soudain me montrant ces deux grands escogriffes +<cyrano> Habiles à gratter les cordes de leurs griffes, +<cyrano> Et dont il fait toujours son escorte, il me dit : +<cyrano> "Je te parie un jour de musique !" Il perdit. +<cyrano> Jusqu'à ce que Phœbus recommence son orbe, +<cyrano> J'ai donc sur mes talons ces joueurs de théorbe, +<cyrano> De tout ce que je fais harmonieux témoins ! +<cyrano> Ce fut d'abord charmant, et ce l'est déjà moins. +<cyrano> /me aux musiciens +<cyrano> Hep ! ... Allez de ma part jouer une pavane +<cyrano> À Montfleury ! ... +<MASTER> Les pages remontent pour sortir. +<page1> /part +<page2> /part +<cyrano> /me à la duègne +<cyrano> ... Je viens demander à Roxane +<cyrano> Ainsi que chaque soir ... +<cyrano> /me aux pages qui sortent +<cyrano> ... Jouez longtemps,--et faux ! +<cyrano> /me à la duègne +<cyrano> Si l'ami de son âme est toujours sans défauts ? +<roxane> /join +<roxane> /me sortant de la maison +<roxane> Ah ! qu'il est beau, qu'il a d'esprit, et que je l'aime ! +<cyrano> /me souriant +<cyrano> Christian a tant d'esprit ? ... +<roxane> ... Mon cher, plus que vous-même ! +<cyrano> J'y consens. ... +<roxane> ... Il ne peut exister à mon goût +<roxane> Plus fin diseur de ces jolis riens qui sont tout. +<roxane> Parfois il est distrait, ses Muses sont absentes; +<roxane> Puis, tout à coup, il dit des choses ravissantes ! +<cyrano> /me incrédule +<cyrano> Non ? ... +<roxane> ... C'est trop fort ! Voilà comme les hommes sont : +<roxane> Il n'aura pas d'esprit puisqu'il est beau garçon ! +<cyrano> Il sait parler du cœur d'une façon experte ? +<roxane> Mais il n'en parle pas, Monsieur, il en disserte ! +<cyrano> Il écrit ? ... +<roxane> ... Mieux encor ! Écoutez donc un peu : +<roxane> /me déclamant +<roxane> Plus tu me prends de cœur, plus j'en ai ! ... +<roxane> /me triomphante, à Cyrano +<roxane> ... Hé ! bien ? ... +<cyrano> ... Peuh ! +<roxane> Et ceci : Pour souffrir, puisqu'il m'en faut un autre, +<roxane> Si vous gardez mon cœur, envoyez-moi le vôtre ! +<cyrano> Tantôt il en a trop et tantôt pas assez. +<cyrano> Qu'est-ce au juste qu'il veut, de cœur ? ... +<roxane> /me frappant du pied +<roxane> ... Vous m'agacez ! +<roxane> C'est la jalousi' ... +<cyrano> /me tressaillant +<cyrano> ... Hein ! ... +<roxane> ... d'auteur qui vous dévore ! +<roxane> --Et ceci, n'est-il pas du dernier tendre encore ? +<roxane> Croyez que devers vous mon cœur ne fait qu'un cri, +<roxane> Et que si les baisers s'envoyaient par écrit, +<roxane> Madame, vous liriez ma lettre avec les lèvres ! +<cyrano> /me souriant malgré lui de satisfaction +<cyrano> Ha ! ha ! ces lignes-là sont... hé ! hé ! ... +<cyrano> /me se reprenant et avec dédain +<cyrano> ... mais bien mièvres ! +<roxane> Et ceci ... +<cyrano> /me ravi +<cyrano> ... Vous savez donc ses lettres par cœur ? +<roxane> Toutes ! ... +<cyrano> /me frisant sa moustache +<cyrano> ... Il n'y a pas à dire : c'est flatteur ! +<roxane> C'est un maître ! ... +<cyrano> /me modeste +<cyrano> ... Oh ! ... un maître ! ... +<roxane> /me péremptoire +<roxane> ... Un maître ! ... +<cyrano> /me saluant +<cyrano> ... Soit ! ... un maître ! +<duegne> /me qui était remontée, redescendant vivement +<duegne> Monsieur de Guiche ! ... +<duegne> /me à Cyrano, le poussant vers la maison +<duegne> ... Entrez ! ... car il vaut mieux, peut-être, +<duegne> Qu'il ne vous trouve pas ici; cela pourrait +<duegne> Le mettre sur la piste ... +<roxane> /me à Cyrano +<roxane> ... Oui, de mon cher secret ! +<roxane> Il m'aime, il est puissant, il ne faut pas qu'il sache ! +<roxane> Il peut dans mes amours donner un coup de hache ! +<cyrano> /me entrant dans la maison +<cyrano> Bien ! bien ! bien ! ... +<cyrano> /part +<ragueneau> /part +<MASTER> De Guiche paraît. +<deguiche> /join + +<MASTER> Scène 3.II. +<MASTER> Roxane, De Guiche, la duègne, à l'écart. +<roxane> /me à De Guiche, lui faisant une révérence +<roxane> ... Je sortais. ... +<deguiche> ... Je viens prendre congé. +<roxane> Vous partez ? ... +<deguiche> ... Pour la guerre. ... +<roxane> ... Ah ! ... +<deguiche> ... Ce soir même. ... +<roxane> ... Ah ! ... +<deguiche> ... J'ai +<deguiche> Des ordres. On assiège Arras. ... +<roxane> ... Ah... on assiège ? +<deguiche> Oui... Mon départ a l'air de vous laisser de neige. +<roxane> /me poliment +<roxane> Oh ! ... +<deguiche> ... Moi, je suis navré. Vous reverrai-je ? ... Quand ? +<deguiche> --Vous savez que je suis nommé mestre de camp ? +<roxane> /me indifférente +<roxane> Bravo. ... +<deguiche> ... Du régiment des gardes. ... +<roxane> /me saisie +<roxane> ... Ah ? des gardes ? +<deguiche> Où sert votre cousin, l'homme aux phrases vantardes. +<deguiche> Je saurai me venger de lui, là-bas. ... +<roxane> /me suffoquée +<roxane> ... Comment ! +<roxane> Les gardes vont là-bas ? ... +<deguiche> /me riant +<deguiche> ... Tiens ! c'est mon régiment ! +<roxane> /me tombant assise sur le banc,--à part +<roxane> Christian ! ... +<deguiche> ... Qu'avez-vous ? ... +<roxane> /me toute émue +<roxane> ... Ce... départ... me désespère ! +<roxane> Quand on tient à quelqu'un, le savoir à la guerre ! +<deguiche> /me surpris et charmé +<deguiche> Pour la première fois me dire un mot si doux, +<deguiche> Le jour de mon départ ! ... +<roxane> /me changeant de ton et s'éventant +<roxane> ... Alors,--vous allez vous +<roxane> Venger de mon cousin ? ... +<deguiche> /me souriant +<deguiche> ... On est pour lui ? ... +<roxane> ... Non,--contre ! +<deguiche> Vous le voyez ? ... +<roxane> ... Très peu. ... +<deguiche> ... Partout on le rencontre +<deguiche> Avec un des cadets ... +<deguiche> /me cherche le nom +<deguiche> ... ce Neu... villen... viller +<roxane> Un grand ? ... +<deguiche> ... Blond. ... +<roxane> ... Roux. ... +<deguiche> ... Beau ! ... +<roxane> ... Peuh ! ... +<deguiche> ... Mais bête. ... +<roxane> ... Il en a l'air ! +<roxane> /me changeant de ton +<roxane> Votre vengeance envers Cyrano ?--c'est peut-être +<roxane> De l'exposer au feu, qu'il adore ? ... Elle est piètre ! +<roxane> Je sais bien, moi, ce qui lui serait sanglant ! ... +<deguiche> ... C'est ? +<roxane> Mais, si le régiment, en partant, le laissait +<roxane> Avec ses chers cadets, pendant toute la guerre, +<roxane> À Paris, bras croisés ! ... C'est la seule manière, +<roxane> Un homme comme lui, de le faire enrager : +<roxane> Vous voulez le punir ? privez-le de danger. +<deguiche> Une femme ! une femme ! il n'y a qu'une femme +<deguiche> Pour inventer ce tour ! ... +<roxane> ... Il se rongera l'âme, +<roxane> Et ses amis les poings, de n'être pas au feu : +<roxane> Et vous serez vengé ! ... +<deguiche> /me se rapprochant +<deguiche> ... Vous m'aimez donc un peu ? +<roxane> /me sourit +<deguiche> Je veux voir dans ce fait d'épouser ma rancune +<deguiche> Une preuve d'amour, Roxane ! ... +<roxane> ... C'en est une. +<deguiche> /me montrant plusieurs plis cachetés +<deguiche> J'ai les ordres sur moi qui vont être transmis +<deguiche> À chaque compagnie, a l'instant mêm', hormis +<deguiche> /me en détache un +<deguiche> Celui-ci ! C'est celui des cadets. ... +<deguiche> /me le met dans sa poche +<deguiche> ... Je le garde. +<deguiche> /me riant +<deguiche> Ah ! ah ! ah ! Cyrano ! ... Son humeur bataillarde ! +<deguiche> --Vous jouez donc des tours aux gens, vous ? ... +<roxane> /me le regardant +<roxane> ... Quelquefois. +<deguiche> /me tout près d'elle +<deguiche> Vous m'affolez ! Ce soir--écoutez--oui, je dois +<deguiche> Être parti. Mais fuir quand je vous sens émue ! +<deguiche> Écoutez. Il y a, près d'ici, dans la rue +<deguiche> D'Orléans, un couvent fondé par le syndic +<deguiche> Des capucins, le Père Athanase. Un laïc +<deguiche> N'y peut entrer. Mais les bons Pères, je m'en charge ! +<deguiche> Il peuvent me cacher dans leur manche : elle est large. +<deguiche> --Ce sont les capucins qui servent Richelieu +<deguiche> Chez lui; redoutant l'oncle, ils craignent le neveu. +<deguiche> --On me croira parti. Je viendrai sous le masque. +<deguiche> Laissez-moi retarder d'un jour, chère fantasque ! +<roxane> /me vivement +<roxane> Mais si cela s'apprend, votre gloire ... +<deguiche> ... Bah ! ... +<roxane> ... Mais +<roxane> Le siège, Arras ... +<deguiche> ... Tant pis ! Permettez ! ... +<roxane> ... Non ! ... +<deguiche> ... Permets ! +<roxane> /me tendrement +<roxane> Je dois vous le défendre ! ... +<deguiche> ... Ah ! ... +<roxane> ... Partez ! ... +<roxane> /me à part +<roxane> ... Christian reste. +<roxane> /me haut +<roxane> Je vous veux héroïque,--Antoine ! ... +<deguiche> ... Mot céleste ! +<deguiche> Vous aimez donc celui ? ... +<roxane> ... Pour lequel j'ai frémi. +<deguiche> /me transporté de joie +<deguiche> Ah ! je pars ! ... +<deguiche> /me lui baise la main +<deguiche> ... Êtes-vous contente ? ... +<roxane> ... Oui, mon ami ! +<deguiche> /me sort. +<deguiche> /part +<duegne> /me lui faisant dans le dos une révérence comique +<duegne> Oui, mon ami ! ... +<roxane> /me à la duègne +<roxane> ... Taisons ce que je viens de faire : +<roxane> Cyrano m'en voudrait de lui voler sa guerre ! +<roxane> /me appelle vers la maison +<roxane> Cousin ! ... +<cyrano> /join + +<MASTER> Scène 3.III. +<MASTER> Roxane, la duègne, Cyrano. +<roxane> ... Nous allons chez Clomire. ... +<roxane> /me désigne la porte d'en face +<roxane> ... Alcandre y doit +<roxane> Parler, et Lysimon ! ... +<duegne> /me mettant son petit doigt dans son oreille +<duegne> ... Oui ! mais mon petit doigt +<duegne> Dit qu'on va les manquer ! ... +<cyrano> /me à Roxane +<cyrano> ... Ne manquez pas ces singes. +<MASTER> Ils sont arrivés devant la porte de Clomire. +<duegne> /me avec ravissement +<duegne> Oh, voyez ! le heurtoir est entouré de linges ! +<duegne> /me au heurtoir +<duegne> On vous a bâillonné pour que votre métal +<duegne> Ne troublât pas les beaux discours,--petit brutal ! +<duegne> /me le soulève avec des soins infinis et frappe doucement. +<roxane> /me voyant qu'on ouvre +<roxane> Entrons ! ... +<roxane> /me du seuil, à Cyrano +<roxane> ... Si Christian vient, comme je le présume, +<roxane> Qu'il m'attende ! ... +<duegne> /part +<cyrano> /me vivement, comme elle va disparaître +<cyrano> ... Ah ! ... +<roxane> /me se retourne +<cyrano> ... Sur quoi, selon votre coutume, +<cyrano> Comptez-vous aujourd'hui l'interroger ! ... +<roxane> ... Sur +<cyrano> /me vivement +<cyrano> Sur ? ... +<roxane> ... Mais vous serez muet, là-dessus ! ... +<cyrano> ... Comme un mur. +<roxane> Sur rien ! ... Je vais lui dire : Allez ! Partez sans bride ! +<roxane> Improvisez. Parlez d'amour. Soyez splendide ! +<cyrano> /me souriant +<cyrano> Bon. ... +<roxane> ... Chut ! ... +<cyrano> ... Chut ! ... +<roxane> ... Pas un mot ! ... +<roxane> /me rentre et referme la porte. +<cyrano> /me la saluant, la porte une fois fermée +<cyrano> ... En vous remerciant. +<MASTER> La porte se rouvre et Roxane passe la tête. +<roxane> Il se préparerait ! ... +<cyrano> ... Diable, non ! ... +<cyrano> /me avec Roxane +<cyrano> ... Chut ! ... +<MASTER> La porte se ferme. +<roxane> /part +<cyrano> /me appelant +<cyrano> ... Christian ! + +<MASTER> Scène 3.IV. +<MASTER> Cyrano, Christian. +<christian> /join +<cyrano> Je sais tout ce qu'il faut. Prépare ta mémoire. +<cyrano> Voici l'occasion de se couvrir de gloire. +<cyrano> Ne perdons pas de temps. Ne prends pas l'air grognon. +<cyrano> Vite, rentrons chez toi, je vais t'apprendre ... +<christian> ... Non ! +<cyrano> Hein ? ... +<christian> ... Non ! J'attends Roxane ici. ... +<cyrano> ... De quel vertige +<cyrano> Es-tu frappé ? Viens vite apprendre ... +<christian> ... Non, te dis-je ! +<christian> Je suis las d'emprunter mes lettres, mes discours, +<christian> Et de jouer ce rôle, et de trembler toujours ! +<christian> C'était bon au début ! Mais je sens qu'elle m'aime ! +<christian> Merci. Je n'ai plus peur. Je vais parler moi-même. +<cyrano> Ouais ! ... +<christian> ... Et qui te dit que je ne saurais pas ? +<christian> Je ne suis pas si bête à la fin ! Tu verras ! +<christian> Mais, mon cher, tes leçons m'ont été profitables. +<christian> Je saurai parler seul ! Et, de par tous les diables, +<christian> Je saurai bien toujours la prendre dans mes bras ! +<christian> /me apercevant Roxane, qui ressort de chez Clomire +<christian> --C'est elle ! Cyrano, non, ne me quitte pas ! +<cyrano> /me le saluant +<cyrano> Parlez tout seul, Monsieur. ... +<cyrano> /me disparaît derrière le mur du jardin. + +<MASTER> Scène 3.V. +<MASTER> Christian, Roxane, quelques précieux et précieuses, et la duègne, +<MASTER> un instant. +<roxane> /join +<roxane> /me sortant de la maison de Clomire avec une compagnie qu'elle +<roxane> /me quitte : révérences et saluts +<roxane> ... Barthénoïde !--Alcandre ! +<roxane> --Grémione ! ... +<duegne> /join +<duegne> /me désespérée +<duegne> ... On a manqué le discours sur le Tendre ! +<duegne> /me rentre chez Roxane. +<roxane> /me saluant encore +<roxane> Urimédonte ! ... Adieu ! ... +<MASTER> Tous saluent Roxane, se resaluent entre eux, se séparent et +<MASTER> s'éloignent par différentes rues. Roxane voit Christian +<roxane> ... C'est vous ! ... +<roxane> /me va à lui +<roxane> ... Le soir descend. +<roxane> Attendez. Ils sont loin. L'air est doux. Nul passant. +<roxane> Asseyons-nous. Parlez. J'écoute. ... +<christian> /me s'assied près d'elle, sur le banc. Un silence +<christian> ... Je vous aime. +<roxane> /me fermant les yeux +<roxane> Oui, parlez-moi d'amour. ... +<christian> ... Je t'aime. ... +<roxane> ... C'est le thème. +<roxane> Brodez, brodez. ... +<christian> ... Je vous ... +<roxane> ... Brodez ! ... +<christian> ... Je t'aime tant. +<roxane> Sans doute ! Et puis ? ... +<christian> ... Et puis... je serais si content +<christian> Si vous m'aimiez !--Dis-moi, Roxane, que tu m'aimes ! +<roxane> /me avec une moue +<roxane> Vous m'offrez du brouet quand j'espérais des crèmes ! +<roxane> Dites un peu comment vous m'aimez ? ... +<christian> ... Mais... beaucoup. +<roxane> Oh ! ... Délabyrinthez vos sentiments ! ... +<christian> /me qui s'est rapproché et dévore des yeux la nuque blonde +<christian> ... Ton cou ! +<christian> Je voudrais l'embrasser ! ... +<roxane> ... Christian ! ... +<christian> ... Je t'aime ! ... +<roxane> /me voulant se lever +<roxane> ... Encore ! +<christian> /me vivement, la retenant +<christian> Non ! je ne t'aime pas ! ... +<roxane> /me se rasseyant +<roxane> ... C'est heureux ! ... +<christian> ... Je t'adore ! +<roxane> /me se levant et s'éloignant +<roxane> Oh ! ... +<christian> ... Oui... je deviens sot ! ... +<roxane> /me sèchement +<roxane> ... Et cela me déplaît ! +<roxane> Comme il me déplairait que vous devinssiez laid. +<christian> Mais ... +<roxane> ... Allez rassembler votre éloquence en fuite ! +<christian> Je ... +<roxane> ... Vous m'aimez, je sais. Adieu. ... +<roxane> /me va vers la maison. +<christian> ... Pas tout de suite ! +<christian> Je vous dirai ... +<roxane> /me poussant la porte pour rentrer +<roxane> ... Que vous m'adorez... oui, je sais. +<roxane> Non ! Non ! Allez-vous-en ! ... +<christian> ... Mais je ... +<christian> /me lui ferme la porte au nez. +<cyrano> /me qui depuis un moment est rentré sans être vu +<cyrano> ... C'est un succès. + +<MASTER> Scène 3.VI. +<MASTER> Christian, Cyrano, les pages, un instant. +<christian> Au secours ! ... +<cyrano> ... Non monsieur. ... +<christian> ... Je meurs si je ne rentre +<christian> En grâce, à l'instant même ... +<cyrano> ... Et comment puis-je, diantre ! +<cyrano> Vous faire à l'instant même, apprendre ? ... +<christian> /me lui saisissant le bras +<christian> ... Oh ! là, tiens, vois ! +<MASTER> La fenêtre du balcon s'est éclairée +<cyrano> /me ému +<cyrano> Sa fenêtre ! ... +<christian> /me criant +<christian> ... Je vais mourir ! ... +<cyrano> ... Baissez la voix ! +<christian> /me tout bas +<christian> Mourir ! ... +<cyrano> ... La nuit est noire ... +<christian> ... Eh ! bien ? ... +<cyrano> ... C'est réparable. +<cyrano> Vous ne méritez pas... Mets-toi là, misérable ! +<cyrano> Là, devant le balcon ! Je me mettrai dessous +<cyrano> Et je te soufflerai tes mots. ... +<christian> ... Mais ... +<cyrano> ... Taisez-vous ! +<page1> /join +<page2> /join +<page1> /me reparaissant au fond, à Cyrano +<page1> Hep ! ... +<cyrano> ... Chut ! ... +<cyrano> /me leur fait signe de parler bas. +<page1> /me à mi-voix +<page1> ... Nous venons de donner la sérénade +<page1> À Montfleury ! ... +<cyrano> /me bas, vite +<cyrano> ... Allez-vous mettre en embuscade +<cyrano> L'un à ce coin de rue, et l'autre à celui-ci; +<cyrano> Et si quelque passant gênant vient par ici, +<cyrano> Jouez un air ! ... +<page2> ... Quel air, monsieur le gassendiste ? +<cyrano> Joyeux pour une femme, et pour un homme, triste ! +<MASTER> Les pages disparaissent, un à chaque coin de rue. +<page1> /part +<page2> /part +<cyrano> /me À Christian +<cyrano> Appelle-la ! ... +<christian> ... Roxane ! ... +<cyrano> /me ramassant des cailloux qu'il jette dans les vitres +<cyrano> ... Attends ! Quelques cailloux. + +<MASTER> Scène VII. +<MASTER> Roxane, Christian, Cyrano, d'abord caché sous le balcon. +<roxane> /me entr'ouvrant sa fenêtre +<roxane> Qui donc m'appelle ? ... +<christian> ... Moi. ... +<roxane> ... Qui, moi ? ... +<christian> ... Christian. ... +<roxane> /me avec dédain +<roxane> ... C'est vous ? +<christian> Je voudrais vous parler. ... +<cyrano> /me sous le balcon, à Christian +<cyrano> ... Bien. Bien. Presque à voix basse. +<roxane> Non ! Vous parlez trop mal. Allez-vous-en ! ... +<christian> ... De grâce ! +<roxane> Non ! Vous ne m'aimez plus ! ... +<christian> /me à qui Cyrano souffle ses mots +<christian> ... M'accuser,--justes dieux !-- +<christian> De n'aimer plus... quand... j'aime plus ! ... +<roxane> /me qui allait refermer sa fenêtre, s'arrêtant +<roxane> ... Tiens ! mais c'est mieux ! +<christian> /me même jeu +<christian> L'amour grandit bercé dans mon âme inquiète +<christian> Que ce... cruel marmot prit pour... barcelonnette ! +<roxane> /me s'avançant sur le balcon +<roxane> C'est mieux !--Mais, puisqu'il est cruel, vous fûtes sot +<roxane> De ne pas, cet amour, l'étouffer au berceau ! +<christian> /me même jeu +<christian> Aussi l'ai-je tenté, mais... tentative nulle : +<christian> Ce nouveau-né, Madame, est un petit Hercule. +<roxane> C'est mieux ! ... +<christian> /me même jeu +<christian> ... De sorte qu'il... strangula comme rien +<christian> Les deux serpents... Orgueil et... Doute. ... +<roxane> /me s'accoudant au balcon +<roxane> ... Ah ! c'est très bien. +<roxane> --Mais pourquoi parlez-vous de façon peu hâtive ? +<roxane> Auriez-vous donc la goutte à l'imaginative ? +<cyrano> /me tirant Christian sous le balcon, et se glissant à sa place +<cyrano> Chut ! Cela devient trop difficile ! ... +<roxane> ... Aujourd'hui +<roxane> Vos mots sont hésitants. Pourquoi ? ... +<cyrano> /me parlant à mi-voix, comme Christian +<cyrano> ... C'est qu'il fait nuit, +<cyrano> Dans cette ombre, à tâtons, ils cherchent votre oreille. +<roxane> Les miens n'éprouvent pas difficulté pareille. +<cyrano> Ils trouvent tout de suite ? Oh ! cela va de soi, +<cyrano> Puisque c'est dans mon cœur, eux, que je les reçois; +<cyrano> Or, moi, j'ai le cœur grand, vous, l'oreille petite. +<cyrano> D'ailleurs vos mots à vous, descendent : ils vont vite. +<cyrano> Les miens montent, Madame : il leur faut plus de temps ! +<roxane> Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants. +<cyrano> De cette gymnastique, ils ont pris l'habitude ! +<roxane> Je vous parle, en effet, d'une vraie altitude ! +<cyrano> Certes, et vous me tueriez si de cette hauteur +<cyrano> Vous me laissiez tomber un mot dur sur le cœur ! +<roxane> /me avec un mouvement +<roxane> Je descends. ... +<cyrano> /me vivement +<cyrano> ... Non ! ... +<roxane> /me lui montrant le banc qui est sous le balcon +<roxane> ... Grimpez sur le banc, alors, vite ! +<cyrano> /me reculant avec effroi dans la nuit +<cyrano> Non ! ... +<roxane> ... Comment... non ? ... +<cyrano> /me que l'émotion gagne de plus en plus +<cyrano> ... Laissez un peu que l'on profite +<cyrano> De cette occasion qui s'offre... de pouvoir +<cyrano> Se parler doucement, sans se voir. ... +<roxane> ... Sans se voir ? +<cyrano> Mais oui, c'est adorable. On se devine à peine. +<cyrano> Vous voyez la noirceur d'un long manteau qui traîne, +<cyrano> J'aperçois la blancheur d'une robe d'été : +<cyrano> Moi je ne suis qu'une ombre, et vous qu'une clarté ! +<cyrano> Vous ignorez pour moi ce que sont ces minutes ! +<cyrano> Si quelquefois je fus éloquent ... +<roxane> ... Vous le fûtes ! +<cyrano> Mon langage jamais jusqu'ici n'est sorti +<cyrano> De mon vrai cœur ... +<roxane> ... Pourquoi ? ... +<cyrano> ... Parce que... jusqu'ici +<cyrano> Je parlais à travers ... +<roxane> ... Quoi ? ... +<cyrano> ... le vertige où tremble +<cyrano> Quiconque est sous vos yeux ! ... Mais, ce soir, il me semble +<cyrano> Que je vais vous parler pour la première fois ! +<roxane> C'est vrai que vous avez une tout autre voix. +<cyrano> /me se rapprochant avec fièvre +<cyrano> Oui, tout autre, car dans la nuit qui me protège +<cyrano> J'ose être enfin moi-même, et j'ose ... +<cyrano> /me s'arrête et avec égarement +<cyrano> ... Où en étais-je ? +<cyrano> Je ne sais... tout ceci,--pardonnez mon émoi,-- +<cyrano> C'est si délicieux, c'est si nouveau pour moi ! +<roxane> Si nouveau ? ... +<cyrano> /me bouleversé, et essayant toujours de rattraper ses mots +<cyrano> ... Si nouveau... mais oui... d'être sincère : +<cyrano> La peur d'être raillé, toujours au cœur me serre +<roxane> Raillé de quoi ? ... +<cyrano> ... Mais de... d'un élan ! ... Oui, mon cœur +<cyrano> Toujours, de mon esprit s'habille, par pudeur : +<cyrano> Je pars pour décrocher l'étoile, et je m'arrête +<cyrano> Par peur du ridicule, à cueillir la fleurette ! +<roxane> La fleurette a du bon. ... +<cyrano> ... Ce soir, dédaignons-la ! +<roxane> Vous ne m'aviez jamais parlé comme cela ! +<cyrano> Ah ! si loin des carquois, des torches et des flèches, +<cyrano> On se sauvait un peu vers des choses... plus fraîches ! +<cyrano> Au lieu de boire goutte à goutte, en un mignon +<cyrano> Dé à coudre d'or fin, l'eau fade du Lignon, +<cyrano> Si l'on tentait de voir comment l'âme s'abreuve +<cyrano> En buvant largement à même le grand fleuve ! +<roxane> Mais l'esprit ? ... +<cyrano> ... J'en ai fait pour vous faire rester +<cyrano> D'abord, mais maintenant ce serait insulter +<cyrano> Cette nuit, ces parfums, cette heure, la Nature, +<cyrano> Que de parler comme un billet doux de Voiture ! +<cyrano> --Laissons, d'un seul regard de ses astres, le ciel +<cyrano> Nous désarmer de tout notre artificiel : +<cyrano> Je crains tant que parmi notre alchimie exquise +<cyrano> Le vrai du sentiment ne se volatilise, +<cyrano> Que l'âme ne se vide à ces passe-temps vains, +<cyrano> Et que le fin du fin ne soit la fin des fins ! +<roxane> Mais l'esprit ? ... +<cyrano> ... Je le hais dans l'amour ! C'est un crime +<cyrano> Lorsqu'on aime de trop prolonger cette escrime ! +<cyrano> Le moment vient d'ailleurs inévitablement, +<cyrano> --Et je plains ceux pour qui ne vient pas ce moment !-- +<cyrano> Où nous sentons qu'en nous une amour noble existe +<cyrano> Que chaque joli mot que nous disons rend triste ! +<roxane> Eh bien ! si ce moment est venu pour nous deux, +<roxane> Quels mots me direz-vous ? ... +<cyrano> ... Tous ceux, tous ceux, tous ceux +<cyrano> Qui me viendront, je vais vous les jeter, en touffe, +<cyrano> Sans les mettre en bouquet : je vous aime, j'étouffe, +<cyrano> Je t'aime, je suis fou, je n'en peux plus, c'est trop; +<cyrano> Ton nom est dans mon cœur comme dans un grelot, +<cyrano> Et comme tout le temps, Roxane, je frissonne, +<cyrano> Tout le temps, le grelot s'agite, et le nom sonne ! +<cyrano> De toi, je me souviens de tout, j'ai tout aimé : +<cyrano> Je sais que l'an dernier, un jour, le douze mai, +<cyrano> Pour sortir le matin tu changeas de coiffure ! +<cyrano> J'ai tellement pris pour clarté ta chevelure +<cyrano> Que, comme lorsqu'on a trop fixé le soleil, +<cyrano> On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil, +<cyrano> Sur tout, quand j'ai quitté les feux dont tu m'inondes, +<cyrano> Mon regard ébloui pose des taches blondes ! +<roxane> /me d'une voix troublée +<roxane> Oui, c'est bien de l'amour ... +<cyrano> ... Certes, ce sentiment +<cyrano> Qui m'envahit, terrible et jaloux, c'est vraiment +<cyrano> De l'amour, il en a toute la fureur triste ! +<cyrano> De l'amour,--et pourtant il n'est pas égoïste ! +<cyrano> Ah ! que pour ton bonheur je donnerais le mien, +<cyrano> Quand même tu devrais n'en savoir jamais rien, +<cyrano> S'il se pouvait, parfois, que de loin, j'entendisse +<cyrano> Rire un peu le bonheur né de mon sacrifice ! +<cyrano> --Chaque regard de toi suscite une vertu +<cyrano> Nouvelle, une vaillance en moi ! Commences-tu +<cyrano> À comprendre, à présent ? voyons, te rends-tu compte ? +<cyrano> Sens-tu mon âme, un peu, dans cette ombre, qui monte ? +<cyrano> Oh ! mais vraiment, ce soir, c'est trop beau, c'est trop doux ! +<cyrano> Je vous dis tout cela, vous m'écoutez, moi, vous ! +<cyrano> C'est trop ! Dans mon espoir même le moins modeste, +<cyrano> Je n'ai jamais espéré tant ! Il ne me reste +<cyrano> Qu'à mourir maintenant ! C'est à cause des mots +<cyrano> Que je dis qu'elle tremble entre les bleus rameaux ! +<cyrano> Car vous tremblez, comme une feuille entre les feuilles ! +<cyrano> Car tu trembles ! car j'ai senti, que tu le veuilles +<cyrano> Ou non, le tremblement adoré de ta main +<cyrano> Descendre tout le long des branches du jasmin ! +<cyrano> /me baise éperdument l'extrémité d'une branche pendante. +<roxane> Oui, je tremble, et je pleure, et je t'aime, et suis tienne ! +<roxane> Et tu m'as enivrée ! ... +<cyrano> ... Alors, que la mort vienne ! +<cyrano> Cette ivresse, c'est moi, moi, qui l'ai su causer ! +<cyrano> Je ne demande plus qu'une chose ... +<christian> /me sous le balcon +<christian> ... Un baiser ! +<roxane> /me se rejetant en arrière +<roxane> Hein ? ... +<cyrano> ... Oh ! ... +<roxane> ... Vous demandez ? ... +<cyrano> ... Oui... je ... +<cyrano> /me à Christian bas +<cyrano> ... Tu vas trop vite. +<christian> Puisqu'elle est si troublée, il faut que j'en profite ! +<cyrano> /me à Roxane +<cyrano> Oui, je... j'ai demandé, c'est vrai... mais justes cieux ! +<cyrano> Je comprends que je fus bien trop audacieux. +<roxane> /me un peu déçue +<roxane> Vous n'insistez pas plus que cela ? ... +<cyrano> ... Si ! j'insiste +<cyrano> Sans insister ! ... Oui, oui ! votre pudeur s'attriste ! +<cyrano> Eh bien ! mais, ce baiser... ne me l'accordez pas ! +<christian> /me à Cyrano, le tirant par son manteau +<christian> Pourquoi ? ... +<cyrano> ... Tais-toi, Christian ! ... +<roxane> /me se penchant +<roxane> ... Que dites-vous tout bas ? +<cyrano> Mais d'être allé trop loin, moi-même je me gronde; +<cyrano> Je me disais : tais toi, Christian ! ... +<MASTER> Les théorbes se mettent à jouer +<cyrano> ... Une seconde ! +<cyrano> On vient ! ... +<MASTER> Roxane referme la fenêtre. Cyrano écoute les théorbes, dont l'un joue +<MASTER> un air folâtre et l'autre un air lugubre +<cyrano> ... Air triste ? Air gai ? ... Quel est donc leur dessein ? +<cyrano> Est-ce un homme ? Une femme ?--Ah ! c'est un capucin ! +<capucin> /join +<MASTER> Entre un capucin qui va de maison en maison, une lanterne à la main, +<MASTER> regardant les portes. + +<MASTER> Scène 3.VIII. +<MASTER> Cyrano, Christian, un capucin. +<cyrano> /me au capucin +<cyrano> Quel est ce jeu renouvelé de Diogène ? +<capucin> Je cherche la maison de madame ... +<christian> ... Il nous gêne ! +<capucin> Magdeleine Robin ... +<christian> ... Que veut-il ? ... +<cyrano> /me lui montrant une rue montante +<cyrano> ... Par ici ! +<cyrano> Tout droit,--toujours tout droit ... +<capucin> ... Je vais pour vous !--Merci +<capucin> Dire mon chapelet jusqu'au grain majuscule. +<capucin> /me sort. +<capucin> /part +<cyrano> Bonne chance ! Mes vœux suivent votre cuculle ! +<cyrano> /me redescend vers Christian. + +<MASTER> Scène 3.IX. +<MASTER> Cyrano, Christian. +<christian> Obtiens-moi ce baiser ! ... +<cyrano> ... Non ! ... +<christian> ... Tôt ou tard ! ... +<cyrano> ... C'est vrai ! +<cyrano> Il viendra, ce moment de vertige enivré +<cyrano> Où vos bouches iront l'une vers l'autre, à cause +<cyrano> De ta moustache blonde et de sa lèvre rose ! +<cyrano> /me à lui-même +<cyrano> J'aime mieux que ce soit à cause de ... +<MASTER> Bruit des volets qui se rouvrent, Christian se cache sous le balcon. + +<MASTER> Scène 3.X. +<MASTER> Cyrano, Christian, Roxane. +<roxane> /me s'avançant sur le balcon +<roxane> ... C'est vous ? +<roxane> Nous parlions de... de... d'un ... +<cyrano> ... Baiser ! Le mot est doux. +<cyrano> Je ne vois pas pourquoi votre lèvre ne l'ose; +<cyrano> S'il la brûle déjà, que sera-ce la chose ? +<cyrano> Ne vous en faites pas un épouvantement : +<cyrano> N'avez-vous pas tantôt, presque insensiblement, +<cyrano> Quitté le badinage et glissé sans alarmes +<cyrano> Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes ! +<cyrano> Glissez encore un peu d'insensible façon : +<cyrano> Des larmes au baiser il n'y a qu'un frisson ! +<roxane> Taisez-vous ! ... +<cyrano> ... Un baiser, mais à tout prendre, qu'est-ce ? +<cyrano> Un serment fait d'un peu plus près, une promesse +<cyrano> Plus précise, un aveu qui veut se confirmer, +<cyrano> Un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer; +<cyrano> C'est un secret qui prend la bouche pour oreille, +<cyrano> Un instant d'infini qui fait un bruit d'abeille, +<cyrano> Une communion ayant un goût de fleur, +<cyrano> Une façon d'un peu se respirer le cœur, +<cyrano> Et d'un peu se goûter, au bord des lèvres, l'âme ! +<roxane> Taisez-vous ! ... +<cyrano> ... Un baiser, c'est si noble, Madame, +<cyrano> Que la reine de France, au plus heureux des lords, +<cyrano> En a laissé prendre un, la reine même ! ... +<roxane> ... Alors ! +<cyrano> /me s'exaltant +<cyrano> J'eus comme Buckingham des souffrances muettes, +<cyrano> J'adore comme lui la reine que vous êtes, +<cyrano> Comme lui je suis triste et fidèle ... +<roxane> ... Et tu es +<roxane> Beau comme lui ! ... +<cyrano> /me à part, dégrisé +<cyrano> ... C'est vrai, je suis beau, j'oubliais ! +<roxane> Eh bien ! montez cueillir cette fleur sans pareille +<cyrano> /me poussant Christian vers le balcon +<cyrano> Monte ! ... +<roxane> ... Ce goût de cœur ... +<cyrano> ... Monte ! ... +<roxane> ... Ce bruit d'abeille +<cyrano> Monte ! ... +<christian> /me hésitant +<christian> ... Mais il me semble, à présent, que c'est mal ! +<roxane> Cet instant d'infini ! ... +<cyrano> /me le poussant +<cyrano> ... Monte donc, animal ! +<MASTER> Christian s'élance, et par le banc, le feuillage, les piliers, +<MASTER> atteint les balustres qu'il enjambe. +<christian> Ah, Roxane ! ... +<christian> /me l'enlace et se penche sur ses lèvres. +<cyrano> ... Aïe ! au cœur, quel pincement bizarre ! +<cyrano> --Baiser, festin d'amour dont je suis le Lazare ! +<cyrano> Il me vient dans cette ombre une miette de toi,-- +<cyrano> Mais oui, je sens un peu mon cœur qui te reçoit, +<cyrano> Puisque sur cette lèvre où Roxane se leurre +<cyrano> Elle baise les mots que j'ai dits tout à l'heure ! +<MASTER> On entend les théorbes +<cyrano> Un air triste, un air gai : le capucin ! ... +<cyrano> /me feint de courir comme s'il arrivait de loin, et d'une voix claire +<cyrano> ... Holà ! +<roxane> Qu'est ce ? ... +<cyrano> ... Moi. Je passais... Christian est encor là ? +<christian> /me très étonné +<christian> Tiens Cyrano ! ... +<roxane> ... Bonjour, cousin ! ... +<cyrano> ... Bonjour, cousine ! +<roxane> Je descends ! ... +<roxane> /me disparaît dans la maison. +<roxane> /part +<MASTER> Au fond rentre le capucin. +<capucin> /join +<christian> /me l'apercevant +<christian> ... Oh ! encor ! ... +<christian> /me suit Roxane. +<christian> /part + +<MASTER> Scène 3.XI. +<MASTER> Cyrano, Christian, Roxane, le capucin, Ragueneau. +<capucin> ... C'est ici, -- je m'obstine -- +<capucin> Magdeleine Robin ! ... +<cyrano> ... Vous aviez dit : Ro-lin. +<capucin> Non : Bin. B, i, n, bin ! ... +<roxane> /join +<roxane> /me paraissant sur le seuil de la maison, suivie de Ragueneau qui +<roxane> /me porte une lanterne, et de Christian +<christian> /join +<ragueneau> /join +<roxane> ... Qu'est-ce ? ... +<capucin> ... Une lettre. ... +<christian> ... Hein ? +<capucin> /me à Roxane +<capucin> Oh ! il ne peut s'agir que d'une sainte chose ! +<capucin> C'est un digne seigneur qui ... +<roxane> /me à Christian +<roxane> ... C'est De Guiche ! ... +<christian> ... Il ose ? +<roxane> Oh ! mais il ne va pas m'importuner toujours ! +<roxane> /me décachetant la lettre +<roxane> Je t'aime, et si ... +<roxane> /me à la lueur de la lanterne de Ragueneau, elle lit, à l'écart, à voix basse +<roxane> ... Mademoiselle, ... +<roxane> ... Les tambours +<roxane> Battent; mon régiment boucle sa soubreveste; +<roxane> Il part; moi, l'on me croit déjà parti : je reste. +<roxane> Je vous désobéis. Je suis dans ce couvent. +<roxane> Je vais venir, et vous le mande auparavant +<roxane> Par un religieux simple comme une chèvre +<roxane> Qui ne peut rien comprendre à ceci. Votre lèvre +<roxane> M'a trop souri tantôt : j'ai voulu la revoir. +<roxane> Éloignez un chacun, et daignez recevoir +<roxane> L'audacieux déjà pardonné, je l'espère, +<roxane> Qui signe votre très... et caetera ... +<roxane> /me au capucin +<roxane> ... Mon Père, +<roxane> Voici ce que me dit cette lettre. Écoutez : +<MASTER> Tous se rapprochent, elle lit à haute voix +<roxane> Mademoiselle, ... +<roxane> ... Il faut souscrire aux volontés +<roxane> Du cardinal, si dur que cela vous puisse être. +<roxane> C'est la raison pourquoi j'ai fait choix, pour remettre +<roxane> Ces lignes en vos mains charmantes, d'un très saint, +<roxane> D'un très intelligent et discret capucin; +<roxane> Nous voulons qu'il vous donne, et dans votre demeure, +<roxane> La bénédiction ... +<roxane> /me tourne la page +<roxane> ... nuptiale sur l'heure. +<roxane> Christian doit en secret devenir votre époux; +<roxane> Je vous l'envoie. Il vous déplaît. Résignez-vous. +<roxane> Songez bien que le ciel bénira votre zèle, +<roxane> Et tenez pour tout assuré, Mademoiselle, +<roxane> Le respect de celui qui fut et qui sera +<roxane> Toujours votre très humble et très... et cætera. +<capucin> /me rayonnant +<capucin> Digne seigneur ! ... Je l'avais dit. J'étais sans crainte ! +<capucin> Il ne pouvait s'agir que d'une chose sainte ! +<roxane> /me bas à Christian +<roxane> N'est-ce pas que je lis très bien les lettres ? ... +<christian> ... Hum ! +<roxane> /me haut, avec désespoir +<roxane> Ah ! ... c'est affreux ! ... +<capucin> /me qui a dirigé sur Cyrano la clarté de sa lanterne +<capucin> ... C'est vous ? ... +<christian> ... C'est moi ! ... +<capucin> /me tournant la lumière vers lui, et, comme si un doute lui +<capucin> /me venait, en voyant sa beauté +<capucin> ... Mais ... +<roxane> /me vivement +<roxane> ... Post-scriptum : +<roxane> Donnez pour le couvent cent vingt pistoles. ... +<capucin> ... Digne, +<capucin> Digne seigneur ! ... +<capucin> /me à Roxane +<capucin> ... Résignez-vous ? ... +<roxane> /me en martyre +<roxane> ... Je me résigne ! +<MASTER> Pendant que Ragueneau ouvre la porte au capucin que Christian invite +<MASTER> à entrer, elle dit bas à Cyrano +<roxane> Vous, retenez ici De Guiche ! Il va venir ! +<roxane> Qu'il n'entre pas tant que ... +<cyrano> ... Compris ! ... +<cyrano> /me au capucin +<cyrano> ... Pour les bénir +<cyrano> Il vous faut ? ... +<capucin> ... Un quart d'heure. ... +<cyrano> /me les poussant tous vers la maison +<cyrano> ... Allez ! moi, je demeure ! +<roxane> /me à Christian +<roxane> Viens ! ... +<MASTER> Ils entrent. +<ragueneau> /part +<roxane> /part +<duegne> /part +<capucin> /part +<christian> /part + +<MASTER> Scène XII. +<MASTER> Cyrano, seul. +<cyrano> ... Comment faire perdre à De Guiche un quart d'heure. +<cyrano> /me se précipite sur le banc, grimpe au mur, vers le balcon +<cyrano> Là ! ... Grimpons ! ... J'ai mon plan ! ... +<MASTER> Les théorbes se mettent à jouer une phrase lugubre +<cyrano> ... Ho ! c'est un homm' ! ... +<MASTER> Le trémolo devient sinistre +<cyrano> ... Ho ! ho ! +<cyrano> Cette fois, c'en est un ! ... +<cyrano> /me sur le balcon, +<cyrano> /me rabaisse son feutre sur ses yeux +<cyrano> /me ôte son épée +<cyrano> /me se drape dans sa cape +<cyrano> /me se penche et regarde au dehors +<cyrano> ... Non, ce n'est pas trop haut ! +<cyrano> /me enjambe les balustres et attirant à lui la longue branche d'un des +<cyrano> /me arbres qui débordent le mur du jardin, il s'y accroche des deux mains, +<cyrano> /me prêt a se laisser tomber +<cyrano> Je vais légèrement troubler cette atmosphère ! + +<MASTER> Scène 3.XIII. +<MASTER> Cyrano, De Guiche. +<deguiche> /join +<deguiche> /me qui entre, masqué, tâtonnant dans la nuit +<deguiche> Qu'est-ce que ce maudit capucin peut bien faire ? +<cyrano> Diable ! Et ma voix ? ... S'il la reconnaissait ? ... +<cyrano> /me lâchant d'une main, il a l'air de tourner une invisible clef +<cyrano> ... Cric ! Crac ! +<cyrano> /me solennellement +<cyrano> Cyrano, reprenez l'accent de Bergerac ! +<deguiche> /me regardant la maison +<deguiche> Oui, c'est là. J'y vois mal. Ce masque m'importune ! +<MASTER> Il va pour entrer, Cyrano saute du balcon en se tenant à la branche, +<MASTER> qui plie, et le dépose entre la porte et De Guiche; il feint de tomber +<MASTER> lourdement, comme si c'était de très haut, et s'aplatit par terre, où +<MASTER> il reste immobile, comme étourdi. De Guiche fait un bond en arrière +<deguiche> Hein ? quoi ? ... +<MASTER> Quand il lève les yeux, la branche s'est redressée; il ne voit que le +<MASTER> ciel; il ne comprend pas +<deguiche> ... D'où tombe donc cet homme ? ... +<cyrano> /me se mettant sur son séant, et avec l'accent de Gascogne +<cyrano> ... De la lune ! +<deguiche> De la ? ... +<cyrano> /me d'une voix de rêve +<cyrano> ... Quelle heure est-il ? ... +<deguiche> ... N'a-t-il plus sa raison ? +<cyrano> Quelle heure ? Quel pays ? Quel jour ? Quelle saison ? +<deguiche> Mais ... +<cyrano> ... Je suis étourdi ! ... +<deguiche> ... Monsieur ... +<cyrano> ... Comme une bombe +<cyrano> Je tombe de la lune ! ... +<deguiche> /me impatienté +<deguiche> ... Ah ça ! Monsieur ! ... +<cyrano> /me se relevant, d'une voix terrible +<cyrano> ... J'en tombe ! +<deguiche> /me reculant +<deguiche> Soit ! soit ! vous en tombez ! ... c'est peut-être un dément ! +<cyrano> /me marchant sur lui +<cyrano> Et je n'en tombe pas métaphoriquement ! +<deguiche> Mais ... +<cyrano> ... Il y a cent ans, ou bien une minute, +<cyrano> --J'ignore tout à fait ce que dura ma chute !-- +<cyrano> J'étais dans cette boule à couleur de safran ! +<deguiche> /me haussant les épaules +<deguiche> Oui. Laissez-moi passer ! ... +<cyrano> /me s'interposant +<cyrano> ... Où suis-je ? soyez franc ! +<cyrano> Ne me déguisez rien ! En quel lieu, dans quel site, +<cyrano> Viens-je de choir, Monsieur, comme un aérolithe ? +<deguiche> Morbleu ! ... +<cyrano> ... Tout en cheyant je n'ai pu faire choix +<cyrano> De mon point d'arrivée,--et j'ignore où je chois ! +<cyrano> Est-ce dans une lune ou bien dans une terre, +<cyrano> Que vient de m'entraîner le poids de mon postère ? +<deguiche> Mais je vous dis, Monsieur ... +<cyrano> /me avec un cri de terreur qui fait reculer de Guiche +<cyrano> ... Ha ! grand Dieu ! ... je crois voir +<cyrano> Qu'on a dans ce pays le visage tout noir ! +<deguiche> /me portant la main à son visage +<deguiche> Comment ? ... +<cyrano> /me avec une peur emphatique +<cyrano> ... Suis-je en Alger ? Êtes-vous indigène ? +<deguiche> /me qui a senti son masque +<deguiche> Ce masque ! ... +<cyrano> /me feignant de se rassurer un peu +<cyrano> ... Je suis donc dans Venise, ou dans Gêne ? +<deguiche> /me voulant passer +<deguiche> Une dame m'attend ! ... +<cyrano> /me complètement rassuré +<cyrano> ... Je suis donc à Paris. +<deguiche> /me souriant malgré lui +<deguiche> Le drôle est assez drôle ! ... +<cyrano> ... Ah ! vous riez ? ... +<deguiche> ... Je ris, +<deguiche> Mais veux passer ! ... +<cyrano> /me rayonnant +<cyrano> ... C'est à Paris que je retombe ! +<cyrano> /me tout à fait à son aise, riant, s'époussetant, saluant +<cyrano> J'arrive -- excusez-moi ! -- par la dernière trombe. +<cyrano> Je suis un peu couvert d'éther. J'ai voyagé ! +<cyrano> J'ai les yeux tout remplis de poudre d'astres. J'ai +<cyrano> Aux éperons, encor, quelques poils de planète ! +<cyrano> /me cueillant quelque chose sur sa manche +<cyrano> Tenez, sur mon pourpoint, un cheveu de comète ! +<cyrano> /me souffle comme pour le faire envoler. +<deguiche> /me hors de lui +<deguiche> Monsieur ! ... +<cyrano> /me au moment où il va passer, tend sa jambe comme pour y montrer +<cyrano> /me quelque chose et l'arrête +<cyrano> ... Dans mon mollet je rapporte une dent +<cyrano> De la Grande Ourse,--et comme, en frôlant le Trident, +<cyrano> Je voulais éviter une de ses trois lances, +<cyrano> Je suis allé tomber assis dans les Balances,-- +<cyrano> Dont l'aiguille, à présent, là-haut, marque mon poids ! +<cyrano> /me empêchant vivement de Guiche de passer et le prenant à un bouton du +<cyrano> /me pourpoint +<cyrano> Si vous serriez mon nez, Monsieur, entre vos doigts, +<cyrano> Il jaillirait du lait ! ... +<deguiche> ... Hein ? du lait ? ... +<cyrano> ... De la Voie +<cyrano> Lactée ! ... +<deguiche> ... Oh ! Par l'enfer ! ... +<cyrano> ... C'est le ciel qui m'envoie ! +<cyrano> /me se croisant les bras +<cyrano> Non ! croiriez-vous, je viens de le voir en tombant, +<cyrano> Que Sirius, la nuit, s'affuble d'un turban ? +<cyrano> /me confidentiel +<cyrano> L'autre Ourse est trop petite encor pour qu'elle morde ! +<cyrano> /me riant +<cyrano> J'ai traversé la Lyre en cassant une corde ! +<cyrano> /me superbe +<cyrano> Mais je compte en un livre écrire tout ceci, +<cyrano> Et les étoiles d'or qu'en mon manteau roussi +<cyrano> Je viens de rapporter à mes périls et risques, +<cyrano> Quand on l'imprimera, serviront d'astérisques ! +<deguiche> À la parfin, je veux ... +<cyrano> ... Vous, je vous vois venir ! +<deguiche> Monsieur ! ... +<cyrano> ... Vous voudriez de ma bouche tenir +<cyrano> Comment la lune est faite, et si quelqu'un habite +<cyrano> Dans la rotondité de cette cucurbite ? +<deguiche> /me criant +<deguiche> Mais non ! Je veux ... +<cyrano> ... Savoir comment j'y suis monté. +<cyrano> Ce fut par un moyen que j'avais inventé. +<deguiche> /me découragé +<deguiche> C'est un fou ! ... +<cyrano> /me dédaigneux +<cyrano> ... Je n'ai pas refait l'aigle stupide +<cyrano> De Regiomontanus, ni le pigeon timide +<cyrano> D'Archytas ! ... +<deguiche> ... C'est un fou,--mais c'est un fou savant. +<cyrano> Non, je n'imitai rien de ce qu'on fit avant ! +<MASTER> De Guiche a réussi à passer et il marche vers la porte de Roxane. +<MASTER> Cyrano le suit, prêt a l'empoigner +<cyrano> J'inventai six moyens de violer l'azur vierge ! +<deguiche> /me se retournant +<deguiche> Six ? ... +<cyrano> /me avec volubilité +<cyrano> ... Je pouvais, mettant mon corps nu comme un cierge, +<cyrano> La caparaçonner de fioles de cristal +<cyrano> Toutes pleines des pleurs d'un ciel matutinal, +<cyrano> Et ma personne, alors, au soleil exposée, +<cyrano> L'astre l'aurait humée en humant la rosée ! +<deguiche> /me surpris et faisant un pas vers Cyrano +<deguiche> Tiens ! Oui, cela fait un ! ... +<cyrano> /me reculant pour l'entraîner de l'autre côté +<cyrano> ... Et je pouvais encor +<cyrano> Faire engouffrer du vent, pour prendre mon essor, +<cyrano> En raréfiant l'air dans un coffre de cèdre +<cyrano> Par des miroirs ardents, mis en icosaèdre ! +<deguiche> /me fait encore un pas +<deguiche> Deux ! ... +<cyrano> /me reculant toujours +<cyrano> ... Ou bien, machiniste autant qu'artificier, +<cyrano> Sur une sauterelle aux détentes d'acier, +<cyrano> Me faire, par des feux successifs de salpêtre, +<cyrano> Lancer dans les prés bleus où les astres vont paître ! +<deguiche> /me le suivant, sans s'en douter, et comptant sur ses doigts +<deguiche> Trois ! ... +<cyrano> ... Puisque la fumée a tendance à monter, +<cyrano> En souffler dans un globe assez pour m'emporter ! +<deguiche> /me même jeu, de plus en plus étonné +<deguiche> Quatre ! ... +<cyrano> ... Puisque Phœbé, quand son arc est le moindre, +<cyrano> Aime sucer, ô bœufs, votre moelle... m'en oindre ! +<deguiche> /me stupéfait +<deguiche> Cinq ! ... +<cyrano> /me qui en parlant l'a amené jusqu'à l'autre côté de la place, près +<cyrano> /me d'un banc +<cyrano> ... Enfin, me plaçant sur un plateau de fer, +<cyrano> Prendre un morceau d'aimant et le lancer en l'air ! +<cyrano> Ça, c'est un bon moyen : le fer se précipite, +<cyrano> Aussitôt que l'aimant s'envole, à sa poursuite; +<cyrano> On relance l'aimant bien vite, et cadédis ! +<cyrano> On peut monter ainsi indéfiniment. ... +<deguiche> ... Six ! +<deguiche> --Mais voilà six moyens excellents ! ... Quel système +<deguiche> Choisîtes-vous des six, Monsieur ? ... +<cyrano> ... Un septième ! +<deguiche> Par exemple ! Et lequel ? ... +<cyrano> ... Je vous le donne en cent ! +<deguiche> C'est que ce mâtin-là devient intéressant ! +<cyrano> /me faisant le bruit des vagues avec de grands gestes mystérieux +<cyrano> Houüh ! houüh ! ... +<deguiche> ... Eh bien ! ... +<cyrano> ... Vous devinez ? ... +<deguiche> ... Non ! ... +<cyrano> ... La marée ! +<cyrano> À l'heure où l'onde par la lune est attirée, +<cyrano> Je me mis sur la sable -- après un bain de mer -- +<cyrano> Et la tête partant la première, mon cher, +<cyrano> --Car les cheveux, surtout, gardent l'eau dans leur frange !-- +<cyrano> Je m'enlevai dans l'air, droit, tout droit, comme un ange. +<cyrano> Je montais, je montais doucement, sans efforts, +<cyrano> Quand je sentis un choc ! ... Alors ... +<deguiche> /me entraîné par la curiosité, et s'asseyant sur le banc +<deguiche> ... Alors ? ... +<cyrano> ... Alors +<cyrano> /me reprenant sa voix naturelle +<cyrano> Le quart d'heure est passé, Monsieur, je vous délivre : +<cyrano> Le mariage est fait. ... +<deguiche> /me se relevant d'un bond +<deguiche> ... Çà, voyons, je suis ivre ! +<deguiche> Cette voix ? ... +<MASTER> La porte de la maison s'ouvre, des laquais paraissent portant des +<MASTER> candélabres allumés. Lumière. Cyrano ôte son chapeau au bord abaissé +<deguiche> ... Et ce nez--Cyrano ? ... +<cyrano> /me saluant +<cyrano> ... Cyrano. +<cyrano> --Ils viennent à l'instant d'échanger leur anneau. +<deguiche> Qui cela ? ... +<deguiche> /me se retourne. +<MASTER> --Tableau. Derrière les laquais, Roxane et Christian +<MASTER> se tiennent par la main. Le capucin les suit en souriant. Ragueneau +<MASTER> élève aussi un flambeau. La duègne ferme la marche, ahurie, en petit +<MASTER> saut de lit +<roxane> /join +<christian> /join +<ragueneau> /join +<duegne> /join +<capucin> /join +<deguiche> ... Ciel ! ... + +<MASTER> Scène 3.XIV. +<MASTER> Les mêmes, Roxane, Christian, le capucin, Ragueneau, laquais, la duègne. +<deguiche> /me à Roxane +<deguiche> ... Vous ? ... +<deguiche> /me reconnaissant Christian avec stupeur +<deguiche> ... Lui ? ... +<deguiche> /me saluant Roxane avec admiration +<deguiche> ... Vous êtes des plus fines ! +<deguiche> /me à Cyrano +<deguiche> Mes compliments, Monsieur l'inventeur des machines : +<deguiche> Votre récit eût fait s'arrêter au portail +<deguiche> Du paradis, un saint ! Notez-en le détail, +<deguiche> Car vraiment cela peut resservir dans un livre ! +<cyrano> /me s'inclinant +<cyrano> Monsieur, c'est un conseil que je m'engage à suivre. +<capucin> /me montrant les amants à De Guiche et hochant avec satisfaction +<capucin> /me sa grande barbe blanche +<capucin> Un beau couple, mon fils, réuni là par vous ! +<deguiche> /me le regardant d'un œil glacé +<deguiche> Oui. ... +<deguiche> /me à Roxane +<deguiche> ... Veuillez dire adieu, Madame, à votre époux. +<roxane> Comment ? ... +<deguiche> /me à Christian +<deguiche> ... Le régiment déjà se met en route. +<deguiche> Joignez-le ! ... +<roxane> ... Pour aller à la guerre ? ... +<deguiche> ... Sans doute ! +<roxane> Mais, Monsieur, les cadets n'y vont pas ! ... +<deguiche> ... Ils iront. +<deguiche> /me tirant le papier qu'il avait mis dans sa poche +<deguiche> Voici l'ordre. ... +<deguiche> /me à Christian +<deguiche> ... Courez le porter, vous, baron. +<roxane> /me se jetant dans les bras de Christian +<roxane> Christian ! ... +<deguiche> /me ricanant, à Cyrano +<deguiche> ... La nuit de noce est encore lointaine ! +<cyrano> /me à part +<cyrano> Dire qu'il croit me faire énormément de peine ! +<christian> /me à Roxane +<christian> Oh ! tes lèvres encor ! ... +<cyrano> ... Allons, voyons, assez ! +<christian> /me continuant à embrasser Roxane +<christian> C'est dur de la quitter... Tu ne sais pas ... +<cyrano> /me cherchant à l'entraîner +<cyrano> ... Je sais. +<MASTER> On entend au loin des tambours qui battent une marche. +<deguiche> /me qui est remonté au fond +<deguiche> Le régiment qui part ! ... +<roxane> /me à Cyrano, en retenant Christian qu'il essaye toujours d'entraîner +<roxane> ... Oh ! ... je vous le confie ! +<roxane> Promettez-moi que rien ne va mettre sa vie +<roxane> En danger ! ... +<cyrano> ... J'essaierai... mais ne peux cependant +<cyrano> Promettre ... +<roxane> /me même jeu +<roxane> ... Promettez qu'il sera très prudent ! +<cyrano> Oui, je tâcherai, mais ... +<roxane> /me même jeu +<roxane> ... Qu'à ce siège terrible +<roxane> Il n'aura jamais froid ! ... +<cyrano> ... Je ferai mon possible. +<cyrano> Mais ... +<roxane> /me même jeu +<roxane> ... Qu'il sera fidèle ! ... +<cyrano> ... Eh oui ! sans doute, mais +<roxane> /me même jeu +<roxane> Qu'il m'écrira souvent ! ... +<cyrano> /me s'arrêtant +<cyrano> ... Ça,--je vous le promets ! +<capucin> /part +<ragueneau> /part +<cyrano> /part +<duegne> /part +<christian> /part +<roxane> /part +<deguiche> /part +<MASTER> Rideau. + + +<MASTER> Acte IV. +<MASTER> Les Cadets de Gascogne. +<MASTER> Le poste qu'occupe la compagnie de Carbon de Castel-Jaloux au siège +<MASTER> d'Arras. +<MASTER> Au fond, talus traversant toute la scène. Au delà s'aperçoit un horizon +<MASTER> de plaine : le pays couvert de travaux de siège. Les murs d'Arras et la +<MASTER> silhouette de ses toits sur le ciel, très loin. +<MASTER> Tentes; armes éparses; tambours, etc.--Le jour va se lever. Jaune +<MASTER> Orient.--Sentinelles espacées. Feux. +<MASTER> Roulés dans leurs manteaux, les Cadets de Gascogne dorment. Carbon de +<MASTER> Castel-Jaloux et Le Bret veillent. Ils sont très pâles et très maigris. +<MASTER> Christian dort, parmi les autres, dans sa cape, au premier plan, le +<MASTER> visage éclairé par un feu. Silence. +<MASTER> Scène 4.I. +<MASTER> Christian, Carbon de Castel-Jaloux, Le Bret, les cadets, puis Cyrano. +<lebret> /join +<carbon> /join +<christian> /join +<cadet1> /join +<cadet2> /join +<cadet3> /join +<cadet4> /join +<cadet5> /join +<cadet6> /join +<cadet7> /join +<cadet8> /join +<cadet9> /join +<cadets> /join +<sentinelle> /join +<lebret> C'est affreux ! ... +<carbon> ... Oui. Plus rien. ... +<lebret> ... Mordious ! ... +<carbon> /me lui faisant signe de parler plus bas +<carbon> ... Jure en sourdine ! +<carbon> Tu vas les réveiller. ... +<carbon> /me aux cadets +<carbon> ... Chut ! Dormez ! ... +<carbon> /me à Le Bret +<carbon> ... Qui dort dîne ! +<lebret> Quand on a l'insomnie on trouve que c'est peu ! +<lebret> Quelle famine ! ... +<MASTER> On entend au loin quelques coups de feu. +<carbon> ... Ah ! maugrébis des coups de feu ! +<carbon> Ils vont me réveiller mes enfants ! ... +<carbon> /me aux cadets qui lèvent la tête +<carbon> ... Dormez ! ... +<MASTER> On se recouche. Nouveaux coups de feu plus rapprochés. +<cadet1> /me s'agitant +<cadet1> ... Diantre ! +<cadet1> Encore ? ... +<carbon> ... Ce n'est rien ! C'est Cyrano qui rentre ! +<MASTER> Les têtes qui s'étaient relevées se recouchent. +<sentinelle> /me au dehors +<sentinelle> Ventrebieu ! qui va là ? ... +<cyrano> /join +<cyrano> ... Bergerac ! ... +<sentinelle> /me qui est sur le talus +<sentinelle> ... Ventrebieu ! +<sentinelle> Qui va là ? ... +<cyrano> /me paraissant sur la crête +<cyrano> ... Bergerac, imbécile ! ... +<cyrano> /me descend. +<lebret> /me va au-devant de lui, inquiet +<lebret> ... Ah ! grand Dieu ! +<cyrano> /me lui faisant signe de ne réveiller personne +<cyrano> Chut ! ... +<lebret> ... Blessé ? ... +<cyrano> ... Tu sais bien qu'ils ont pris l'habitude +<cyrano> De me manquer tous les matins ! ... +<lebret> ... C'est un peu rude, +<lebret> Pour porter une lettre, à chaque jour levant, +<lebret> De risquer ! ... +<cyrano> /me s'arrêtant devant Christian +<cyrano> ... J'ai promis qu'il écrirait souvent ! +<cyrano> /me le regarde +<cyrano> Il dort. Il est pâli. Si la pauvre petite +<cyrano> Savait qu'il meurt de faim... Mais toujours beau ! ... +<lebret> ... Va vite +<lebret> Dormir ! ... +<cyrano> ... Ne grogne pas, Le Bret ! ... Sache ceci : +<cyrano> Pour traverser les rangs espagnols, j'ai choisi +<cyrano> Un endroit où je sais, chaque nuit, qu'ils sont ivres. +<lebret> Tu devrais bien un jour nous rapporter des vivres. +<cyrano> Il faut être léger pour passer !--Mais je sais +<cyrano> Qu'il y aura ce soir du nouveau. Les Français +<cyrano> Mangeront ou mourront,--si j'ai bien vu ... +<lebret> ... Raconte ! +<cyrano> Non. Je ne suis pas sûr... vous verrez ! ... +<carbon> ... Quelle honte, +<carbon> Lorsqu'on est assiégeant, d'être affamé ! ... +<lebret> ... Hélas ! +<lebret> Rien de plus compliqué que ce siège d'Arras : +<lebret> Nous assiégeons Arras,--nous-mêmes, pris au piège, +<lebret> Le cardinal infant d'Espagne nous assiège +<cyrano> Quelqu'un devrait venir l'assiéger à son tour. +<lebret> Je ne ris pas. ... +<cyrano> ... Oh ! oh ! ... +<lebret> ... Penser que chaque jour +<lebret> Vous risquez une vie, ingrat, comme la vôtre, +<lebret> Pour porter ... +<lebret> /me le voyant qui se dirige vers une tente +<lebret> ... Où vas-tu ? ... +<cyrano> ... J'en vais écrire une autre. +<cyrano> /me soulève la toile et disparaît. +<cyrano> /part + +<MASTER> Scène 4.II. +<MASTER> Les mêmes, moins Cyrano. +<MASTER> Le jour s'est un peu levé. Lueurs roses. La ville d' Arras se dore à +<MASTER> l'horizon. On entend un coup de canon immédiatement suivi d'une +<MASTER> batterie de tambours, très au loin, vers la gauche. D'autres tambours +<MASTER> battent plus près. Les batteries vont se répondant, et se rapprochant, +<MASTER> éclatent presque en scène et s'éloignent vers la droite, parcourant le +<MASTER> camp. Rumeurs de réveil. Voix lointaines d'officiers. +<carbon> /me avec un soupir +<carbon> La diane ! ... Hélas ! ... +<MASTER> Les cadets s'agitent dans leurs manteaux, s'étirent +<carbon> ... Sommeil succulent, tu prends fin ! +<carbon> Je sais trop quel sera leur premier cri ! ... +<cadet2> /me se mettant sur son séant +<cadet2> ... J'ai faim ! +<cadet3> Je meurs ! ... +<cadets> ... Oh ! ... +<carbon> ... Levez-vous ! ... +<cadet4> ... Plus un pas ! ... +<cadet5> ... Plus un geste ! +<cadet2> /me se regardant dans un morceau de cuirasse +<cadet2> Ma langue est jaune : l'air du temps est indigeste ! +<cadet6> Mon tortil de baron pour un peu de Chester ! +<cadet6> Moi, si l'on ne veut pas fournir à mon gaster +<cadet6> De quoi m'élaborer une pinte de chyle, +<cadet6> Je me retire sous ma tente--comme Achille ! +<cadet6> Oui, du pain ! ... +<carbon> /me allant à la tente où est entré Cyrano, à mi-voix +<carbon> ... Cyrano ! ... +<cadets> ... Nous mourons ! ... +<carbon> /me toujours à mi-voix, à la porte de la tente +<carbon> ... Au secours ! +<carbon> Toi qui sais si gaiement leur répliquer toujours, +<carbon> Viens les ragaillardir ! ... +<cadet3> /me se précipitant vers le premier qui mâchonne quelque chose +<cadet3> ... Qu'est-ce que tu grignotes ! +<cadet2> De l'étoupe à canon que dans les bourguignotes +<cadet2> On fait frire en la graisse à graisser les moyeux, +<cadet2> Les environs d'Arras sont très peu giboyeux ! +<cadet7> /me entrant +<cadet7> Moi, je viens de chasser ! ... +<cadet8> /me même jeu +<cadet8> ... J'ai pêché, dans la Scarpe ! +<cadets> /me debout, se ruant sur les deux nouveaux venus +<cadets> Quoi !--Que rapportez-vous ?--Un faisan ?--Une carpe ?-- +<cadets> Vite, vite, montrez ! ... +<cadet8> ... Un goujon ! ... +<cadet7> ... Un moineau ! +<cadets> /me exaspérés +<cadets> Assez !--Révoltons-nous ! ... +<carbon> ... Au secours, Cyrano ! +<carbon> /me fait maintenant tout à fait jour. +<MASTER> Scène 4.III. +<MASTER> Les mêmes, Cyrano. +<cyrano> /join +<cyrano> /me sortant de sa tente, tranquille, une plume à l'oreille, un livre +<cyrano> /me à la main +<cyrano> Hein ? ... +<MASTER> Silence. +<cyrano> /me au premier cadet +<cyrano> ... Pourquoi t'en vas-tu, toi, de ce pas qui traîne ? +<cadet2> J'ai quelque chose, dans les talons, qui me gêne ! +<cyrano> Et quoi donc ? ... +<cadet2> ... L'estomac ! ... +<cyrano> ... Moi de même, pardi ! +<cadet2> Cela doit te gêner ? ... +<cyrano> ... Non, cela me grandit. +<cadet3> J'ai les dents longues ! ... +<cyrano> ... Tu n'en mordras que plus large. +<cadet4> Mon ventre sonne creux ! ... +<cyrano> ... Nous y battrons la charge. +<cadet5> Dans les oreilles, moi, j'ai des bourdonnements. +<cyrano> Non, non; ventre affamé, pas d'oreilles : tu mens ! +<cadet6> Oh ! manger quelque chose,--à l'huile ! ... +<cyrano> /me le décoiffant et lui mettant son casque dans la main +<cyrano> ... Ta salade. +<cadet7> Qu'est-ce qu'on pourrait bien dévorer ? ... +<cyrano> /me lui jetant le livre qu'il tient à la main +<cyrano> ... L'Iliade. +<cadet8> Le ministre, à Paris, fait ses quatre repas ! +<cyrano> Il devrait t'envoyer du perdreau ? ... +<cadet8> ... Pourquoi pas ? +<cadet8> Et du vin ! ... +<cyrano> ... Richelieu, du Bourgogne, if you please? +<cadet8> Par quelque capucin ! ... +<cyrano> ... L'éminence qui grise ? +<cadet9> J'ai des faims d'ogre ! ... +<cyrano> ... Eh ! bien ! ... tu croques le marmot ! +<cadet2> /me haussant les épaules +<cadet2> Toujours le mot, la pointe ! ... +<cyrano> ... Oui, la pointe, le mot ! +<cyrano> Et je voudrais mourir, un soir, sous un ciel rose, +<cyrano> En faisant un bon mot, pour une belle cause ! +<cyrano> --Oh ! frappé par la seule arme noble qui soit, +<cyrano> Et par un ennemi qu'on sait digne de soi, +<cyrano> Sur un gazon de gloire et loin d'un lit de fièvres, +<cyrano> Tomber la pointe au cœur en même temps qu'aux lèvres ! +<cadets> J'ai faim ! ... +<cyrano> /me se croisant les bras +<cyrano> ... Ah çà ! mais vous ne pensez qu'à manger ? +<cyrano> --Approche, Bertrandou le fifre, ancien berger; +<cyrano> Du double étui de cuir tire l'un de tes fifres, +<cyrano> Souffle, et joue à ce tas de goinfres et de piffres +<cyrano> Ces vieux airs du pays, au doux rythme obsesseur, +<cyrano> Dont chaque note est comme une petite sœur, +<cyrano> Dans lesquels restent pris des sons de voix aimées, +<cyrano> Ces airs dont la lenteur est celle des fumées +<cyrano> Que le hameau natal exhale de ses toits, +<cyrano> Ces airs dont la musique a l'air d'être en patois ! +<MASTER> Le vieux s'assied et prépare son fifre +<cyrano> Que la flûte, aujourd'hui, guerrière qui s'afflige, +<cyrano> Se souvienne un moment, pendant que sur sa tige +<cyrano> Tes doigts semblent danser un menuet d'oiseau, +<cyrano> Qu'avant d'être d'ébène, elle fut de roseau; +<cyrano> Que sa chanson l'étonne, et qu'elle y reconnaisse +<cyrano> L'âme de sa rustique et paisible jeunesse ! +<MASTER> Le vieux commence à jouer des airs languedociens +<cyrano> Écoutez, les Gascons... Ce n'est plus, sous ses doigts, +<cyrano> Le fifre aigu des camps, c'est la flûte des bois ! +<cyrano> Ce n'est plus le sifflet du combat, sous ses lèvres, +<cyrano> C'est le lent galoubet de nos meneurs de chèvres ! +<cyrano> Écoutez... C'est le val, la lande, la forêt, +<cyrano> Le petit pâtre brun sous son rouge béret, +<cyrano> C'est la verte douceur des soirs sur la Dordogne, +<cyrano> Écoutez, les Gascons : c'est toute la Gascogne ! +<MASTER> Toutes les têtes se sont inclinées;--tous les yeux rêvent;--et des +<MASTER> larmes sont furtivement essuyées, avec un revers de manche, un coin de +<MASTER> manteau. +<carbon> /me à Cyrano, bas +<carbon> Mais tu les fais pleurer ! ... +<cyrano> ... De nostalgie ! ... Un mal +<cyrano> Plus noble que la faim ! ... pas physique : moral ! +<cyrano> J'aime que leur souffrance ait changé de viscère, +<cyrano> Et que ce soit leur cœur, maintenant, qui se serre ! +<carbon> Tu vas les affaiblir en les attendrissant ! +<cyrano> /me qui a fait signe au tambour d'approcher +<cyrano> Laisse donc ! Les héros qu'ils portent dans leur sang +<cyrano> Sont vite réveillés ! Il suffit ... +<cyrano> /me fait un geste. +<MASTER> Le tambour roule. +<cadets> /me se levant et se précipitant sur leurs armes +<cadets> ... Hein ? ... Quoi ? ... Qu'est-ce ? +<cyrano> /me souriant +<cyrano> Tu vois, il a suffi d'un roulement de caisse ! +<cyrano> Adieu, rêves, regrets, vieille province, amour +<cyrano> Ce qui du fifre vient s'en va par le tambour ! +<cadet1> /me qui regarde au fond +<cadet1> Ah ! Ah ! Voici monsieur de Guiche. ... +<cadets> /me murmurant +<cadets> ... Hou ... +<cyrano> /me souriant +<cyrano> ... Murmure +<cyrano> Flatteur ! ... +<cadet2> ... Il nous ennuie ! ... +<cadet3> ... Avec, sur son armure, +<cadet4> Son grand col de dentelle, il vient faire le fier ! +<cadet5> Comme si l'on portait du linge sur du fer ! +<cadet2> C'est bon lorsque à son cou l'on a quelque furoncle ! +<cadet3> Encore un courtisan ! ... +<cadet6> ... Le neveu de son oncle ! +<carbon> C'est un Gascon pourtant ! ... +<cadet2> ... Un faux ! ... Méfiez-vous ! +<cadet2> Parce que, les Gascons... ils doivent être fous : +<cadet2> Rien de plus dangereux qu'un Gascon raisonnable. +<lebret> Il est pâle ! ... +<cadet7> ... Il a faim... autant qu'un pauvre diable ! +<cadet7> Mais comme sa cuirasse a des clous de vermeil, +<cadet7> Sa crampe d'estomac étincelle au soleil ! +<cyrano> /me vivement +<cyrano> N'ayons pas l'air non plus de souffrir ! Vous, vos cartes, +<cyrano> Vos pipes et vos dés ... +<MASTER> Tous rapidement se mettent à jouer sur des tambours, sur des +<MASTER> escabeaux et par terre, sur leurs manteaux, et ils allument de longues +<MASTER> pipes de pétun +<cyrano> ... Et moi, je lis Descartes. +<cyrano> /me se promène de long en large et lit dans un petit livre qu'il a +<cyrano> /me tiré de sa poche. +<MASTER> Tableau.--De Guiche entre. Tout le monde a l'air +<MASTER> absorbé et content. +<deguiche> /join +<MASTER> Il est très pâle. Il va vers Carbon. + +<MASTER> Scène 4.IV. +<MASTER> Les mêmes, de Guiche. +<deguiche> /me à Carbon +<deguiche> Ah !--Bonjour ! ... +<MASTER> Ils s'observent tous les deux. À part, avec satisfaction +<deguiche> ... Il est vert. ... +<carbon> /me de même +<carbon> ... Il n'a plus que les yeux. +<deguiche> /me regardant les cadets +<deguiche> Voici donc les mauvaises têtes ? ... Oui, messieurs, +<deguiche> Il me revient de tous côtés qu'on me brocarde +<deguiche> Chez vous, que les cadets, noblesse montagnarde, +<deguiche> Hobereaux béarnais, barons périgourdins, +<deguiche> N'ont pour leur colonel pas assez de dédains, +<deguiche> M'appellent intrigant, courtisan,--qu'il les gêne +<deguiche> De voir sur ma cuirasse un col en point de Gêne,-- +<deguiche> Et qu'ils ne cessent pas de s'indigner entre eux +<deguiche> Qu'on puisse être Gascon et ne pas être gueux ! +<MASTER> Silence. On joue. On fume. +<deguiche> Vous ferai-je punir par votre capitaine ? +<deguiche> Non. ... +<carbon> ... D'ailleurs, je suis libre et n'inflige de peine +<deguiche> Ah ? ... +<carbon> ... J'ai payé ma compagnie, elle est à moi. +<carbon> Je n'obéis qu'aux ordres de guerre. ... +<deguiche> ... Ah ? ... Ma foi ! +<deguiche> Cela suffit. ... +<deguiche> /me s'adressant aux cadets +<deguiche> ... Je peux mépriser vos bravades. +<deguiche> On connaît ma façon d'aller aux mousquetades; +<deguiche> Hier, à Bapaume, on vit la furie avec quoi +<deguiche> J'ai fait lâcher le pied au comte de Bucquoi; +<deguiche> Ramenant sur ses gens les miens en avalanche, +<deguiche> J'ai chargé par trois fois ! ... +<cyrano> /me sans lever le nez de son livre +<cyrano> ... Et votre écharpe blanche ? +<deguiche> /me surpris et satisfait +<deguiche> Vous savez ce détail ? ... En effet, il advint, +<deguiche> Durant que je faisais ma caracole afin +<deguiche> De rassembler mes gens la troisième charge, +<deguiche> Qu'un remous de fuyards m'entraîna sur la marge +<deguiche> Des ennemis; j'étais en danger qu'on me prît +<deguiche> Et qu'on m'arquebusât, quand j'eus le bon esprit +<deguiche> De dénouer et de laisser couler à terre +<deguiche> L'écharpe qui disait mon grade militaire; +<deguiche> En sorte que je pus, sans attirer les yeux, +<deguiche> Quitter les Espagnols, et revenant sur eux, +<deguiche> Suivi de tous les miens réconfortés, les battre ! +<deguiche> --Eh bien ! que dites-vous de ce trait ? ... +<MASTER> Les cadets n'ont pas l'air d'écouter; mais ici les cartes et les +<MASTER> cornets à dés restent en l'air, la fumée des pipes demeure dans les +<MASTER> joues : attente. +<cyrano> ... Qu'Henri quatre +<cyrano> N'eût jamais consenti, le nombre l'accablant, +<cyrano> À se diminuer de son panache blanc. +<MASTER> Joie silencieuse. Les cartes s'abattent. Les dés tombe. La fumée +<MASTER> s'échappe. +<deguiche> L'adresse a réussi, cependant ! ... +<MASTER> Même attente suspendant les jeux et les pipes. +<cyrano> ... C'est possible. +<cyrano> Mais on n'abdique pas l'honneur d'être une cible. +<MASTER> Cartes, dés, fumées, s'abattent, tombent, s'envolent avec une +<MASTER> satisfaction croissante +<cyrano> Si j'eusse été présent quand l'écharpe coula +<cyrano> -- Nos courages, monsieur, diffèrent en cela -- +<cyrano> Je l'aurais ramassée et me la serais mise. +<deguiche> Oui, vantardise, encor, de gascon ! ... +<cyrano> ... Vantardise ? +<cyrano> Prêtez-la-moi. Je m'offre à monter, dès ce soir, +<cyrano> À l'assaut, le premier, avec elle en sautoir. +<deguiche> Offre encor de gascon ! Vous savez que l'écharpe +<deguiche> Resta chez l'ennemi, sur les bords de la Scarpe, +<deguiche> En un lieu que depuis la mitraille cribla,-- +<deguiche> Où nul ne peut aller la chercher ! ... +<cyrano> /me tirant de sa poche l'écharpe blanche et la lui tendant +<cyrano> ... La voilà. +<MASTER> Silence. Les cadets étouffent leurs rires dans les cartes et dans les +<MASTER> cornets à dés. De Guiche se retourne, les regarde : immédiatement ils +<MASTER> reprennent leur gravité, leurs jeux; l'un d'eux sifflote avec +<MASTER> indifférence l'air montagnard joué par le fifre. +<deguiche> /me prenant l'écharpe +<deguiche> Merci. Je vais, avec ce bout d'étoffe claire, +<deguiche> Pouvoir faire un signal,--que j'hésitais à faire. +<deguiche> /me va au talus, y grimpe, et agite plusieurs fois l'écharpe en l'air. +<cadets> Hein ! ... +<sentinelle> /me en haut du talus +<sentinelle> ... Cet homme, là-bas qui se sauve en courant ! +<deguiche> /me redescendant +<deguiche> C'est un faux espion espagnol. Il nous rend +<deguiche> De grands services. Les renseignements qu'il porte +<deguiche> Aux ennemis sont ceux que je lui donne, en sorte +<deguiche> Que l'on peut influer sur leurs décisions. +<cyrano> C'est un gredin ! ... +<deguiche> /me se nouant nonchalamment son écharpe +<deguiche> ... C'est très commode. Nous disions ? +<deguiche> --Ah ! J'allais vous apprendre un fait. Cette nuit même, +<deguiche> Pour nous ravitailler tentant un coup suprême, +<deguiche> Le maréchal s'en fut vers Dourlens, sans tambours; +<deguiche> Les vivandiers du Roi sont là; par les labours +<deguiche> Il les joindra; mais pour revenir sans encombre, +<deguiche> Il a pris avec lui des troupes en tel nombre +<deguiche> Que l'on aurait beau jeu, certes, en nous attaquant : +<deguiche> La moitié de l'armée est absente du camp ! +<carbon> Oui, si les Espagnols savaient, ce serait grave. +<carbon> Mais ils ne savent pas ce départ ? ... +<deguiche> ... Ils le savent. +<deguiche> Ils vont nous attaquer. ... +<carbon> ... Ah ! ... +<deguiche> ... Mon faux espion +<deguiche> M'est venu prévenir de leur agression. +<deguiche> Il ajouta : "J'en peux déterminer la place; +<deguiche> Sur quel point voulez-vous que l'attaque se fasse ? +<deguiche> Je dirai que de tous c'est le moins défendu, +<deguiche> Et l'effort portera sur lui."--J'ai répondu : +<deguiche> "C'est bon. Sortez du camp. Suivez des yeux la ligne : +<deguiche> Ce sera sur le point d'où je vous ferai signe." +<carbon> /me aux cadets +<carbon> Messieurs, préparez-vous ! ... +<MASTER> Tous se lèvent. Bruit d'épées et de ceinturons qu'on boucle. +<deguiche> ... C'est dans une heure. ... +<cadet1> ... Ah ! ... bien ! +<MASTER> Ils se rasseyent tous. On reprend la partie interrompue. +<deguiche> /me à Carbon +<deguiche> Il faut gagner du temps. Le maréchal revient. +<carbon> Et pour gagner du temps ? ... +<deguiche> ... Vous aurez l'obligeance +<deguiche> De vous faire tuer. ... +<cyrano> ... Ah ! voilà la vengeance ? +<deguiche> Je ne prétendrai pas que si je vous aimais +<deguiche> Je vous eusse choisis vous et les vôtres, mais, +<deguiche> Comme à votre bravoure on n'en compare aucune, +<deguiche> C'est mon Roi que je sers en servant ma rancune. +<cyrano> /me saluant +<cyrano> Souffrez que je vous sois, monsieur, reconnaissant. +<deguiche> /me saluant +<deguiche> Je sais que vous aimez vous battre un contre cent. +<deguiche> Vous ne vous plaindrez pas de manquer de besogne. +<deguiche> /me remonte, avec Carbon. +<deguiche> /part +<carbon> /part +<lebret> /part +<cyrano> /me aux cadets +<cyrano> Eh bien donc ! nous allons au blason de Gascogne, +<cyrano> Qui porte six chevrons, messieurs, d'azur et d'or, +<cyrano> Joindre un chevron de sang qui lui manquait encor ! +<MASTER> De Guiche cause bas avec Carbon de Castel-Jaloux, au fond. On donne +<MASTER> des ordres. La résistance se prépare. Cyrano va vers Christian qui est +<MASTER> resté immobile, les bras croisés. +<cyrano> /me lui mettant la main sur l'épaule +<cyrano> Christian ? ... +<christian> /me secouant la tête +<christian> ... Roxane ! ... +<cyrano> ... Hélas ! ... +<christian> ... Au moins, je voudrais mettre +<christian> Tout l'adieu de mon cœur dans une belle lettre ! +<cyrano> Je me doutais que ce serait pour aujourd'hui. +<cyrano> /me tire un billet de son pourpoint +<cyrano> Et j'ai fait tes adieux. ... +<christian> ... Montre ! ... +<cyrano> ... Tu veux ? ... +<christian> /me lui prenant la lettre +<christian> ... Mais oui ! +<christian> /me l'ouvre, lit et s'arrête +<christian> Tiens ! ... +<cyrano> ... Quoi ? ... +<christian> ... Ce petit rond ? ... +<cyrano> /me reprenant la lettre vivement, et regardant d'un air naïf +<cyrano> ... Un rond ? ... +<christian> ... C'est une larme ! +<cyrano> Oui... Poète, on se prend à son jeu, c'est le charme ! +<cyrano> Tu comprends... ce billet,--c'était très émouvant : +<cyrano> Je me suis fait pleurer moi-même en l'écrivant. +<christian> Pleurer ? ... +<cyrano> ... Oui... parce que... mourir n'est pas terrible. +<cyrano> Mais... ne plus la revoir jamais... voilà l'horrible ! +<cyrano> Car enfin je ne la ... +<christian> /me le regarde +<cyrano> ... nous ne la ... +<cyrano> /me vivement +<cyrano> ... tu ne la +<christian> /me lui arrachant la lettre +<christian> Donne-moi ce billet ! ... +<MASTER> On entend une rumeur, au loin, dans le camp. +<sentinelle> ... Ventrebieu, qui va là ? +<MASTER> Coups de feu. Bruits de voix. Grelots. +<carbon> /join +<deguiche> /join +<lebret> /join +<carbon> Qu'est-ce ? ... +<deguiche> Qu'est-ce ? ... +<sentinelle> /me qui est sur le talus +<sentinelle> ... Un carrosse ! ... +<MASTER> On se précipite pour voir. +<cadets> ... Quoi ! Dans le camp ?--Il y entre ! +<cadets> --Il a l'air de venir de chez l'ennemi !--Diantre ! +<cadets> Tirez !--Non ! Le cocher a crié !--Crié quoi ?-- +<cadets> Il a crié : Service du Roi ! ... +<MASTER> Tout le monde est sur le talus et regarde au dehors. Les grelots se +<MASTER> rapprochent. +<deguiche> ... Hein ? Du Roi ! +<MASTER> On redescend, on s'aligne. +<carbon> Chapeau bas, tous ! ... +<deguiche> /me à la cantonade +<deguiche> ... Du Roi !--Rangez-vous, vile tourbe, +<deguiche> Pour qu'il puisse décrire avec pompe sa courbe ! +<MASTER> Le carrosse entre au grand trot. Il est couvert de boue et de +<MASTER> poussière. Les rideaux sont tirés. Deux laquais derrière. Il s'arrête +<MASTER> net. +<cocher> /join +<carbon> /me criant +<carbon> Battez aux champs ! ... +<MASTER> Roulement de tambours. Tous les cadets se découvrent. +<deguiche> ... Baissez le marchepied ! ... +<MASTER> Deux hommes se précipitent. La portière s'ouvre. +<roxane> /join +<roxane> /me sautant du carrosse +<roxane> ... Bonjour ! +<MASTER> Le son d'une voix de femme relève d'un seul coup tout ce monde +<MASTER> profondément incliné.--Stupeur. + +<MASTER> Scène 4.V. +<MASTER> Les mêmes, Roxane. +<deguiche> Service du Roi ! Vous ? ... +<roxane> ... Mais du seul roi, l'Amour ! +<cyrano> Ah ! grand Dieu ! ... +<christian> /me s'élancant +<christian> ... Vous ! Pourquoi ? ... +<roxane> ... C'était trop long, ce siège ! +<christian> Pourquoi ? ... +<roxane> ... Je te dirai ! ... +<cyrano> /me qui, au son de sa voix, est resté cloué immobile, sans oser +<cyrano> /me tourner les yeux vers elle +<cyrano> ... Dieu ! La regarderai-je ? +<deguiche> Vous ne pouvez rester ici ! ... +<roxane> /me gaiement +<roxane> ... Mais si ! mais si ! +<roxane> Voulez-vous m'avancer un tambour ? ... +<roxane> /me s'assied sur un tambour qu'on avance +<roxane> ... Là, merci ! +<roxane> /me rit +<roxane> On a tiré sur mon carrosse ! ... +<roxane> /me fièrement +<roxane> ... Une patrouille ! +<roxane> --Il a l'air d'être fait avec une citrouille, +<roxane> N'est-ce pas ? comme dans le conte, et les laquais +<roxane> Avec des rats. ... +<roxane> /me envoyant des lèvres un baiser à Christian +<roxane> ... Bonjour ! ... +<roxane> /me les regardant tous +<roxane> ... Vous n'avez pas l'air gais ! +<roxane> --Savez-vous que c'est loin, Arras ? ... +<roxane> /me apercevant Cyrano +<roxane> ... Cousin, charmée ! +<cyrano> /me a'avançant +<cyrano> Ah çà ! comment ? ... +<roxane> ... Comment j'ai retrouvé l'armée ? +<roxane> Oh ! mon Dieu, mon ami, mais c'est tout simple : j'ai +<roxane> Marché tant que j'ai vu le pays ravagé. +<roxane> Ah ! ces horreurs, il a fallu que je les visse +<roxane> Pour y croire ! Messieurs, si c'est là le service +<roxane> De votre Roi, le mien vaut mieux ! ... +<cyrano> ... Voyons, c'est fou ! +<cyrano> Par où diable avez-vous bien pu passer ? ... +<roxane> ... Par où ? +<roxane> Par chez les Espagnols. ... +<cadet1> ... Ah ! qu'elles sont malignes ! +<deguiche> Comment avez-vous fait pour traverser leurs lignes ? +<lebret> Cela dut être très difficile ! ... +<roxane> ... Pas trop. +<roxane> J'ai simplement passé dans mon carrosse, au trot. +<roxane> Si quelque hidalgo montrait sa mine altière, +<roxane> Je mettais mon plus beau sourire à la portière, +<roxane> Et ces messieurs étant, n'en déplaise aux Français, +<roxane> Les plus galantes gens du monde,--je passais ! +<carbon> Oui, c'est un passe-port, certes, que ce sourire ! +<carbon> Mais on a fréquemment dû vous sommer de dire +<carbon> Où vous alliez ainsi, madame ? ... +<roxane> ... Fréquemment. +<roxane> Alors je répondais : "Je vais voir mon amant." +<roxane> --Aussitôt l'Espagnol à l'air le plus féroce +<roxane> Refermait gravement la porte du carrosse, +<roxane> D'un geste de la main à faire envie au Roi +<roxane> Relevait les mousquets déjà braqués sur moi, +<roxane> Et superbe de grâce, à la fois, et de morgue, +<roxane> L'ergot tendu sous la dentelle en tuyau d'orgue, +<roxane> Le feutre au vent pour que la plume palpitât, +<roxane> S'inclinait en disant : "Passez, señorita !" +<christian> Mais, Roxane ... +<roxane> ... J'ai dit : mon amant, oui... pardonne ! +<roxane> Tu comprends, si j'avais dit : mon mari, personne +<roxane> Ne m'eût laissé passer ! ... +<christian> ... Mais ... +<roxane> ... Qu'avez-vous ? ... +<deguiche> ... Il faut +<deguiche> Vous en aller d'ici ! ... +<roxane> ... Moi ? ... +<cyrano> ... Bien vite ! ... +<lebret> ... Au plus tôt ! +<christian> Oui ! ... +<roxane> ... Mais comment ? ... +<christian> /me embarrassé +<christian> ... C'est que ... +<cyrano> /me de même +<cyrano> ... Dans trois quarts d'heure ... +<deguiche> /me de même +<deguiche> ... ou quatre +<carbon> /me de même +<carbon> Il vaut mieux ... +<lebret> /me de même +<lebret> ... Vous pourriez ... +<roxane> ... Je reste. On va se battre. +<cadets> Oh ! non ! ... +<roxane> ... C'est mon mari ! ... +<roxane> /me se jette dans les bras de Christian +<roxane> ... Qu'on me tue avec toi ! +<christian> Mais quels yeux vous avez ! ... +<roxane> ... Je te dirai pourquoi ! +<deguiche> /me désespéré +<deguiche> C'est un poste terribl' ! ... +<roxane> /me se retournant +<roxane> ... Hein ! terrible ? ... +<cyrano> ... Et la preuve +<cyrano> C'est qu'il nous l'a donné ! ... +<roxane> /me à De Guiche +<roxane> ... Ah ! vous me vouliez veuve ? +<deguiche> Oh ! je vous jure ! ... +<roxane> ... Non ! Je suis folle à présent ! +<roxane> Et je ne m'en vais plus !--D'ailleurs, c'est amusant. +<cyrano> Eh quoi ! la précieuse était une héroïne ? +<roxane> Monsieur de Bergerac, je suis votre cousine. +<cadet2> Nous vous défendrons bien ! ... +<roxane> /me enfiévrée de plus en plus +<roxane> ... Je le crois, mes amis ! +<cadet3> /me avec enivrement +<cadet3> Tout le camp sent l'iris ! ... +<roxane> ... Et j'ai justement mis +<roxane> Un chapeau qui fera très bien dans la bataille ! +<roxane> /me regardant de Guiche +<roxane> Mais peut-être est-il temps que le comte s'en aille : +<roxane> On pourrait commencer. ... +<deguiche> ... Ah ! c'en est trop ! Je vais +<deguiche> Inspecter mes canons, et reviens... Vous avez +<deguiche> Le temps encor : changez d'avis ! ... +<roxane> ... Jamais ! ... +<deguiche> /me sort. +<deguiche> /part + +<MASTER> Scène 4.VI. +<MASTER> Les mêmes, moins De Guiche. +<christian> /me suppliant +<christian> ... Roxane ! +<roxane> Non ! ... +<cadet1> /me aux autres +<cadet1> ... Elle reste ! ... +<cadets> /me se précipitant, se bousculant, s'astiquant +<cadets> ... Un peigne !--Un savon !--Ma basane +<cadets> Est trouée : une aiguille !--Un ruban !--Ton miroir !-- +<cadets> Mes manchettes !--Ton fer à moustache !--Un rasoir ! +<roxane> /me à Cyrano qui la supplie encore +<roxane> Non ! rien ne me fera bouger de cette place ! +<MASTER> Carbon, après s'être, comme les autres, sanglé, épousseté, avoir brossé +<MASTER> son chapeau, redressé sa plume et tiré ses manchettes, s'avance vers +<MASTER> Roxane, et cérémonieusement +<carbon> Peut-être siérait-il que je vous présentasse, +<carbon> Puisqu'il en est ainsi, quelques de ces messieurs +<carbon> Qui vont avoir l'honneur de mourir sous vos yeux. +<MASTER> Roxane s'incline et elle attend, debout au bras de Christian. Carbon +<MASTER> présente +<carbon> Baron de Peyrescous de Colignac ! ... +<cadet1> /me saluant +<cadet1> ... Madame +<carbon> /me continuant +<carbon> Baron de Casterac de Cahuzac.--Vidame +<carbon> De Malgouyre Estressac Lésbas d'Escarabiot.-- +<carbon> Chevalier d'Antignac-Juzet.--Baron Hillot +<carbon> De Blagnac-Saléchan de Castel Crabioules +<roxane> Mais combien avez-vous de noms, chacun ? ... +<cadet2> ... Des foules ! +<carbon> /me à Roxane +<carbon> Ouvrez la main qui tient votre mouchoir. ... +<roxane> /me ouvre la main et le mouchoir tombe +<roxane> ... Pourquoi ? +<MASTER> Toute la compagnie fait le mouvement de s'élancer pour le ramasser. +<carbon> /me le ramassant vivement +<carbon> Ma compagnie était sans drapeau ! Mais ma foi, +<carbon> C'est le plus beau du camp qui flottera sur elle ! +<roxane> /me souriant +<roxane> Il est un peu petit. ... +<carbon> /me attachant le mouchoir à la hampe de sa lance de capitaine +<carbon> ... Mais il est en dentelle ! +<cadet3> /me aux autres +<cadet3> Je mourrais sans regret ayant vu ce minois, +<cadet3> Si j'avais seulement dans le ventre une noix ! +<carbon> /me qui l'a entendu, indigné +<carbon> Fi ! parler de manger lorsqu'une exquise femme ! +<roxane> Mais l'air du camp est vif et, moi-même, m'affame : +<roxane> Pâtés, chaud-froids, vins fins :--mon menu, le voilà ! +<roxane> --Voulez-vous m'apporter tout cela ! ... +<MASTER> Consternation. +<cadet4> ... Tout cela ! +<cadet5> Où le prendrions-nous, grand Dieu ? ... +<roxane> /me tranquillement +<roxane> ... Dans mon carrosse. +<cadets> Hein ? ... +<roxane> ... Mais il faut qu'on serve et découpe, et désosse ! +<roxane> Regardez mon cocher d'un peu plus près, messieurs, +<roxane> Et vous reconnaîtrez un homme précieux : +<roxane> Chaque sauce sera, si l'on veut, réchauffée ! +<cadets> /me se ruant vers le carrosse +<cadets> C'est Ragueneau ! ... +<cocher> /nick ragueneau +<MASTER> Acclamations +<cadets> ... Oh ! Oh ! ... +<roxane> /me les suivant des yeux +<roxane> ... Pauvre gens ! ... +<cyrano> /me lui baisant la main +<cyrano> ... Bonne fée ! +<ragueneau> /me debout sur le siège comme un charlatan en place publique +<ragueneau> Messieurs ! ... +<MASTER> Enthousiasme. +<cadets> ... Bravo ! Bravo ! ... +<ragueneau> ... Les Espagnols n'ont pas, +<ragueneau> Quand passaient tant d'appas, vu passer le repas ! +<MASTER> Applaudissements. +<cyrano> /me bas à Christian +<cyrano> Hum ! hum ! Christian ! ... +<ragueneau> ... Distraits par la galanterie +<ragueneau> Ils n'ont pas vu ... +<ragueneau> /me tire de son siège un plat qu'il élève +<ragueneau> ... la galantine ! ... +<MASTER> Applaudissements. La galantine passe de mains en mains. +<cyrano> /me bas à Christian +<cyrano> ... Je t'en prie, +<cyrano> Un seul mot ! ... +<ragueneau> ... Et Vénus sut occuper leur œil +<ragueneau> Pour que Diane en secret, pût passer ... +<ragueneau> /me brandit un gigot +<ragueneau> ... son chevreuil ! +<MASTER> Enthousiasme. Le gigot est saisi par vingt mains tendues. +<cyrano> /me bas à Christian +<cyrano> Je voudrais te parler ! ... +<roxane> /me aux cadets qui redescendent, les bras chargés de victuailles +<roxane> ... Posez cela par terre ! +<roxane> /me met le couvert sur l'herbe, aidée des deux laquais +<roxane> /me imperturbables qui étaient derrière le carrosse +<roxane> /me à Christian, au moment où Cyrano allait l'entraîner à part +<roxane> Vous, rendez-vous utile ? ... +<MASTER> Christian vient l'aider. Mouvement d'inquiétude de Cyrano. +<ragueneau> ... Un paon truffé ! ... +<cadet1> /me épanoui, qui descend en coupant une large tranche de +<cadet1> /me jambon +<cadet1> ... Tonnerre ! +<cadet1> Nous n'aurons pas couru notre dernier hasard +<cadet1> Sans faire un gueuleton ... +<cadet1> /me se reprenant vivement en voyant Roxane +<cadet1> ... pardon ! un balthazar ! +<ragueneau> /me lançant les coussins du carrosse +<ragueneau> Les coussins sont remplis d'ortolans ! ... +<MASTER> Tumulte. On éventre les coussins. Rires. Joie. +<cadet3> ... Ah ! Viédaze ! +<ragueneau> /me lançant des flacons de vin rouge +<ragueneau> Des flacons de rubis !-- ... +<ragueneau> /me de vin blanc +<ragueneau> ... Des flacons de topaze ! +<roxane> /me jetant une nappe pliée à la figure de Cyrano +<roxane> Défaites cette nappe ! ... Eh ! hop ! Soyez léger ! +<ragueneau> /me brandissant une lanterne arrachée +<ragueneau> Chaque lanterne est un petit garde-manger ! +<cyrano> /me bas à Christian, pendant qu'ils arrangent la nappe ensemble +<cyrano> Il faut que je te parle avant que tu lui parles ! +<ragueneau> /me de plus en plus lyrique +<ragueneau> Le manche de mon fouet est un saucisson d'Arles ! +<roxane> /me versant du vin, servant +<roxane> Puisqu'on nous fait tuer, morbleu ! nous nous moquons +<roxane> Du reste de l'armée !--Oui ! tout pour les Gascons ! +<roxane> Et si De Guiche vient, personne ne l'invite ! +<roxane> /me allant de l'un à l'autre +<roxane> Là, vous avez le temps.--Ne manger pas si vite !-- +<roxane> Buvez un peu.--Pourquoi pleurez-vous ? ... +<cadet1> ... C'est trop bon ! +<roxane> Chut !--Rouge ou blanc ?--Du pain pour monsieur de Carbon ! +<roxane> --Un couteau !--Votre assiette !--Un peu de croûte ?--Encore ? +<roxane> Je vous sers !--Du bourgogne ?--Une aile ? ... +<cyrano> /me qui la suit, les bras chargés de plats, l'aidant à servir +<cyrano> ... Je l'adore ! +<roxane> /me allant vers Christian +<roxane> Vous ? ... +<christian> ... Rien. ... +<roxane> ... Si ! ce biscuit, dans du muscat... deux doigts ! +<christian> /me essayant de la retenir +<christian> Oh ! dites-moi pourquoi vous vîntes ? ... +<roxane> ... Je me dois +<roxane> À ces malheureux... Chut ! Tout à l'heure ! ... +<lebret> /me qui était remonté au fond, pour passer, au bout d'une lance, un +<lebret> /me pain à la sentinelle du talus +<lebret> ... De Guiche ! +<cyrano> Vite, cachez flacon, plat, terrine, bourriche ! +<cyrano> Hop !--N'ayons l'air de rien ! ... +<cyrano> /me à Ragueneau +<cyrano> ... Toi, remonte d'un bond +<cyrano> Sur ton siège !--Tout est caché ? ... +<ragueneau> /part +<MASTER> En un clin d'œil tout a été repoussé dans les tentes, ou caché sous +<MASTER> les vêtements, sous les manteaux, dans les feutres.--De Guiche entre +<MASTER> vivement--et s'arrête, tout d'un coup, reniflant.--Silence. +<deguiche> /join +<MASTER> Scène 4.VII. + +<MASTER> Les mêmes, De Guiche. +<deguiche> ... Cela sent bon. +<cadet1> /me chantonnant d'un air détaché +<cadet1> To lo lo ! ... +<deguiche> /me s'arrêtant et le regardant +<deguiche> ... Qu'avez-vous, vous ? ... Vous êtes tout rouge ! +<cadet1> Moi ? ... Mais rien. C'est le sang. On va se battre : il bouge ! +<cadet2> Poum ... poum ... poum ... +<deguiche> /me se retournant +<deguiche> ... Qu'est cela ? ... +<cadet1> /me légèrement gris +<cadet1> ... Rien ! C'est une chanson ! +<cadet1> Une petite ... +<deguiche> ... Vous êtes gai, mon garçon ! +<cadet1> L'approche du danger ! ... +<deguiche> /me appelant Carbon de Castel-Jaloux, pour donner un ordre +<deguiche> ... Capitaine ! je ... +<deguiche> /me s'arrête en le voyant +<deguiche> ... Peste ! +<deguiche> Vous avez bonne mine aussi ! ... +<carbon> /me cramoisi, et cachant une bouteille derrière son dos, avec an +<carbon> /me geste évasif +<carbon> ... Oh ! ... +<deguiche> ... Il me reste +<deguiche> Un canon que j'ai fait porter ... +<deguiche> /me montre un endroit dans la coulisse +<deguiche> ... là, dans ce coin, +<deguiche> Et vos hommes pourront s'en servir au besoin. +<cadet1> /me se dandinant +<cadet1> Charmante attention ! ... +<cadet3> /me lui souriant gracieusement +<cadet3> ... Douce sollicitude ! +<deguiche> Ah ça ! mais ils sont fous !-- ... +<deguiche> /me sèchement +<deguiche> ... N'ayant pas l'habitude +<deguiche> Du canon, prenez garde au recul. ... +<cadet1> ... Ah ! pffitt ! ... +<deguiche> /me allant à lui, furieux +<deguiche> ... Mais ! +<cadet1> Le canon des Gascons ne recule jamais ! +<deguiche> /me le prenant par le bras et le secouant +<deguiche> Vous êtes gris ! ... De quoi ? ... +<cadet1> /me superbe +<cadet1> ... De l'odeur de la poudre ! +<deguiche> /me haussant les épaules, le repousse et va vivement à Roxane +<deguiche> Vite, à quoi daignez-vous, madame, vous résoudre ? +<roxane> Je reste ! ... +<deguiche> ... Fuyez ! ... +<roxane> ... Non ! ... +<deguiche> ... Puisqu'il en est ainsi, +<deguiche> Qu'on me donne un mousquet ! ... +<carbon> ... Comment ? ... +<deguiche> ... Je reste aussi. +<cyrano> Enfin, Monsieur ! voilà de la bravoure pure ! +<cadet1> Seriez-vous un Gascon malgré votre guipure ? +<roxane> Quoi ! ... +<deguiche> ... Je ne quitte pas une femme en danger. +<cadet2> /me au premier +<cadet2> Dis donc ! Je crois qu'on peut lui donner à manger ! +<MASTER> Toutes les victuailles reparaissent comme par enchantement. +<deguiche> /me dont les yeux s'allument +<deguiche> Des vivres ! ... +<cadet3> ... Il en sort de sous toutes les vestes ! +<deguiche> /me se maîtrisant, avec hauteur +<deguiche> Est-ce que vous croyez que je mange vos restes ? +<cyrano> /me saluant +<cyrano> Vous faites des progrès ! ... +<deguiche> /me fièrement, et à qui échappe sur le dernier mot une légère +<deguiche> /me pointe d'accent +<deguiche> ... Je vais me battre à jeun ! +<cadet1> /me exultant de joie +<cadet1> À jeung ! Il vient d'avoir l'accent ! ... +<deguiche> /me riant +<deguiche> ... Moi ? ... +<cadet1> ... C'en est un ! +<cadets> /me se mettent tous à danser. +<carbon> /me qui a disparu depuis un moment derrière le +<carbon> /me talus, reparaissant sur la crête +<carbon> J'ai rangé mes piquiers, leur troupe est résolue ! +<carbon> /me montre une ligne de piques qui dépasse la crête. +<deguiche> /me à Roxane, en s'inclinant +<deguiche> Acceptez-vous ma main pour passer leur revue ? +<MASTER> Elle la prend, ils remontent vers le talus. Tous le monde se découvre +<MASTER> et les suit. +<christian> /me allant à Cyrano, vivement +<christian> Parle vite ! ... +<MASTER> Au moment où Roxane paraît sur la crête, les lances disparaissent, +<MASTER> abaissées pour le salut, un cri s'élève : elle s'incline. +<piquiers> /join +<piquiers> /me au dehors +<piquiers> ... Vivat ! ... +<christian> ... Quel était ce secret ? +<cyrano> Dans le cas où Roxane ... +<christian> ... Eh bien ? ... +<cyrano> ... Te parlerait +<cyrano> Des lettres ? ... +<christian> ... Oui, je sais ! ... +<cyrano> ... Ne fais pas la sottise +<cyrano> De t'étonner ... +<christian> ... De quoi ? ... +<cyrano> ... Il faut que je te dise ! +<cyrano> Oh ! mon Dieu, c'est tout simple, et j'y pense aujourd'hui +<cyrano> En la voyant. Tu lui ... +<christian> ... Parle vite ! ... +<cyrano> ... Tu lui +<cyrano> As écrit plus souvent que tu ne crois. ... +<christian> ... Hein ? ... +<cyrano> ... Dame ! +<cyrano> Je m'en étais chargé : j'interprétais ta flamme ! +<cyrano> J'écrivais quelquefois sans te dire : j'écris ! +<christian> Ah ? ... +<cyrano> ... C'est tout simple ! ... +<christian> ... Mais comment t'y es-tu pris, +<christian> Depuis qu'on est bloqué pour ? ... +<cyrano> ... Oh ! ... avant l'aurore +<cyrano> Je pouvais traverser ... +<christian> /me se croisant les bras +<christian> ... Ah ! c'est tout simple encore ? +<christian> Et qu'ai-je écrit de fois par semaine ? ... Deux ?--Trois ?-- +<christian> Quatre ?-- ... +<cyrano> ... Plus. ... +<christian> ... Tous les jours ? ... +<cyrano> ... Oui, tous les jours.--Deux fois. +<christian> /me violemment +<christian> Et cela t'enivrait, et l'ivresse était telle +<christian> Que tu bravais la mort ... +<cyrano> /me voyant Roxane qui revient +<cyrano> ... Tais-toi ! Pas devant elle ! +<cyrano> /me rentre vivement dans sa tente. +<cyrano> /part + +<MASTER> Scène 4.VIII. +<MASTER> Roxane, Christian; au fond, allées et venues de cadets. Carbon et De +<MASTER> Guiche donnent des ordres. +<carbon> /part +<deguiche> /part +<lebret> /part +<roxane> /me courant à Christian +<roxane> Et maintenant, Christian ! ... +<christian> /me lui prenant les mains +<christian> ... Et maintenant, dis-moi +<christian> Pourquoi, par ces chemins effroyables, pourquoi +<christian> À travers tous ces rangs de soudards et de reîtres, +<christian> Tu m'a rejoint ici ? ... +<roxane> ... C'est à cause des lettres ! +<christian> Tu dis ? ... +<roxane> ... Tant pis pour vous si je cours ces dangers ! +<roxane> Ce sont vos lettres qui m'ont grisée ! Ah ! songez +<roxane> Combien depuis un mois vous m'en avez écrites, +<roxane> Et plus belles toujours ! ... +<christian> ... Quoi ! pour quelques petites +<christian> Lettres d'amour ... +<roxane> ... Tais-toi ! Tu ne peux pas savoir ! +<roxane> Mon Dieu, je t'adorais, c'est vrai, depuis qu'un soir, +<roxane> D'une voix que je t'ignorais, sous ma fenêtre, +<roxane> Ton âme commença de se faire connaître +<roxane> Eh bien ! tes lettres, c'est, vois-tu, depuis un mois, +<roxane> Comme si tout le temps je l'entendais, ta voix +<roxane> De ce soir-là, si tendre, et qui vous enveloppe ! +<roxane> Tant pis pour toi, j'accours. La sage Pénélope +<roxane> Ne fût pas demeurée à broder sous son toit, +<roxane> Si le seigneur Ulysse eût écrit comme toi, +<roxane> Mais pour le joindre, elle eût, aussi folle qu'Hélène, +<roxane> Envoyé promener ses pelotons de laine ! +<christian> Mais ... +<roxane> ... Je lisais, je relisais, je défaillais, +<roxane> J'étais à toi. Chacun de ces petits feuillets +<roxane> Était comme un pétale envolé de ton âme. +<roxane> On sent à chaque mot de ces lettres de flamme +<roxane> L'amour puissant, sincère ... +<christian> ... Ah ! sincère et puissant ? +<christian> Cela se sent, Roxane ? ... +<roxane> ... Oh ! si cela se sent ! +<christian> Et vous venez ? ... +<roxane> ... Je viens (ô mon Christian, mon maître ! +<roxane> Vous me relèveriez si je voulais me mettre +<roxane> À vos genoux, c'est donc mon âme que j'y mets, +<roxane> Et vous ne pourrez plus la relever jamais !) +<roxane> Je viens te demander pardon )et c'est bien l'heure +<roxane> De demander pardon, puisqu'il se peut qu'on meure !) +<roxane> De t'avoir fait d'abord, dans ma frivolité, +<roxane> L'insulte de t'aimer pour ta seule beauté ! +<christian> /me avec épouvante +<christian> Ah ! Roxane ! ... +<roxane> ... Et plus tard, mon ami, moins frivole, +<roxane> --Oiseau qui saute avant tout à fait qu'il s'envole,-- +<roxane> Ta beauté m'arrêtant, ton âme m'entraînant, +<roxane> Je t'aimais pour les deux ensemble ! ... +<christian> ... Et maintenant ? +<roxane> Eh bien ! toi-même enfin l'emporte sur toi-même, +<roxane> Et ce n'est plus que pour ton âme que je t'aime ! +<christian> /me reculant +<christian> Ah ! Roxane ! ... +<roxane> ... Sois donc heureux. Car n'être aimé +<roxane> Que pour ce dont on est un instant costumé, +<roxane> Doit mettre un cœur avide et noble à la torture; +<roxane> Mais ta chère pensée efface ta figure, +<roxane> Et la beauté par quoi tout d'abord tu me plus, +<roxane> Maintenant j'y vois mieux... et je ne la vois plus ! +<christian> Oh ! ... +<roxane> ... Tu doutes encor d'une telle victoire ? +<christian> /me douloureusement +<christian> Roxane ! ... +<roxane> ... Je comprends, tu ne peux pas y croire, +<roxane> À cet amour ? ... +<christian> ... Je ne veux pas de cet amour ! +<christian> Moi, je veux être aimé plus simplement pour ... +<roxane> ... Pour +<roxane> Ce qu'en vous elles ont aimé jusqu'à cette heure ? +<roxane> Laissez-vous donc aimer d'une façon meilleure ! +<christian> Non ! c'était mieux avant ! ... +<roxane> ... Ah ! tu n'y entends rien ! +<roxane> C'est maintenant que j'aime mieux, que j'aime bien ! +<roxane> C'est ce qui te fait toi, tu m'entends, que j'adore ! +<roxane> Et moins brillant ... +<christian> ... Tais-toi ! ... +<roxane> ... Je t'aimerais encore ! +<roxane> Si toute ta beauté tout d'un coup s'envolait +<christian> Oh ! ne dis pas cela ! ... +<roxane> ... Si, je le dis ! ... +<christian> ... Quoi ? laid ? +<roxane> Laid ! je le jure ! ... +<christian> ... Dieu ! ... +<roxane> ... Et ta joie est profonde ? +<christian> /me d'une voix étouffée +<christian> Oui ... +<roxane> ... Qu'as-tu ? ... +<christian> /me la repoussant doucement +<christian> ... Rien. Deux mots à dire : une seconde +<roxane> Mais ? ... +<christian> /me lui montrant un groupe de cadets, au fond +<christian> ... À ces pauvres gens mon amour t'enleva : +<christian> Va leur sourire un peu puisqu'ils vont mourir... va ! +<roxane> /me attendrie +<roxane> Cher Christian ! ... +<roxane> /me remonte vers les Gascons qui s'empressent respectueusement autour +<roxane> /me d'elle. + +<MASTER> Scène 4.IX. +<MASTER> Christian, Cyrano; au fond Roxane causant avec Carbon et quelques cadets. +<christian> /me appelant vers la tente de Cyrano +<christian> ... Cyrano ? ... +<cyrano> /join +<cyrano> /me reparaissant, armé pour la bataille +<cyrano> ... Qu'est-ce ? Te voilà blême ! +<christian> Elle ne m'aime plus ! ... +<cyrano> ... Comment ? ... +<christian> ... C'est toi qu'elle aime ! +<cyrano> Non ! ... +<christian> ... Elle n'aime plus que mon âme ! ... +<cyrano> ... Non ! ... +<christian> ... Si ! +<christian> C'est donc bien toi qu'elle aime,--et tu l'aimes aussi ! +<cyrano> Moi ? ... +<christian> ... Je le sais. ... +<cyrano> ... C'est vrai. ... +<christian> ... Comme un fou. ... +<cyrano> ... Davantage. +<christian> Dis-le-lui ! ... +<cyrano> ... Non ! ... +<christian> ... Pourquoi ? ... +<cyrano> ... Regarde mon visage ! +<christian> Elle m'aimerait laid ! ... +<cyrano> ... Elle te l'a dit ! ... +<christian> ... Là ! +<cyrano> Ah ! je suis bien content qu'elle t'ait dit cela ! +<cyrano> Mais va, va, ne crois pas cette chose insensée ! +<cyrano> --Mon Dieu, je suis content qu'elle ait eu la pensée +<cyrano> De la dire,--mais va, ne la prends pas au mot, +<cyrano> Va, ne deviens pas laid : elle m'en voudrait trop ! +<christian> C'est ce que je veux voir ! ... +<cyrano> ... Non, non ! ... +<christian> ... Qu'elle choisisse ! +<christian> Tu vas lui dire tout ! ... +<cyrano> ... Non, non ! Pas ce supplice. +<christian> Je tuerais ton bonheur parce que je suis beau ? +<christian> C'est trop injuste ! ... +<cyrano> ... Et moi, je mettrais au tombeau +<cyrano> Le tien parce que, grâce au hasard qui fait naître, +<cyrano> J'ai le don d'exprimer... ce que tu sens peut-être ? +<christian> Dis-lui tout ! ... +<cyrano> ... Il s'obstine à me tenter, c'est mal ! +<christian> Je suis las de porter en moi-même un rival ! +<cyrano> Christian ! ... +<christian> ... Notre union--sans témoins--clandestine, +<christian> --Peut se rompre,--si nous survivons ! ... +<cyrano> ... Il s'obstine ! +<christian> Oui, je veux être aimé moi-même, ou pas du tout ! +<christian> --Je vais voir ce qu'on fait, tiens ! Je vais jusqu'au bout +<christian> Du poste; je reviens : parle, et qu'elle préfère +<christian> L'un de nous deux ! ... +<cyrano> ... Ce sera toi ! ... +<christian> ... Mais... je l'espère ! +<christian> /me appelle +<christian> Roxane ! ... +<cyrano> ... Non ! Non ! ... +<roxane> /me accourant +<roxane> ... Quoi ? ... +<christian> ... Cyrano vous dira +<christian> Une chose importante ... +<roxane> /me va vivement à Cyrano. +<christian> /me sort. +<christian> /part +<MASTER> Scène 4.X. +<MASTER> Roxane, Cyrano, puis Le Bret, Carbon de Castel-Jaloux, les cadets, +<MASTER> Ragueneau, de Guiche, etc. +<roxane> ... Importante ? ... +<cyrano> /me éperdu +<cyrano> ... Il s'en va ! +<cyrano> /me à Roxane +<cyrano> Rien ! ... Il attache,--oh ! Dieu ! vous devez le connaître !-- +<cyrano> De l'importance à rien ! ... +<roxane> /me vivement +<roxane> ... Il a douté peut-être +<roxane> De ce que j'ai dit là ? ... J'ai vu qu'il a douté ! +<cyrano> /me lui prenant la main +<cyrano> Mais avez-vous bien dit, d'ailleurs, la vérité ? +<roxane> Oui, oui, je l'aimerais même ... +<roxane> /me hésite une seconde. +<cyrano> /me souriant tristement +<cyrano> ... Le mot vous gêne +<cyrano> Devant moi ? ... +<roxane> ... Mais ... +<cyrano> ... Il ne me fera pas de peine ! +<cyrano> --Même laid ? ... +<roxane> ... Même laid ! ... +<MASTER> Mousqueterie au dehors +<roxane> ... Ah ! tiens, on a tiré ! +<cyrano> /me ardemment +<cyrano> Affreux ? ... +<roxane> ... Affreux ! ... +<cyrano> ... Défiguré ! ... +<roxane> ... Défiguré ! +<cyrano> Grotesque ? ... +<roxane> ... Rien ne peut me le rendre grotesque ! +<cyrano> Vous l'aimeriez encore ? ... +<roxane> ... Et davantage presque ! +<cyrano> /me perdant la tête, à part +<cyrano> Mon Dieu, c'est vrai, peut-être, et le bonheur est là ! +<cyrano> /me à Roxane +<cyrano> Je... Roxane... écoutez ! ... +<lebret> /join +<lebret> /me entrant rapidement, appelle à mi-voix +<lebret> ... Cyrano ! ... +<cyrano> /me se retournant +<cyrano> ... Hein ? ... +<lebret> ... Chut ! ... +<lebret> /me lui dit un mot tout bas. +<cyrano> /me laissant échapper la main de Roxane, avec un cri +<cyrano> ... Ah ! +<roxane> Qu'avez vous ? ... +<cyrano> /me à lui-même, avec stupeur +<cyrano> ... C'est fini. ... +<MASTER> Détonations nouvelles. +<roxane> ... Quoi ? Qu'est-ce encore ? On tire ? +<roxane> /me remonte pour regarder au dehors. +<cyrano> C'est fini, jamais plus je ne pourrai le dire ! +<roxane> /me voulant s'élancer +<roxane> Que se passe-t-il ? ... +<cyrano> /me vivement, l'arrêtant +<cyrano> ... Rien ! ... +<MASTER> Des cadets sont entrés, cachant quelque chose qu'ils portent, et ils +<MASTER> forment un groupe empêchant Roxane d'approcher. +<roxane> ... Ces hommes ? ... +<cyrano> /me l'éloignant +<cyrano> ... Laissez-les ! +<roxane> Mais qu'alliez-vous me dire avant ? ... +<cyrano> ... Ce que j'allais +<cyrano> Vous dire ? ... rien, oh ! rien, je le jure, madame ! +<cyrano> /me solennellement +<cyrano> Je jure que l'esprit de Christian, que son âme +<cyrano> Étaient ... +<cyrano> /me se reprenant avec terreur +<cyrano> ... sont les plus grands ... +<roxane> ... Étaient ? ... +<roxane> /me avec un grand cri +<roxane> ... Ah ! ... +<roxane> /me se précipite et écarte tout le monde. +<cyrano> ... C'est fini ! +<christian> /join +<roxane> /me voyant Christian couché dans son manteau +<roxane> Christian ! ... +<lebret> /me à Cyrano +<lebret> ... Le premier coup de feu de l'ennemi ! +<MASTER> Roxane se jette sur le corps de Christian. Nouveaux coups de feu. +<MASTER> Cliquetis. Rumeurs. Tambours. +<carbon> /join +<carbon> /me l'épée au poing +<carbon> C'est l'attaque ! Aux mousquets ! ... +<MASTER> Suivi des cadets, il passe de l'autre côté du talus. +<roxane> ... Christian ! ... +<carbon> /me derrière le talus +<carbon> ... Qu'on se dépêche ! +<roxane> Christian ! ... +<carbon> ... Alignez-vous ! ... +<roxane> ... Christian ! ... +<carbon> ... Mesurez... mèche ! +<MASTER> Ragueneau est accouru, apportant de l'eau dans un casque. +<ragueneau> /join +<christian> /me d'une voix mourante +<christian> Roxane ! ... +<cyrano> /me vite et bas à l'oreille de Christian, pendant que Roxane affolée +<cyrano> /me trempe dans l'eau, pour le panser, un morceau de linge arraché à sa +<cyrano> /me poitrine +<cyrano> ... J'ai tout dit. C'est toi qu'elle aime encor ! +<christian> /me ferme les yeux. +<roxane> Quoi, mon amour ? ... +<carbon> ... Baguette haute ! ... +<roxane> /me à Cyrano +<roxane> ... Il n'est pas mort ? +<carbon> Ouvrez la charge avec les dents ! ... +<roxane> ... Je sens sa joue +<roxane> Devenir froide, là, contre la mienne ! ... +<carbon> ... En joue ! +<roxane> Une lettre sur lui ! ... +<roxane> /me l'ouvre +<roxane> ... Pour moi ! ... +<cyrano> /me à part +<cyrano> ... Ma lettre ! ... +<carbon> ... Feu ! +<MASTER> Mousqueterie. Cris. Bruit de bataille. +<cyrano> /me voulant dégager sa main que tient Roxane agenouillée +<cyrano> Mais, Roxane, on se bat ! ... +<roxane> /me le retenant +<roxane> ... Restez encore un peu. +<roxane> Il est mort. Vous étiez le seul à le connaître. +<roxane> /me pleure doucement +<roxane> --N'est-ce pas que c'était un être exquis, un être +<roxane> Merveilleux ? ... +<cyrano> /me debout, tête nue +<cyrano> ... Oui, Roxane. ... +<roxane> ... Un poète inouï. +<roxane> Adorable ? ... +<cyrano> ... Oui, Roxane. ... +<roxane> ... Un esprit sublime ? ... +<cyrano> ... Oui, +<cyrano> Roxane ! ... +<roxane> ... Un cœur profond, inconnu du profane, +<roxane> Une âme magnifique et charmante ? ... +<cyrano> /me fermement +<cyrano> ... Oui, Roxane ! +<roxane> /me se jetant sur le corps de Christian +<roxane> Il est mort ! ... +<cyrano> /me à part, tirant l'épée +<cyrano> ... Et je n'ai qu'à mourir aujourd'hui, +<cyrano> Puisque, sans le savoir, elle me pleure en lui ! +<MASTER> Trompettes au loin. +<deguiche> /join +<deguiche> /me qui reparaît sur le talus, décoiffé, blessé au front, d'une +<deguiche> /me voix tonnante +<deguiche> C'est le signal promis ! Des fanfares de cuivres ! +<deguiche> Les Français vont rentrer au camp avec des vivres ! +<deguiche> Tenez encore un peu ! ... +<roxane> ... Sur sa lettre, du sang, +<roxane> Des pleurs ! ... +<voix> /join +<voix> /me au dehors, criant +<voix> ... Rendez-vous ! ... +<cadets> ... Non ! ... +<ragueneau> /me qui, grimpé sur son carrosse, regarde la bataille par-dessus +<ragueneau> /me le talus +<ragueneau> ... Le péril va croissant ! +<cyrano> /me à de Guiche, lui montrant Roxane +<cyrano> Emportez-la ! Je vais charger ! ... +<roxane> /me baisant la lettre, d'une voix mourante +<roxane> ... Son sang ! ses larmes ! +<ragueneau> /me sautant à bas du carrosse pour courir vers elle +<ragueneau> Elle s'évanouit ! ... +<deguiche> /me sur le talus, aux cadets, avec rage +<deguiche> ... Tenez bon ! ... +<voix2> /join +<voix2> /me au dehors +<voix2> ... Bas les armes ! +<cadets> Non ! ... +<cyrano> /me à de Guiche +<cyrano> ... Vous avez prouvé, Monsieur, votre valeur : +<cyrano> /me lui montrant Roxane +<cyrano> Fuyez en la sauvant ! ... +<deguiche> /me qui court à Roxane et l'enlève dans ses bras +<deguiche> ... Soit ! Mais on est vainqueur +<deguiche> Si vous gagnez du temps ! ... +<cyrano> ... C'est bon ! ... +<cyrano> /me criant vers Roxane que de Guiche, aidé de Ragueneau, emporte évanouie +<cyrano> ... Adieu, Roxane ! +<roxane> /part +<deguiche> /part +<ragueneau> /part +<MASTER> Tumulte. Cris. Des cadets reparaissent blessés et viennent tomber en +<MASTER> scène. Cyrano se précipitant au combat est arrêté sur la crête par +<MASTER> Carbon de Castel-Jaloux, couvert de sang. +<carbon> Nous plions ! J'ai reçu deux coups de pertuisane ! +<cyrano> /me criant aux Gascons +<cyrano> Hardi ! Reculès pas, drollos ! ... +<cyrano> /me à Carbon, qu'il soutient +<cyrano> ... N'ayez pas peur ! +<cyrano> J'ai deux morts à venger : Christian et mon bonheur ! +<MASTER> Ils redescendent. Cyrano brandit la lance où est attaché le mouchoir. +<cyrano> /me de Roxane +<cyrano> Flotte, petit drapeau de dentelle à son chiffre ! +<cyrano> /me la plante en terre; +<cyrano> /me crie aux cadets +<cyrano> Toumbé dèssus ! Escrasas lous ! ... +<cyrano> /me au fifre +<cyrano> ... Un air de fifre ! +<MASTER> Le fifre joue. Des blessés se relèvent. Des cadets dégringolant le +<MASTER> talus, viennent se grouper autour de Cyrano et du petit drapeau. Le +<MASTER> carrosse se couvre et se remplit d'hommes, se hérisse d'arquebuses, se +<MASTER> transforme en redoute. +<cadet1> /me paraissant, à reculons, sur la crête, se battant toujours, crie +<cadet1> Ils montent le talus ! ... +<cadet1> /me tombe mort. +<cyrano> ... On va les saluer ! +<MASTER> Le talus se couronne en un instant d'une rangée terrible d'ennemis. +<MASTER> Les grands étendards des Impériaux se lèvent +<cyrano> Feu ! ... +<MASTER> Décharge générale. +<ennemi> /join +<ennemi> /me cri dans les rangs ennemis +<ennemi> ... Feu ! ... +<MASTER> Riposte meurtrière. Les cadets tombent de tous côtés. +<officierespagnol> /join +<officierespagnol> /me se découvrant +<officierespagnol> ... Quels sont ces gens qui se font tous tuer ? +<cyrano> /me récitant debout au milieu des balles +<cyrano> Ce sont les cadets de Gascogne, +<cyrano> De Carbon de Castel-Jaloux; +<cyrano> Bretteurs et menteurs sans vergogne +<cyrano> /me s'élance, suivi des quelques survivants +<cyrano> Ce sont les cadets +<MASTER> Le reste se perd dans la bataille. +<voix> /part +<voix2> /part +<officierespagnol> /part +<ennemi> /part +<cyrano> /part +<cadet1> /part +<cadet2> /part +<cadet3> /part +<cadet4> /part +<cadet5> /part +<cadet6> /part +<cadet7> /part +<cadet8> /part +<cadet9> /part +<cadets> /part +<carbon> /part +<christian> /part +<piquiers> /part +<sentinelle> /part +<lebret> /part +<MASTER> Rideau. + + +<MASTER> Acte V. +<MASTER> La Gazette de Cyrano. +<MASTER> Quinze ans après, en 1655. Le parc du couvent que les Dames de la Croix +<MASTER> occupaient à Paris. +<MASTER> Superbes ombrages. À gauche, la maison; vaste perron sur lequel ouvrent +<MASTER> plusieurs portes. Un arbre énorme au milieu de la scène, isolé au milieu +<MASTER> d'une petite place ovale. À droite, premier plan, parmi de grands buis, +<MASTER> un banc de pierre demi-circulaire. +<MASTER> Tout le fond du théâtre est traversé par une allée de marronniers qui +<MASTER> aboutit à droite, quatrième plan, à la porte d'une chapelle entre-vue +<MASTER> parmi les branches. À travers le double rideau d'arbres de cette allée, +<MASTER> on aperçoit des fuites de pelouses, d'autres allées, des bosquets, les +<MASTER> profondeurs du parc, le ciel. +<MASTER> La chapelle ouvre une porte latérale sur une colonnade enguirlandée de +<MASTER> vigne rougie, qui vient se perdre à droite, au premier plan, derrière +<MASTER> les buis. +<MASTER> C'est l'automne. Toute la frondaison est rousse au-dessus des pelouses +<MASTER> fraîches. Taches sombres des buis et des ifs restés verts. Une plaque de +<MASTER> feuilles jaunes sous chaque arbre. Les feuilles jonchent toute la scène, +<MASTER> craquent sous les pas dans les allées, couvrent à demi le perron et les +<MASTER> bancs. +<MASTER> Entre le banc de droite et l'arbre, un grand métier à broder devant +<MASTER> lequel une petite chaise a été apportée. Paniers pleins d'écheveaux et +<MASTER> de pelotons. Tapisserie commencée. +<MASTER> Au lever du rideau, des sœurs vont et viennent dans le parc; +<MASTER> quelques-unes sont assises sur le banc autour d'une religieuse plus +<MASTER> âgée. Des feuilles tombent. +<MASTER> Scène 5.I. +<MASTER> Mère Marguerite, Sœur Marthe, Sœur Claire, les sœurs. +<marguerite> /join +<marthe> /join +<claire> /join +<soeurs> /join +<marthe> /me à Mère Marguerite +<marthe> Sœur Claire a regardé deux fois comment allait +<marthe> Sa cornette, devant la glace. ... +<marguerite> /me à sœur Claire +<marguerite> ... C'est très laid. +<claire> Mais sœur Marthe a repris un pruneau de la tarte, +<claire> Ce matin : je l'ai vu. ... +<marguerite> /me à sœur Marthe +<marguerite> ... C'est très vilain, sœur Marthe. +<claire> Un tout petit regard ! ... +<marthe> ... Un tout petit pruneau ! +<marguerite> /me sévèrement +<marguerite> Je le dirai, ce soir, à monsieur Cyrano. +<claire> /me épouvantée +<claire> Non, il va se moquer ! ... +<marthe> ... Il dira que les nonnes +<marthe> Sont très coquettes ! ... +<claire> ... Très gourmandes ! ... +<marguerite> /me souriant +<marguerite> ... Et très bonnes. +<claire> N'est-ce pas, Mère Marguerite de Jésus, +<claire> Qu'il vient, le samedi, depuis dix ans ! ... +<marguerite> ... Et plus ! +<marguerite> Depuis que sa cousine à nos béguins de toile +<marguerite> Mêla le deuil mondain de sa coiffe de voile, +<marguerite> Qui chez nous vint s'abattre, il y a quatorze ans, +<marguerite> Comme un grand oiseau noir parmi les oiseaux blancs ! +<marthe> Lui seul, depuis qu'elle a pris chambre dans ce cloître, +<marthe> Sait distraire un chagrin qui ne veut pas décroître. +<soeurs> Il est si drôle !--C'est amusant quand il vient ! +<soeurs> --Il nous taquine !--Il est gentil !--Nous l'aimons bien ! +<soeurs> --Nous fabriquons pour lui des pâtes d'angélique ! +<marthe> Mais enfin, ce n'est pas un très bon catholique ! +<claire> Nous le convertirons. ... +<soeurs> ... Oui ! oui ! ... +<marguerite> ... Je vous défends +<marguerite> De l'entreprendre encor sur ce point, mes enfants. +<marguerite> Ne le tourmentez pas : il viendrait moins peut-être ! +<marthe> Mais... Dieu ! ... +<marguerite> ... Rassurez-vous : Dieu doit bien le connaître. +<marthe> Mais chaque samedi, quand il vient d'un air fier, +<marthe> Il me dit en entrant : 'Ma sœur, j'ai fait gras, hier !' +<marguerite> Ah ! il vous dit cela ? ... Eh bien ! la fois dernière +<marguerite> Il n'avait pas mangé depuis deux jours ! ... +<marthe> ... Ma Mère ! +<marguerite> Il est pauvre. ... +<marthe> ... Qui vous l'a dit ? ... +<marguerite> ... Monsieur Le Bret. +<marthe> On ne le secourt pas ? ... +<marguerite> ... Non, il se fâcherait. +<MASTER> Dans une allée du fond, on voit apparaître Roxane, vêtue de noir, +<MASTER> avec la coiffe des veuves et de long voiles; de Guiche, magnifique et +<MASTER> vieillissant, marche auprès d'elle. Ils vont à pas lents. Mère +<marguerite> /me se lève +<marguerite> --Allons, il faut rentrer... Madame Madeleine, +<marguerite> Avec un visiteur, dans le parc se promène. +<marthe> /me bas à sœur Claire +<marthe> C'est le duc-maréchal de Grammont ? ... +<claire> /me regardant +<claire> ... Oui, je crois. +<marthe> Il n'était plus venu la voir depuis des mois ! +<soeurs> Il est très pris !--La cour !--Les camps ! ... +<claire> ... Les soins du monde ! +<marguerite> /part +<claire> /part +<marthe> /part +<soeurs> /part +<MASTER> Elles sortent. De Guiche et Roxane descendent en silence et +<MASTER> s'arrêtent près du métier. Un temps. +<MASTER> Scène 5.II. +<MASTER> Roxane; le duc de Grammont, ancien comte de Guiche, puis Le Bret et +<MASTER> Ragueneau. +<deguiche> /join +<roxane> /join +<deguiche> Et vous demeurerez ici, vainement blonde, +<deguiche> Toujours en deuil ? ... +<roxane> ... Toujours. ... +<deguiche> ... Aussi fidèle ? ... +<roxane> ... Aussi. +<deguiche> /me après un temps +<deguiche> Vous m'avez pardonné ? ... +<roxane> /me simplement, regardant la croix du couvent +<roxane> ... Puisque je suis ici. +<MASTER> Nouveau silence. +<deguiche> Vraiment c'était un être ? ... +<roxane> ... Il fallait le connaître ! +<deguiche> Ah ! Il fallait ? ... Je l'ai trop peu connu, peut-être ! +<deguiche> Et son dernier billet, sur votre cœur, toujours ? +<roxane> Comme un doux scapulaire, il pend à ce velours. +<deguiche> Même mort, vous l'aimez ? ... +<roxane> ... Quelquefois il me semble +<roxane> Qu'il n'est mort qu'à demi, que nos cœurs sont ensemble, +<roxane> Et que son amour flotte, autour de moi, vivant ! +<deguiche> /me après un silence encore +<deguiche> Est-ce que Cyrano vient vous voir ? ... +<roxane> ... Oui, souvent. +<roxane> --Ce vieil ami, pour moi, remplace les gazettes. +<roxane> Il vient; c'est régulier; sous cet arbre où vous êtes +<roxane> On place son fauteuil, s'il fait beau; je l'attends +<roxane> En brodant; l'heure sonne; au dernier coup, j'entends +<roxane> --Car je ne tourne plus même le front !--sa canne +<roxane> Descendre le perron; il s'assied; il ricane +<roxane> De ma tapisserie éternelle; il me fait +<roxane> La chronique de la semaine, et ... +<MASTER> Le Bret paraît sur le perron +<roxane> ... Tiens, Le Bret ! +<lebret> /join +<lebret> /me descend +<roxane> Comment va notre ami ? ... +<lebret> ... Mal. ... +<deguiche> ... Oh ! ... +<roxane> /me au duc +<roxane> ... Il exagère ! +<lebret> Tout ce que j'ai prédit : l'abandon, la misère ! +<lebret> Ses épîtres lui font des ennemis nouveaux ! +<lebret> Il attaque les faux nobles, les faux dévots, +<lebret> Les faux braves, les plagiaires,--tout le monde. +<roxane> Mais son épée inspire une terreur profonde. +<roxane> On ne viendra jamais à bout de lui. ... +<deguiche> /me hochant la tête +<deguiche> ... Qui sait ? +<lebret> Ce que je crains, ce n'est pas les attaques, c'est +<lebret> La solitude, la famine, c'est Décembre +<lebret> Entrant à pas de loup dans son obscure chambre : +<lebret> Voilà les spadassins qui plutôt le tueront ! +<lebret> --Il serre chaque jour, d'un cran, son ceinturon. +<lebret> Son pauvre nez a pris des tons de vieil ivoire. +<lebret> Il n'a plus qu'un petit habit de serge noire. +<deguiche> Ah ! celui-là n'est pas parvenu !--C'est égal, +<deguiche> Ne le plaignez pas trop. ... +<lebret> /me avec un sourire amer +<lebret> ... Monsieur le maréchal ! +<deguiche> Ne le plaignez pas trop : il a vécu sans pactes, +<deguiche> Libre dans sa pensée autant que dans ses actes. +<lebret> /me de même +<lebret> Monsieur le duc ! ... +<deguiche> /me hautainement +<deguiche> ... Je sais, oui : j'ai tout; il n'a rien +<deguiche> Mais je lui serrerais bien volontiers la main. +<deguiche> /me saluant Roxane +<deguiche> Adieu. ... +<roxane> ... Je vous conduis. ... +<MASTER> Le duc salue Le Bret et se dirige avec Roxane vers le perron. +<deguiche> /me s'arrêtant, tandis qu'elle monte +<deguiche> ... Oui, parfois, je l'envie. +<deguiche> --Voyez-vous, lorsqu'on a trop réussi sa vie, +<deguiche> On sent,--n'ayant rien fait, mon Dieu, de vraiment mal !-- +<deguiche> Mille petits dégoûts de soi, dont le total +<deguiche> Ne fait pas un remords, mais une gêne obscure; +<deguiche> Et les manteaux de duc traînent dans leur fourrure, +<deguiche> Pendant que des grandeurs on monte les degrés, +<deguiche> Un bruit d'illusions sèches et de regrets, +<deguiche> Comme, quand vous montez lentement vers ces portes, +<deguiche> Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes. +<roxane> /me ironique +<roxane> Vous voilà bien rêveur ? ... +<deguiche> ... Eh ! oui ! ... +<deguiche> /me au moment de sortir, brusquement +<deguiche> ... Monsieur Le Bret ! +<deguiche> /me à Roxane +<deguiche> Vous permettez ? Un mot. ... +<deguiche> /me va à Le Bret, et à mi-voix +<deguiche> ... C'est vrai : nul n'oserait +<deguiche> Attaquer votre ami; mais beaucoup l'ont en haine; +<deguiche> Et quelqu'un me disait, hier, au jeu, chez la Reine : +<deguiche> "Ce Cyrano pourrait mourir d'un accident." +<lebret> Ah ? ... +<deguiche> ... Oui. Qu'il sorte peu. Qu'il soit prudent. ... +<lebret> /me levant les bras au ciel +<lebret> ... Prudent ! +<lebret> Il va venir. Je vais l'avertir. Oui, mais ! ... +<roxane> /me qui est restée sur le perron, à une sœur qui s'avance vers elle +<soeur> /join +<roxane> ... Qu'est-ce ? +<soeur> Ragueneau vient vous voir, Madame. ... +<roxane> ... Qu'on le laisse +<roxane> Entrer. ... +<soeur> /part +<roxane> /me au duc et à Le Bret +<roxane> ... Il vient crier misère. Étant un jour +<roxane> Parti pour être auteur, il devint tour à tour +<roxane> Chantre ... +<lebret> ... Étuviste ... +<roxane> ... Acteur ... +<lebret> ... Bedeau ... +<roxane> ... Perruquier ... +<lebret> ... Maître +<lebret> De théorbe ... +<roxane> ... Aujourd'hui que pourrait-il bien être ? +<ragueneau> /join +<ragueneau> /me entrant précipitamment +<ragueneau> Ah ! Madame ! ... +<ragueneau> /me aperçoit Le Bret +<ragueneau> ... Monsieur ! ... +<roxane> /me souriant +<roxane> ... Racontez vos malheurs +<roxane> À Le Bret. Je reviens. ... +<ragueneau> ... Mais, Madame ... +<roxane> /me sort sans l'écouter, avec le duc +<roxane> /part +<deguiche> /part +<ragueneau> /me redescend vers le Bret. + +<MASTER> Scène 5.III. +<MASTER> Le Bret, Ragueneau. +<ragueneau> ... D'ailleurs, +<ragueneau> Puisque vous êtes là, j'aime mieux qu'elle ignore ! +<ragueneau> --J'allais voir votre ami tantôt. J'étais encore +<ragueneau> À vingt pas de chez lui... quand je le vois de loin, +<ragueneau> Qui sort. Je veux le joindre. Il va tourner le coin +<ragueneau> De la rue... et je cours... lorsque d'une fenêtre +<ragueneau> Sous laquelle il passait--est-ce un hasard ? ... peut-être !-- +<ragueneau> Un laquais laisse choir une pièce de bois. +<lebret> Les lâches ! ... Cyrano ! ... +<ragueneau> ... J'arrive et je le vois +<lebret> C'est affreux ! ... +<ragueneau> ... Notre ami, Monsieur, notre poète, +<ragueneau> Je le vois, là, par terre, un grand trou dans la tête ! +<lebret> Il est mort ? ... +<ragueneau> ... Non ! mais... Dieu ! je l'ai porté chez lui. +<ragueneau> Dans sa chambre... Ah ! sa chambre ! il faut voir ce réduit ! +<lebret> Il souffre ? ... +<ragueneau> ... Non, Monsieur, il est sans connaissance, +<lebret> Un médecin ? ... +<ragueneau> ... Il en vint un par complaisance, +<lebret> Mon pauvre Cyrano !--Ne disons pas cela +<lebret> Tout d'un coup à Roxane !--Et ce docteur ? ... +<ragueneau> ... Il a +<ragueneau> Parlé,--je ne sais plus,--de fièvre, de méninges ! +<ragueneau> Ah ! si vous le voyiez--la tête dans des linges ! +<ragueneau> Courons vite !--Il n'y a personne à son chevet !-- +<ragueneau> C'est qu'il pourrait mourir, Monsieur, s'il se levait ! +<lebret> /me l'entraînant vers la droite +<lebret> Passons par là ! Viens, c'est plus court ! Par la chapelle ! +<roxane> /join +<roxane> /me paraissant sur le perron et voyant Le Bret s'éloigner par la +<roxane> /me colonnade qui mène a la petite porte de la chapelle +<roxane> Monsieur Le Bret ! ... +<MASTER> Le Bret et Ragueneau se sauvent sans répondre +<lebret> /part +<ragueneau> /part +<roxane> ... Le Bret s'en va quand on l'appelle ? +<roxane> C'est quelque histoire encor de ce bon Ragueneau ! +<roxane> /me descend le perron. + +<MASTER> Scène 5.IV. +<MASTER> Roxane seule, puis deux sœurs, un instant. +<roxane> Ah ! que ce dernier jour de septembre est donc beau ! +<roxane> Ma tristesse sourit. Elle qu'Avril offusque, +<roxane> Se laisse décider par l'automne, moins brusque. +<roxane> /me s'assied à son métier. +<MASTER> Deux sœurs sortent de la maison et apportent un grand fauteuil sous l'arbre +<marthe> /join +<soeur> /join +<roxane> Ah ! voici le fauteuil classique où vient s'asseoir +<roxane> Mon vieil ami ! ... +<marthe> ... Mais c'est le meilleur du parloir ! +<roxane> Merci, ma sœur. ... +<MASTER> Les sœurs s'éloignent +<marthe> /part +<soeur> /part +<roxane> ... Il va venir. ... +<roxane> /me s'installe. On entend sonner l'heure +<roxane> ... Là... l'heure sonne. +<roxane> --Mes écheveaux !--L'heure a sonné ? Ceci m'étonne ! +<roxane> Serait-il en retard pour la première fois ? +<roxane> La sœur tourière doit--mon dé ? ... là, je le vois !-- +<roxane> L'exhorter à la pénitence. ... +<MASTER> Un temps +<roxane> ... Elle l'exhorte ! +<roxane> --Il ne peut plus tarder.--Tiens ! une feuille morte !-- +<roxane> /me repousse du doigt la feuille tombée sur son métier +<roxane> D'ailleurs, rien ne pourrait.--Mes ciseaux ? ... dans mon sac !-- +<roxane> L'empêcher de venir ! ... +<soeur> /join +<soeur> /me paraissant sur le perron +<soeur> ... Monsieur de Bergerac. +<soeur> /part + +<MASTER> Scène 5.V. +<MASTER> Roxane, Cyrano et, un moment, sœur Marthe. +<roxane> /me sans se retourner +<roxane> Qu'est-ce que je disais ? ... +<MASTER> Et elle brode. Cyrano, très pâle, le feutre enfoncé sur les yeux, +<MASTER> paraît. La sœur qui l'a introduit rentre. Il se met à descendre le +<MASTER> perron lentement, avec un effort visible pour se tenir debout, et en +<MASTER> s'appuyant sur sa canne. Roxane travaille à sa tapisserie +<cyrano> /join +<roxane> ... Ah ! ces teintes fanées +<roxane> Comment les rassortir ? ... +<roxane> /me à Cyrano, sur un ton d'amicale gronderie +<roxane> ... Depuis quatorze années, +<roxane> Pour la première fois, en retard ! ... +<cyrano> /me qui est parvenu au fauteuil et s'est assis, d'une voix gaie, +<cyrano> /me contrastant avec son visage +<cyrano> ... Oui, c'est fou ! +<cyrano> J'enrage. Je fus mis en retard, vertuchou ! +<roxane> Par ? ... +<cyrano> ... Par une visite assez inopportune. +<roxane> /me distraite, travaillant +<roxane> Ah ! oui ! quelque fâcheux ? ... +<cyrano> ... Cousine, c'était une +<cyrano> Fâcheuse. ... +<roxane> ... Vous l'avez renvoyée ? ... +<cyrano> ... Oui, j'ai dit : +<cyrano> Excusez-moi, mais c'est aujourd'hui samedi, +<cyrano> Jour où je dois me rendre en certaine demeure; +<cyrano> Rien ne m'y fait manquer : repassez dans une heure ! +<roxane> /me légèrement +<roxane> Eh bien ! cette personne attendra pour vous voir : +<roxane> Je ne vous laisse pas partir avant ce soir. +<cyrano> /me avec douceur +<cyrano> Peut-être un peu plus tôt faudra-t-il que je parte. +<cyrano> /me ferme les yeux et se tait un instant. +<marthe> /join +<marthe> /me traverse le parc de la chapelle au perron. +<roxane> /me l'aperçoit, lui fait un petit signe de tête. +<roxane> /me à Cyrano +<roxane> Vous ne taquinez pas sœur Marthe ? ... +<cyrano> /me vivement, ouvrant les yeux +<cyrano> ... Si ! ... +<cyrano> /me avec une grosse voix comique +<cyrano> ... Sœur Marthe ! +<cyrano> Approchez ! ... +<marthe> /me glisse vers lui +<cyrano> ... Ha ! ha ! ha ! Beaux yeux toujours baissés ! +<marthe> /me levant les yeux en souriant +<marthe> Mais ... +<marthe> /me voit sa figure et fait un geste d'étonnement +<marthe> ... Oh ! ... +<cyrano> /me bas, lui montrant Roxane +<cyrano> ... Chut ! Ce n'est rien !-- ... +<cyrano> /me d'une voix fanfaronne, haut +<cyrano> ... Hier, j'ai fait gras. ... +<marthe> ... Je sais. +<marthe> /me à part +<marthe> C'est pour cela qu'il est si pâle ! ... +<marthe> /me vite et bas +<marthe> ... Au réfectoire +<marthe> Vous viendrez tout à l'heure, et je vous ferai boire +<marthe> Un grand bol de bouillon... Vous viendrez ? ... +<cyrano> ... Oui, oui, oui. +<marthe> Ah ! vous êtes un peu raisonnable, aujourd'hui ! +<roxane> /me qui les entend chuchoter +<roxane> Elle essaye de vous convertir ? ... +<marthe> ... Je m'en garde ! +<cyrano> Tiens, c'est vrai ! Vous toujours si saintement bavarde, +<cyrano> Vous ne me prêchez pas ? c'est étonnant, ceci ! +<cyrano> /me avec une fureur bouffonne +<cyrano> Sabre de bois ! Je veux vous étonner aussi ! +<cyrano> Tenez, je vous permets ... +<cyrano> /me a l'air de chercher une bonne taquinerie, et de la trouver +<cyrano> ... Ah ! la chose est nouvelle ? +<cyrano> De... de prier pour moi, ce soir, à la chapelle. +<roxane> Oh ! oh ! ... +<cyrano> /me riant +<cyrano> ... Sœur Marthe est dans la stupéfaction ! +<marthe> /me doucement +<marthe> Je n'ai pas attendu votre permission. +<marthe> /me rentre. +<marthe> /part +<cyrano> /me revenant à Roxane, penchée sur son métier +<cyrano> Du diable si je peux jamais, tapisserie, +<cyrano> Voir ta fin ! ... +<roxane> ... J'attendais cette plaisanterie. +<MASTER> À ce moment un peu de brise fait tomber les feuilles. +<cyrano> Les feuilles ! ... +<roxane> /me levant la tête, et regardant au loin, dans les allées +<roxane> ... Elles sont d'un blond vénitien. +<roxane> Regardez-les tomber. ... +<cyrano> ... Comme elles tombent bien ! +<cyrano> Dans ce trajet si court de la branche à la terre, +<cyrano> Comme elles savent mettre une beauté dernière, +<cyrano> Et malgré leur terreur de pourrir sur le sol, +<cyrano> Veulent que cette chute ait la grâce d'un vol ! +<roxane> Mélancolique, vous ? ... +<cyrano> /me se reprenant +<cyrano> ... Mais pas du tout, Roxane ! +<roxane> Allons, laissez tomber les feuilles de platane +<roxane> Et racontez un peu ce qu'il y a de neuf. +<roxane> Ma gazette ? ... +<cyrano> ... Voici ! ... +<roxane> ... Ah ! ... +<cyrano> /me de plus en plus pâle, et luttant contre la douleur +<cyrano> ... Samedi, dix-neuf : +<cyrano> Ayant mangé huit fois du raisiné de Cette, +<cyrano> Le Roi fut pris de fièvre; à deux coups de lancette +<cyrano> Son mal fut condamné pour lèse-majesté, +<cyrano> Et cet auguste pouls n'a plus fébricité ! +<cyrano> Au grand bal, chez la reine, on a brûlé, dimanche, +<cyrano> Sept cent soixante-trois flambeaux de cire blanche; +<cyrano> Nos troupes ont battu, dit-on, Jean l'Autrichien; +<cyrano> On a pendu quatre sorciers; le petit chien +<cyrano> De madame d'Athis a dû prendre un clystère +<roxane> Monsieur de Bergerac, voulez-vous bien vous taire ! +<cyrano> Lundi... rien. Lygdamire a changé d'amant. ... +<roxane> ... Oh ! +<cyrano> /me dont le visage s'altère de plus en plus +<cyrano> Mardi, toute la cour est à Fontainebleau. +<cyrano> Mercredi, la Montglat dit au comte de Fiesque : +<cyrano> Non ! Jeudi : Mancini, Reine de France,--ou presque ! +<cyrano> Le vingt-cinq, la Monglat à de Fiesque dit : Oui; +<cyrano> Et samedi, vingt-six ... +<cyrano> /me ferme les yeux. Sa tête tombe. Silence. +<roxane> /me surprise de ne plus rien entendre, se retourne, le regarde, et +<roxane> /me se levant effrayée +<roxane> ... Il est évanoui ? +<roxane> /me court vers lui en criant +<roxane> Cyrano ! ... +<cyrano> /me rouvrant les yeux, d'une voix vague +<cyrano> ... Qu'est-ce ? ... Quoi ? ... +<cyrano> /me voit Roxane penchée sur lui et, vivement, assurant son chapeau sur +<cyrano> /me sa tête et reculant avec effroi dans son fauteuil +<cyrano> ... Non ! non ! je vous assure, +<cyrano> Ce n'est rien ! Laissez-moi ! ... +<roxane> ... Pourtant ... +<cyrano> ... C'est ma blessure +<cyrano> D'Arras... qui... quelquefois... vous savez ... +<roxane> ... Pauvre ami ! +<cyrano> Mais ce n'est rien. Cela va finir. ... +<cyrano> /me sourit avec effort +<cyrano> ... C'est fini. +<roxane> /me debout près de lui +<roxane> Chacun de nous a sa blessure : j'ai la mienne. +<roxane> Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne, +<roxane> /me met la main sur sa poitrine +<roxane> Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant +<roxane> Où l'on peut voir encor des larmes et du sang ! +<MASTER> Le crépuscule commence à venir. +<cyrano> Sa lettre ! ... N'aviez-vous pas dit qu'un jour, peut-être, +<cyrano> Vous me la feriez lire ? ... +<roxane> ... Ah ! vous voulez ? ... Sa lettre ? +<cyrano> Oui ... Je veux ... Aujourd'hui ... +<roxane> /me lui donnant le sachet pendu à son cou +<roxane> ... Tenez ! ... +<cyrano> /me le prenant +<cyrano> ... Je peux ouvrir ? +<roxane> Ouvrez... lisez ! ... +<roxane> /me revient à son métier, le replie, range ses laines. +<cyrano> /me lisant +<cyrano> ... Roxane, adieu, je vais mourir ! +<roxane> /me s'arrêtant, étonnée +<roxane> Tout haut ? ... +<cyrano> /me lisant +<cyrano> ... C'est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée ! +<cyrano> J'ai l'âme lourde encor d'amour inexprimée, +<cyrano> Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés, +<cyrano> Mes regards dont c'était ... +<roxane> ... Comment vous la lisez, +<roxane> Sa lettre ! ... +<cyrano> /me continuant +<cyrano> ... dont c'était les frémissantes fêtes, +<cyrano> Ne baiseront au vol les gestes que vous faites; +<cyrano> J'en revois un petit qui vous est familier +<cyrano> Pour toucher votre front, et je voudrais crier +<roxane> /me troublée +<roxane> Comme vous la lisez,--cette lettre ! ... +<MASTER> La nuit vient insensiblement. +<cyrano> ... Et je crie : +<cyrano> Adieu ! ... +<roxane> ... Vous la lisez ... +<cyrano> ... Ma chère, ma chérie, +<cyrano> Mon trésor ... +<roxane> /me rêveuse +<roxane> ... D'une voix ... +<cyrano> ... Mon amour ! ... +<roxane> ... D'une voix +<roxane> /me tressaille +<roxane> Mais... que je n'entends pas pour la première fois ! +<roxane> /me s'approche tout doucement, sans qu'il s'en aperçoive, passe +<roxane> /me derrière le fauteuil, se penche sans bruit, regarde la +<roxane> /me lettre.--L'ombre augmente. +<cyrano> Mon cœur ne vous quitta jamais une seconde, +<cyrano> Et je suis et serai jusque dans l'autre monde +<cyrano> Celui qui vous aima sans mesure, celui +<roxane> /me lui posant la main sur l'épaule +<roxane> Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit. +<roxane> /me tressaille, se retourne, la voit là tout près, fait un geste +<roxane> /me d'effroi, baisse la tête. +<MASTER> Un long silence. +<MASTER> Puis, dans l'ombre complètement venue, elle dit avec lenteur, joignant les mains +<roxane> Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle +<roxane> D'être le vieil ami qui vient pour être drôle ! +<cyrano> Roxane ! ... +<roxane> ... C'était vous ! ... +<cyrano> ... Non, non, Roxane, non ! +<roxane> J'aurais dû deviner quand il disait mon nom ! +<cyrano> Non, ce n'était pas moi ! ... +<roxane> ... C'était vous ! ... +<cyrano> ... Je vous jure +<roxane> J'aperçois toute la généreuse imposture : +<roxane> Les lettres, c'était vous ... +<cyrano> ... Non ! ... +<roxane> ... Les mots chers et fous, +<roxane> C'était vous ... +<cyrano> ... Non ! ... +<roxane> ... La voix dans la nuit, c'était vous ! +<cyrano> Je vous jure que non ! ... +<roxane> ... L'âme, c'était la vôtre ! +<cyrano> Je ne vous aimais pas. ... +<roxane> ... Vous m'aimiez ! ... +<cyrano> /me se débattant +<cyrano> ... C'était l'autre ! +<roxane> Vous m'aimiez ! ... +<cyrano> /me d'une voix qui faiblit +<cyrano> ... Non ! ... +<roxane> ... Déjà vous le dites plus bas ! +<cyrano> Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas ! +<roxane> Ah ! que de choses qui sont mortes... qui sont nées ! +<roxane> --Pourquoi vous être tu pendant quatorze années, +<roxane> Puisque sur cette lettre où, lui, n'était pour rien, +<roxane> Ces pleurs étaient de vous ? ... +<cyrano> /me lui tendant la lettre +<cyrano> ... Ce sang était le sien. +<roxane> Alors pourquoi laisser ce sublime silence +<roxane> Se briser aujourd'hui ? ... +<cyrano> ... Pourquoi ? ... +<MASTER> Le Bret et Ragueneau entrent en courant. +<lebret> /join +<ragueneau> /join + +<MASTER> Scène 5.VI. +<MASTER> Les mêmes, Le Bret et Ragueneau. +<lebret> ... Quelle imprudence ! +<lebret> Ah ! j'en étais bien sûr ! il est là ! ... +<cyrano> /me souriant et se redressant +<cyrano> ... Tiens, parbleu ! +<lebret> Il s'est tué, Madame, en se levant ! ... +<roxane> ... Grand Dieu ! +<roxane> Mais tout à l'heure alors... cette faiblesse ? ... cette ? +<cyrano> C'est vrai ! je n'avais pas terminé ma gazette : +<cyrano> Et samedi, vingt-six, une heure avant dîné, +<cyrano> Monsieur de Bergerac est mort assassiné. +<cyrano> /me se découvre; on voit sa tête entourée de linges. +<roxane> Que dit-il ?--Cyrano !--Sa tête enveloppée ! +<roxane> Ah, que vous a-t-on fait ? Pourquoi ? ... +<cyrano> ... "D'un coup d'épée, +<cyrano> Frappé par un héros, tomber la pointe au cœur !" +<cyrano> --Oui, je disais cela ! ... Le destin est railleur ! +<cyrano> Et voilà que je suis tué dans une embûche, +<cyrano> Par derrière, par un laquais, d'un coup de bûche ! +<cyrano> C'est très bien. J'aurai tout manqué, même ma mort. +<ragueneau> Ah, Monsieur ! ... +<cyrano> ... Ragueneau, ne pleure pas si fort ! +<cyrano> /me lui tend la main +<cyrano> Qu'est-ce que tu deviens, maintenant, mon confrère ? +<ragueneau> /me à travers ses larmes +<ragueneau> Je suis moucheur de... de... chandelles, chez Molière. +<cyrano> Molière ! ... +<ragueneau> ... Mais je veux le quitter, dès demain : +<ragueneau> Oui, je suis indigné ! ... Hier, on jouait Scapin, +<ragueneau> Et j'ai vu qu'il vous a pris une scène ! ... +<lebret> ... Entière ! +<ragueneau> Oui, Monsieur, le fameux : "Que Diable allait-il faire ? " +<lebret> /me furieux +<lebret> Molière te l'a pris ! ... +<cyrano> ... Chut ! chut ! Il a bien fait ! +<cyrano> /me à Ragueneau +<cyrano> La scène, n'est-ce pas, produit beaucoup d'effet ? +<ragueneau> /me sanglotant +<ragueneau> Ah ! Monsieur, on riait ! on riait ! ... +<cyrano> ... Oui, ma vie +<cyrano> Ce fut d'être celui qui souffle -- et qu'on oublie ! +<cyrano> /me à Roxane +<cyrano> Vous souvient-il du soir où Christian vous parla +<cyrano> Sous le balcon ? Eh bien ! toute ma vie est là : +<cyrano> Pendant que je restais en bas, dans l'ombre noire, +<cyrano> D'autres montaient cueillir le baiser de la gloire ! +<cyrano> C'est justice, et j'approuve au seuil de mon tombeau : +<cyrano> Molière a du génie et Christian était beau ! +<MASTER> À ce moment, la cloche de la chapelle ayant tinté, on voit passer au +<MASTER> fond, dans l'allée, les religieuses se rendant à l'office +<cyrano> Qu'elles aillent prier puisque leur cloche sonne ! +<roxane> /me se relevant pour appeler +<roxane> Ma sœur ! ma sœur ! ... +<cyrano> /me la retenant +<cyrano> ... Non ! non ! n'allez chercher personne : +<cyrano> Quand vous reviendriez, je ne serais plus là. +<MASTER> Les religieuses sont entrées dans la chapelle, on entend l'orgue +<cyrano> Il me manquait un peu d'harmonie... en voilà. +<roxane> Je vous aime, vivez ! ... +<cyrano> ... Non ! car c'est dans le conte +<cyrano> Que lorsqu'on dit : Je t'aime ! au prince plein de honte, +<cyrano> Il sent sa laideur fondre à ces mots de soleil +<cyrano> Mais tu t'apercevrais que je reste pareil. +<roxane> J'ai fait votre malheur ! moi ! moi ! ... +<cyrano> ... Vous ? ... au contraire ! +<cyrano> J'ignorais la douceur féminine. Ma mère +<cyrano> Ne m'a pas trouvé beau. Je n'ai pas eu de sœur. +<cyrano> Plus tard, j'ai redouté l'amante à l'œil moqueur. +<cyrano> Je vous dois d'avoir eu, tout au moins, une amie. +<cyrano> Grâce à vous une robe a passé dans ma vie. +<lebret> /me lui montrant le clair de lune qui descend à travers les branches +<lebret> Ton autre amie est là, qui vient te voir ! ... +<cyrano> /me souriant à la lune +<cyrano> ... Je vois. +<roxane> Je n'aimais qu'un seul être et je le perds deux fois ! +<cyrano> Le Bret, je vais monter dans la lune opaline, +<cyrano> Sans qu'il faille inventer, aujourd'hui, de machine +<lebret> Que dites-vous ? ... +<cyrano> ... Mais oui, c'est là, je vous le dis, +<cyrano> Que l'on va m'envoyer faire mon paradis +<cyrano> Plus d'une âme que j'aime y doit être exilée, +<cyrano> Et je retrouverai Socrate et Galilée ! +<lebret> /me se révoltant +<lebret> Non, non ! C'est trop stupide à la fin, et c'est trop +<lebret> Injuste ! Un tel poète ! Un cœur si grand, si haut ! +<lebret> Mourir ainsi ! ... Mourir ! ... +<cyrano> ... Voilà Le Bret qui grogne ! +<lebret> /me fondant en larmes +<lebret> Mon cher ami ... +<cyrano> /me se soulevant, l'œil égaré +<cyrano> ... Ce sont les cadets de Gascogne +<cyrano> --La masse élémentaire... Eh oui ! ... voilà le hic +<lebret> Sa science... dans son délire ! ... +<cyrano> ... Copernic +<cyrano> A dit ... +<roxane> ... Oh ! ... +<cyrano> ... Mais aussi que diable allait-il faire, +<cyrano> Mais que diable allait-il faire en cette galère ? +<cyrano> Philosophe, physicien, +<cyrano> Rimeur, bretteur, musicien, +<cyrano> Et voyageur aérien, +<cyrano> Grand riposteur du tac au tac, +<cyrano> Amant aussi--pas pour son bien !-- +<cyrano> Ci-gît Hercule-Savinien +<cyrano> De Cyrano de Bergerac, +<cyrano> Qui fut tout, et qui ne fut rien, +<cyrano> Mais je m'en vais, pardon, je ne peux faire attendre : +<cyrano> Vous voyez, le rayon de lune vient me prendre ! +<cyrano> /me est retombé assis, les pleurs de Roxane le rappellent à la réalité +<cyrano> /me la regarde, et caressant ses voiles +<cyrano> Je ne veux pas que vous pleuriez moins ce charmant, +<cyrano> Ce bon, ce beau Christian; mais je veux seulement +<cyrano> Que lorsque le grand froid aura pris mes vertèbres, +<cyrano> Vous donniez un sens double à ces voiles funèbres, +<cyrano> Et que son deuil sur vous devienne un peu mon deuil. +<roxane> Je vous jure ! ... +<cyrano> /me est secoué d'un grand frisson et se lève brusquement +<cyrano> ... Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil ! +<MASTER> On veut s'élancer vers lui +<cyrano> --Ne me soutenez pas !--Personne ! ... +<cyrano> /me va s'adosser à l'arbre +<cyrano> ... Rien que l'arbre ! +<MASTER> Silence +<cyrano> Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre, +<cyrano> --Ganté de plomb ! ... +<cyrano> /me se raidit +<cyrano> ... Oh ! mais ! ... puisqu'elle est en chemin, +<cyrano> Je l'attendrai debout, ... +<cyrano> /me tire l'épée +<cyrano> ... et l'épée à la main ! +<lebret> Cyrano ! ... +<roxane> /me défaillante +<roxane> ... Cyrano ! ... +<MASTER> Tous reculent épouvantés. +<cyrano> ... Je crois qu'elle regarde +<cyrano> Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde +<cyrano> /me lève son épée +<cyrano> Que dites-vous ? ... C'est inutile ? ... Je le sais ! +<cyrano> Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès ! +<cyrano> Non ! non ! c'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! +<cyrano> -- Qu'est-ce que c'est que tous ceux-là ? -- Vous êtes mille ? +<cyrano> Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis ! +<cyrano> Le Mensonge ? ... +<cyrano> /me frappe de son épée le vide +<cyrano> ... Tiens, tiens !--Ha ! ha ! les Compromis ! +<cyrano> Les Préjugés, les Lâchetés ! ... +<cyrano> /me frappe +<cyrano> ... Que je pactise ? +<cyrano> Jamais, jamais !--Ah ! te voilà, toi, la Sottise ! +<cyrano> --Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas; +<cyrano> N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats ! +<cyrano> /me fait des moulinets immenses et s'arrête haletant +<cyrano> Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose ! +<cyrano> Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose +<cyrano> Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu, +<cyrano> Mon salut balaiera largement le seuil bleu, +<cyrano> Quelque chose que sans un pli, sans une tache, +<cyrano> J'emporte malgré vous, ... +<cyrano> /me s'élance l'épée haute +<cyrano> ... et c'est ... +<MASTER> L'épée s'échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de +<MASTER> Le Bret et de Ragueneau. +<roxane> /me se penchant sur lui et lui baisant le front +<roxane> ... C'est ? ... +<cyrano> /me rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant +<cyrano> ... Mon panache. +<lebret> /part +<ragueneau> /part +<roxane> /part +<cyrano> /part +<MASTER> Rideau.