N'écrivez pas « je »

Une coutume particulièrement imbécile en vigueur dans le monde du formalisme est qu'il ne faut pas dire « je ». À la seule exception de certains types d'essai et d'écritures d'invention, c'est formellement interdit. Ce jeu fort amusant du « ni je, ni moi » est une règle primordiale, et transgresser sa règle vous pénalisera presque toujours.

Non :

J'ai donc montré qu'il était nécessaire de replacer le texte étudié dans une visée argumentative et dans un contexte culturel. Néanmoins, je pourrais encore me demander si la littérature n'est pas, plus largement, la fusion entre un contexte et une idée.

Comment dire son avis sans le dire ? La première méthode est d'utiliser le « nous » de politesse (pour les mathématiques, il faudra utiliser la deuxième méthode, celle-là n'étant guère appréciée). Tant pis si ce nous « de politesse » donne plutôt l'impression que vous vous considérez à vous seul aussi important que plusieurs personnes, tant pis s'il vous rappelle plutôt les décrets pompeux de Louis XIV, être humble par excellence. Ce « nous » reste très utile pour donner son avis sans dire « je ».

Oui :

À partir des documents du corpus et de nos lectures personnelles, nous proposerons une réponse à la problématique.

Une deuxième méthode est d'utiliser « on ». Cela ne revient pas au même, il y a une nuance : en théorie, le « on » donne une portée générale à votre propos, et sert également à représenter une personne standard, par exemple pour dénoncer une objection. Il est alors très utile pour nuancer votre propos (qu'importe si l'objection proposée ne viendrait jamais à l'esprit d'une personne normalement constituée). C'est très utile en mathématiques où l'on abuse également, d'ailleurs, de l'impératif présent de la première personne du pluriel

Oui :

On voit donc bien que $x^2 = 4$, et on a $y = 2$ car on sait que $2y = x$ [portée générale]. Montrons à présent que $z$ n'existe pas si on a $y < 5$.

Oui :

On pourrait toutefois répondre à cela qu'il est possible de voir les choses autrement [objection faite par n'importe qui].

La combinaison des deux est très pratique, mais il ne faut pas les confondre. Pour reprendre l'exemple précédent, il faut remplacer le premier « je » par nous car on parle de soi en tant que narrateur, et le second par « on » car on parle ici d'une objection générale, d'une visée universelle. C'est vous qui posez la question, mais vous prétendez que d'autres pourraient se la poser aussi (d'ailleurs, c'est pour cela que vous y répondez).

Non :

On a donc montré qu'il était nécessaire de replacer le texte étudié dans une visée argumentative et dans un contexte culturel. Néanmoins, nous pourrions encore nous demander si la littérature n'est pas, plus largement, la fusion entre un contexte et une idée.

Oui :

Nous avons donc montré qu'il était nécessaire de replacer le texte étudié dans une visée argumentative et dans un contexte culturel. Néanmoins, on pourrait encore se demander si la littérature n'est pas, plus largement, la fusion entre un contexte et une idée.

Les deux emplois peuvent être difficiles à distinguer, mais si vous avez un doute, c'est probablement que les deux sont acceptables (avec l'habitude, vous mettrez spontanément le bon).

Antoine Amarilli 2006-04-24