Pour tout ce qui concerne l'art contemporain, deux principes fondamentaux s'appliquent : d'une part, faire une oeuvre en suivant une idée tellement stupide qu'il n'y a eu personne pour y songer avant vous, et d'autre part, l'expliquer d'une manière tellement incompréhensible que nul autre que vous ne pourra vous comprendre - l'idée étant de faire croire que vous, vous comprenez ce que vous dites, alors qu'il n'en est rien.
L'art est défini comme ce qui provoque une réaction. Pas par ce qui est beau, élaboré, pas ce qui a nécessité du travail, pas ce qui émerveille, pas ce qui transmet un message ; ce qui provoque une réaction. Or, les émotions généralement perçues comme agréables - le rire, le plaisir, l'admiration, l'enrichissement personnel, etc. - sont bien plus délicates à provoquer que d'autres - le dégoût, la peur, l'incompréhension, la douleur, la consternation, etc. De ce fait, un artiste avisé cherchera à provoquer les secondes sans se préoccuper des premières. Hurlez dans l'oreille de quelqu'un et il sursaute ; c'est artistique. Faites voir à quelqu'un des lumières vives et clignotantes, et il se détourne ; c'est artistique. Faites écouter à quelqu'un du babil incompréhensible, et il ne comprend pas ; c'est artistique. Faites voir à quelqu'un un tableau magnifique, et il sera admiratif ; c'est artistique, certes, mais c'est plus difficile : à éviter.
Une conséquence intéressante de cette définition est que ce que l'on juge comme non artistique le devient dès lors qu'on le présente comme une oeuvre. Exemple : votre séchoir à linge ne vous apparaît pas comme une oeuvre d'art, il ne vous fait pas réagir. Présentez-le dans un musée renommé et acclamez-le comme la révélation du millénaire, et on réagira, par de l'indignation ou un fou rire : il devient artistique. Pas de chance, quelqu'un y a déjà pensé avant vous, et on vous accusera d'avoir copié sur lui, il vous faut trouver une idée plus stupide encore. Nous en aboutissons donc à la définition suivante : « est artistique tout ce qui est défini comme tel ».
Donner à voir au public quelque chose qui ne vous a pas pris dix minutes à réaliser n'est rien sans la justification qui l'accompagne. Si vous ne vous prenez pas au sérieux, votre cas serait moins grave, mais on ne reconnaîtra pas la « profondeur » de votre « démarche ». Il est donc absolument nécessaire de tout justifier par un baratin incompréhensible et imbuvable - autant que vous le pouvez, tout est permis !
La réaction innée d'une personne normale face à un tel justificatif incompréhensible varie entre le rire et l'agacement ; néanmoins, si vous présentez le tout comme profond, il serait fort malvenu de la part de quelqu'un de dire ce qu'elle pense. Si elle le dit, c'est qu'elle ne comprend pas, et qu'elle critique sans comprendre ; c'est quelqu'un de primaire et de mal élevé. Peu importe que vous ne compreniez pas vous-même ! Des experts qui savent garder leur calme et se retenir de rire en toutes circonstances acclameront un texte d'autant plus qu'ils ne le comprennent pas, car, ne le comprenant pas, ils ne peuvent le critiquer. Si, plus largement, vous faites de l'art incompréhensible mais persuadez un autre que vous le comprenez, il en déduira que c'est à cause de votre intelligence et ne pourra qu'admirer votre travail, se sentant assagi par cette contemplation des fruits d'une pensée supérieure.
En conclusion, dès lors que vous voulez (ou plutôt, devez) adopter le masque d'un artiste, faites n'importe quoi, et soyez sûr de vous.
Oui :
[L'oeuvre est, exemple classique, une toile blanche]
À travers le néant, le rien, le vide qui sous-tend mon travail artistique, j'ai voulu donner au spectateur l'occasion de s'interroger sur lui-même, et de substituer à l'affable platitude du travail brut, le polissage personnel de son esprit, l'image de son inspiration, projetée sur la toile. Cette toile est un cadre, un espace délimité de fusion perception-expression ; le réel y est irréel, et les visions multiples de chacun la teintent imperceptiblement, mais lui donnent sa force. L'oeuvre est un miroir, un puits sans fond ; en la regardant, le spectateur est renvoyé à sa propre perception du concept artistique. [...]
Antoine Amarilli 2006-04-24